Ces
dernières semaines je fus pris dans un tourbillon, aspiré par des tas de choses
à régler, des proches à voir, des lieux à visiter.
Le moral a frisé parfois le
beau-fixe, parfois il fut entraîné à la lisière du blues ou du cafard. Nous ne
sommes hélas pas totalement maîtres de notre vie, encore moins de celle de
nos proches.
Mansourah,
la mosquée aux 13 portes, est un monument édifié au début du 14° siècle par le
sultan mérinide Ib Yakoub Abd el Haq pendant le siège (8ans) qu’il fit subir à
Tlemcen la zianide. Tlemcen fut la capitale centrale du Maghreb au 11° siècle
et plus tard entre le 13° et le 16° siècle).
Des moments ou des lieux majestueux participent autant qu’ils
peuvent pour soulager les êtres fragiles que nous sommes. Les sites comme celui
de Mansourah à Tlemcen ou celui de Tipasa près d'Alger participent de ce que je viens
d’écrire.
J’y ai pris en août dernier quelques photos qui ne reflètent que
partiellement ce nous pouvons y ressentir, ce que j’y ai personnellement
ressenti.
Voici
ce qu’écrivait Albert Camus à propos de Tipasa :
« Au
printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil
et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les
ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de
pierre A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent
vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui
tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle
la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage,
puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines
autour du village et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir
dans la mer.
Nous
arrivons par le village qui s’ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un
monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre
d’été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des
villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de
roses épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus.
Toutes les pierres sont chaudes. A l’heure où nous descendons de l’autobus
couleur de bouton d’or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur
tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants.
A
gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines parmi les
lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger
ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes
grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers
rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger,
sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la
lumière descendue du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents
éclatantes. Avant d’entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes
spectateurs.
Au
bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise
couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de
la terre au soleil monte sur toute l’étendue du monde un alcool généreux qui
fait vaciller le ciel. (…)
Que
d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter
d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les
odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon
coeur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si
facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à
regarder l'échine solide du Chenoua, mon coeur se calmait d'une étrange
certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je
gravissais l’un après l’autre des coteaux dont chacun me réservait une
récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et
d’où l’on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas
vertes. (…)
Ici
même, je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu
et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre,
laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle
soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans
l’eau, c’est le saisissement, la montée d’une glue froide et opaque, puis le
plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère
– la nage, les bras vernis d’eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil
et rabattus dans une torsion de tous les muscles ; la course de l’eau sur mon
corps, cette possession tumultueuse de l’onde par mes jambes – et l’absence
d’horizon.
Sur le
rivage, c’est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma
pesanteur de chair et d’os, abruti de soleil, avec de loin en loin, un regard
pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent avec le glissement de
l’eau, le duvet blond et la poussière de sel. »
Albert CAMUS, Noces à Tipasa, Gallimard.
Et nous sommes heureux de vivre.
Au fait, le 30 juillet je voguais sur l'eau, non loin des Baléares. Il devait être 10 heures lorsque j'ai balancé par dessus bord du paquebot deux bouteilles à la mer, une grande et une petite, avec un mot sympathique dans chacune, demandant à celui ou celle que le ou les découvrirait (ou mettrait la main dessus), de bien vouloir me contacter au courriel mentionné. Avis: aucune prime ou récompense ne sera versée. Voici la preuve:
Au fait, le 30 juillet je voguais sur l'eau, non loin des Baléares. Il devait être 10 heures lorsque j'ai balancé par dessus bord du paquebot deux bouteilles à la mer, une grande et une petite, avec un mot sympathique dans chacune, demandant à celui ou celle que le ou les découvrirait (ou mettrait la main dessus), de bien vouloir me contacter au courriel mentionné. Avis: aucune prime ou récompense ne sera versée. Voici la preuve: