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lundi, septembre 23, 2019

672_ La folle d'Alger - Les massacres en Algérie... Bentalha - 22 septembre 1997


Algérie 1992-2000 : massacres et disparitions forcées… 
Pour ne pas oublier.

Algérie 1992-2000 : massacres et disparitions forcées… 
Pour ne pas oublier.
À ce jour, « LA FOLLE D’ALGER » (qui a fait l'objet de recherches universitaires) n’a eu l’honneur d’aucun média algérien 
(De nombreux journalistes l’ont eu entre les mains)


LITTERATURE ET TRAGEDIE










   



dimanche, septembre 22, 2019

671_ Lectures de DJAMEL ZENATI



Dans un article intitulé « Algérie : éclosion ou implosion ? » (El Watan 2 mai 2019), Djamel Zenati, mettait en garde sur les tergiversations du Pouvoir. Que le commandement militaire choisisse l’une ou l’autre de ces options – l’éclosion ou l’implosion – et c’est la voie ouverte vers une deuxième république fondée sur un État de droit ou la précipitation dans le chaos. Il est nécessaire désormais « de se projeter », écrivait-il car le mouvement populaire a face à lui une « contre-révolution, invisible et silencieuse composée de dignitaires du système et leurs différentes clientèles, les minimalistes, les opportunistes… et les aventuriers de tous bords. » Djamel Zenati nous alertait (et alerte) sur le risque de se satisfaire de notre volonté de se débarrasser du système autoritaire sans proposer simultanément d’alternative. Dans un appel commun avec l’éminent « sociologue engagé » Lahouari Addi lancé le 26 février 2019 (publié le jour même par TSA et le lendemain par
Lahouari ADDI et Djamel ZENATI
El Watan
) il soulignait : « Le système autoritaire est un objet monstrueux fortement enraciné et innervant l’ensemble des institutions et structures du pays. Sa déconstruction nécessite de la volonté, de l’effort, de la pédagogie et de la patience. La seule issue salutaire pour le pays est une transition démocratique orientée vers la construction d’un État de droit. Elle doit être la plus courte possible, loin de tout esprit de règlement de comptes et se conclure par l’organisation d’élections générales. Avec un bilan des plus désastreux et une révolte populaire grandissante, le régime n’a plus de marge de manœuvre. Le pays se trouve à la croisée des chemins. » Dans un autre article, plus récent, (près de 19.000 caractères) publié par le même quotidien (19 septembre 2019) l’auteur, Militant opiniâtre de la démocratie, revient sur ces questions qu’il dissèque et propose un « Pacte de souveraineté » entre les Algériens (« des représentants de la société ») et le Commandement militaire.



Voici résumées les grandes lignes de cet article.

Nous sommes, écrit Djamel Zenati, dans un « mouvement d’opportunité fondatrice » introduit grâce à la mobilisation totale qui « gagne en détermination et en maturité » et qui a réussi en quelques mois à mettre au centre la question de la souveraineté nationale.
« Le mouvement populaire a fortement ébranlé le système autoritaire dans ses fondements et lui a fait perdre toute source de légitimité. » Zenati utilise plusieurs fois les termes de « mouvement citoyen » ou « mouvement populaire ». Deux fois le terme de « insurrection » que je ne partage pas car l’histoire le lie souvent à la violence ce qui n’est absolument pas le cas en Algérie.
Une transition vers une deuxième (une seconde) République, est désormais à notre portée. Djamel Zenati identifie au préalable les blocages qui remontent à très loin, même s’il ne l’explicite pas il met en avant l’État coercitif en Algérie dont nous pouvons tous dater la naissance et il en rappelle ses réalités et ses limites.

L’élection présidentielle envisagée (décembre 2019) et rejetée par les Algériens, est une mauvaise solution à la crise actuelle. Alors que les Algériens aspirent à une souveraineté nationale, à prendre leur destin en main, cette proposition est une réponse « d’une minorité pour une minorité ». Sa tenue plongerait le pays dans le chaos.

Pour lever cet obstacle à la souveraineté nationale, Djamel Zenati écrit que « la seule issue possible est l’amorce d’un processus constituant » et met en garde contre l’égocentrisme dans cette Algérie plurielle. « L’heure n’est pas à la compétition politique ». Mais au préalable « il faut rompre avec la dichotomie formel/réel qui est un héritage du mouvement national » et qui caractérise le pouvoir, la norme, l’État.



On ne peut engager un pacte de souveraineté nationale sans se poser les questions de l’appartenance de celle-ci, de son exercice et de sa finalité. Djamel Zenati y répond : « la souveraineté nationale appartient au peuple. Ce principe fondamental est incompatible avec l’existence d’une tutelle quelle qu’elle soit. » Comme il est incompatible avec « tout instituant méta-social ou autre principe au-dessus de la volonté humaine. »

À la suite de ces entendus, et pour les satisfaire, l’auteur énumère un certain nombre d’exigences : retrait de l’armée du champ politique, démantèlement de tous les services de contrôle des populations et des institutions, la fin de la violence, le respect des libertés fondamentales et l’égalité en droits et devoirs entre les hommes et les femmes…



Il est impératif écrit-il « de définir une nouvelle rationalité institutionnelle ». Il y a lieu de créer des entités régionales plus à même de mieux servir le citoyen. La démocratie algérienne, qui rompra avec l’économie rentière, « sera sociale ou ne sera pas. » La question de l’environnement n’est pas en reste et Djamel Zenati rappelle ce qu’a toujours été l’Algérie « une terre de résistance aux dominations et oppressions de toutes sortes… attachée aux valeurs de liberté, d’égalité, de justice sociale et aux pluralismes »…



En conclusion l’auteur  interroge « le sens du Pacte de souveraineté » : c’est « la traduction concrète d’un compromis historique », il contient tous les éléments pour fonder une nouvelle Loi fondamentale, « il constitue une base de négociation avec le commandement militaire. »



L’avancement du « processus constituant se fera par accords successifs entre des représentants de la société et des représentants du Commandement militaire ».  Enfin note-t-il « notre espoir est de voir le Commandement militaire accompagner cette marche historique… La détermination du peuple algérien est forte et inébranlable. Que le Pouvoir s’engage dans la manière forte et c’est l’Algérie qui plonge dans l’irréparable. De nouveau.



Il est urgent que l’armée entame enfin de véritables et sincères négociations avec les Algériens (leurs représentants) pour sortir de cette crise qui risque de s’aggraver avec la perspective de la cessation de paiement dans un proche avenir.


Lire ici les articles cités :

EL WATAN,   19 SEPTEMBRE 2019 À 9 H 00


Le pacte de souveraineté
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Le mouvement populaire est à son septième mois. Loin de s’essouffler, il gagne en détermination et en maturité. Sa plus grande victoire est d’avoir réussi à réaliser un large consensus autour de la nécessité d’aller vers une rupture radicale avec l’ordre en place.
Certes, le système autoritaire est toujours là. Toutefois, il est fortement ébranlé dans ses fondements et a perdu toute source de légitimité. L’irruption citoyenne dans le champ public a aiguisé les contradictions en son sein et accéléré le processus de sa déliquescence. Enfin, la paralysie de sa façade institutionnelle l’a contraint à se replier sur son noyau dur : le commandement militaire. Cela a permis de donner plus de lisibilité à la problématique politique dans notre pays.
Nous ne sommes pas dans une séquence de crise, mais dans un moment d’opportunité fondatrice. Les anciens paradigmes et les vieux schémas sont inopérants.
La perspective historique est désormais du côté de la société et de la société seule.

Le sens d’une insurrection
Deux slogans méritent une attention particulière : «Echaâb yourid el istiqlal et dawla madania machi aâskaria». Cette exigence d’émancipation vient des profondeurs d’une société écrasée sous le poids de la hogra érigée en système. C’est aussi le retour d’un rêve lointain, dont les racines plongent dans l’épopée de la lutte de Libération nationale. Il peut paraître surprenant d’exprimer un désir d’indépendance des décennies après l’indépendance. C’est un anachronisme trompeur. Car le propre des œuvres inachevées est de rebondir inopinément sous l’effet de la transmission mémorielle et du relais générationnel. L’insurrection citoyenne a justement mis le doigt sur le véritable enjeu de ce conflit : la question de souveraineté.
Aussi, le processus de transition en Algérie doit s’articuler autour de la problématique de la souveraineté dans toutes ses dimensions. Et pour une description précise de ce processus, il est nécessaire d’identifier en premier lieu la nature et l’origine de l’obstacle auquel est confrontée cette aspiration légitime du peuple. Pour cela, il faut interroger le processus de construction de l’Etat algérien et ses modes de légitimation.

Fondement de l’autoritarisme algérien
Sous la colonisation, les nationalistes assimilaient à juste titre la souveraineté à une situation, à savoir la fin de la tutelle coloniale. Une fois l’indépendance recouvrée, cette vision s’avèra totalement inadaptée. Elle devait être naturellement abandonnée au profit de la souveraineté comme prérogative, c’est-à-dire la capacité inaliénable reconnue au corps des citoyens de décider librement de son destin. Ce droit imprescriptible du peuple constitue l’esprit même du combat libérateur. Or, ce passage n’a pas eu lieu. Les phénomènes de militarisation et de patrimonialisation de l’Etat, déjà en gestation dans le mouvement national, a fait barrage au transfert de souveraineté. Le maintien du pays sous tutelle fut imposé par la force des armes et justifié par la légitimité révolutionnaire. Les drames algériens, passés comme présents, ont une même origine : la confiscation de la souveraineté.
La dissociation entre souveraineté populaire et souveraineté nationale repose sur le postulat selon lequel le peuple ne peut être l’agent de sa propre émancipation. Derrière ce postulat se profile l’idée de l’inaptitude du peuple. Bien plus, du point de vue des gouvernants, le peuple est dangereux. Toutes les voies de la participation et de la contestation institutionnalisées sont obstruées. Les citoyennes et citoyens sont astreints au devoir d’obéissance, faute de quoi ils s’exposent à des risques pouvant parfois aller jusqu’à la liquidation physique.

L’idéologie sécuritaire
Au cœur de l’autoritarisme algérien se trouve donc l’idéologie sécuritaire. Elle a structuré l’Etat dans son organisation et son fonctionnement. La théorie du complot, le cliché de l’ennemi intérieur et le spectre de la main étrangère sont inlassablement agités. Ils visent à installer un climat de menace permanente et à légitimer ainsi la suprématie et l’omnipotence du pouvoir sécuritaire. Le pays est mis sous contrôle de l’armée, institution à partir de laquelle tout découle et ruisselle et autour de laquelle tout s’ordonne. Elle n’est pas la colonne vertébrale de l’Etat. Elle est l’Etat.
Choix politiques, répartition des pouvoirs et prérogatives, arbitrages, nominations et distribution de la richesse nationale, tout relève de l’armée ou est subordonné à son agrément.
L’idéologie sécuritaire n’a épargné aucun domaine de la vie du pays, elle a enveloppé jusqu’à la sphère économique. En effet, l’attachement du pouvoir en place à l’économie rentière a pour but de maintenir la société dans un rapport de dépendance vis-à-vis de l’Etat autoritaire. La rente pétrolière a servi prioritairement à entretenir et à équiper la machine sécuritaire. Elle est mobilisée ensuite pour l’entretien du sérail et de ses diverses clientèles. Elle sert accessoirement à «acheter la paix sociale». Le résultat est là : le destin du pays est suspendu au prix du baril de pétrole. En voulant soumettre le peuple, nos gouvernants ont juste réussi à accroître les vulnérabilités du pays et à le livrer aux groupes mondialistes. La confusion entre sécurité nationale et défense nationale a eu des effets désastreux.
En définitive, si le système parvient à se maintenir, ce sera au prix d’une grande violence et de concessions sur le plan géopolitique. C’est-à-dire une inflexion dans l’orthodoxie algérienne en matière de politique étrangère et une ouverture sans limites à la mondialisation. En d’autres termes, un renoncement pur et simple à la souveraineté du pays. Accepter d’hypothéquer l’avenir de tout un pays sur l’autel d’appétits de pouvoir est la plus grande des trahisons.

Les limites de l’état autoritaire
Quand un Etat puise son autorité dans la seule puissance coercitive, il perd toute légitimité aux yeux des citoyens et devient un Etat fragile. C’est la situation où l’Etat est partout dans la société et la société nulle part dans l’Etat. C’est l’Etat désincarné. En agissant dans le sens d’affaiblir la société pour mieux la dominer, l’Etat s’affaiblit lui-même. Nous sommes là au cœur de la contradiction de l’Etat militaire ou policier. L’exemple algérien est dans ce sens paradigmatique.
L’insurrection citoyenne ne résulte pas seulement d’une crise de la représentation. Elle renvoie à la crise de légitimité de l’Etat. L’élection présidentielle à laquelle tient tant le pouvoir en place n’est pas la réponse appropriée ni attendue. C’est pourquoi elle est massivement rejetée par les citoyennes et citoyens. Elle est perçue à juste titre comme la solution d’une minorité pour une minorité. Cette élection ne peut se tenir sauf à vouloir plonger le pays dans le drame.
La seule issue possible est l’amorce d’un processus constituant. Toutes les conditions sont réunies pour aller sans violence vers une rupture négociée entre Algériens, sans l’intervention ou l’ingérence de quiconque.
Il ne faut pas se tromper de moment historique. L’heure n’est pas à la compétition politique. Le mouvement populaire est pluriel et traversé par une multitude de contradictions. La transition consiste à s’accorder sur le cadre et les mécanismes de nature à permettre aux différences et aux pluralismes de s’exprimer librement et sans violence et de garantir un arbitrage institutionnalisé des conflits politiques et sociaux.
Cependant, l’œuvre de construction/déconstruction commande au préalable de restituer au peuple le droit de décider librement de son destin. Elle suppose également de restituer l’Etat à la nation. Pour cela, il faut rompre avec la dichotomie formel/réel et rétablir au plus vite la normalité républicaine. De quoi s’agit-il  au juste ?

La schizophrénie institutionnelle
Pour appréhender rigoureusement la réalité en Algérie, il est indispensable de la saisir dans sa double manifestation formelle et réelle. Il y a le pouvoir formel et le pouvoir réel, la norme formelle et la norme réelle, l’Etat formel et l’Etat réel, etc. Cette construction duale est un autre héritage du mouvement national. La différence entre le formel et le réel n’est pas de l’ordre de l’écart entre le prévu et le réalisé. C’est un rapport ésotérique où le formel sert de structure porteuse au réel. En s’installant dans la durée, la mobilisation populaire est parvenue à neutraliser l’univers formel.
La conséquence a été de mettre en lumière l’univers réel. Faute de façade civile, le commandement militaire exerce désormais le pouvoir ouvertement et directement. Situation fort embarrassante qui ne peut se prolonger indéfiniment. D’où la volonté d’imposer la tenue de l’élection présidentielle le 12 décembre prochain. Cette consultation ne changera rien. Bien plus, elle constitue un élément de complexification de la situation. Pour rompre avec le système, il faut se placer en dehors du système. Sans l’abandon effectif de la construction duale décrite précédemment, aucune élection ni révision constitutionnelle n’est en mesure de porter le changement radical tant exigé par les populations. La transition démocratique dans notre pays doit être pensée en rapport avec la problématique de la souveraineté. Notre pays a besoin d’un pacte de souveraineté.

Le pacte de souveraineté
Le pacte de souveraineté s’articule autour de trois questionnements formant un tout cohérent : à qui appartient la souveraineté, comment s’exerce-t-elle et pour quelles finalités ?
Il contient les actes constitutifs du processus de transition propre à notre pays et s’inscrit dans une perspective démocratique.

La restitution de la souveraineté
En démocratie, l’ordre politique et social résulte de la seule volonté des citoyens libres. La souveraineté appartient au peuple. Ce principe fondamental est incompatible avec l’existence d’une tutelle quelle qu’elle soit. Il est également incompatible avec tout instituant méta-social ou autre principe au-dessus de la volonté humaine. D’où les exigences suivantes :

Le transfert de souveraineté
L’institution militaire, par la voix de son commandement, doit annoncer de manière publique et solennelle son retrait définitif du champ politique et sa subordination au pouvoir politique.
L’institution militaire doit s’engager à accompagner le processus de transition vers l’ordre nouveau.
L’institution militaire doit procéder au démantèlement de tous les dispositifs de contrôle des institutions et des populations.
L’institution militaire, partie intégrante de l’Etat, doit se conformer aux lois et règlements de la République, notamment en matière budgétaire, de passation des marchés et autres modalités de contrôle.
Redéfinir les missions de l’armée et définir les formes de coopération entre les domaines civil et militaire dans une perspective de complémentarité pouvant concourir au développement général de la société.

La fin des rentes symboliques et de la violence
Il faut proclamer la fin de la légitimité historique par la dissolution du parti du FLN, la restitution du sigle FLN à la mémoire collective et reversement de son patrimoine à l’Etat.
L’islam doit être protégé de toute forme d’instrumentation. Son utilisation comme ressource politique et idéologique ou à des fins de restriction des libertés doit être strictement interdite.
Proscrire toutes les formes de violence politique ou sociale.

L’exercice de la souveraineté
La souveraineté populaire ne peut se réduire à la souveraineté déléguée. L’exercice de la souveraineté doit aller au-delà de l’acte électoral. Partout dans le pays des voix s’élèvent pour exiger de nouvelles formes de participation des citoyens à la vie de la cité.

Les libertés fondamentales
La souveraineté populaire serait altérée sans la souveraineté des individus. Pour être souverain, le citoyen doit être libre dans ses choix de vie, ses croyances et ses options politiques. Autrement dit, libéré des contraintes et pesanteurs quelles qu’elles soient. Il doit jouir de tous ses droits et exercer ses libertés sans aucune restriction ni distinction.
Inscrire comme règle d’or le principe d’égalité entre l’homme et la femme.
Les droits et libertés doivent être garantis. Pour ce faire, les principes d’indépendance de la justice, d’impartialité de l’administration et de neutralité de l’armée doivent être inscrits et leurs contenus respectifs clairement explicités et juridiquement codifiés.

La refondation de l’Etat
L’une des sources du malheur algérien se trouve précisément dans la confusion et la concentration du pouvoir. La souveraineté populaire s’éteint devant le pouvoir illimité de l’Etat. Il est impératif de définir une nouvelle rationalité institutionnelle.
– Réorganiser les pouvoirs dans le respect du principe d’équilibre et de séparation.
– Préciser le rapport entre institutions.
– Redistribuer les pouvoirs par la création de régions dotées d’une large autonomie.
La création de région a pour but :
– Servir de digue aux dérives éventuelles du pouvoir central.
– Garantir une plus grande participation du citoyen à la chose publique.
– Rationaliser l’action publique.
– Rendre plus efficace la prise en charge des préoccupations des populations.
– Reconstruire la nation par le bas.

L’enjeu économique et social
Dès le déclenchement de la révolte citoyenne, la rue algérienne ne cesse de vibrer aux cris de «Klitou lebled ya serrakine !». Il y a là un message fort : la question sociale est au cœur de l’exigence populaire. La démocratie algérienne sera sociale ou ne sera pas. Un pays économiquement fragile et socialement fracturé ne peut prétendre à la stabilité ni à l’indépendance.
La souveraineté est indissociable du développement économique et social. Il est vain de vouloir rompre avec le système autoritaire si sa base matérielle demeure en place. D’où la nécessaire rupture avec l’économie rentière.
Notre pays a besoin d’une nouvelle manière de produire, de répartir et de consommer. Il a besoin d’une économie productive, sociale et solidaire. Une économie orientée vers l’épanouissement de l’humain tout en préservant la nature.
L’une des spécificités de notre pays se trouve dans la richesse de son sous-sol. Cette richesse est la propriété de tous les Algériens. Elle est aussi celle des générations futures. La rente générée par l’exploitation du sous-sol n’est pas comparable à l’impôt. Sa destination ne peut donc relever de l’Exécutif quand bien même légitimé par les urnes. La gestion de la rente doit faire l’objet d’un consensus populaire. Aussi, est-il impératif de proclamer la souveraineté du peuple sur la rente.

L’Algérie et ses environnements
L’Algérie est le produit d’un long processus historique plusieurs fois millénaire. C’est une terre de résistance aux dominations et oppressions de toutes sortes. L’Algérie assume avec fierté son identité plurielle et sa diversité culturelle. L’Algérie est attachée aux valeurs de liberté, d’égalité, de justice sociale et aux pluralismes. L’Algérie milite pour la paix dans le monde et défend le droit des peuples à l’autodétermination. L’Algérie est attachée à sa souveraineté et s’interdit toute ingérence dans les affaires internes des autres pays.
L’Algérie œuvre à développer une coopération saine et respectueuse des intérêts réciproques et s’élève contre l’ordre mondialisé injuste et générateur de misère et de violence. L’Algérie est un pays maghrébin, africain, méditerranéen et fait partie de la grande famille des pays du Sud. Ces différentes appartenances suggèrent une structure d’alliance particulière. L’ambition de l’Algérie doit aller au-delà de ses frontières. Elle doit jouer le rôle de moteur continental et d’avant-garde dans le combat contre l’ordre mondialiste. Elle ne doit être inféodée ni à Moscou, ni à Paris, ni à New York, et encore moins à leurs sous-traitants à Téhéran, Doha, Riyad ou Abu Dhabi.
Un des effets pervers et dangereux de la mondialisation est le transfert de souveraineté des Etats vers les blocs mondialistes. L’impuissance tendancielle des Etats a provoqué une rupture de confiance entre gouvernants et gouvernés. Le réenchantement du politique est le fait des mouvements citoyens et des sociétés civiles. Une citoyenneté mondiale est en train de naître autour de thématiques nouvelles comme la lutte contre les guerres, la faim, la destruction de l’environnement, les inégalités, etc. Le peuple algérien ne peut être en retrait de cette évolution planétaire. La place de l’Algérie est aux côtés des peuples qui luttent. Elle est aux côtés du progrès et de la liberté. L’enjeu se situe également à ce niveau.

Le sens du pacte de souveraineté
Le pacte de souveraineté est la traduction concrète d’un compromis historique ambitieux, raisonnable et réalisable. Il est le garant d’un renouvellement du «vivre-ensemble» dans notre pays. Par ailleurs, il contient tous les éléments à même de fonder la nouvelle Loi fondamentale. Il constitue enfin une base sur laquelle va s’organiser la négociation avec le commandement militaire.
Le processus constituant consistera en un transfert de souveraineté puis l’élaboration d’une nouvelle Constitution et débouchera enfin sur l’organisation des élections. Il nécessitera la mise en place de quelques mécanismes simples loin des schémas classiques de la transition avec institutions. L’avancement du processus se fera par accords successifs entre des représentants de la société et ceux du commandement militaire.
La transition démocratique n’est nullement dirigée contre l’institution militaire. Elle vise au contraire à soustraire notre armée aux vicissitudes et autres contingences du politique. C’est un fait universellement reconnu que la fonction militaire est incompatible avec l’exercice du pouvoir.
La transition démocratique est de l’ordre de la nécessité. En dépit de ses intelligences, ses ressources et ses potentialités, l’Algérie renvoie l’image d’une ruine, d’une désolation. Il est temps de rompre avec cette fatalité. L’Algérie n’est pas destinée à demeurer éternellement otage du diktat et de la médiocrité. Elle a le droit d’aspirer au meilleur, la grandeur et la respectabilité. Elle en a les moyens et surtout la volonté.
Le commandement militaire doit prendre à sa juste mesure le sens de ce moment historique. Ensemble, entre Algériens, nous pouvons relever ce grand défi. Pourquoi s’entêter à vouloir détruire le pays quand nous disposons de tous les moyens pour le reconstruire ?
Notre espoir, du reste partagé par des millions de citoyennes et citoyens, est de voir le commandement militaire montrer enfin une volonté à accompagner cette marche historique. Elle s’exprimera tout d’abord par la libération de tous les détenus privés de leur liberté en raison de leurs opinions et engagement dans le mouvement populaire. Cette mesure est de nature à installer un climat apaisé favorable à l’amorce de négociations sincères. La détermination du peuple algérien est forte et inébranlable. La manière forte conduira inévitablement à l’irréparable. 

DJAMEL ZENATI

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El Watan, jeudi 2 mai 2019

Algérie : éclosion ou implosion ?
DJAMEL ZENATI 02 MAI 2019 À 9 H 32 MIN 1

L’Algérie traverse une séquence historique décisive. Elle peut évoluer vers le meilleur comme vers le pire. Au moment où la mobilisation citoyenne atteint des sommets, les manœuvres se multiplient. Les acteurs de l’ombre rivalisent d’ingéniosité afin de rendre illisible la situation. Poussé dans ses derniers retranchements, le système tente le tout pour le tout et ne recule devant rien.
Retournements spectaculaires, intimidations et répression, rumeurs et désinformation, théorie du complot… ; bref, tout est mobilisé pour égarer l’opinion. Et au final, seuls les dupeurs sont dupés. Car après les manigances et autres ignominies de la semaine, vient le vendredi pour tout effacer et restituer à la problématique politique son sens réel.
La rue n’entend pas s’inviter ni servir d’arbitre dans les brouilles claniques d’un establishment en folie. Comme elle refuse de se faire voler ses colères et ses espoirs.
Cependant, il y a de l’enseignement dans les sorties tonitruantes du chef d’état-major. C’est l’avantage de la clarification.
Par son ampleur et la puissance de ses effets, la mobilisation populaire a provoqué la paralysie totale du pouvoir apparent. Président intérimaire absent, gouvernement en quarantaine, Parlement à l’arrêt, walis reclus.
Cela a contraint le pouvoir réel à sortir de sa tanière. Le système ne tient que par la grâce de l’armée. L’évolution future du pays dépend désormais du comportement de l’institution militaire. Et à ce titre, sa responsabilité est entièrement engagée.

L’ÉCHAFAUDAGE PÉRILLEUX
Le mal algérien ne se réduit pas aux agissements néfastes d’une «issaba» ou d’une bande de pilleurs. Le conflit oppose la société toute entière au système autoritaire dans sa globalité.
L’ordre politique en place et le personnel aux commandes ont atteint un seuil de délabrement et de dépravation tel que l’idée même de transition démocratique est inconcevable sous la légalité autoritaire en vigueur.
L’option imposée par le chef d’état-major entraîne progressivement le pays vers l’inconnu. En effet, la volonté manifeste de maintenir le système déplace le conflit vers un affrontement entre armée et populations. A l’intransigeance des décideurs répond la défiance de la société.
Ce face-à-face est porteur de tous les risques. Les indices sont déjà là. Une répression féroce s’organise contre les manifestants. Un pas dangereux est franchi avec l’acte immoral perpétré par des policiers à l’intérieur d’un commissariat à Baraki. Déshabiller des femmes militantes dans un lieu où le citoyen est censé être en sécurité n’a pas d’autre sens sinon d’humilier, abaisser, avilir, salir.
Nous ne sommes plus dans la répression. L’intention est d’attenter à l’honneur et la dignité d’une femme, d’une famille, d’un peuple. Ce comportement nous replonge hélas dans la triste nuit coloniale.
La recherche du désordre n’est pas dans l’intérêt du pays. Dans l’esprit de tout Algérien, le système autoritaire est tombé. C’est là où se trouve précisément le moteur de la déferlante citoyenne et sa permanence. Les ruptures s’opèrent d’abord dans les esprits. Elles se traduisent par la suite en énergie sociale. Vouloir ressusciter le système sous une forme ou une autre, c’est prendre le risque de provoquer un choc collectif aux conséquences incommensurables.
C’est également s’inscrire dans le sens contraire à la marche de l’Histoire. L’aspiration de l’homme à la liberté et au progrès est une donnée anthropologique irrépressible. Les hommes naissent libres et égaux. Et ils entendent l’être et le rester. Tous les systèmes philosophiques et politiques bâtis sur la négation de cette réalité finissent toujours par s’effondrer, même s’ils sont sans cesse réinventés. L’esclavagisme, le colonialisme, le fascisme, le stalinisme, le nazisme ou encore l’islamisme n’ont pas connu un grand destin.
Il ne peut en être autrement de l’autoritarisme algérien. Tous les drames de l’humanité tirent en grande partie leur origine des errements de dirigeants aveuglés par l’obsession du pouvoir.
La difficulté en Algérie tient à deux caractères de l’autoritarisme.
Premièrement, il n’a pas de mémoire. Prisonnier de l’immédiateté, il sombre dans l’amnésie et la déraison et reproduit inlassablement ses impasses. Il a perdu le sens de la perspective.
Deuxièmement, il n’a pas de conscience. Il refuse de se rendre à l’évidence que bien peu d’Algériens sont disposés à accepter indéfiniment l’état de soumission et de hogra.
Mémoire et conscience sont deux ressorts sans lesquels une société est condamnée au déclin. Le pouvoir en place est dans l’instinct de survie le plus primaire. La mobilisation citoyenne est dans l’Histoire. Les enjeux et les défis diffèrent. Les responsabilités aussi.

LE NÉCESSAIRE BOND QUALITATIF
Jusque-là, le mouvement populaire est inscrit dans une démarche de rejet. Il s’est défini par le seul principe d’opposition. Si la mobilisation demeure otage de cette attitude, elle prend le risque de se voir subtilement intégrée dans une construction contraire à son idéal. Cette formidable force matérielle ne saurait avoir comme unique horizon de marcher au rythme de l’agenda du pouvoir. Elle doit désormais s’affirmer comme une force intelligente, capable de se penser, d’élaborer par elle-même et pour elle-même. D’importantes étapes ont été franchies. Le mouvement est en effet passé de la protestation à la contestation et ses thématiques se sont grandement enrichies. Seulement, un autre bond qualitatif est nécessaire. Il s’agit à présent de se projeter, de construire une issue.
Cette nouvelle phase a ses exigences. Elle implique un engagement total et concret, un sursaut de toute la Nation. Comme elle suppose un sens élevé de la responsabilité et du compromis. La ligne de clivage partagera les porteurs de solution et les autres. Parlons d’abord des seconds. Qui sont-ils ?
Il y a les tenants du statu quo. Ce sont les dignitaires du système et leurs différentes clientèles. Confortablement installés dans le confort des privilèges depuis des lustres, ils sont terrorisés à l’idée de devoir céder le pouvoir. Ils organisent la résistance au changement en usant de tous les moyens.
La contre-révolution est invisible, silencieuse. Elle ronge le mouvement populaire de l’intérieur par l’enveloppement, l’envahissement. Elle agit sur ses thématiques et modes d’action dans le sens de dévier, pervertir, affaiblir et diviser.
Il y a les partisans d’un retour aux années de braise. Animés par un esprit de revanche, ils veulent nous faire revivre la mésaventure. Leur erreur est de méconnaître les évolutions et autres maturations survenues dans le pays et dans le monde. De plus, le rejet du système intègre l’ensemble de ses sécrétions.
Il y a les minimalistes, ceux pour lesquels le changement se réduirait à l’assainissement du dispositif électoral afin d’aller à des élections sans fraude. Ils ne retiennent de la démocratie que sa dimension procédurale au détriment de l’essentiel, sa dimension substantielle.
C’est-à-dire les valeurs démocratiques. Cette approche a prévalu au lendemain de la révolte d’Octobre 88. Nous connaissons désormais ses limites et surtout ses effets néfastes. Sans sa dimension substantielle, la démocratie se retourne inévitablement contre elle-même.Il y a les opportunistes. Leur démarche est inscrite dans un rapport instrumental avec le mouvement et consiste à surfer sur la vague citoyenne dans l’espoir de s’en servir comme d’un tremplin.
Il y a enfin les aventuriers de tous bords. Leurs propositions sont sans lendemain et visent juste à entraîner le mouvement sur des voies sans issues. Il ne faut pas omettre une autre menace qui plane sur le mouvement : le populisme. La démarche populiste repose sur la négation des conflits, le mépris de la pensée et l’éloge de la dictature du peuple. La démarche populiste éloigne de la solution car elle distrait par son spectacle et égare par son indigence politique.
Les frontières entre ces différentes catégories ne sont pas étanches et des convergences objectives entre certaines d’entre elles sont de l’ordre du possible. Les tenants du statu quo pourraient très bien chercher alliance chez les minimalistes ou, dans un moment de désespoir, céder à la tentation de pactiser avec les partisans d’un retour à l’épisode sanglant.
Il faut encore ajouter que les résistances au changement vont au-delà de cette typologie indicative. Elles se situent à un niveau autrement plus délicat. Elles sont en nous.

LA CULTURE AUTORITAIRE
Le système ne se réduit pas à des hommes et à des institutions. C’est aussi et surtout des mentalités, des comportements, des codes et des modes, des pratiques et des réflexes. Une culture autoritaire s’est développée et ancrée dans les esprits. Elle a déteint sur l’ensemble de la société. Il faut dire qu’elle a trouvé un terrain favorable dans un autoritarisme ambiant, précipité d’un héritage historique aux origines lointaines.
Très inquiétante est la réaction autoritaire à l’autoritarisme, une sorte d’autoritarisme de compensation. La société exerce une violence sur les plus faibles et les principales victimes sont les femmes, les jeunes et les démunis. Cela se manifeste par l’inégalité dans la parole, l’accès aux lieux publics, dans les relations sociales de manière générale. L’agression sur l’environnement et l’incivisme en sont d’autres expressions.
L’autoritarisme d’en haut et celui d’en bas s’alimentent et se renforcent mutuellement.
Souvent, nous soignons les humiliations et les privations subies en les infligeant aux autres. La culture autoritaire s’insinue à travers nos faiblesses, nos lâchetés et nos égarements.
Elle prospère également sur nos ignorances et notre tropisme conservateur.
La condition de la femme dans notre société est le parfait exemple. L’inégalité entre l’homme et la femme a pour fondement un fait de nature, ici le sexe. La femme est déclarée inférieure à sa naissance. Cette infériorité est posée en postulat, en vérité intangible au-dessus de tout débat.
La vérité définitive est la meilleure définition du mensonge transcendantal. Et c’est là où commence l’ordre injuste. A partir du moment où l’esprit accepte et intériorise une inégalité fondée sur un fait de nature, il est possible, par glissements de sens successifs, de justifier toutes les autres inégalités. De la supériorité de la race aryenne au takfir islamiste, les idéologies de la pureté obéissent toutes à ce cheminement. C’est-à-dire la juvénilisation des sociétés et la néantisation de tout ce qui est noble dans l’humain.
La rupture avec le système est d’abord un effort sur soi, une révolution des consciences, un sursaut culturel. La transition démocratique est une aventure passionnante. C’est aussi un long cheminement plein d’embûches et d’obstacles. Il commande de la patience, de l’intelligence, de l’ingéniosité et beaucoup de sacrifices.
L’erreur fatale est de vouloir se débarrasser du système autoritaire sans avoir au préalable défini un cap, une alternative. Le changement et la déconstruction du système en place sont deux processus intimement liés et se déploient dans un même temps et en un même mouvement. Certaines voix proposent un séquencement : le départ du système et le reste après.
Cette démarche est erronée. Bien plus, elle est dangereuse. Il suffit de se remémorer l’expérience du mouvement national pour s’en convaincre. Le refus de débattre du projet révèle en vérité l’existence d’un projet caché, voire plusieurs.

DE LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE
Il n’y a pas de modèle universel de transition démocratique. Par contre, l’idéal de liberté et de progrès est un universel. Il est commun à tous les peuples. Le chemin pour y parvenir est particulier. Chaque peuple puise dans ses propres ressources les voies et moyens de réaliser son émancipation sans pour autant se priver des expériences des autres. La transition démocratique est une expérience historique. S’il est vain de croire à l’existence d’une théorie générale de la démocratie, il est possible toutefois de repérer des situations démocratiques à l’aune de trois principaux marqueurs interdépendants : la citoyenneté, la représentation et la limitation du pouvoir d’Etat.
Par ailleurs, la question des acteurs et des institutions de la transition est relativement accessoire devant celle du contenu à donner à la transition. En effet, il est absurde de vouloir mandater si au préalable l’objet sur lequel porte le mandatement n’est pas clairement précisé.
La transition démocratique fera face à deux défis majeurs. Le premier est d’ordre politique. Il est le déterminant de tout le reste. Il consiste à construire un compromis historique autour des grands principes devant définir ce que doit être l’Algérie de demain. Comment y parvenir ? Il suffit de se placer du point de vue du mouvement populaire et saisir le contexte dans toutes ses réalités et sous toutes ses facettes.

LE SENS D’UN SOULÈVEMENT
La mobilisation populaire est l’œuvre d’un citoyen libéré des peurs et des pesanteurs. C’est un citoyen pacifique résolu à arracher ses droits et en parfaite conscience de sa responsabilité dans le destin du pays. La réappropriation de l’espace public et la libération de la parole citoyenne constituent un intense moment de modernité politique.
La réalité du mouvement c’est le surgissement de l’Algérie réelle dans toutes ses couleurs, ses nuances, ses diversités et ses unités. C’est l’Algérie avec ses espoirs, ses inquiétudes et toutes ses contradictions.
C’est l’emblème national entrelaçant le drapeau amazigh sans complexe ni rivalité, dans la communion et le bonheur de retrouver l’ancêtre manquant. C’est l’appel de la profondeur nord-africaine et la promesse d’un Maghreb des peuples soudés par l’histoire, la culture et, pourquoi pas, le destin commun.
Le mouvement, c’est le produit d’acteurs concrets, porteurs d’un idéal de renouveau.
C’est l’irruption d’une jeunesse pleine de dynamisme et de génie, le cœur palpitant de la Nation. Une jeunesse décidée à conquérir sa liberté et celle des autres.
C’est une présence féminine forte et sans précédent. La femme est l’incarnation de la vie et de l’égalité, le symbole de la radicalité sans la violence, de la modération sans la concession. L’implication de la femme explique dans une large mesure le caractère pacifique de l’insurrection citoyenne.
Le mouvement, c’est aussi le surgissement de l’armée des laissés-pour-compte. Longtemps confinés à la marge de la vie sociale, les démunis ont trouvé dans la mobilisation populaire une modalité d’exister dignement. Ils ont retrouvé le sentiment d’appartenir enfin à un collectif. Sans haine ni esprit de vengeance, ils viennent battre le pavé munis de la seule rage de vaincre la fatalité en s’emparant de cette ultime lueur d’espoir.
C’est enfin l’éveil des élites longtemps comprimées, ignorées, méprisées ou asservies. Elles portent une demande de reconnaissance par la réhabilitation du savoir et du mérite.
Bref, le mouvement populaire est l’expression d’une Algérie en marche vers un destin meilleur, celui de la liberté, de l’égalité, de la justice sociale et de la pluralité.

Tels sont les grands contours du compromis historique à venir.
Le mouvement populaire est inscrit dans un enjeu planétaire dans le sens où, s’il réussit, il ouvrira le champ des possibles à tous les peuples opprimés.

LE DÉFI ÉCONOMIQUE
Le second est d’ordre économique et social. Il est autrement plus difficile car, contrairement au défi politique, le défi économique n’est pas tributaire de notre seule volonté. Car, outre le passage de l’économie rentière à l’économie productive et l’exploration d’horizons nouveaux (économie circulaire, énergies vertes et intelligence artificielle), il s’agira de négocier une nouvelle insertion à l’économie mondiale. Cette bataille se situe à l’international.
Seulement, dans les méandres ténébreux de la mondialisation, l’adversaire est difficilement identifiable. Il n’a pas de visage, pas de nom et pas de frontière. Il n’a pas non plus de limite ni d’état d’âme. L’affronter requiert patriotisme et expertise. Il dicte par ailleurs une révision de notre structure d’alliance.
La participation de notre diaspora sera d’un apport décisif. Son attachement à la terre natale est indéfectible. Elle l’a prouvé et le prouve encore en ces moments de grande mobilisation. Elle vit au rythme du pays.
L’Algérie possède d’énormes avantages compétitifs en mesure de la hisser au rang de pays émergent.
Cet aspect de la transition revêt enfin une importance toute particulière en raison de son impact direct sur les situations concrètes.
Autrement dit, la transition est attendue sur sa capacité à produire un meilleur quotidien. Aussi, la question sociale doit figurer au centre du processus de transition. Le pire des échecs est d’entendre le citoyen dire demain : «C’était mieux avant».
Le mouvement populaire doit faire preuve d’anticipation en organisant le débat sur la définition d’une nouvelle stratégie économique et d’un pacte social.
Le défi économique appelle un engagement total et continu, un sursaut de toute la Nation. Le pays aura à mobiliser l’ensemble de ses ressources : humaines, matérielles et symboliques.
Cependant, la libération de toutes les énergies est conditionnée par un changement politique profond. L’exigence populaire de départ du système prend ici tout son sens.

LA CONFIGURATION DU SYSTÈME
Il n’est pas dans ce propos de livrer une radioscopie exhaustive de la configuration et du fonctionnement du système. Il se limite à en identifier quelques aspects importants susceptibles de suggérer les ruptures nécessaires.
Le pouvoir en Algérie présente une forme bicéphale avec une partie visible, le pouvoir apparent, et une autre discrète, le pouvoir réel. Ce dernier est souvent désigné par le vocable de «décideurs». La notion de «forces extraconstitutionnelles» apparue récemment est inadaptée car elle ne recouvre pas toute la réalité du phénomène.
Elle est même tendancieuse dans la mesure où elle n’englobe pas les militaires, pourtant noyau dur du cercle des décideurs. Avec l’arrivée de Bouteflika au pouvoir, le cercle des décideurs s’est élargi à la fratrie, aux copains et à quelques oligarques dont l’ascension fulgurante a été encouragée à dessein. Jamais la privatisation de l’Etat n’a atteint de degré de flagrance. Les institutions ont perdu tout caractère national.
L’édifice institutionnel repose sur la dominance de la présidence de la République, institution à partir de laquelle s’organise la domination de la société.
Les droits et libertés consacrés dans la Constitution sont vite remis en cause par la Constitution elle-même ou par un procédé plus insidieux : la délégalisation. Le recours abusif à la technique du renvoi, renvoi de la Constitution à la loi puis de la loi au règlement, confère à l’administration, instrument de l’Exécutif par excellence, une position de pouvoir discrétionnaire. La toute-puissance des walis en est un exemple vivant.
La rente est la base matérielle du système. Cela explique l’attachement acharné des dirigeants à la dépendance de notre économie de la seule industrie extractive. La moitié du budget de la Nation est affecté à la protection et à l’entretien de la dictature au détriment du développement et de la satisfaction des demandes citoyennes.
Pour les besoins de sa légitimation et son omnipotence, le système utilise toutes les ressources possibles et imaginables : la contrainte, l’histoire, la rente et la religion.
La nature du système ainsi décrite est génératrice de violence, de corruption, de sous-développement, de misère sociale et de désert culturel.
Au final, la crise algérienne se résume en un abus de pouvoir généralisé. Aussi, la transition politique peut être pensée et structurée autour du principe de la limitation du pouvoir et ses divers mécanismes.

LES RUPTURES RADICALES
– Institutionnalisation du pouvoir
En premier, il y a lieu de lever une confusion assimilant pouvoir et Etat et délibérément entretenue pour servir l’autoritarisme. Le pouvoir est une capacité et l’Etat une modalité. L’Etat est le siège de l’intérêt général dont il tire sa légitimité. Il perd son autorité une fois soumis à l’intérêt d’une personne ou d’un groupe. L’Etat repose sur trois principes cardinaux : la neutralité de l’armée, l’impartialité de l’administration et l’indépendance de la justice.
En second, il est impératif de mettre fin à l’existence des décideurs. Le pouvoir doit être institutionnellement identifié, jouissant de la légitimité populaire et soumis à l’obligation de rendre des comptes.
La conséquence immédiate est la séparation du politique et du militaire et la subordination du militaire au pouvoir politique.
– Libertés et droits de l’homme
Le pouvoir est limité par la reconnaissance et la garantie des libertés individuelles et collectives. Leur exercice doit être effectif et ne souffrir d’aucune sorte de contrainte. La pratique de la délégalisation doit être bannie et les violences idéologiques combattues.
– La séparation des pouvoirs
La limitation du pouvoir, c’est aussi la rupture avec la dominance du pouvoir exécutif sur les autres. La séparation et l’équilibre des pouvoirs sont des remparts contre les abus et les dérives. L’indépendance de la justice est le cœur de l’Etat de droit. Elle est la gardienne des libertés et le recours ultime du citoyen.
La grande conflictualité sociale comme les phénomènes de la corruption et du pillage renvoient toujours à la défaillance de la justice. Le pouvoir du juge est immense. Il peut mettre fin à la vie par le prononcé d’une peine capitale. Il est dès lors facile d’imaginer les dégâts et les drames dont serait capable une justice aux ordres. Là aussi, il faut bannir la pratique de l’injonction et la marchandisation des décisions de justice.
– La refondation de l’Etat
La concentration du pouvoir et son corollaire, la forte hiérarchisation, sont une source de mésaventure. Elles sont à l’origine du verrou bureaucratique et de la corruption. La limitation du pouvoir, c’est aussi une nouvelle rationalité institutionnelle. Autrement dit, une refondation de l’Etat par une nouvelle répartition des prérogatives entre le centre et les échelons inférieurs. La nécessité de créer des régions dotées d’une large autonomie est incontournable. Elle traduit l’exigence d’une plus large participation des citoyens et des élites à l’administration de la Cité.
Les régions sont des territoires d’une République une et indivisible. Elles ne sont pas dans un rapport de rivalité entre elles ou en concurrence avec l’Etat.
Elles sont dans une compétition stimulante et solidaire et constituent un instrument de reconstruction et du renforcement du lien national. La région est un espace d’affirmation de la citoyenneté, de développement économique, de rayonnement culturel et de protection de l’environnement. C’est le lieu privilégié de l’invention du progrès.
La création de régions n’est nullement une division du pays. C’est la reconstruction de la Nation par le bas, à partir de nos réalités. L’imposition d’une nation mythique par le système en place a montré ses limites.

Les autres séparations
La légitimité historique est la négation de la souveraineté populaire. Bien plus, elle prépare les conditions à tout instituant méta-social. La légitimation par l’histoire a favorisé, par un effet de substitution, l’émergence de la légitimation par la religion.
Dans le cas de l’Algérie, la légitimation par l’histoire est inséparable de la légitimation par la violence. Depuis l’indépendance, voire même avant, s’est imposé le postulat absurde selon lequel la société est inapte à produire elle-même l’ordre politique et social. Il est temps de consacrer la suprématie de la transcendance politique sur tout autre référent.
L’histoire est le patrimoine commun à tous les Algériens. La rupture avec la légitimité historique ne peut intervenir sans la dissolution du parti du FLN et la restitution du sigle à la mémoire collective.
Il en est de même du culte. L’islam est la religion de l’amour, de la libération et de l’effort. Investi par l’autoritarisme et instrumenté par l’islamisme, il est devenu la religion de la haine, de la soumission et de la paresse. Pris en étau par les dictatures nationalitaires et l’intégrisme religieux, les musulmans sombrent dans l’abîme. La plus grande escroquerie politique consiste à faire croire que le salut est exclusivement dans la religion. L’islam lui-même dit le contraire. La séparation du politique et de la religion vise en premier à protéger la religion.
Elle vise ensuite à soustraire les esprits à l’influence néfaste et dangereuse du fanatisme.
Lors de la prière du vendredi 22 février, sur instruction du pouvoir, les imams ont tenté de dissuader les fidèles de se joindre à la mobilisation populaire.
La réaction a été cinglante : les fidèles ont vigoureusement rappelé à l’ordre les imams en exigeant d’eux de se limiter à leur stricte mission, c’est-à-dire diriger la prière, et ne pas déborder sur le terrain politique. Cet acte exprime une demande de séparation. Et il ne s’agit pas de séparer les individus mais les champs. Les fidèles sont aussi des manifestants. L’exigence de sécularisation n’est pas l’abandon de la religiosité. C’est un éveil à la rationalité.
La seconde République sera proclamée une fois consacré l’Etat de droit régionalisé dans le cadre des principes démocratiques.

APPEL à LA RAISON
En conclusion, les termes de l’alternative en Algérie sont au nombre de deux : éclosion ou implosion.
Il revient à l’institution de choisir.
Les citoyennes et citoyens sont demandeurs d’un changement profond et pacifique par la voie du dialogue franc et apaisé. Ils ne sont pas dans la haine ni dans le règlement de comptes.
Le caractère joyeux de la mobilisation est déjà en soi le garant d’une issue sans violence et sans vaincu. De la convergence des volontés sortira un seul vainqueur : l’Algérie.
Si par malheur ce grand espoir venait à être contrarié, le pays ira droit au chaos.
Il n’y aura alors que des vaincus.


Djamel Zenati , Militant de la démocratie

https://www.elwatan.com/edition/contributions/algerie-eclosion-ou-implosion-02-05-2019

 
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L’ultime appel à la raison

EL WATAN _ 27 février 2019 à 10 h 02 min

La vague de manifestations pacifiques du vendredi 22 février à travers l’ensemble du territoire national marque un tournant décisif dans l’évolution de la situation politique dans notre pays. Les Algériennes et les Algériens de toutes les régions du pays ont montré une maturité que n’ont pas les dirigeants.
Les citoyennes et les citoyens ont exprimé sans ambiguïté leur ferme volonté de reprendre leur destin en main.
Cette mobilisation historique a libéré les consciences, brisé les barrières de la peur et du silence et mis du mouvement dans le statu quo. Elle est porteuse d’espoir.
Aucune force ne peut venir à bout d’un consensus né d’une mobilisation commune autour d’une aspiration partagée.
La reprise de l’initiative politique par la société revêt un sens profond. L’ignorer condamnerait le pays à revivre les drames d’un passé récent.
Par ses extravagances et la persévérance dans la gabegie, le pouvoir a provoqué l’exaspération des citoyens. La candidature de Bouteflika pour un 5e mandat fut la provocation de trop. Qui peut croire que les populations déjà éprouvées par des années d’humiliation puissent accepter sans réagir un affront d’une telle énormité ?
Le pouvoir ne peut plus persister dans le déni des droits et des libertés. Il est inconcevable qu’au XXIe siècle, l’Algérien soit encore privé du droit de choisir librement ses représentants ou de les sanctionner. Plus révoltant encore, les décideurs en Algérie sévissent dans l’anonymat. Ils ne sont ni identifiés ni soumis au devoir de rendre des comptes.
Le refus de l’institutionnalisation est un héritage du mouvement national. Inaugurée par l’assassinat de Abane et la répudiation des principes consignés dans la Plate-forme de la Soummam, cette tradition demeure à ce jour en vigueur.
Les vicissitudes de notre histoire ont imposé un schéma politique où le commandement militaire s’est d’emblée posé en détenteur exclusif de la souveraineté nationale. Cette configuration est désormais dépassée.
Elle l’est, d’autant plus que le long règne de Bouteflika a provoqué des mutations perverses dans le système comme dans la société et imprimé au mode de gouvernance une dérive oligarchique maffieuse jamais observée par le passé.
Cela a accéléré la déliquescence du système. L’impasse est totale. Elle est par ailleurs indépassable.
Vouloir maintenir coûte que coûte le statu quo fait courir des risques graves à la stabilité et l’unité nationales. L’option électorale, avec ou sans Bouteflika, ne peut constituer une solution.
Certes, le départ de Bouteflika est une exigence populaire légitime et indiscutable. Mais il ne peut à lui seul créer les conditions d’une compétition libre et sincère, conforme aux standards internationaux. Le système autoritaire est un objet monstrueux fortement enraciné et innervant l’ensemble des institutions et structures du pays. Sa déconstruction nécessite de la volonté, de l’effort, de la pédagogie et de la patience.
La seule issue salutaire pour le pays est une transition démocratique orientée vers la construction d’un Etat de droit. Elle doit être la plus courte possible, loin de tout esprit de règlement de comptes et se conclure par l’organisation d’élections générales. Avec un bilan des plus désastreux et une révolte populaire grandissante, le régime n’a plus de marge de manœuvre. Le pays se trouve à la croisée des chemins.
Il a le choix entre la transition démocratique, à l’exemple de nos voisins tunisiens, et l’aventure destructrice, comme c’est le cas en Libye et en Syrie. La fonction historique de ce système est épuisée depuis déjà fort longtemps. Les émeutes d’Octobre 1988 ont imposé une ouverture dans la douleur. Cependant, par son génie maléfique et ses échafaudages diaboliques, le système est parvenu à se maintenir. C’est, hélas, au prix d’un drame incommensurable. Va-t-il céder aujourd’hui à cette même tentation ? Rien ne peut l’en empêcher, si ce n’est un sursaut patriotique fort et immédiat.
Dans ce contexte d’une extrême tension, l’institution militaire est fortement interpellée. Elle se trouve devant un choix historique. L’intérêt stratégique du pays lui commande de se mettre du côté de la population et au service de la solution. Elle doit jouer le rôle de facilitateur et de garant de la transition démocratique. L’ordre ancien est fini. Vouloir le maintenir ou le ressusciter autrement serait désastreux.
La restitution de la souveraineté au profit du corps des citoyens est une obligation dont les indus détenteurs actuels, civils ou militaires, ne peuvent s’affranchir. Ce transfert est au cœur du processus de changement. C’est également l’objet central de la transition.
Enfin, l’opposition est condamnée à se mettre au diapason du mouvement populaire. Il n’est dans l’intérêt de personne d’aller vers un face-à-face pouvoir/société. Il est vain de vouloir construire une démocratie dans le calme et la sérénité sans intermédiation.

Par Lahouari ADDI (sociologue engagé) et  Djamel ZENATI (militant de la démocratie)
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