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dimanche, mai 31, 2020

699_ Coup de sang serein (de Kessous au colonialisme)


Film: ALGÉRIE MON AMOUR
Ce qui suit n’est pas un conte. C’est l’histoire bien réelle d’une hystérie et d’une gabegie. Une hystérie entendue comme une « excitation violente, inattendue, spectaculaire et qui paraît exagérée. ») Une hystérie collective, qui vient s’ajouter à d’autres, toutes nées globalement de nombreuses frustrations. Celle qui nous préoccupe concerne un film. Une hystérie portée essentiellement par un des médias les plus utilisés par les Algériens : Facebook. Le film en question s’intitule « Algérie, mon amour » réalisé par Mustapha Kessous, un franco-algérien, avec la participation de France Télévisions, diffusé par la chaîne de service public France 5. La télévision est un moyen de divertissement et d’information très prisé par l’écrasante majorité des Algériens. Ils sont « quelques centaines de milliers à regarder les chaînes locales algériennes (publiques ou privées) ». Ils sont très nombreux à regarder les chaînes étrangères, les chaînes orientales (par rancœur) pour les uns, ou françaises (qu’ils disent détester) pour d’autres.
Je reviens au film. Tout ce qu’il y a de plus banal. Un film d’une heure et dix minutes avec ses plus et ses moins, ses qualités et ses imperfections. Avec une part d’objectivité et une autre de subjectivité. Comme dans toute œuvre en somme. Et comme tout film, celui-ci a d’abord provoqué des réactions de satisfaction, de mécontentement ou d’indifférence ordinaires. Nombre de commentaires lus sur Facebook soutiennent le film. « Cette avalanche de critiques me sidère… ya djmaaa, c’est le seul reportage réalisé sur le hirak et qui plus est, le seul événement depuis des mois. Il est peut-être incomplet, mais pouvons-nous résumer notre histoire en une heure ? » d’autres commentaires sont nuancés « Pourquoi sommes-nous encore si sensibles au regard que porte la France et l’image qu’elle se construit de nous ? » Mais la plupart des commentaires s’inscrivent contre le film « Le reportage a dénaturé le hirak » « c’est un documentaire sur la jeunesse, pas sur le hirak »… Puis de plus en plus violentes furent les réactions contre le réalisateur et contre les jeunes participants « il véhicule des clichés très réducteurs » « Pourquoi ce soi-disant journaliste a choisi cette catégorie de manifestants » « (le jeune avocat) c’est un KDS » (KDS, un Kabyle de service, c’est-à-dire acquis au régime) « où sont les jeunes de Bab-el-Oued, ceux qui ne parlent pas français ? » « On nous laisse entendre que nous sommes sortis pour construire une Algérie des flirts, des cigarettes et des boissons pour les jeunes filles » « La ‘‘frustration sexuelle’’ est le sujet N°1 des médias français depuis 1988-1989. »
Hélas, très rares sont ceux qui s’interrogent sur l’absence de films réalisés en Algérie sur les jeunes, le Hirak et qu’on aurait diffusés sur les chaînes publiques algériennes. Aucun film. Je n’ose même pas évoquer l’idée de la réalisation d’un documentaire sur la France du 21° siècle avec ses hommes et ses femmes vivant leur vie de tous les jours, avec ses villages de montagnes, avec ses lacs, ses parcs, ses châteaux, juste un petit film de respiration. Je blasphémerais. Le monde entier reconnaît pourtant la beauté inscrite dans chaque région, dans chaque département, dans chaque canton de ce pays qui reçoit près de cent millions de touristes par an. Ce serait lever un tabou inouï.
Certains commentaires évacuent le film et ciblent l’entité France5, et surtout la France, cet ennemi éternel. « Le but de ce reportage sur le hirak est clair : le discréditer pour le casser » « Je sais détecter le message qu’un média veut faire passer aux populations de base » « Pourquoi France5 n’a pas parlé dans ce doc des 20 ans de soutien de la France au maintien su système Bouteflika ? » « Est-ce si surprenant cette image que la France renvoie des Algériens ? » « Ils sont gangrénés par la Nostalgérie et la Françafrique ». Les commentaires contre la France (générique très vaste) sont très nombreux.
Et là, je ne peux passer par-dessus jambe, ce nationalisme obtus, fermé, aveugle, « cette haine des autres » (Romain Gary) dont le pouvoir abreuve les Algériens depuis 1962, depuis toujours donc, par le biais de son école stérile à en pleurer (où on fait prier les gamins dans les classes en guise d’apprentissage), de son administration, de ses médias, de ses intellectuels organiques. Un nationalisme outrancier qui participe à la division des peuples d’Afrique du Nord plutôt que de les rapprocher, (plutôt jouer la division des peuples au profit économique réel et faramineux de la France et de l’Europe qui ne demandent pas mieux, la responsabilité des dirigeants des trois pays est ici engagée). Un nombrilisme aussi dangereux que vain « nahnou, nous, nous, nous », et puéril. Il serait faux de dire que si une partie des médias et de l’élite s’aligne sur le discours « antifrançais » c’est parce qu’elle est soumise. Non, cette frange de l’élite avec ses anciens « commissaires politiques » nostalgiques d’un ordre discrédité, participe depuis longtemps de cet amalgame délibéré entre les époques. D’ailleurs certaines parmi ces élites médiatiques ou intellectuelles viennent souvent en France. Elles y ont même trouvé refuge durant la « décennie noire ». Nombre d’entre ces individus bénéficient même d’allocations diverses, familiales, RSA… (tout en vivant en Algérie). D’autres, pour mille et une raisons, se sont installés en France où ils bénéficient d’une carte de résidence, et parfois même de la nationalité de ce pays d’accueil, de ses libertés de son système de santé ou d’éducation pour leurs enfants tout en crachant dans la soupe nuit et jour (je l’écris en toute connaissance de cause) devant un café ou une bière. Un « pays où tu peux insulter Macron dans un tweet alors qu’au pays que tu as quitté, tu ne peux même pas parler d’un wali » s’agaçait très justement Kamel Daoud (Le Q.O, 13.12.2018).
Je marque une pause pour d’une part préciser qu’il s’agit là d’une minorité agissante. Il n’est nullement dans mon intention d’indexer la majorité des cadres, enseignants, journalistes, etc. algériens. D’autre part, pour rejeter par anticipation toute accusation de « harki » et tutti quanti, qui me serait adressée. Je ne connais que trop cette mauvaise symphonie. La France coloniale je l’ai toujours dénoncée et continue avec toutes mes forces, lorsque l’occasion se présente, de la condamner, sans crainte aucune, dans ce pays la loi sur la libre expression me protège. La France va-t’en guerre, de Sarkozy et les autres, contre la Libye, la politique pro-israélienne des gouvernements successifs, les interventions militaires en Afrique… nous sommes des dizaines milliers à les dénoncer dans nos marches, dans nos écrits, dans nos conférences, dans nos tracts, dans nos actions politiques… Que cela soit clair. La France d’aujourd’hui est faite (comme hier, comme avant-hier) d’hommes aux idéaux exécrables (Zemmour, Finkielkraut, Le Pen, Renaud Camus, Soral…) Mais la France d’aujourd’hui est aussi faite d’Hommes, beaucoup plus nombreux qui sont nos frères et nos sœurs dans nos idéaux de fraternité, de solidarité. L’un d’eux, Guy Bedos, nous a quittés il y a deux jours. Il aimait se rendre fréquemment en Algérie et aimait beaucoup les Algériens. Mais hélas, beaucoup d’Algériens  sont aveugles à cette France-là qu’ils ne connaissent pas.
Dans son marasme perpétuel, le pouvoir algérien que seule une infime minorité d’Algériens soutient, s’emploie, systématiquement, et dès qu’il en a l’occasion (et pour des considérations internes évidemment) à tirer à boulets rouges contre la France perçue et voulue comme une totalité, un bloc monolithe, sans jamais nuancer, de sorte que beaucoup d’Algériens, matraqués depuis l’indépendance par un discours nationaliste chauvin, amalgament les politiques des gouvernements français avec l’ensemble de la France et des Français. Comme avec ce film de Kessous (Kessous- France5- France = même combat) et la réaction disproportionnée du pouvoir qui a rappelé son ambassadeur en France et qui a donné l’occasion à un journal français, Courrier International, de le ridiculiser, mais le pouvoir algérien l’a cherché. Je vous laisse au titre du journal : « Quand deux documentaires sur le hirak algérien deviennent une affaire d’État ». Une affaire d’État. Si la réaction du pouvoir algérien ne le tue pas, elle le ridiculise.
Les Algériens ne savent peut-être pas que certains de ces mêmes responsables algériens qui poussent à haïr la France ont la double nationalité algérienne et française ou possèdent une carte de résident en France, et y viennent souvent en vacances. Les responsables algériens ont détruit l’école pour tous, ils ont fait un désert de la Culture, ils ont paupérisé le tiers de la population algérienne « 14 millions vivent sous le seuil de la pauvreté » (LADDH, 2015), ils ont dilapidé les fruits des hydrocarbures (la rente ne permet plus désormais d’acheter la paix sociale)… ils ont détruit l’économie (30% des jeunes de 16 à 24 ans sont au chômage), ils ont planté la xénophobie et la haine dans le cœur des gens.
Depuis 1962 on s’échine à rendre responsable la France de tous les maux du pays, du manque de blé ou de produits alimentaires, à l’ouverture de lignes de crédits, au manque de soutiens en tous genres (ce qui est manifestement inexact, la France ayant soutenu tous les gouvernements algériens successifs). Dans une très belle intervention lors de l’inauguration du Maghreb-Orient des livres, à Paris, le 7 février dernier, Kamel Daoud s’interrogeait : « Que faire de l’ex-colonisateur ? » Le culpabiliser sans fin sur la scène d’une hallucinante précision, celle de la mémoire totale. Peut-être faire du commerce avec lui ou lui demander des excuses, une réparation financière. Je peux aussi, au choix, en faire un partenaire stratégique ou un ennemi commode. C’est d’ailleurs cette dernière formule qui fait mode depuis des décennies : un ex-colonisateur, si on ne peut rien contre lui, explique tout chez nous : l’état des routes, la ruine des villes, les fièvres du nationalisme, etc. On a même inventé, pour donner à l’excuse le verbe d’une nouveauté, l’expression de ‘‘néocolonisation’’. Et si le terme désigne, à juste titre, des lois de prédations internationales patentes, il dérobe cependant sa tricherie pour se décharger de la responsabilité sur le dos de l’histoire. »
Il ne reste à Kessous, à France5, à la France, que de mobiliser ses cinéastes et créer cinq, dix, quinze, mille « L’Algérie vue du Ciel », à l’instar du très soft et mielleux documentaire réalisé dans le sens du poil par Yann Arthus-Bertrand (en 2015) avec la participation de… France Télévisions et le soutien du Ministère algérien de la Culture et plébiscité par 45 millions d’Algériens », Pouvoir compris.
Une gabegie sans fin ?

Ahmed Hanifi, auteur        
Marseille, le 30 mai 2020

mercredi, mai 20, 2020

698_ Pour un autre possible, demain


Pour un autre possible, demain

La pandémie du virus Covid-19, – affection transmise par un animal à l'homme, ou zoonose – a contaminé, à ce jour, près de 5.000.000 de personnes dans le monde. Plus de 318.500 en sont mortes. La quasi-totalité des pays a été touchée, particulièrement les pays les plus développés. On dénombre ainsi 90.700 décès aux États-Unis, 34.800 en GB, 32.000 en Italie, 27.700 en Espagne. En Afrique, les pays les plus touchés sont l’Égypte avec  533 morts, l’Algérie 507, le Maroc 192. On a enregistré 2.900 décès en Russie, 17.000 au Brésil, 1.220 en Indonésie, 174 en Bolivie, 10 au Costa-Rica…

La pandémie a mis en relief un système mondialisé néolibéral du tout marchand où l’homme sous contrôle n’est perçu que comme « une machine efficace » à but lucratif et uniquement. Un système dont le bon fonctionnement dépend de la disponibilité du cerveau de l’homme pour le « divertir » de ses vérités au profit du profit de « l’Entreprise ». Un système dans lequel les politiques économiques, sociales, environnementales sont hautement inégalitaires et désastreuses. Il y a là manifestement un déni de démocratie. Même les secteurs sanitaires sont perçus comme des lieux où doivent s’exprimer librement la compétition économique, la soif du gain, au point de réduire drastiquement leurs moyens. Un système prédateur, pilleur dans lequel les valeurs humaines sont confisquées et ouvertement dévoyées. 

Cette crise sanitaire a mis en avant les inégalités sociales (raconter dans des journaux son confinement dans des maisons secondaires pour certains, dans des appartements exigus et surchargés pour d’autres, accès au numérique, scolarisation à distance…) et nous interroge sur nos « modes de vie ». Quels types de consommation voulons-nous ? (solidaires et locaux ou aggravant la pollution de notre environnement) Elle a également mis en avant l’importance des services publics. Aujourd’hui « notre vie est mutilée. Nous vivons dans un monde déshumanisé, un monde qui a rendu obscène notre instinct de liberté » (Gunther Stern Anders). Un monde dans lequel le marché, la mondialisation économique et financière contribue à la destruction d’une grande partie de l’humanité, un monde où 8 % des hommes possèdent 83% des richesses du monde, et où une infime minorité détient le système de communication/information qui s’impose au monde (avec ses contrôles – sans même le recours à l’enfermement –, ses drones, ses caméras de surveillance, une « société de contrôle » (selon Gilles Deleuze, Toni Negri). Ce monde-là l’Homme ne peut plus l’accepter.

Cet autre monde, ce monde nouveau au sein duquel les hommes n’auront plus les yeux braqués sur les richesses africaines ou sur le Nasdaq et autres indices boursiers Cac 40, Dow Jones… j’ai la naïveté de le croire possible. « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve », disait Hölderlin. Alors, en réaction à ce « péril », demain un autre monde sera. Cette crise sanitaire nous donne l’opportunité de penser pour demain un monde nouveau. Je ne vois pas comment éviter (d’espérer) de changer de société après une telle catastrophe – à moins de se résigner à attendre sa réédition ou de participer, consentant ou non, au maintien des conditions de sa survenue. Le sens de l’intérêt général, du bien commun,  doit primer sur les égoïsmes des individus et des États. Et plutôt que cette obsession des incorrigibles capitalistes à vouloir réduire l’intervention de l’État au strict minimum, il faut renforcer sa puissance sociale. Edgar Morin écrit que la crise du virus Covid-19, comme dans toute autre crise, va susciter deux processus contradictoires : le premier qui stimule l’imagination, le second qui recherche le retour à la stabilité passée ou la désignation d’un coupable à éliminer (Le Monde 19 avril 2020). Soit une « renaissance »  avec au cœur de l’homme la solidarité, le partage, l’altruisme ou le care, une société « altermoderne », soit l’accentuation du repli vers le passé, un repli nationaliste et xénophobe où l’Autre est le problème de tous les problèmes (et cela est tangible dans de nombreux pays, hautement en Europe). Les peuples du tiers et quarts monde, majoritairement les plus lourdement impactés, devront faire pression (par leur force numérique), plus encore que par le passé contre leurs gouvernements complices des multinationales assassines et des grands groupes économiques boursiers alimentaires, pharmaceutiques égocentriques, sans foi ni loi,  à l’origine de beaucoup de désastres humanitaires (destruction de pays, fomentation de guerres, migrations économiques…), gouvernements complices et multinationales aujourd’hui ébranlés par un simple virus qu’ils n’ont pas prévu (hormis  Bill Gates en 2012). « Votre société violente et chaotique (le capitalisme et sa concurrence illimitée) porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte en elle l’orage écrivait Jean Jaurès (7 mars 1895).

Pour éviter que se renouvelle ce type de pandémie, il faudrait transiter  vers des sociétés du prendre soin, de l’attention, des sociétés de l’éthique de la sollicitude, ou du care, depuis Carol Gilligan… cette « activité caractéristique de l’espèce humaine qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible » écrit Joan Tronto, et abandonner les politiques qui favorisent l’individualisme, l’égocentrisme et même l’anthropocentrisme porteurs d’impasse. Transiter  vers des sociétés qui valoriseraient les « Biens communs mondiaux ». L’Homme devrait apprendre à vivre naturellement en bonne harmonie avec le vivant, le végétal et les animaux sauvages dont il a souvent nié l’existence ou qu’il a relégués dans des espaces pour safaris rouges. La responsabilité de l’Homme dans le dérèglement climatique avec fonte des glaces, pollution, déforestation... globalement de l’effondrement  de la biodiversité est largement engagée. La pandémie nous a donné à constater des animaux sauvages errer dans le cœur des villes provisoirement abandonnées par l’Homme. L’origine de cette pandémie montre bien la responsabilité de l’Homme dans le saccage de l’habitat/espace animalier.

Pour éviter que se renouvelle ce type de pandémie, pour s’extraire de ce monde mortifère désormais,  il faudrait transiter vers des sociétés qui mettraient à bas le mythe de la croissance sans fin. « Le progrès technique semble avoir fait faillite, puisque au lieu du bien-être il n'a apporté aux masses que la misère physique et morale où nous les voyons se débattre… Nous vivons une époque privée d'avenir. L'attente de ce qui viendra n'est plus espérance, mais angoisse.  » écrivait Simone Weil en 1934, déjà. Il faudrait transiter vers des sociétés qui interrogeraient leurs espaces sociaux afin d’en réduire les inégalités (logements dignes versus les cages des grands ensembles), des sociétés qui condamneraient la consommation effrénée, qui favoriseraient les circuits courts d’approvisionnements, des sociétés où le Collectif et la centralité de l’individu seraient repensés. Celui-ci, ne serait plus perçu comme un îlot parmi d’autres, au détriment du tout, de la Communauté. Il faudrait transiter vers un monde nouveau dans lequel consommer ce qui pousse ou se fabrique, se transforme dans et autour de sa ville ou de sa région, réduire la masse des déchets, les recycler, et pourquoi pas créer des monnaies locales autour d’associations du « sel » pour contourner la spéculation, mettre en commun les biens les plus lourds (les nationaliser), valoriser les loisirs, deviendrait notre lot. Il faudrait transiter vers un monde nouveau dans lequel la santé serait appréhendée comme un bien précieux non négociable, hors comptabilité, n’en déplaise à ces « consultants » qui « militent » par exemple, dans le cadre de démarches d’excellence, pour  « transformer l’hôpital de stocks en hôpital de flux »  (selon un neurochirurgien français).
Un autre monde possible est devant nous, j’en suis convaincu, qui mettra fin aux crises multidimensionnelles écologiques, économiques, sanitaires, spatiales… que traversent de très nombreux pays, et en leurs seins les classes intermédiaires et populaires, que traverse notre humanité.
Partout dans le monde, des peuples en mouvement manifestent sans relâche – la pandémie du coronavirus nouveau n’est qu’une parenthèse – pour qu’advienne un autre monde, luttent contre leurs gouvernements cyniques, parfois tyranniques ou autoritaires : en Amérique latine comme au Chili, Argentine, Vénézuela…, en France (gilets jaunes, personnels soignants…), en Algérie (le puissant et long mouvement populaire ou Hirak n’a pas dit son dernier mot), au Liban, influencé par les Algériens…, Hong-Kong, Iran, en Espagne, en Égypte… Espérons, avec ou sans naïveté, que ce monde de demain auquel a aussi appelé au début d’avril dernier le président du Sénégal Macky Sall, que ce nouvel ordre « qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales », soit le plus proche possible. Un nouveau New Deal à l’échelle planétaire au cœur duquel s’épanouiraient en symbiose l’Homme digne et son environnement naturel et culturel, est autant nécessaire que le souffle qui nous porte. Pour un nouvel humanisme en quelque sorte, en interaction avec le vivant, tout le vivant.


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Ahmed Hanifi, auteur.
Marseille, le 20 mai 2020



lundi, mai 04, 2020

697_ IDIR est parti




                               
 
(vidéo postée Par 'Sherlock Homes' en nov 2016 sur Youtube)



Photo DR du site du Palais des Glaces


Idir au SILA- Alger 2017_ DR
 C’était tous les jours jour de printemps, Paris était belle comme souvent à vingt ans et ses rues et ses places comme la Place de la République, grouillaient de lumières, de couleurs et de groupes de toutes sortes, des qui montaient vers Magenta, des qui vers les Halles, des qui vers la Bastille, et d’autres. La République immobile depuis près d’un siècle, veille sur son piédestal, à l’angle de la rue du Faubourg-du-temple. « Notre journal » Libération (j’y ai bossé gratos !) n’a que quelques années d’âge, et concurrence Rouge et Le Matin de Paris. Il est un des rares à refuser les publicités payantes de sa lointaine rue de Lorraine, bien avant (plus tard, bien plus tard après ses revirements, la rue Béranger à deux pas de République où il s’installera (après Christiani, aussi). Libé n’écrit rien sur Idir, il ne connaît pas, comme beaucoup, mais faisait une place conséquente à Areski et Brigitte (et José Arthur raffolait de Lettre à monsieur le chef de gare de La Tour de Carol). Libé se rattrapera plus tard. Mais là, autour de la place de la République, par dizaines, des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes avançaient vers le Bijou qu’est le Palais des glaces, trente mètres plus haut. Plus on avançait et plus la foule grossissait. Une affiche grandeur d’homme indiquait « Concert avec le chanteur kabyle IDIR ». Toute la gamme des robes kabyles traditionnelle, panachées de bandes noires, rouges, jaunes, orange, se déployait devant la salle de spectacle et des touristes ébahis, débordant sur la rue encombrée de véhicules. Dans ces années-là l’expression vestimentaire maghrébine était encore timide en France. Ce jour-là elle frappait un grand coup. Les appareils photos crépitaient, les youyous fusaient. Et les touristes (d’autres) sidérés. On ne s’entendait pas. Un tel événement n’était pas courant, même à Paris. « Qui c’est Idir ? » « Ah Kabyle ? » Oui madame, et plus encore, Algérien s’il vous plaît. Nous ne rasions pas et plus les murs comme nos parents s’y résignaient durant les décennies précédentes, mais.
Idir au SILA- Alger 2017_ DR







La dame, l’œil noir et le regard haut, feignait « Touré Kunda, Police, Nina Simone d’accord, mais là… Qui c’est ? » On ne lui répondit pas. Je me contentai de lui montrer l’affiche, si elle voulait bien se donner la peine, elle qui voguait sur un registre peu engageant. Nous, nous le savions depuis peu, mais nous le savions. Idir rehaussait notre fierté. Nous étions tous Kabyles « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva/ Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba/ Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva ». Des taxis kabyles (probablement, qui autrement ?) claxonnaient comme des malades et nous leur faisions de grands signes amicaux. Il n’y a pas si loin, Pathé Marconi enregistrait A Vava Inouva : « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva/ Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba/ Ugadegh lwahc elghaba a yelli Ghriba… Je t'en prie père Inouva ouvre-moi la porte/ O fille Ghriba fais tinter tes bracelets/ Je crains l'ogre de la forêt père Inouva/ O fille Ghriba je le crains aussi... » Titre aussitôt repris, en français, par le duo David Jisse et Dominique Marge :  « Ouvre-moi vite la porte A vava inou va, A vava inou va/J'entends cette voix m'appelle, ma fille dehors a froid/Les loups de la vie me guettent, A vava inouva, A vava inouva/ J'ai si peur pour toi ma fille, mais la porte n'ouvre pas… »
Idir au SILA- Alger 2017_ DR

Puis les portent du Palais s’ouvrirent, plus rapidement sous les poussées, absorbant d’une traite une seule les centaines de fans de tout ce qui touche de près ou de loin une partie de l’Algérie. Sur le trottoir du Faubourg-du-Temple, le vide suppléa à la vague et la dame à l’œil noir soupirerait.

À l’intérieur, tous les fauteuils, quatre cents, cinq cents ? rouges comme les cœurs, furent pris d’assaut. Idir est apparu sous une clameur indescriptible. Dès les premières notes de musique, des jeunes femmes se lancèrent au devant de la scène pour danser, pour libérer le corps, pour dire nous sommes là.
Photo de son disque DR
Elles seront suivies par des dizaines d’autres, des jeunes hommes également. Nous étions dans une étuve improvisée. Et cela dura une éternité bien remplie. « Amghar yedel deg wbernus/Di tesga la yezzizin/Mmis yethebbir i lqut/Ussan deg wqarru-s tezzin…Le vieux enroulé dans son burnous/A l'écart se chauffe/Son fils soucieux de gagne pain/Passe en revue les jours du lendemain… »

Photo du site officiel de Idir DR
C’était il y a quelques décennies, prises aujourd’hui dans la nasse. Le temps passa donc. Avec ses vicissitudes. Plus récemment, en février 2008, il était venu chanter dans le théâtre de notre petite ville du sud. Il était bien sûr archicomble. Et les titres chantés couvraient la trentaine d’années.
Plus récemment encore, à la fin du mois d’octobre 2017, je l’ai vu au Salon international du livre d’Alger, entouré de nombreux journalistes et fans et discutant avec eux. Il se trouvait dans le stand de l’ONDA accompagné de son directeur, Samy Bencheikh. (Lire ici : http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2017/10/579-viree-en-algerie-oran-alger-salon.html).


Le 5 janvier 2018, l’APS écrivait : « ALGER - L'icône de la musique kabyle, Idir a renoué avec son public à la faveur d'un grand spectacle festif organisé jeudi soir à Alger marquant son retour sur scène après près de quarante ans d'absence. Accueilli dans la grande salle de la coupole du Complexe olympique Mohamed-Boudiaf, Idir était accompagné par un orchestre de 30 instrumentistes dirigés par Mehdi Ziouèche, un musicien polyvalent qui a présenté les différentes pièces choisies dans un nouvel habillage harmonique plein de créativité, et une chorale de jeunes, essentiellement de l'Institut national supérieur de musique. »
 
Vidéo de l'APS. 01.2018

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"Ben" - Benhamadouche Mohamed


Ben Mohamed, le père de Vava I Nouva

25 Mars 2018

Portrait : par Rachid Oulebsir

Ben n’a pas fait la guerre, mais la guerre l’a fait ! Elle l’a construit comme un gite incertain dans la peur et l’espoir d’une quiétude future, une construction artistique d’apparence précaire, une muraille de pierre sèche avec un solide liant invisible édifiée par le hasard dans le tumulte de la guerre autour d’une femme chanteuse providentielle, un vieux disquaire cultivé, un père ouvert mais protecteur, un bouquiniste ancien professeur de littérature en retraite et une mère poétesse qui remontait du fond des âges les chants de la meule et du berceau .
Un enfant sans enfance
Entre la mouvance et les pauses du temps insaisissable de la guerre, le jeune Mohamed grandira dans les béances des soucis adultes ! Comme toute sa génération, il connaitra une enfance fugace, amputée de son innocence, de tous les rêves printaniers, vadrouillant entre la ville et le village de montagne, déchiré entre deux univers antagoniques qu’il finira, grâce à la poésie, par harmoniser comme une partition magique. De cette enfance guerrière, il gardera l’image de son école incendiée, de son départ pour Alger en 1956 où tout petit il aidait son père Mohamed Said dans sa boutique de bonneterie dans la basse casbah. L’arrachement à son village natal et l’impossible enracinement citadin créeront en lui une ambivalence que la poésie colmatera comme un baume magique sur une blessure incurable et ce n’était pas son inscription à « l’école du Divan », qui pour la circonstance portait mal son nom, qui allait le guérir de la dépossession de son univers natal. Il retournera sur sa colline d’At Wacif, alors zone interdite, pour être cloitré à la maison, avant de revenir définitivement en ville en 1958. De sa Kabylie natale il gardera le portrait fugace d’un instituteur communiste, du nom d’Albertini, de monsieur Ainouz, le directeur d’école et d’une société,  où « l’awal », la parole donnée, l’art du discours réparateur animaient les réseaux de la vie simple que la guerre vint dérégler et entremêler comme les ressorts d’une vieille horloge dont le tic tac se taira sous la furie des bombes, des meurtres et des viols.
Des rencontres fondatrices
Né le 10 mars 1944 à Ath Ouacif, dans la wilaya de Tizi Ouzou, Benhamadouche Mohamed eut un parcours d’enfant que la guerre a chargé de poésie douloureuse d’une sensibilité désarmante. Il se construira tout seul, se créant ses univers au gré des rencontres et des circonstances d’où il tirait le maximum d’enseignements et d’outillages formateurs. Dés huit ans, il croisera par bonheur Slimane Azem, le fabuliste légendaire, dans un café d’At Wacif où son père l’avait emmené. Il sortira du café avec un avenir de poète tout tracé, les oreilles bourdonnantes de mots et de notes magiques et un fascicule portant des chansons de Slimane Azem écrites en caractères latins qu’il apprendra par cœur. En partance vers Alger, il cacha sous terre son fameux carnet, mais à son retour il ne l’y retrouva pas. Ce fut un terrible choc, une blessure insurmontable qui forgera en son âme d’adolescent un défi majeur : écrire des poèmes si beaux que le maitre Slimane Azem en serait content ! Il trouvera consolation dans les jupons d’une femme réfugiée dans son village, un être blessé dans sa dignité qui chantait sans arrêt pour se guérir des brutalités de la guerre. Elle prolongeait les mélodies de sa mère qui avaient rythmé sa prime enfance et forgé en lui le gout du chant, de la berceuse, de la plainte lyrique, de l’appel sourd et incompréhensible des entrailles.
Avoir 20 ans à l’indépendance
Le jeune Ben fredonnait ses poèmes sur des réminiscences mélodieuses de sa maman et de toutes les femmes que la guerre lui fit croiser. En 1961, Ben Mohamed rencontra Cheikh Noureddine qui lui proposa de se faire enregistrer à la radio, mais il ne se présenta pas aux studios de peur de fâcher ses parents qui voyaient encore la chanson avec les yeux pudibonds des hautes collines.
A l’indépendance, Ben est recruté comme agent de bureau par la préfecture d’Alger. Il savait que sans une formation plus conséquente il serait enterré dans ce bureau d’assistance. Il s’inscrivit aux cours du soir au Télemly. C’est dans cette école qu’il effectua ses cycles moyen et secondaire de 1963 à 1969, sous la direction de Tahar Oussedik avant de suivre une rigoureuse formation administrative en comptabilité publique qui mettra quelques remparts à son évasion poétique permanente. Chez Hamma son voisin disquaire, il croisera des artistes, des hommes de lettres avec qui il se liait d’amitié. Il écoutait surtout beaucoup de musiques envoutantes sans comprendre les paroles, il se forçait à écrire des poèmes brulants pour ces airs venus d’ailleurs tout en s’initiant à l’écriture grâce à un ami libraire qui lui prêtait des livres. Ce bouquiniste, un ancien professeur de lettres en retraite, était à lui seul un cercle culturel, il connaissait tellement de monde que Ben s’y forgea une culture conséquente et un esprit critique aiguisé. Il se soustraya progressivement à la boutique de son père pour se fondre dans l’atmosphère révolutionnaire avec des amis qui l’initiaient à la politique, à la délivrance de l’aliénation coloniale. Il se mit à écrire de textes portant la terre et le sang de sa montagne.
La mère, la terre et la langue
C’est en 1966 qu’il s’entendit chanter à l’antenne à l’émission « Les chanteurs de demain » de Cherif Kheddam. Il comprit qu’il n’avait rien à voir avec ce métier. Il connaitra néanmoins le milieu artistique de la radio et sympathisera avec Saïd Hilmi qui animait « Plumes à l’épreuve » une émission pour jeunes poètes. Ses textes plurent à l’animateur qui lui proposa de prendre une émission. Ce fut « Heureux Matin » sa première sortie radiophonique. Armé du seul souci de parler en kabyle intégralement, il fit appel à la mémoire maternelle, sa maman demeurant sa première école et son guide. Il lui consacrera d’ailleurs un poème intense en 1973, où à travers elle, c’est la femme révolutionnaire, la femme résiliente, la femme de la montagne solide comme un roc qui est décrite et mise en valeur. « Yemma », ce poème chanté par de nombreux interprètes met en situation la langue natale, la mère résiliente et la terre protectrice. Ben écrira sans arrêt des centaines de textes faits pour être chantés.
Il  mènera sa vie artistique entre la radio et les récitals poétiques de la veine contestataire portant le combat identitaire avec finesse et intelligence. Un véritable combat intellectuel qui suscita maintes vocations comme feu Rachid Aliche et autre Lounis Ait Menguellet. Les cours de Berbère qu’il suivit à l’université chez Mouloud Mammeri avaient déclenché en lui un nouveau langage combattant tout en symboles et en messages contestataires de restitution de la culture des ancêtres. Ben s’impliqua à différents moments dans le débat et l’engagement militant. Il fut dans le premier groupe étudiant qui demanda en 1976 dans « une contre charte »  par écrit, la reconnaissance de la langue berbère. Il aura produit six pièces radiophoniques pour la chaine 2, et traduit vers le kabyle des dramaturgies ouvrières de Kateb Yacine. A la fin de l’année 1990, Ben Mohamed ne pouvant plus exercer son métier de comptable au ministère de l’éducation nationale avec l’arabisation de la comptabilité publique s’exila en France où l’environnement culturel favorable lui permit de réaliser de nombreux montages poétiques, des récitals et des documentaires liés à la thématique identitaire.
Vava inouva l’universalité amazighe
« C’est en vain que dehors la neige habite la nuit » écrira Mouloud Mammeri à propos de ce sublime poème de Ben Mohamed chanté par Idir. Cette chanson au retentissement mondial a constitué, au moment opportun, un vecteur de la sauvegarde de notre âme, un pont vers le monde, un gué pour lier les deux rives de Tamazight, l’authenticité et l’universalité.
« Txilek ldi yin tabburt a Vava inuva
Cenčen Tizevgatin im a yelli Ɣiva
Ugadaɣ lwac lɣava a vava inu va
Ugadaɣ ula d nekini a yeli ɣiva »
« Ouvre moi la porte, Vava Inouva
Fais tinter tes bracelets ma fille Ghriba
J’ai peur du monstre de la forêt, Vava Inouva
Je le crains moi aussi ma fille Ghriba »
Le refrain qui remonte notre éternelle quête de paix et de tranquillité résume notre précarité perpétuelle. Nous y sommes encore aujourd’hui, menacés d’extinction culturelle, guettés par la rupture identitaire, à demander le secours des ancêtres.
Comme la jeune Ghriva qui revient de loin à travers la forêt inhospitalière, nous en appelons encore à Vava inouva pour qu’il nous tende la main, qu’il nous ouvre la porte du monde que nous portons dans nos rêves, qu’il couvre notre avancée risquée vers l’avenir avec le viatique du passé !
Chacun de nous est Yeli Ghriva, fille perdue revenue de loin qui tente d’échapper aux griffes et aux crocs du monstre qui la poursuit et qui aujourd’hui encore est sur ses talons.
Le conte Vava inouva , replacé par le poème de Ben Mohamed et la belle mélodie d’Idir dans des dimensions universelles relate notre détresse, notre perte de repères, et nous propose comme issue la solidarité entre générations, la transmission du legs des anciens, la continuité des valeurs et l’inamovibilité des repères.
En 1973, cette chanson inattendue, remontée du fond de notre matrice identitaire, nous a réconciliés avec nous mêmes, nous a redonné du ressort, alimenté notre fierté, raffermi le sentiment d’appartenance à une communauté en besoin de renaissance ! Ce merveilleux texte nous a de nouveau amarré à un destin universel partagé avec le reste de l’humanité. Vava inouva a ressuscité en nous l’envie de nous battre, exacerbé le besoin d’être nous-mêmes, avec nos différences, nos singularités, mais semblables pour l’essentiel aux autres dans ce qu’ils ont de meilleur. La guerre de libération a forgé en nous une âme collective verruqueuse, un gros cœur douloureux chargé de furoncles enkystés dans l’âme, l’indépendance de l’Algérie a été incomplète pour nous autres, qui avons ravalé notre quête identitaire le temps de chasser les colonisateurs, mais hélas l’indépendance nous a dessaisi de l’initiative historique et culturelle , nous a relégué dans le monde de l’interdit, le royaume du silence et de la peur .
 Vava inouva : La délivrance inattendue
Vava inouva fut le chant de notre indépendance retrouvée, notre hymne à la liberté, à l’ouverture, à la modernité. J’ai vécu la naissance de cette œuvre magistrale avec une certaine proximité comme un adolescent qui attend fébrilement que sa maman se libère et lui donne la sœur qui lui manquait tant ! J’habitais El Mouradia, Idir habitait la tour de Diar Saada, mon cousin Hassan qui était un peu mon tuteur était l’un de ses amis intimes, ils ne se quittaient jamais ! Nous étions un groupe d’étudiants que Hassan tenait en haleine, Il allumait notre curiosité et entretenait notre attente à doses homéopathiques : – « Idir a fini par apprendre le poème de Ben Mohamed, Idir a fini la musique, Idir a vu Nouara, Idir a fait ceci , Idir a fait cela. C’est Idir qui va la chanter, ce n’est pas Nouara, ce n’est pas Ait Meslayene, ce n’est pas Samy Ldjazayri, ce n’est pas X, ce n’est pas Y »…
Hassan nous tenait otages de ses informations jusqu’au jour il nous révéla qu’Idir était en studio chez Oasis … L’attente devint insupportable ! La libération survint inattendue, la petite sœur souhaitée fut une princesse, une fée, un être magique qui dés les premières notes conquiert amis et adversaires ! Ce fut le bonheur ! Comme pour toutes les naissances heureuses, nous avions adopté le bébé et nous l’avons porté à bout de bras, à bout de cœur à travers les méandres de nos espérances ! Nous achetions des dizaines de disques et nous les distribuons aux amis coopérants étrangers, nous voulions qu’ils sachent que nous étions capables du bon, du très bon !
Dans notre imaginaire ancien, Anza est l’appel des héros assassinés par traitrise par de faux frères. Anza est ce murmure venu du fond des tombes ! Seuls les artistes à l’ouïe fine peuvent l’entendre à leur passage devant le cimetière, le panthéon des aïeux ! Idir est de ceux là ! Il a entendu anza n’ Taqvaylit lancé douloureusement par le poète Ben Mohamed au moment où la course à la fortune obturait les oreilles de nombreux artistes anesthésiés par les mélodies langoureuses de l’Orient ou embrigadés par les sonorités métalliques de l’Occident ! Quand on entend Anza, on organise Asfel, le rite propitiatoire et sacrificiel, on fait alors offrande de ce que nous avons de meilleur. Pour ce poème, perle brillante sur la neige brulante qui habite la nuit kabyle, Idir a donné le meilleur de lui-même, son engagement, sa voix, sa musique, à un moment où personne ne croyait à la greffe de l’écusson kabyle sur le blason de la culture universelle ! Grâce à cette chanson, la vie a pris le dessus sur la mort !
Vava inouva nous a tendu la main pour nous faire traverser Assaka, le gué salvateur. Le monstre de la forêt est toujours là, nous lui avons porté des coups, nous l’avons fait douter de sa force ! Le monstre a peur ! La peur a changé de camp ! Ben Mohamed ou Vava inouva peut désormais ouvrir la porte de notre univers tel que les ancêtres l’ont gravé dans l’imaginaire collectif. La culture kabyle, ou la jeune Ghriva, n’a plus besoin de faire tinter ses bracelets pour retrouver la chaleur de son foyer.
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Dimanche 3 mai 2020