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Voici ce que
j’écrivais sur mon agenda à la date du 15 mars 1994 :
« Fin de journée. Avec
R.D et A.F., nous descendons sur Oran. En route nous prenons Madame S.
Direction le 19 rue de Mosta. Foule nombreuse. Une halte puis nous dirigeons
vers l’aéroport. Un demi millier de personnes attendent l’arrivée de l’avion
transportant la dépouille de Abdelkader Alloula (il a été victime d’un attentat
jeudi dernier). « Le théâtre au cœur du problème » titrait à son propos un
quotidien le 9 février. L’avion arrive avec une heure de retard. A 20h45.
Chants patriotiques. Frissons. Haine ? Le Samu évite la foule qu’il contourne
discrètement. Nous rejoignons avec grande difficulté le parking embouteillé. «
Payez si vous voulez » répète le gardien du parking. Nous avons perdu de vue la
fourgonnette J5 qui transporte le corps. Dans ma voiture prend place
Abderrahmane Fardeheb. Nous retournons au domicile des Alloula. Voici Rouiched.
Le Coran à fond. Nous ne tardons pas trop dans l’appartement. Gorges nouées.
Peut-on retenir nos larmes ? Nous rentrons à 22H30. En route je dépose mes
amis.
Mercredi 16 : le cortège funèbre arrive au niveau du Café Riche. La
foule est considérable. J’y rencontre mon camarade T. du parti. Je rencontrerai
d’autres amis. Nous arrivons sans parler à hauteur du Théâtre d’Oran. Le corps
de Alloula est déposé sur la plus haute des marches. Devant la famille du
défunt, devant les centaines de personnes, Sid-Ahmed Agoumi lit, en pleurs,
l’oraison funèbre. Les larmes embuent les yeux de nombreuses personnes. Nous
prenons à 12h15 la direction du cimetière de Dar El-Beïda. Il y a plus de cinq
mille personnes. Le discours radical de Réda Malek (inutile de détailler), me
pousse (ainsi que d’autres) à quitter momentanément les lieux. La tombe de mon
père, là-bas, dans un des anciens carrés. Je m’incline. Puis reviens vers la tombe
de Alloula. Nous ne sommes pas plus d’une quinzaine de personnes maintenant. Il
est 14H30. Pelletées de terre. » Les jours suivants je notai : « Notre mot sur
Alloula est paru dans le journal. Le journal Le Matin appelle à l’autodéfense.
Abed Charef échappe à deux attentats. Le 16 de mars de l’année dernière était
assassiné Jilali Liabès. Flici le 17. Senhadri le 14. »
Abderrahmane sera
assassiné le 26 septembre de cette même année. Je l’apprendrai à Paris.
El Watan 15 mars 2014
Figure incontournable
du théâtre algérien, Alloula est le nom d’une expérience artistique aux
dimensions multiples.
Son théâtre emprunte des éléments
aux traditions dramatiques algériennes, mais dialogue aussi avec les
expériences de Berthold Brecht et d’autres dramaturges de son temps. Il
travaille le langage populaire et son génie allusif pour y injecter un contenu
progressiste et, souvent, subversif. Vingt ans après son assassinat, le Centre
de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) nous replonge dans
cette œuvre complexe et novatrice à travers un colloque international intitulé
«Le théâtre de Abdelkader Alloula (1939-1994). Le texte et la scène». Etalée
sur deux jours au siège de l’UCCLLA (Es-Sénia, Oran), la rencontre a été
marquée par une grande effervescence intellectuelle et des débats passionnés
entre conférences, ateliers de réflexion et discussions improvisées.
La trentaine d’intervenants,
constituée en grande partie de jeunes chercheurs d’Oran et d’ailleurs, a ouvert
des domaines de réflexion sur des thématiques aussi diverses que l’écriture, la
traduction, la représentation, le personnage ou encore le corps. Né dans le
foisonnement culturel de l’Algérie indépendante, le théâtre de Alloula
répondait à la nécessité d’inventer une forme dramatique qui parle au citoyen
algérien. Mediene Benamar rappelle à ce propos «l’atmosphère effervescente
d’Alger durant les premières années de l’indépendance avec Mohamed Boudia,
directeur du Théâtre national algérien, Jean-Marie Boëglin, Mustapha Kateb,
Kateb Yacine, Mohammed Khadda, Hachemi Cherif…». Alloula était partie prenante
de cette effervescence, non seulement artistique mais aussi idéologique avec
les différentes tendances politiques qui s’affirmaient voire s’affrontaient au
lendemain de l’indépendance. «Il y avait des débats virulents à l’intérieur de
l’UNAP entre différentes tendances (FLN, anarchistes, communistes…), mais tout
cela restait dans une lutte pacifique», souligne M. Benamar.
Toutefois, Alloula ne confondait
pas son engagement politique, résolument de gauche, et l’exigence esthétique de
son théâtre. S’il pouvait être politique, son discours n’était jamais
politicien. Le grand dramaturge marocain, Abdelkrim Berrechid, présent au
colloque, se souvient de Alloula comme l’auteur d’un «théâtre sincère, proche
des classes défavorisées mais aussi ouvert, non seulement au théâtre arabe,
mais aussi à Gogol, Gorki ou à Aziz Nesin, un théâtre à la fois réaliste et
symbolique. Comme Brecht, il dévoilait les injustices sociales qui restent
malheureusement d’actualité aujourd’hui encore».
Loin d’être idéologue, Alloula ne produisait pas un théâtre «à thèse» mais une
œuvre ouverte et profondément humaine. Berrechid se remémore d’ailleurs leur
dernière rencontre à Rabat en 1993.
Alloula y présentait son
adaptation de la pièce de Goldoni, Arlequin valet de deux maîtres. A un
journaliste qui s’étonnait de le voir monter une pièce traitant de l’amour au
moment où l’Algérie plongeait dans la décennie noire, Alloula répondait qu’il
était justement nécessaire de prôner l’amour en ces temps de violence.
Sans ostentation ou posture
intellectuelle, l’engagement de Alloula était concret et, par la même,
universel. A titre d’exemple, ses amis souligneront à l’unanimité sa grande
discrétion sur le soutien qu’il apportait aux enfants cancéreux. A la vie comme
à la scène, le sort des faibles, des marginaux et des classes défavorisées
était la principale préoccupation de l’homme. L’universitaire de Annaba et
ancien journaliste, Ahmed Cheniki, rappelle que sa conviction profonde résidait
dans «le rôle social du théâtre». Cette conviction éclaire d’ailleurs sa
rencontre avec la pratique populaire de la «halqa» (cercle) qui marquera
profondément sa conception du théâtre. Dans un entretien accordé à Cheniki,
Alloula raconte : «Nous sommes partis à Aurès el Meida (village situé dans
l’Oranie) avec un camion-décor, c’est à dire un décor qui correspond à celui
utilisé sur les scènes de théâtre. Parti d’une réflexion théorique, notre
travail initial se voyait mis en question sur le terrain. Les spectateurs nous
recevaient sur le plateau. Nous jouions en plein air ; nous nous changions
en public.
Les spectateurs s’asseyaient
autour des comédiens, ce qui faisait penser à la halqa. Cette réalité nous
obligeait à supprimer progressivement certains éléments du décor (surtout là où
le public nous regardait de dos). Certains spectateurs nous regardaient avec un
air hautain. Une attitude gestuelle ou verbale remplaçait tout élément ou objet
enlevé. A la fin de chaque représentation, on ouvrait un débat avec les
paysans.» Le comédien Adar se rappelle d’ailleurs de la méfiance des paysans à
l’égard de cette troupe venue d’Alger et qu’ils soupçonnaient de les espionner.
Ce sera donc le terrain et le public qui pousseront Alloula à s’interroger sur
sa pratique théâtrale. Comment résorber la rupture entre l’intellectuel et le
peuple, entre l’artiste et le paysan ? De là naîtra la trilogie (Legoual,
Ledjouad et Lithem) qui remet en question les usages du théâtre dans sa langue,
sa structure, ses personnages et sa mise en scène. Berrechid parle même d’une
«révolution esthétique» contre le théâtre classique.
Azri Ghaouti, actuellement
directeur du Théâtre régional d’Oran (TRO) et compagnon de Alloula, évoque le
pouvoir de séduction qu’exerçait cette œuvre subversive sur les jeunes :
«En 1970, se tenait le premier festival national de théâtre à Oran. Alloula et
sa troupe avaient joué El Khobza, une pièce chargée d’une bonne dose de
critique sociale et politique. Tout de suite après, Alloula était recherché par
la police. La nouvelle avait fait tache d’huile à Oran : moul el khobza
(l’auteur d’el khobza) était recherché ! Cela avait attiré notre sympathie pour
lui. Un an après, lors de son passage au festival du théâtre amateur de
Mostaganem, tous les jeunes amateurs entonnaient le refrain de la chanson d’El
Khobza en signe de solidarité.» Plus tard, Azri fera partie de l’épopée
alloulienne, d’abord au TRO, dirigé par Alloula à partir de 1972, puis dans la
coopérative théâtrale du 1er Mai. Suite à l’interruption de la diffusion d’El Adjouad,
Alloula était à la recherche d’une structure moins contraignante que le TRO
pour pouvoir poursuivre son expérience. Il avait lui-même fouillé dans les
textes de loi pour dénicher ce statut de la coopération générale qui permettait
de monter des coopératives économiques, agricoles mais aussi culturelles.
C’est ainsi qu’est née la toute
première coopérative théâtrale algérienne, un premier mai 1988. Ce cadre lui
permettait d’aller encore plus loin dans son aspiration à concrétiser un
théâtre résolument populaire dans le fond et la forme : «Avec la
coopérative, on a pu jouer El Adjouad dans des espaces ouverts, des lycées, les
stades… C’est un moment très important dans l’épopée de Alloula et de son
équipe», se souvient Azri. L’épopée en question était le fruit d’une
conjugaison de talents. D’aucuns ont souligné le génie d’un Sirat Boumediene
qui excellait dans le rôle du «goual» et passait du récit à l’action avec une
aisance déconcertante. «Il avait un talent inné et quand il entrait sur scène
on ne voyait plus que lui», relate Adar. On citera aussi Haïmour, le barde
inspiré, qui a marqué le colloque d’un moment d’émotion forte avec
l’interprétation du chant Bna ou âlla (Il a construit et élevé).
Les comédiens reconnaissent
également le don de pédagogue de Alloula qui savait amener ses collaborateurs à
ses visions artistiques et à ses exigences de metteur en scène. Mourad Senouci
souligne que des comédiens et hommes de théâtre de diverses régions passaient
systématiquement par Oran pour profiter de ses conseils et orientations. Omar
Fatmouche abonde en ce sens et rappelle ce qu’il doit aux longues discussions
qu’il avait avec Alloula. Le réalisateur Ali Aïssaoui révèle quant à lui que la
conception de sa série Fada’at el masrah (Espaces du théâtre) vient d’une suggestion
de Alloula. Il raconte à ce propos une anecdote qui éclaire sur son exigence.
Aïssaoui avait introduit dans son documentaire un goual-narrateur qui passait
parmi l’assistance avec son bendir afin de ramasser des dons et Alloula avait
désapprouvé cette idée. Se souvenant de la modestie exemplaire de l’artiste,
Aïssaoui note qu’il usait toujours du «nous» pour parler de sa création,
foncièrement collective.
Bien qu’il s’inspirait des formes
dramatiques ancestrales, Alloula n’était pas partisan d’un retour aux sources
en quête d’une hypothétique authenticité. A ce propos, Cheniki met en garde
contre cette vision étroite : «Alloula n’a jamais considéré la tradition
de la halqa comme pré-théâtrale. C’est le risque du regard archéologique qui
considère le théâtre comme l’aboutissement des autres pratiques dramatiques. La
halqa est une pratique parfaite qui a ses codes et son contexte. Alloula a une
conception historique du monde. Il faut dire que la culture populaire est
souvent rétrograde, réactionnaire, antiféministe… Tout comme faisait Kateb
Yacine avec les contes de Djeha, Alloula investissait la tradition d’un nouveau
contenu.» L’écrivain Waciny Laâredj ajoute que Alloula plongeait dans la
tradition pour façonner sa modernité. Il évoque un artiste idéaliste qui
aspirait à un théâtre total. Les moyens dont il disposait en son temps ne
permettaient toutefois pas la réalisation de ce théâtre-halqa comme il
l’imaginait. A ce propos, Laâredj appelle à la construction de scènes
circulaires qui pourraient accueillir des représentations adaptées à ce genre
de théâtre.
Infatigable expérimentateur,
Alloula laisse d’innombrables chantiers ouverts aux créateurs et chercheurs
actuels. Le colloque a été justement marqué par la question de la pertinence des
méthodes de recherche classique pour analyser cette œuvre. L’ancien directeur
du TRO, Saïd Kateb, présent parmi le public, s’est demandé s’il n’était pas
temps de forger de nouveaux outils théoriques à même d’éclairer les aspects
novateurs de cette œuvre avant-gardiste. Le comédien Tayeb Ramdane, membre de
la troupe de Alloula, est même entré dans une colère homérique appelant à
replacer ce théâtre dans son terreau populaire, loin de la sacralisation des
célébrations et des discussions élitistes. Comme le théâtre de Alloula, le
colloque a été le lieu d’échanges et d’interactions vivaces entre la «scène» et
le public. Cette initiative est salutaire en ce qu’elle amorce, vingt ans après
sa rupture brutale, une continuation de l’expérience ouverte par Alloula à
travers de nouvelles recherches et un recensement des archives bénéfiques à la
nouvelle génération du théâtre algérien.
La semaine Alloula :
A la suite du colloque, d’autres
manifestations marquent cette commémoration. Mercredi 12 mars, une journée thématique
s’est tenue à la Cinémathèque d’Oran à l’initiative de Saïd Kateb. Entre
projections et débats, cette manifestation a permis de mettre en lumière la
large contribution de Alloula au septième art.
D’abord en tant qu’acteur,
notamment dans Hassan Nia de Ghaouti Bendedouche, mais aussi dans une
expérience singulière avec Azzedine Meddour pour cette œuvre magnifique,
intitulée Combien je vous aime. Sur un savant montage d’images d’archives,
Alloula distille une narration chargée d’une désarmante ironie sur les horreurs
de la colonisation.
La journée s’est clôturée par un
documentaire-hommage de Ali Aïssaoui en présence du réalisateur. A partir de
jeudi, «Les Rencontres Abdelkader Alloula» organisées par la Fondation Alloula
ont présenté plusieurs représentations de jeunes troupes.
La Fondation, présidée par Raja
Alloula, a également organisé une cérémonie de recueillement sur la tombe de
Alloula ainsi que la pose d’une plaque commémorative à sa mémoire. Les
«Rencontres Alloula» s’achèvent aujourd’hui, ouvrant un immense chantier pour
que cette œuvre rencontre de nouveau ses publics dans les théâtres, les
universités et les médias.
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El Watan 10 mars
2014 :
Cela fait 20
ans, jour pour jour, que Abdelkader Alloula a été victime d’un attentat
terroriste, alors qu’il se rendait au Théâtre
régional d’Oran pour prendre part à un débat, pendant les nuits ramadanesques.
Voilà déjà 20 ans que le célèbre dramaturge
algérien assassiné… et autant dire que son œuvre, depuis ce funeste 10 mars
1994, n’a pas pris une seule ride. Bien au contraire, elle est plus que jamais
d’actualité…
C ’est en 1939, à l’éclatement de la
Seconde Guerre mondiale que Abdelkader Alloula est né. Il a vu le jour à
Ghazaouet, petite ville côtière dépendant administrativement de la wilaya de
Tlemcen. Cela dit, ses études primaires, c’est à Aïn El Berd qu’il les a
effectuées, avant de les poursuivre, d’abord à Sidi Bel Abbès, et ensuite à
Oran. Pour ce qui est de ses premiers balbutiements dans le monde du théâtre,
là, il aura fallu attendre l’année 1956, c’est-à-dire en pleine guerre de
Libération nationale, pour qu’il s’y initie. A cette époque, alors âgé de 17
ans, Alloula participe activement à la grève des lycéens décrétée par le FLN.
Profitant du temps vacant qui lui est
alors imparti, il intègre une troupe de théâtre amateurs qui avait pour nom El
Chabab d’Oran. C’est au sein de cette troupe, où il est resté jusqu’en 1960,
qu’il se fait «ses premières dents» théâtrales. Le 4e art faisant à présent
parti de sa vie, il décide de l’explorer davantage, en s’envolant pour Paris,
où il suivra un cycle d’études consacrées au théâtre national populaire, assuré
par le comédien Jean Vilar. En 1962, l’Algérie recouvrant son indépendance, il
s’installe de nouveau à Alger, où il est aussitôt recruté au sein du «tout
nouveau» Théâtre national algérien (TNA). La première partie de sa vie
théâtrale n’a fait ressurgir que le côté «comédien» de ce dramaturge de génie.
Il a en effet joué, à l’orée de sa carrière palpitante, dans tout un tas de pièces
théâtrales, écrites par d’illustres auteurs, à l’exemple de Hassan Terro, ou
encore dans des pièces dites classiques, comme dans celles de Shakespeare la
Mégère apprivoisée, ou Molière Don Juan.
En qualité de metteur en scène, il a
d’abord «tâté le terrain» en adaptant les œuvres d’écrivains célèbres, et cela
avant de se décider à écrire ses propres pièce. El Khobza a été son premier
«cru», qui a reçu de la part du public un succès du feu de Dieu en 1970. La
particularité d’Alloula est justement d’offrir aux spectateurs des tranches de
vie, avec des mots accessibles au plus grand nombre. Il sait manier la langue
arabe avec une dextérité inouïe, mais pas de cet arabe austère (à l’ENTV) qui a
plus tendance à faire «bailler» qu’à attirer l’attention. Le langage de
Abdelkader Alloula est celui qu’on retrouve dans les cafés, et son école est
celle de la rue. Alloula n’a jamais été un de ces auteurs mondains, se
prélassant dans les salons, et n’osant que timidement émettre des critiques à
l’endroit du pouvoir en place. Lui, il provenait des quartiers populeux et
populaires, et ses semblables n’étaient pas «les gars de l’élite», mais au
contraire, les petites gens. C’est ce qui faisait du reste sa force et son
authenticité.
«Ce qui m’émeut est que je suis dans la
croisée de la dramaturgie et de la sémantique», a-t-il déclaré un jour. Sa
dramaturgie pouvait en effet être comprise partout de par notamment sa
sémantique. Après le succès retentissant d’El Khobza, il décide de renouer avec
l’adaptation, en réécrivant Le journal d’un fou de Gogol, devenu Homk
Salim. S’en est suivi une série de pièces, les unes plus inoubliables que les
autres. On peut d’ailleurs affirmer, sans trop d’exagération, que le théâtre
algérien a connu, grâce à Alloula, une sorte de «nouvelle vague» durant les
années 1970, identiquement pareille à celle qu’a connue le cinéma français, une
décennie plus tôt, avec les François Truffaut et Jean-Luc Godard. L’apothéose a
été atteinte par la fameuse trilogie, au début des années 1980, composée de
Legoual, Al Ajouad et El Lithem. Pour l’une de ces pièces, Sirat
Boumediène, l’acteur principal, avait reçu le meilleur prix d’interprétation
masculine au Festival de Carthage.
Ce qu’on retiendra le plus de l’œuvre
d’Alloula est bien sûr l’art de la halka, où, par la seule force des mots, et
de la prestance des comédiens, le décor s’impose de lui-même dans la tête des
spectateurs. Kamel Alloula, le frère cadet du défunt dramaturge, regrette
aujourd’hui que cet art ne soit pas tellement mis en exergue. «Quand on a
affaire au théâtre dit classique, avec un décor statique, le spectateur ne
pourra plus faire travailler son imagination, car on lui aura imposé le décor
de notre choix. D’où la spécificité de la halka qui laisse libre cours à
l’imagination du spectateur.»
Akram El Kébir
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