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dimanche, décembre 31, 2023

821_ VOEU QUE L'ANNÉE 2024 SOIT CELLE DE LA LIBERTÉ POUR LES PALESTINIENS

 


820_ La blonde franco-israélienne du Nord et la horde Arabo-Palestinienne du Sud

 La caméra filme de très près le visage (blonde pulpeuse), d’une jeune franco-israélienne, Mia Schem, libérée le Hamas le 30 novembre dernier. Trente jours plus tard elle est autorisée à parler. Elle est filmée. La caméra insiste sur son bras tatoué ‘‘ we will dance again 7.10.2023’’. Puis on la voit se déhancher « au festival techno proche de Gaza quand les terroristes du Hamas surgissent ». Images de voitures et de personnes en fuite. Elle témoigne en hébreu. Très à l’aise, comme dans une série télévisée.






Pas une fois en français. Elle égrène calmement l’impensable suggère-t-on. Elle confirme : « J’ai vécu un holocauste, j’étais enfermée dans une pièce sombre, on me regardait comme si j’étais un animal, j’avais sans cesse peur qu’on me touche, une fois je me suis effondrée en pleurs, on m’a dit ‘‘ arrête de pleurer où je t’envoie dans les tunnels’’, j’avais peur d’être violée (nous avons pu lire sur un bandeau d’une chaîne de TV française « ils me violaient par leurs regards »), j’avais peur de mourir, tout le monde là-bas est un terroriste » (vidéo France2 in Francetvinfo.fr- 29/12/2023). Le mois dernier elle disait ceci (France24.com, 30/11/2023) :  « Ils s’occupent de moi, ils me donnent des médicaments, tout va bien. » ‘‘Ils’’ sont ses geôliers du Hamas.

Cette jeune fille dont on sait presque tout, ses amis, ses parents, son nom et son prénom, Mia, qui a eu peur d’être violée, peur d’être touchée, qui a même pleuré dans sa prison (une chambre de famille)…, cette jeune fille a ému toute la France médiatique, chienne de garde d’Israël (sauf le respect que je dois à une minorité qui bataille dur contre vents et marées pour le droit à la vie véritable, à la liberté, à la vérité globale, au respect du droit international). Cette jeune fille a ému jusqu’au sommet de l’état français. Monsieur Macron qui parle au nom de tous les Français déclare :  « C'est une grande joie que je partage avec sa famille et tous les Français. » Lui qui, comme les médias chiens de garde d’Israël, n’évoque jamais les Palestiniens que comme des « lots », des groupes, hagards, des groupes informes. Qui donnent envie de rien, pas même de les aider. Même leurs désarrois sont insupportables à entendre. Ils ne parlent jamais avec une voix mielleuse comme celle de Mia, jamais à tête reposée (réglage caméra, balance des blancs, autofocus), en mimant son futur « tortionnaire » (holocauste !) d’ailleurs ils n’ont ni nom ni prénom ces Palestiniens. Et ils braillent ! Que d’enfants, que d’enfants ! Des ombres à suivre de loin. Lorsqu’on les évoque, on montre de loin leurs cadavres entassés sous des couvertures, ou sous les décombres. Ils nous sont tellement éloignés ces gens-là à « nous les Blancs ! »

Il n’y a dans les reportages de propagande ou de complicité des médias Chiens de garde d’Israël jamais d’image de belle jeune fille palestinienne (Dieu sait qu’il y en a !) qui pourrait si on se donnait la peine, parler, assise à même les décombres de sa maison, devant un thé chaud ou une galette, une coupe d’huile d’olive, (attention au réglage de la caméra, des balances), parler calmement, avec sérénité, les yeux dans les yeux, parler des « visages de ceux qui jetteront nos enfants… » et se demander comme Darwich « Où irons-nous après les dernières frontières ? » C’est que leur propre terre, la Terre de Palestine ne les contient plus. Cette jeune palestinienne, si on avait pris la peine et le courage, la bravoure, de s’en approcher, d’écouter son histoire avec une grande H, aurait pu parler de ses pères, grands-pères dépossédés de leur terre, des centaines de milliers de morts du fait de la terreur coloniale depuis 1948, elle aurait donné chacun de leurs nom, leur lieu de naissance, leurs branches, leurs racines. On aurait entendu le vent des plaines et leurs cris de douleurs. On aurait entendu le cri du malheur originel de son peuple, « Falastini ». Cette jeune palestinienne, niée, redoutée, aurait commencé par le grand terroriste devant l’éternel, le héros des colons, Ben Gourion. Elle aurait rapporté le Grande histoire de son peuple, celle que lui ont inculquée ses parents, celle qu’elle rapportera à ses enfants. Il n’y aura rien de tout cela. Les chiens de garde d’Israël se délectent des récits de « Tsahal ». C’est assez et c’est bien ainsi. 

Il n’y a rien dans leurs reportages, sur l’alerte très récente (la même semaine) de l’agence onusienne ANPA qui s’alarme : « Les femmes enceintes et les nouveau-nés font face à la guerre, au manque d'hôpitaux et maintenant à la famine à Gaza. » (ANPA- Agence des Nations Unies pour la santé). L’ONU s’inquiète dans le vide. Pas une caméra libre pour ces hordes. Les caméra se bousculent autour de Mia. C’est qu’ils tiennent à protéger leurs arrière-cours. Il n’y a rien à ce sujet dans les reportages de propagande ou de complicité des médias Chiens de garde d’Israël. 

En Australie, de l’autre côté du monde, Zena Chamas écrivait ce jeudi 28 décembre ( abc.net /Australie) : « Au milieu d'une guerre qui fait rage, des femmes accoucheraient sur des sols remplis de décombres, subiraient des césariennes d'urgence sans anesthésie ni soulagement de la douleur, et seraient même mortes après l'accouchement en raison du manque de matériel médical. » 

Nous ne saurons rien de ce côté-ci du Monde Blanc de ces femmes qui ne nous ressemblent pas. Car pas jeunes comme Mia, pas blanches, pas comme elle, pas danseuse comme elle. Pas de tatouages (enfin, pas les mêmes). Rien. Ces femmes à même le bitume n’ont juste plus rien que leurs yeux désorbités. Nous ne verrons pas un seul de leurs visages de femmes non blanches, de leurs bébés (les survivants) non blancs. Elles, sont à l’opposé, de l’autre côté du monde blanc, si loin et parmi nous pourtant. 

Avec cette guerre contre les Palestiniens, cette énième guerre, Le Nord définitivement perdu son honneur. Israël avec lui. Un autre monde l’a bien compris. Il se consolide. Les chiens de garde aboient dans un vide de plus en plus grand. Ils commencent à s’en rendre compte à mots voilés. Mais il est trop tard. Les noms de ces chiens seront écrits à l’encre indélébile sur les murs de l’ignominie.

Lire ici :

http://ahmedhanifi.com/la-blonde-franco-israelienne-du-nord-et-la-horde-arabo-palestinienne-du-sud/


____________________COMPLEMENT_______________






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ARTICLE AUSTRALIEN SUR LES FEMMES PALESTINIENNES


















Voici la traduction du texte (Google)

Des mères enceintes à Gaza auraient subi des césariennes sans anesthésie, des hystérectomies d'urgence et la mort

Par Zena Chamas

 

Publié jeu. 28 décembre 2023 à 19h50jeudi 28 décembre 2023 à 19h50

Le bruit des femmes et des nouveau-nés hurlant de douleur est constant dans les hôpitaux de Gaza.


AVERTISSEMENT : cette histoire contient un contenu pénible.

 

Au milieu d'une guerre qui fait rage, des femmes accoucheraient sur des sols remplis de décombres, subiraient des césariennes d'urgence sans anesthésie ni soulagement de la douleur, et seraient même mortes après l'accouchement en raison du manque de matériel médical.

Malgré le peu d'hôpitaux encore opérationnels à Gaza, on estime que 180 bébés naissent chaque jour dans la zone de guerre.

Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a averti que les femmes, les enfants et les nouveau-nés subissent de manière disproportionnée le poids de la guerre.

« Des femmes enceintes vivant au milieu des décombres »

Yafa Abu Akar raconte qu'une femme qu'elle connaissait a dû subir une césarienne d'urgence sans anesthésie. (Fourni : Oxfam)

Début novembre, l'agence des Nations Unies a signalé qu'il y avait quelque 50 000 femmes enceintes à Gaza, et que 15 pour cent d'entre elles risquaient de connaître des complications liées à l'accouchement ou à la grossesse.

Yafa Abu Akar vit à Khan Younis, à Gaza, abritant des milliers d'autres personnes dans des bâtiments abandonnés.

Elle a déclaré à ABC qu'elle connaissait personnellement des femmes qui s'étaient vidées de leur sang en accouchant à l'hôpital Nasser, le seul hôpital de la région, qui fonctionne à peine en raison des bombardements constants des forces israéliennes.

Elle a déclaré à l'ABC que les médecins avaient pratiqué une césarienne d'urgence sur une femme de 25 ans qu'elle connaissait en raison de complications.

En raison de saignements abondants, la femme a dû se faire retirer l’utérus après l’accouchement – ​​une situation qui aurait pu être évitée si des soins de santé appropriés avaient été disponibles, a-t-elle expliqué.

"Elle est jeune, c'était son premier enfant et elle ne pourra plus avoir d'enfants. Certaines autres femmes n'ont pas survécu du tout à cause d'une hémorragie", a déclaré Yafa.


"Les femmes enceintes vivent au milieu des décombres et les femmes sont confrontées à des circonstances désastreuses dans tous les aspects de leur vie."
En octobre, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a averti que les patients étaient opérés sans esthétique en raison du manque de fournitures médicales.
Depuis lors, la situation s'est aggravée, l'OMS dénonçant la « décimation » du système de santé de Gaza tout en félicitant les professionnels de la santé de continuer à travailler dans des circonstances extrêmes.
Yafa a déclaré qu'une femme qu'elle connaissait à Khan Younis, enceinte de neuf mois, avait enduré une « situation horrible ».
Elle a déclaré que les médecins « ont été obligés de lui ouvrir le ventre pour faire sortir le bébé » sans aucun soulagement de la douleur.
« Son enfant, une fille, a survécu, heureusement, mais après quoi ? [La femme] a perdu toute sa famille dans la guerre », a déclaré Yafa.
L'UNICEF s'est dit préoccupé par le fait que les femmes qui ne pouvaient pas se rendre dans les hôpitaux de Gaza devraient accoucher dans des conditions dangereuses.
Ils prévoyaient une augmentation des décès maternels en raison du manque d’accès à des soins adéquats.
Selon Yafa, ces préoccupations se confirment.
Dans d’autres régions de Gaza, elle a déclaré avoir entendu parler de femmes enceintes qui ne parvenaient pas à se rendre à l’hôpital à temps et qui étaient forcées d’accoucher dans ce qui restait de leur maison.
Certains sont morts et ont laissé des enfants derrière eux, a-t-elle déclaré.
Accoucher à l'hôpital en toute sécurité est « impossible »
Juzoor, partenaire d'Oxfam, est l'une des rares organisations opérant dans le nord de Gaza.
Il prend en charge 500 femmes enceintes parmi 35 000 autres entassées dans 13 refuges dépourvus d’eau potable et d’installations sanitaires adéquates.
Dans certaines situations, jusqu’à 600 personnes partagent une toilette.
Accoucher en toute sécurité dans un hôpital était devenu « impossible », a déclaré la directrice exécutive de Juzoor, Umaiyeh Khammash.
Il a déclaré que dans chacun des 13 refuges gérés par Juzoor, au moins un nouveau-né était décédé pour des raisons évitables au cours du mois dernier.
M. Khammash a déclaré que ce chiffre était « très élevé » et se traduisait par une augmentation significative du taux de mortalité infantile à Gaza.
Selon le réseau de médecins de Juzoor, les naissances prématurées ont également augmenté de 25 à 30 pour cent, les femmes enceintes stressées et traumatisées étant confrontées à une myriade de défis, comme parcourir de longues distances en quête de sécurité, fuir les bombes et être entassés dans des abris dangereux.
Pendant ce temps, l'ensemble des 2,3 millions d'habitants de la bande de Gaza sont confrontés à des niveaux de faim critiques et le risque de famine augmente chaque jour, selon la Classification intégrée des phases de sécurité alimentaire (IPC) de l'ONU.


Au moins un foyer sur quatre – soit 577 000 personnes – à Gaza est déjà confronté à une famine catastrophique, souffrant d’un manque extrême de nourriture, de famine et d’épuisement de ses capacités d’adaptation, a constaté l’IPC.
Le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) estime que 45 000 femmes enceintes et 68 000 femmes allaitantes à Gaza n'avaient pas assez de nourriture, ce qui les exposait à un risque plus élevé de développer une pré-éclampsie, des hémorragies ou même de mourir.
Le FNUAP a déclaré que les femmes souffrant de malnutrition sont également confrontées à la perspective d'avoir des bébés de faible poids à la naissance.
 
« C'est extrêmement difficile d'être enceinte à Gaza »
Natalie Thurtle, directrice adjointe de Médecins Sans Frontières (MSF), revient tout juste de Jérusalem en Australie, où elle était chargée de coordonner la réponse médicale d'urgence de MSF à Gaza au cours des deux dernières années.
"Il est extrêmement difficile d'être enceinte à Gaza en ce moment", a déclaré le Dr Thurtle.
Elle a expliqué que les femmes sortaient de l'hôpital dès qu'elles pouvaient marcher après leur naissance, car elles n'avaient aucun endroit où recevoir des soins postnatals.
"Ces bébés naissent… mais naissent-ils en toute sécurité ? Presque certainement pas", a déclaré le Dr Thurtle.
Les médecins affirment que des problèmes quotidiens qui pourraient autrement être traités avec des soins de santé appropriés sont négligés en raison du manque de continuité des soins.
Ils vont des femmes atteintes de diabète gestationnel aux nouveau-nés ayant besoin de prendre plus de poids.
"Pour les personnes qui ont besoin d'un accouchement géré et qui ont besoin d'une aide médicale autour de leur accouchement, cette aide n'est pas disponible de manière cohérente et durable", a déclaré le Dr Thurtle.
Elle a déclaré que "les soins d'urgence ne sont pratiquement pas dispensés" aux femmes en travail, étant donné le nombre de personnes ayant besoin de soins pour blessures de guerre.
"Tous ces services s'effondrent. Chaque jour, l'espace dans lequel [MSF] peut travailler devient plus petit. Chaque jour, la sécurité se détériore", a déclaré le Dr Thurtle.
Le personnel de MSF a travaillé dans les hôpitaux et cliniques de Gaza tout au long du conflit, mais affirme que les hôpitaux et les ambulances sont assiégés.
L'organisation a déclaré que des patients et du personnel médical étaient blessés et tués, et que l'accès aux blessés et aux malades était entravé par l'insécurité, le manque de carburant et de téléphonie mobile.
MSF a déclaré que des centaines de professionnels de santé ont déjà été tués, dont trois membres de son propre personnel, tandis que près de 60 ambulances ont été touchées et endommagées.
"Nous ne pouvons pas travailler dans un tel niveau de conflit sans qu'une aide suffisante n'arrive, alors que les soins de santé et les infrastructures sont directement ciblés", a déclaré le Dr Thurtle.

"Nous avons désespérément besoin que cela cesse. Jusqu'à ce que cela s'arrête, nous ne pouvons presque pas travailler… c'est presque impossible."
En particulier, le Dr Thurtle a déclaré que la gravité des blessures des enfants à Gaza était « extrêmement confrontante » et la hantait toujours.
« J'entends parler d'enfants qui sont morts à leur arrivée, d'enfants qui ont des blessures aux membres pourris suite à une présentation très tardive aux soins, à cause d'un bombardement.
"Ces enfants sans aucune famille survivante, ce qui est très courant maintenant, qui ont besoin d'une anesthésie, puis lorsqu'ils se réveillent après une opération chirurgicale [en criant].
"Choisissez une histoire, car il y a beaucoup de tragédies."
Les femmes prennent la pilule pour arrêter leurs règles
En plus des luttes quotidiennes pour trouver de l'eau potable, de la nourriture et un abri convenable, pratiquer l'hygiène féminine, y compris l'utilisation et l'élimination des serviettes hygiéniques, est un combat quotidien pour les femmes.
Yafa a déclaré que de nombreuses femmes prenaient des moyens contraceptifs pour arrêter leurs règles en raison du manque d'accès aux serviettes hygiéniques.
"La plupart des femmes utilisent n'importe quel matériel à leur disposition pendant leurs règles", a-t-elle déclaré.
"Ils n'ont pas d'autre choix. Leur santé est faible en raison du manque de nourriture, d'eau et de nutrition.
"La pilule a affecté la santé mentale de nombreuses femmes, leur bien-être en général."
Le Dr Thurtle a déclaré que c'était « vraiment très sombre pour toutes les femmes qui ont leurs règles à Gaza ».
"Si vous envisagez de changer, [et] d'avoir vos règles sans accès aux produits sanitaires, où vous n'avez qu'une seule toilette pour 20 personnes, vous vivez dans un environnement où vous ne pouvez pas rester propre, vous pouvez" Je ne prends pas de douche", dit-elle.
"Ce n'est peut-être pas la manifestation la plus dramatique de la guerre, mais elle reste extrêmement déshumanisante."
Le Dr Thurtle et Yafa ont déclaré que les femmes subissaient le poids de la guerre.
Yafa a déclaré qu'ils étaient souvent obligés de se débrouiller pour leurs familles, avec des hommes blessés, malades ou tués pendant la guerre.
« [Les femmes] doivent trouver du bois pour [cuisiner] la nourriture et un abri pour leurs enfants, en fouillant entre les maisons détruites et partout où elles le peuvent », a déclaré Yafa.
"Ils sont obligés de chercher entre les décombres juste pour survivre."

Publié le 28 décembre 2023

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jeudi, décembre 07, 2023

819 - Gaza, où meurt notre humanité par Edwy Plenel

 


VOICI L'ARTICLE

PROCHE ET MOYEN-ORIENT

PARTI PRIS/ Edwy Plenel, in MEDIAPART, 7 décembre 2023

 

Gaza, où meurt notre humanité


Ce n’est pas seulement une humanité concrète, celle des vies irrémédiablement perdues, qui se meurt au Proche-Orient. C’est l’idée même d’une humanité commune que ruine la vengeance sans frein ni limites de l’État d’Israël contre la population palestinienne de Gaza en riposte au massacre commis par le Hamas.

Edwy Plenel

7 décembre 2023

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Pense Pense aux autres, est le titre et le refrain d’un célèbre poème de Mahmoud Darwich (1941-2008), sans doute le plus grand poète arabe de notre modernité tant son œuvre ne se réduit pas à la cause palestinienne dont il fut le chantre (son œuvre est traduit en français par Elias Sanbar).

« Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres. / (N’oublie pas ceux qui réclament la paix.) », dit sa deuxième strophe. Ce poème est aussi un témoignage car Darwich a grandi dans la conscience de ce souci de l’autre, fût-il ennemi, ayant vécu en Israël jusqu’en 1970, appris l’hébreu comme sa première langue étrangère et découvert dans cette langue la littérature européenne.

Penser aux autres. Ne pas s’enfermer dans une identité close. Ne pas laisser l’émotion détruire l’empathie. Ne pas barbariser l’autre au risque de se barbariser soi-même. Ne pas renoncer à cette élémentaire sensibilité où s’exprime notre souci du monde et du vivant. Or c’est peu dire qu’en France, la scène politique et médiatique n’y incite pas, voire s’y refuse.

 

Un refus qui peut aller jusqu’à l’ignominie puisqu’on a pu entendre une éditorialiste faire le tri entre des enfants morts selon qu’ils aient été tués « délibérément » (en Israël, dans l’attaque du 7 octobre) ou tués « involontairement » (à Gaza sous les bombes, depuis). La compassion pour les premiers, proclamés victimes de la barbarie, est à la mesure de la déshumanisation des seconds, décrétés tués par la civilisation.

Contribuant à invisibiliser la durable injustice faite au peuple palestinien, tant qu’Israël en occupe et colonise les territoires (en violation depuis 1967 des résolutions de l’ONU) et que ses gouvernants lui refusent le droit de vivre dans un État souverain (en violation des accords d’Oslo de 1993), le discours qui nourrit cette insensibilité fait comme si l’histoire s’était arrêtée le 7 octobre 2023, avec les massacres commis par les combattants du Hamas qui ont fait 1 200 victimes. 

Brandi en présent monstrueux, sans passé ni futur, sans cause ni issue, cet événement terrifiant devient, pour les gouvernants d’Israël et leurs alliés, l’alibi de leur aveuglement. Organisée par la propagande étatique israélienne, la projection des images des tueries du 7 octobre, attestant de crimes de guerre, sert de justification à une riposte qui, elle-même, viole les lois de la guerre, transformant la contre-attaque militaire face au Hamas en une vengeance meurtrière indistincte contre la population palestinienne de Gaza.

Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, autant de civils (15 800 morts au récent décompte réalisé par le gouvernement du Hamas), de familles entières, de femmes et d’enfants, de soignant·es et d’humanitaires, de journalistes et de professionnel·les des médias – au moins 56 tué·es, soit plus d’un par jour d’offensive israélienne –, etc., n’ont perdu la vie dans un conflit armé en si peu de temps et sur un si petit territoire.

Jamais, non plus, un tel déplacement forcé de population, dans des conditions sanitaires et humanitaires catastrophiques, ne s’est produit dans cette même unité de temps et de lieu. Environ 1,9 million de personnes, soit 80 % de la population gazaouie, ont dû fuir, quittant leurs habitations, abandonnant leurs biens, perdant leurs repères pour devenir des réfugié·es et des exilé·es. Une fuite sans répit et sans abri puisque, désormais, l’armée israélienne attaque le sud de la bande de Gaza vers lequel ces foules ont convergé.

À cette échelle de violence, il ne s’agit pas de dommages collatéraux mais bel et bien d’une stratégie guerrière qui s’en prend au peuple tout entier dont est issu l’ennemi particulier visé : but de guerre proclamé par Israël, l’anéantissement du Hamas est devenu sous nos yeux la destruction de la bande de Gaza, de ses villes, de son histoire et de sa sociabilité, de son passé et de son futur, de ses lieux de vie et de travail. Avec pour conséquence ultime, l’effacement de son peuple, expulsé de sa propre terre.

 

Entre désespoir et colère, la sidération qu’exprime l’ensemble des organisations internationales, sans en excepter une seule, qu’il s’agisse des agences onusiennes telle l’UNRWA ou des ONG comme Médecins sans frontières, est à la mesure de cette catastrophe inédite. « Nous sommes proches de l’heure la plus sombre de l’humanité », n’hésite pas à déclarer le responsable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les Territoires palestiniens occupés.

Solennelle et inhabituelle, tant la neutralité du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) lui enjoint d’ordinaire le silence, la récente prise de parole publique de sa présidente, Mirjana Spoljaric, lance la même alarme : « Le niveau de souffrance humaine est intolérable. Il est inacceptable que les civils n’aient aucun endroit sûr où aller à Gaza et, avec un siège militaire en place, il n’y a pas non plus de réponse humanitaire adéquate possible à l’heure actuelle. »

Confronté à la complicité, et donc à l’inaction, des alliés occidentaux d’Israël, au premier chef les États-Unis, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, essaye, en vain jusqu’ici, de secouer leur indifférence. Pour la première fois depuis le début de son mandat en 2017, il vient d’invoquer l’article 99 de la Charte des Nations unies qui lui donne le droit d’attirer « l’attention du Conseil de sécurité sur toute question qui, à son avis, pourrait menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Un recours justifié, selon le porte-parole de l’ONU, par « l’ampleur des pertes en vies humaines en si peu de temps ».

 

L’Occident est en train de perdre le monde à force de prétention et d’ignorance.

 

Répétition de la politique de la peur qui inspira la réponse des États-Unis aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, la stratégie israélienne est une perdition morale. Quels que soient les succès militaires revendiqués par Israël, ils finiront par signer sa défaite politique et diplomatique. Car, loin de garantir la sécurité de son peuple, ils l’entraîneront dans une guerre sans fin. Comment imaginer qu’Israël puisse vivre durablement au Proche-Orient en s’imaginant place forte d’un Occident dominateur, méprisant tous les peuples alentour ? D’un Occident qui, de plus, est en train de perdre le monde à force de prétention et d’ignorance.

Précédée de mensonges éhontés et accompagnée de violations infinies des droits humains jusqu’à la légitimation officielle de la torture, la riposte américaine au 11-Septembre n’a fait qu’accroître la dangerosité internationale, ravageant des États souverains, suscitant de nouveaux terrorismes, humiliant des peuples entiers et fédérant leur ressentiment durable. Le tout au grand bénéfice de la Chine et de la Russie qui, pour l’une, s’est hissée au rang de deuxième et potentiellement première puissance économique mondiale, tandis que l’autre renouait avec une logique impériale agressive, de la Syrie à l’Ukraine, en passant par le continent africain.

Loin des idéaux démocratiques dont se paraient les États-Unis tout en les piétinant, leur intervention n’a aucunement aidé les peuples concernés à gagner en liberté et en démocratie. C’est même radicalement l’inverse. Au résultat final, après le retrait piteux des troupes américaines, les talibans sont de retour au pouvoir en Afghanistan depuis 2021, au désespoir, notamment, des femmes afghanes.

Cible prioritaire de leur prétention à réorganiser la région, la République islamique d’Iran n’a cessé d’accroître son influence géopolitique, d’Irak en Syrie, du Liban au Yémen, sans oublier Gaza via le Hamas, tandis que la théocratie qui la dirige réprime les espérances émancipatrices des Iranien·nes.

Enfin, l’Arabie saoudite, monarchie religieuse qui fut le terreau idéologique d’Al-Qaïda, n’est nullement inquiétée pour ses violations des droits humains mais, en revanche, s’imagine plus que jamais en centre du monde, au point d’avoir été choisie pour accueillir l’Exposition universelle de 2030.

 

Le « coup d’État identitaire » de Benyamin Nétanyahou

À deux décennies de distance, la réaction israélienne n’est cependant pas qu’une répétition de l’aveuglement américain. Elle l’aggrave, au risque d’égarer la planète tout entière, par sa démesure idéologique. Le pouvoir politique qui dirige aujourd’hui Israël et qui par conséquent mène cette guerre, incarne en effet une rupture radicale, ayant poussé jusqu’à ses conséquences extrêmes l’infernale logique identitaire de la colonisation, de supériorité des civilisations et de hiérarchie des humanités.

Sous le règne de Benyamin Nétanyahou (au pouvoir sans discontinuer depuis 2009, à l’exception d’un bref intermède en 2021-2022), l’idéologie nationaliste religieuse a pris les commandes de l’État d’Israël avec un « coup d’État identitaire » comme l’a écrit le journaliste Charles Enderlin. Depuis 2018, une loi fondamentale, soit le plus haut degré possible en l’absence de Constitution, définit Israël comme le « foyer national du peuple juif » sans aucune référence au principe démocratique de l’égalité des droits.

Légitimant une suprématie identitaire qui discrimine les minorités arabe et druze, elle rompt avec la déclaration d’indépendance de 1948 qui enjoignait à Israël d’assurer « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ». Loin d’une embardée démagogique, cette radicalisation idéologique marque l’installation aux commandes de l’État d’Israël de forces politiques assumant une rupture avec toute vision universaliste : pas d’égalité naturelle, pas de droit international, pas d’humanité commune.

Pis, cette idéologie est destinée à l’exportation, comme en témoigne la notoriété auprès des droites extrêmes états-unienne et européennes de son théoricien et propagandiste, l’Israélo-Américain Yoram Hazony, auteur d’un best-seller traduit dans une vingtaine de langues, Les Vertus du nationalisme. Ce n’est rien de moins qu’un recyclage contemporain du nationalisme intégral de Charles Maurras, l’antisémitisme en moins, dont l’édition française est préfacée par un propagandiste d’extrême droite, Gilles-William Goldnadel.

Dénonçant le « fanatisme de l’universel » et « l’internationalisme libéral », ce plaidoyer pour l’avènement d’un « ordre des États nationaux » entend mettre fin aux valeurs supranationales promues par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, dans la conscience que des États-nations pouvaient devenir les pires ennemis du genre humain. Ce nationalisme radical implique que les nations ne doivent avoir de comptes à rendre qu’à elles-mêmes, refusant « de transférer les pouvoirs du gouvernement à des institutions universelles ».

« Nous ne devrions pas tolérer que la moindre parcelle de notre liberté soit transmise à des institutions étrangères, quelle qu’en soit la raison, écrit Yoram Hazony. Il en va de même par rapport aux lois qui ne sont pas celles de notre propre nation. » Ce rejet de tout principe universel accompagne une conception ethnique de la nation, revendiquant son « homogénéité interne » face aux « minorités nationales et tribales » dont les revendications pourraient la défaire.

La page ouverte en 1948, en même temps que naissait Israël, d’une humanité commune régie par des principes universels opposables aux États-nations serait ainsi refermée. Il ne s’agit rien de moins que d’un retour en arrière jusqu’aux causes mêmes de la catastrophe européenne puis mondiale, ces nationalismes égoïstes, oppresseurs et dominateurs dont les peuples, dans la première moitié du XXe siècle, ont subi les ravages et les crimes, jusqu’à celui de génocide, tant fascisme et nazisme en furent les produits extrêmes.

À l’urgence humanitaire qui, pour le sort des Palestinien·nes comme des Israélien·nes, exige un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza, s’ajoute donc un impératif politique qui concerne toute la communauté internationale si, du moins, elle existe encore : mettre un coup d’arrêt à cette fuite en avant guerrière et identitaire où se meurt notre humanité.


Edwy Plenel

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À LIRE ÉGALEMENT ICI:

http://ahmedhanifi.com/gaza-ou-meurt-notre-humanite/


et ici:

https://www.mediapart.fr/journal/international/071223/gaza-ou-meurt-notre-humanite



samedi, novembre 25, 2023

818 - « Hayy ben Yaqdhân » d'Ibn Thufaïl


Chers amis, à partir de lundi 27 novembre, après-demain, j’entamerai la publication d’un long article (par séquence de deux pages word par jour, jusqu’à son épuisement). Il s’agit de la recension d’un des plus importants romans ou romans philosophiques, qui a bouleversé la littérature. C’est « un chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… un chef d’œuvre de la pensée » dit de lui Jean-Baptiste Brenet, le grand spécialiste de la philosophie arabe et latine et professeur à l'université Panthéon-Sorbonne.

Le livre que je vous présenterai dès ce lundi s’intitule « Hayy ben Yaqdhân ». Il a été écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl un philosophe andalou astronome, également médecin, mathématicien…

Les photos montrent la documentation qui m’a aidé à préparer (trois mois) la recension. Soyez prêt dès lundi, sur mon mur FB, mais également ici.
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Lundi 27 novembre 2023

Bonjour à tous,

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- lundi 27.11.2023- 1/18

« Hayy ben Yaqdhân » (ou Ibn Yaqdhân) est un « chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… c’est-à-dire de la pensée tout court », « le premier roman philosophique dans l'histoire cde la littérature ». C’est un texte écrit durant le dernier quart du 12° siècle en spagne musulmane par Ibn Thufaïl, un philosophe andalou. Il est aussi connu sous ces variantes « Vivant fils de l’éveillé »« L’éveillé fils du vigilant »« Le philosophe autodidacte »« Le philosophe sans maître. » Avant d’analyser son œuvre, intéressons-nous à l’auteur.

Ibn Thufaïl, Abou Bakr Mohammed ben Âbd el-Malik ben Mohammed ben Tofaïl el-Qāïci, est né en 1110 à Wadi Âïch/Guadix à l’est de Grenade sous le premier empire berbère, el-Mourabitoun (les almoravides), en crise « qui s’est disloqué aussi vite qu’il a été formé ». L’auteur est connu sous le nom d’Abi Bakr Ben Tofaïl, Abou Djâfar, Abou Bakr el-Andaloussi,  Aboubacer ( ne pas confondre avec Avempace, Ibn Bajja, dit Aboubacer dont il fut « en un certain sens » un disciple)... On écrit son nom indifféremment ben Thofeil, Ibn Thofaïl, ou Ibn (ou Ben) Tofaïl, Tufayl, Thufaïl… Ibn Thufaïl a été influencé par Al Fârâbi et plus par Ibn Sina (Avicenne). Il a été contemporain de Ibn Bajja, Hafsa, Abdelmoumen, Ibn Arabi, Ibn Toumert, Ibn Rochd (Averroès) Omar Khayam, Ibn Zuhr (Avenzoar) et également d’Alain de L’Isle, Moshe ben Maïmon, Jean de Salisbury…

Sur le plan du pouvoir politique, Ibn Tufayl vécut la première partie de sa vie sous le règne des Almoravides : Ali Ben Youssef,  Ben Ali et Ibrahim, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de Youssef Ibn Tachfin. Ibrahim sera tué à Oran. Ibn Thufaïl passera la seconde partie de sa vie, sous le règne des Almohades, Abdelmoumen ben Ali Agoumi, premier calife berbère de 1130 à 1163 et son fils Abu Yacoub Youssef calife de 1163 à sa mort en 1184. Il est connu comme philosophe, mais aussi pour ses travaux sur la médecine, l’astronomie, les mathématiques... 

Ibn Thufaïl a été probablement vizir et certainement premier médecin personnel du deuxième calife de la dynastie almohade, Abou Yacoub Youcef héritier de Abdelmoumen ben Ali Agoumi. Il exerça comme secrétaire du gouverneur de Ceuta à Tanger. C’est lui qui a introduit Ibn Rochd (Averroès) auprès de Abou Yacoub ce « roi philosophe » pour qu’il lui interprète les philosophes grecs, notamment Aristote, et pour qu’il « clarifie » ses écrits. Abou Yacoub se plaignait en effet de « l’obscurité du style » d’Aristote (~384-~322). Ibn Rochd fera beaucoup plus que clarifier, notamment avec ses divers Commentaires grands et moyens, et avec son ouvrage « L’Accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif. »(lire notre article « Ibn Rochd al-Qortobi, in Le Quotidien d’Oran, 8 avril 2021). C’est sur les conseils avisés d’Ibn Thufaïl que le calife Abou Yacoub Youcef fera d’Ibn Rochd son médecin personnel après le retrait en 1182 d’Ibn Thufaïl. « Ibn Rochd et Ibn Thufaïl, écrit Charles-André Julien, exercèrent sur la philosophie médiévale une influence qui gagna même la chrétienté. » Ibn Thufaïl meurt en 1185 à Marrakech. C’est le calife Abu Youssef Yacoub (fils de Youssef) qui préside à ses funérailles. Cet État berbère almohade est alors « le plus civilisé de l’époque ».

Venons maintenant à l’ouvrage « Hayy Ibn Yaqdhân », le vivant fils de l’éveillé. 

 (à suivre)

 








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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- mardi 28.11.2023- 2/18

 

Venons à l’ouvrage « Hayy Ibn Yaqdhân », le vivant fils de l’éveillé. Nous avons eu connaissance de huit versions : La première est une version latine, « Philosophus autodidactus sive Epistola Abi Jaafar, Ebn Tophail de Hai ebn Yokdhan » (Le philosophe autodidacte, ou la lettre d'Abi Jaafar, Ibn Tophail, sur Hai ebn Yokdhan) de Edvardo Pocockio fils (1671), 200 pages, in « notesdumontroyal.com ». La deuxième s’intitule : « Hayy ben Yaqdhan, roman philosophique d’Ibn Thofaïl » par Léon Gauthier, texte arabe et traduction française. Ed. Fontana, Alger, 1900, 136 pages. La troisième s’intitule : « Hayy ben Yaqdhan, roman philosophique d’Ibn Thofaïl » par le même auteur, docteur ès lettres, texte arabe et traduction française. Alger, 1936. Ed. Hachette/BnF, 2022, 136 pages. La quatrième est une reprise de l’édition Fontana par Libretto, 2017, 112 pages. La cinquième est « Ibn Tufayl, le philosophe sans maître (Histoire de Hayy ibn Yaqzân) »Présentation de Georges Labica. Sned, Alger, 1969, 82 pages. C’est la première version de Léon Gauthier, celle de 1900, légèrement modifiée.  La sixième est une adaptation poétique de Jean-Baptiste Brenet intitulée « Robinson de Guadix ».  Éd. Verdier 2018, 115 pages (avec une belle préface – hélas très décentrée – d’un Kamel Daoud  « incommodé »). La septième est « Le philosophe sans maître » avec une préface de Jean-Baptiste Brenet. Ed. Payot et Rivages poche, Paris, 2021, 217 pages. C’est une reprise de la version d’Étienne Quatremère « Le philosophe sans maître ou la vie de Hai Ebn Yoqdan », qui est elle-même une traduction de la version latine de Pococke fils (1671) (cf. ci-dessus). La huitième s’intitule « Ibn Tufayl, Le Philosophe autodidacte », traduction de Léon Gauthier revue par Séverine Auffret et Ghassan Ferzli, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 1999, 159 pages. Nous l’avons découverte très tardivement. De nombreuses autres versions existent, notamment en arabe.

 

« Hayy ben Yaqdhân » est un « chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse », écrit Jean-Baptiste Brenet, spécialiste des philosophies médiévales arabe et latine qu’il enseigne à l'université Paris-Sorbonne. C’est ce roman, « Hayy ben Yaqdhân », ou fable, « rissala », conte, court traité écrit alors que l’auteur avait la soixantaine révolue que je vais tenter de décrypter. Léon Gauthier écrit que « la phrase est courte, d’une élégance parfaite, d’une lumineuse clarté », cela est juste, mais ne vaut pas pour tout le roman. La complexité de certains paragraphes est telle qu’il m’est arrivé de les reprendre entièrement sans leur trouver de substituts fidèles. Votre éventuelle bienveillance chers lecteurs agirait dans ces sinuosités. « Les mots, de quelque façon qu’on les emploie, prêtent à imaginer des choses fausses » écrirais-je à la suite d’Ibn Thufaïl.

Le titre premier de ce roman est, en arabe : « Rissalat hay ben Yaqdhân fi esrar elhikma el mouchriqiya lil faïlassouf Abi Bakr Ben Tofaïl ». Épitre de Hay ben Yaqdhân dans les secrets de la philosophie illuminative (« mouchriqiya, illuminative, spiritualiste, et non machriqiya, orientale » précise Léon Gauthier dont les travaux sur Ibn Tofaïl, source principale de cet article, font référence). 

 

Il ajoute : « Le texte authentique du Hayy ben Yaqdhân d’lbn Thofail est couramment attribué à tort par des lettrés musulmans, tantôt à Ibn Sab’in (1216- ~1270), tantôt à Ibn Sina (Avicenne, 980-1037).

(à suivre)

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1° page du manuscrit



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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- mercredi 29.11.2023- 3/18

 

« Le texte authentique du Hayy ben Yaqdhân d’lbn Thofail est couramment attribué à tort par des lettrés musulmans, tantôt à Ibn Sab’in (1216- ~1270), tantôt à Ibn Sina (Avicenne, 980-1037).

 

Cette confusion courante, Ibn Khaldoun a dû la commettre à son tour » écrit Léon Gauthier (introduction à sa version de 1936). C’est ce que confirme Vincent Monteil dans une note du Discours sur l’histoire universelle du précurseur de la sociologie : « il y a là, sans doute, un lapsus d’Ibn Khaldûn qui confond Ibn Sina avec Ibn Tufayl ». Ibn Khaldûn écrit en effet : « Avicenne s’en explique en détail dans son « Traité de Hayy b. Yaqzan ». Si Ibn Thofaïl puise quelques « personnages fictifs et épisodes » à Ibn Sina, qu’il nomme Cheikh Abou Ali, c’est pour ancrer une certaine réalité à son propre texte, lui donner plus de force. Dans l’allégorie mystique « Hay ben Yaqzân » de Ibn Sina, un personnage apparaît en la forme d’un vieux sage (ou de l’Intellect agent). Le texte d’Ibn Thufaïl ne lui emprunte que des noms quasiment, pas l’histoire.

 

« Leibnitz louait encore, d’après l’adaptation latine de Pococke (fils), le roman philosophique d’Ibn Tofaïl, Le Vivant Fils du Vigilant (Hayy ibn Yaqdhân), qui décrit comment un enfant, isolé dans une île déserte, s’élève des connaissances sensibles par lesquelles il réussit à constituer une industrie (ndr : art, habileté) pratique, très poussée, jusqu’aux formes abstraites des corps, puis à l’idée des causes générales. »  (Charles-André Julien, « Histoire de l’Afrique du Nord » (tome 2. 2). Une île déserte de l’être humain, pas de la végétation, des animaux, du ciel. On reproche, à juste titre, à Defoe (Robinson Crusoé), Rousseau (Émile), More (Utopia), Kipling (Le livre de la jungle), Burroughs (Tarzan), Gracián (El Criticón)… de s’être inspirés en toute discrétion d’Ibn Thufaïl. On a également mis en avant « l’intertextualité », ou « une proximité troublante ». 

 

Précisément, que sait-on de ses ouvrages ? « Ibn Thufaïl a très peu écrit sur l’astronomie, un petit nombre de pièces poétiques et médicales ». « J’ai vu, dit l’historien El-Marrâkochî (1185-1250), de cet Abou Bekr des ouvrages sur diverses parties de la philosophie, la physique, la métaphysique. Etc. » (cf. L. Gauthier, Ibn Thofaïl sa vie, ses œuvres). On dit aussi qu’il a beaucoup écrit, mais qu’il en est resté peu de traces, par exemple le prestigieux « Hayy ben Yaqdhan » (Le Vivant, fils du Vigilant). Mais qu’est-ce donc ce prestigieux ouvrage ? C’est l’objet de cette contribution. Elle s’appuie sur la traduction et les notes de Léon Gauthier. Si nous n’avons pas retenu la traduction de Quatremère (1782-1857), nous en avons confronté certains passages et notes à la précédente. De même, nous n’avons pas retenu la version initiale de Gauthier (Ed. Libretto). Nous avons choisi donc sa traduction de 1936 « Hayy ben Yaqdhân- Roman philosophique d’Ibn Thofaïl » qui reprend et corrige sa première version. Elle en diffère en de nombreux points et même « considérablement » selon les propres mots du chercheur. Elle diffère en termes de vocabulaire, de transcription, de notes, de citations, de syntaxe, de réflexion… L’auteur dit à propos de sa deuxième traduction qu’elle est « une œuvre nouvelle » nécessitée par les nombreux travaux, et la découverte de nouveaux manuscrits. Cette version, ainsi que les travaux qu’il a consacrés à Ibn Thufaïl, font l’unanimité auprès des spécialistes. Il est une référence, nonobstant son propre point de vue tranchant sur l’Islam. Léon Gauthier (Sétif 1862 – Alger 1949) fut détenteur de la chaire de philosophie à l’université d’Alger. Le roman est présenté ci-après selon le déroulé choisi par Ibn Thufaïl, à savoir : la lettre de l’auteur à son correspondant curieux des secrets de la philosophie d’Ibn Sina, l’origine de Hayy ben Yaqdhân le principal personnage et son auto éducation par l’expérience, par l’observation du monde, du ciel et de ses sphères, enfin sa rencontre avec un homme venu d’une autre île. 

 

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- jeudi 30.11.2023- 4/18

 

Le roman « Hayy ben Yaqdhân » est présenté ci-après selon le déroulé choisi par Ibn Thufaïl, à savoir : la lettre de l’auteur à son correspondant curieux des secrets de la philosophie d’Ibn Sina, l’origine de Hayy ben Yaqdhân le principal personnage et son auto éducation par l’expérience, par l’observation du monde, du ciel et de ses sphères, enfin sa rencontre avec un homme venu d’une autre île. 

 

La rissala

 

La rissala ou traité, roman, s’ouvre et s’achève sur des louanges à Dieu. Les premiers mots sont une courte invocation. Puis Ibn Thufaïl s’adresse avec courtoisie à un correspondant fictif, sans doute, qui lui a demandé de l’aider dans la connaissance. Il l’appelle « frère ».  « Tu m’as demandé, frère généreux, sincère, affectionné… de te révéler ce que je pourrais des secrets de la philosophie illuminative » (mochriqiyya) détaillés par Ibn Sina (Abou Ali Ben Sina, Avicenne). 

L’auteur répond à cet interlocuteur en discernant la connaissance intuitive de la connaissance spéculative, discursive. La première est atteinte par l’extase mystique, la seconde par le raisonnement, c’est la proposition philosophique. Ces deux types de connaissance ont le même objet, mais seule la connaissance spéculative peut s’exprimer par des mots (des écrits ou des discours). Viser l’extase mystique sans effort de connaissance spéculative peut s’avérer dangereux et mener à en parler « sans discernement ». 

Pour répondre à son ami, son « frère généreux », pour lui expliquer ces secrets d’Ibn Sina et l’inciter à s’éduquer à l’extase, Ibn Tufayl lui propose une histoire, une fiction dont il emprunte certains éléments au philosophe persan, celle de « Hayy ben Yaqdhan ». Il articule la fiction autour de quatre parties : le préambule, l’origine de Hayy, sa vie en sept septénaires, et « la fin de l’histoire » avec la rencontre d’un ascète venu de l’île peuplée voisine.

Ibn Thufaïl n’utilise le nom ‘‘Hayy’’que peu de fois (28 pour tout le roman), préférant les pronoms personnels (lui ou il, là même où Quatremère écrit le prénom). Le nom du fils de la gazelle apparaît pour la première fois à la fin de l’introduction. 

 

3_ La vie de Hayy ben Yaqdhân 

 

(à suivre)

 

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- vendredi 1.12.2023- 5/18

 

Ibn Thufaïl n’utilise le nom ‘‘Hayy’’que peu de fois (28 pour tout le roman), préférant les pronoms personnels (lui ou il, là même où Quatremère écrit le prénom). Le nom du fils de la gazelle apparaît pour la première fois à la fin de l’introduction. 

 

 

1_ Le préambule

 

Ibn Thufaïl commence par un long et explicite préambule convoquant El Halladj, Al Khawarizmi, Al Ghazali, Al Farâbi (Abou Nasr), Ibn Sina (Abou Ali) ainsi qu’Ibn Bajja (Ben es Saigh) qu’un voyage à Oran a perturbé, générant en lui un dérangement l’empêchant d’expliquer correctement « l’intuition extatique » raille Ibn Tufayl. Une longue introduction où il reprend des versets du Coran, détaille les états spéculatifs inaboutis et ceux « qui sont arrivés à la phase de la familiarité » (avec Dieu), avant de lui proposer une « histoire allégorique de Hayy ben Yaqdhân » cœur de notre propos. Dans cette rissala, le prénom « Hayy » apparaît d’abord en titre, à la fin de l’introduction, puis 27 fois dans le dernier quart du roman. Avant de dérouler l’histoire de Hayy ben Yaqdhân, Ibn Thufaïl explique son origine. D’où vient-il ? Deux versions existent. Ibn Thufaïl expédie la première en quelques lignes pour profondément détailler la seconde qu’il privilégie.

 

2_ L’origine de Hayy ben Yaqdhân

La première version de l’origine de Hayy est d’ordre anthropologique. Les Anciens, écrit Ibn Tufayl, rapportent que dans une île déserte (on a écrit qu’il s’agit probablement de Ceylan/ Sri Lanka) située dans l’Océan indien (El-Bahr el-akhdar), jouissant « d’une température la plus égale et parfaite qui soit… un nouveau-né, mâle, a été découvert. Il a été déposé sur les eaux à partir d’une île voisine, « importante, vaste, riche et populeuse » dirigée par un roi « d’un caractère hautain et jaloux ». Ce roi empêchait sa sœur de se marier. « Il écartait tous les prétendants ». Lorsqu’elle décida de se marier, elle le fit secrètement en suivant les règles religieuses. Elle épousa son voisin sans que le prince le sache. Lorsqu’elle eut un enfant de ce voisin, nommé Yaqdhân, elle n’en dit rien à son terrible frère. Elle déposa son nourrisson dans « un coffre soigneusement fermé et le livra aux flots » qui le poussèrent jusqu’à la rive de l’île déserte située en face.

 

La seconde version s’appuie sur d’autres Anciens, en désaccord avec les précédents. Ils avancent que cet être humain est né sans parents, du sein de l’argile en fermentation. » C’est ce que l’auteur appelle « la génération (ou reproduction) spontanée » désignée par une théorie scientifique par le vocable abiogenèse. L’argile en fermentation donne naissance à des globules « du genre de celles que produit l’ébullition » à laquelle se joint « l’âme qui émane de mon Seigneur », âme qu’Ibn Thofaïl compare à « la lumière du soleil qui sans cesse est répandue sur le monde en abondance. » Léon Gauthier trouve que « cette magistrale comparaison est particulièrement poussée. » La description d’Ibn Thofaïl est en effet très approfondie et ardue. 

 

La lumière et l’âme dans une même optique. Cette lumière se répand sur le monde par le biais de la matière (ou corps, el-jamādāte, el-ajsām). Certaines la réfléchissent au plus haut point, d’autres partiellement et il y a celles qui ne la reflètent pas du tout. « Les corps polis dépourvus d’opacité », comme l’air, ne la réfléchissent pas du tout. « Les corps opaques non polis » qui sont de différentes couleurs, la répercutent partiellement, « les corps polis » (comme les miroirs) la reflètent très bien. 

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- samedi 2.12.2023- 6/18

 

Il en va de l’âme comme de la lumière. Elle se répand sur tous les êtres. Certains, comme les corps inorganiques « dépourvus de vie », ne manifestent pas l’influence de l’âme. « Les végétaux qui sont représentés par les corps opaques non polis » manifestent l’influence de la lumière selon leurs dispositions. D’autres corps comme les différentes espèces d’animaux reçoivent l’âme. Mais parmi elles, l’homme, cet « animal raisonnable, el-hayawēn ennātiq » qui « la reçoit et la manifeste à un haut degré et prend sa forme ou image, ‘essoura’. « Dieu a créé Adam (l’homme) à son image » (Hadith nabawi). 

 

Cette forme qui a intégré l’homme est si puissante que toutes les autres facultés s’inclinent. Elle pénètre un premier réceptacle du corps. Deux autres réceptacles (ou bulles) se formeront, de part et d’autre de celui où s’est logée l’âme. L’un est divisé en trois espaces remplis d’une poche d’air (jismen hawa îyen). Ils communiquent entre eux. Ces divisions abritent les facultés « gardiennes ». L’autre réceptacle (le troisième) contient une partie des facultés du précédent. Selon les Anciens, précise l’auteur. Chacun des trois réceptacles avait besoin des autres. « Tous les trois étaient par rapport aux organes formés après eux, gouvernants et non gouvernés ». Ibn Thofayl écrit « koullahouma », tous les deux, et Gauthier de confirmer le choix de ce terme ‘‘duel’’ qui « ne peut désigner que les trois réceptacles » ou bulles.

La première bulle et la matière qui l’entourait se transformèrent en un organe, le cœur. Celui-ci, pour subsister, devait être nourri, entretenu, au risque que la chaleur ne détruise les humeurs (formées à partir des quatre éléments que sont la terre, l’eau, l’air et le feu). Les deux autres bulles s’occuperont, par le biais des facultés qu’elles logeaient, de répondre aux besoins du cœur. Ibn Thofaïl écrit : « Le cerveau se chargera de la perception, le foie de l’entretien. » Les artères et les veines se formeront en conséquence. Puis suivront les autres parties. « Lorsque l’organisme humain fut complètement formé, la masse restante de l’argile s’entrouvrit sous l’action de la sécheresse. » Un enfant, mâle, est ainsi né. Acculé par la faim, il se mit à crier attirant vers lui une gazelle qui le secourut. 

 

(à suivre)

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X


 




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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- dimanche 3.12.2023- 7/18

 

3_ La vie de Hayy ben Yaqdhân 

 

L’enfant est là. Dès lors, les deux versions se rejoignent. Commence alors l’histoire de son éducation, qui s’étale sur quarante-neuf ans (sept septénaires).

Une gazelle qui venait de perdre son faon fut alertée par les cris de l’enfant. « Prise d’affection », elle le secourut et l’allaita. Puis elle l’adopta sur cette île où aucun animal dangereux ne vivait. Elle devint sa mère (ou son autre mère, si l’on considère le point de vue de la première version). Elle l’allaita jusqu’à ses deux ans, jusqu’à ses premiers pas. Elle lui apprit les secrets de l’île, sa végétation, ses autres animaux. Elle s’en occupait comme son propre faon. L’enfant s’avéra être très intelligent. Mais partait-il vraiment de rien ? 

Hayy ben Yaqdhân  ou ‘‘le fils du vigilant’’ se débrouillait pour se nourrir, se vêtir en observant les animaux. Il reproduisait leurs cris, les chants des oiseaux. Il les imitait en variant sa voix selon qu’il avait faim, besoin d’aide, pour prévenir d’un danger. Il constatait qu’aucun d’eux ne lui ressemblait. Lui n’avait ni corne, ni ergot, ni sabots, ni queue, ni laine ou plumes. Cela l’attristait. 

Un jour il découvrit que « sa main avait sur les membres antérieurs des animaux une grande supériorité, puisque, grâce à elle, en couvrant ses parties honteuses et en se faisant des bâtons pour se défendre, il lui était possible de se passer de queue et d'armes naturelles. » Plus tard, il apprit à se confectionner des habits, produire des instruments d’attaque et de défense ce qui le fit craindre de tous les animaux sauf la gazelle qui l’a recueilli, élevé. Lorsqu’elle vieillit, il l’aidait à cueillir des fruits, à se nourrir. Quand elle mourut, « l’enfant fut saisi d’une émotion violente ». La gazelle semblait intacte, mais ne répondait plus à ses cris. Il rechercha la cause de sa mort. Il lui examina les oreilles, les yeux, les membres, en vain. Alors il pensa que le mal était à l’intérieur de son corps, « dans un organe invisible » dont tous les autres dépendent, un organe situé entre le crâne et le ventre, dans la poitrine. Hayy en sentait la présence dans sa propre poitrine. Il était persuadé qu’on pouvait vivre d’une amputation de doigt, d’oreille, de main, mais pas sans « cette chose qu’il sentait dans sa poitrine » (l’âme). Lorsqu’il ouvrit celle de la gazelle, il trouva du sang, mais « aucun dommage apparent ». Il fut déçu, car ce qu’il cherchait « n’est point de cette nature ». 

Du sang, il en a vu couler des animaux et de lui-même. Il se dit « combien de fois, blessé par des bêtes dans la lutte, j’en ai perdu une grande quantité sans en éprouver de dommage et sans être privé d’aucune de mes fonctions ! »

Les organes se vidaient, « l’habitant de ce logement en avait déménagé alors qu’il était encore intact. » Cet habitant, cette chose, ne reviendra. Après ce constat, « le corps entier lui parut vil et sans valeur » devant « cette chose » qui l’avait abandonné. Hayy se questionnait sans relâche tout en abandonnant à son tour le corps de la gazelle, sa mère. Seule cette chose l’intéressait désormais. « Par où est-elle sortie du corps et pourquoi l’a-t-elle quitté, où était-elle à présent ? »

Hayy Ibn Yaqdhân comprit que c’est cette chose qui était sa mère et non cette masse définitivement inerte. « Ce corps n’était pour elle qu’un instrument au même titre que son bâton qu’il s’était fait lui-même pour différents usages. « Alors son affection se détourna du corps en putréfaction pour se porter sur le maître et moteur du corps, et il n’eut plus d’amour que pour lui seul », que pour ce maître moteur, cette chose. 

En observant les gazelles, il constatait qu’elles ressemblaient toutes à sa mère et il éprouvait pour elles une grande affection. « Il ne pouvait s’empêcher de penser que chacune d’elles devait être mue et dirigée par une chose semblable à celle qui avait mu et dirigé le corps de sa mère ». Sa curiosité naturelle le poussait à élargir ses observations. Il se mit à examiner toutes sortes d’animaux et de plantes de l’île. Il ne rencontra aucun être semblable à lui. Il ne lui vint pas à l’idée qu’il y avait une autre terre que cette île.

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- lundi 4.12.2023- 8/18

 

Sa curiosité naturelle le poussait à élargir ses observations. Il se mit à examiner toutes sortes d’animaux et de plantes de l’île. Il ne rencontra aucun être semblable à lui. Il ne lui vint pas à l’idée qu’il y avait une autre terre que cette île.

 

Un jour le feu se déclara « par voie de frottement ». Hayy s’en approcha et lorsqu’il tenta de s’en emparer « il lui brûla la main ». Il eut l’idée de prendre un bout de bois partiellement consumé jusqu’à son abri. Le feu lui faisait du bien. Il lui tenait compagnie, « il remplaçait la lumière et la chaleur du soleil ». Comme les flammes se dressaient toujours vers le ciel, Hayy « acquit la conviction que le feu était du nombre des substances célestes qu’il apercevait ». Il expérimentait les flammes sur différents objets, coquillages et autres animaux marins. Il appréciait leur goût qu’il découvrait. Aussi, il étendit ses expériences aux animaux terrestres comme les oiseaux et prit l’habitude d’en manger la chair.

Il en vint à penser que la chose disparue de la gazelle, qui l’abandonna, cette chose, « cette grande chaleur qu’il ressentait en lui-même », est de nature identique au feu ou très proche. 

Il poursuivit ses expériences et prit un animal vivant qu’il disséqua. Son cœur était rempli « d’une vapeur chaude, d’un air semblable à un brouillard blanc ». Hayy ressentit dans ses doigts une ardente chaleur. Il se posa tant de questions, se demanda comment les animaux recevaient cette vapeur chaude dont il était certain qu’elle est le moteur de la vie. Elle est l’âme ou l’esprit dont le rôle « dans le gouvernement du corps » de l’animal est semblable à celui de l’homme. Ibn Thofaïl utilise ce terme de « rouh » (arwah, rouhani) dans le sens d’âme ou d’esprit (esprit animal) chez tout être animé. Hayy eut la conviction que « tout individu d’entre les animaux est un, grâce à cet esprit, qui a pour origine un centre unique » distributeur aux différents organes qui en dépendent et qui sont « ses serviteurs, ses instruments ». 

Selon les fins on utilise le nez, les membres, l’œil… dont la fonction est l’odorat, le mouvement, la vision… Ces fonctions ne sont possibles que grâce à « des conduits qu’on appelle nerfs » qui se nourrissent (directement ou non) du cœur. Dès lors que le conduit est « obstrué ou coupé », l’action de l’organe correspondant cesse. « Le corps tout entier devient inerte et tombe dans l’état qui est la mort. » Hayy achevait sa 21° année. Il se perfectionnait dans tous les domaines : habitat, chasse, vêtements en imitant mieux les animaux. Enfin, il réussit à domestiquer chevaux, ânes… qui décuplèrent toutes ses possibilités.

 

 

Il effectua d’autres recherches sur « tous les corps de ce monde de la génération et de la corruption » : les animaux, les minéraux, la terre, l’eau, la neige, la flamme… Le vocable ‘‘corruption’’ est à entendre au-delà du sens commun (encore que…) la corruption comme « une altération progressive et inéluctable des êtres naturels. » D’abord Hayy s’aperçut qu’ils étaient constitués de divers propriétés, modes d’action et mouvements (changements). Il vit qu’ils possédaient des caractères communs et d’autres différents. Les premiers ne font qu’un et les seconds sont multiples. Toutes choses dont il approfondit l’étude.

Tantôt il considérait dans les choses leurs particularités, tantôt il remarquait que ses propres organes, nombreux, étaient « tous joints les uns aux autres ». Ils formaient un ensemble unique, même si leurs fonctions étaient diverses. Diversité qu’ils recevaient de cet esprit mentionné en supra, « esprit qui constituait l’essence véritable ». Les organes n’étaient que des instruments.

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- mardi 5.12.2023- 9/18

 

Il observa que les individus de chaque espèce d’animaux (gazelles, ânes, oiseaux…) « se ressemblent par leurs organes externes et internes, par leurs mouvements », qu’il n’y a entre eux que de faibles différences. Il conclut que « l’esprit appartenant à tous les individus d’une même espèce est une seule et même chose répartie entre les cœurs » ( wi’â’ signifie récipient et parfois cœur, précise le traducteur) et que l’on peut en faire une seule chose (de la même manière, une même eau – ou autre liquide – répartie dans plusieurs récipients ou maintenue en une seule unité, demeure « une seule et même chose », même si sa température peut varier ici ou là.) Il en va ainsi des espèces et de leurs multiplicités. « La multiplicité des membres d’un corps animal (animal ordinaire ou supérieur) n’est pas une multiplicité réelle », écrit Ibn Thufaïl. Il poursuit : « les réflexions firent comprendre à Hayy que l’esprit animal (commun à tout le règne animal) est un » malgré des différences légères dont chaque espèce peut disposer. 

 

Revenons aux observations de Hayy. Comme il considéra le règne animal, il examina les espèces végétales. Il conclut à la suite de sa nouvelle observation que dans chaque espèce de plantes les individus se ressemblent sur de nombreux points (fonctions, fleurs, rameaux…) En comparant les plantes aux animaux, il conclut que toutes participent à « une même chose » qui remplit chez elles le rôle de l’esprit chez les animaux. » Il reconnut également que par « cette chose » les plantes sont une. Il conclut aussi que le règne végétal et le règne animal sont assez semblables dans la nutrition et la croissance. Mais « les animaux ont la sensibilité, l’intelligence et la locomotion de plus que les plantes ». Hayy aboutit à cette découverte que « les plantes et les animaux sont une seule et même réalité, parce qu’ils ont en commun une même chose, qui se trouve dans l’un des deux règnes plus achevée, plus accomplie, et qui, dans l’autre, est entravée par quelque empêchement ». Une même chose achevée chez les animaux, contrariée chez les végétaux.

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- mercredi 6.12.2023- 10/18

 

Après les animaux et les végétaux,  « le philosophe autodidacte » étudia les corps insensibles, qui ne se nourrissent ni ne croissent : feu, eau, terre, air (feta).Vus d’un certain biais, « il lui parut que ces corps ne font qu’un en réalité et qu’il en est de leur multiplicité comme celle des plantes et des animaux ». 

Hayy examina tous les corps vivants ou inanimés (jami’ el-ajsām hayyouha wa jamādouha) et il s’aperçut que les uns, comme la fumée (corps léger), tendaient vers le haut alors que d’autres, comme l’eau, une pierre (corps lourds), se présentaient vers le bas. Et rien ne peut empêcher le mouvement de ces corps sinon un obstacle. À ce niveau de son exposé, Ibn Thufaïl s’adresse directement à son « frère généreux, sincère, affectionné… » Il lui donne des exemples comme celui d’une pierre : « quand tu (la) soulèves, tu sens qu’elle te résiste, de toute la force avec laquelle elle tend vers le bas et cherche à descendre. » Hayy ne rencontra aucun corps qui fût dépourvu de l’une ou l’autre de ces deux propriétés, la pesanteur ou la légèreté. L’essence de ses deux propriétés est composée de deux attributs, le premier leur appartient en commun (c’est l’attribut de corporéité), le second les distingue l’une de l’autre. C’est cet attribut « qui fait que chacun des deux n’est pas l’autre », autrement, sans ce second attribut « ils ne seraient qu’une seule et même chose à tous égards. » Hayy examina tous les corps inanimés et vivants. Il vit que leur essence est composée d’une corporéité et de quelque chose d’autre. Il lui parut que l’esprit animal (logé dans le cœur) doit avoir aussi un attribut en plus de sa corporéité. Cet attribut est sa forme, son âme animale. « C’est ainsi que Hayy s’élève à la notion (aristotélicienne) de forme », écrit le traducteur.

Les plantes quant à elles possèdent « une âme végétative ». De même pour les corps inanimés. Hayy se saisissait de la préoccupation non par ses sens, mais « par un certain mode de spéculation intellectuelle. » Le monde spirituel se révélait à lui pour la première fois. Rien ne pouvait freiner la propension de Hayy à la compréhension du monde. Comme il l’a expliqué pour les propriétés de pesanteur et de légèreté, Ibn Tufayl écrit que l’esprit animal qui se trouve dans le cœur doit avoir un attribut, une qualité qui est à la source de toute sensation, d’opération représentative, de mouvement. Un attribut « qui est sa forme la plus spécifique, il est l’âme animale », enefs el-hayawāniya, et non plus « l’esprit animal », errouh el-hayawāni.

 

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- jeudi 7.12.2023- 11/18

 

Comme il l’a expliqué pour les propriétés de pesanteur et de légèreté, Ibn Tufayl écrit que l’esprit animal qui se trouve dans le cœur doit avoir un attribut, une qualité qui est à la source de toute sensation, d’opération représentative, de mouvement. Un attribut « qui est sa forme la plus spécifique, il est l’âme animale », enefs el-hayawāniya, et non plus « l’esprit animal », errouh el-hayawāni.

 

Concernant les plantes, Ibn Tufayl nomme « l’âme végétative » enefs ennabātiya cette chose qui leur est propre et désigne « nature » ce qui relève des corps inanimés. Toute chose est donc composée de deux attributs que Hayy a minutieusement étudiés (attribut de corporéité commun à tous les corps de la catégorie concernée et un autre surajouté lequel est singulier). C’est à l’un d’eux qu’il va désormais s’intéresser. Celui auquel on donne le nom d’ « âme », précisément l’âme animale », enefs el-hayawāniya. Dans une note explicative, Léon Gauthier, le traducteur, écrit : « l’âme considérée (ici) dans sa forme, par opposition à sa matière, matière qui chez l’animal est ‘‘l’esprit animal’’. Hayy, poussa son étude « en la serrant de près ». Il prit comme exemple un groupe (les corps terreux : terre, pierres, métaux, animaux et plantes…) Il constata que tous les corps du groupe possèdent en commun une forme (f) d’où émane des actes, comme ici « le mouvement vers le bas ». La division « plantes et animaux » de ce groupe possède donc cette forme (f) et une autre d’où émanent la nutrition et la croissance, c’est l’âme végétative (f1), une autre subdivision, « animaux », possède f, f1 et une autre forme (f3), spécifique, d’où émanent la sensation et la locomotion.

L’essence de certains de ces corps (animaux, plantes) est composée de caractères nombreux surajoutés à l’attribut corporéité. Celle d’autres (feu, eau, terre, air) de caractères ou attributs moins nombreux. Hayy étudia ces derniers corps en priorité et constata que leur corporéité est dépourvue d’attributs distinctifs.

Il en conclut que s’il peut se trouver un corps dépourvu de toute forme surajoutée à la corporéité, il ne possède aucune de ces qualités liées à l’humidité, à la température, et ne saurait avoir aucune qualité qui ne soit commune à tous les corps revêtus de n’importe quelles formes.

En tous les corps, vivants ou inanimés. Il chercha en vain une qualité commune. Sauf la notion d’étendue (largeur, longueur, profondeur). Il se demanda si cette étendue, prise seule, constitue la notion de corps.

Il prit de l’argile et lui donna une figure puis d’autres (sphère, cube, ovoïde). Il constata que les grandeurs de ces figures changent. Quant à l’argile, elle ne change pas bien qu’elle ne peut être privée des mesures.

Les dimensions sont une notion à la fois différente de l’objet (ici l’argile) et partie de son essence. La conclusion de Hayy est la suivante sur ce point : le corps est composé de deux propriétés. 

L’une joue le rôle des dimensions (et de leur forme) de l’argile, l’autre celui de la matière. Léon Gauthier attire l’attention sur le sens de ce terme, madda, de imtidad qui signifie extension, et sur sa proximité avec le terme grec aristotélicien hylè qui signifie matière et qu’Ibn Tufaïl transcrit ‘‘el-hayoula’’. Hayy était depuis quelque temps submergé par l’inquiétude. Il s’était éloigné du monde sensible pour se rapprocher de celui de l’abstraction, de l’intelligible. Il décida de revenir au monde premier auquel il était habitué, particulièrement aux plus simples, aux quatre éléments que sont le feu, l’eau, la terre et l’air qu’il connaissait bien.

Il observa l’eau et s’aperçut que selon son état (froid, chaud) elle se mouvait vers le bas, vers le haut. Que ces mouvements pouvaient disparaître et sa forme avec eux. « Le philosophe sans maître » savait que tout ce qui est produit a nécessairement un producteur. « En son âme, avec des linéaments, se dessinait la notion d’un Auteur de la forme. » (fāîl essoura). Auteur ou agent.

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- vendredi 8.12.2023- 12/18

 

Plus Hayy observait, plus il découvrait, comprenait, plus il s’interrogeait. En étudiant individuellement chacune des formes qu’il connaissait, il a vu qu’elles sont toutes produites et que par conséquent elles ont toutes un Auteur, un agent, ou une cause. Toute chose s’explique selon quatre causes, disait Aristote (La Nature/Physique, chap. II), la forme en est une avec la cause matérielle, efficiente et finale. 

Les essences des formes écrit Ibn Thufaïl ne sont « rien de plus qu’une disposition du corps » à créer des mouvements comme par exemple l’eau qui, après avoir chauffé, se dirige vers le haut. « Cette disposition c’est sa forme, car il n’y a là qu’un corps, et certaines choses (des qualités et des mouvements) que perçoivent les sens ainsi que les causes efficientes qui les produisent ». Il en était de même de toutes les formes. Hayy voyait que ces actes qui naissaient des formes ne leur appartenaient pas, mais « à une cause efficiente qui produit par elles les actes qui leur sont attribués » (Fāîlo yefāl biha el-afāl el-mensouba ilaïha). Et Ibn Thufaïl de procéder à un rapprochement entre cette idée de Hayy et ces paroles (hadith qodsi) qu’exprima le Prophète Mohammed (S) : « Je suis l’ouïe par laquelle il entend, et la vue par laquelle il voit. » Il vint à l’esprit de Hayy d’approfondir cette notion, cette idée générale et confuse » (Quatremère « Le philosophe sans maître »), de mieux la connaître.

Il s’est mis à chercher parmi les objets du monde sensible qu’il n’a jamais abandonné, cet agent, cette idée générale et confuse. Il s’intéressa d’abord à tous les corps qui l’environnaient et qu’il avait toujours étudiés. Tous naissent, et tous disparaissent, périssent totalement ou partiellement : le feu, l’eau, la terre, l’air. Il fit pareil avec tous les autres corps qu’il trouvait. « Il ne voyait aucun qui ne fut produit par un agent ». Hayy entrait dans sa 29° année. « Il reconnut que le ciel et tous les astres qu’il contient sont des corps. » Il se demanda si ces corps célestes sont finis ou bien si leur étendue est infinie (l’espace). Ibn Thufaïl, par l’intermédiaire de son personnage, procède à une démonstration sur « l’absurdité d’un infini réel » qu’il emprunte à Ibn Sina écrit Léon Gauthier (op. cit.) Hayy se rend compte qu’un corps sans limites est « absurde, impossible, inconcevable. »

Lorsqu’il eut la certitude que le corps céleste est fini, il voulut connaître sa forme et ses limites. Il étudia le soleil, la lune et les autres astres jusqu’à atteindre à un degré élevé de la science. Il avait la conviction que comme le corps animal « la Sphère céleste est comme un objet unique dont les parties forment un tout. » Hayy ne cessait de gravir les hauteurs de la connaissance. Il se demanda ensuite si le monde, dans son ensemble, est une chose qui a surgi de rien, qui avait un commencement ou alors une chose éternelle, qui a toujours existé (le temps). 

 

« Toute la première partie des deux Tahafot (Incohérence), celui d’El Ghazali (Tahafot al falasifa) et d’Ibn Rochd (Tahafot at tahafot), est consacrée à la discussion, très étendue et très approfondie, du problème de l’éternité du monde, » écrit le traducteur, Léon Gauthier. « Toute la première partie des deux Tahafot, celui d’El Ghazali et d’Ibn Rochd, est consacrée à la discussion, très étendue et très approfondie, du problème de l’éternité du monde, » écrit le traducteur, Léon Gauthier. Les ouvrages en question sont, pour El Ghazali « Tahafot al falasifa » (Baghdad 1095) et pour Ibn Rochd « Tahafot at tahafot » (Andalousie 1179), écrit en guise de réponse et de « réfutation systématique ». 

 

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- samedi 9.12.2023- 13/18

 

« Toute la première partie des deux Tahafot (Incohérence), celui d’El Ghazali (Tahafot al falasifa) et d’Ibn Rochd (Tahafot at tahafot), est consacrée à la discussion, très étendue et très approfondie, du problème de l’éternité du monde, » écrit le traducteur, Léon Gauthier. « Toute la première partie des deux Tahafot, celui d’El Ghazali et d’Ibn Rochd, est consacrée à la discussion, très étendue et très approfondie, du problème de l’éternité du monde, » écrit le traducteur, Léon Gauthier. Les ouvrages en question sont, pour El Ghazali « Tahafot al falasifa » (Baghdad 1095) et pour Ibn Rochd « Tahafot at tahafot » (Andalousie 1179), écrit en guise de réponse et de « réfutation systématique ». 

 

Une autre question mobilisera Hayy des années durant sur le producteur (le mouhdith) de ce monde et sur le moment et les raisons (les causes) de cette production (el hadit). Il examina toutes les possibilités, sur la non-corporéité du producteur, sur l’absence de toutes les propriétés corporelles, sur sa connaissance du monde et son pouvoir sur lui. Et Ibn Thofail de rappeler le verset 14 de la sourat 67 el-Moulk. Quelle que fut la voie méditative que Hayy empruntait, elle aboutissait au même résultat, l’existence d’un Auteur incorporel, cause de toutes les choses et elles ses effets. Il observait désormais les choses existantes d’un autre point de vue « pour y trouver des exemples de la puissance de leur Auteur. »

Hayy mena toutes ses réflexions jusqu’à l’âge de 35 ans. « L’intérêt qu’il éprouvait maintenant pour cet Auteur s’était enraciné en son cœur si profondément qu’il ne lui laissait plus le loisir de penser à autre chose que Lui… Son cœur se dégageait entièrement du monde sensible, pour s’attacher au monde intelligible. » 

Il était évident qu’il percevait cet Être (Auteur) par sa propre essence qu’aucune des qualités corporelles ne satisfaisait. Son essence n’était donc ni corporelle ni corruptible. C’est alors qu’il eut « un dédain absolu pour son corps. » Il se posait la question du devenir de son essence, « quelle serait sa condition quand elle aurait abandonné le corps » ?

Il se pencha sur les facultés perceptives (ouïe, odorat, etc.) et vit qu’elles étaient « tantôt percevantes en puissance, tantôt en acte ». En puissance, lorsqu’elles ne sont pas sollicitées, en acte lorsqu’elles sont en fonctionnement. Ibn Thufaïl écrit concernant l’œil : « pendant qu’il est fermé ou qu’il se détourne de l’objet visuel, il est percevant en puissance ». Selon que la perfection ou la beauté d’un objet sont élevées ou non, le désir qu’il inspire peut être grand ou non, et vive ou non peut être la douleur de sa perte. Hayy était certain que « l’Être nécessaire possède tous les attributs de la perfection, aucun de la défectivité », et que la chose par laquelle il arrivait à le connaître ne ressemble pas aux corps et ne périt pas comme eux. Il conclut de tout cela :  que celui qui a cette faculté à même de concevoir cet Être suprême, à sa mort :

« Ou bien il n’a acquis aucune notion de cet Être nécessaire dont il n’a jamais entendu parler. Dans ce cas il ne souffre pas d’en être séparé (cas des animaux, des plantes) et ne souffre pas d’en être séparé. Ou bien il a connu la perfection et la beauté de cet Être, et qu’il s’en est détourné pour suivre ses passions, atbaâ hawah, ( ‘‘pour suivre ses ‘inclinaisons’ vicieuses’’ écrit Quatremère). Dans ce cas il demeure dans des souffrances infinies. Ou bien il s’est tourné tout entier vers l’Être nécessaire. Dans ce dernier cas, il se perpétue dans une volupté infinie, dans une félicité, une allégresse éternelles. » Hayy se demanda comment parvenir à parfaire sa vision en acte, de sorte à ne plus s’en détourner. Les bêtes qu’il a observées, occupées à satisfaire leurs instincts, ne lui furent d’aucune utilité.

 

Lorsqu’il reprit son étude des astres et les sphères il constata « qu’ils évoluent selon certaines lois, que leurs mouvements sont réglés… et qu’outre leurs corps ils disposent, très probablement, d’essences (qui ne sont ni des corps, ni imprimées en eux) connaissant cet Être nécessaire. » « Hayy se demanda pourquoi il avait, seul parmi les espèces animales, le privilège de cette essence. » Cette essence qui le rendait semblable aux corps célestes.

 

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- dimanche 10.12.2023- 14/18

 

« Hayy se demanda pourquoi il avait, seul parmi les espèces animales, le privilège de cette essence. » Cette essence qui le rendait semblable aux corps célestes. « Il s’était assuré auparavant que de tout ce qui est à la surface de la Terre, aucun corps ne conserve sa forme, aucun n’est pur ». Comme il était sûr que l’essence de certains corps se compose d’une seule forme ajoutée à leur corporéité, et que leurs actes sont peu nombreux, ceux-ci sont plus éloignés de la vie, comme le fer, l’eau, la terre, l’air. Si la chose n’a pas du tout de forme, elle est dans un état semblable au néant, c’est la hylè qui signifie matière et qu’Ibn Tufaïl transcrit ‘‘el-hayoula’’. De même Hayy était certain que l’essence d’autres corps est composée de plusieurs formes et leurs actes sont nombreux, ceux-là sont plus accessibles à la vie, ainsi les plantes et plus encore les animaux. Hayy avait examiné les manières d’être des animaux sans trouver qu’ils avaient « la moindre notion de l’Être nécessaire » alors même qu’il savait « que sa propre essence en possédait la notion. Il conclut qu’il était un animal, différent des autres animaux, doué d’une âme équilibrée, semblable aux corps célestes ».

 

Des deux parties dont il était composé, la corporelle était la plus vile, et semblable aux substances célestes « extérieures au monde de la génération et de la corruption, exemptes des accidents de modification, de changement. » La seconde partie, la noble, la chose intelligente « c’était par elle qu’il connaissait l’Être nécessaire, elle est une chose souveraine, divine, immuable, inaccessible à la corruption, wa hadha echa-ï el ârif, amr rabbani, ilahi, la yestahil wa la yelhaqhou el fassad ». 

Ces constations l’amenèrent d’une part à prendre pour modèles ces corps célestes auxquels il ressemblait, c’était pour lui une obligation, d’autre part à « s’occuper et à entretenir son corps, qui ne lui avait pas été donné en vain, par des actions semblables à celles de tous les animaux. » Il se devait, par différents objectifs, de s’assimiler aux animaux dépourvus de raison, aux corps célestes et à l’Être nécessaire. « Il comprit que son but suprême était l’assimilation à l’Être nécessaire. Il comprit aussi qu’il ne pouvait faire l’impasse sur les deux autres. Il fit un plan détaillé des règles à respecter pour atteindre ses objectifs. 

Puis il s’enferma dans sa caverne. « il y demeura immobile, tête baissée, paupières clauses, s’abstrayant des objets sensibles et des facultés corporelles, concentrant ses préoccupations et ses pensées uniquement sur l’Être nécessaire, sans lui associer rien d’autre. » Il mangeait peu, parfois pas du tout. Il évacuait de sa mémoire, de sa pensée toutes les choses autres que son essence propre. Il n’arrivait pas à faire disparaître son essence tandis qu’il méditait sur l’Être véritable et nécessaire et cela le rendait triste. Il persévéra jusqu’à la réussite, jusqu’à l’évanouissement de la conscience de soi. Famā zāla yatloubo el fanā ân nefsihi. Tout disparut de sa mémoire, de sa pensée à l’exception de l’Être un, le véritable. Hayy entendit alors même qu’il ne parlait ni ne comprenait : « Limani el-Moulkou el-yaouma lillāhi el-wāhidi el-Qahhāri » (S40/V16). Je ne peux, dit Ibn Thufaïl à ce propos, expliquer ce que le cœur ne peut concevoir. Il y a parmi les choses que notre cœur conçoit, celles qui s’expliquent difficilement, et d’autres plus difficiles encore, car il ne peut les concevoir. Celles-ci « ne sont pas renfermées dans les bornes de ce monde. » (in Quatremère op.cit.) Notre cœur ne peut concevoir ou se représenter ces choses qui n’appartiennent pas « au même monde, ou au même ordre que nous ». Il est important de préciser que le substantif « cœur » ne renvoie pas à l’organe corporel, mais à sa forme entendue comme essence. Monsieur Gauthier explique qu’Ibn Thufaïl « s’est manifestement inspiré d’El-Ghazāli : « j’entends par ‘‘cœur’’ l’essence de l’esprit de l’homme et non pas l’organe fait de chair et de sang commun au cadavre et à la bête. »

 

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- lundi 11.12.2023- 15/18

 

Monsieur Gauthier explique qu’Ibn Thufaïl « s’est manifestement inspiré d’El-Ghazāli : « j’entends par ‘‘cœur’’ l’essence de l’esprit de l’homme et non pas l’organe fait de chair et de sang commun au cadavre et à la bête. » Ici Ibn Thufaïl s’adresse plusieurs fois à ce correspondant fictif (cf. supra), ce frère généreux, sincère, affectionné, qui lui a demandé de l’aider dans la connaissance. Il utilise (en une quinzaine de lignes) de nombreux équivalents pronoms personnels, adjectifs possessifs et l’impératif présent : « tu », « te », « t’ »  « ton », « attache », « écoute », « regarde ». Ibn Thufaïl met en garde son correspondant, car « l’entreprise est périlleuse ». Comment expliquer l’inexplicable par des mots ? Alors, dit Ibn Thufaïl à son correspondant, après lui avoir donné des détails sur l’état d’esprit de Hayy après son retour de son état « qui ressemblait à l’ivresse », « ne me demande pas d’explication plus ample ». 

Dans la foulée de cette séquence, Ibn Thufaïl introduit un « basculement du roman » avant la dernière ligne droite.  Il s’établit dans l’esprit de Hayy une confusion qui l’orientait sur une voie « périlleuse ». Non, il n’y a pas « d’unification complète de l’intellect humain et divin ». Un célèbre prédécesseur, fils de cardeur de laine, a payé de sa vie cette conviction erronée pour l’avoir énoncée haut et fort. Hayy comprit qu’il s’était égaré. Parvenu à un pur effacement de soi, il a vu que les sphères possèdent chacune une essence séparée, sans matière, que cette essence a une perfection, une beauté, immenses, « ce qu’aucun œil n’a vu, qu’aucune oreille n’a entendu ». Cela renvoie à un autre hadith qodsi. Il vit plusieurs sphères d’étoiles, d’autres sphères comme Saturne et fit de nombreuses observations sur leurs essences, puis « enfin il arriva au monde de la génération et de la corruption, le bas monde » (selon Quatremère), il vit que l’essence est exempte de matière comme les autres, mais qui n’est aucune de celles qu’il avait déjà constatées. Cette essence du « bas monde » possède des dizaines de milliers de visages, dont chacune possède autant de bouches, et les bouches autant de langues « pour louer l’essence de l’Être unique. » Puis il vit qu’il possédait lui-même une essence séparée, dont on peut dire qu’elle est une partie de l’essence des dizaines de milliers de visages si seulement leur essence pouvait être divisée. « Si seulement ».  Il vit des essences semblables à la sienne ayant appartenu à des corps qui n’existaient plus et d’autres qui existaient encore, d’autres semblables à des miroirs polis, « plongées dans des douleurs sans fin ». Sorti de cet état d’effacement de soi, un état « semblable à la pâmoison », le monde sensible lui apparut.

À une remarque que lui aurait fait son correspondant en faisant un parallèle entre les essences séparées et les miroirs à réflexion, Ibn Thufaïl ne serait pas allé plus avant et aurait répondu que « le champ de l’expression est étroit et que les mots prêtent à imaginer des choses fausses. » Il lui aurait ajouté qu’il a fait l’erreur en mettant sur un même plan « l’objet auquel on compare et l’objet qu’on lui compare ». Puis il lui aurait donné ces raisons que voici : « Le soleil et sa lumière et son image et les miroirs…sont inséparables des corps qui ne subsistent que par eux et en eux… tandis que les essences divines sont libres des corps et de ce qui en dépend. » À la suite de ce développement, Ibn Thufaïl cite en appui plusieurs extraits du Coran. À ce propos, notons que dans sa rissala Ibn Thufaïl cite directement trente-neuf fois des versets du Coran ( et y fait allusion à quatre reprises). Puis il poursuit en lui « racontant la fin de l’histoire. » Il s’agit en fait de la dernière partie.

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- mardi 12.12.2023- 16/18

 

4_ La fin de l’histoire de Hayy ben Yaqdhân 

 

Ibn Thufaïl cite en appui plusieurs extraits du Coran. À ce propos, notons que dans sa rissala Ibn Thufaïl cite directement trente-neuf fois des versets du Coran ( et y fait allusion à quatre reprises). Puis il poursuit en lui « racontant la fin de l’histoire. » Il s’agit en fait de la dernière partie.

 

« Quant à la fin de l’histoire, je vais te la raconter » écrit Ibn Thufaïl à son « frère généreux, sincère, affectionné », à son cher ami. Aussitôt revenu de son expérience, de l’état de « ceux qui possèdent la vérité » – la station ou maqām – expérience hors du monde sensible, Hayy ben Yaqdhân fit l’effort d’y retourner. Le monde de la corruption le répugnait. Il y est arrivé progressivement en renouvelant l’expérience et en y consacrant de plus en plus de temps. Il rencontrait de moins en moins de difficultés, malgré son corps qui refusait de suivre. Hayy avait atteint 50 ans.

Dans une île voisine à celle où vit Hayy, s’était introduite « une des religions de bon aloi » – il s’agit en fait de l’Islam – à laquelle les îliens adhéraient de plus en plus nombreux, dont deux hommes qui s’y convertirent avec passion. L’un se nommait Açāl ( ou Absāl chez Ibn Sina, personnage féminin) et l’autre Salāmān. »  Açāl cherchait à découvrir le sens mystique de cette religion, alors que Salāmān, le prince de l’île, s’intéressait au sens littéral, pas à « l’interprétation allégorique, du libre examen et de la spéculation. » (Açāl kāna ached ghawsen âla el-bātin… wa emma Salāmān fakāna akthar ihtifādhen bi edhāhir wa ached bâden âni etta’wīl wa awqafa âni ettasarrouf wa etta’ammoul.) 

Certains passages de cette religion encourageaient à la retraite, d’autres recommandaient la vie en groupes. Açāl choisit la retraite alors que Salāmān lui considérait la retraite comme un égarement et préférait la société des hommes plus à même de les éloigner des mauvaises pensées. Cette différence de vue les sépara. Açāl connaissait l’île où Hayy vivait, une île au bon climat, fertile. Il la pensait idéale pour y finir ses jours, loin de la société des hommes. Il se débarrassa de tous ses biens matériels en les distribuant aux pauvres, affréta une barque et se rendit sur l’île. « Les matelots l’y débarquèrent et le laissèrent. » Açāl pouvait commencer sa vie d’ascète et entamer l’apprentissage de l’isolement. De son côté Hayy ben Yaqdhân continuait sa vie dans sa grotte, « il jeûnait pendant quarante jours. Il s’entraînait à séparer son intellect du monde extérieur et de son propre corps ». Ses pensées étaient orientées sur l’Être nécessaire, lui seul. Il ne sortait de la caverne que périodiquement pour constituer sa réserve de nourriture. 

Un jour, Açāl et lui se croisèrent. Hayy n’avait jamais vu d’être humain avant Açāl dont il prit la tunique noire pour sa peau naturelle. Açāl prit Hayy pour un ermite, un homme qui avait comme lui fui les autres hommes. Il tenta de le fuir, craignant d’être détourné de sa retraite. Hayy retrouva Açāl et réussit de s’en approcher sans que celui-ci ne s’en rende compte. « Il l’entendit lire et louer Dieu, il entendit une belle voix et des articulations ordonnées tel qu’il n’en avait entendu proférer par aucun animal. Il vit ses larmes. » À force de tâtonnements, de voisements, de mots, ils finirent par s’accepter. Hayy abandonna provisoirement sa station sublime (maqām el karīm) pour mieux connaître Açāl, à l’humanité duquel il accède. Açāl apprit à Hayy le langage. En un temps court, Hayy apprit à parler. Il raconta à Açāl les détails de sa vie dans l’île, qu’il a été élevé par une gazelle, lui dit son ignorance de ses origines et qu’il ne savait pas s’il avait des parents. Il lui détailla les connaissances qu’il avait acquises concernant la vie, le ciel, les essences séparées du monde sensible, l’essence de l’Unique. Açāl, après l’avoir entendu, ne vit que proximité entre ce qu’a vu Hayy dans son « état sublime » et la révélation coranique « concernant Dieu, ses anges, ses envoyés, le paradis… » Il voyait qu’il y avait « concordance de la raison et de la tradition ». Açāl « devenait un de ‘‘ceux qui savent comprendre’’ ». Il eut alors une grande admiration pour Hayy et celui-ci lui proposa de se raconter à son tour. Açāl détailla la vie dans l’île qu’il avait quittée, avant « d’avoir reçu la religion » et la vie depuis : « le monde divin, de la résurrection… Hayy n’y vit rien qui s’opposât à ce qu’il avait vu pendant sa contemplation, dans la station de ceux qui possèdent la vérité. Il reconnut que celui qui avait tracé et propagé ces descriptions avait été envoyé par son Seigneur ». Hayy considéra Açāl comme un homme véridique, digne de confiance, et Açāl trouvait « avec étonnement dans le système philosophique découvert par Hayy ben Yaqdhân, une interprétation transcendante de la religion que lui-même professe ».

 

(à suivre)

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- mercredi 13.12.2023- 17/18

 

Hayy considéra Açāl comme un homme véridique, digne de confiance, et Açāl trouvait « avec étonnement dans le système philosophique découvert par Hayy ben Yaqdhân, une interprétation transcendante de la religion que lui-même professe ».

 

Hayy le questionna sur les règles de cette religion. Açāl lui décrit alors « la prière, l’aumône légale, le jeûne, le pèlerinage… Hayy accepta ces obligations et s’y soumit. » Léon Gauthier écrit en note que « cette énumération des règles, jointe à la liste de dogmes et de symbole qui précède, ne laisse aucun doute : c’est de la religion musulmane qu’il s’agit. » Mais l’utilisation des allégories, l’autorisation de l’acquisition de richesses et du recours excessif aux aliments, étonnaient Hayy qui considérait que « les hommes se livraient à des occupations vaines et se détournaient de la Vérité ». Hayy le pur ne sait alors rien de la réalité des hommes, de leurs divisions, de leurs hiérarchies, de leurs mésententes, de la vanité, de leurs prétentions, de leurs desseins… il ne sait rien de leurs potentiels, du champ de leurs possibilités. Il n’avait jusque-là jamais vu qu’un seul être humain autre que lui-même. Plein de bonne volonté, il se proposa d’aller apporter la vérité aux hommes de l’autre île, pour leur salut. Un navire « ayant perdu sa route » s’est approché de l’île par erreur. Açāl et Hayy embarquèrent et se retrouvèrent sur l’île voisine d’où était parti Açāl. Il présenta Hayy à ses amis très instruits. Açāl l’avisa que « s’il ne réussissait pas à les instruire, il réussirait moins encore à instruire la masse ». C’est bien ce qui arriva. À peine s’était-il élevé au-dessus du vulgaire – du sens commun, exotérique – que Hayy s’est vu confronté à leurs préjugés. Ils désertèrent ses réunions. Ses vérités les ont « rebutés, effarouchés. Leur infirmité naturelle » les empêchait d’y accéder, alors même « qu’amis du bien ils désiraient le vrai ». Hayy le philosophe, le « symbole de l’Intellect actif », et Açāl le religieux étaient convaincus, comme Ibn Rochd que la philosophie (ou la raison) « est la compagne de la Révélation, sa sœur de lait » (cf. L’Accord de la Religion et de la Philosophie. Traité décisif.)

Quant à Hayy, il désespéra, voyant que la majorité des hommes « prenaient pour dieu leurs passions (Coran S25/V43) et pour objet de leur culte leurs désirs. » Pour la plupart, le profit qu’ils pouvaient tirer de la Loi religieuse concernait leur vie présente. « Le commerce et les transactions les empêchaient de se souvenir du Dieu Très-Haut … les biens qu’ils poursuivaient ont, comme une rouille, envahi leurs cœurs… absorbés par le soin d’amasser, jusqu’à ce qu’ils visitent la tombe » (S24/V37, S83/V14 et S102/V1, 2). Depuis la rencontre entre les deux hommes, Ibn Thufaïl fera de nombreuses fois référence directe au Coran dont il citera 23 versets. Hayy fit le constat que la plupart des gens « sont au rang des animaux dépourvus de raison. »

 

(à suivre)

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 Nous voilà arrivés au terme de la Rissala d’Ibn Thufaïl. La recension n’a pas été de tout repos, compte-tenu de l’objet traité. Il va sans dire que l’auteur a eu maille à partir avec nombre de ses contemporains érudits notamment. Dans ce récit, Ibn Thufaïl interroge la capacité de la raison humaine, la complémentarité entre l’intuition et la pensée. Et puis, est-ce que tous les hommes peuvent atteindre l’état de perfection, la Vérité ?

Il va sans dire que l’auteur a eu maille à partir avec nombre de ses contemporains érudits notamment, et de nombreux suivants jusqu'à nos jours. Il suffit de lever les yeux, il suffit de prêter l'oreille. Un gouffre d'ignorance, y compris de la part de certains (dans les mosquées, dans les médias - hautement affligeants - prétendant à la connaissance). Dieu nous en garde.

 

Voici donc le dernier volet du long compte-rendu de Hayy

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 DERNIÈRES LIGNES DE "Hayy ben Yaqdhân"


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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- jeudi 14.12.2023- 18/18

 

Hayy fit le constat que la plupart des gens « sont au rang des animaux dépourvus de raison. »

 

Il perdit tout espoir et comprit alors la prudence des paroles du Prophète (S), il comprit que « il y a des hommes pour chaque fonction, que chacun est plus apte à ce en vue de quoi il a été créé. » Découragé, il se rendit auprès de Salāmān et de son entourage pour « leur présenter ses excuses pour les discours qu’il leur avait tenus et s’en rétracta. Il leur déclara qu’il pensait comme eux et leur recommanda de suivre les rites extérieurs (el a’māl edhāhira) » et de poursuivre dans leur voie et leur conseilla de s’éloigner de la grande masse. Hayy et Açāl avaient reconnu qu’il n’y avait pas d’autre voie de salut pour ces gens, la masse, « catégorie moutonnière et impuissante ». « On ne pouvait les élever sur les hauteurs de la spéculation sans qu’ils subissent un trouble profond, sans qu’ils finissent mal. Par contre, s’ils demeuraient dans leur état actuel jusqu’à leur mort, ils obtiendraient le salut. » L’enseignement ésotérique (el-bātin) de Hayy est rejeté. La « masse » n’est sensible qu’au discours exotérique (edhāhir). Il y a une divergence notable entre Ibn Thufaïl et Ibn Rochd quant à cette question. Autant pour Ibn Thufaïl, il faut protéger les théologiens que leur littéralisme sauvera et abandonner à elle-même « la masse dévoyée qui croit mal », autant pour Ibn Rochd, c’est la masse des croyants « simples et sincères » qu’il s’agit de protéger contre les « théologiens, dialecticiens et dangereux » (cf. J.B. Brunet, in : « Hayy ibn Yaqdhân », Conférence Conscience soufie (Paris) 30 mai 2021. Dépités, Hayy et Açāl retournèrent dans « leur île ». « Ils adorèrent Dieu jusqu’à leur mort. » 

Telle est « l’histoire de Hayy ben Yaqdhân, d’Açāl et de Salāmān. » Elle relève de la science cachée. « En publiant ce récit nous nous sommes éloignés de la ligne de conduite suivie par nos vertueux ancêtres ». Ibn Thufaïl règle ses comptes à ces « philosophes de ce siècle ». Il s’agit notamment d’Abu bekr ben es-Saïgh (Ibn Bajja/ Avempace) dont il dit qu’ « un voyage à Oran a perturbé » (supra), Avempace qui l’a pourtant influencé et qu’il apostrophe : « Ne déclare pas douce la saveur d’une chose (que) tu n’as pas goûtée, et ne foule pas aux pieds les nuques des hommes véridiques. » Ibn Thufail qui sait parfaitement combien il est dans ce domaine « difficile de s'exprimer par des paroles » sinon par – aussi – des imprécisions, conclut avec élégance cet épitre « Hay ben Yaqdhân dans les secrets de la philosophie illuminative », ce « chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse » par ces mots : « Je prie mes frères qui liront ce traité de recevoir mes excuses pour ma liberté dans l’exposition et mon manque de rigueur dans la démonstration. Je ne suis tombé dans ces défauts que parce que je m’élevais à des hauteurs (que) le regard ne saurait atteindre, et voulais en donner, par le langage, des notions approximatives, afin d’inspirer un ardent désir d’entrer dans la voie... À Dieu je demande indulgence et pardon. » 

 

Tel est le roman qui, avec d’autres livres de falācifa arabes (précisément d’expression arabe), influença le développement de la scolastique européenne et de la Pensée globale. Jusqu’à nos jours, malgré des réticences qui relèvent de la confusion idéologique, les lumières andalouses continuent d’irriguer les grands Instituts et universités du monde. Le sont-elles et le seront-elles un jour dans le monde « arabo-musulman » ? 

 

Ahmed Hanifi,

Écrivain, voyageur etc.

Marseille, le 15 octobre 2023

 

Fin de la recension. Merci d’avoir été patients.

 

Nb : cet article a été adressé à un Quotidien algérien qui n’a jugé utile ni d’y donner suite, ni (le minimum), d’en accuser réception… un Quotidien qui ne m’avait jusque-là jamais claqué la porte au nez. Il est vrai que sa pagination a été drastiquement réduite. M’enfin bref…. 

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