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dimanche, février 28, 2021

739_ Yasmina Khadra est un « écrivain médiocre » déclare (à son tour) Salim Bachi

 

Photo « 28′ »

Khadra a plusieurs fois été qualifié d’imposteur. Des critiques littéraires le dénoncent plus ou moins régulièrement. La dernière fois « Le Masque et la plume » l’a descendu en flamme (cf nos articles antérieurs).

TSA_

Un écrivain algérien critique Yasmina Khadra et prend la défense de Ben Jelloun

Par: Rédaction 27 Févr. 2021 

Les écrivains algériens continuent de s’entredéchirer sur les réseaux sociaux. Rebondissant sur les déclarations polémiques de Yasmina Khadra sur l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, le romancier algérien Salim Bachi a clairement pris position.

L’auteur de « Chien d’Ulysse », qui a obtenu le prix Goncourt du premier roman, a sévèrement critiqué ce samedi son compatriote Yasmina Khadra, le qualifiant d’ « écrivain médiocre » et prenant la défense de l’écrivain Tahar Ben Jelloun.

«Yasmina Khadra est un écrivain médiocre, il n’a pas besoin de « nègre » (ghostwriter est un meilleur mot) pour l’être », estime M. Bachi dans une publication sur le réseau social Facebook.

« J’ai rencontré à de nombreuses reprises le personnage et il m’a toujours rebuté par ses vantardises jusqu’au point de se comparer à Tolstoï », fustige l’écrivain algérien.

Salim Bachi se moque de Yasmina Khadra

« J’ai aussi rencontré à de nombreuses reprises Tahar Ben Jelloun qui m’a toujours témoigné du respect et de l’amitié. Je ne peux pas en dire autant de Khadra ou de Boudjedra par exemple. Je préfère mille fois l’auteur de La nuit sacrée à celui de L’Imposture des mots », tranche Salim Bachi.

La prise de parole publique de M. Bachi intervient alors que Yasmina Khadra a provoqué la polémique en s’attaquant publiquement le 6 février dernier à l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun. « Après vingt ans de silence, ne voyant personne s’assagir et tenter de renoncer à la vilénie, j’ai été contraint de dénoncer les manœuvres inqualifiables d’un écrivain que j’ai toujours respecté et qui s’est avéré être indigne de considération. J’ai nommé Tahar Ben Jelloun », a affirmé Yasmina Khadra dans un entretien sur TV5 Monde.

« Quand vous avez un écrivain de renom, connu dans le monde entier, prix Goncourt, membre influent de l’Académie Goncourt, qui s’appelle Tahar Ben Jalloun, qui raconte partout depuis 20 ans, de janvier 2001 jusqu’à ce matin, que je suis un imposteur, que ce n’est pas moi qui écris mes livres, qu’il connait mon nègre », a dénoncé l’écrivain algérien, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul.

Yasmina Khadra a accusé l’écrivain marocain de lui avoir barré les portes des institutions littéraires françaises et des médias français. « Tahar Ben Jelloun est tellement bas, qu’il n’y a pas de débat », a fustigé Yasmina Khadra.

Ce n’est pas la première fois que des écrivains algériens se critiquent mutuellement. Dans son pamphlet « Les Contrebandiers de l’histoire » édité en 2017, Rachid Boidjedra n’a pas été tendre avec ses pairs. Il a classé dans la même case, celle des « contrebandiers de l’Histoire », Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Wassyla Tamzali, Feriel Furon et d’autres. À Khadra, il reproche « d’avoir déformé la réalité coloniale » dans son roman Ce que le jour doit à la nuit où « il se fait le défenseur fervent de la cohabitation heureuse et enchanteresse entre les Français et les Algériens durant la colonisation ».

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Cliquer ici pour voir vidéo TV5 Monde et Khadra s’emporter contre Tahar Ben Djelloun (absent)

Ben Djelloun ne peut pas lui répondre et le journaliste ne dit rien.

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LES ANIMATEURS DE LA CÉLÈBRE ÉMISSION LITTÉRAIRE « Le masque et la plume » DESCENDRE YASMINA KHADRA

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Également… extrait du blog

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CLIQUER ICI POUR LIRE DOSSIER COMPLET SUR LES ACCUSATIONS DE PLAGIAT À L’ENCONTRE DE YASMINA KHADRA

Ce que Yasmina Khadra doit à Youcef Dis

Publié le 29 novembre 2009. _ 250 Commentaires

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CE QUI SUIT A ÉTÉ AJOUTÉ MERCREDI 26 JUIN 2024







Considérations sur Yasmina Khadra

Publié le 1 Août 2022

in: Rédigé par Kadour Naimi


 Considérations sur Yasmina Khadra

J’ai visionné avec intérêt la vidéo de Ahmed Bensaada sur Yasmina Khadra1. Comme toujours dans ses productions, Bensaada s’astreint aux faits et laisse aux destinataires les considérations à en tirer. Voici les miennes.

1. Des décorations.

Monsieur Yasmina Khadra a accepté, de la part du gouvernement français, d’être « Chevalier » de l’Ordre National de la Légion d’Honneur.

Pour moi, né à Sidi Belabbès, en 1945, le terme « légion » est totalement sinistre : il évoque ces aventuriers mercenaires, criminels en uniforme qui nous terrorisaient, nous, « indigènes » algériens.

En outre, une décoration de ce genre me rappelle une anecdote. À un ami qui lui déclara : « On m’a proposé une légion d’honneur, mais je l’ai refusé », Eric Satie, compositeur de musique, répondit : « Cela aurait été mieux de ne pas l’avoir méritée ! »

En 1951, Julien Gracq refusa le prix Goncourt pour dénoncer les compromissions commerciales du monde littéraire.

2. Oh ! La « belle » colonisation !

« Les gens veulent la vérité sur l’Histoire ! » affirme Khadra, dans un article où le journaliste écrit : « Paru en 2008, le roman « Ce que le jour doit à la nuit » raconte l’histoire d’un jeune algérien qui savoure « la belle vie » au milieu de colons français dans un village de l’ouest algérien dans les années 1930-1940. Dans ce roman, l’univers colonial est peu visible. »

Et l’écrivain déclare : « Je suis banni par les intellectuels algériens ».

Dommage que d’autres n’ont pas la possibilité de s’exprimer sur le roman de cet auteur : tous les Algériens qui, dans la période 1930-1940, ont souffert de la colonisation. Ces victimes ne sont-elles donc pas « la vérité de l’Histoire » ? Et qui sont donc « les gens » qui la veulent ?… Ceux qui proclament que la colonisation a eu plus d’avantages que d’inconvénients pour l’Algérie ?… Si tel est le cas, alors la majorité du peuple algérien qui a résisté à cette colonisation au prix du sang, et cela depuis le début jusqu’à l’indépendance, était fou de ne pas apprécier les « avantages » de cette colonisation ?… Certes, Khadra pourrait évoquer les déclarations favorables à la France de part de personnalités comme Ibn Badis et Ferhat Abbas ; mais ces propos ne sont-ils pas des exceptions malencontreuses qui n’ont pas fait l’histoire ?

Si Khadra avait écrit un roman où l’univers colonial était ce qu’il fut, dans le réel respect de « la vérité de l’Histoire », le roman aurait-il pu être publié en France et dans le monde occidental, dont l’histoire coloniale fut sanglante et génocidaire ? Que dirait-on si un écrivain d’origine indienne aurait écrit un roman décrivant un jeune Indien qui savoure « la belle vie », à l’époque de la colonisation de l’Amérique par les colons européens ? Ou d’un Français savourant « la belle vie » durant l’occupation nazie en France ?

Certes, un écrivain est libre de raconter ce qui lui plaît, ou, plutôt, plaît au marchand qui engrange un profit en publiant son livre, tout en rassurant l’idéologie dominante. Mais cet écrivain peut-il se permettre d’accuser d’autres de l’avoir « banni », parce qu’ils ont une autre conception de « la vérité de l’Histoire », qui, en plus, correspond à la réalité des faits ?

3. « Mon pays »

« La Croix : Vous n’avez jamais caché, dans vos romans, votre nostalgie de cette Algérie fraternelle où les pieds-noirs avaient leur place. Pourquoi ?

« Yasmina Khadra : J’ai toujours voulu montrer l’Algérie, dans sa générosité, dans sa sincérité, sans parti pris. Cela gêne bien évidemment certains apparatchiks en Algérie. Pour moi, cela ne fait aucun doute : l’Algérie, qui est mon pays, est aussi le pays des pieds-noirs. Chaque pied-noir, pour moi, est un Algérien, et je ne dirai jamais le contraire. Nous reste en mémoire, Français et Algériens,

ces amitiés déchirées, ces voisinages dépeuplés ».

Revenons à « la vérité de l’Histoire ».

« Générosité » au point de sous-estimer les crimes du colonialisme, pour n’en voir que « la belle vie » ?... « Sincérité » au point d’occulter les crimes du colonialisme, en assassinant une deuxième fois les victimes par le déni du devoir de mémoire ?... « Sans parti prix » ?… Ah, oui ? Vraiment ?… Ce ne serait donc pas le cas quand on occulte les crimes de la colonisation pour se focaliser uniquement sur « la belle vie » d’un jeune algérien à l’époque ?

Parler de « gêne » en la limitant à « certains apparatchiks » correspond-il à la vérité de l’histoire ?... Et les millions de victimes du colonialisme, ne seraient-elle pas, elles d’abord, non pas « gênées » mais indignées par le roman et les propos de Khadra ?

Durant la colonisation, où était cette Algérie « fraternelle » entre pieds-noirs et « indigènes » ?… N’était-elle pas uniquement dans les très rares pieds-noirs, - l’exception -, qui avaient choisi d’être algériens en partageant le combat pour l’indépendance nationale ? Combien de pieds-noirs ont participé à l’indépendance de « leur » pays, l’Algérie ?

Et quelle « place » avaient les pieds-noirs, - la très grande majorité -, par rapport aux « indigènes » ? Même une gardienne d’immeuble pied-noire avait-elle le même statut qu’une gardienne d’immeuble « indigène » ?… Combien de pieds-noirs ont été victimes du colonialisme comme l’ont été les « indigènes » ?

Combien furent ces « amitiés déchirées », à moins d’être celles entre un pied-noir et un « indigène » qui jouissaient de la « belle vie » à l’époque coloniale ?

Quant aux « voisinages dépeuplés », en vérité historique, les « indigènes », finalement indépendants, ont occupé les lieux abandonnés par les pieds-noirs qui fuirent « leur » pays parce qu’ils n’avaient pas combattu pour son indépendance, pour ne pas dire parce qqu’ils furent les complices intéressés du colonialisme. Le représentant le plus fameux de ces pieds-noirs n’a-t-il pas déclaré « préférer sa mère à la justice » ? N’a-t-il pas proposé la « trêve civile » au lieu de soutenir la résistance armée libératrice, comme l’ont fait les Henri Alleg, Maurice Audin et d’autres ?... Et Jean Sénac n’eut-il pas la dignité de renoncer à la relation avec ce fameux prix Nobel pied-noir, témoignant ainsi d’être, lui, un vrai algérien, qui n’a pas fui son pays mais est resté pour contribuer à son développement ?

Au lieu de l’histoire d’un Algérien jouissant de la « belle vie » à l’époque coloniale, pourquoi pas un Pied-noir luttant pour « son pays, l’Algérie », tels le jeune Fernand Yveton et d’autres, jouissant d’une belle vie digne et authentique, celle-ci, de combattants contre le colonialisme ?… Mais, en France quel éditeur aurait publié un tel roman ? Ou en Israël, où la caste sioniste dominante réprime les rares citoyens israéliens qui dénoncent l’apartheid colonial sioniste contre le peuple palestinien ?… Évidemment, un jeune qui conçoit la beauté de la vie comme lutte contre l’injustice, c’est, pour les éditeurs des pays impérialistes, de la « propagande », de la « haine » entretenue, du « ressentiment » néfaste, un « manque de fraternité », bref, une carence psychique, etc.

4. Des risques.

Avec « L’attentat », Khadra déclare : « J’ai voulu écrire LE livre du conflit israélo-palestinien ».

Ce « LE » majuscule est une solennelle promesse. Voyons ce qu’il en est.

« J.A.I. : Etes-vous prêt à vous rendre en Israël si on vous y invite.

« Y.K. : On m’a invité trois fois mais, bien que j’aie envie d’y aller, j’ai décliné. »

On pourrait penser : Ah ! Il refuse de donner une légitimité à l’État colonial d’apartheid sioniste, et son envie est de rencontrer ceux qui le combattent, Israéliens et Palestiniens. Mais voici la suite de l’interview :

« Y.K. : C’est un déplacement très dangereux. »

L’auteur ne précise pas : à cause de quoi ?... La répression sioniste ou des « terroristes » palestiniens, bardés de ceinture explosive, comme le personnage de son roman ?… Le lecteur occidental, victime de la propagande dominante, pensera à la seconde hypothèse.

« Y.K. : Lorsqu’on veut diaboliser quelqu’un dans le monde arabe, il suffit de dire qu’il est allé en Israël. »

L’auteur ignore-t-il ou fait-il semblant d’ignorer qu’on n’a pas diabolisé ceux qui sont allé en Israël pour rencontrer, non pas les autorités étatiques coloniales, mais des Palestiniens et des Israéliens qui combattent pour le droit des premiers à un pays ?

« Y.K. : Aujourd’hui, les mentalités sont telles que les écrivains arabes ne doivent pas prendre de risques inconsidérés. »

L’auteur ignore-t-il ou fait-il semblant d’ignorer qu’Ernest Hemingway a pris des « risques inconsidérés » en allant en Espagne pour soutenir les combattants anti-fascistes ? Que les écrivains palestiniens et certains écrivains israéliens prennent des « risques inconsidérés » en défendant le droit des Palestiniens à un pays ?… Alors, de quels « risques » s’agit-il ? De qui viendraient-ils ?... Des autorités sionistes ou de ceux qui luttent contre leur politique coloniale, les « terroristes » ?... Un écrivain qui laisse dans le flou ces « risques », peut-il prétendre dire la vérité historique, et écrire « LE » livre sur le conflit israélo-palestinien ?

5. De la responsabilité.

Dans « The Canadian Jewish News » :

Question : « En Palestine, particulièrement à Gaza, des parents encouragent vivement leurs enfants à s’engager activement dans les milices terroristes islamistes. Ils portent une importante part de responsabilité dans leur dérive suicidaire. »

Réponse de Khadra : « C’est vrai qu’il y a des parents complètement endoctrinés par le djihadisme qui élèvent leurs enfants dans la haine de l’Autre et dans le rejet d’un système. »

« L’Autre », c’est qui ? « Un système », lequel ?… Soit l’auteur, parce que ignorant totalement le problème palestinien, se contente de mots conventionnels et imprécis, soit il connaît le problème, et, alors, il cache sa réelle pensée par le recours manipulateur à deux termes abscons. En effet, ils occultent la vérité historique, non, pis encore, ils la travestissent.

Voici comment. Parler de djihadisme des « enfants dans la haine de l’Autre », c’est :

- sous-entendre que cet « Autre » est soit le Juif soit l’Israélien en général ; or, les « terroristes islamistes » distinguent entre Juifs et Israéliens partisans de l’occupation coloniale et ceux qui s’y opposent ;

- et qu’en est-il du comportement des Juifs et Israéliens partisans de l’occupation coloniale contre cet « Autre » qu’est le Palestinien ? Pas de « haine », dans ce cas ?

Concernent le « rejet d’un système », le même raisonnement s’impose. Quel genre de « système » est rejeté ?… La « démocratie » et la « liberté » de la société israélienne, rejeté par les « terroristes islamistes » ?… Et pourquoi ce « système » rejeté n’est-il pas l’apartheid et l’occupation coloniale dont est victime le peuple palestinien ?

Les propos de Khadra permettent-ils de croire qu’il est en mesure d’écrire « LE » roman sur la tragédie dont la victime est d’abord le peuple palestinien ?

Pour comprendre l’intention du romancier de « L’attentat », lisons cet extrait :

« Le Juif est né libre comme le vent, imprenable comme le désert de Judée. S'il a omis de délimiter sa patrie au point qu'on a failli la lui confisquer, c'est parce qu'il a longtemps cru que la Terre promise était d'abord celle où aucun rempart n'empêche son regard de porter plus loin que ses cris. [...] Tout Juif de Palestine est un peu arabe et aucun Arabe d'Israël ne peut prétendre ne pas être un peu juif." (pp. 252-253). Cherchez sur Google et vous trouverez la citation sur de nombreux sites. Un hasard ?

Et le Palestinien, n’est-il pas né libre ? N’a-t-il pas une « patrie » qui lui a été spoliée ? Hélas, ses cris sont étouffés par l’oligarchie impérialiste mondiale qui ne propage que les « cris » des colonialistes israéliens.

Si « Tout Juif de Palestine est un peu arabe », pourquoi réduit-il l’arabe à l’apartheid, lui vole-t-il ses terres et ses maisons, assassine-t-il ceux qui les défendent ? En quoi « aucun Arabe d'Israël ne peut prétendre ne pas être un peu juif » ?… Qu’est-ce donc que ce « peu » ?… Un écrivain qui déclare écrire « LE » livre sur le problème, peut-il se contenter de ce genre de phrase d’apparence brillante sans expliquer pourquoi ce « peu » est tellement dérisoire qu’il n’empêche pas une tragédie coloniale qui dure depuis 70 ans, et durera encore ?… Il est vrai que la confusion de l’expression sert toujours le dominateur, qu’elle est la marque du mercenaire à son service… Mais, peut-être, que Khadra, de même qu’il s’intéresse à la « belle » vie » d’un jeune algérien à l’époque coloniale, a en vue la « belle vie » d’un jeune Palestinien à l’époque de l’apartheid sioniste. Alors ce « peu » prend toute son importance aux yeux du romancier, car ce « peu » permet de publier des romans, d’engranger l’argent qui en découle, ainsi que la « gloire » médiatique qui fait partie du système capitaliste marchand. Un personnage de Shakespeare s’écrierait : « Ah ! Ce peu qui vaut tant d’écus et de célébrité ! »

Autre question : pourquoi se focaliser uniquement sur les « terroristes » palestiniens (d’accord, l’époux de la « terroriste » est un brave homme) et ne jamais écrire un roman sur un soldat ou une soldate israéliens qui tirent et tuent une journaliste palestinienne, un conducteur de bulldozer qui tue avec son véhicule la jeune activiste états-unienne Rachel Corrie qui résistait à la destruction de la maison d’une famille palestinienne ? Ou encore une jeune israélienne qui préfère aller en prison plutôt que de servir dans une armée qu’elle considère coloniale ? En outre, l’État israélien n’est-il donc pas terroriste contre le peuple palestinien ? Et posons la question fondamentale : qui a commencé à exercer le terrorisme sur la population civile en terre palestinienne : n’est-ce pas les organisations armées Hagana, Stern et autres ? Parmi d’autres, ce sont les historiens honnêtes israéliens qui en ont fourni les preuves.

Pour respecter la vérité historique et prétendre écrire « LE » roman du conflit israélo-palestinien, est-il correct de se focaliser sur le djihadisme islamiste sans aller aux causes de sa création : pour neutraliser ou éliminer la résistance palestinienne qui, à son origine, était laïque et voulait le demeurer, ce furent les services israéliens qui ont favorisé la création de la tendance religieuse islamiste, en espérant bénéficier de mercenaires à leur service, lesquels ont fini par se retourner contre leur Frankenstein.

Oui, évidemment : un roman qui respecterait la vérité historique réelle, évoquerait les thèmes et les personnages qui l’incarnent, montrerait la cause des causes, quel éditeur le publierait, s’il agit et profite dans le système capitaliste-impérialiste ? Et quels médias de même orientation en feraient la promotion ?

6. Uniquement des « terroristes » !

« L’équation africaine », quel thème, quels personnages ?

Partie du résumé : « Kurt Krausmann, médecin accepte la proposition de son meilleur ami, Hans Makkenroth, d'effectuer avec lui un voyage en voilier, à visée humanitaire, jusqu'aux Comores. Le voilier quitte son port d'attache, à Chypre, et traverse sans encombre la Méditerranée orientale, le canal de Suez et la mer Rouge, avant d'arriver dans le golfe d'Aden et l'océan Indien, où il se trouve arraisonné par des pirates somaliens2. »

En somme, n’avons-nous pas affaire à une carte postale pour lecteurs frustrés de tourisme exotique ? De bons, civilisés et « humanitaires » occidentaux victimes de terroristes africains !… Bien entendu, on ne saura pas quelles sont les causes qui produisent des pirates somaliens et des interventions « humanitaires », à savoir la domination impérialiste sur la Somalie et l’usage de l’argument « humanitaire » pour la maintenir, à défaut d’intervention militaire directe (rappelons-nous le sort réservé aux militaires états-uniens lors de leur intervention dans le pays).

Avec ce roman, n’est-on pas dans le cas d’une idéologie impérialiste promue par un « indigène » algérien ? Peut-on trouver mieux, en terme de propagande, que l’intervention d’un romancier (appartenant à la sphère des pays dominés) et le recours à un argument (intervention « humanitaire ») pour justifier la domination hégémonique impérialiste et ses agressions contre les peuples ?

Algérie, Palestine, Afrique : ne constate-t-on pas la même vision ?… « Terroristes » d’un coté (en réalité, des dominés, quelque soit leur forme de résistance, certes discutable) et, de l’autre, de braves personnes (en réalité, des dominateurs ou jouisseurs du système exploiteur) impérialiste ?

7. La grenouille et le bœuf.

Déclaration de l’écrivain qui se cite à la troisième personne : « Yasmina Khadra est le plus grand écrivain ayant aujourd’hui un écho dans le monde, plus que Naguib Mahfouz, le lauréat du prix Nobel ».

Cette déclaration me rappelle une anecdote. Dans l’antiquité, à la fin de son discours au peuple d’Athènes, un personnage respectable (Solon, si ma mémoire est bonne) fut intrigué par les applaudissements de la foule. Il se tourna vers un ami proche et murmura : « Qu’ai-je donc dit de stupide pour me mériter ces acclamations ? »

Khadra connaît-il la différence entre peuple et foule ?… Le premier est conscient de sa dignité, basée sur un certain bagage culturel, et sait apprécier une production littéraire à sa juste valeur. La foule, au contraire, conditionnée par l’idéologie dominante, réagit uniquement aux sollicitations des démagogues, aux médiocres et aux imposteurs. Tel fut le cas lors de la condamnation de Jésus, lors de l’assassinat du dictateur Jules César, ou quand des colonisateurs transformaient des colonisés en bachagha, pour administrer, en « religieux », pour affirmer que le colonialisme est la volonté de Dieu, et en harkis, pour réprimer leur propre peuple.

Naguib Mahfouz est le témoin d’une réalité qu’il évoque avec sincérité vraie, une générosité réelle, un talent et un style dont la simplicité reflète la profondeur du contenu et la valeur de l’écriture. Aucune démagogie, aucune phrase ronflante, aucun tape à l’œil, aucun accommodement avec une quelconque idéologie coloniale ou néo-coloniale. Il ne peut donc pas plaire à la foule, mais seulement au peuple.

Au sujet des écrivains algériens, Khadra déclare : « Je suis probablement plus grand qu’eux et trop en avance sur eux, et au lieu de me suivre, ils ont choisi de me boycotter ».

Même les prophètes n’ont pas osé parler ainsi.

Encore : « Mais vous savez à qui vous parlez ? Je suis l’un des écrivains les plus célèbres au monde. Je suis plus connu que l’Algérie ! Je suis allé en Italie en visite officielle avec le président algérien : je suis passé à la télé, pas lui ! »

Et encore : « Je n’ai aucun complexe. Je ne peux imaginer un écrivain qui me dépasse dans le domaine du roman. »

Même un Victor Hugo, un Tolstoï, un Ernest Hemingway n’ont jamais osé parler ainsi.

Depuis quand la célébrité médiatique ou un passage à la télévision sont-ils un signe de valeur intellectuelle ou littéraire ?

Le dernier roman de Khadra ne figurant sur aucune liste de prix, l’auteur attaque les prix littéraires en dénonçant des « aberrations parisianistes dénuées de sens ».

Là, j’avoue ma perplexité. Comment expliquer cette attitude d’institution littéraire qui ignore, selon l’auteur, « le plus grand écrivain ayant aujourd’hui un écho dans le monde » ?

Des déclarations pareilles, comme contenu et forme, prouvent-elles la production d’une œuvre littéraire qui mérite la lecture ?… On objecterait : Bah ! Peut-être que l’œuvre est de meilleure qualité que la personnalité de l’auteur.

8. Un auteur, c’est son style.

Sur celui de Khadra, renvoyons aux extraits de ses romans cités par des critiques, dans la vidéo déjà mentionnée, lors de l’émission « La plume et le masque ». On y découvre non seulement que le romancier écrit des stupidités mais que son éditeur ne s’en aperçoit pas, les croient convenables ou n’y accorde aucune attention, se contentant de vendre une marchandise qui marche. Misère de l’édition commerciale où commandent le profit et la propagande destinée à la foule !

Eric Chevillard, écrivain et feuilletoniste au Monde des livres, note, à propos du roman de Khadra « Dieu n’habite pas à la Havane » : « Yasmina Khadra écrit faux comme une casserole ». On lit également : « Tissu de lieux communs et d’inventions malencontreuses, il illustre avec exhaustivité toutes les façons d’échouer qui s’offrent à un écrivain. Roman factice, appliqué, besogneux, il n’est jamais mieux qu’une affection de littérature et verse systématiquement dans le ridicule dès que l’auteur croit faire preuve d’audace poétique. » Suivent des exemples.

9. Mentalité harkie néo-coloniale.

Sur ce thème, j’ai déjà publié un essai, librement disponible »3.

Bien entendu, si un roman met en scène un combattant anti-impérialiste, c’est, pour les médias impérialistes, toujours de la « propagande » partisane et mensongère ; mais si le roman évoque un personnage qui fait l’éloge des « valeurs » occidentales (en réalité, impérialistes), c’est, bien entendu, de la vraie littérature, la meilleure, publiée dans tous les pays possibles de la planète. 

Reste une question hamlétique, que je pose avec une bienveillance taoïste : quelle différence voit Khadra entre un un authentique romancier et un vulgaire imposteur mercenaire ?… Cette question mérite l’écriture d’un roman, en se rappelant Boileau : « J’appelle un chat un chat, et Rollet un fripon ». 

Allons au fond du problème. Il faut en être bien conscient : le conflit entre les oligarchies impérialistes mondiales et les peuples qui veulent s’en émanciper est entré dans une phase aiguë, avec la guerre en Ukraine. La culture, dont le roman est un aspect, fait partie intégrante des armes de combat. Les oligarchies impérialistes disposent des moyens financiers et matériels les plus puissants par rapport à ceux possédés par les peuples. Mais gardons en mémoire les luttes des peuples contre les dominations : la faiblesse matérielle, transformée en force mentale, a permis la victoire sur la bête impérialiste. C’est cette force mentale qui est nécessaire, aujourd’hui, qu’il faut construire, dans tous les domaines de la vie sociale, au nom de l’amour de la vie, de la vérité, de la justice, de la beauté.

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1 « À propos de Yasmina Khadra | Partie 1 »

https://www.youtube.com/watch?v=LdVaFVhbM68&ab_channel=alibaba

2 https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%89quation_africaine

3 « Contre l'idéologie harkie: Pour une culture libre et solidaire », https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_ideologie_harkie.html

Publié in

https://www.algeriepatriotique.com/2022/07/29/considerations-sur-yasmina-khadra/

e

https://tribune-diplomatique-internationale.com/yasmina_khadraconsiderations/#_ftn1

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trouvé in: http://kadour-naimi.over-blog.com/2022/08/considerations-sur-yasmina-khadra.html?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTEAAR1uPHxMMsTj6Fuc9xb8I5Dtm1YpwdcvwZCJFuOkykr4fAtjg5bewhfVSPE_aem_UBlfM59Ef_fEJPJ5x4LcCg


Rédigé par Kadour Naimi


jeudi, février 18, 2021

737_ « Islamo-gauchistes » : une chasse aux sorcières médiatique

 

« Islamo-gauchistes » : une chasse aux sorcières médiatique


UN ARTICLE D'ACRIMED




Quelques jours après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et la mort de Samuel Paty (1), parmi le déferlement d’amalgames et de propos racistes, un mot d’ordre résonne dans de nombreux médias : haro sur les « islamo-gauchistes » ! Un vocable qui regroupe (entre autres) tantôt la Ligue des droits de l’homme (LDH), Mediapart, l’Observatoire de la laïcité, ou la France Insoumise… et parfois tous en même temps, dans une même accusation : celle de complicité avec le terrorisme. Une accusation grave portée en l’absence de toute preuve et de toute contradiction, proférée par des éditorialistes, des responsables politiques et une poignée de « personnalités » qui multiplient les apparitions à la télévision, à la radio ou dans la presse. Retour sur une séquence d’hystérie médiatique… aux allures de règlements de compte.

Lundi 19 octobre, de France Inter à RTL, en passant par Europe 1, CNews et BFM-TV, le même discours se déploie dans de nombreux médias, les mêmes anathèmes sont lancés sans contradiction.

Sur Europe 1, Patrick Cohen reçoit dans son interview de la mi-journée Pascal Bruckner. L’essayiste médiatique y déroule un discours halluciné, dénonçant une « hydre islamiste » qui aurait « pénétré tous les secteurs de la France : l’université, l’administration, peut-être la police, peut-être les services de renseignement, le monde du sport et le monde de l’école ». Et appelant à ce qu’on « désigne les complices », en particulier la France insoumise, coupable selon Bruckner d’avoir participé à la manifestation de novembre 2019 contre l’islamophobie avec le CCIF (2). Edwy Plenel serait également à compter parmi « les complices de gauche et d’extrême-gauche » qui ont « du sang sur les mains et devraient rendre des comptes ». Autant d’accusations graves, sans fondement, reçues avec la plus grande complaisance par Patrick Cohen… Quelques jours plus tard, sur le plateau de « 28 Minutes » d’Arte (21/10), Bruckner accuse cette fois Rokhaya Diallo d’avoir « armé le bras des tueurs » de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 – sans aucune réaction de l’animatrice, Élisabeth Quin.

Le 19 octobre, après avoir reçu Pascal Bruckner sur Europe 1, Patrick Cohen est sur France 5 pour sa chronique dans « C à vous ». Le lancement d’Anne-Élisabeth Lemoine donne le ton : « le drame de Conflans-Sainte-Honorine est aussi la conséquence d’années de déni ». Patrick Cohen acquiesce et dresse la liste de ceux qui se seraient rendus coupables de « lâchetés et les compromissions avec l’islam politique », citant pêle-mêle Edwy Plenel, Jacques Chirac, Tariq Ramadan ou le CCIF. Puis il épingle les propos d’un responsable de Sud Éducation, en les tronquant allègrement (3).

Invité par Alba Ventura sur RTL (19/10), l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, tient un discours similaire, pointant du doigt « les mêmes qui depuis 20 ans, utilisent cette arme de destruction massive de notre République que sont les accusations d’islamophobie, la victimisation, la culpabilisation permanente ». Même tonalité dans la matinale de France Inter (19/10), où Sophia Aram s’en prend d’abord aux« véritables promoteurs de ces attentats » qui « encouragent et organisent la posture victimaire [sic] » ; puis aux « promoteurs du concept d’islamophobie » ; ainsi qu’à « tous ces décérébrés, qu’ils soient militants, universitaires ou animateurs télé, venant dégouliner leur compassion morbide sur les musulmans pour leur expliquer qu’il est normal, compréhensible d’être bouleversé, meurtri, blessé par un putain de dessin. (4) »

Sur BFM-TV, Alain Marschall ne réagit pas lorsque Julien Odoul (RN) qualifie les députés de la France insoumise de « collabos » et de « cinquième colonne de l’islamisme » (19/10). Ni lorsque Tugdual Denis (Valeurs Actuelles) évoque « une espèce d’ambiance culturelle qui permet ce genre de passage à l’acte ». Même son de cloche plus tard : cette fois, c’est l’éditorialiste de la chaîne Bruno Jeudy qui fustige les « responsables de gauche » et les « responsables de sites d’information comme Edwy Plenel ».

Le même jour, Éric Zemmour, chez lui sur le plateau de « Face à l’info » (CNews), accuse Jean-Luc Mélenchon d’avoir manifesté avec ceux « qui ont armé intellectuellement le Tchétchène qui a tué le prof ». Et d’en conclure : « Un an après, il vient manifester pour cette jeune victime. C’est comme a dit l’ancien député Bernard Carayon : c’est le collabo qui veut participer à la Libération ». La veille, toujours sur CNews, Charlotte d’Ornellas n’hésitait pas non plus à cibler Jean-Luc Mélenchon, « plus qu’ami » avec « toute une nébuleuse qui a posé une cible sur la tête de ce prof ».

Les éditorialistes de la presse écrite ne sont pas en reste. Alexis Brézet n’a pas non plus de scrupule à donner des noms dans son édito du Figaro du 19 octobre. Parmi les « compagnons de route » qui soutiendraient la cause des islamistes, il cite tantôt Jean-Louis Bianco de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Luc Mélenchon ou encore Edwy Plenel, et « toute une nébuleuse islamo-gauchiste » regroupant pêle-mêle les mouvements décoloniaux, l’Unef, SOS-Racisme, la LDH, etc.

Dans Le Point (20/10), Étienne Gernelle s’en prend au secrétaire fédéral de Sud Éducation, qualifié de « sinistre clown » et au directeur de Mediapart. Puis c’est au tour de l’inénarrable Franz-Olivier Giesbert (21/10) d’éructer contre « le multimillionnaire » Edwy Plenel, « saint patron de l’islamo-gauchisme », avant de conclure : « Le martelage de cette engeance, sur fond de terrorisme intellectuel, ne contribue pas qu’un peu à notre délitement actuel ». Fidèle au poste dans Marianne (23/10), Jacques Julliard est au diapason des âneries réactionnaires : « Pour la première fois depuis l’Occupation, la France n’est plus libre. » Et l’éditocrate d’espérer : « Si, au moins, l’indignation actuelle contribuait à nous débarrasser de l’islamo-gauchisme, sans lequel l’islamo-fascisme ne saurait prospérer. (5) »

Ainsi, dans un large spectre de médias, des radios aux chaînes d’information en continu en passant par la presse, ce sont les mêmes accusations graves qui sont portées (de complicité avec le terrorisme tout particulièrement) en l’absence de tout élément factuel. Les mêmes procès d’intention sont formulés à l’égard des participants à la marche contre l’islamophobie, fin 2019, pour mieux les discréditer sous un vocable épouvantail : « l’islamo-gauchisme ». Il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire et la « force des concepts faibles », comme l’analyse Samuel Hayat dans une tribune pour L’Obs (27/10) (6). Pour comprendre l’omniprésence d’un tel concept dans la séquence qui nous occupe, et son infusion dans le débat public, il faut s’intéresser au rôle joué par un petit nombre de personnalités médiatiques ayant multiplié les interventions depuis l’assassinat de Samuel Paty. Et, dans un second temps, à celui des membres de gouvernement, ayant contribué – avec des journalistes, au choix : militants, suivistes ou complaisants – à la co-construction d’une telle chasse aux sorcières.

Un agenda médiatique, ça se travaille


Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer qu’à peine 48 heures après l’assassinat de Samuel Paty, l’agenda médiatique ait été à ce point orienté sur le lynchage des pseudo « intellectuels collabos » et du fumeux « islamo-gauchisme » – en plus d’un déferlement de propos islamophobes et xénophobes ? Dans l’article « Chaînes d’info : l’extrême droite en croisière », nous revenions sur les mécanismes propres aux chaînes d’info, à même d’expliquer tout à la fois la médiocrité du débat public et sa « radicalisation » à droite et à l’extrême droite. Ils ont évidemment ici joué à plein. Mais il faut signaler, dans ce moment particulier, un élément central et déterminant : la surface médiatique (bien au-delà des seuls médias ouvertement réactionnaires) occupée par le discours d’une série de journalistes, de polémistes ou d’essayistes, proches du Printemps républicain et de Manuel Valls. Malgré des tons différents, tous ont contribué à mettre en avant, dans les grands médias dont ils sont familiers, une obsession et un agenda communs : la stigmatisation des « complices de l’islamisme ».

À 23h16 le 16 octobre, soit seulement quelques heures après l’assassinat de Samuel Paty, Pascal Bruckner, en campagne médiatique pour vendre son dernier livre, dégaine le premier dans un entretien au FigaroVox: « On aura une petite pensée émue pour tous ceux, des Indigènes de la République jusqu’à une certaine presse de « gauche » – je pense au délicat Edwy Plenel – qui, patiemment, minutieusement, au nom de l’anti-racisme, ont construit une haine inexpiable contre l’équipe de Charlie. » Le philosophe médiatique n’a pas perdu de temps. Pas plus que Manuel Valls, sur le pont dès 8h30 le lendemain matin dans la matinale de France Info pour à son tour dénoncer Edwy Plenel et « les ambiguïtés […] présentes pas seulement parmi les politiques, [mais aussi] dans la société française, […] à l’école. » Une tirade savamment introduite par la journaliste du service public :

Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, a dit récemment que la gauche a abandonné ce combat pour la laïcité et la liberté d’expression. Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, a lui parlé de la complaisance de certains milieux intellectuels. Est-ce que vous partagez leurs constats ?

Le même jour, c’est « l’essayiste » Céline Pina qui menait campagne sur LCI, jetant cette fois-ci l’anathème sur l’université toute entière : « Aujourd’hui, allez écouter ce qui se dit à l’université. Ce n’est pas que les islamistes qui tiennent ce discours. Ils sont alliés avec qui ? Avec tous les racialistes, tous ceux qui voient tout par la couleur de la peau. Ils sont alliés avec qui ? Avec les Geoffroy de Lagasnerie. Ils sont alliés avec qui ? On les a vus ! »

Au soir du samedi 17, encore, c’est au tour du Parisien de mettre en ligne un entretien avec Bernard Cazeneuve, qui paraîtra le lendemain dans la version papier. L’ancien Premier ministre y dénonce des « petites lâchetés et concessions médiocres face au communautarisme » avant de mobiliser les grands mots, relancé sur la question par le journaliste politique Alexandre Sulzer : « Il y a aussi l’islamo-gauchisme qui regarde avec les yeux de Chimène certaines organisations communautaristes qui ont en elles une défiance, pour ne pas dire une forme de haine de la République. » Invité deux jours plus tard dans le « 7/9 » de France Inter (19/10), il pointe à nouveau les « groupes gauchistes » et « les parlementaires » ayant manifesté le 10 novembre dernier contre l’islamophobie. À Nicolas Demorand – en mal de cibles plutôt que d’arguments (« Vous parlez des insoumis ? De la France insoumise ? ») – Bernard Cazeneuve répand un semi-flou : « Ils se reconnaîtront, je parle bien entendu d’un certain nombre de députés insoumis, mais pas seulement. »

Mais n’allons pas si vite… Car c’est sans doute le dimanche 18 que les saillies contre « l’islamo-gauchisme » ont pris toute leur ampleur. À la faveur, notamment, d’agitateurs réactionnaires ou d’extrême droite ayant revendiqué, dans les médias, leur refus de se rendre au rassemblement pour Samuel Paty (place de la République à Paris), en raison de la présence de la France insoumise (entre autres). Dans Causeur, Céline Pina repart ainsi à l’offensive : « Les organisateurs appartiennent pour l’essentiel à la gauche qui a sombré dans l’islamo-gauchisme. […] Je ne défilerai pas aux côtés de ceux qui tiennent la porte à l’idéologie des assassins. […] Et surtout je refuse de défiler auprès des syndicats enseignants. Ceux-là mêmes qui par lâcheté ont laissé la situation dériver. » Avant de lister les « traîtres » un à un, de la FCPE à SOS Racisme en passant par la Ligue des droits de l’homme, la FIDL et l’Unef, tous « comptables […] de toute cette horreur », accusés de « légitimer la sauvagerie ».

Présent au rassemblement, Manuel Valls remet dix pièces dans la machine dans un duplex sur BFM-TV, ciblant une nouvelle fois la « très grande complicité » et la « très grande responsabilité » de Jean-Luc Mélenchon. Une intervention qui lui vaut d’être propulsé en plateau, quelques heures plus tard, en tant qu’invité principal de l’émission « BFMTVSD »:

Jean-Baptiste Boursier : Pardon je m’arrête là-dessus c’est très important parce que tout à l’heure je vous ai écouté avec attention. Vous étiez place de la République, vous avez eu des mots extrêmement durs, et notamment à l’endroit de la France insoumise, de Jean-Luc Mélenchon. Vous avez dit ils ont une forme de responsabilité dans cette lâcheté ?

Il n’en fallait guère plus à Manuel Valls pour renouveler et compléter le listing des complices : « La France insoumise, la gauche journalistique – Edwy Plenel, la gauche syndicale bien sûr – l’Unef, mais aussi la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme. » Quasiment à la même heure, la « camarade de barricade » de Manuel Valls (7), Caroline Fourest, se livre au même procédé sur le plateau de « C politique » (France 5), dénonçant l’Observatoire de la laïcité et appelant solennellement à ce que « les syndicalistes qui se disent à gauche arrêtent de tolérer d’être noyautés par des militants qui sont des militants obscurantistes. » Là encore, aucune précision ni le début du commencement d’une contradiction ne seront apportés par les journalistes.

Invité le lundi 19 dans la matinale de RTL, Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, dénonce les manifestants du 10 novembre 2019 en désignant Jean-Luc Mélenchon et Esther Benbassa. Avant de conclure : « On ne peut pas être en même temps Obono et Charlie Hebdo. » Un plaidoyer qu’il renouvelle sur « C à vous » (France 5) le soir-même, en dénonçant à nouveau Jean-Luc Mélenchon et Éric Coquerel, « qui trahissent tous les idéaux de la République […] en allant manifester le 10 novembre dernier avec le CCIF. » Là encore, la présentatrice Anne-Élisabeth Lemoine avait en amont bien labouré le terrain : « C’est pour ça qu’il vous est insupportable de voir hier place de la République des responsables politiques, eux qui ont été longtemps dans le déni ? Jean-Luc Mélenchon était présent […]. »

Ces quelques exemples – concentrés sur les trois premiers jours ayant suivi l’assassinat – donnent une idée de la rapidité avec laquelle le thème des « complices intellectuels » et de « l’islamo-gauchisme » s’est imposé dans le débat médiatique. Ils donnent également un bon aperçu de l’absence totale de contradiction de la part des journalistes, suscitant ou relayant des anathèmes et des concepts pourtant fumeux, sans ressentir le besoin d’argumenter. Et surtout, en assurant une présence médiatique quotidienne à leurs auteurs, tout au long de la semaine.

Pour ne donner que quatre exemples : Caroline Fourest écrit un édito dans Marianne le 17, passe sur France Inter et dans « C Politique » le 18, dans Elle le 19, dans L’Express, sur LCI et France 2 le 21 (entre autres !) ; Céline Pina écrit dans Causeur (les 17, 18 et 21), passe sur LCI les 17, 20 et 27, sur Sud Radio les 20 et 27, sur Public Sénat le 21, dans Front populaire le 24, Atlantico le 26, et fait même une apparition dans le « 13h » de TF1 le 20.

Manuel Valls, lui, est bel et bien de retour : le 17 sur France Info, le 18 sur Europe 1 et BFM-TV, le 21 sur Europe 1, BFM-TV et LCI, le 23 dans le talk du Figaro et sur TV5 Monde, le 27 sur Public Sénat… Quant à Pascal Bruckner, on peut le lire le 16 dans Le FigaroVox, l’entendre le 19 sur Europe 1, le 20 sur LCI, le 21 dans les « Grandes gueules » puis sur Arte, le 22 dans la matinale d’Inter et sur France Culture.


Une coproduction politico-médiatique


Si l’agenda médiatique est donc très vite accaparé par les accusations de « complicité » d’une partie de la gauche, la chasse aux sorcières prend une ampleur supplémentaire avec les prises de position médiatiques de plusieurs membres du gouvernement.

Le 19 octobre sur Europe 1, le ministre de l’Intérieur fait part de son souhait de dissoudre des associations, notamment Baraka City et le CCIF. Face à lui, Sonia Mabrouk rappelle ses accusations proférées deux semaines plus tôt à l’Assemblée nationale : « Vous avez dit à l’Assemblée, Gérald Darmanin, qu’il y a un islamo-gauchisme lié à la France insoumise qui détruit la République… qui détruit la République ! » Loin d’en interroger la pertinence, elle les atteste et s’interroge : « Qu’est-ce qu’on fait pour empêcher cela ? » Au ministre, qui tempère (« Les mots de temps de peine ne sont pas les mots de temps de guerre. Moi je veux attaquer personne en particulier. Je suis très content que beaucoup de gens se réveillent »), elle semonce : « Est-ce qu’il y n’a pas des réveils tardifs ? »

Le lendemain soir (20 octobre), sur BFM-TV, le ministre de l’Intérieur s’aligne explicitement sur les mots de Patrick Cohen, tenus la veille dans « C à vous » (« M. Cohen en a témoigné ») et s’en prend à Sud Éducation et Edwy Plenel : « Je me dis qu’il y a de la lâcheté intellectuelle évidemment, et qu’ils sont aussi entre guillemets responsables de cette ambiance, de température, qui permet à des individus de passer à l’acte en excusant tout. » La coproduction politico-médiatique de tels anathèmes ne fait que commencer…

À compter du 22 octobre, des ministres et membres de la majorité relayent ce discours dans les médias ou à l’Assemblée nationale (8).

Mais c’est surtout l’interview du ministre de l’Éducation nationale par Sonia Mabrouk (décidément…) le 22 octobre sur Europe 1 qui remettra, à compter du jeudi et plusieurs jours durant, la question de l’ « islamo-gauchisme » à l’ordre du jour médiatique. Et, plus précisément ce passage :

Jean-Michel Blanquer : Moi je pense surtout aux complicités intellectuelles du terrorisme. C’est ce point que je souhaite souligner en ce moment. Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée.

Sonia Mabrouk : Qui par exemple ? Des milieux intellectuels, universitaires ? Citons-les !

Jean-Michel Blanquer : Oui on peut les citer, ce qu’on appelle communément l’islamo-gauchisme fait des ravages.

Et le ministre de citer « l’université », « les rangs de la France Insoumise » ou « l’Unef » comme « complices intellectuels de crimes ». L’AFP y consacre une dépêche le jour-même – reprise partout : sur les sites de L’Obs, Le Parisien, Le Point, La Provence, Paris Match, Ouest-France, Nice Matin, L’Express, Challenges, La Voix du Nord, 20 Minutes, et ceux de BFM-TV, CNews, i24 News, France 24, RTL et encore celui de France Info. Le buzz est garanti, et la mécanique médiatique est relancée. Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Opinion, RT France, Atlantico publient également des articles sur ce passage de la déclaration du ministre… Relayés, commentés ou critiqués, ses propos sont partout. Et bien sûr, également dans les talk-shows – c’est qu’ils donnent matière à débat : dès le 22 octobre sur CNews (dans « L’heure des pros 2 » puis dans « Soir Info ») et LCI (« 20h Darius Rochebin »), le 23 octobre sur RMC (« Les Grandes gueules »), le 24 sur CNews (« Midi News Week-end ») et France 5 (« C l’hebdo »), le 26 sur LCI (« 24h Pujadas »).

Les chroniqueurs de « L’heure des pros », une des émissions phares de CNews, ne sont pas avares en outrances. Le 22, Gilles-William Goldnadel tranche à propos d’un syndicaliste cheminot : « [Anasse Kazib] c’est Sud Rail, et c’est largement autant l’islamisme que le gauchisme » ; le lendemain Ivan Rioufol (du Figaro) se lance dans une des tirades hallucinées dont il a le secret :

Ce sont des fascistes, ce sont des islamo-fascistes, des nazislamistes [sic], des totalitaristes appelez-les comme vous voulez, ce sont des antidémocrates. D’ailleurs il est temps aujourd’hui de mettre un cordon sanitaire […] pour tous ces partis, notamment d’extrême gauche, qui pactisent aujourd’hui avec ceux qui ont décidé de l’effondrement de la France.

Ce 22 octobre, Pascal Praud a senti le basculement : « C’est intéressant, parce que ce n’est pas Marine Le Pen qui le dit, ce ne sont pas des éditorialistes qui le disent, c’est le ministre de la République. Et cette phrase (…) n’aurait pas pu être dite il y a huit jours ». Il est suivi par sa bande :

Gilles-William Goldnadel : « L’expression “islamo-gauchiste”, je l’ai employée à peu près depuis 20 ans, et pendant très longtemps, on ne parlait pas des ravages qu’il faisait, on disait que j’étais un ravagé moi-même ».

Ou Ivan Rioufol, le lendemain, toujours sur CNews : « Ça fait très longtemps que nous sommes quelques-uns à dénoncer l’islamo-gauchisme. Et jusqu’alors effectivement nos paroles ne passaient pas… ne passaient guère les murs. Aujourd’hui les murs s’effondrent, tant mieux ».

Un bilan que tirait aussi Marianne (en s’en réjouissant) le 22 octobre : « On voit les complaisants politiquement corrects de l’UNEF se faire huer comme collabos dans les manifestations – ; qui parle d’islamo-gauchisme, d’années d’aveuglement et de laxisme n’est plus à la droite d’Attila ».

Et on a vu sur les chaînes d’info en continu, dans les éditos de la presse hebdomadaire, sur l’audiovisuel public se poursuivre cette chasse aux sorcières (9). Le dimanche 25 octobre sur France Culture, Brice Couturier reprend ainsi à son compte la « thèse » de Jean-Michel Blanquer :

Je pense que Jean-Michel Blanquer a tout à fait raison de souligner qu’il y a tout un tissu intellectuel, tout un écosystème intellectuel et médiatique qui a couvert, qui a just…, qui a légitimé en essayant de comprendre. […] On a été très très loin quand même dans la légitimation de ces actes de guerre qui sont dirigés contre notre pays et contre nos concitoyens. Il faut que ça cesse ! Il y a des gens qui ont manifesté en novembre avec les islamo-gauchistes, avec les islamistes en criant « Mort aux juifs » dans les rues, et qui aujourd’hui retournent leur veste parce qu’ils ont compris que les Français étaient exaspérés

Avant de se faire le porte-parole de Manuel Valls en fustigeant, tout en nuance, une gauche « indigéniste, racialisante, qui déteste la laïcité et qui veut renverser la République. » Et de conclure, hargneux : « Ces gens-là sont en train de faire l’objet d’un rejet très violent de la part de la population, c’est bien fait pour eux. »

Valérie Toranian, directrice de la rédaction de la Revue des deux mondes, accrédite également les propos du ministre de l’Éducation nationale dans un éditorial publié sur le site du mensuel:

Les collabos se recrutent à tous les étages de notre société. Dans les médias, à l’université, très justement accusée par Jean-Michel Blanquer d’être souvent le lieu d’un islamo-gauchisme qui fait des ravages..

Le 26 octobre, c’est encore Alain Finkielkraut qui, seul sur le plateau de LCI pour répondre aux « questions » de David Pujadas, s’en donne à cœur joie. Faut-il dénoncer l’islamo-gauchisme demande Pujadas ? Bien sûr, répond Finkielkraut :

L’islamo-gauchisme n’est pas un fantasme droitier. C’est une triste réalité. […] L’islamo-gauchisme, c’est Danièle Obono, députée de la France insoumise qui ne pleure pas pour Charlie, qui réserve ses larmes pour Dieudonné. L’islamo-gauchisme c’est Emmanuel Todd […]. L’islamo-gauchisme c’est en effet Jean-Luc Mélenchon […].

La violence est telle que les (très rares) personnes accusées d’ « islamo-gauchisme » qui furent invitées à « s’exprimer » ont en réalité été jetées en pâture et soumises à des interrogatoires journalistico-policiers en règle. Comme l’a signalé Laurence de Cock, ce fut notamment le cas de la présidente de l’Unef, Mélanie Luce, lors de l’émission « Signes des temps » présentée par Marc Weitzmann sur France Culture.

Bref. Plus d’une semaine après l’assassinat de Samuel Paty, l’hystérie médiatique à propos des « islamo-gauchistes » continuait, appelant la surenchère d’une Marine Le Pen sur RTL ou celle d’un Alain Finkielkraut sur LCI (fustigeant l’ « islamo-clientélisme » et l’ « islamo-humanisme » !) Le 22 octobre, Le Figaro rapportait d’ailleurs le désarroi du Rassemblement national, « à l’épreuve de la banalisation de ses idées ».

***


La semaine de matraquage ayant suivi l’assassinat de Samuel Paty témoigne de l’emprise des obsessions réactionnaires, du degré d’hystérie du débat médiatique. Et de folles contradictions : ainsi certains journalistes peuvent-ils, dans le même temps, vanter les mérites de l’éducation et de la connaissance ; et contribuer à la misère du débat public en favorisant la circulation circulaire d’amalgames et d’anathèmes sans fondements qui neutralisent, par avance, toute discussion et toute réflexion.

Et les mêmes têtes d’affiches qui claironnent en chœur la défense de la liberté d’expression se livrent par ailleurs à une campagne de disqualification et de stigmatisation d’un pan toujours plus vaste de la société : associations, organismes publics, organisations de défense des droits humains, syndicats enseignants et étudiants, milieu de la recherche, intellectuels et partis politiques, accusés en bloc de « complicité » avec le terrorisme. Le tout en marginalisant leurs prises de parole, ou plutôt en les excluant purement et simplement de l’espace du débat public, comme ce fut le cas en cette semaine.

Après les attentats de 2015, déjà, dans l’article « ‘‘ Avec nous, ou avec les terroristes’’ : les éditorialistes-faucons sont de retour », nous analysions le matraquage auquel se livraient les mêmes personnalités que l’on retrouve aujourd’hui contre les voix dissidentes de l’époque :

Au-delà de l’évidente condamnation de ces actes ignobles et de l’expression de la solidarité avec les victimes et leurs proches, certaines organisations et certains individus ont tenté de faire entendre une voix discordante, refusant de s’identifier de manière acritique à la politique française, qu’elle soit étrangère ou intérieure. […] Ces voix discordantes ont-elles raison ? Là n’est pas la question. Il s’agit plutôt de savoir si elles ont le droit de s’exprimer dans l’espace public et, singulièrement, dans l’espace médiatique. Nous estimons que oui, car rien ne saurait justifier l’interruption du débat démocratique, a fortiori dans un moment où une population sous le choc a envie, et besoin, de réfléchir et de comprendre. […] Réfléchir, comprendre, expliquer, ce n’est pas justifier. Il serait temps que certains le comprennent pour ne pas répéter éternellement les mêmes erreurs en faisant régner une terreur intellectuelle qui, sous couvert de défense de la liberté, tend à ruiner encore un peu plus les conditions élémentaires du débat démocratique.

Nous assistons, cinq ans plus tard, à une réactivation amplifiée de ce moment médiatique. « Réactivation » car les raisons et les processus médiatiques de la disqualification sont identiques. « Amplifiée » car le matraquage est massif, irriguant désormais la quasi-totalité de l’espace médiatique. Et se traduit par la mise au ban par anticipation des « complices » supposés, auxquels certains journalistes vont jusqu’à dénier le droit du recueillement et de l’émotion.

« Contre le parti collabo » écrivait Jacques Julliard dans un édito de Marianne en septembre 2016, fustigeant les « arrières-greniers de la pensée collabo », leur « esprit de soumission » et les « intellectuels » au sens large. « Ce n’est pas ma faute à moi si dans le langage populaire intello rime avec collabo. » Contre ce niveau d’argumentation, contre le piétinement de la pensée, contre les verrouillages du débat et pour la liberté d’expression : voilà à quoi nous en appelons plutôt.


Frédéric LemaireMaxime Friot et Pauline Perrenot, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

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1_ Voir le communiqué d’Acrimed ici-même.

2_ Le Collectif contre l’islamophobie en France est une association dont l’objet est de lutter contre l’islamophobie — définie par elle comme « l’ensemble des actes de rejet, de discrimination ou de violence perpétrés contre des institutions ou des individus en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane » (Wikipédia). Il a, dès le début, été visé par le gouvernement et les commentateurs médiatiques.

3_ Lire à ce sujet cet article de la page Checknews du site de Libération.

4_ Ce passage a été complété le 31/10/2020.

5_ Pourfendeur de longue date de « l’islamo-gauchisme », Jacques Julliard écrivait par exemple en 2018 dans La revue des deux mondes : « L’islamo-gauchisme […] est le fait d’intellectuels, de groupuscules, de certains médias comme Mediapart. Ce n’est pas un mouvement organisé, son importance vient de son influence sur le monde des médias (beaucoup de journaux, de radios, la presse de gauche en général, Libération en particulier). Aujourd’hui un certain nombre de personnalités de gauche sont fascinées par ces formes inédites d’obscurantisme religieux. »

6_ À ce sujet, on pourra également se reporter aux articles de Libération : « Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique » (14/04/16) et « En finir avec l’ »islamo-gauchisme » ? » (23/10/2020)

7_ L’expression est de Manuel Valls, France Info, 17 oct.

8_ Par exemple, la députée LREM Aurore Bergé qui exprime sa « colère face à ceux qui ont mis leurs pas dans ceux du CCIF. » Ou encore le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui « dénonce » dans Le Figaro, « l’attitude de certains partis politiques comme La France insoumise ou une fraction des Verts » et « la complaisance de certains syndicats étudiants comme l’Unef. » Il se répétera, le lendemain (23 octobre), chez Sonia Mabrouk.

9_ Dans le même temps, le défilé médiatique des membres du gouvernement et de la majorité se poursuit pour lister les « complices », par exemple Aurore Bergé sur LCP le 23 octobre, ou Jean-Michel Blanquer dans le JDD et Marlène Schiappa sur CNews le 25.

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LE CNRS EST CLAIR

Voici son mot daté 17 février

L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique 

17 février 2021 

Institutionnel

« L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

Contact

Priscilla Dacher 

Responsable du bureau de presse du CNRS

www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme