Rechercher dans ce blog

mardi, mars 31, 2020

692_ Mon atelier d’écriture, confiné


« photos d’une bibliothèque et son contenu » 


 (1) Ici la photo d’où germa l’idée de cet atelier


« photos d’une bibliothèque et son contenu » 

 Tout a commencé le matin de ce 4° lundi du mois de mars – il y a donc quatre jours – avec cette image trouvée sur Facebook (1) intitulée Labyrinthe de livres, elle montre deux adolescents courant dans un dédale de livres… La photo illustre l’occupation du temps en un lieu clos ou dans « un labyrinthe de livres ». Ce lundi ouvre la deuxième semaine de confinement (ordonné le mardi 17 à compter de midi). Le confinement nous oblige, par définition, à rester dans un lieu fermé sauf exceptions comme par exemple effectuer des « déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle, soit à la promenade… » Du coup, j’ai réduit à peau de chagrin ma marche quotidienne, pourtant hautement recommandée par mon médecin traitant « au moins 10000 pas ! » Me voilà confiné comme le gardien du phare de Langoz ou de Nividic en temps de tempête. Je passe mon temps dans mon bureau à errer de Facebook à YouTube en passant par des sites de toutes sortes. Mais, avec ou sans coronavirus, je continue de lire et d’écrire. Plus d’écrire, des heures durant. Ce matin, en regardant cette belle photo (1) des deux jeunes ados courant dans un dédale de livres, une idée a germé dans mon esprit. Je me suis dit que moi aussi je pouvais courir au cœur de ma bibliothèque, de mon labyrinthe de livres et monter un atelier d’écriture créative, ce que des années durant j’ai pratiqué (avec des élèves de tous niveaux et aussi des adultes, au profit d’associations, parfois de prisonniers), mais aujourd’hui sans aucun participant sinon moi-même « joueur et arbitre ». Le temps de jadis à naguère, avec ou sans regret, est révolu. Alors, par où et comment commencer ? Par la photo justement. Dans la préparation d’un atelier d’écriture créative il est important de choisir « la situation initiale » sur laquelle reposera tout l’atelier. J’ai choisi celle de la combinaison « photos d’une bibliothèque et son contenu ». On peut apporter aux ateliers d’écriture créative autant de nuances qu’il y a de couleurs.  
J’ai donc pris des photos, beaucoup. Il en a fallu 44 pour balayer tous les rayons de ma bibliothèque, celle de mon bureau. Une à deux photos par casier. En moyenne chaque photo montre deux douzaines de livres. Beaucoup d’autres livres de vieilles éditions (voir photo n° 16)…, classés en deuxième rangée, ne sont pas visibles sur les photos. Je me suis contenté de travailler sur les titres apparents, en respectant des consignes ou contraintes élaborées en amont.
J’ai extrait parmi ces mille livres un par photo. J’ai ensuite feuilleté chacun des 44 livres choisis au hasard (plus ou moins), pour en extraire au hasard aussi (plus ou moins) un court passage de cinq phrases maximum. J’ai ensuite mis bout à bout les 44 courts textes en intégrant un apport personnel de deux phrases maximum (ou segment de phrases) pour faire jonction entre les extraits de livres. Cet ensemble j’ai « monté un texte » plus ou moins cohérent. Habituellement, avec les groupes de jeunes (ou non) je ne proposais pas autant de livres, deux ou trois par participant selon l’importance du groupe. À la fin de l’exercice, chacun lisait son texte que l’on portait au tableau, puis, dans un capharnaüm (obligé) indescriptible, ils en faisaient un texte global cohérent. Nécessairement nous abordions tel ou tel auteur, tel ou tel type de roman, de contenu, d’écriture…
Pour ce qui concerne l’exercice présent, j’ai retenu, comme écrit plus haut, un extrait par livre, soit 44 en tout. Je les ai ensuite classés de sorte qu’ils forment un ensemble censé sans quoi le jeu ne vaut rien. Cela n’a pas été facile et cela n’est pas toujours aisé. J’ai gardé les textes des auteurs quasiment tels quels. J’ai réduit au maximum mes interventions d’où les concordances de temps par exemple boiteuses. L’essentiel est ailleurs. Il a fallu que j’ajoute entre les extraits des auteurs ou au cœur des extraits eux-mêmes mes propres mots (ils sont en italique), mais cela fait partie du jeu, une contrainte parmi d’autres. Les nombres entre parenthèse renvoient aux titres/auteurs que l’on retrouve en fin du texte.
Voici d’abord la liste des 44 ouvrages. Puis ensuite le résultat de l’atelier
_______________________
Liste des ouvrages
1 : Amin Malouf- Les désorientés p 357
2 : David Grossman-Une femme fuyant l’annonce-p 95
3 : Philippe Roth- Némésis- page 157
4 : Carlos Liscano- Souvenirs de la guerre récente, p 43
5 : Jack Kerouac- Sur la route, 173
6 : Basho, Issa, Shiki- L’Art du Haïku, p 130
7 : Alessandro Barico- soie, p 15
8 : Marie Ndiaye- Trois femmes puissantes, p 250
9 : Mahmoud Darwich- La terre nous est étroite, p 215
10 : Attac- Transgénial !, p 98
11 : Edgar Morin- La méthode : 5-L’humanité de l’humanité, p 330
12 : Jorge Luis Borges- Fictions, p 96
13 : William Faulkner- Lumière d’août, p 527
14 : Michel Foucault- Surveiller et punir, p 294
15 : Georges Friedmann- Le travail en miettes, p 221
16 : Edouard Dujardin- Les lauriers sont coupés, p96-97
17 : Laurent Gaudé- De sang et de lumière, p 11 
18 : Arthur Rimbaud- Œuvres, Une saison en enfer, p 193
19 : Blaise Pascal- Pensées, p 76
20 : Littré- Tome 5, p 5720
21 : Marcel Proust- Du côté de chez Swann
22 : Homère- L’Odyssée, p 171
23 : Taha Hussein- Le livre des jours, p 224
24 : Tahar Ben Jelloun- La réclusion solitaire, p 39
25 : Ahlam Mostegnanemi- Le chaos des sens, p 360
26 : Salim Bachi- Autoportrait avec Grenade, p 45
27 : Isabelle Eberhardt- Amours nomades, p 49
28 : Abdelkader Djemaï- Zorah sur la terrasse, p 83
29 : Kaoutar Harchi- Je n’ai qu’une langue…, p 282
30 : Marsa- Jean Sénac, Pour une terre possible, p 212
31 : Mohamed Nedali- Morceaux de choix, p 112
32 : Ibn Khaldoun- Discours sur l’Histoire universelle T3, p 1214
33 : Saint Augustin- Confessions, p 422
34 : Jacques Ferrandez- L’Étranger (BD), p 64
35 : Albert Camus- Noces suivi de l’été, p 108
36 : Les Cahiers de l’Orient- 4°tr. 1994, 1° tr. 1995
37 : Pierre Bourdieu- Raisons pratiques, p 15
38 : El Hadi Chalabi- La presse algérienne au-dessus de tout soupçon, p 16
39 : Larousse : Encyclopédie médicale de la famille
40 : Dominique Eddé- Edward Said, le roman de sa pensée, p 57
41 : Ahmed Hanifi (désolé) Le choc des ombres, p 244
42 : Encyclopédia Universalis- Tome 18, p 133
43 : Encyclopédia Universalis- 1999, p 472
44 : JMG Le Clézio- Histoire du pied (ma lecture actuelle), p 259
___________________________




Résultat de l’atelier 

Pour commencer Le terme ‘‘photography’’ (des termes grecs ‘‘lumière’’ et ‘‘inscription’’ ou ‘‘écriture’’) a été créé en 1836 par sir John William Herschel, en Angleterre, pour désigner l’action ‘‘scriptrice’’ de la lumière sur certaines surfaces sensibles. (42)
Ensuite les textes. Je dois dire que Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : ‘‘je m’endors.’’ (21) C’est décidé, Je monte à Paris, armé, dissident et heureux. Face aux heures noires, il me reste cet îlot, l’amitié de quelques-uns, la vôtre et l’espoir d’un soleil imputrescible. Avec cela, on peut affronter le dédale. (30) À propos de dédale tiens, je me souviens de Didier Le soir, il sortait avec des gens de son âge pour aller, en des endroits qui ne conviennent pas aux savants, entendre de la musique qui n’était pas faite pour les hommes graves ; enfin il prenait des plaisirs normalement interdits à ceux qui détiennent des fonctions religieuses. (23) Nous nous retrouvions au bistrot de la rue de la Charbonnière C’était un bistrot où on servait de grandes tasses de désolation, de lassitude et de tristesse ; de la bière à la pression et du vin ordinaire. C’était un dimanche matin ; le moment suprême du tiercé et des combinaisons bourrées de rêves petits et courts. J’étais bien habillé. (24) Un soir, il racontait son enfance à un peintre du nord de la France rencontré là Il n’y avait pas de calendriers illustrés, de portraits sous-verre ou de tableaux accrochés à nos murs. Sur ceux de votre enfance à Bohain-en-Vermandois non plus. Les seules images que je regardais étaient celles des livres de classe, des bandes dessinées, les photos de films et l’affiche en couleurs placardée au fronton du Kid, qui me faisait parfois rêver et voyager loin. (28) Le peintre préférait parler littérature  L’œuvre d’Octavio Paz est en cours de publication, sous la direction de J.C. Masson, dans la bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, où sont déjà publiés la plupart de ses livres traduits en français. (43) La pensée développée dans cet ouvrage a été une pensée par cas, ancrée dans un terrain, bornée par un certain espace et une certaine temporalité. (29) L’auteur mexicain a beaucoup été imité disait Didier et cela lui déplaisait Tel écrivain tente de reprendre à son compte l’œuvre d’un ancien auteur, avec d’autres mots et une disposition différente : c’est du plagiat pur et simple. Tel autre supprime des passages essentiels, ou mentionne des choses inutiles, ou remplace le vrai par le faux. Tout cela n’est que présomption et ignorance. (32) Quant à moi, je pensais à mon poème pastiche de Mouloudji J’avais glissé ce poème dans mon carnet noir. J’eus brusquement envie de le relire, de voir l’effet qu’il aurait sur moi, en ce lieu. (25) Je pensai à un labyrinthe de labyrinthes, à un sinueux labyrinthe croissant qui embrasserait le passé et l’avenir et qui impliquerait les astres en quelque sorte. Plongé dans ces images illusoires, j’oubliai mon destin d’homme poursuivi. (12) Je n’ai pas osé, peur du ridicule, c’est que Nous sommes dans plusieurs jeux, joués, jouets, mais en même temps joueurs. Toute existence humaine est à la fois jouante et jouée ; tout individu est une marionnette manipulée de l’antérieur, de l’intérieur et de l’extérieur, et en même temps un être qui s’auto-affirme dans sa qualité de sujet. (11)
Je les ai quittés tard dans la nuit pour rentrer chez moi Bercé par le roulis du taxi, des pensées décousues, sans lien aucun, me traversent comme des nuages gris, puis m’abandonnent sous la lumière écrasante. Je me souviens d’un jour semblable, où malade à en crever, je sentis que mourir sous l’éclatant soleil serait un gâchis insupportable. (26) C’était une époque ou nous vivions sous tension à cause d’épidémies Après ces cinq ou six nuits, l’alerte cessa de sonner durant quelques jours. On l’entendit de nouveau, sporadiquement, pendant un mois environ, puis elle ne sonna plus, de manière définitive. (4) Les conducteurs  d’autobus de la ligne 8 et de la ligne 14 disent qu’ils refusent de traverser Weequahic si on ne leur donne pas des masques de protection. Certains refusent même carrément de passer par là. Les facteurs refusent de venir distribuer le courrier. Les chauffeurs de camion qui livrent les marchandises aux magasins, aux épiceries, ceux qui ravitaillent les stations-service, et ainsi de suite, refusent eux aussi de venir. (3)Je suivais la foule grossissante de ruelle en ruelle, la tête lourde, les oreilles encore bourdonnantes de fièvre, les tempes en feu, les coudes et les genoux douloureux. La pression de la foule m’emportait comme un long torrent. (31) Arrivé à la maison, je pensais à Ora À dix-neuf heures trente, ce soir-là, elle s’active dans la cuisine en T-shirt et en jean sans oublier, pour parachever le tableau, le tablier à fleurs de la parfaite maîtresse de maison : un vrai cordon bleu. Et tandis que casseroles et poêles fumantes frétillent sur le feu, que des volutes de vapeur odorante s’élèvent jusqu’au plafond, Ora se dit que tout ira bien. (2) Puis, je ne sais pourquoi, j’ai pensé à Ingrid Bergman dans Gaslight Tour à tour son visage est éclairé puis obscurci, tour à tour dans l’ombre indécise et dans le  blanc des lumières, tandis que s’avance la voiture ; près des becs de gaz, en effet, est une grande clarté puis, après les becs, un obscurcissement ; encore ; le gaz de droite brille davantage ; oh ! sa belle blanche face, blanche mat, blanche d’ivoire, blanche de neige obscure, dans le noir qui l’enserre, et tour à tour plus blanche, plus lumineuse dans des lumières, et dans l’ombre s’atténuant, et puis resurgissant ; cependant sur le bois uni du pavé roule la voiture où nous sommes ; doucement, entre sa robe, il prend ses doigts ; elle les retire un peu ; et il lui dit : votre visage dans cette ombre et ces clartés s’harmonisent exquisément… (16) Je pensais à la Grèce et à l’auto-stop avec Dora On est retourné sur la route en pleine nuit, et bien entendu il ne s’est arrêté personne, vu qu’il ne passait pas grand monde, de toute façon. Comme ça jusqu’à trois heures du matin. (5) Dora était samienne Samienne : Terre samienne, nom d’une sorte de terre blanche et gluante à la langue, qui vient de l’île de Samos, et qui a été employée en médecine. (20) Je veux dire samienne, grecque de Samos où je l’ai rencontrée. Elle était avec un type à tourner dans l’île Ils montaient, se tenant par la main, comme des enfants bien sages, l’escalier bleu, puis, soulevant le mince rideau voilant leur porte comme d’une brume légère, ils retrouvaient l’ivresse interrompue la veille, les mille caresses, les mille jeux charmants. (27) Ils me laissaient rêveur, plus rêveur que mélancolique. Le type était nerveux, il gesticulait Où irons-nous, après l’ultime frontière ? Où partent les oiseaux, après le dernier. Ciel ? Où s’endorment les plantes, après le dernier vent ? Nous écrirons nos noms avec la vapeur. (9)La presse alimente l’affrontement tout en voulant donner l’impression qu’elle informe sur son contenu et sa dimension. Elle n’est donc rien d’autre qu’un instrument au service de choix stratégiques dans un affrontement sans merci où l’enjeu reste la population. (38)Beaucoup d’intellectuels sacrifient par ailleurs à des stratégies de pouvoir qu’ils font passer avant ce qui est à mes yeux la première fonction de l’intellectuel, la fonction critique. (36)Mais ce nouveau  courant, bien qu’il doive s’accentuer avec les progrès de l’automatisme et l’apparition de nouvelles fonctions, ne constitue ni une solution universelle, ni une panacée. (15) Apparemment, un homme peut tout supporter. Il peut même supporter ce qu’il n’a jamais fait. Il peut même supporter l’idée que certaines choses dépassent légèrement la limite de ce qu’il peut supporter. Il peut même supporter l’idée que, s’il pouvait se laisser aller à pleurer, il ne le ferait pas. Il peut même supporter l’idée de ne pas se retourner, même quand il sait que se retourner ou ne pas se retourner, ça revient en somme à la même chose. (13)Voilà je touche au but/ et je ne suis pas mort/ fin de l’automne (6) Oui dit Dora en souriant. Elle était triste, mais elle souriait L’automne déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons. L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. (18) Le type l’a reprise. « La clarté, l’automne, l’hiver, le passé, le futur… » En quelle manière sont donc ces deux temps, le passé, et l’avenir ; puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Et quant au présent,  s’il était toujours présent, et qu’en s’écoulant il ne devînt point un temps passé, ce ne serait plus le temps, mais l’éternité. (33) L’éternité dans le cœur de la ville qui a changé depuis le tremblement de terre. On ne trouvait plus aucune trace, par exemple, de l’ancienne épicerie, du bouquiniste ou du vieux cinéma, celui devant lequel il était passé deux fois par jour, pendant des années, le matin autour de sept heures et le soir vers dix-huit heures trente. (10) J’étais triste lui dit Dora Curieusement ma colère est tombée d’un coup. J’ai ressenti une immense tristesse, je veux dire une immense fatigue. Je regardais cette ville, dont je connais chaque détour, chaque coin de rue, chaque coupole, parce que je n’ai jamais vécu ailleurs. (44)  Avant le tremblement dit le type, Au début des années soixante, cependant, l’épidémie de pébrine qui avait rendu inutilisables les œufs des élevages européens se répandit au-delà des mers, jusqu’en Afrique et même, selon certains, jusqu’en Inde. (7) Un virus implacable Virus : ce sont les plus petits agents infectieux que l’on connaisse. (39)Il faut survivre aux maladies,/ de celle qu’on attrape/ dans les rues éventrées des capitales immondes, de celles qu’on se transmet,/ de celles qu’on respire en famille/ attaché aux jambes d’une mère/ à ses seins,/ à ses bras,/ la mère/ qui n’en peut plus/ Mais se lève chaque matin en attendant de finir. (17)Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles, et, si on les a surmontés, le repos devient insupportable, par l’ennui qu’il engendre ; il en faut sortir et mendier le tumulte. (19) Le type, Il s’était levé puis, dans un soupir étranglé, presque un sanglot mais contenu, discret comme l’était cet homme, il s’était écroulé. (8) Appelle les pompiers lui ai-je dit, les pompiers Je parlerai d’un pays que je connais bien, non parce que j’y suis né, et que j’en parle la langue, mais parce que je l’ai beaucoup étudié… Est-ce à dire que ce faisant je m’enfermerai dans la particularité d’une société singulière et que je ne parlerai en rien de la Grèce ou de l’Algérie ? Je ne crois pas. (37)
Doria pleurait, elle semblait avoir perdu le fil de la réalité Autrefois, l’Occident reprochait à nos pays d’Orient leurs éphèbes et leurs femmes lascives, et aujourd’hui on nous reproche notre extrême pudeur. À leurs yeux, quoi que nous fassions, nous sommes toujours en faute. (1) Elle respira longuement Sur ces plages…, tous les matins d’été ont l’air d’être les premiers du monde. Tous les crépuscules semblent être les derniers, agonies solennelles annoncées au coucher du soleil par une dernière lumière qui fonce toutes les teintes. (35)
Plus tard, Doria me parlera de Larbi, cet ami abandonné qui n’aimait pas les journalistes « il te ressemble » Larbi : « le journaliste dit que nous sommes son cauchemar. Il répète ‘‘la France c’est plus la France, c’est l’Afrique.’’ Pourquoi ces gens-là ils nous humilient, pourquoi ils nous assassinent ? Ces gens-là ils nous poussent à détester nos parents, à renier nos arrières grands-parents et nos racines ». (41) Dora me dira aussi qu’un jour, alors qu’elle se promenait avec Larbi sur la plage ils entendirent derrière eux « S’il y a de la bagarre, toi Masson, tu prendras le deuxième. Moi je me charge de mon type… Toi Meursault, s’il en arrive un autre, il est pour toi. » (34)J’ai là cet étranger dont j’ignore le nom ; en ma demeure, après naufrage il est venu ; mais nous arrive-t-il des peuples de l’aurore ou de ceux du couchant ? (22) Elle me dit que Larbi s’était dressé contre les agresseurs Ne craignez-vous pas que le pauvre que l’on traduit sur les bancs des criminels pour avoir arraché un morceau de pain à travers les barreaux d’une boulangerie, ne s’indigne pas assez, quelque jour, pour démolir pierre à pierre la Bourse, un antre sauvage où l’on vole impunément les trésors de l’État, la fortune des familles. Or cette délinquance propre à la richesse est tolérée par les lois, et lorsqu’il lui arrive de tomber sous leurs coups, elle est sûre de l’indulgence des tribunaux et de la discrétion de la presse. (14) Ces mots de Larbi me renvoyèrent à ceux d’un vieil ami d’Edward. Derrière la révolte d’Edward Saïd contre le regard supérieur que porte l’Occident sur l’Orient, d’où naîtra ‘‘L’Orientalisme’’, se jouent deux libérations : d’un côté, la sienne vis-à-vis d’un père en accord avec le pouvoir du plus fort (l’Amérique) et, bien plus complexe, plus difficile à formuler, vis-à-vis d’une mère aussi possessive que changeante, et, puis enfin, sur le plan collectif : celle des peuples abusés par les dominants. (40) »
__________________________
Moralité de cet atelier ?
Faut-il qu’il y ait une moralité ? je ne sais pas, mais je sais que l’on peut, avec un minimum de volonté, vivre intelligemment en interagissant par exemple avec des écrivains de tous horizons, à travers leurs écrits, quitte à en dégager sa propre morale et une idée d’écriture pour soi-même.
___________________









691_ Confinement, mais.








Je me faisais cette remarque de bonne heure ce samedi matin en traversant un des champs en bordure de la ville. Je me disais que contrairement à il y a quelques semaines, lorsque j’entends le mot « confinement », je ne vois plus, n’entends plus, un régiment de canards sauvages cancaner à la lisière d’un étang ou d’oies blanches printanières cacarder dans une ferme, les uns comme les autres sans vergogne ni respect pour leur voisinage. Aussitôt après cette remarque je me suis demandé « pourquoi des oies ? » Je n’en savais rien et n’en sais toujours rien en fait, peut-être à cause de ces sympathiques syllabes « confi » ? Aujourd’hui le terme confinement me renvoie très justement à enfermement (et à « caserne », allez savoir pourquoi, je ne détaillerai pas au risque de me retrouver – et de vous entraîner – au cœur d’un complexe labyrinthe semblable à ceux de Borges).
Aujourd’hui, disais-je, lorsque j’entends « confinement », j’entends en même temps « enfermement ». « Restez enfermés (confinés) chez vous, sauf pour de courtes exceptions » entend-on régulièrement à la radio et à la télé. On peut déroger à la règle « pour, par exemple, pratiquer brièvement un sport individuel ». Les termes exacts portés sur l’Attestation de déplacement – que l’on doit absolument porter sur soi avec sa pièce d’identité sous peine d’amende – sont ceux-ci : « Déplacements brefs à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle… » Il y a d’autres exemples. Très bien. Mardi dernier lorsque je découvrais cette « Attestation de déplacement dérogatoire, je me suis demandé « mais que signifie ‘‘bref’’ ? » Le dictionnaire nous enseigne que le mot bref veut dire « Qui est court », « qui a peu d’étendue ». Comment puis-je continuer à marcher avec cette définition ? me suis-je alors questionné. Et que veut dire « proximité » ? Le même dictionnaire  répond sans se fouler « à faible distance, aux environs immédiats ». Faire le tour de deux, trois pâtés de maisons pensai-je. De gros pâtés alors, car il me faut répondre aux « recommandations fortes » de mon médecin « marchez une heure et demie par jour au pas accéléré ». C’est qu’il se fâcherait le toubib.
.Rester enfermé, sauf pour marcher, une fois par jour. J’ai donc continué à marcher ce mardi-là et  chaque jour comme les jours d’avant. Oui, il nous faut désormais dire « les jours d’avant », car depuis son déclenchement cette pandémie ravageuse de Coronavirus – une pierre blanche, plutôt noire – est un marqueur majeur pour notre monde, une frontière haute plantée entre deux mondes. Une date charnière. Une date historique comme la naissance de Jésus-Christ il y a 2020 ans (date erronée par ailleurs), où l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années. On dira « c’était avant le coronavirus » comme on dit « avant J.C » ou « après le coronavirus », ou encore « pendant le coronavirus ». Le monde d’après sera autre. Un nouveau monde naîtra demain à la suite de cette dramatique et scandaleuse expérience humaine, je l’ai rêvé et je l’ai récemment mentionné. Un monde qui fera de la fraternité une vertu cardinale, auprès d’autres. « naïf » ai-je entendu dans mon rêve. Nous sommes pour sûr des millions de naïfs à penser, espérer ce nouveau monde. Nous y croyons et nous l’espérons les bras décroisés, le corps et l’esprit en action. Évidemment. 
Mais revenons à nos oies d’aujourd’hui. J’ai donc continué à marcher mardi, mercredi, jeudi, vendredi et tôt ce matin comme les jours d’avant. Le soleil pointait au-dessus des arbres, bouffi d’insolence et impassible avec plus ou moins de vigueur, comme hier, et comme demain. Les fleurs du printemps « ces rêves de l’hiver » (Khalil Gibran) commencent à bourgeonner. Voyez la vigne ! Les rues étaient entièrement silencieuses. Le gazouillis des oiseaux, frénétique. Et mes pas qui se bousculaient. Au détour d’une ruelle, un homme surgit avec son petit chien noir au bout d’une laisse, tout frisé, un masque sur le visage. Il portait des gants aussi. Nous avons tous les trois, d’un même mouvement, sursauté. Le fox-terrier se blottit derrière son maître sans même aboyer. Nous avons dit (le monsieur et moi) en même temps « bonjour » sur un ton identique, empreint d’une légère inquiétude, plus que de surprise, le sien étouffé par le tissus. Le fox jappa en trépignant. J’ai traversé la rue et poursuivi mon challenge quotidien plongé dans mes pensées, mais en rasant les murs ou les arbres, comme si je ne souhaitais pas que l’on me voie. 
Ahmed Hanifi

690_ La pandémie enrayée, un monde nouveau est possible


C’est comme un nouveau rêve : la pandémie enrayée, un monde nouveau est possible à l’horizon.

Nous arrivons au terme d’un cycle, j’en suis persuadé et j’en ai rêvé. Je suis convaincu que le monde actuel est à l’agonie. Ce monde, où chez beaucoup hélas l’égocentrisme est un repère un modèle, a produit sa propre impasse. Ce monde dans lequel le marché, la mondialisation économique et financière qui contribue à la destruction d’une grande partie de l’humanité où 8 % des hommes possèdent 83% des richesses du monde, ce monde-là est à l’agonie. Un monde nouveau est possible au sein duquel les hommes n’auront plus les yeux braqués sur le Nasdaq et autres indices boursiers Cac 40, Dow Jones… Indices dont ce monde nouveau, au risque de le perpétuer, réduira drastiquement l’objet, à défaut de les supprimer.
La pandémie du Coronavirus, à la suite des grandes crises mondiales financière et économique de 2007 et plus, tombe à point. Et si cette pandémie ne nous abat pas, elle nous instruit, nécessairement – on ne paie jamais trop cher une bonne leçon. La pandémie du Covid 19 nous confirme la faillite de notre monde présent (frontières financières et marchandes ouvertes/frontières humaines fermées, inégalités béantes Nord/Sud, faillites écologiques, dérégulations multiples, repli sur soi accentué, gestion chaotique, etc.) Aujourd’hui, ce virus qui se propage à travers le monde, et qui risque de laisser derrière lui des dizaines de milliers de morts, nous offre l’occasion inespérée de le repenser, repenser notre monde.
Depuis le début de ce 21° siècle, des voix s’élèvent. Elles sont essentiellement jeunes et c’est très bien. Elles sont l’avenir. Depuis quelques années des initiatives germent et se multiplient un peu partout, pour qu’un monde nouveau redonne sa dignité à l’homme, pour qu’enfin celui-ci puisse se débarrasser de la course effrénée au gain, à la dégradation de l’environnement.
Un monde nouveau est possible où les pratiques abusives et inadmissibles de l’économie de marché incontrôlée au nom de la liberté d’entreprendre (ainsi l’obsolescence programmée…), seront bannies, comme seront dénoncées les pratiques d’exclusion, la course à l’évaluation individuelle, à la notation individuelle au détriment de la collectivité. Un monde nouveau est possible où il sera mis un terme au nationalisme étriqué source de guerres à d’autres hommes, lointains ou proches, ces métèques ou ces barbares. C’est une nécessité.
Un monde nouveau dans lequel consommer ce qui pousse dans et autour de sa ville, réduire la masse des déchets, les recycler, créer des monnaies locales (pour contourner la spéculation), mettre en commun les biens les plus lourds (les nationaliser), valoriser les loisirs seront des activités encouragées à travers des territoires bien plus grands que les initiatives locales actuelles. Un monde nouveau dans lequel la santé est appréhendée comme un bien précieux non négociable, hors comptabilité. Un autre monde possible est devant nous j’en suis convaincu, qui mettra fin aux crises écologiques, économiques et  sociales que traversent de très nombreux pays, et plus encore leurs classes intermédiaires et populaires. Espérons-le le plus proche possible. 

Un monde nouveau où les valeurs de solidarité et de partage diffusées à travers tous les territoires l’emporteront sur la course effrénée aux biens matériels de manière inconsidérée. Où la fraternité enfin, l’homme enfin, sera au-delà du verbe au cœur des hommes.
Encore faut-il que nous nous en donnions les moyens. Mais je l’ai rêvé.

Ahmed Hanifi,
Marseille, mercredi 18 mars 2020

lundi, mars 16, 2020

689_ Un jour ordinaire, au temps du Covid-19.


Une rue de la ville de M. dans le sud de la France, en PACA



Au Bled, pendant le ramadan, à l’heure de la rupture du jeun, dans les rues des villes et villages, plane un étrange silence. Les rues sont totalement vides des habitants, regroupés en famille autour du dîner. Un étrange silence, mais léger, un silence paradoxalement de réjouissances. Car nous savons que dans les maisons on écoute de la musique (chaabi), on échange des nouvelles, on rit… Le silence dont je vous parle ici est autre. C’est un drôle de silence, un silence lourd, qui nous enveloppe ces jours-ci et précisément ce matin ici où même les arbres ont perdu de leur superbe. Le clocher de l’église sonne un coup à 9 h pile, et au cœur de cette petite ville du sud de la France, les activités ont cessé. Rares sont les commerces qui, comme le petit Discount ou la boulangerie, sont ouverts. Les gens avancent à pas pressés. Habituellement ces mêmes rues du cœur de cette petite ville sont très agitées. Aujourd’hui il n’y a ni chansons, ni brouhahas, ni rumeurs. Rien. Pas même l’agitation des écoliers du boulevard Chave, astreints à étudier à domicile. Cet étrange silence est interrompu de temps à autre par le bruit du moteur des rares véhicules, par le crissement de leurs pneus ou par l’arrivée d’un train régional hasardeux, vide, qui ralentit mais ne s’arrête pas. Plus loin le piaffement d’oiseaux insouciants l’allègent. Il n’y a ni rat mort, ni docteur Rieux, mais elle rode un peu partout, la mort de l’autre peste, la mort du Covid-19, on le sait. France Inter indiquait tôt ce matin que le nombre de personnes atteintes du coronavirus en France s’élève à 5423 et que 127 personnes en sont décédées. Je presse le pas. Quelques personnes avancent, semblent se murmurer (à elles-mêmes), elles se rassurent peut-être. On évite de trop se rapprocher lorsqu’on se croise, au contraire on fait chacun un pas de côté, discret pour ne pas se froisser. Peut-être sourit-on avec gêne. Et on continue vers ses occupations, l’esprit agité. La poste est fermée. « En raison des directives gouvernementales, nous sommes contraints de fermer le bureau jusqu’à nouvel ordre. » Alors je n’ai plus rien à faire à l’extérieur. Pas le cœur à ma marche quotidienne (5 à 6 kms chaque matin). Dans son intervention télévisée de ce soir, le président Macron annoncera certainement des mesures de confinement. Au-delà du stade 3. Et probablement le report du deuxième tour des élections municipales. Et demain sera un autre jour.
 ________________

_________________




samedi, mars 14, 2020

688_ Le nouveau Muppet Show et le Coronavirus

 Je sortais ce matin du Consulat de Marseille lorsque Kada m’a téléphoné : « tu es où ? » Habituellement le samedi à cette heure-là je l’avais rejoint. J’aime bien descendre à Marseille les samedis, aller fouiner dans les rayons de la Fnac ou de la bibliothèque de
l'Alcazar, et surtout retrouver Kada mon ami de plusieurs dizaines d’années, et refaire, encore une fois, le monde, le nôtre mais pas que. Il y a tant de choses à dire sur tel et tel… généralement nos amis et généralement pour rire, pas plus. Mais là, j’ai été retenu au Consulat. J’avais le numéro P 38 et au guichet on répondait au client portant le numéro P 23. Client n’est peut-être pas le terme approprié, mais il faut savoir qu’on vous demande 5 € pour légaliser un document, comme dans une boucherie ou un autre magasin. Les samedis il y a plus de monde qu’en semaine. C’est comme le hammam, il y a plus de chance d’y rencontrer des connaissances, d’échanger… Quant à moi, cela me permet de régler deux coups en une descente, solutionner quelque problème administratif (en l’occurrence ce matin une procuration) et rencontrer mon ami Kada pour morigéner nos amis et tous les autres autour d’un verre de thé, leur trouver des travers, comme le faisaient si bien les deux vieux du Muppet Show (ça ne vous dit peut-être rien Kermit la grenouille et ses amis l’ours Fozzie, Piggy, les deux vieux ragoteurs Statler et Waldorf…) Ragoter, oui, voilà ce que nous faisons aussi quand nous nous retrouvons Kada et moi.

Moi : « J’arrive, tu es où ? »
Kada : « Chez Krimo derrière l’Alcazar »
Il y avait du monde chez Krimo Gambitta. Son café se trouve derrière l’Alcazar. À la terrasse trois personnes discutaient autour de Kada. Trois gars du Bled dont un, Hamid, que je n’avais pas vu depuis quelques semaines. Sur la table, des verres de thés à la menthe chauds et de tasses de graines d’arachides super salées (une dizaine de pigeons pas du tout intimidés, ils connaissent bien la maison, attendaient qu’on partage avec eux les cacahuètes) Lorsque je suis arrivé à leur auteur, Hamid s’est levé. Je lui ai présenté mon coude en souriant, je voulais lui dire bonjour en faisant un El bow bump, un peu comme on nous le montre souvent à la télé depuis la propagation du Coronavirus. C’est rigolo, (tout comme le check) et ça évite toute éventuelle contamination, à l’heure grave du Covid-19. Que n’ai-je pas fait là ! Hamid riait à gorge déployée et m’embrassa en jetant ses bras autour de mes épaules comme un reptile constricteur. 
Moi, en essayant de le repousser, mais c’était peine perdue : « ne prenons pas de risque khoya » 
Hamid : « aweddi khallik, koulch mektoub » 
Moi : « kifech mektoub, ah non, là ça va pas. Le monde entier essaie de se protéger et toi tu me dis mektoub »
Hamid, qui avait perdu son sourire : « en’âl echittan, kayna aya dgoulek ta destinée est écrite quoi que tu fasses » 
Moi : « alors suicide-toi directement si tu es contre la protection contre le danger du virus ! »
Un autre gars est intervenu après avoir insisté en me tendant la main « salam alikoum. Bon, je lui ai tendu la main, idem pour le troisième et également pour Kada.
Le gars : « ma ken walou si Mohamed. Si tu dois avoir peur c’est de Dieu seul, pas du corona. Hada el mard c’est Rabbi qui le veut, on n’y peut rien nous les humains. »
Moi : « tu ne crois pas à la Science, aux hommes de savoir ? »
Le gars : « ces gens sont mieux que Dieu ? »
Moi : « connais-tu ce verset ? “Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? ” Seuls les doués d'intelligence se rappellent. » (S 39)
Le gars : « Dieu est mieux que tout, il faut compter sur Dieu »
Moi : « et celui-ci tu connais ? ‘‘Iqra bismi rabbika elladi khalaqa…’’ » (S96), ya Sahbi, lis ! apprends au lieu de dire des conneries !



Le gars : « Koulch bel mektoub, Hamid te l'a dit. Ne t'immisce pas dans les affaire de Dieu, la cherk bi Allah.» (cherk = s'associer à Dieu...)
Moi: « Quel cherk mon ami? Regarde bien (j'ai pris son verre de thé), si je verse sur la table la moitié du verre, c'est el mektoub? et si je décide de lancer ce même verre sur la tête d'un idiot c'est el mektoub ? Qu'est-ce que tu fais de ma responsabilité intime, de ma conscience ? »

Sur ce, j’ai fait un signe à Kada, je souhaitais lui parler en aparté. Je lui ai dit deux, trois mots et me suis excusé « lorsque tu es avec des types comme ça évite-moi la punition, s’il te plaît, c’est fatigant. »
Aux autres gars, j’ai prétexté un autre rendez-vous pour mieux les fuir. Pas possible quoi. Ça se passe à Marseille, chez Krimo Gambitta, mais cela se passe également ailleurs en l’an de grâce 2020 après Jésus Christ, au temps de la robotique et de l’intelligence artificielle. Je vous jure qu’il y a trente, quarante ans ici en France, cet échange n’aurait même pas pu être imaginé, c’est dire la régression.
Heureusement, j’avais une petite bouteille de gel hydro alcoolique dont j’ai utilisé la moitié (35 ml) pour purifier mes mains de leurs crasses ignorances. Dans la bibliothèque de l’Alcazar, avant de monter à l’étage Littérature, j’ai utilisé un mètre de Sopalin pour me nettoyer le visage. 
A.H_ Marseille, le 14 mars 2020.
--------------

lundi, mars 02, 2020

687_ Les petits de Décembre, un roman de Kaouther Adimi



Je viens d’achever le dernier roman de Kaouther Adimi, « Les petits de Décembre ». Éditions Barzakh, Alger, 2019, 248 pages. Il est dédié « À Koteb, un des petits. » En exergue, figure les deux premiers tercets d’un poème de Mohammed Dib, L’Enfant-jazz. Ce roman a été écrit, probablement, jusqu’au premier semestre 2019. Il est paru en août de la même année. Quel sujet traite-t-il ? Celui de la résistance contre les puissants, précisément de la résistance d’un groupe de jeunes devant la toute-puissance de deux généraux.

Nous sommes à Dely Brahim, dans la périphérie sud-ouest d’Alger, près de Cheraga, et donc non loin du Club des pins, en février et mars de 2016. Des généraux sont sur le point de faire construire leurs villas sur le terrain de football des jeunes de la cité. Un « plan de la cité du 11 Décembre 1960 à Dely Brahim, Alger » est présenté en page dix. La ville est détaillée dans le chapitre 9 (il y en a 34).

Qui sont les protagonistes ? D’un côté des enfants qui ont pour habitude de jouer sur un terrain vague de « un hectare et demi », près de chez eux, appartenant au Ministère de la Défense et laissé à l’abandon depuis la construction de la cité. De l’autre deux généraux qui ont acheté ce terrain pour en faire des villas. Personnages auxquels on ajoute une voyante et une folle. Il faut noter que presque toutes les familles des personnages ont un lien plus ou moins direct avec l’armée.

Les enfants :
Ce sont pour l’essentiel Inès, Jamyl, Mahdi et Youcef. La dizaine en âge pour les trois premiers qui se connaissent depuis leur première année d’école, 20 ans pour Youcef.

Commençons par Inès et sa famille.
- Inès a onze ans. Elle n’a pas connu son père Amine, ni son oncle maternel, tué il y a vingt ans presque jour pour jour par l’explosion d’un camion devant la Maison de la presse. Il était étudiant en journalisme. La maman d’Inès, Yasmine, a été abandonnée par son mari alors qu’elle était enceinte, comme le fut sa grand-mère maternelle, une mère « de mauvaise vie ». Yasmine est très active, elle est juriste (pistonnée) dans une « entreprise publique de l’industrie pétrolière », où elle est harcelée, car sans mari. Yasmine a créé une association d’aide aux femmes, aime le jazz, fume, et elle est superstitieuse. La grand-mère d’Inès, Adila, est une ancienne Moudjahida qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle est connue et respectée. Elle a l’habitude de prendre des notes sur un calepin noir. Elle y raconte son passé, celui de l’Algérie des années 90, « Le GIA » et « Les GIA » (il est juste de faire précéder l’acronyme d’un article pluriel, car contrairement à la propagande officielle relayée par certains médias, ils étaient nombreux les groupes armés islamistes et sans commandement unifié). Raconter « la politique de la purge » menée par l’armée, « ai-je protesté… ai-je aidé ces femmes qui continuent à attendre le retour d’un mari, d’un fils, d’un père ? Les ai-je soutenues ? »

- Jamyl a dix ans. « Il est petit, grassouillet ». Il a un faible pour Inès. Depuis la mort de son père en 2007 dans un attentat à la bombe, il vit chez son grand-père paternel, un général à la retraite. On ne sait pas grand-chose de sa famille sinon qu’elle emploie une femme de ménage plus ou moins complice de Jamyl et des enfants en lutte auxquels elle apporte « un grand couffin plein de plats. » (C’est « une ancienne pauvre, grosse et très laide ».

- Mahdi. Sa maman est militaire. Son père a 47 ans, à 30 ans il fut blessé lors d’une attaque terroriste à Baraki. Depuis, il est sur un fauteuil roulant, sans jambes.

- Youcef a 20 ans. Il a une petite sœur qui fait partie elle aussi des enfants qui résistent. Youcef « est plus grand que son père » Mohamed. Celui-ci est âgé de 56 ans. C’est un colonel à la retraite. Il donne parfois des cours à l’université. Il a créé un parti politique d’opposition.

Les généraux :
Ils sont deux : Saïd et Athmane. Ils ont 70 ans. Ils se connaissent depuis vingt ans, « chacun a des dossiers sur l’autre ».
- Saïd est « un petit homme » qui est atteint d’un cancer. Il a été formé en URSS où on l’appelait « le nabot ». Il fut l’instigateur des purges des années 90. Il a trois enfants qui sont tous boursiers en France. L’un d’eux est impliqué dans une affaire de faux billets.

- Athmane a fait ses études en Grande-Bretagne. Il n’a eu aucun titre universitaire. Il a passé son temps à boire. Il a été recruté dans l’armée avec un faux diplôme. Il a des biens en Europe. C’est un grand et bel homme. Il fait appel à une voyante pour l’orienter dans ses choix. Il a un frère qui possède une entreprise de travaux publics qu’il aide grâce à sa position au sein de l’institution militaire. Avec son épouse « qui est du même village que lui » ils ont trois garçons et deux filles et cinq petits enfants (un par enfant).

Deux autres personnages
Le premier est celui de cette voyante que convoque de temps à autre le général Athmane et qui se fiche de lui (elle : « Quelqu’un vous veut du mal. Méfiez-vous des femmes en rouge », lui : Mon Dieu, mais on ne peut rien faire ?). Le second est celui de cette « vieille folle aux cheveux rouges tressés en couronne », qui apparaît à de nombreuses reprises, pour participer à la sauvegarde du terrain des jeunes, pour aider ceux-ci « Tu as besoin d’aide mon tout petit ? », pour repousser les généraux ou pour alerter du danger « Au feu ! » crie-t-elle à la fin du livre en tambourinant aux portes des maisons. La folie qu’exprime cette vieille édentée « permet à l’esprit d’entretenir un rapport naturel avec la vérité et le réel profond » dixit André Breton (rapporté par  Kahina Bouanane.)

L’intrigue
Nous sommes mardi 2 février 2016. « Depuis vingt ans maintenant, les enfants de la Cité, mais aussi de tout le quartier ont disputé des milliers de parties de foot. » Inès joue au foot avec ses camarades garçons, Jamyl et Mahdi. Il pleut sans discontinuer, mais les enfants sont heureux et rêvent de célébrité. Le lendemain, deux hommes arrivent « dans une voiture noire aux vitres teintées ». « Ils portent des lunettes de soleil alors qu’on est en février » dit Youcef. Le chauffeur des généraux stationne devant le terrain vague. Les militaires sortent des plans. Ils sont observés par Adila, depuis sa fenêtre. Ces deux hommes sont les généraux Saïd et Athmane. « On y est allés tous les trois et ça a vite dégénéré » en bagarre dit Youcef. Deux colonels à la retraite ont assisté eux aussi à l’altercation de loin d’abord – Cherif et Mohamed le père de Youcef, « deux amis qui, lorsqu’ils se rencontrent, « refont le monde » – puis ont essayé de s’interposer. « Ensuite, les généraux ont sorti leur arme ». Après l’école, Inès, Jamyl et Mahdi « découvrent des adultes en train de vociférer et de gesticuler » Youcef hurle, Adila « essaye de frapper » avec sa canne les deux généraux. Le lendemain, les journaux et les réseaux sociaux s’emparent de l’affaire. Youcef et Adila sont embarqués à la gendarmerie. Adila reconnaît les faits alors que le gendarme est impressionné par elle « je suis l’un de vos grands admirateurs » lui dit le gendarme. « Elle est relâchée avec les excuses des gendarmes. »

Youcef est vertement grondé par son père qui lui reproche d’être mêlé à cette affaire, mais Youcef ne regrette pas son action et « met son père devant ses contradictions » lui, son père, qui a créé un parti d’opposition. Mohamed et son épouse se rendent chez le général Athmane qui les attend ainsi que Saïd et leurs femmes. Ils présentent leurs excuses autour d’un café avant de se séparer. « Si un jour vous avez le moindre problème, appelez-moi. Nous avons besoin d’hommes comme vous » dit le général Athmane à Mohamed. Lui est content, « si on a les généraux de notre côté, on obtiendra enfin gain de cause après toutes ces années » confie-t-il à son ami Cherif.

Une semaine après la bagarre, le 9 février, les jeunes « échafaudent mille plans » car ils ne veulent pas se laisser voler leur stade… Ils font une liste de ce dont ils ont besoin. Trois semaines plus tard, les jeunes ont amassé  une tente, des couvertures, sacs de couchage et toute sorte de nourriture qu’ils entreposent la nuit sur leur terrain. « Ils préparent leur campement et montent un muret de briques, ramassent des pierres ». La révolte des « petits de Décembre » commence le vendredi 25 mars 2016. Des dizaines d’enfants arrivent des environs en solidarité, ainsi que des adultes, dont les généraux concernés eux aussi autrement décidés. Ces derniers demandent aux enfants de partir, car les travaux vont commencer, mais la résistance est forte, Adila filme la scène, la folle secoue leurs manches, les injures fusent. Les généraux se voient obligés de déguerpir, l’arme qu’ils dégainent ne leur sert à rien. Les réseaux sociaux s’y mettent, « la vidéo postée par Adila a été visionnée plus d’un millier de fois. » Les enfants poursuivent leur sit-in sans que les adultes dubitatifs ou même « lâches » s’y joignent.
Le directeur de la Sécurité, en réponse à la doléance exposée par le général Athmane contre les jeunes, promet qu’il va « faire comme d’habitude : création de milliers de faux comptes pour attaquer ceux qui diffusent. » Peu convaincu, le général souhaite que les agitateurs soient arrêtés, ce que veut éviter le directeur de la Sécurité « Si on intervient pour embarquer des mômes et une vieille dame qui a subi la torture des Français, les gens arracheraient les portes des prisons. » Bien au contraire répond Athmane « Les Algériens font ce qu’on leur dit de faire et ils ne sortent plus dans la rue depuis bien longtemps. » De son côté, Mohamed culpabilise « qu’ai-je fait moi pour lutter ? » alors que son fils, Youcef refuse d’écrire aux généraux pour s’excuser. S’il faut se battre « il faut se battre avec les mots » dit Mohamed à son ami Cherif.

Les événements s’accélèrent. Des dizaines d’enfants venus de toute la ville se dirigent vers le terrain pour en découdre, alors même que les adultes se contentent de regarder. Cette histoire des généraux ridiculisés par des enfants a passé les frontières, comme une contagion en Tunisie, au Maroc, « elle se transforma. »  
Athmane ne sait plus quoi faire et se demande « est-ce que j’ai bien fait d’acheter ce terrain ? » Il convoque sa voyante « je vous en prie, il doit être possible de faire quelque chose, non ? »
« Toute l’Algérie est en ébullition. » « Saurons-nous être à la hauteur de ces grands petits ? » s’enthousiasment les journaux. Encouragé par la Sécurité, un imam tente de raisonner les enfants « il ne faut pas se révolter contre l’ordre établi », mais ceux-ci le criblent de cailloux. Un vieux chef de parti, veut récupérer le mouvement de contestation. En vain.

Une nuit de mars, « la folle aux cheveux rouges hurle : « Au feu ! » On accoure, les pompiers sont alertés, la fumée est de plus en plus dense, le feu avale tout ce qu’il trouve » « ça ressemble à l’enfer ». Quelqu’un crie : « Attention, il y a quelqu’un qui tire avec un pistolet. » Le directeur de la gendarmerie conclut que c’est un accident. Les adultes demandent aux enfants, qui refusent, de quitter les lieux. Ils passent une nouvelle nuit sur le terrain mouillé.
Les deux dernières pages du roman sont écrites en italiques, une lettre laissée à la postérité par Inès, Jamyl et Mahdi : « Nous avons peu dormi. Deux ou trois heures, tout au plus… Nous nous sommes réveillés en même temps à cause du bruit des bulldozers sur le terrain… Sur la route, une voiture noire, et adossés aux portières, les deux généraux. Nous avons baissé la tête pour que les généraux ne voient pas nos larmes. Nous ne partirons pas. Ce printemps ne se transformera pas en une anecdote. Nous arracherons chaque brique qu’ils poseront et nous rendrons le terrain aux petits. » La bataille des petits est un échec, provisoire, d’autres batailles sont inscrites dans leur futur, jusqu’à la victoire. Dans le roman, qui est paru en août dernier, Kaouther Adimi a réussi a glisser malicieusement, un clin d’œil au Hirak, bien réel celui-ci.

Le texte :
Ce qui retient notre attention en ouvrant le roman, c’est le nombre de « chapitres » : 34. Le plus long contient 13 pages, le plus court 3 pages. 19 sont construits sur 2 à 5 pages. Un narrateur externe relate des événements qui se sont déroulés dans un passé récent, en février et mars 2016, dans un présent historique, mais aussi aux temps du passé, selon les chapitres. J’ai noté quelques confusions dans la concordance des temps dans le chapitre 3 et 13 avec l’utilisation de l’indicatif plutôt que du conditionnel. Je me trompe peut-être. Les écrits en italiques sont ceux des personnages, Adila au chapitre 13, et en fin de livre ceux des trois jeunes Inès, Jamyl et Mahdi.
On notera certaines invraisemblances qu’on oubliera aussitôt, car il s’agit non d’un récit, mais d’un roman et Kaouther Adimi est toute pardonnée. Je vous en donne quelques exemples. Le premier concerne ces toutes petites filles d’à peine une dizaine d’années qui passent des nuits à l’extérieur, avec des garçons qui plus est, comme si de rien n’était comme si on était en Norvège. Un autre exemple est celui de Yasmine qui fume tranquillement devant la porte de sa maison comme si l’on était en Norvège, en Suède ou au Liechtenstein. Ces hauts gradés de l’armée qui prennent le bus comme la plèbe, la populace (c’est ainsi que les généraux et autres hauts gradés militaires algériens voient ou désignent le peuple), pas même le taxi. Ou encore ce colonel à la retraite, le père de Youcef, qui écrit à la mairie comme un simple citoyen lambda le ferait (plutôt que d’intervenir sèchement en exhibant ses atouts via un subordonné, ce qui est la vérité). Ou les deux généraux (dont Saïd qui fut l’instigateur des purges des années 90 » !) qui se font attaquer par des enfants et qui fuient après avoir sorti leur arme. De vrais pieds nickelés pas sympathique pour un sou. Si c’est ce qu’a voulu exprimer l’auteure, elle a bien réussi. Et son roman est agréable à lire.
Last but not least, comme ont dit (écrit) dans la haute, l’auteure aurait mieux fait de faire appel à des jeunes, des adolescents, des familles éloignées, très éloignées de toute attache avec les militaires (en maintenant celles des généraux Saïd et Athmane, « les salauds ») comme c’est le cas ici. Dans Les petits de Décembre en effet, presque tous les personnages sont issus de familles qui vivent dans le giron de l’armée.

Ahmed Hanifi,
Marseille, le 1er mars 2020

Lire également ici :


__________________________


Cet article a été ajouté le jeudi 4 février 2021





in: www.livreshebdo.fr/article/kaouther-adimi