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mercredi, octobre 31, 2018

624_ Hier ou avant-hier c’était déjà le SILA


Au SALON INTERNATIONAL DU LIVRE D’ALGER _ SILA

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Nous avons quitté Oran par sa gare, tôt le matin, hier vendredi. Il était 8 heures. Le train est un Rapide. Départ à l’heure prévue moins trois minutes. Arrêt à Chlef. La voiture où nous nous trouvons est pleine. Des voyageuses s’énervent à propos de rideaux à tirer ou non. Les passagers restent cois, mais pas le contrôleur « Sallou ala ennbi… » Il réussi à les calmer, mais entre temps des injures avaient fusé… Il fait chaud lorsque nous arrivons à 10 heures à Chlef et que les esprits sont sur le qui-vive, on ne sait jamais. Cinq minutes d’arrêt. On a eu droit à un thé (gratuit) et à des biscuits, sandwichs (payants)… distribués à partir d’un chariot sans âge, conduit par une jeune et charmante employée en tenue SNTF, bleu-nuit sur lequel est porté bien en vue le nom de l’employeur. Blida, Boufarik… Nous atteignons Alger gare Agha à 12 heures 55. Recherche d’un hôtel ni trop cher, ni inconfortable… A cette heure-ci, un jour sain, tout est ou presque tout est closed. Débrouillez-vous. Face au fameux hôtel Aletti une gargote propose des sandwichs. Une étrangère, (européenne ?) entre avec ses deux enfants. Le serveur lui dit instantanément « pas maintenant madame ». J’ai comme l’impression qu’il s’agit là d’un refus de servir parce qu’elle est femme, puisque moi-même suis servi, « un sandwich steak haché-frites ». La pauvre femme reprend « pas maintenant ? » et sort. Elle ne semble pas avoir saisi, et j’en suis presque honteusement content. Content qu’elle n’ait pas saisi la saloperie du gars, un sexisme doublé de xénophobie. Alors que je quitte la sandwicherie, à l’extérieur trois hommes sortis, je ne sais comment, d’un imposant 4X4 sautent sur un homme qui semble avoir picolé un peu. On ne lui pardonne pas d’avoir bu un jour sain (au nom de quelle loi ? la leur). En trois temps, trois mouvements, le malheureux, un tas désarticulé, est brutalement jeté dans le véhicule qui part en trombe vers une destination trouble.

Taxi, direction le Palais des expositions. 500 dinars demande le premier, 700 le deuxième, 300 le troisième. Arrivé à hauteur du Palais, le chauffeur du taxi ne sait pas trop si l’impressionnante queue devant nous est formée par des admirateurs de tel ou tel écrivain ou bien par des mordus du super Centre commercial R 10 ( ? histoire de pirate… ne cherchez pas à comprendre…) appartenant dit-il à Saïd Bouteflika… Je ne peux l’aider.

Le Palais des expositions déborde de clientèles. L’Institut français est archi bondé. Autour de Salim Bachi qui répond patiemment à toutes les questions, les spectateurs sont très attentifs. Benjamin Stora qui lui succède répond aux cinq  questions de l’animateur puis s’empresse d’aller vendre ses livres…
Trois allées plus loin je rencontre Nadia Sekhi et Hassina Hadj Sahraoui, les courageuses animatrices des revues Livresq et Salama. Echanges et perspectives…

Je reviendrai. 17 heures, la foule se fait plus compacte - impressionnante -  et cela me perturbe quelque peu. Je prends le tram jusqu’à Ruisseau puis le Métro jusqu’à Tifoura, la Grande poste. Je continue à pied jusqu’à l’Institut français. Maïssa Bey et Laure Adler (magnifique) évoquent le dernier roman de Maïssa « Hizya ». Une collation est offerte par les responsables. Monsieur l’ambassadeur est parmi nous, ainsi que du directeur du lieu et d’autres collaborateurs… Nous avons passé un long moment à échanger avec l’auteure de Hizya ainsi qu’avec Laure Adler. Je lui dis toute mon admiration. Et lui offre mon « Arabe dans les écrits d’Albert Camus ». Elle parle de son métier, de ses expériences diverses au milieu du monde médiatico-politique… de son ancien poste auprès de Mitterrand… Une collation dans les jardins de l'Institut a lieu.....
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Toilette de chat et café-crème avec m’semen légèrement croustillant et confituré. « Quinze mille » réclame le serveur, jovial. Dans les rues attenantes à l’hôtel (changement) les passants sont nombreux et les curieux tout autant. Les marchands de fleurs sont joyeux, pas les chauffeurs qui klaxonnent à tout rompre. Certains passagers arborent à travers les portières (ou sur les toits) des drapeaux d’équipes de football (ou de hockey-sur-glace ?) et chantent « Palestine, chouhada… » L’excitation ambiante renvoie probablement au match de football USMAlger-TPMazembe de ce soir, à moins que cela n’annonce une soirée révolutionnaire dédiée aux « valeureux-martyrs-de-la-noble-et-bienheureuse-Révolution-de-Novembre ». Oui, mais trahis les martyrs et la Révolution jusqu’à la moelle. La place du Cheval ou de l’Emir est saturée. La Librairie du tiers-monde est chagrine. La façade du Beaumarché est triste. Fermé depuis des lustres.

Métro à Tafourah. Direction La foire en passant par le tram à prendre au Ruisseau : 40 minutes environ. « 70 Da monsieur tout compris ». 1° Mai, Aïssat Idir… Jardin d’Essai, Les fusillés. Puis Tripoli-Taâlabia, Tripoli-mosquée,  Tripoli-Hamadach…. En arabe Tripoli se dit Tarabouls. Croyez-moi, j’entendais « Garagous » ce qui signifie « Marionnettes »… Allah ghaleb, le temps qui passe agresse nos organes, et c’est pourquoi l’indulgence à l’égard de mes auditifs doit être de mise.

Je continue. La foire enfin, on pourrait préciser le Salon. Mais non, on dit le plus souvent La foire… Je vous passerai les détails. Maracaña, le mythique et immense stade brésilien craquerait devant l’importance de cette foule dont je fais partie. Nous sommes partout, tout est monde, tout est mouvement, tout est zdihem… Le Salon de Paris m’apparaît soudainement ridicule en terme de fréquentation. Les mauvaises langues (je les ai entendues) disent que 70 à 80% des fréquentations du Salon bénéficient aux livres orientaux, aux livres religieux. Mauvaises langues. Je rencontre beaucoup de collègues, des libraires, des éditeurs (charmantes de Sédia), des auteurs… notamment le pétillant Caryl Férey qui parle de l’écriture avec une grande élégance à l’espace dédié à l’Institut français.

Notre ami Mohamed Balhi donne une interview à une télévision et Yamina Benguigui ne sait plus où donner de la tête, mais son film « Inch Allah Dimanche » projeté là-bas dans la salle Ali Maachi  n’attire pas…

Le soir, devant la Grande poste, face à un écran géant, la foule des supporters de football qui s’échauffent, chantent, crient, dansent… Le match sera viril et la victoire certaine… Raté. Malgré la défaite des algérois USMAlger : 0 – TPMazembe : 2, la fête a duré longtemps dans la nuit, se confondant avec celle du 1° novembre 54… Des coups de canon (ou d’autre chose) sur la baie (ou ailleurs), je n’en sais rien, mais aussi des sirènes de bateaux, clôturent une journée folle de promesse. Les boules Quies font le reste. Nos « valeureux-martyrs-de-la-noble-et-bienheureuse-Révolution-de-Novembre » peuvent dormir (pas en paix, non, pas possible).

Je n’irai pas à La foire ce dimanche, je me le promets.

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Il a plu cette nuit de dimanche à lundi. Il ne fait pas chaud, mais je n’irai pas jusqu’à parler de petite laine, nous en sommes loin. Métro Grande poste Tifourah. Toujours du monde. Lorsqu’arrive mon tour je demande « un aller pour La foire s’il vous plaît ». Le guichetier me tend le ticket. Je lui demande s’il combine bien les deux trajets métro et tram. Il est sur le point de répondre, mais derrière moi un homme s’impatiente. Depuis un moment d’ailleurs, à vouloir passer devant sans bonne raison, un handicap, je ne sais... Il tend son bras par dessus mon épaule (il est grand l’abruti) et pause une pièce sur la plate-forme. Je lui demande si cela l’ennuie d’attendre son tour. Il me répond « je suis pressé ». Plus abruti que cela tu meurs aurait dit mon fils, ou ma fille, à l’âge de leur adolescence. Il insiste et répète « tu nous fais perdre notre temps ». Je lui fais signe, l’invite à passer devant. J’étais sur le point de l’applaudir, mais je lui dis simplement « vous ne manquez pas de culot, mais beaucoup de respect ». «  Tu monopolises le guichet. » Personne n’a rien dit. Pas d’approbation, pas d’acquiescement, en tout cas, non exprimés. Neutralité.
Arrivé à « La foire » je prends deux galettes, m’semen aux oignons, des M’hajba » (50DAX2). Au stand de l’Institut français Amhis Djouhar raconte une histoire à une quinzaine de gamins attentifs. A l’Esprit Panaf une table-ronde s’apprête à commencer. Je m’installe. « Quel regard sur le temps qui passe ? » Vaste et inextricable question. Il y a des confusions dans l’air. On confond temps, mouvement, durée… (vidéo)
Cette question fut l’objet principal de mon premier roman, il y a quinze ans… « Le temps d’un aller simple », lui-même aussi confus (normal) que la question. Voici ce que j’y écrivais (entre autres), page 105 : « Le mercredi, d'un commun accord nous quittâmes tôt la rue Dejean pour la porte de Clichy. Le pieux patron qui nous vit sortir ne répondit pas à notre "au revoir" mais baissa la tête et tira sur sa moustache. Puis il cracha, contraint par la chique ou bien pour nous maudire. Par je ne sais quelle combinaison sinon celle du hasard nous tombâmes dans la rue saint Honoré. Un passant qui tuait son temps s'alarma devant mon visage défait et son regard sur le mien. Il devina que nous étions perdus. J'ai naturellement bafouillé quelques mots pour justifier notre égarement. "Prenez sur la Madeleine puis les Mathurins dit le passant. Surtout ne vous y arrêtez pas. Continuez sur votre gauche. Plus loin vous aurez Rome sur votre droite et Messine sur votre gauche. Ne prenez ni l'une ni l'autre. Allez tout droit devant vous. A saint Augustin redemandez votre chemin". L'inconnu n'avait pas tout à fait tort et sa conviction était graniteuse. Il ajouta à Katarina : "Et bonne chance parce qu'avec ce sac à dos…!" Elle sourit et l'homme s'évapora. Nous arrivâmes devant la place le métro l'église et le bar-tabac saint Augustin. Nous ne vîmes pas le temps passer. A hauteur d'yeux sur la partie gauche du portail de l'église une plaque sans âge se laisse parcourir. Elle brave l'éternité et nous met en garde : Ecce puta uox corporis incipit sonare… Imagine-toi qu'une voix corporelle commence à se faire entendre, qu'elle continue à se faire entendre, et puis qu'elle cesse, et que le silence lui succède. Alors cette voix est passée, et ce n'est plus une voix : elle était à venir avant qu'elle se fit entendre ; et comme elle ne pouvait alors être mesurée, parce qu'elle n'était pas encore, elle ne le saurait être maintenant, à cause qu'elle n'est plus. Elle pouvait donc être mesurée pendant qu'elle résonnait, parce qu'elle était, et qu'ainsi on la pouvait mesurer ; mais en ce temps-là même elle n'était pas ferme et stable, puisqu'elle marchait et passait. Amen.
- Tu as compris ? »

Boudjedra, pour justifier sa grandeur ou sa hauteur (il ne connaît pas Montaigne (pas Beaumarché) peut-être ? « Sur le plus haut trône du monde, on a beau s’élever… »), ne se présente pas laissant en plan le public. Amin Zaoui arrive. Evoque sa famille, particulièrement l’amour qu’il porte à sa mère et celui qu’elle-même et son mari partagent… et de ses romans et nouvelles. Son parler est direct, courtois. En arabe dialectal, une réjouissance, mais aussi en français. De nombreuses questions furent posées, certaines fortement marquées par des contenus idéologiques rétrogrades qu’il a su remettre à leur place, et passer à la littérature.
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Mardi  3 novembre. Non loin de la Grande poste les bouquinistes s'installent pour une nouvelle aventure... Je me suis rendu directement au Musée des Beaux-Arts.  70 marches, rappelez-vous et 200 dinars. « Laissez votre sac à dos à l’entrée. Gardez bien le ticket ». Numéro 4. Longue bâtisse sur quatre niveaux.
De sa terrasse on peut observer toute la baie de la capitale. « Quelques photos s’il vous plaît. C’est pour mon site, vous ne connaissez pas ? 10 ans pourtant et beaucoup de visiteurs…  http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/ . C’est pour faire connaître ce magnifique lieu ». « Une seule ? » « non quelques-unes ». J’ai renouvelé cette demande plusieurs fois car les gardiens qui circulent à travers les différentes travées sont nombreux.  Que de beaux ouvrages en effet, de la peinture, de la sculpture, art déco et contemporain… bref, des siècles d’histoire de l’Art en Algérie. De Utrillo, Bourdon à Matisse, Vlamenck, de Gammiéro  à Maya. De l’espace Belmondo à Racim… Un régal. Deux heures plus tard, je ne sentais plus mes jambes. Il me fallait reprendre quelques forces, attablé  à la gigantesque terrasse.

Je reprends le métro et le tram jusqu’à… vous avez deviné : « La Foire ! » Mon ami… A.K. me fait faux bond. Un sociologue très demandé. Je prends un thé dans la grande Kheima de Béchar. Les allées du Salon me semblent moins bondées. On circule mieux. C’est moins le souk. Si la majorité des personnes ont le cou libéré, d’autres portent, pendues autour, des cartes rouges avec cette mention « 20° SILA », d’autres celle-ci « Presse », sur des cartes blanches.  De la chaise où je me suis installé pour charger mon appareil photo (j’ai oublié de m’en occuper à l’hôtel). J’aperçois au stand du très sérieux CRASC, un professeur que je connais pour avoir participé à une de ses interventions (en cercle réduit) à Manosque. Monsieur Q. J-M. Il tient entre les mains le dernier ouvrage (reconnaissable par ses volume et couleurs) du centre de recherches anthropologiques. CRASC : « Dictionnaire du passé de l’Algérie : de la préhistoire à 1962. » Je débranche mon Leica Lumix le temps de prendre en photos monsieur le professeur.  Il est plongé sur la même page qu’il semble lire et relire. Je participerai un peu plus tard à sa conférence intitulée « L’enfant, le livre et l’école : l’expérience française »

Tiens voilà quelqu’un d’autre que je connais (ou plutôt « reconnais »,  nos relations sont certes amicales, mais superficielles). S. H. éditeur de son état. « Bonjour, bonjour » « quoi de neuf, » « ça va ? » « oui ça va » « et Marseille ? » « Ah, Marseille… » J’ai peine à comprendre ce qu’il dit.  Il traîne d’une main une lourde (en apparence) valise mauve sur roulettes noires et de l’autre il presse un sandwich quelconque, qu’il porte à sa bouche encore pleine. Il lève un bras pour dire « désolé, je dois continuer ». Il ne le dit pas, car il mâche, goulûment, son sandwich, mais je comprends. Il hoche la tête devant une dame qui le croise. Une journaliste. Elle le croise, elle vient donc vers moi. Cette fois ce sont nos propres regards qui se croisent. Dans le sien je vois un point d’interrogation aussi gros qu’une boule de pétanque prête à être lancée sur le cochonnet qui l’attend. Je lui tends la main et lance « La Tribune ? », elle dit « Chaîne 3 ». Les journalistes, comme les éditeurs, et contrairement aux chercheurs, sont toujours pressés. L’actualité leur colle au corps pour mieux les berner et nous avec. Je lui offre mon dernier recueil dont elle lit le titre et lance « Ah ghrompawghawch ! ». Comme vous, moi non plus je n’ai pas vraiment saisi ce qu’elle m’a envoyé. Etait-ce une amabilité ? Pendant ce temps mon appareil photo se gave de particules élémentaires. A l'Espace Institut français, Maïssa Bey et les représentants de l'Institut (M. Alexi A...) récompensent les lauréats de La nouvelle fantastique.

Plus tard j’assiste à une table-ronde assez animée sur « La nouvelle littérature africaine, vers la rupture ? » Un débat chaud disais-je, avec le dynamique et talentueux Armand Gauz, avec aussi Kangni Alem, Parkes Nii Ayikwei et la traductrice Sika Fakambi. La modératrice ne fut hélas pas à la hauteur.

Mercredi 4 : « Gare d’ Agha ». 8 heures. Départ du train à destination d’Oran où l’on arrive à 12h52 (oui, parfaitement, tel qu’annoncé).

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Ces textes ont été écrits le samedi matin 31 octobre, les 1°, 3 et 5 novembre 2015.
Cf ici  (avec photos, vidéo) :





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Vous pouvez également consulter mes textes de 2016…








… de 2017





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lundi, octobre 08, 2018

623_ Albert Camus_ 35° journées de Lourmarin.





Ces vendredi et samedi 5 et 6 octobre 2018 se sont tenues à Lourmarin, Espace Albert Camus, les 35° journées de Lourmarin, des Rencontres Méditerranéennes Albert Camus en présence d’une centaine de personnes. « De l’ombre vers le soleil : Albert Camus face à la violence » est l’intitulé de ces journées marquées par l’intervention de plusieurs enseignants, professeurs, doctorants… dont Guy Basset, Laurent Bove, Françoise Kletz-Drapeau, Virginie Lupo, Philippe Vanney. Etait présente Catherine Camus… accompagnée de son chien. Nous rapportons ci-après l'essentiel de leurs communications telles qu'elles ont été présentées.

Le premier intervenant, Guy Basset a traité de « La violence dans l’œuvre d’Albert Camus ». D’emblée il fait le choix de mettre en exergue cette phrase d’Albert Camus : « La violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut. » (AH : Réponse à Emmanuel d’Astier de la Vigerie en juin 1948; Albert Camus, Essais, éd de la Pléiade, 1965)

 

Le terme de violence a beaucoup été utilisé en France dans les années 1630-1680. Paradoxalement son indice fréquentiel précise l’intervenant marque une régression sensible entre 1700 et  1939 et une renaissance ensuite. D’abord caractère d’un phénomène et d’un acte, la violence est ensuite définie comme « l’emploi illégitime ou du moins illégal de la force »



Le mot violence ou son adjectif violent ou plus largement, la description et la réprobation d’actes violents sont présents dans toutes les correspondances de l’écrivain. Camus les emploie dès le diplôme d’études supérieures, à propos d’une polémique de Plotin. La polémique fait partie de la violence. On trouve le terme de violence dans le dernier ouvrage « Le Premier homme ». Le terme est employé une dizaine de fois. On trouve aussi le terme dans le mythe de Sisyphe, dans l’Homme révolté, dans Noces… Pourtant, s’il est toujours présent, le terme violence n’est pas si fréquent que cela dans l’œuvre de Camus – dans l’œuvre. C’est la thématique de la violence, précise l'orateur, qui y est par contre omniprésente. Violence morale ou physique. « La violence a toujours existé dans l’Histoire et existe toujours… Requiem pour une none est hanté par la violence, celle des relations humaines entre les deux femmes et celle de l’infanticide jamais oublié. La reprise théâtrale par Albert Camus du texte de Faulkner apporte ainsi la preuve de situations différentes comme du fait que ces situations peuvent en quelque sorte entrer en littérature. On peut ainsi lire toute l’œuvre de Camus à l’aune de la violence. Les prises de position d’Albert Camus dans son activité de journaliste, dès Alger républicain et tout au long de sa vie dans ses articles de revues, Affaires judiciaires, Combat contre le fascisme ou contre les régimes totalitaires, engagement contre la peine de mort… viennent confirmer cette affirmation d’abord construite à partir des œuvres littéraires… Une dernière citation éclaire les différents combats que Camus a menés pour condamner toute forme de violence faite à l’homme, à l’homme identifié comme homme, certains diraient peut-être comme personne. «  Saint-Exupéry maudissait les guerres et l’injustice dans la mesure où elles risquaient de tuer dans un homme le Mozart qu’il aurait pu devenir. L'exemple était bien choisi. C'est donner à chaque homme sa chance la plus haute que de lui permettre d'accéder, s'il en est capable, à cette liberté inépuisable et heureuse. » Extrait de la dernière chronique de Camus à L’Express et que l’on peut compléter »

« Mais, en même temps que la justice et la paix, il y faut le respect de ce qu'il y a de souverain dans chaque vie particulière. Bien qu'on ne cesse aujourd'hui de parler de justice, au-dessus des camps d'esclaves, et de paix, au milieu des usines de la mort, ce respect, sans lequel toute justice est terreur, toute paix, démission, a disparu de notre conscience politique. Les tyrannies contemporaines haïssent Mozart et ce qu'il représente, même lorsqu'elles font mine de l'honorer. »  



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Le deuxième intervenant est Laurent Bove avec une communication dont le titre est : «  Camus face à la violence : morale ou éthique ? » L’œuvre de Camus après la seconde guerre mondiale interroge une logique structurelle de la violence au cœur des rapports sociaux Moraux et politiques qui concerne aussi la vie de nos démocraties. Il s’agissait de fait pour Camus de comprendre en son essence ce qu’il appelle le nouvel esprit moderne qui structure les sociétés en supprimant dit-il « la liberté même de l’esprit ». De ce point de vue l’œuvre de Camus développe une théorie de la domination qui est propre à notre modernité…



« Il nous faut prendre le problème de la violence à la racine dit l’intervenant. La critique historique de ce que Camus nomme la terreur s’inscrit dans une problématique philosophique plus vaste qui conçoit la rencontre de la violence comme inéluctable. Car la violence est pour Camus inhérente à l’existence même des hommes au sein de ce que Pascal au XVIIe siècle avec nommé la seconde nature. Comme le montre L’Homme révolté la violence en effet est déjà inscrite dans la création sous les deux figures de la finitude : la souffrance et la mort. C’est cette même violence qui va se perpétuer dans et par la révolte contre la création, c’est-à-dire contre l’existence telle qu’elle nous est donnée. Une révolte cependant dont Camus souligne la légitimité tout en refusant d’un même geste la légitimité d’une violence qui quelle que soit l’issue du combat conduit inéluctablement à un échec éthico-politique. La violence de la révolte ne peut pas être aux yeux de Camus d’une nature essentiellement différente de celle de l’adversaire. Si la révolte émancipe il n’y a pas en vérité de violence émancipatrice. Le paradigme de cet ‘être contre’ qui en dernière analyse ne fera qu’exalter la logique meurtrière de l’autre, ce paradigme est donné dans L’Homme révolté… C’est à propos de la guerre d’Algérie que Camus nommera casuistique du sang le piège de la dialectique que la politique et l’histoire tendent indéfiniment au philosophe. Chacun pour se justifier, dit-il, s’appuie sur le crime de l’autre. Il y a là une casuistique du sang où un intellectuel me semble-t-il n’a que faire. L’œuvre de Dostoïevski avait pourtant ouvert avec les frères Karamazov  une perspective nouvelle. Camus écrit en effet qu’en voulant substituer au royaume de la grâce celui de la justice Ivan Karamazov inaugurait véritablement l’entreprise essentielle de la révolte et c’est à cet essentiel dans la révolte c’est-dire- le goût violent pour la justice qui échappe à l’identité des contraires, c’est à cet acte essentiel auquel l’auteur de L’Homme révolté nous demande de rester fidèle… »



 
Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 1.8_ LAURENT BOVE
 
« La dynamique de cette violence au cœur même de l’être et de sa relation aux autres et au monde Camus la définit selon deux concepts majeurs qui sont véritablement les deux mots d’ordre de la modernité à savoir :  la réussite et l’efficacité. Ainsi dénonce-t-il la hideuse aristocratie de la réussite.

En disant du nihilisme qu’il est l’affirmation de tout ce qui dans l’histoire semble voué au succès. Là est sans doute la thèse camusienne la plus originale et la plus profonde sur la nature moderne de la violence qui parcourt les textes d’après guerre et qui bien-sûr nous concerne encore. Une thèse que Camus avait commencé à élaborer dès 1943 dans ses Lettres à un ami Allemand. A la vérité de l’absurde qui égalise logiquement le bien et le mal, la victime et le bourreau, Camus, dans la situation de l’occupation, va s’efforcer de substituer à cette première évidence une vérité selon laquelle une logique de la destruction de l’homme par l’homme pourrait être enrayée à bon droit, c’est à dire selon une autre  nécessité que celle de la dialectique de la violence. Une nécessité de nature éthique où l’on retrouve la question de la justice évoquée à propos de Dostoïevski. C’est donc en 1933 que Camus introduit une distinction nécessaire entre philosophie d’évidence et philosophie de préférence, autrement dit explique-t-il, on peut aboutir à une philosophie qui répugne à l’esprit et au cœur, mais qui s’impose. Ainsi poursuit-il ma philosophie d’évidence c’est l’absurde. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir plus exactement de connaître une philosophie de préférence. Car ce qu’a perçu et reconnu Camus en ces années d’occupation c’est que la logique inéluctable du meurtre qui est celle au premier abord indépassable de la seconde nature, cette logique c’est aussi la vérité naturelle de l’histoire.  Or vis-à-vis de cette situation historique il y a une exigence de vérité et d’action pour laquelle la mathématique de l’absurde dans l’équivalence de la valeur du bien et du mal doit être éthiquement dépassée… »



Camus : Face à la violence du monde et de l’histoire il n’est pas possible de vivre la révolte sans aboutir en quelque point que ce soit à une expérience de l’amour. 



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Rémi Larue est le troisième intervenant. Son propos porte sur Morale et politique de la violence chez Camus. Il précise que son propos se concentre sur la période qui entoure la seconde guerre mondiale où se développe une dynamique singulière dans la pensée de Camus concernant la violence. « Il souhaitait en tirer des règles de conduite individuelles et collectives pour en limiter ses effets. Dès ses carnets notamment celui du début de septembre 1939 pour constater que la guerre n’apparaît pas. Extrait : « la guerre a éclaté, où est la guerre en dehors des nouvelles qu’il faut croire et des affiches qu’il faut lire, où trouver les signes de l’absurde événement. Elle n’est pas dans ce ciel bleu, dans la mer bleue, dans le crissement des cigales, dans les cyprès des collines. Ce n’est pas ce jeune bondissement de lumière dans les rues d’Alger. On veut y croire, on cherche son visage et elle se refuse à nous… pour aujourd’hui on éprouve que le commencement des guerres est semblable au début de la paix  le monde et le cœur les ignorent. » Sous les yeux d’Albert Camus la guerre ne s’incarne pas. Comme si l’été n’a pas laissé place à l’automne. Quelques jours plus tard le ton changera. La pureté des êtres laisse la place à la haine et à la violence. Dans les articles de presse de Camus la guerre va se déployer comme une ombre sur ceux qui la subissent. Dans sa présentation annonçant la transition entre Alger républicain et Le Soir républicain, le journal se veut clairvoyant. Une de ses importantes rubriques s’intitule « Éclairage de guerre ». Dans l’article du 17 septembre 1939, intitulé « La guerre » où l’on trouve cet extrait : « et dans cette heure mortelle, si nous nous retournons vers quelque chose ce n’est pas vers l’avenir mais vers les images fragiles et précieuses d’un passé où la vie gardait son sens… » Pour Albert Camus c’est dire l’obscurité qui s’abat sur le monde du fait de la guerre. Cette ombre on va la ressentir encore plus à la lecture de Lettres à un ami Allemand. À plusieurs reprises c’est la métaphore de la nuit que l’auteur utilise pour désigner la guerre qui règne sur l’Europe depuis quatre ans. Monsieur Larue lit un autre extrait : « Je vous écris d’une ville célèbre dans l’univers qui prépare contre vous un lendemain de liberté. Elle sait que cela n’est pas facile et qu’il lui faut auparavant traverser une nuit encore plus obscure que celle qui commença il y a quatre ans avec votre venue. Je vous écris d’une ville privée de tout sans lumière et sans feu affamée et toujours pas réduite. Bientôt quelque chose y soufflera dont vous n’avez pas encore idée. Si nous avions de la chance nous nous retrouverions alors l’un devant l’autre. Nous pourrions alors nous combattre en connaissance de cause, j’ai une juste idée de vos raisons et vous imaginez bien les miennes. Ces nuits de juillet sont à la fois légères et lourdes… »



Le combat de la résistance va devenir progressivement une nouvelle lumière dans la nuit de la guerre. La résistance et les valeurs qu’elle porte prennent la forme d’une nouvelle source de lumière au milieu de la nuit qui a commencé en  1939.





À la fin de son allocution l’intervenant note que Albert Camus fait face à la fois aux nationalismes qui ont mené à la seconde guerre mondiale, mais aussi à la dynamique d’affrontement des deux blocs. Il exprime quelque chose qui serait ascendant plutôt que descendant. La vision qu’il critique, la vision d’une pseudo démocratie internationale qui est descendante, c’est celle de gouvernements qui se donnent des lois mais qui n’hésitent pas à passer outre la volonté des peuples. Albert Camus se tient à la fois à distance des nationalismes et de ces gouvernements-là qui ne respectent pas la volonté populaire.




Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 2.8_ REMI LARUE

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Le titre de la communication de Madame Françoise Kletz-Drapeau est « La violence dans la correspondance Albert Camus-Maria Casarès ». L’intervenante décortiquera la correspondance entre ces deux êtres, correspondances parues récemment (lire extraits in photos de pages word)

 
 Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 4.8_ FRANCOISE KLETZ_DRAPEAU


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L’intervention de Virginie Lupo, qui suit, porte sur « La mise en scène de la violence dans le théâtre d’adaptation de Camus. »

Chez Albert Camus, la question de la violence semble consubstantielle à la réflexion qu’il mène sur sa quête d’une tragédie moderne dit-elle. On peut alors se demander quelles sont les manifestations dramaturgiques de cette violence dans ses adaptations, de quelle violence il s’agit réellement (cf vidéo)

 
Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 6.8_ VIRGINIE LUPO

 

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Le dernier intervenant de la journée est monsieur  Phlippe Vanney « La paix dans la guerre, le Pacifisme défendu par Le Soir républicain d’Albert Camus. Il commence son intervention par quatre citations d’Albert Camus « qui serviront de repère » dit-il :

En 1958 Carl Viggiani… pose à Camus la question suivante à propos de son attitude en septembre 1939 : « Vous êtes contre la guerre, mais vous voulez vous engager ». Camus : « Oui, sur ce point je n’ai jamais changé. Il faut lutter pour éviter la guerre à sa nation, quand celle-ci est là il faut être solidaire de sa nation.

En 1951 Camus écrit à jean-Paul Verron « j’ai commencé la guerre de 1939 en pacifiste et je l’ai finie en résistant. Cette inconséquence, car c’en est une, m’a rendu plus modeste. »

1945, Hiroshima. Six ans auparavant, Camus conclut son célèbre éditorial de Combat sur le bombardement d’Hiroshima par ces mots « devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à L’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. »

On en arrive au Soir républicain, c’est un article du 16 décembre intitulé « profession de foi », un article entièrement censuré, un article signé Pascal Pia et Albert Camus. On peut lire dans la version de la Pléiade « nous sommes profondément pacifistes ». Notons cependant que cette affirmation n’apparaît pas dans le texte conservé dans les archives des services de la censure d’Alger.

Monsieur Vanney présente ensuite ce que fut Le Soir républicain. Le premier numéro date du 15 septembre 1939 et le dernier du 9 janvier 1940. C’est un journal du soir qui se présente sur une seule feuille recto-verso distribué à Alger et ses environs. Il y a 14 ouvriers plus les journalistes. D’après les archives de la censure on peut estimer son tirage  à 1100 exemplaires ou un peu plus. Le directeur en est Pascal Pia et le rédacteur en chef Albert Camus. Un duo qu’on retrouvera à Combat. Il est important dit monsieur Vanney de préciser les liens avec Alger républicain. Algérie républicain fondé par Jean-Pierre Faure aidé de Paul Schmidt avait pour rédacteur en chef Pia alors que Camus y faisait ses débuts de journaliste montrant immédiatement des dons évidents de chroniqueur judiciaire, littéraires et de reporter. La déclaration de guerre du 3 septembre suivie de la mobilisation générale désorganise le journal qui était déjà en mauvaise situation financière. Ayant reçu une délégation de la part de Jean-Pierre Faure,  Pia décide de fonder Le Soir républicain Plus solide sur le plan financier. Pendant un mois et demi les deux journaux coexistent. Algérie républicain qui reprenait des articles du Soir républicain s’arrête le 28 octobre. Il reparaîtra au printemps de 1940 du 24 février au trente juin. Puis en 1943 dans la mouvance de la résistance avant de passer sous la mouvance communiste.  Alger républicain était un quotidien généraliste soutenu par les forces de gauche du Front populaire. Le soir républicain lui est le fruit de la volonté de deux personnalités, Pia et Camus…  (cf vidéo)



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Un temps conséquent a été réservé aux questions du public après chaque intervenant. Très peu de questions ont concerné la violence rapportée à la guerre d’indépendance de l’Algérie, ni aux positions de l’écrivain vis-à-vis de celle-ci (indépendance) comme nous y sommes habitués, Stockholm, La mère plutôt que la justice..., le fédéralisme (il fut question de fédéralisme, mais européen, pas la relation entre l'Algérie -en devenir- et la France) Par contre, et c’est nouveau (me semble-t-il) plusieurs questions ont concerné les prises de positions d’Albert Camus quant à la déportation des Juifs. Les réponses furent toutes affirmatives, « oui Albert Camus a dénoncé les crimes contre les Juifs » dès qu’il en eut connaissance… nouveau également les questions portant sur la maltraitance des enfants vue par l’auteur…



La journée s’achève autour de la table du libraire (auquel j’offre mon essai L’Arabe dans les écrits d’Albert Camus), puis autour d’un buffet…
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Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 7 et 8.8_ PHILIPPE VANNEY 


 
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À l'extrême drote, C. Camus et son chien.

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  PROVISOIRE





 Les vidéos ne sont pas de bonne qualité (l'image, pas le son). Le Blog n'accepte pas les vidéos de plus de 100 MO, j'en suis réduis à les convertir en mode GP (basse qualité)... Si vous avez une idée pour contourner cet obstacle, faites-moi signe, d'autant que les vidéos initiales sont de bonne qualité. Merci





Lexctures de textes par JEROME BRU

 
Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 3.8_ JEROME BRU




 
 Albert Camus. 35° journées de Lourmarin 5 et 6 octobre 2018_ 5.8_ JEROME BRU


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NB: Nous n'avons pu participer à la seconde journée.