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dimanche, mars 09, 2008

71- Boualem SANSAL : « Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller »

Recension du livre de Boualem SANSAL : « Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller » - Ed : Gallimard – Janvier 2008, 264 pages.


De nouveau la machine Sansal s’est mise en branle, bousculant piétinant frappant gênant. Qu’est-ce ? Un roman sur la Shoah dit-on, un roman sur l’islamisme frère jumeau du nazisme dit-on encore. Quoi qu’il est soit, un livre à la hauteur des attentes des amateurs de l’auteur. Un roman à la construction non linéaire, relatant l’histoire de deux frères abasourdis par la découverte du passé nazi de leur père. Un livre qui a entraîné de ce côté-ci de la Méditerranée une somme importante de commentaires béats et non nuancés, sur l’islamisme l’islam et le nazisme.

1- Structure narrative

Deux frères à la sensibilité dissemblable, Rachel la trentaine et Malrich adolescent, racontent l’histoire d’une tragique découverte, le passé monstrueux de leur père. Le livre est constitué de 21 chapitres ou parties de journaux intimes, 12 écrits par Malrich, 9 par Rachel. Il y a comme une imbrication des paroles de l’un dans celles de l’autre, comme une sorte de discussion à deux dans laquelle le petit frère est plus prolixe, 140 pages contre 118 pour Rachel. Malrich écrit entre 10/96 et 02/97 (5 mois) soit le quart du temps de Rachel qui écrit entre 9/94 et 4/96 (20 mois). Le livre s’ouvre avec la parole de Malrich (oct 96) qui parle du suicide de son frère aîné. Il se referme sur celle de Rachel qui se prépare au suicide le 24 avril 1996, deux ans jour pour jour après l’assassinat de leurs parents. Le suicide donc, ouvre et referme la boucle. La tonalité générale respecte en quelque sorte l’esprit du livre qui est la dénonciation de la terreur. La narration est soutenue, on se trouve parfois à se demander si le roman ne s’inscrit pas plutôt dans le registre du témoignage. On ne retrouve pas ou très peu, les belles grandes phrases-paragraphes alambiquées, auxquelles l’auteur nous a conviés dans ses précédents écrits. La dérision y est mesurée. On ne retrouve pas non plus les grandes envolées lyriques foisonnantes dans Le Serment des barbares- peut être à cause de l’objet observé- mais on a tout de même de beaux passages : « Je ne le savais pas, la maman d’Ophélie a une façon de sonner qui réveille les morts. C’est un appel brutal, incessant, chargé de remontrances (…) Rachel n’avait pas tord, les émigrés pensent à eux, à leur mort, à la tombe qui les attend au pays, jamais à leurs enfants qu’ils maintiennent dangereusement suspendus dans le vide (…) Je me retrouve à réfléchir à la meilleure façon de ne pas réfléchir et les mêmes idées déferlent… » et combien d’autres. On regrettera néanmoins quelques banalités et préjugés distillés parfois à travers le regard ordinairement raciste de Malrich, « Togo-au-lait se croit malin comme un singe (…) s’il avait été élevé comme son bisaïeul Togo-au-lait nous aurait tous dévorés » ou encore ce slogan pastiche « je crois en Hitler, je vis par lui et pour lui ».

2- L’histoire

Le village de l’Allemand n’est pas que l’histoire d’une terrible Histoire, il rapporte aussi l’histoire d’une sorte de retrouvailles entre deux frères métissés, Malrich et Rachel Schiller qui ont si peu échangé entre eux. Leur père est Allemand, leur mère Algérienne. C’est l’histoire d’une triple dénonciation : dénonciation du nazisme, de l’islamisme mais aussi du régime autoritaire Algérien. Rachel arrive en France en 1970 à 7 ans et Malrich en 1985, à 8 ans. Tous deux y sont envoyés par leur père pour parfaire leur éducation. Ils sont hébergés en banlieue parisienne par des amis parentaux : Ali et son épouse Sakina. Rachel a suivi des études universitaires, il est cadre ingénieur, marié puis divorcé, possède un pavillon… Malrich lui, n’a pas atteint le niveau du collège, il vit de petits boulots et parfois de larcins. Alternativement, l’un et l’autre détaillent chacun à sa façon la découverte qu’il fait du passé du père. Leurs visions sont tantôt différentes, tantôt parallèles, complémentaires. « Rachel est cultivé, sa requête est construite, ‘intelligente’, il théorise sa pensée… en revanche Malrich est protégé par son ignorance, il a une démarche spontanée » (Sansal).

Pour Rachel tout commence par le journal télévisé du 25 avril 1994. Le journaliste rapporte que « hier soir, un groupe armé a investi un village ayant pour nom Aïn Deb (…) Selon la télévision algérienne, cet énième massacre est encore l’œuvre des islamistes du GIA… » La barbarie a atteint notre village s’exclame Rachel. L’ambassade algérienne confirme le massacre et l’informe que ses parents figurent parmi les victimes. 1994 fut une année importante dans l’accroissement de la terreur en Algérie. Des centaines de villageois sont massacrés. Le 23 mars 1994, le colonel-ministre de l’intérieur Salim Saadi (gouvernement de Rédha Malek) annonce la création de milices. Des escadrons de la mort voient le jour (OJAL…) Sur les lieux du carnage Rachel récupère « une petite valise pelée » contenant l’horreur absolue : le passé nazi de son père Hans Schiller devenu Hassan. Désormais et jusqu’à sa mort Rachel se consacrera à la recherche de ce passé. Il fouille dans les ténèbres « pour tenter de comprendre pourquoi, pour apprendre l’origine du mal ». Sa compagne le quitte, il est renvoyé de son travail. Il erre durant un mois en Euope jusqu’à Auschwitz Birkenau, se met dans la peau du père, va jusqu’à prendre une photo pour lui ressembler, « une réplique exacte » de celle de son père. Il achète Mein Kampf, rencontre le fils d’un autre nazi qui lui dit « tu es bien le fils de ton père ». Rachel la victime se déclare coupable, mais pense-t-il, « se dire ‘‘je suis le fils d’un criminel de guerre’’ ce n’est pas comme s’entendre dire ‘‘tu es le fils…’’ » Il sait qu’il n’en sortira pas, il sait qu’il est condamné. Il est seul au monde. « Tout en moi était cassé. J’étais comme ces gens définitivement brisés, veufs d’un grand amour ou rescapés d’un désastre absolu, qui entrent dans des deuils qui ne finissent jamais (…) Arrivé où je suis ça ne peut être que la fin ». Vêtu d’ « un drôle de pyjama, un pyjama rayé », comme les victimes de son père. Il se suicide au gaz pour expier ses crimes.

Malrich lui, réagit autrement à la perte de son frère, de ses parents, d’une voisine qu’il « connaissait sûrement » et à la découverte du journal de son frère. Comme lui, Malrich est revenu à son village natal pour retrouver « les traces de mon frère, à la recherche de notre père, de notre mère, de notre vérité ». Une grande détresse s’empare alors de lui. Dès qu’il ouvre le journal intime de son frère, journal que lui a remis l’empathique commissaire Daddy, Malrich a honte de vivre. Le commissaire lui dit « ton frère a eu la seule attitude digne : chercher à savoir, d’abord comprendre ». Même si, comme son frère Malrich s’enferme, ne sort plus, même si comme lui il est seul au monde, comme lui il sombre, il ne culpabilise pas, ne reconnaît pas en quelque sorte son géniteur, « nous ne sommes pas responsables de l’Holocauste ! » Car comme dit Régis Debray (ce que certains ne lui pardonnent pas) les hommes ont conscience de leur propre histoire et la Shoah n’est pas constitutive de l’histoire des peuples non occidentaux. Elle leur est en effet extérieure, ils ne peuvent, ne doivent l’assumer qu’avec une certaine distance liée à son extériorité. La résistance à l’islamisme Malrich la pense radicalement. Il veut tuer l’imam, tuer les islamistes. Il est revenu de loin, lui qui a passé une période parmi les intégristes.
Malrich dont le racisme ordinaire est féroce, amalgame abusivement banlieue et camp de concentration, islam et islamisme : « islam, islamisme c’est un détail, on s’en fout ». J’écris abusivement en pensant à l’auteur qui reprend à son compte les points de vue de ses personnages, notamment lors d’émissions radiophoniques (lire plus bas). Il se rend sur la tombe de son frère et lui parle longuement, lui raconte son voyage à Ain Deb, comment il a été interrogé par l’imam dans son bunker… La conscience de Malrich naît par la force des choses. Il souhaite aller demander pardon au Mémorial juif de Jérusalem. A son tour la culpabilité le rattrape. Il endosse comme son frère a endossé. Il ira pour son frère et pour lui-même demander pardon au nom de leur père. La descendance doit-elle expier pour les ancêtres, et jusqu’à quand ? Il dit : « Pour Rachel justice n’est pas faite. Il en a porté le poids jusqu’à la fin et je le porte à mon tour ».

La dernière dénonciation pointe le régime autoritaire d’Alger et ses supplétifs. Malrich : mes parents et nos voisins ont été assassinés et je ne sais ni pourquoi ni par qui… un jour on saura ». Il dénonce les brutalités, évoque les disparitions forcées dont sont responsables les « agents spéciaux » Algériens. Il doute quant aux commanditaires de l’assassinat de ses parents. Rachel dit qu’il y a la guerre en Algérie en 1994 entre le régime et les islamistes, entre la peste contre le choléra. « Il était de notoriété mondiale que les grands dirigeants de l’Algérie l’avaient saccagée et la préparaient activement à la fin des fins »

L’on peut regretter que Rachel fasse à son tour un parallèle abusif et inapproprié entre l’Union de la jeunesse du FLN et les Hitlerjugend, quel que fut la brutalité du régime algérien d’alors. Rachel écrit au Ministre algérien des affaires étrangères pour lui demander où en est l’enquête sur les massacres du 24 avril 1994 ? « Selon la télévision le groupe armé non identifié est indubitablement un groupe de terroristes bien connu de vos services de police ». Rachel est prêt d’entreprendre une action en direction des instances internationales car il soupçonne des parties du Pouvoir de vouloir étouffer l’avènement de la vérité « je suis obligé d’engager toutes actions visant à vous contraindre et à établir que vous êtes partie liée d’une opération d’étouffement de la vérité »
Lorsqu’il arrive à Alger Malrich subi un contrôle tel qu’il a eu l’impression d’avoir purgé 30 ans de prison. Lui et 20 autres passagers sont arrêtés par la police politique. Il assiste à un enlèvement de passagers par la SM/DRS vers une destination inconnue : « un jour on saura ». « Les agents spéciaux de l’aéroport nous ont traités comme des déportés…. Ils nous ont pris nos valises, notre identité, ils nous ont empoisonnés avec leur gaz d’échappement ». Malrich est confiant en l’avenir « un jour je retournerai… et je raconterai l’histoire de Hans… je dois dire la vérité, dans la tête des enfants, elle fera son chemin ». Il sera un passeur de vérité.

3- Un tabou et des interrogations

Sansal a bien fait de traiter d’un sujet aussi lourd, tabou parmi d’autres en Algérie. Son roman pose nombre de questions liées à la Shoah à l’islamisme à la dictature, mais aussi à la complexité et au paradoxe de l’homme constitué du bien et du mal, « oui, quelle que soit sa déchéance, la victime est un homme et quelle que soit son ignominie, le bourreau est aussi un homme ». Malheureusement en France la critique parisienne n’a retenu de Le village de l’Allemand qu’un parallèle entre nazisme et islamisme. Hélas, Interrogé par des journalistes « très intéressés » et aux points de vue bien arrêté (orienté), Sansal lui-même leur a emboîté le pas, n’évoquant que le parallèle entre islamisme et nazisme, éludant toutes autres questions… Lequel parallèle ne peut facilement opérer pour deux simples raisons : les nazis avaient une doctrine écrite à travers le programme en 25 points du NSDAP de février 1920 et avaient une source fondamentale « Mein Kampf » de leur leader Adolf Hitler, programmes approuvés par plus de 80% de la population Allemande. Autre raison, les Islamistes ont autant de discours que de leaders. La tentative de faire croire en un vaste réseau terroriste islamiste mondial avec à sa tête une organisation aux ramifications tentaculaires dont le führer suprême serait Oussama Ben Laden, est une manipulation médiatique occidentale.

Selon certains intellectuels Français « l’un des obstacles à la lecture de ce roman par les lecteurs Maghrébins réside dans le fait qu’Israël est un abcès de fixation… » Le problème est que la Shoah est exploitée, elle est instrumentalisée pour justifier le présent moyen-oriental. L’autre problème est qu’on tente en Occident de hiérarchiser les malheurs et les victimes. Sansal contribue à la confusion (dans la mesure où il se reconnaît dans les paroles de ses personnages) et à obscurcir le cœur du débat. On lit par exemple qu’ « au Moyen-Orient, rien n’est clair depuis la nuit des temps ». Rachel/Sansal exagère, tout y est au contraire très clair. Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut voir. Le point noir qui empêche de voir clair est la colonisation et la politique du Bantoustan que mène Israël impunément depuis (au moins) 1967. Sansal a fait son boulot d’écrivain libre nous ne pouvons que lui être reconnaissant. Les questionnements foisonnent dès lors qu’il endosse toute la parole de ses hommes de laboratoire, ses personnages, ses homuncules nés de sa formidable alchimie. Où est la part du roman où est celle du témoignage ? Il est vrai comme le dit Sansal que le conflit Israélo-Palestinien sert de prétexte aux régimes arabes pour se maintenir au pouvoir, « qu’Israël sert d’exutoire » (A. Finkielkraut). Mais est-ce suffisant pour éviter de dire la colonisation terrible de l’Etat voyou d’Israël ? Lors de son émission « Répliques » (France Culture du vendredi 23 février dernier avec la tunisienne Hélé Béji et Boualem Sansal) Alain Finkielkraut a reproché aux colonisés d’avoir une mentalité de « créanciers ». Ils pensent dit-il, que le monde leur doit tout. Mais ce personnage évite d’aller jusqu’au bout de sa propre logique. Il ne dit pas combien Israël se comporte en Etat « créancier » éternel en imposant (grâce au silence complice des sociétés occidentales –de leurs dirigeants– matrices de colonisations d'esclavages et autres génocides dont celui de la seconde guerre mondiale) que « le monde leur doit tout » depuis 1948, jusqu’à coloniser un peuple, en tuer des milliers de membres, militaires ou civils, vieillards ou enfants en se réfugiant systématiquement derrière le honteux alibi des « malencontreux dégâts collatéraux » depuis toujours ; à violer les lois des instances internationales, en toute impunité. Cet Etat exploite impunément ce qu’Esther Benbassa appelle la « religion de l’Holocauste et de la Rédemption ». J’ai déploré le silence total de Sansal devant le parti pris inadmissible de Finkielkraut. J’ai par contre beaucoup apprécié la fulgurante réplique de la Tunisienne Hélé Béji « Certes il ne faut pas fonder son identité sa souveraineté intellectuelle sur nos humiliations, mais il faut que cela soit valable pour toutes les persécutions. A partir du moment où l’histoire est passée, hé bien il ne faut pas en faire hériter les enfants, quels que soient les crimes commis (…) Il y a un discours de domination de la communication qui met au cœur du débat… » Finkielkraut la coupe brusquement, Héji ne peut terminer sa pensée. Ce comportement médiatique, comme le démontrent si bien Hélé Béji et Esther Benbasa entre autres, nous avons pu le mesurer avec encore une fois France Culture lors de l’émission animée par Ali Badou (vendredi 15 février dernier). Celui-ci n’a posé aucune question portant sur la littérature durant une heure et trente minutes d’échanges, axant l’essentiel des questions (lui et ses collaborateurs) sur le parallèle entre nazisme et islamisme. Ce même Badou recevant mardi 4 mars l’écrivain suivant, l’américain Russell Banks « pourfendeur du rêve américain et porte-parole des marginaux » procède tout autrement, n’hésitant pas à évoquer les profondeurs de son écriture, les projets romanesques de l’intéressé et tutti quanti. Cela signifie qu’on ne reconnaît pas à Sansal sa qualité d’écrivain pleine et entière, mais en l’occurrence juste une sorte de journaliste local d’investigation.

Last but not least, le coup de chapeau de Guysen Israël News dont Sansal n’avait vraiment pas besoin, compte tenu des circonstances. Ce journal qui dénonce dans le même article les manifestations de Gaza, soutient Sansal en faisant appel à des personnes au racisme outrancier comme l’était celui d’Oriana Fallaci traitant les musulmans ces « fils d’Allah qui se multiplient comme des rats », ou bien en faisant appel à la provocatrice Ishad Manji « Je ne ferai jamais le pèlerinage à La Mecque car on y interdit l’entrée aux juifs et aux chrétiens (…) l’Occident, se laisse endormir par l’idée de multiculturalisme et est trop tolérant face à une religion (l’Islam) aux tentations totalitaires ». Non vraiment, Sansal n’avait pas besoin de cette fange. Mais où est donc passée la littérature ?

Ahmed HANIFI
Mars 2008

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06 mars 2008
L’angoisse et le dégoût de Boualem Sansal
Qui en douterait ? Le dernier roman de Boualem Sansal a été très mal reçu chez lui en Algérie. Il a l’habitude. Sauf que cette fois, le malaise s’installe si durablement et la menace se fait si insidieuse que l’angoisse est quotidienne. Au point de le pousser à s’exiler. Il n’envisageait pas jusqu’alors de vivre ailleurs que dans son pays, malgré tout, ce qu’il m’a confié tout à l’heure à l’issue d’une longue conversation à bâtons rompus à Bruxelles. Il faut dire que Le Village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller (265 pages, 17 euros, Gallimard), son cinquième roman depuis Le Serment des barbares qui l’avait révélé, raconte une histoire pour le moins explosive.
Les deux narrateurs sont deux frères nés d’un couple dit mixte : mère algérienne, père allemand. Celui-ci est un moudjahid nimbé de l’auréole de ceux qui ont combattu héroïquement pour arracher l’indépendance aux Français. A ceci près qu’il eut un autre passé pendant l’autre guerre, celle du IIIème Reich… A travers leur Journal, les deux frères évoquent tant la découverte de la solution finale par un jeune Arabe que la récente guerre civile algérienne et la vie des immigrés dans les cités dans la France de la fin du XXième siècle. Trois raisons d’appuyer là où ça fait mal. L’action se situe à Aïn Deb, près de Sétif, où les islamistes du GIA massacraient à la chaine il y a peu encore. Le nom est inventé mais c’est bien ce coin là où vécut autrefois celui que les gens du crû appelaient “l’Allemand”. La vérité et la force de ce roman ne surgissent pas seulement de son authenticité, mais aussi de sa recherche formelle.
Lakhdar Hamina, la fameux réalisateur de Chronique des années de braise, prit même son téléphone pour le confirmer à Sansal :” Ton type, je l’ai connu. Même qu’on l’appellait comme ça, Al Almaani, l’Allemand !”. Pour écrire cette histoire, l’auteur n’a pas seulement enquêté sur le personnage en interrogeant les témoins locaux ; il s’est documenté sur les liens historiques entre nazisme et monde musulman. “C’est pour ça qu’aujourd’hui, on ne me lâche pas, me dit-il. Ils sont persuadés que j’ai tout inventé pour nuire à l’image du FLN en mêlant les anciens nazis à la guerre de libération de l’Algérie”. Et Boualem Sansal de regretter que malgré l’excellent accueil de la presse française, nul n’ait osé creuser dans le roman et aller au fond des choses. Explorer les liens historiques entre islamisme et nazisme. Il cite bien sûr le grand mufti de Jérusalem Al Husseini et ses visites auprès d’Hitler, mais aussi Hassan El Banna, le fondateur des Frères musulmans, qui en fit autant, sans oublier un personnage inconnu des Français mais bien connu des Algériens qui s’intéressent aux racines idéologiques du FIS (Front Islamique du Salut) : Mohamdi Saïd, le troisième du trio (avec Madani et Belhadj) qui fonda l’organisation ; or, avant cela, et avant d’être ministre de Ben Bella et dignitaire du FLN, cet homme s’était engagé volontaire à 19 ans sous l’uniforme allemand en pleine guerre. Uniforme sous lequel il fut promu officier, engagement qu’il ne renia jamais.
Boualem Sansal est formel : “Il y a incontestablement un courant national-socialiste qui irrigue la pensée islamiste et l’on sait parfaitement d’où il vient. Les textes sont là, il suffit de les étudier. Mais ce que me reprochent les Algériens, ce n’est pas de le dire, ça comme le reste, mais de le dire en France. Ils veulent que ça reste entre nous”. Et Sansal de dénoncer “l’ambiguité et le double langage” des intellectuels arabes, un pusillanimité dont il se dit “dégoûté”. Après sa lettre encolérée à ses compatriotes publié en 2006 sous le titre Poste restante, Alger, le nombre de ses ennemis avait déjà augmenté. Aujourd’hui, la vie devient de plus en plus difficile pour lui dans sa petite ville de Boumerdès (ex Rocher noir), à 50 kms d’Alger. Il ne peut plus retrouver de travail en dépit de sa formation et de son passé à l’Institut de gestion du BIT, et sa femme a été mise à la retraite anticipée de son poste de professeur de mathématiques. A chaque demande, des réponses dilatoires et des fin de non-recevoir. Les menaces fleurissent sur les blogs :”Sansal, souviens de Djaout et Matoub …”, mais comment pourrait-il oublier l’écrivain et le chanteur kabyles assassinés. “Tous les matins, j’ai ma photo dans la presse, ou un article, pour me traîner dans la boue ou me traiter de malade mental. Le voisinage me regarde d’un sale oeil. Angoissant, non ? En tout cas, on ne supporte plus. Il faut savoir que Bouteflika (le président algérien), c’est Poutine+Ahmadinedjad. Vous voyez ? Un autocrate mégalomane suffisamment proche des islamistes pour leur confier la moitié de ses ministères.” Toutes choses énoncées sans que jamais il ne se départisse du calme, de la maîtrise et de la douceur qui le caractérisent.
Persuadé à juste titre qu’on lui fait payer le succès de ses livres en France, il n’en éprouve aucun regret pour autant. Sa pugnacité et son courage le singularisent, surtout à un moment où l’on voit un écrivain tel que Yasmina Khadra accepter de son gouvernement le poste aussi officiel que politique de directeur de l’Institut culturel algérien à Paris. Mais aujourd’hui, alors que tout se crispe autour de lui, Sansal se sent désormais coincé. Que faire alors ? Partir peut-être. D’autant que cela ne s’arrangera pas avec sa dernière prise de position : il est de ceux qui boycotteront l’appel au boycottage du Salon du livre de Paris, jugeant absurde que des écrivains arabes tiennent des écrivains israéliens pour responsables de la politique de leur gouvernement au lieu de les considérer exclusivement comme des représentants de leur littérature. ”J’irai, je participerai et je dédicacerai bien sûr !”. A propos, si Boualem, prénom berbère qu’on ne trouve qu’en Algérie, signifie “étendard”, Sansal n’est le porte-drapeau de personne. Un écrivain, juste un écrivain.
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J'ai trouvé ceci ces jours-ci (novembre 2011)


Le village de l'Allemand
Le roman a tout pour être séduisant. Des critiques dithyrambiques et unanimes pour saluer à la fois le récit mais également le parcours d’un écrivain singulier.
Il est vrai que sa biographie se révèle être particulièrement riche : algérien de naissance, docteur en économie, chef d’entreprise, ingénieur dans la haute administration algérienne et enfin écrivain. A cela s’ajoute un courage, face aux tourments de son pays, d’autant plus noble qu’il fut rare. Ce courage il l’aura au début des années 1990 quand il décide de rester en Algérie malgré l’omniprésence de la peur liée aux attentas et à l’affrontement entre les groupes islamiques et l’état algérien. Son premier récit, Le serment des barbares va s’inspirer de cette société algérienne au bord de l’implosion. Son limogeage de l’administration constitue un révélateur marquant de sa liberté de ton au sein d’un pays rigide et cloisonné.  

Le sujet du livre semble également attrayant : l’histoire de deux frères nés en Algérie mais habitant en France aux parcours antagonistes. A l’assimilation de l’un dans la société française, Rachel, répond « une vie en pointillés » pour le plus jeune contraint à errer sa peine dans la cité de sa ville. L’histoire de leur père, ancien soldat SS de l’armée allemande, va par la force des choses, les réunir dans une « communion » autour de sa mémoire. L’ainé, le premier, cherchera à comprendre son histoire tragique en parcourant l’Europe sur ses traces. Le silence de son père sur sa vie déclenchera pour lui un tel électrochoc qu’il en endossera la responsabilité morale. Le plus jeune des frères reprendra sa quête afin de préserver à sa façon l’image d’un frère qui lui fut inconnu.
A travers ce récit l’auteur nous plonge dans des lieux de mémoires du XXe siècle : du village algérien massacré par le GIA* à la rencontre de descendants d’anciens nazis en passant par la visite d’Auschwitz. En outre, il nous éclaire sur une dimension peu connue de la débâcle allemande : l’installation de la diaspora nazie aux quatre coins du monde. Une grande majorité s’installera en Amérique du Sud mais leur père rejoindra les rangs de l’armée indépendantiste algérienne après avoir fui à travers l’Europe et le Moyen Orient.
En outre, le récit s’inspire de l’histoire vraie d’un village qui connut le même destin à savoir le massacre de ses habitants par le GIA. 

Sa construction narrative apparait peu commune, l’auteur s’attache à écrire de manière enchevêtrée l’histoire des deux frères via leur journal intime. Ce choix d’écriture dénote la possibilité pour l’auteur d’écrire plus librement et de renforcer ainsi l’aspect réel du récit. A contrario, il permet un style d’écriture relativement simple permettant aux protagonistes de donner leurs opinions.

La faiblesse du roman prend racine dans sa conception binaire du monde auquel se rattache un amalgame pour le moins douteux. L’auteur s’ingénie à démontrer la similarité entre les nazis coupable de crimes contre l’humanité, les groupes intégristes algériens…et l’imam d’une banlieue française. N’y-a-t-il pas une confusion dans sa recherche de la vérité? Des religieux dans un état de droit peuvent-ils légitimement être assimilés à une « Gestapo islamiste ». Il semble évident que le contexte et les actes sont différents dans les trois cas de figure. Faire d’un imam (aussi critiquable qu’il peut l’être par son influence dans l’espace public) un suppôt des nazis, comparer explicitement des personnes s’opposant à lui comme des résistants de la seconde guerre mondiale peut paraitre pour le moins simpliste et révèle plus d’un manichéisme douteux qu’une analyse poussée. La Shoah constitue un crime indicible dans l’histoire de l’humanité. Il apparait peu opportun de comparer ce fait avec l’influence de la religion au sein d’un quartier populaire aussi déplorable soit-elle.
Le courage ne se résume pas tant à surfer sur les peurs, justifiées ou non, mais de décrypter la complexité des situations en s’approchant le plus près possible de la réalité. A ce titre, « le village de l’allemand » déçoit.

* GIA : Groupement Islamique Armé, organisation islamiste algérienne responsable d’actions violentes et meurtrières durant la période de la guerre civile (1991-2000).

 


Posté par Julien Cassefieres le 16 novembre 2011
In : http://www.culturopoing.com
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Boualem Sansal – Le village de l’Allemand – Critique parue dans Artslivres.com



17 nov  Publié par La papaye

http://lapapayecritique.wordpress.com

J’avais parlé il y a peu de Boualem Sansal, à l’occasion du prix de la Paix des libraires allemands qui lui a été remis lorsde la foire du livre de Francfort.  J’avais promis une critique, la voilà enfin, écrite et publiée sur le site d’Artslivres – avec de nouveau, quelques remaniements du rédacteur en chef de la revue, comme il se doit.
Voici la critique :
Deux frères sont confrontés à leurs origines complexes et à leur filiation problématique. Boualem Sansal leur donne deux voix, deux langues, et révèle ainsi l’ampleur de leurs drames à travers le prisme de leurs personnalités singulières. Un travail littéraire remarquable et perturbant.
Algérien, Boualem Sansal dénonce vertement l’islamisme et la corruption du gouvernement de son pays, qu’il refuse de quitter, bien que ses livres y soient interdits. Or Le village de l’Allemand (2008), traduit en 2010 en allemand, est une œuvre-clef qui justifie le Prix de la Paix que les libraires allemands lui octroyèrent le 16 octobre 2011.

Le lecteur est prévenu d’entrée par une note du narrateur qui remercie sa correctrice, et précise : « elle dit qu’il y a des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. Je m’en fiche, ce que j’avais à dire, je l’ai dit, point, et je signe : MALRICH SCHILLER ».


Des identités

Rachel et Malrich, deux frères nés en Algérie de père allemand et mère algérienne, vivent en France. Si leurs surnoms condensent leurs identités algérienne et allemande ( des raccourcis pour Rachid et Helmut, et Malek et Ulrich ), leur passeport, lui, est français. A propos de l’embarras d’un vieil homme déstabilisé par ses trois origines, Rachel écrit : « de quelle couleur parle-t-on a un caméléon sans le vexer ? (p.72) » Leur Algérie puise d’une part dans un pays en guerre ( l’action se déroulant en 1994 en pleine guerre civile ), et d’autre part dans le souvenir de leur village natal, une image d’Epinal, une sorte d’oasis coupée du monde.

Leur lien avec le ‘douar’ est en réalité distendu. Le père les envoya tôt en France pour qu’ils y poursuivent des études, en banlieue chez ‘tonton Ali’, un ami du village qu’il quitta lui-même après les violences suscitées après la bataille pour l’indépendance. Si leur mère vint bien les voir, le lien s’évanouissait déjà : « on ne se comprenait pas, c’est bête, elle parlait berbère alors qu’on baragouinait un pauvre arabe des banlieues et un allemand de bricolage (p.16) ». Les voilà donc chargés de trois identités nationales, sans être complètement à l’aise dans aucune. Malrich, lui, semble s’en construire une quatrième, celle de la banlieue, où tout le monde vit comme lui avec des origines multiples. Leur identité filiale se révèlera plus complexe encore, et bien plus lourde à porter.

Le père est massacré par ‘un groupe armé non identifié’, le GIA semble-t-il, avec trente-sept autres villageois, dont sa femme. Rachel tait cette information à son frère cadet, et part se recueillir. Il écrit : « je constatais avec bonheur que mon père était vénéré et ma mère regardée comme une bienheureuse. J’en étais flatté. On dit que les défunts laissent derrière eux une réputation et un peuple pour la juger sans merci. Mes parents avaient reçu le quitus (p.42) ». C’est cette image de filiation avec le héros de l’indépendance algérienne, chef de fait de ce que les locaux appellent « le village de l’Allemand », qui se fissurera et, avec elle, la raison de Rachel lorsqu’il découvre le passé nazi de son père, sa présence comme officier et ingénieur chimiste dans les camps de concentration. Rachel part à sa recherche, il veut comprendre et se heurte sans cesse à deux questions lancinantes, tout en souffrance : « qui me dira qui était mon père ? (p.192) » et « je ne sais pas pourquoi mon père ne m’a rien dit (p.243) ».


Deux frères

Les deux frères sont en réalité deux voix, et deux réactions possibles à « un drame qui en entraîne un autre qui en révèle un troisième, le plus grand de tous les temps » (p.21). Le commissaire de police donne à Malrich le journal intime de Rachel, trouvé dans sa maison après son suicide. Commence alors un dialogue entre les deux frères, le benjamin répondant au journal de l’aîné, chacun tentant à sa manière de recoller les morceaux et calfeutrer les absences du puzzle familial et identitaire, bouleversé et complexe. Boualem Sansal réussit brillamment à donner deux langues différentes à ces deux voix. Là où l’ingénieur Rachel est éduqué avec une langue riche et les comparaisons d’un homme cultivé, Malrich contraste en tant qu’archétype du jeune de banlieue, passé au début de l’adolescence par l’islamisme radical, viré de l’école et toujours sur la brèche des ‘conneries et de la délinquance. Son écriture rappelle parfois celle des narrateurs d’Emile Ajar, populaire et poétique par sa maladresse et ses comparaisons inattendues.

On aurait imaginé que l’ingénieur bien intégré, avec sa belle voiture, ses connaissances et ses années d’expériences supplémentaires, aurait mieux fait face au chagrin et au passé du père. Marchant sur ses traces, tentant de se représenter son parcours et ses pensées, il est lui, « une victime, la victime, fils de victimes » : en effet, déjà victime en devenant orphelin, il le devient doublement en apprenant le passé nazi de son père, et l’est encore à vouloir se mettre dans la peau de ses victimes dont le père avait été le bourreau. Le jugement de Rachel est sans appel, et l’entraîne à la folie. L’auteur décrit crûment ce cheminement terrible vers cette impasse de la pensée. Et Rachel, le fils qui avait peut-être le plus de capacité analytique, sombre violemment dans le délire et la volonté d’expiation. Il y a ce passage terrifiant, superbement écrit, où il se met en tête de comprendre la logistique et les problèmes derrière l’extermination, en une sorte de rationalité extrême confinant à la folie.


Entre islamisme et nazisme

Son frère, « plus fruste », comme le décrit l’auteur dans un entretien, semble montrer plus de bon sens et une aversion terrible pour toute forme d’extrémisme, allant jusqu'à trouver d’irréductibles points communs entre islamisme et nazisme. Ainsi, l’assasinat d’une jeune fille, brûlée vive au motif selon les islamistes de la cité qu’elle vivait de manière ‘non religieuse’, est pour Malrich le signe tangible de l’extermination que les extrémistes entendent mettre en œuvre. La banlieue devient un camp de concentration, les imams sont assimilés à des officiers nazis, les islamistes qui les suivent et ceux qui n’osent s’opposer aux kapos, et la population d’être mise en coupe réglée.

A nos oreilles occidentales, le propos pourrait être choquant si on se refuse à comparer le nazisme avec tout autre mouvement tant il paraît unique dans l’Histoire et dans son horreur, ou pour éviter de stigmatiser indûment la communauté musulmane dans son ensemble. Dans une interview, Boualem Sansal explique que le rapprochement est en effet pertinent entre islamistes, extrémistes et nazis, mais pas entre tous les musulmans et les nazis : la précision vaut d’être marquée. La comparaison est intéressante en ce qu’effectivement, l’islamisme radical se construit pour partie comme identité contre les valeurs démocratiques ( laïques ) occidentales, les nationalistes radicaux allemands avant forgé leur propre idéologie contre ces mêmes valeurs. En refusant l’universalité pour toute l’humanité, concept également occidental, ces deux courants ne peuvent former de construction idéologique que ‘fermée’, sur la base d’une supériorité intrinsèque de leur groupe sur tous les autres, et dont la vérité nécessite pour survivre la mise au pas, la destruction ou l’avilissement de toute forme humaine qui se réclamerait leur égale.

Cette comparaison, on le devine, est le point le plus controversé du roman. Certains opineront du chef, d’autres s’offusqueront ; le livre n’es est pas moins riche de questions, qui poussent le lecteur à la réflexion et l’interrogent sur des sujets complexes, le tout dans une construction romanesque et une écriture qui méritent d’être remarqués. On comprendra aussi pourquoi ce livre, comme tous les autres ( tels Le Serment des Barbares ou Darwin ) est interdit en Algérie, qui y est présentée comme un pays privé de liberté, une « prison à ciel ouvert » où l’arbitraire le dispute à la violence.


Anne Pailhès

In : http://artslivres.com
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'' Le village de l'allemand'' de Boualem Sansal
Je ne voulais pas le lire, je ne l’avais même pas noté.
Parfois ‘’la vie’’ décide à notre place, enfin pour être honnête, dans ce cas-là, ce n’est pas la vie, c’est l'histoire de l’occasion et du larron. Il passait à ma portée alors... pourquoi pas !
Je n’aurais pas dû.
Une partie de la population d’un village du bled algérien est égorgée par le GIA. Parmi les victimes se trouvent les parents de deux frères qui vivent en banlieue parisienne.
Le père des deux frères était d’origine allemande. Nazi, il a participé aux camps d’extermination, a fui à la défaite,  puis a aidée les soldats du FLN à libérer leur pays pour ensuite se retirer dans un petit village en épousant la fille du cheik.
Rachel a retrouvé des documents de son père et commence des recherches pour essayer de le comprendre. Il écrit un journal jusqu’à son suicide. Malrich retrouve les écrits de son aîné, entreprend lui-aussi de comprendre son père et son frère en écrivant son propre journal.
Ce livre est l’amalgame des deux.
C’est un livre fort. Deux écritures complètement différentes, d’un côté, un homme cultivé et profondément malheureux, de l’autre, un jeune des cités qui revendique sa colère, le premier essaie de trouver les raisons du passé, le deuxième perçoit un avenir aussi moche.
C’est un livre fort, une histoire difficile et prenante… mais... je n’y ai pas cru.
Tout part d’un postulat : Les enfants sont-ils responsables des actions de leurs parents.
C’est la grande mode, même les gouvernements s’excusent des actions des gouvernements précédents, enfin … pas tous.
Je ne vois pas pourquoi un enfant se sentirait responsable des actes d’un de ses parents ou d’un de ses ancêtres au point de se trouver acculer au suicide.
Voyons donc ! Si cela était, la population mondiale serait bien inférieure à ce qu’elle est, ce serait une immense catastrophe. Existe-t-il un seul pays qui n’a connu aucune exaction, aucun massacre, institutionnalisé ou non ?
Vouloir refaire une partie de l’Histoire avec de bons sentiments sans connaître ni les raisons même mauvaises, ni les mœurs, ni les modes de pensée de l’époque est une vue de l’esprit hypocrite, les excuses  ne changent pas ce qui a été commis, elles ne servent qu’à se donner bonne conscience
Ainsi se ferme la boucle d’une logique qui compare les camps nazis et la shoah avec les actions banlieusardes des islamistes. Ainsi se ferme un livre dont l’idée de départ était surprenante, les écritures fort belles et fort différentes mais qui m’a laissé un sentiment de malaise que j’ai bien du mal à analyser et à faire ressentir.
par Le Papou
Mardi 3 janvier 2012
in : http://papoustory.over-blog.com

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Le village de l'allemand
En lisant le journal de son frère suicidé, Malich, un adolescent de banlieue plutôt frustre et indifférent au monde, se retrouve confronté à la fois à l'histoire de son père, cheikh allemand improbable d'un village berbère du fin fond de l'Algérie, à la descente aux enfers de son frère parti à la découverte des zone d'ombre de l'histoire familiale et, à travers leurs parcours, à tout un pan de l'histoire européenne, celle qui s'écrit avec du sang et une majuscule. Profondément ébranlé, Malich, va mettre à son tour sur le papier les sentiments tumultueux que ces révélations suscitent en lui, des révélations qui changeront totalement sa vision du monde et de la vie.
Magistral est le premier adjectif qui me vienne à l'esprit en pensant à ce roman, bouleversant aussi. Ce journal croisé de deux frères porte deux voix totalement différentes qui s'entrecroisent et se complètent sans jamais se confondre. L'une est celle d'un jeune homme éduqué, brillant, marqué par la réussite mais fragile qui va s'enfoncer dans le passé et dans une identification morbide au père, l'autre beaucoup moins chatiée, est bouillante, brute, pleine d'énergie mal canalisée et entièrement tournée vers le présent et l'avenir. Et ces deux voix à travers l'histoire d'un homme et de ses fils nous emmènent des camps de la mort et des techniques d'extermination de masse à l'islamisation progressive d'une cité de banlieue parisienne. La nouvelle grille de lecture de Malich lui permet en effet de voir et de comprendre différemment ce qui se passe dans son quartier - nous sommes dans les années quatre-vingt-dix - la surveillance constante, l'embrigadement, les mesures de retorsion, tout lui apparait sous un jour nouveau, un jour perturbant et dangereux qui doit clairement impliquer la résistance. Ajoutons à cet étonnant canevas, une langue parfaitement maitrisée et évocatrice et tout sera dit, lisez-le. Bousculant !
Le village de l'allemand - Boualem Sansal - 2008 - Gallimard
Lu dans le cadre du thème "un auteur du Monde arabe" du club lire et délires (et oui pour une fois, j'ai fait à la fois mes devoirs et mon billet, tout arrive !)

Yue Yin
Samedi 19 novembre 2011
in : http://lireouimaisquoi.over-blog.com

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BOUALEM SANSAL
Le village de l'Allemand, ou le journal des frères Schiller
Deux frères germano-algéro-français, après l'assassinat de leurs parents par un groupe armé islamiste, découvrent le passé nazi de leur père
A l'origine, il y a deux prénoms valises. Rachel (pour Rachid-Helmut) et Malrich (pour Malek-Ulrich), deux frères nés de l’union d’une Algérienne et d’un Allemand, Hans Schiller, dans un hameau du côté de Sétif. C’est là que le couple est massacré avec d’autres villageois, en 1994, lors d’un égorgement collectif pratiqué par un groupe armé islamiste. Les deux fils vivaient en France, au nom de la promotion sociale. L'aîné, Rachel, la trentaine, se rend sur la tombe de ses parents et découvre, dans la maison familiale désolée, une «petite valise pelée» contenant les archives paternelles, c'est-à-dire son livret militaire, ses médailles et tout le saint-frusquin national-socialiste. Hans Schiller se révèle avoir été un gradé nazi, ayant fui après 1945, via la Turquie et l'Égypte, la responsabilité de ses crimes à l'encontre des juifs d'Europe, pour se fondre dans «la guerre de libération» algérienne. Auréolé par sa condition de moudjahid, il avait épousé la fille du cheikh du village et, héritant de ce titre à la mort de son beau-père, avait fait merveille grâce à son sens de l'organisation. Une intégration parfaitement réussie, en somme, qui n’était pourtant qu’un odieux camouflage.
Rachel lui-même, employé modèle d’une multinationale, propriétaire d’un pavillon enviable, époux de la belle Ophélie nantie d'une maman lepéniste, donne tous les gages d’une assimilation plaquée or. Mais la petite valise lourde de secrets qu'il rapporte en France sera son cercueil. Il s’abîme dans l'horreur hitlérienne, calque ses pas sur ceux de son père, pour finalement suivre la voie que celui-ci aurait peut-être dû emprunter: mort de honte, il se suicide au gaz d'échappement.
Durant ses épreuves, Rachel avait tenu son journal. Ce texte a été remis à son puîné de quatorze ans, Malrich, qui se met à son tour à écrire. Le roman diariste de Boualem Sansal est donc constitué des croisements et des emboîtements des journaux de ces deux jeunes Algéro-Allemands naturalisés Français. Le premier, éduqué, fin, tiraillé, s’avère ravagé par un passé devenu bombe à fragmentations au plus profond de lui-même; le second, rudimentaire, titi de la cité, se révèle capable de saisir au bond ce passé pour en faire une arme de combat, qu'il retourne contre les islamistes grenouillant dans sa banlieue et qu'il identifie à des SS en marche. Deux natures, aussi divergentes qu'intimement liées, entament donc un dialogue crucial mais posthume, haletant, qui mêle le désespoir et l'humour, l'abattement et l'énergie.
Boualem Sansal, d'un strict point de vue narratif, offre une prouesse stylistique impressionnante, qui saisit le lecteur au collet et le ballotte entre le pessimisme réfléchi de Rachel, qui s'immole, et la prise de conscience déstructurée de Malrich, qui se bat.
Celui-ci ne fait donc pas dans la dentelle et ignore, souvent au-delà du supportable, que comparaison n'est pas raison, surtout à propos de cet événement unique dans les annales: la destruction des juifs d'Europe. Malrich, qui travailla comme mécanicien, se sert de la Shoah comme d'un outil pratique et à portée de main pour désosser la nébuleuse islamiste en train de figer les corps et les esprits. Dans son journal, Malrich crie donc à tort et à travers au camp d’extermination, distingue de futures chambres à gaz un peu partout. Mais il est hanté par ce crime des crimes et ne l'utilise pas comme une métaphore vide de sens. Alors, au lieu de s'irriter d'un tel travers, qui banalise habituellement la Shoah, le lecteur s'étonne d’un cas de figure trop rare: une conscience arabo-musulmane mue en profondeur par l'horreur hitlérienne, au lieu de dire «je passe» comme au bridge. Boualem Sansal, en sismographe des âmes, a voulu, en usant de la force tellurique du roman, placer au centre l'horreur absolue de la destruction des juifs d’Europe maintenue en périphérie. D'où les exagérations, les débordements, les maladresses, inhérents aux tremblements de terre.
Le Village de l’Allemand, sous couvert de jeunes esprits écartelés pris dans les déroutes du destin, émerge comme un récit qui traite, en pointillé, des ricochets de l’Histoire. Envers de l’Art («cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge», selon Baudelaire), la volonté de vaincre ses semblables, cette libido dominandi qui se pare de politique, se réverbère elle aussi. Le nazi Hans Schiller noyaute le FLN, qui inspirera le GIA et autres entreprises terroristes. La terre est gorgée de ce sang, dont certains hommes, certaines idéologies, certaines caricatures de religion se font passeurs assoiffés. La contamination continue, prévient Boualem Sansal, qui devine un fil rouge entre certains imams de banlieue et l'ensauvagement des talibans d'Afghanistan. Mais il est parvenu à donner aura et force à ce qui ne serait que simple slogan (l'islamisme, voilà l'ennemi!), en le plongeant dans le bain révélateur d'un roman fantasmagorique.
La croix 17 01 2008
In : www.jeguel25.free.fr
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Boualem Sansal, de Sétif à Auschwitz
"Se découvrir le fils d'un bourreau est pire que d'avoir été soi-même un bourreau. Le bourreau a ses justifications, il s'abrite derrière un discours, il peut nier, il peut crâner, revendiquer son crime, que dis-je son ministère, et affronter fièrement la potence, il peut se cacher derrière ses ordres, il peut se sauver, changer d'identité, se construire de nouvelles justifications, il peut s'amender, il peut tout. Mais le fils, que peut-il, sinon compter les crimes de son père et traîner le boulet sa vie durant ? (...) Tu n'avais pas le droit de vivre, tu n'avais pas le droit de nous donner la vie, cette vie je n'en veux pas, elle est un cauchemar, une honte indélébile. Tu n'avais pas le droit de fuir, papa. (...) Hans Schiller, sois maudit !"
"Le Village de l'Allemand ou le Journal des frères Schiller" (p. 243-244).
Dans sa volonté de dénoncer les injustices, les mensonges, les diktats de toutes natures, de combattre l'amnésie, les révisionnismes historiques de toutes sortes, mais aussi de transmettre une mémoire, rien ne semble arrêter Boualem Sansal. Ni les critiques violentes qu'il a essuyées dans son pays, ni la censure dont ses derniers livres furent l'objet. Pour preuve son cinquième roman, Le Village de l'Allemand, qui est l'un des événements de cette rentrée littéraire. En effet, pour la première fois, un auteur algérien traite frontalement d'un "sujet tabou" dans son pays : la Shoah. Pour faire bonne mesure, il l'aborde, comme à son habitude, à travers une histoire vraie dont il eut connaissance dans les années 1980.
A cette époque, Boualem Sansal est consultant auprès du ministère de l'industrie. En déplacement professionnel dans la région de Sétif, son attention est attirée par un village "propret". "D'ordinaire, ils sont plutôt poussiéreux, surtout dans la région des hauts plateaux", explique-t-il. Intrigué, il se renseigne et apprend que ce lieu, surnommé "le village de l'Allemand", a été dirigé par un ancien nazi qui, après la guerre, avait fui en Egypte. De là, il fut mandaté en Algérie par les services secrets de Nasser comme expert auprès de l'ALN (Armée de libération nationale). A l'indépendance, il fut naturalisé algérien et se convertit à l'islam.
"Le cas n'est pas isolé, explique Boualem Sansal. Certains Allemands qui sont venus se battre auprès des Algériens lors la guerre de libération ont même occupé des places importantes après l'indépendance. Cela fait partie de l'histoire secrète de toutes les guerres..." Une histoire verrouillée en Algérie. "Le FLN a construit une histoire unique, lisse, propre, sans aspérités. Elle a été écrite une fois pour toutes. On ne peut rien ajouter ou retrancher. Lorsque des gens veulent sortir de cette histoire squelettique, ils ne trouvent rien. Les archives sont fermées. Ils arrêtent leurs recherches ou sont ostracisés." Reste alors la littérature...
Pour autant, après la découverte de ce nazi devenu moudjahid, le romancier fut pris sous "un déluge" de questions. "D'abord, je me suis demandé si un Algérien, arabe, musulman, peut parler de la Shoah alors qu'il appartient à un espace culturel où elle est passée sous silence. En Algérie, la télévision n'a jamais diffusé le moindre documentaire sur les camps d'extermination. Dans l'histoire officielle, on ne trouve pas un mot sur elle. Alors, comment parler de quelque chose qui n'existe pas ?"
D'interrogations en tâtonnements, Boualem Sansal, qui depuis près vingt ans ne cesse de lire romans ou essais portant sur ce sujet, va avancer. "Au début, je me suis posé en narrateur, mais, très vite, je me suis aperçu que ça ne fonctionnait pas. Cela prenait la tournure d'un roman historique. C'était trop factuel. Je ne voulais pas de cela. Ilme fallait aller au bout de toutes mes interrogations, notamment autour de la transmission, de la filiation. C'est ainsi que j'ai donné deux fils à cet Allemand. Mais ils ne pouvaient demeurer en Algérie, car cetépisode ne leur aurait rien dit. Ils n'auraient donc pas été très loin dans leur questionnement. Il me fallait alors les mettre dans une situation de liberté pour qu'ils s'interrogent vraiment. J'ai imaginé que leur père les envoyait en France pour poursuivre leurs études. Comme du reste le font ou en rêvent bon nombre de parents algériens soucieux de l'éducation de leurs enfants."
Et c'est ainsi que sont nés les frères Schiller : Rachel (contraction de Rachid et Helmut) et Malrich (Malek/Ulrich). Moitié allemands par leur père, moitié algériens par leur mère, les deux garçons, l'adolescence venue, sont envoyés en France chez Tonton Ali, "brave homme au cœur gros comme un camion" qui réside près de Paris, dans une banlieue morne aux contours incertains. A l'image de la vie de Malrich, qui a choisi une trajectoire moins linéaire que celle de son aîné, Rachel, homme sérieux, posé, à qui tout semble réussir. "Il était cadre dans une grosse boîte américaine, il avait sa nana, son pavillon, sa bagnole, sa carte de crédit, ses heures étaient minutées, moi je ramais H24 avec les sinistrés de la cité."
Jusqu'au jour où Malrich apprend que ce frère-modèle qu'il ne voyait plus que de loin en loin s'est suicidé dans son garage. Sur les lieux du drame, il le découvre le crâne rasé, le visage couvert de suie, portant un "drôle" de pyjama rayé. Quelques jours plus tard, Com'Dad, le commissaire du quartier (sorte d'ange gardien de Malrich) lui confie le journal qu'a tenu son frère pendant deux ans et l'incite à le lire pour comprendre la portée symbolique du geste de celui-ci.
Dès lors, tout va s'emboîter, par un jeu remarquable de mise en abyme. Le journal que tient Malrich, comme une sorte d'exutoire, dévoilant celui de Rachel. Et le drame terrible qui en fut le déclencheur.
Le 24 avril 1994, au cœur de la "décennie noire" qui touche l'Algérie, le douar d'Aïn Deb, près de Sétif, est attaqué par des membres du GIA (Groupe islamiste armé) et ses habitants massacrés. Aussitôt informé, Rachel décide de se rendre dans son village natal pour se recueillir sur la tombe de ses parents. Là, plus qu'une bizarrerie administrative qui voit ses parents enterrés sous d'autres noms que les leurs, il découvre dans la maison familiale une petite valise renfermant le carnet militaire de son père, ses insignes de SS ainsi que des lettres signées "Jean 92". Sous le coup de cette révélation, Rachel vacille, s'enferme dans le silence, s'isole de tout et de tous. Avant d'entreprendre une longue descente aux enfers. "Je remonte le temps, je fouille les ténèbres, je vais sonder le plus grand malheur du monde et tenter de comprendre pourquoi j'en porte le poids sur mes épaules. (...) J'ai tellement peur de rencontrer mon père où il ne faut pas, où pas un homme ne peut tenir et rester un homme. Ma propre humanité est en jeu."
Un voyage initiatique, nourri de lectures - Primo Levi en tête - qui, dans les pas de son père, le conduit, de Hambourg au Caire en passant par Auschwitz, au cœur de "l'entreprise" exterminatrice dont Boualem Sansal dépeint tous les rouages. "Pour que les lecteurs comprennent, surtout ceux qui ne savent rien sur cette question - je pense aux Algériens, mais aussi à tous ceux du Maghreb et du monde arabe à qui ce livre est destiné -, je voulais qu'ils "séjournent" durant une dizaine de pages, pour sentir toute l'horreur de cette mécanique. Et leur démontrer que ce n'est pas qu'un crime de guerre, mais bien plus que cela."
Cette plongée saisissante conduit aussi Rachel au cœur d'un silence, effroyable. Celui d'un père, d'un bourreau, contre lequel se heurtent les interrogations poignantes de son fils, dont la plus aiguë : "Est-on comptable des crimes de ses parents ?"
Des interrogations qu'à sa manière Malrich va faire siennes, les intégrer (pour ne pas dire les entrechoquer) à son vécu, à la réalité d'une cité gangrenée par l'islamisme. Au point de produire, d'un fait divers terrible, un véritable télescopage verbal, amalgamant Führer et imam, cité et camps... Des amalgames qu'assume Boualem Sansal tout en soulignant le caractère spécifique de la Shoah. "Rien ne peut lui être comparé. En revanche, je pense qu'il y a de nombreuses similitudes entre nazisme et islamisme. Pour moi, ce sont les mêmes techniques, les mêmes instruments."
Livre de filiation, de combat contre l'oubli, l'amnésie, le négationnisme, Le Village de l'Allemand est aussi et surtout un roman d'apprentissage pour les générations futures. Même si, sur ce point, Boualem Sansal ne se fait guère d'illusions : "Je sais que le chemin sera long avant que mon roman atteigne ses destinataires. Dans dix ou quinze ans, peut-être produira-t-il ses effets." Avant d'ajouter, d'un ton grave : "Comme il me faudra beaucoup de temps avant que je sorte de ce roman. Je me demande même d'ailleurs si un jour on peut en sortir..."
Christine Rousseau
Le Monde - édition du 17.01.08.
In : www.jeguel25.free.fr
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Le Village de l'Allemand ou le Journal des frères Schiller
Avec ce cinquième ouvrage, Boualem Sansal reprend les armes et s'en va combattre sur tous les fronts - lâcheté, obscurantisme, négationnisme. Il croise le fer avec deux très sales guerres, celle de 1939, celle de l'Algérie des années 90, et il le fait en romancier, en imaginant deux personnages, deux frères qui se connaissent si peu, se parlent si peu. Ils sont nés en Algérie, mère algérienne, père allemand, et ont été confiés à un oncle en France, avec dans leur valise d'immigrés l'espoir d'une vie meilleure. Ils s'enracinent dans une banlieue parisienne sans rien connaître de leur langue, de leur famille, de leur histoire... L'aîné, Rachel, joue l'intégration : études supérieures, poste de cadre dans une multinationale, jolie femme et pavillon idem. Le cadet, Malrich, tout juste 17 ans, est un gamin de la cité. Il vit au jour le jour, sans se poser de question, ni sur le lendemain, ni sur le passé. Le Village de l'Allemand s'ouvre sur le suicide de Rachel. Malrich découvre le journal intime de son frère et l'enfer lui tombe dessus. Il se met lui aussi à écrire, à sonder l'insondable.
Rachel a appris que leurs parents ont été massacrés par le GIA. C'était en 1994, à Aïn Deb, près de Sétif. Il s'interroge sur le silence qui entoure leur mort, pousse l'enquête, et piste une autre horreur : son père, si respecté au « bled », est un ancien nazi, un SS qui a œuvré dans les camps de la mort. Rachel sombre : « Hans Schiller, tu es une crapule, le pire des assassins, je te vomis, je te hais [...]. Tu n'avais pas le droit de vivre, tu n'avais pas le droit de nous donner la vie, cette vie, je n'en veux pas, elle est un cauchemar, une honte indélébile. Tu n'avais pas le droit de fuir, papa. Je dois assumer à ta place, je vais payer pour toi, papa. » Est-on coupable des crimes de ses parents ? Est-on coupable de ne rien savoir, de ne pas connaître l'Histoire, de tout ignorer des génocides, des guerres ? Qui doit transmettre et comment ? Malrich, comme son frère avant lui, cherche à comprendre. Ignorant de tant de choses, il bute, fonctionne à l'intuition et s'en prend à Primo Levi : « Il est fou, ce Primo Levi. Je refuse de croire que Dieu est plus vicieux que les hommes et que les enfants sont condamnés à la fatalité. » Au désespoir profond de Rachel se cogne la révolte de Malrich. L'aîné use d'une écriture réfléchie. La prose du cadet éclate d'impertinence, de drôlerie. Boualem Sansal met en scène la colère, la honte. Il dénonce sans haine mais à mots clairs les fanatiques en tous genres, religieux, politiques ; il énonce toutes les abominations dont sont capables les hommes si peu humains. Sansal met sur le papier ses frayeurs, et va, serein, de la gravité à la tendresse. Un vrai tour de force.
Martine Laval - Télérama n° 3026 - 12 janvier 2008
In : www.jeguel25.free.fr
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