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jeudi, novembre 19, 2009

173- Maïssa BEY à l'Alcazar Marseille et une nouvelle: La Waâda



Dans un échange avec Marie Virolle (responsable des éditions Marsa, Paris) voici ce que Maïssa Bey a dit en cette journée du mercredi 18 novembre 2009 dans la salle des conférences de la bibliothèque Alcazar de Marseille, devant une cinquantaine de personnes venue l’écouter, à l’occasion de la manifestation « Cinéma (s) d’Algérie ».


« Comment j’ai commencé à écrire ? Il faut des rencontres pour que la parole puisse aller vers les autres. J’ai écrit un texte qui s’appelle « Au commencement était la mer ». Quand je l’ai écrit je ne savais pas ce que j’étais entrain de faire. C’était un besoin, nous étions au début des années 1990. Nous étions enfermés da
ns la peur dans le silence. Des gens disparaissent, soit dans l’exil, soit dans la mort. Alors on se dit « qu’est-ce que je peux faire ? ».Pendant longtemps la question s’est posée à moi « comment agir ? » Il y a plusieurs possibilités. La 1° solution est de faire le choix de se taire, pour se protéger, de s’enfermer, de se replier.


C’est à cette époque que sont apparus en Algérie les barreaux de fer hideux dans toutes les fenêtres et balcons. Mais le silence ne protège pas, c’est une illusion. La deuxième solution est celle du départ. Il en faut du courage pour partir, quitter sa maison, ses biens, tout ce qui a été votre vie. La troisième c’est de se mettre en face de soi et se poser la question « que faire, qu’elles sont mes possibilités ? » Je n’en avais pas beaucoup. J’étais professeur de français. L’essentiel était de pouvoir continuer à travailler, de pouvoir ouvrir la porte sur le monde. Il s’agissait d’arriver à accomplir les gestes du quotidien.





Les mots sont arrivés à moi. Je n’ai pas décidé d’écrire. U
n jour, alors que je préparais mes cours je me suis mise à écrire une histoire dans un cahier d’écolier à couverture blanche. Je me suis rendue compte que j’avais besoin d’écrire. C’était vital. A mes côtés il y avait ma vie familiale, professionnelle et aussi ce cahier blanc. Quelque chose dans ce cahier m’attirait, ce qui me permettait d’aller au-delà de ce que je vivais au quotidien. Il fallait que j’écrive. Je ne savais pas ce que j’allais en faire mais c’était une nécessité. J’ai toujours écrit, l’écriture m’a accompagnée toute ma vie, mais c’était la première fois que j’écrivais une fiction. Je suis une grande lectrice, mais c’était la première fois que j’allais vers mes propres mots. Cela a pris la forme d’une histoire, d’une histoire d’amour avec beaucoup de lumière et de soleil, la lumière, le soleil, la mer, tout ce qui ne nous était plus accessible à l’époque et que j’arrivais à retrouver avec les mots. Je peux dire aujourd’hui que ce texte m’a sauvée de la folie. Ce texte a été refusé par de nombreuses maisons d’édition.

Lorsque j’écris je ne me pose pas la question de la cible, je ne me demande pas qui va lire mon livre. Il me paraît impossible d’écrire en ayant l’impression d’avoir un lecteur au-dessus de mon épaule. Lorsque je me mets à écrire, il n’y a aucune présence auprès de moi. Je veux être libre de mon écriture. Lorsqu’on me fait le reproche d’aborder tel ou tel sujet, parfois tabou, comme le corps de la femme ou de ses désirs… je n’en tiens pas compte. Je n’écris pas pour plaire au plus grand nombre. En France on a refusé mon premier texte parce que m’a-t-on dit, « il ne répond pas aux attentes du public français. Votre texte est bien écrit mais la réalité sanglante de l’Algérie en est absente. On m’a suggéré d’ajouter de l’hémoglobine. J’ai refusé. »

Lorsqu’on écrit on sait qu’au terme de la solitude de l’écriture, il y a une lumière, il y a un regard qui va se pencher un jour sur cette page qu’on est entrain d’écrire. C’est pour aller à leur rencontre que j’écris, même s’il n’y a qu’un seul lecteur.

A SUIVRE


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Un peu plus tard dans la soirée la folie s'est emparée de la ville de Marseille. Non que l'équipe de France ait battu l'Eire (1-0. Peu glorieux le but), mais parce que l'Algérie s'est qualifiée pour la phase finale de la coupe du monde en 2010 (comme la France) en battant l'Egypte par 1 à 0. Très beau match et très vilains Egyptiens peu (très peu) fair-play, non les joueurs mais les politiques, les hommes de la rue, remontés comme s'ils étaient en guerre! Ils ont reçu une véritable leçon.







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La Waâda
(nouvelle)

Cela va faire une semaine qu’elle dure, une semaine estivale dédiée au Marabout Sidi Abdelkader El Jilani le grand. Une semaine entière d’offrandes que tous les habitants de notre village et des villages environnants chantent, dansent et psalmodient en tapant dans les mains en l’honneur du grand saint. Les hommes sous les guitounes du haut, les femmes sous celles du bas. Et nous les enfants, allons des unes aux autres avec délicatesse. Toute ma famille est là, tous mes cousins, tous mes amis et des centaines d’inconnus. Mais aussi et surtout Kheira. C’est la plus belle de mes cousines. Elle est élancée, le regard lové dans ses grands yeux charbonneux est franc. La tête haute et nue donne à voir une longue chevelure noire sur laquelle scintillent de petites étoiles. Je sais que tant que durera la fête, Kheira ne sera pas loin. C’est la Waâda annuelle. Les mules, bardots et chevaux sont attachés aux troncs des eucalyptus alentours, au garde à vous. Des chèvres, trois cinq ou sept, se laissent trainer sans résister vers leur destinée. La fête tourne d’un village à l’autre, une année chez l’un, une année chez un autre. Et Kheira chaque année aussi ravissante. Chaque jour qui passe, du premier au septième, est identique ou presque. Identique dans la nourriture très abondante et peu variée (couscous royal et lait fermenté tous les jours), mais différent dans l’intensité qui le traverse, chaque jour plus forte que le précédent. Les réjouissances commencent très tôt le matin lorsque toutes les jeunes filles y compris Kheira débarrassent ustensiles et restes de la veille de toutes les tentes. Celles du bas comme celles du haut. Je ne quitte pas ses allées et venues. Parfois un adulte me lance un regard oblique pour me signifier une transgression réelle ou par lui fantasmée. Les cousines sont suivies par une flopée d’autres femmes mobilisées pour le nettoyage des gigantesques tentes bédouines. Tous les tapis sont jetés sans ménagement à l’extérieur, sous le soleil brûlant. Ils seront l’un après l’autre nettoyés, cinglés et secoués à quatre, puis déposés de nouveau à l’intérieur des tentes. Cela dure jusqu’à la mi-journée. Lorsque les hommes reviennent de la prière du D’hor, ils imposent une sieste générale qui m’insupporte au plus haut degré. Je hais dormir le jour. La sieste ne profitera pas identiquement à tous. Les unes triment, les autres s’allongent. Vient alors la tombée du jour et avec elle l’effervescence de la veille qui s’anime crescendo. Les repas consommés, les théières passent de groupes en groupes. Les chants, laborieux au début, transpercent la vallée, en contrebas de la forêt de Tarzout, et reviennent en échos. Castagnettes et percussions Qarbaq-qarabaq-qarbaq-qarabaq… du haut, fusionnent dans un total capharnaüm avec les chants et les stridents youyousyouyouyousyouih ! du bas. On danse, on chante et on psalmodie de plus en plus haut, de plus en plus vite. Et moi je suis plus libre encore avec tous mes cousins, mes amis et Kheira en tête. Je sautille, tangue, me reprends, tape des mains en tentant de suivre les rythmes impossibles. Je distingue encore entre quinquets et ombres allongées celles de Kheira la belle. Oubliées la médersa, l’école et autres corvées imposées. Les cousines sont là, sollicitées sans arrêt. Ma cousine sait que je ne la quitte pas d’un regard. Avec mes cousins je m’amuse à chaparder les rares morceaux de viande restant, sans distinction, tant l’excitation est forte. J’en garde un, précieusement, sans rien leur dire, le plus gros, pour l’offrir à ma cousine aux grands yeux, dès qu’une voie s’offrira à moi, avant la tombée définitive du soir, demain.

26 Octobre 2009
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