CE COURT ESSAI EST PARU EN 2014 aux éditions INCIPIT EN W
(ces deux pages du livre - 1° et 4° de couverture) ont été ajoutées mardi 7 mai 2024)
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Le 18 octobre 2013, dans le cadre des
premières rencontres littéraires d’Istres, dans les Bouches du Rhône (13800),
une conférence fut donnée par Ahmed Hanifi intitulée « L’Arabe dans les
écrits d’Albert Camus ». Nous vous en livrons le contenu.
Je comprends ici ce qu'on appelle gloire :
le droit d'aimer sans mesure.
Je comprends ici ce qu'on appelle gloire :
le droit d'aimer sans mesure.
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« L’Arabe dans les écrits d’Albert Camus. »
« Quelles que soient nos infirmités
personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux
engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et
la résistance à l’oppression. »
Albert Camus : Discours de Suède,
1957.
Nous célébrons ce mois de novembre 2013 le centième anniversaire de la
naissance d’Albert Camus, un homme essentiel des lettres et de l’esprit. Un
homme qui a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre en France et en
Algérie où il est né. Depuis L’Homme révolté (et Les Justes) Albert Camus a été
abondamment critiqué, notamment par les existentialistes. Jean-Paul Sartre
qualifia l’essai de « pastiche
philosophique sans rigueur qui servait d’apologie du conservatisme
politique ». Pour l’Humanité,
L’Homme révolté révèle « une navrante indigence de pensée »[1] Albert Camus devait payer
pour cet essai, pour ses positions contre l’archipel soviétique. N’avait-il
pas, en effet, bien avant la plupart des intellectuels français, pointé la
barbarie de la théologie soviétique ? Voici ce qu’il y écrit dans : « Le
prolétariat n’a pas eu d’autre mission historique que d’être trahi. Les
prolétaires se sont battus et sont morts pour donner le pouvoir à des
militaires ou des intellectuels, futurs militaires, qui les asservissaient à
leur tour. Cette lutte a pourtant été leur dignité, reconnue par tous ceux qui
ont choisi de partager leur espoir et leur malheur. Mais cette dignité a été
conquise contre le clan des maîtres anciens et nouveaux. Elle les nie au moment
même où ils osent l’utiliser. »[2] N’avait-il pas, plus tard, dénoncé (fait notable
alors) l’intervention de Budapest de 1956 et interpelé l’AG de l’ONU ?
Le 10
décembre 1957 cet « ami des rebelles » pour certains, « écrivain
de l’illusion » pour d’autres reçoit le prix Nobel de littérature. Deux
jours plus tard, à la Maison des étudiants à Stockholm, Saïd Kessal, un jeune Algérien
interpelle Albert Camus. Il réclame justice pour les Algériens tout en reprochant
à l’écrivain son silence et son inaction. Albert Camus qui récuse, condamne les
moyens qu’utilise le FLN, répond : « En ce moment, on lance des
bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces
tramways. Si c’est cela, la justice, je préfère ma mère. »[3] Ces propos seront souvent
volontairement tronqués en France, puis plus tard en Algérie durant des
décennies. On voulait faire d’Albert Camus, à partir d’une phrase extirpée du
contexte et amputée à dessein, un paria définitif. Albert Camus est un homme
déchiré. Écartelé. Il reconnaissait manquer parfois de discernement « J’ai…
avec l’Algérie une longue liaison qui sans doute n’en finira jamais, et qui
m’empêche d’être tout à fait clairvoyant à son égard… J’ai toujours peur
d’appuyer sur cette corde intérieure qui lui correspond en moi et dont je
connais le chant aveugle et grave. »[4] Il est tel son Jonas, un
homme solitaire et solidaire. Toujours à la recherche de « la fraternelle
solitude. »
Albert Camus
fut un moment proche de Ferhat Abbas et de Messali Hadj lorsqu’ils proclamaient
« ni assimilation, ni séparation, mais émancipation ». Albert Camus
est seul ou un des rares Européens à dénoncer les massacres de Sétif, et à s’y
rendre. En pleine guerre de libération (« guerre d’Algérie, événements »),
le 22 janvier 1956, dans une salle protégée par la section d’Alger du FLN, Albert
Camus appelle à la trêve civile. Sous la fenêtre des centaines des Pieds-noirs radicaux
le menacent de mort. « Lors de sa conférence, il fut insulté par des
Européens, protégé par des commandos du FLN et menacé d’enlèvement par l’OAS…
La manifestation avait été imposée et contrôlée par le responsable du Front
pour Alger vile, Areski Bouzerina, dit Hédidouche. »[5] Albert Camus est persuadé
que la lutte pour l’indépendance se nourrit de l’injustice faite au peuple, et
condamne la colonisation française. « Je sais, écrit-il, il y a une
priorité de la violence. La longue violence colonialiste explique celle de la
rébellion. »[6]
Rébellion qu’il ne soutient pas. Il
craint qu’à l’injustice faite par le colonialisme aux musulmans ne se substitue
une injustice à venir à l’égard des siens.
Albert Camus
« admet le poids de la misère sous lequel sont maintenus les indigènes, il
la dénonce, mais la solution à ses yeux ne passe pas par une Algérie
algérienne, paradoxe qui le fera à jamais étranger. »[7] Pour Frantz Fanon,
« l’exploitation coloniale, la misère, la famine endémique acculent de
plus en plus le colonisé à la lutte ouverte et organisée. Progressivement et de
façon imperceptible la nécessité d’un affrontement décisif se fait prégnante et
est ressentie par la grande majorité du peuple. »[8] Albert Camus appelle au
rapprochement des communautés algériennes, à leur fédération. Il est pour une
solution qui « propose d’une part, de respecter les particularismes et,
d’autre part, d’associer les deux populations à la gestion de leur intérêt
commun. » En définitive, consacrer « deux catégories de citoyens
égales, mais distinctes. »[9] « Mon père n’était pas pour l’Algérie française.
Depuis 1936 il se battait pour que les populations musulmanes aient les mêmes
droits que les populations européennes. »[10] Population
dont il se sentait proche disait-il. « Si je me sens plus près d’un paysan
arabe, d’un berger kabyle, que d’un commerçant de nos villes du Nord, écrit-il,
c’est qu’un même ciel, une nature impérieuse, la communauté des destins ont été
plus forts, pour beaucoup d’entre nous, que les barrières naturelles ou les
fossés artificiels entretenus par la colonisation. »[11]
Il appelle
de ses vœux à une sorte de « Commonwealth français »,[12] « une Algérie
constituée par des peuplements fédérés, et reliée à la France, me paraît
préférable, sans comparaison possible au regard de la simple justice, à une Algérie
reliée à un empire d’Islam qui ne réaliserait à l’intention des peuples arabes
qu’une addition de misères et de souffrances et qui arracherait le peuple
français d’Algérie à sa patrie naturelle. »[13]
On ne peut être plus clair. Albert Camus ne conçoit pas une Algérie sans ce
peuple européen, comme il ne conçoit
pas une Algérie indépendante au sein de laquelle vivraient ensemble et
librement ses communautés. « Camus semble craindre un déferlement barbare…
‘‘A longue échéance, tous les continents (jaune, noir et bistre) basculeront
sur la vieille Europe. Ils sont des centaines et des centaines de millions. Ils
ont faim et ils n’ont pas peur de mourir…’’ »[14]
Il n’est pas
non plus pour une Algérie « française » telle qu’elle existe alors,
telle que défendue par Francine son épouse et la majorité des Pieds-noirs. Il
recherche une troisième voie. Il veut « supprimer l’injustice » faite
aux Algériens. Il condamne les tortures de l’armée française en mettant sur le
même plan la lutte armée de libération du FLN, notamment lorsqu’elle vise des
civils. La violence des victimes égale à ses yeux celle des bourreaux.
« Ivan Kaliayev - le grand-duc Serge même combat », pense-t-il. L’homme,
quel que soit son but, quelle que soit sa cause, n’a pas à utiliser la
violence. Mais cette question de fin et de moyens ainsi que le débat qu’elle
suscite sont très anciens, bien avant Machiavel. Ils demeurent ouverts bien
après lui et jusqu’à nos jours.
Lui qui a
été résistant sait pourtant que la guerre est la guerre. Que dans son combat
contre la « violence chronique »[15] qu’il subit l’opprimé est
parfois obligé, par nécessité, d’imiter le colonisateur dans l’injustice, ou
mourir ! Que le colonisé n’a de choix que de se révolter, de se défendre,
bien qu’il y ait « dans toute révolution une étape où elle suscite un
mouvement de révolte opposé qui annonce ses limites. »[16] « Contre la raison des Français qui nous
opprime, je choisis la folie arabe, la folie des opprimés » dit Saddok
dans Le Premier homme. « Ah ! pitié pour les justes ! »[17]
Le principal
reproche qui est fait à Albert Camus, essentiellement en Algérie, c’est que
dans ses fictions les autochtones – les Arabes, disait-on indistinctement pour les
différencier de la population d’origine européenne – sont soit absents, oubliés,
ignorés dans leur propre territoire, soit présentés comme des éléments de
décors, des silhouettes ou des êtres menaçants, dénués de toute singularité. Par
commodité, nous reprenons à notre compte ce terme impropre et générique de
« Arabe », car il était le terme le plus usité durant l’Algérie
française par les populations d’origine européenne pour désigner un autochtone
apparenté musulman qu’il soit Arabe ou Berbère : Targui, Kabyle, Mozabite,
Chaoui, Chenoui. Le socle alimentant la plupart de ces reproches est constitué
des recensions et autres critiques de L’Étranger et à un degré moindre de La
Peste et de L’Hôte. Mouloud Feraoun, à la suite de sa lecture de La Peste,
regrette dans une lettre qu’il adresse à Albert Camus « que parmi tous ces
personnages, il n’y eût aucun indigène. »[18] Pour Mouloud Mammeri
comme pour Edward Saïd, la position d’Albert Camus était intimement liée à son
histoire personnelle. « Cette absence ne me dérange pas déclarait Mouloud
Mammeri. Le personnage d’Albert Camus, si grand qu’il ait été ne pouvait
échapper à sa condition objective, c’est-à-dire que Albert Camus était un
pied-noir, un français d’Algérie, et, qu’en tant que tel, et, quels que soient
ses efforts, il ne pouvait pas malgré tout révoquer le fait qu’il fut un fils
de petits blancs d’Algérie ».[19] Edward Saïd nous demande
de « considérer l’œuvre d’Albert Camus comme une transfiguration
métropolitaine du dilemme colonial : c’est le colon écrivant pour un
public français, dont l’histoire personnelle est irrévocablement liée à ce
département français du sud. »[20] Lila Ibrahim-Lamrous
précise « en affrontant le territoire des Arabes, l’auteur ne réussit pas
à abandonner complètement les stéréotypes et les techniques dont il use
habituellement pour camper cette population autochtone. » Pour Raymond
Aron, dans L’Algérie et la République (1958), « Camus n’arrive pas à
s’élever au-dessus de l’attitude du colonisateur de bonne volonté. »[21] Pour certains Albert
Camus prend implicitement parti contre les autochtones dans L’Étranger lorsque
l’Arabe, le colonisé, est tué par Meursault, le colonisateur. Alors que pour
d’autres « en condamnant Meursault, pour le meurtre d’un Arabe, Camus a
voulu dénoncer la colonisation française de l’Algérie. »[22]
Albert Camus
a publié de nombreux ouvrages de dramaturgie (Caligula, Les Justes, Le
Malentendu…), des essais (Noces, Actuelles, L’Envers et l’Endroit (un recueil
de cinq essais), L’Homme révolté, Le Mythe de Sisyphe) et quatre romans[23] : L’Étranger (1942),
La Peste (1947), La Chute (1956) et L’exil et le royaume (1957). La Mort
heureuse est un roman posthume. Écrit durant les années 1936-38, il a été
publié en 1971. Le Premier homme est également un ouvrage posthume, un roman
autobiographique publié en 1994, mais écrit durant la guerre, jusqu’à la veille
de sa mort (une ébauche de plan est rédigée en 1953).
Il ne s’agit
pas dans ce qui suit de traiter du cycle de l’absurde ni de la révolte. Dans ce
texte nous nous proposons d’analyser la figure de l’Arabe dans les écrits
fictionnels d’Albert Camus. D’analyser les ouvrages narratifs dans lesquels
figure le mot « Arabe » en tant que substantif désignant des hommes
et des femmes algériens. Ce terme même ou tout autre qui désigne les Algériens
d’origine locale : indigène, autochtone, Berbère, Mozabite, Kabyle, Maure,
Musulman…
Il serait néanmoins
intéressant d’analyser les ouvrages d’Albert Camus qui font abstraction totale
des populations autochtones, et mesurer la relation éventuelle entre cette
absence et le contenu des romans. En quoi par exemple l’absence d’Arabes dans
La chute ou Le renégat est-elle « parlante » ou non ? Tel n’est
pas notre objet.
Albert Camus
entame son premier roman La Mort heureuse en 1936, pour l’abandonner deux ans
plus tard (il sera publié en 1971) au profit d’un autre roman, L’Etranger
(publié en 1942). La Peste (publiée en 1947) est son troisième roman. Au début
des années cinquante Albert Camus s’attèle à la rédaction d’un ensemble de
nouvelles qu’il achève et publie en mars 1957. La guerre a commencé depuis deux
ans et demi. Le recueil s’intitule L’exil et le royaume. Il est composé de six
nouvelles : La Femme adultère, Le Renégat, Les Muets, L’Hôte, Jonas et La
Pierre qui pousse. L’ouvrage La Chute, qui en faisait partie initialement, fut
étoffé et publié séparément l’année précédente sous la forme d’un roman. L’Exil
et le royaume est la dernière publication de fictions publiée de son vivant. Le
dernier roman, Le Premier homme, demeuré inachevé, a également été écrit
jusqu’à la veille de sa mort, intervenue en pleine guerre d’Algérie, en janvier
1960.
Cette
analyse porte donc sur La Mort heureuse, L’Étranger, La Peste, les trois
nouvelles de L’exil et le royaume : Les Muets, La Femme adultère, L’Hôte
et le roman posthume Le Premier homme. Ces textes narratifs contiennent tous
des personnages arabes.
Nous avons
volontairement scindé les textes en deux catégories : nous analyserons les
textes écrits entièrement avant le début de la guerre d’indépendance puis ceux entamés
avant la guerre et poursuivis durant cette guerre.
Les fictions
écrites avant novembre 1954, date du déclenchement de la guerre d’indépendance,
sont :
L’Etranger
(publiée en 1942), La Mort heureuse (publiée en 1971), La Peste (publiée en
1947). Les fictions commencées avant et achevées durant la guerre
d’indépendance ainsi que celles écrites pendant cette guerre sont : L’Exil
et le royaume (les trois nouvelles) et Le Premier homme.
L’Exil et le
royaume a muri durant près de trois années de guerre. Certaines de ses
nouvelles reflètent au mieux les perceptions d’Albert Camus, ses déchirements,
ses questionnements. «L’Hôte figure la contradiction mortelle de Camus face à la
guerre d’Algérie », écrit Pierre
Masson.[24] Jonas, une des six
nouvelles a pour environnement géographique la France, le Brésil pour La Pierre
qui pousse et l’Algérie pour les quatre autres. Trois nouvelles sur les six
mentionnent la présence d’Arabes. Il s’agit de L’Hôte avec 45 occurrences du
mot « Arabe » (et de nombreuses expressions renvoyant aux indigènes),
La Femme adultère 11 occurrences du mot Arabe (et 8 expressions renvoyant aux
indigènes), Les Muets avec une fois le terme Arabe (et 12 fois un prénom
autochtone). Ce sont ces trois nouvelles que nous étudions ci-après et pour ces
raisons-là.
De la même
manière, la présence de l’Arabe dans Le Premier homme (écrit durant la guerre,
mais publié en 1994) est importante. Le substantif « Arabe » (hommes
et femmes arabes) y apparaît 106 fois. 166 fois si on ajoute les autres
termes désignant les Algériens : indigène, autochtone, Berbère, Mauresque,
cavaliers en burnous, bandits, rebelles… Aucun personnage arabe ne figure dans
La Chute.
Pour ce qui
concerne les fictions d’avant la « guerre d’Algérie », le substantif
« Arabe » (désignant des hommes et des femmes) apparaît 24 fois dans
L’Étranger (et 2 fois « mauresque »), 3 fois dans La Peste (et une
fois « indigène »), 2 fois dans La Mort heureuse.
Les
personnages arabes dans les textes narratifs d’Albert Camus sont-ils particuliers ?
tiennent-ils des rôles importants ? À l’aune de la « guerre d’Algérie »
Albert Camus considère-t-il autrement ses personnages arabes, comparativement à
ses romans d’avant-guerre ? L’auteur leur attribue-t-il quelque
responsabilité, quelque rôle étoffé ? Leur donne-t-il la parole ?
Nous traiterons
dans l’ordre les textes écrits entièrement avant la guerre d’indépendance, puis
ceux écrits durant ou avant et durant cette guerre. Nous donnerons dans un
troisième chapitre des informations concernant l’utilisation des termes étudiés
(Arabe, Kabyle, Maure…) dans les essais d’Albert Camus. Quant aux créations dramaturgiques
d’Albert Camus, aucun Arabe ne figure dans aucune distribution.
1- Les textes narratifs écrits avant novembre 1954,
date du déclenchement de la guerre d’indépendance.
1.1- La Mort heureuse
Patrice Mersault rencontre, grâce à Marthe, Zagreus. Celui-ci est riche et
infirme. Il veut se suicider. Mersault qui est à la recherche « têtue »
du bonheur, une recherche à tout prix, le tue, lui prend son argent et part
voyager en Europe. Il reviendra en Algérie, s’installer près de Tipaza, où il
est confronté à la maladie et à la mort.
Dans ce premier roman d’Albert Camus,
écrit entre 1936 et 1938, publié en 1971, il est fait référence à deux reprises
à des Arabes. Au début du chapitre 2, dans le port d’Alger « devant une
petite baraque au parfum de vernis et d’anisette, des hommes buvaient et des
acrobates arabes en maillot rouge sur les dalles brûlantes tournaient et
retournaient leurs corps devant la mer où bondissait la lumière. » Et en fin de roman, au chapitre 5 : « Les
chemins étaient encore bordés de figuiers de Barbarie, d’oliviers et de
jujubiers. On y croisait des Arabes montés sur des ânes. »
La
présence de l’Arabe est insignifiante en nombre et en qualité. L’Arabe est
évoqué comme élément de décors (expression maintes fois évoquée à cet égard) au
même titre que les quais, les hangars ou la baraque, ignoré. « Sans les
regarder, les dockers portant les sacs s’engageaient sur les deux planches
élastiques qui montaient du quai sur le pont du cargo. » Le deuxième
extrait confirme ces dernières lignes. Mersault et ses trois amies escaladent
le mont Chenoua. Il fait beau, les discussions sont bien engagées, le groupe
d’amis est inondé de soleil, de promesses et de végétations abondantes, lorsque
surgissent furtivement, en une phrase « des Arabes montés sur des
ânes. »
1.2- L’Étranger
Le narrateur, Meursault, apprend la mort de sa mère. A l’enterrement il ne
semble éprouver aucune émotion. Il n’a pas l’attitude qui est attendue par la
société en pareilles circonstances. Il est indifférent, insensible. Le
lendemain il part se baigner avec son amie Marie Cardona, puis, ensemble, vont
au cinéma.
Trois jours
plus tard, son voisin Raymond, un proxénète, lui raconte la bagarre qu’il a eue avec un
homme, le frère de sa maîtresse, une « Mauresque qu’il maltraite jusqu’au
sang ». Quelques jours plus tard, un dimanche, Raymond, Meursault et son
amie Marie se retrouvent chez Masson, dans un cabanon en bord de mer. Les trois
hommes se promènent sur la plage. Ils croisent un groupe d’Arabes, dont le
frère de la maîtresse de Raymond. S’ensuit une bagarre. Plus tard Meursault
revient, seul, sur la plage. Il est armé. Il rencontre un des Arabes auxquels
lui et ses amis s’étaient affrontés. L’Arabe, à la vue de Meursault qui
s’avance, sort un couteau, « j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et
cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté
dans le soleil. » Meursault tire et
tue l’Arabe d’une balle. Puis il tire encore quatre fois, « pour être sûr
que la besogne était bien faite ».
Lors du procès Meursault semble perdu,
ne répondant pas aux normes édictées par la société. Il est comme étranger à
elle, au monde. « Malgré mes préoccupations, j’étais parfois tenté d’intervenir
et mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire.
» En quelque sorte, on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi.
Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu’on prenne
mon avis. » Meursault tue un Arabe, mais ne
semble pas palper la gravité de son geste. Meursault est condamné par la justice. Il
est condamné à mort, moins pour avoir tué l’Arabe que pour avoir enfreint les
règles en société, contrevenu à l’ordre social. Il est condamné plus pour avoir
tué moralement sa mère que physiquement l’Arabe.
Mais ce qui concerne cette étude c’est
la présence de l’Arabe dans le roman. Ce terme est utilisé 24 fois plus deux
fois celui de Mauresque. L’Arabe est présenté de trois manières. Le mot Arabe
est donné pour information. Il indique la présence d’Arabes, sans incidence
aucune : « Il y avait une infirmière arabe en sarrau blanc »,
« nous avons trouvé nos deux Arabes », La deuxième manière précise leurs
comportements : « Les Arabes avançaient lentement et ils étaient déjà
beaucoup plus rapprochés », « les Arabes, à reculons, se sont coulés
derrière le rocher », « l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté
dans le soleil. » Une autre manière est
de les présenter par le biais du narrateur ou d’un autre personnage exprimant
des échanges avec eux. Un style indirect. Exemple de la Mauresque qui parle à
travers la voix de Raymond : « elle me disait que c’était juste, qu’elle n’arrivait
pas », ou Meursault reprenant les Arabes : « ils m’ont demandé ce que j’avais fait… Ils
m’ont expliqué comment il fallait arranger la natte où je devais coucher. »
Les Arabes « suivent », « ils ne suivent pas »,
« ils viennent », « ils avançaient », « ils se sont
arrêtés », « ils se sont coulés derrière le rocher », « ils
s’accroupissent » sans jamais parler, ou bien ils parlent indirectement,
ou bien encore parlent, mais sans que nous sachions, comprenions de quoi il
relève : « Leur murmure sourd, parti de plus bas, formait comme une
basse continue… Le murmure des Arabes continuait au-dessous de nous. » Dans
ce roman les personnages Arabes disposent d’un rôle certes, mais sans
importance.
1.3- La Peste
La Peste est le 3° roman d’Albert Camus. Nous sommes dans les années 40,
un fléau s’abat sur la ville d’Oran : la peste. Le cœur du fléau est en
fait semblable à celui qui s’est abattu sur l’Europe, sur le monde, la peste
idéologique, la peste brune. Le nazisme. Le docteur Rieux « buta sur un rat
mort, au milieu du palier ». Puis
un autre « à la démarche incertaine », puis trois autres, et d’autres
encore. L’épidémie est là. Elle va s’étendre à toute la ville, modifiant peu à
peu les comportements humains. L’état de siège est décrété. Oran est une ville algérienne où vivent 300.000
hommes et femmes majoritairement européens, mais il demeure que plus de 40%
étaient Arabes. Or dans La Peste on n’en trouve pas ou peu. Dans ce roman, les
termes désignant un autochtone sont Arabe utilisé trois fois. On trouve le
mot indigène, une fois, mais il désigne
des Égyptiens.
Le mot Arabe
est ainsi rapporté : Raymond Rambert « enquêtait pour un grand journal de
Paris sur les conditions
de vie des Arabes et voulait des renseignements sur leur état sanitaire ». Puis « La marchande de tabacs… avait parlé d’une
arrestation récente qui avait fait du bruit à Alger. Il s’agissait d’un jeune
employé de commerce qui avait tué un Arabe sur une plage ». Enfin, Le journaliste Rambert demande au docteur
Rieux « des renseignements sur les conditions de vie des Arabes ». Autant
nous associer à nos devanciers pour dire avec eux que l’Arabe dans La Peste est
ignoré. On évoque les indigènes, mais
ils n’interviennent nullement. Ils n’apparaissent que par le biais de
personnages européens, le journaliste Rambert et une marchande de tabac,
certainement française, cela n’est pas précisé, mais on imagine fort mal une
marchande de tabacs dans la peau d’une Arabe.
2- Les textes narratifs écrits durant ou avant et
durant la guerre d’indépendance.
2.1- Les Muets
Dans cette courte nouvelle de 4833 mots il
est question de la vie ouvrière, résignée d’une quinzaine d’hommes œuvrant en
silence et dans l’obstination dans une tonnellerie, dont un Arabe qui est
désigné une fois par ce vocable. Il est « le seul Arabe de
l’atelier » et de la nouvelle. Son prénom, Saïd, est cité douze fois.
« Arabe » et « Saïd » apparaissant à partir de la 5° page des
12 que contient cette nouvelle dans la Bibliothèque de La Pléiade[25]. Saïd, personnage
secondaire, est le seul employé à travailler pieds nus ainsi que, bizarrement,
le contremaître. L’auteur a probablement voulu le montrer plus proche des
ouvriers que du patron. Saïd est l’homme à tout faire. « Quand personne ne le
réclamait, il rivait aux établis, à grands coups de marteau, les larges cercles
rouillés », Saïd accepte de partager
le casse-croûte de son collègue Yvars. Un casse-croûte qu’il avale avec moins
de plaisir que le café. Une certaine amitié lie les deux hommes pauvres et
solidaires. Lorsque tous les ouvriers s’en vont, Saïd doit rester pour
« nettoyer les lieux de travail et arroser le sol poussiéreux ». Saïd
est plus un ouvrier qu’un « Arabe », uni aux autres par sa misérable
condition : « Saïd a mangé ses figues » en guise de déjeuner, et Yvars lui « entre les deux tranches de gros pain, au
lieu de l’omelette à l’espagnole qu’il aimait, ou du bifteck frit dans l’huile,
il avait seulement du fromage. »
S’ils avaient été plus jeunes, peut-être seraient-ils partis, lui comme Yvars
et les autres ouvriers, ailleurs, « de l’autre côté de la mer. »
2.2- La Femme adultère
6620 mots sur 17 pages[26]. Publié une première fois
en novembre 1954 à Alger probablement chez Edmond Charlot « Les Vraies
richesses ». La nouvelle a été
modifiée, Albert Camus a par exemple « atténué les propos quelque peu
racistes qu’il prête à Marcel. »[27] Un vieil « autocar plein
d’Arabes » emmène Marcel, représentant en tissus, et sa femme Janine vers « les
villages des hauts plateaux et du Sud ».
Marcel ne pense qu’à sa marchandise, Janine s’interroge sur son mariage, sa
vie. Devant le désert qu’elle découvre, elle se trouve confrontée seule au
monde et à soi, en quête de liberté.
Janine et
Marcel sont les deux seuls noms qui apparaissent dans la nouvelle. Janine est
le principal personnage de la nouvelle. Alors que « rien ne semblait
intéresser Marcel que ses affaires », la vente de ses étoffes. Janine est en quête de réconciliation avec
elle-même, avec le monde. Pourtant, elle qui a « toute sa vie entendu
parler la langue arabe sans jamais la comprendre » ne s’y est-elle
probablement jamais intéressée. Comme elle n’a jamais que côtoyé les Arabes,
sans les connaître, sans les voir. Eux-mêmes « avaient tous cet air
d’orgueil ». Ce voyage est une occasion pour elle de reconsidérer son
rapport au monde. Un voyage qui va lui montrer le dénuement des populations
indigènes, qui la rend mal à l’aise. Les Arabes « tournaient (le)
visage vers l’étrangère, ils ne la voyaient pas et puis, légers et silencieux,
ils passaient autour d’elle dont les chevilles gonflaient. Et son malaise, son
besoin de départ augmentaient. »
L’indigène
est désigné 19 fois. Tantôt par le mot « Arabe » :11 fois,
tantôt ce mot est accolé à un qualifiant : vieux, jeune, grand, marchand ;
ou remplacé par un pronom : ils, celui-ci. Parfois les termes foule,
nomade ou bien seigneurs misérables, sont utilisés pour désigner les Arabes, parfois
seulement sous-entendus comme lorsqu’il est question de burnous, « les
burnous la frôlèrent ». Les Arabes sont « des formes drapées ».
Ils forment une « escorte muette », « une masse ». Ce sont des
êtres déshumanisés. Ils sont silencieux, ne possèdent rien, sont habillés de loques,
le visage brûlé, la face maigre et tannée, écrasés par la misère « La masse
haillonneuse des bergers », « visages qui semblaient taillés dans
l’os ». Les Arabes traversent la
nouvelle sans jamais vraiment apparaître comme des personnages à part entière à
une exception près, celle d’un Arabe militaire qui tient un rôle secondaire
appuyé bien qu’il ne dise pas un mot et qu’il traverse la scène (la place) en
coup de vent, sur lequel s’attarde l’auteur en douze phrases. Il n’est pas
comme les autres Arabes, il « se croit général », sa proximité avec les
Européens, voilée par le chèche qu’il porte, est néanmoins réelle et
insuffisante, car eux le rejettent, lui et ses semblables « Janine
ne répondit rien. Elle détestait la stupide arrogance de cet Arabe et se
sentait tout d’un coup malheureuse. » « Ils se prennent pour le bon Dieu » dit Marcel qui raille ailleurs le
vieux serveur au café « Doucement le matin, pas trop vite le soir ».
Albert Camus montre le racisme ordinaire, presque naturel
de Marcel, le mari de Janine. Un racisme que l’auteur avait voulu initialement
plus marqué. On trouve dans le manuscrit cette expression à propos des Arabes,
que finalement Albert Camus n’a pas retenue : « Et on veut qu’ils
évoluent, dit Marcel. Pour évoluer il faut travailler »[28].
L’auteur montre également l’exaltation de Janine suivie de son désarroi
lorsqu’elle découvre le monde dans lequel elle baigne et qu’elle ignore, un
monde peuplé de loqueteux qui parlent une langue qu’elle ignore ou méprise, des
nomades « sans maisons, coupés du monde, (errant) sur le vaste territoire
qu’elle découvrait du regard ». Un monde externe (les paysages, pas les
hommes) qui heurte profondément son être propre distant des hommes. Albert
Camus dénonce avec force la condescendance des petits blancs enserrés dans leur
petit monde, impassibles, indifférents à la misère des peuples autochtones,
misère maintes fois nommée, décrite, martelée par le narrateur. Comme dans les trois premiers ouvrages, les Arabes
n’ont toujours pas la parole, mais cette fois-ci, leur misère et le monde au
sein duquel ils évoluent sont dévoilés. Lamria Chetouani écrit à ce
propos : « l’Arabe est anonyme, dépersonnalisé, rabaissé, vu selon
des clichés racistes. Albert Camus a montré par ses articles que, dans la vie
réelle, il en est de même. »[29] Par la manière avec
laquelle il montre les Arabes, Albert Camus a peut-être voulu signifier que
telle est leur réalité dans la vie quotidienne.
2.3- L’Hôte
Daru, un jeune instituteur installé dans les hauts plateaux algériens,
voit arriver un jour d’hiver, deux hommes, un gendarme et un Arabe dont les
mains sont liées. Balducci, le gendarme, confie l’Arabe à l’instituteur en lui
ordonnant de le conduire au village de Tinguit où l’attendent l’administration
et la police. Daru refuse d’exécuter l’ordre, mais le gendarme s’en va en lui laissant
le prisonnier.
La nouvelle
est composée de 5033 mots sur 13 pages.[30] Camus utilise de
nombreux termes pour désigner l’autochtone : Arabe (45 fois), prisonnier
(10 fois), l’homme (4 fois), l’autre…
Le terme « hôte », titre de la nouvelle, est
prononcé une seule fois. Le Littré définit
ainsi ce terme : « 1-Celui, celle qui reçoit et traite quelqu’un sans
rétribution, qui lui donne l’hospitalité…2- Celui, celle qu’on reçoit et qu’on
traite bien. »[31] Jacques Derrida
écrit : « l’hôte qui reçoit (host), celui qui accueille l’hôte invité
ou reçu (guest)… »[32]
Il y a l’hôte qui accueille et l’hôte qui est reçu. Si le titre même de la nouvelle est polysémique, Daru,
le nom de l’instituteur porte à interrogation. En arabe le son [u] n’existant pas
on prononce « Dari » ou bien « Darou », ce qui signifie
respectivement « ma maison » et « sa maison ». On aurait pu
dire aussi « Dareh » (Ouest algérien).
Daru est membre
d’une communauté dont les racines sont étrangères au pays, la communauté des
Européens, des colons. Le colon, celui qui est venu chez autrui, est-il l’hôte
qui invite cet autrui (l’Arabe) ou celui qui est reçu par lui ?
Le socle de
la nouvelle repose sur l’entrave de l’arabe. Dès la deuxième phrase Albert
Camus montre sa condition de dominé : « L’un était à cheval, l’autre
(l’Arabe) à pied. »
L’Arabe est
colonisé, il n’a ni fonction ni identité. On ne sait rien de lui sinon qu’il a
tué. Il faut partir de ce constat primordial. L’autre protagoniste européen est
Balducci qui est gendarme. Daru est instituteur. Tous deux se connaissent
depuis longtemps. Ils font partie d’un « nous » qui les unit, qui les
rend solidaires. À Balducci qui le met en garde : « Tu es
sonné, fils. S’ils se soulèvent, personne n’est à l’abri, nous sommes tous dans
le même sac », Daru répond : « Je me défendrai. J’ai le temps de
les voir arriver. » Dans le manuscrit Camus fait répondre à Daru : « Je défendrai tous les Français s’il le
faut »[33]
Il nous faut
considérer deux groupes dans l’Hôte. D’un côté celui des autorités coloniales
et leurs cercles conscients ou non : le gendarme et l’administration et des
hommes parfois comme Daru qui est paternaliste, bienveillant, un colon non
violent, il « distribuait une ration aux petits. » Ce groupe détient le pouvoir, et les moyens, économiquement supérieur aux
indigènes. Ses membres sont associés (à divers degrés) contre l’autre groupe,
formé lui par les Arabes : le prisonnier, les élèves, les pères ou les
grands frères, les nomades, mais aussi
leurs coreligionnaires qui ont décidé de se révolter, ceux qui ont écrit sur le
tableau de la salle où officie l’instituteur ces mots qui lui sont adressés :
«Tu
as livré notre frère. Tu paieras ».
Jusqu’à
l’arrivée du gendarme traînant le prisonnier Daru était tranquille à enseigner
la civilisation et la géographie de la France. Daru est arrivé ici après la
guerre (guerre mondiale) Il n’est pas d’ici. Il avait demandé un poste dans un
petit village. Mais on l’a « nommé à un poste plus au nord, sur le plateau
même. » Daru est un éducateur proche de ses élèves. Il est
charitable, mais il transmet un savoir, un programme d’éducation, parfois sans
lien avec l’identité et l’environnement des jeunes élèves. Une géographie et
une histoire qui leur sont étrangères : l’histoire des ancêtres gaulois, la
géographie de l’hexagone « Sur le tableau noir, les quatre fleuves de
France, dessinés avec quatre craies de couleurs différentes ».
Cette arrivée du prisonnier perturbe
Daru. Elle le presse, l’incite à bousculer ses propres convictions pour
finalement lui dicter de suivre son vieil ami et gendarme, et par conséquent
l’administration, même s’il éprouve quelque fraternité avec l’Arabe. Daru ne va
pas plus loin. Il ne peut, plus qu’il ne veut, aller plus loin. Il est même
gêné par la présence de l’Arabe « parce qu’elle lui imposait une sorte de
fraternité qu’il refusait dans les circonstances présentes ». Daru tient cette fraternité de l’Arabe à distance
à cause des circonstances présentes qui sont : la proximité, le meurtre du
cousin, la guerre qui commence, « la jeune lumière » équivoque. Mais cette
effervescence du monde extérieur s’impose à Daru. Il est prêt à
se défendre contre un soulèvement (« je me défendrai »). L’auteur n’explique pas pourquoi les Arabes se
soulèveraient. Il nous faut le deviner. Pour quelles raisons sinon du fait de
leur condition. « Les moutons mouraient alors par milliers et quelques hommes,
çà et là, sans qu’on puisse toujours le savoir. » Daru compatit à la misère de « cette armée de
fantômes haillonneux ». « Chaque jour, Daru distribuait une ration
aux petits. Elle leur avait manqué, il le savait bien. » Les élèves
étaient « tous pauvres ». Daru
est charitable, mais il n’est pas solidaire. Il ne remet pas en cause le
système colonial qui est à la l’origine de la grande pauvreté des populations
autochtones. Pauvreté qui conduit l’Arabe à tuer son propre cousin. À l’image
de l’auteur dont il partage la sonorité patronymique, Daru (Daru/Camus),
conscient des conditions sociales et politiques subies par l’Arabe et qui font
de lui un résident de seconde zone, ne va pas jusqu’à sauter le pas, se
révolter contre l’ordre établi, l’ordre colonial. Daru est ce « colon de
bonne volonté » qui n’arrive pas à rompre avec ce « nous » qui l’enchaîne,
qui le soumet au gendarme et à l’administration qu’il dénonce. Lorsqu’il
interroge son vieil ami le gendarme Balducci « Il (l’Arabe) est contre
nous ? » Daru s’implique entièrement dans ce « nous ». Et Balducci le lui rappelle néanmoins « Les ordres sont
là et ils te concernent aussi » puis, « s’ils se soulèvent, personne
n’est à l’abri, nous sommes tous dans le même sac. » Daru « n’arrive pas à s’élever au-dessus de
l’attitude du colonisateur de bonne volonté » selon les mots de Raymond Aron,
cité plus haut, à propos d’Albert Camus.
Lorsqu’il apprend que l’Arabe a tué,
Daru s’offusque « une colère subite vint à Daru contre cet homme, contre tous
les hommes et leur sale méchanceté, leurs haines inlassables, leur folie du
sang. » Le gendarme et Daru
rejettent le crime commis par l’Arabe, mais ne s’interrogent pas sur les
raisons profondes qui l’ont poussé à le commettre ? Daru se contente d’un :
« Pourquoi l’Arabe a tué ? » Balducci lui répond, incertain :
« Des affaires de famille, je crois. L’un devait du grain à l’autre,
paraît-il. Ça n’est pas clair. » En somme
l’Arabe a tué son cousin qui lui devait du grain. Son cousin l’a volé. Mais ça
n’est pas clair. Ça pourrait être plus complexe. L’Arabe se fait justice sans
faire appel aux tribunaux français auxquels il ne croit pas. Cet assassinat
n’est-il pas la réponse au vol, à la spoliation ? Les Arabes ne sont-ils
pas dans cette situation de peuple spolié rendu à la misère, la plus noire dans
certaines régions ? « La nourriture de base de l’Arabe, c’est le
grain (de blé ou d’orge), qu’il consomme sous forme de galette. Faute de
grains, des millions d’Arabes souffrent de la faim… Sur toutes les routes, on
peut rencontrer des silhouettes haillonneuses et hâves… Des douars entiers sont
venus fouiller le sol pour en tirer une racine amère, mais comestible, appelée
« tarouda » et qui, transformée en bouillie, soutient, du moins, si
elle ne nourrit pas. »[34]
Ces paroles sont d’Albert Camus. Elles
auraient bien pu être celles de Daru. La réponse de l’Arabe à sa condition est
individuelle, le meurtre pour manger, mais elle sera bientôt collective, le
soulèvement général ou la mort.
Daru
maudissait à la fois les conditions faites aux Arabes par les siens et le crime
de l’Arabe. « Le crime imbécile de cet homme le révoltait, mais le livrer
était contraire à l’honneur : d’y penser seulement le rendait fou d’humiliation. »
« Regarde maintenant, dit l’instituteur, et il lui montrait la direction de l’est,
voilà la route de Tinguit. Tu as deux heures de marche. À Tinguit, il y a l’administration
et la police. Ils t’attendent. » Puis, lui montrant la direction du sud
« ça, c’est la piste qui traverse le plateau. À un jour de marche d’ici,
tu trouveras les pâturages et les premiers nomades. Ils t’accueilleront et t’abriteront,
selon leur loi. » Daru demande à l’Arabe
de choisir. Mais peut-il choisir alors qu’il est privé de
liberté, dépossédé de son identité, et même perdu,
égaré ? Se diriger vers les nomades, eux-mêmes enferrés, est-ce la
liberté ?
On peut (éventuellement) considérer que dans la structure actancielle le
personnage arabe est un adjuvant. En prenant la route de la prison l’Arabe n’évite-t-il
pas à Daru d’avoir des conflits importants avec l’Administration ? Daru
est perçu comme un bon français par l’Arabe, car cet « hôte », cet
invité (étranger par ses aïeux à cette terre) a, dans des moments difficiles,
en quelque sorte, essayé de le comprendre. Entre eux deux ne commençait-il pas
à naître une sorte de fraternité, qui figurait cette fraternité entre tous les
Algériens, tous les résidents de cette terre d’Algérie, mais en dehors du gendarme,
en dehors de la France ? La réponse n’est pas suggérée par l’auteur.
À la fin de
la nouvelle, Daru ne part pas avec l’Arabe. Il revient à son royaume pour
poursuivre sa mission. Daru est un instituteur, un maître qui, par définition,
transmet des connaissances et (aussi) des messages. A-t-il seulement été
perturbé par l’inscription au tableau « qu’il venait de lire » ?
Peut-être pas. Il se contente de regarder, pensif, cette lumière annonciatrice (peut-être)
des longues années de guerre, « la jeune lumière bondir ». Il pense probablement
à ces phrases de son vieil ami le gendarme: « ça bouge, paraît-il. On parle de révolte
prochaine. S’ils se soulèvent, personne n’est à l’abri, nous sommes tous
dans le même sac. » Daru n’a pas
livré l’Arabe à l’administration, mais les inconnus (ou l’inconnu) qui ont
écrit « tu as livré notre frère. Tu paieras », ne le savent pas. Ils
le considèrent comme adversaire, car il est membre de la communauté du
gendarme. Il était bien seul.
2.4- Le Premier homme
Jacques Cormery, un homme d’une
quarantaine d’années, revient dans son pays natal à la recherche de son
enfance, de son père (bien qu’enterré à Saint-Brieuc), de son histoire. Le Premier
homme est un roman autobiographique posthume. Bien qu’écrit à la troisième personne,
il cache mal l’autobiographie. C’est un roman inachevé que l’auteur a entamé en
octobre 1953 et qu’il travaillera jusqu’à novembre 1959 à Lourmarin. Il
souhaitait en faire le plus volumineux de tous ses écrits. Il a été publié en
1994[35]. Il tient sur 266 pages
sans les annexes (332 avec. Albert Camus pensait en faire trois fois plus).
Ce texte est
une autobiographie donc. De nombreuses indications le montrent : Usage du
nom de sa grand-mère paternelle, Cormery (dès la page 18), des notes de bas de
page : « attention, changer les prénoms » note-t-il… Des
omissions, lapsus ou erreurs : « La classe de M. Germain »,
« moi » au lieu de lui, ou encore « le modèle d’une signature
Vve Camus », « J.G. » pour Jean Grenier, son maître. Il est vrai
qu’on retrouve dans d’autres romans d’Albert Camus des anthroponymes de ses
proches : Cardona (L’Etranger, La Mort heureuse), Sintès (L’Etranger).
Le Premier
homme est une autobiographie romancée, une narration à la troisième personne.
« Curieusement,
en suivant ces ‘il’, et alors que nous sommes, au plan strictement
narratologique, en focalisation omnisciente, nous sommes entrés à l’intérieur du
personnage, comme si ce discours
se disait au ‘je’ et se confiait à nous directement… c’est la troisième personne ‘il’ qui remplit la fonction conventionnellement attendue
par un ‘je’ créant une forte subjectivité. Si bien qu’il ne paraîtrait guère
choquant si l’on remplaçait ce ‘il’
par
‘je’ »[36]
Dans le roman (hors annexes) le terme
« Arabe » désignant les hommes et les femmes autochtones
apparaît 99 fois (et 07 fois en annexes). Les Arabes sont directement
désignés par leur nom à dix-sept reprises dont six fois dans les annexes) :
Kaddour, Omar, Abder, Tahar, Saddok et Tamzal. Ce dernier est cité sept fois.
D’autres termes sont utilisés pour désigner les
populations indigènes comme : nomades, mauresques, Berbères, Mozabites,
cavaliers en burnous… 43 fois dont sept fois dans les annexes. Les pronoms personnels,
adjectifs indéfinis… sont utilisés 35 fois (nullement en annexe). Les chapitres
où l’on rencontre fréquemment ces termes sont : le premier (« au-dessus
de la carriole… »), avec 48 occurrences tous termes confondus hors
pronoms, « Mondovi » avec 22, puis « Le père, sa mort »
ainsi que « Étienne » et « Lycée » avec 15 occurrences
chacun. On retrouve ces termes dans les autres chapitres en deçà de dix fois.
Ils ne sont aucunement utilisés dans les chapitres « St Brieuc » et « St
Brieuc et Malan ».
Il y a lieu de distinguer dans Le Premier homme,
d’un côté le discours de Jacques Cormery, direct ou indirect, rapporté par le
narrateur, qui parfois se confond avec celui de l’auteur (comme en pages 181 et
189) et de l’autre côté le discours des autres personnages membres de la
famille Cormery ou non.
Les extraits que nous avons sélectionnés se
rapportent pour la quasi-totalité à la perception qu’ont de l’Arabe ces
différents acteurs.
Le roman débute par la naissance de Jacques Cormery.
« Un Arabe surgi de l’ombre, dans un
burnous sombre et déchiré » désigne au père la maison du docteur
accoucheur. Un autre Arabe, pour se protéger contre la pluie, utilise un sac. « Il
regarda Cormery, qui ne lui dit rien. ‘‘Tiens’’, dit l’Arabe, et il tendit un
bout de son sac. Cormery s’abrita. Il sentait l’épaule du vieil Arabe et l’odeur
de fumée qui se dégageait de ses vêtements, et la pluie qui tombait sur le sac
au-dessus de leurs deux têtes. » Épaule contre épaule, deux êtres si éloignés
et si proches à la fois, unis ici par un événement heureux, la naissance de Jacques,
et c’est une accoucheuse Arabe qui le délivre, qui le met au monde. Plus loin
l’auteur évoque l’enfance heureuse de Jacques, sa famille, ses amis d’immeuble
et de quartier où règne la pauvreté et la misère, partagées. « Tout au
long des arcades, les boutiques de commerçants se succédaient, marchands de
tissus en gros… épiceries qui sentaient le girofle et le café, petites échoppes
où des marchands arabes vendaient des pâtisseries ruisselantes d’huile et de
miel. » À plusieurs reprises des signes sont donnés à propos de cette
fraternité possible. « L’auteur multiplie dans Le Premier homme les signes
évoquant des traits reliant les deux communautés ; la vie du quartier
pauvre est identique pour les uns et pour les autres ; dans la rue
dominicale, les ouvriers rencontrent des Arabes ‘‘pauvres eux aussi’’ »,
écrit Joseph Jurt.[37] … « Le matin,
Jacques attendait Pierre au bas de sa maison… La rue de Pierre, qui conduisait
au marché, était jalonnée de poubelles, que des Arabes ou des Mauresques
faméliques, parfois un vieux clochard espagnol, avaient crochetées à l’aube,
trouvant encore à prendre dans ce que des familles pauvres et économes
dédaignaient assez pour le jeter. »
La pauvreté est
partagée au sein de la tonnellerie, lorsqu’on est ouvrier, Arabe ou non. Tonnellerie
où Jacques se rendait pour donner le casse-croûte à son oncle Ernest qui y
travaillait. Jacques se souvient qu’il « y avait Abder » - Saïd dans
Les Muets - « le manœuvre arabe qui portait un pantalon arabe dont le fond
pendait en plis et dont les jambes s’arrêtaient à mi-mollet, un vieux
veston sur un tricot dépenaillé et une chéchia, et qui avec un drôle d’accent
appelait Jacques ‘‘mon collègue’’ parce qu’il faisait le même travail que lui
quand il aidait Ernest… Ernest, vêtu d’un vieux pantalon bleu rapiécé, d’espadrilles
couvertes de sciure, d’une flanelle grise sans manches et d’une vieille chéchia
délavée qui protégeait ses beaux cheveux des copeaux et de la poussière. »
Un jour, dans cette tonnellerie, Jacques venait de se blesser. « Il sentit tout
de suite une douleur sourde à sa main, mais se releva d’un coup en riant devant
les ouvriers qui étaient accourus. … Cinq minutes après, ils étaient chez le docteur
arabe qui habitait en face de chez eux. C’est rien, docteur, c’est rien, hein
», disait Ernest, blanc comme un linge. « Allez m’attendre à côté, dit le
docteur, il va être courageux. » Mais cette solidarité, cette camaraderie,
manifeste dans la tonnellerie, ici et dans Les Muets, ne sont pas répandues dans
la société. « Le chômage, qui n’était assuré par rien, était le mal le
plus redouté. Cela expliquait que ces ouvriers, chez Pierre comme chez Jacques,
qui toujours dans la vie quotidienne étaient les plus tolérants des hommes,
fussent toujours xénophobes dans les questions de travail, accusant
successivement les Italiens, les Espagnols, les Juifs, les Arabes et finalement
la terre entière de leur voler leur travail. » « Dans ce pays d’immigration,
d’enrichissement rapide et de ruines spectaculaires, les frontières entre les
classes étaient moins marquées qu’entre les races. … Alors que Jacques et son
ami Pierre avaient des camarades arabes à l’école communale, les lycéens arabes
étaient l’exception, et ils étaient toujours des fils de notables
fortunés. »
Le racisme
anti-Arabe est très ancien. Henri Cormery, le père de Jacques était dans les
Zouaves (unités françaises d’infanterie). Un jour, dans un coin de l’Atlas
alors que la Maroc est à la veille de sa mise sous tutelle des puissances
européennes, il découvre qu’un de ses camarades de détachement « avait été
égorgé et, dans sa bouche, cette boursoufflure livide était son sexe
entier. » Henri était furieux : « Un homme ne fait pas ça… un
homme ça s’empêche. » Il criait « sale race ! Quelle race ! Tous, tous...
» Il s’agit bien sûr de « la race arabe ». Le racisme prend d’autres
dimensions, il s’exacerbe lorsque la guerre d’indépendance éclate :
« sale race vous êtes tous de mèche, bande d’enculés. » lançait un Pied-noir
à un Arabe. Puis « Il faut tous les tuer ». Jacques n’est pas
d’accord, il s’élève contre cette haine, « il n’a rien fait » dit-il
en essayant de protéger l’Arabe. Lorsque Jacques se rend à la ferme où il est
né, le fermier lui parle de son propre père M. Veillard : « C’est un
vieux colon... Le genre patriarche, vous voyez. Il en faisait baver à ses
ouvriers arabes, et puis, en toute justice, à ses fils aussi.... L’an passé…le
préfet avait eu le malheur de dire aux agriculteurs assemblés qu’il fallait
reconsidérer les questions [coloniales], la manière de traiter les Arabes et qu’une
page était tournée maintenant. Il s’est entendu dire par le vieux que personne
au monde ne ferait la loi chez lui… » A ses ouvriers qui lui demandaient
ce qu’il fallait faire il leur répondait : « ‘‘Si j’étais à votre
place…j’irais au maquis. Ils vont gagner. Il n’y a plus d’hommes en
France’’. Il n’a plus voulu entendre
parler de l’Algérie. Il est à Marseille, dans un appartement moderne... moi, je
reste, et jusqu’au bout. Quoi qu’il arrive, je resterai. J’ai envoyé ma famille
à Alger et je crèverai ici ». La guerre d’indépendance avait bien éclaté. Veillard
accompagne Jacques, à la recherche de personnes ayant connu ses parents. Ils
arrivent chez le vieux Tamzal. « ‘‘Il y
a six mois, on est venu chercher son beau-fils, on voulait savoir s’il
ravitaillait le maquis. On n’a plus entendu parler de lui. Il y a un mois, on a
dit à Tamzal que probablement il avait voulu s’évader et qu’il avait été tué’’.
‘‘Ah, dit Jacques. Et il ravitaillait les maquis ?’’ ‘‘Peut-être oui, peut-être
non. Que voulez-vous, c’est la guerre ». L’auteur, par le biais du
fermier, dit son espoir du vivre ensemble, « on est fait pour s’entendre.
On va encore un peu se tuer, se couper les couilles et se torturer un brin. Et
puis on recommencera à vivre entre hommes. C’est le pays qui veut ça. » Il
« sentait aujourd’hui la vie, la jeunesse, les êtres lui échapper, sans
pouvoir les sauver en rien. »
Jacques Cormery, la
quarantaine, rend visite à sa mère. Jacques, sa maman et son oncle Ernest « se
retrouvaient comme autrefois » chez elle. On évoque la famille, les amis,
les frères Daniel et Pierre « camarades d’atelier de Ernest ». « Et
Daniel ? » demande Jacques. « Y va bien, il est vieux comme moi ;
Pierrot son frère la prison… le syndicat. Moi je crois qu’il est avec les
Arabes. » Aussitôt la situation du pays s’impose à lui, il parle des
« bandits », il s’agit des combattants : « les bandits, c’est
bien ? » « Non, dit Jacques, les autres Arabes oui, les bandits
non. » « Bon, j’ai dit à ta mère les patrons trop durs. C’était fou, mais
les bandits c’est pas possible. » « Voilà, dit Jacques. Mais il faut
faire quelque chose pour Pierrot .» Jacques était devant la fenêtre. Dans
la rue « les ouvriers, avec leurs chemises blanches fraîchement lavées et
repassées, se dirigeaient en bavardant vers les trois ou quatre cafés qui
sentaient l’ombre fraîche et l’anis. Des Arabes passaient, pauvres eux aussi, mais
proprement habillés, avec leurs femmes toujours voilées, mais chaussées de
souliers Louis XV. Parfois des familles entières d’Arabes passaient, ainsi
endimanchées. L’une d’elles traînait trois enfants, dont l’un était déguisé en
parachutiste. Et justement la patrouille de parachutistes repassait, détendus
et apparemment indifférents. C’est au moment où Lucie Cormery entra dans la
pièce que l’explosion retentit. »… « Des gens couraient… en quelques
secondes la rue s’était vidée. » Plus loin, des hommes s’emportaient, « cette
sale race » lançait un ouvrier à un Arabe « ‘‘Vous êtes tous de
mèche, bande d’enculés’’, et il se jeta vers lui. Les autres le retinrent.
Jacques dit à l’Arabe : ‘‘Venez avec moi’’, et il entra avec lui dans le café
... ‘‘Il n’a rien fait, dit Jacques. Fais-le entrer chez toi.’’ Jean regarda l’Arabe
en essuyant son zinc. ‘‘Viens’’, dit-il, et ils disparurent dans le fond. En
ressortant, l’ouvrier regardait Jacques de travers. ‘‘Il n’a rien fait’’, dit
Jacques. ‘‘Il faut tous les tuer’’. ‘‘C’est ce qu’on dit dans la colère.
Réfléchis.’’ L’autre haussa les épaules
: ‘‘Va là-bas et tu parleras quand tu auras vu la bouillie.’’ »
Dans l’avion qui le
ramène à Alger, Jacques reconstitue l’histoire des siens, à leur arrivée, telle
que la lui a racontée le vieux docteur, celui-là même qui l’avait mis au monde,
l’histoire des premiers Pieds-noirs, lorsqu’ils arrivèrent en terres d’Algérie
que la France « leur avait données », à eux qui « avaient refusé
la domination allemande » dès 1871 (Albert Camus a longtemps pensé que ses
ancêtres paternels étaient alsaciens, ils étaient bordelais), prenant la place
des Algériens. Ces étrangers « persécutés-persécuteurs d’où était né son
père » arrivaient « sous le regard hostile des Arabes groupés de loin
en loin et se tenant à distance, accompagnés presque continuellement par la
meute hurlante des chiens kabyles ». Les nuits, pour oublier le choléra et
la peur « les conquérants en robe longue et en costume de drap dansaient,
transpiraient gravement autour d’un grand feu de broussailles, pendant qu’aux
quatre coins du campement la garde veillait pour défendre les assiégés contre
les lions à crinière noire, les voleurs de bétail, les bandes arabes et parfois
aussi les razzias d’autres colonies françaises qui avaient besoin de
distraction ou de provisions…Travaillant en pays ennemi, qui refusait l’occupation ».
À quarante ans Jacques est en osmose avec ce pays qui l’a vu naître presque orphelin,
sa vie a été forgée « dans une île pauvre du quartier, liée par la
nécessité toute nue, au milieu d’une famille infirme et ignorante. Jeté dans ce
pays comme s’il était le premier habitant, ou le premier conquérant… avec
autour de lui ce peuple attirant et inquiétant, proche et séparé, qu’on
côtoyait au long des journées, et parfois l’amitié naissait, ou la camaraderie… »
Dans Le Premier
homme, demeuré inachevé et à propos duquel des précautions doivent être prises,
pour cette raison même, Albert Camus montre la pauvreté qui écrase les uns et
les autres, certainement plus les uns que les autres. Ici la misère des Arabes
est intégrée dans la pauvreté plus générale d’un monde pauvre, celui du
quartier de Belcourt et d’autres d’Alger. L’auteur montre implicitement les conditions
faites aux colonisés contre lesquelles s’insurge son ami Saddok :
« je choisis la folie
arabe, la folie des opprimés. » La « question arabe » et la
guerre d’indépendance sont évoquées plusieurs fois et clairement.
3- L’Arabe dans les essais d’Albert Camus
Pour complément nous avons introduit dans la présente étude des extraits des
essais d’Albert Camus où il est question d’Arabes. Les termes désignant un
autochtone comme Arabe ou indigène, berbère… apparaissent à de nombreuses
reprises. D’autres termes, substantifs,
pronoms et autres patronymes sont donnés aussi pour désigner des autochtones.
Nous n’avons
pas retenu les écrits journalistes (hors ceux qui figurent dans Actuelles),
très nombreux, dont certains sont indisponibles.
-
Dans L’Envers
et l’endroit le mot Arabe apparaît une fois dans la préface : « J’aime la
maison nue des Arabes ou des Espagnols », trois fois dans l’essai Entre
oui et non : « J’entends l’Arabe respirer très fort, et ses yeux
brillent dans la pénombre… L’Arabe dans son coin, toujours accroupi, tient ses
pieds entre ses mains… Les lumières des phares sont là. Et l’Arabe qui se
dresse devant moi me dit qu’il va
-
On retrouve le même mot, une fois, dans Noces : L’Eté
à Alger : « À l’ombre des arbres qui la bordent, des Arabes vendent
pour cinq sous des verres de citronnade glacée, parfumée à la fleur d’oranger ».
Phrase suivie de deux identiques adjectifs possessifs y renvoyant :
« Leur appel », « leur cri ».
-
Deux fois dans L’Eté : Dans Le Minautore ou la halte d’Oran, une fois :
« De loin en loin, un berger arabe fait avancer sur le sommet des dunes les
taches noires et beiges de son troupeau de chèvres. Sur ces plages d’Oranie,
tous les matins d’été ont l’air d’être les premiers du monde. » Dans Petit guide pour des
villes sans passé, une fois : « Et d’abord la jeunesse y est belle. Les
Arabes, naturellement, et puis les autres. Les Français d’Algérie sont une race
bâtarde, faite de mélanges imprévus. »
-
Une fois le terme Maure, dans L’Homme révolté, en note
explicative en bas de page désigne ceux d’Espagne.
-
Dans Carnets I (1935-1942) le mot Arabe est mentionné trois
fois, une fois celui de mauresque :« Le soleil sur les quais, les
acrobates arabes et le port bondissant de lumière…C’est une Arabe… ‘‘Ces
Arabes, ça masque leurs filles. Ah ! ils ne sont pas encore civilisés !’’… L’infirmière
mauresque qui cloue la bière a un chancre au nez et porte un bandeau
perpétuel. »
-
Dans Carnets II (1942-1951) aucun des termes concernés
n’apparaît.
-
Dans Carnets III (1951-1959) différents termes sont
utilisés : Arabe, émissaires du FLN, des pronoms (ils, vous, l’autre…) des
patronymes (Yassef Saadi, Ali-la-Pointe)… « Les Arabes couchés ici. Et
oubliés de tous… Visite de G.T. [Germaine Tillon] Contactée par émissaires du
F.L.N. qui lui proposent un rendez-vous avec des responsables qui ont des
questions à lui poser… Ils parlent de la torture… Le chef fait un signe à l’autre
… G.T me montre aussi les rédactions de 30 élèves arabes de 11 à 12 ans auxquels
l’instituteur arabe a donné le sujet : ‘‘Que feriez-vous si vous étiez
invisibles ?’’ : Tous prennent des armes et tuent soit les Français, soit des
paras soit les chefs du gouvernement. Je désespère de l’avenir. »
-
Dans Actuelles I Ecrits politiques (1944-1948) on trouve
deux termes, « Arabes » et « sidi » (son utilisation marque
le respect à l’égard des hommes âgés, il fut utilisé pour injurier, comme
raton, bougnoule, melon…) Dans cet extrait Albert Camus dénonce ce racisme anti-arabe.
« On trouve normal que le malheureux étudiant qui a tué sa fiancée
utilise, pour détourner les soupçons, la présence de ‘‘sidis’’, comme ils
disent, dans la forêt de Sénart. Si des Arabes se promènent dans une forêt, le
printemps n’a rien à y voir. Ce ne peut être que pour assassiner leurs
contemporains. » On trouve également, les termes suivants, mentionnés une
seule fois : musulman, algérien, maure.
-
Dans Actuelles II Ecrits politiques (1948-1953) les
seuls substantifs suivants sont donnés, deux fois chacun : Arabes et
Algériens. Albert Camus dénonce la xénophobie et le racisme dont sont l’objet
les Arabes. Dans une lettre qu’il adresse à Jean-Paul Sartre, directeur des
Temps modernes le 30 juin 1952 Albert Camus écrit : « Il importe peu
que votre critique [il s’agit de Francis Jeanson ] examine de façon résolument
futile, ou plaisante, ou dédaigneuse, certaines démonstrations secondaires… Me
jetant alors à la face Indochinois, Algériens, Malgaches et mineurs de fond
pêle-mêle… Je pardonne de grand cœur ces innocentes sottises. Votre
collaborateur n’est pas forcé de savoir que ces problèmes coloniaux dont il
nous laisse croire qu’ils l’empêchent de dormir m’ont empêché, il y a déjà
vingt ans, de céder au total abrutissement du soleil. Ces Algériens dont il
fait son pain quotidien ont été jusqu’à la guerre mes camarades dans un combat
plutôt inconfortable. » Cette lettre comme d’autres lettres sur la révolte
participa du combat « qui a aidé à dissiper des confusions » écrit
Albert Camus.
-
Dans Actuelles III Ecrits politiques (1939-1958), recueil
qui couvre vingt années, articulé autour de sept chapitres, on trouve un
ensemble « d’articles et de textes qui tous concernent l’Algérie. »
« Averti depuis longtemps des réalités algériennes, je ne puis… approuver
une politique de démission qui abandonnerait le peuple arabe à une plus grande
misère, arracherait de ses racines séculaires le peuple français d’Algérie »
écrit Albert Camus qui donne sa vision et ses convictions à propos de l’Algérie.
C’est le volume qui contient le plus de termes désignant les autochtones. Celui
qui est le plus utilisé est « Arabe » près de soixante-dix fois,
« peuple arabe » est plusieurs fois utilisé, d’autres aussi, mais en
moins grand nombre comme « musulmans », « Kabyles »,
« indigène », « peuple Kabyle ». Les expressions
« pays Kabyle » « pays arabe » « population
nord-africaine » ne sont utilisées qu’une seule fois. On trouve des noms
de nationalistes comme Hadjeres, Ferhat-Abbas ou Aziz Kessous. Albert Camus défend dans le détail sa thèse,
évoquée en supra.
Pour conclure cette analyse nous faisons le constat que dans les textes
fictionnels d’avant 1954 Albert Camus décrit un monde qui lui est proche. L’effacement
des autochtones, réel dans la société des Pieds-noirs, est simplement reproduit
sans induction aucune. La Mauresque est battue, trompée, l’Arabe est frappé,
assassiné, ignoré. Sa présence est insignifiante, comme dans La Mort heureuse.
Dans L’Etranger les Autochtones sont présents comme le groupe d’Arabes,
l’infirmière, la maîtresse de Raymond présent, mais paradoxalement absents pour
nombre d’entre eux. Ils agissent ou plutôt sont agis, êtres anonymes, ils
murmurent : un « murmure sourd, parti de plus bas, formait
comme une basse continue aux conversations qui s’entrecroisaient au-dessus de
leurs têtes », ou bien ne
s’expriment clairement que par la bouche d’un autre (Raymond ou Meursault).
Dans La Peste les Arabes, des ombres, sont évoqués (à trois reprises) par un
journaliste et une marchande de tabacs. Il y a entre les fictions et les essais
d’Albert Camus comme une frontière étanche qui empêche que la vision que
l’auteur de « Misère de Kabylie » (1939) ou de « La famine en
Algérie » (1945) a du « peuple arabe… malheureux peuple de ce pays »
perce pour se déployer dans ses romans.
Dans ces trois romans la présence des Arabes est
insignifiante, leur rôle est sans importance, leur présence est évoquée comme
élément de décors, ou n’apparaissent
que par le biais de personnages européens, n’intervenant
nullement directement. La présence/absence des Arabes dans les fictions écrites
par Albert Camus avant la guerre d’indépendance a été largement détaillée et
commentée.
Dans les fictions
écrites pour l’essentiel de leur contenu durant la guerre d’indépendance
algérienne Albert Camus montre bien le réel de la misère, de l’injustice et du
racisme subis par les Algériens colonisés. Ces réalités n’empêchent pas parfois
une forme de proximité entre les populations européenne et arabe. Dans Les
Muets une amitié sincère unit deux ouvriers pauvres et solidaires, un
personnage européen et un autre Arabe. Mais souvent les autochtones subissent
domination et discriminations multiples de la part de la population européenne
et de l’administration. Des états de faits et pratiques révoltants que dénonce
l’auteur dans ses essais, ses articles de presse et dans ses interventions
publiques. La condescendance des petits blancs indifférents à la misère des Arabes,
enfermés dans leur petit monde est maintes fois martelée dans La Femme adultère. Dans L’Hôte, Daru compatit avec les Arabes
embourbés dans une grande misère, mais il ne remet pas en cause la colonisation à l’image d’Albert Camus.
Que ce soit
dans L’Exil et le royaume ou dans Le Premier homme, Albert Camus mêle deux
perceptions, deux regards antagonistes sur les populations algériennes
arabo-berbères. D’une part la ou les visions portées par ses personnages et
d’autre part la sienne. Il est important de distinguer les focalisations. La
perception par ses personnages du monde qui les entoure est subjective. Elle
est le reflet de la vie concrète en Algérie d’alors. Le regard de nombre des
personnages d’origine européenne est celui de la condescendance, de
l’indifférence, voire du racisme à l’égard des Indigènes. La domination,
l’exclusion, le mépris, la violence et le racisme que subit l’Arabe sont portés
par Marcel dans La Femme adultère, par le gendarme dans L’Hôte, par un ouvrier,
par un fermier dans Le Premier homme… Ces voix ne sont pas, loin de là, celles
d’Albert Camus.
L’autre
perception, l’autre point de vue est celui de l’auteur/narrateur, bien que
s’exprimant à la troisième personne « il ne paraîtrait guère choquant si l’on
remplaçait ce ‘il’ par ‘je’ »[38]. Il montre la pauvreté extrême des populations
locales, une parmi d’autres conséquences du colonialisme, quand bien même l’auteur
n’était pas favorable à l’autodétermination du peuple algérien. « La
revendication arabe a raison, et tous les Français le savent (il y a lieu) de
dénoncer et de refuser le colonialisme et ses abus, qui sont
d’institution. »[39] Un cri qu’Albert Camus
avait maintes fois lancé en public, dans des articles de presse ou essais.
Mais, s’il dénonce
les méfaits du colonialisme, comme le montrent les extraits en supra (chapitre
3), Albert Camus se bat pour le réformer, il ne le combat pas pour le dépasser,
pour le supprimer au profit d’une Algérie indépendante. Un pas qu’il ne franchira pas comme tant d’autres
intellectuels de son époque et de même origine que lui, qui ont condamné le
colonialisme et soutenu la guerre d’indépendance algérienne : Anna Gréki,
Jean Senac, Jules Roy, Pierre Chaulet, Daniel Timsilt, Henri Kréa, et de
nombreux autres.
Dans les
fictions écrites après 1954 on trouve, certes, l’Arabe comme élément de décors
ou exotique, mais on trouve également l’Arabe acteur nommé : Tamzal,
Kaddour, Saïd… et agissant auprès d’autres personnages européens. Albert Camus
n’est pas demeuré insensible aux critiques qui lui furent adressées, lui
qui « exhorte à la lucidité, à la mesure, à avoir le sens du
problème : ‘‘ Il s’agit de refaire notre mentalité politique, cela
signifie que nous devons préserver l’intelligence. Il n’y a pas de liberté sans
intelligence’’… »[40]
Les questionnements sur les conditions de vie des Algériens autochtones et
sur leurs revendications, mais également les tentatives de rapprochement entre
les communautés sont tangibles dans les écrits fictionnels d’Albert Camus des
années cinquante, plus encore dans Le Premier homme, à propos duquel il
disait : « Je commence vraiment mon œuvre avec ce livre. »[41] « Un livre qui n’a
absolument pas été retouché, c’est un premier jet d’écriture »[42]. Sa disparition brutale
en janvier 1960 a mis un terme au projet de proposition de réconciliation,
quoique tardif, qu’il nous aurait offert à lire, à discuter. Il l’emportera
dans sa solitude. « Maintenant j’erre parmi des débris, je suis sans
loi, écartelé, seul et acceptant de l’être, résigné à ma singularité et à mes
infirmités. »[43]
Ahmed Hanifi, auteur.
http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.fr/
Marseille, octobre 2013.
[1] José Lenzini, Les
derniers jours de la vie d’Albert Camus, Barzakh, Alger, 2009, p. 129.
[2] Albert Camus,
L’Homme révolté. Gallimard, Paris, 1951, p. 269.
[3] Bjurström C.G.,
postface à Albert Camus, Discours de Suède, Gallimard/Folio, Paris, 2007, p 78.
[4] Cahier Albert
Camus-6- Albert Camus éditorialiste à l’Express : mai 1955-février 1956,
Gallimard, Paris, 1987 p. 18.
[5] Emmanuel Roblès, Camus frère de
soleil, Le Seuil, Paris, 1995, pp. 84 et
113.
[6] Albert Camus,
Chroniques algériennes : 1939-1958, Gallimard/folio-Essais, Paris, 2011,
p. 157.
[7] Alain Vircondelet
(texte de), Catherine et Jean Camus (photographies, collection de), Albert
Camus vérités et légendes, Editions du Chêne, Paris, 1998, p. 102.
[8] Frantz Fanon, Les
Damnés de la terre, Maspéro, Paris 1968, p. 168.
[9] Albert Camus,
Chroniques algériennes, op. cit., pp. 208-209.
[10] Catherine Camus
en réponse à une de nos questions à la Cité du livre d’Aix en Provence le 28
novembre 2006.
[11] Le Monde Hors
série, Une vie, une œuvre, 1° numéro, Paris, 2010. Albert Camus La révolte
et la liberté.
[12] Alain
Vircondelet, op. cit., p. 66.
[13] Albert Camus,
Chroniques algériennes, op. cit., p. 28.
[14] Virgil Tanase,
(A. Camus-J. Grenier, Correspondance, cité par) Camus, Gallimard/ folio
biographies, 2010, p.335.
[15] Olivier Todd,
Albert Camus une vie, Gallimard/Nrf. Biographies, Paris, 1996, p. 756.
[16] Albert Camus, Remarque sur la révolte, in
ouvrage collectif « L’Existence », Gallimard/Métaphysique, Paris,
1945, p 17.
[17] Albert Camus, Les
Justes, Gallimard/Folioplus, Paris, 2010, p. 50.
[18] Christiane
Chaulet-Achour, Albert camus face à la question algérienne, in :
www.ldh-toulon.net, consulté le 28 août 2013.
[19] Archive vidéo Ina.
[20] Lila
Ibrahim-Lamrous, L’exil et le royaume d’Albert Camus : l’Algérie comme
chair de la poésie, www.periodicals.narr.de, consulté en mai 2013.
[21] Le Premier homme commenté par Pierre-Louis
Rey. Ed Gallimard/Folio, 2008 p 128.
[22] Waël Rabadi,
L’Etranger face à la critique arabe, in : Bulletin d’information de la
Société des études camusiennes, n° 84, mai 2008, p. 35.
[23] Nous avons repris à notre compte
la distinction des écrits d’Albert Camus en dramaturgie, essai et roman telle
qu’employée par les éditeurs de l’auteur.
[24] www.
Etudes-camusiennes.fr, consulté en mai 2013
[25] Albert Camus,
Théâtre, récits, nouvelles, édition établie et annotée par Roger Quillot,
Gallimard/ nrf, Bibliothèque de La
Pléiade, Paris, 2005.
[26] Albert Camus,
Théâtre, récits, nouvelles. Op. cit.
[27] Albert Camus, Théâtre, récits,
nouvelles. Op. cit., p. 2040.
[28] Albert Camus, Théâtre, récits,
nouvelles. Op. cit., p. 2042.
[29] Lamria Chetouani,
L’Etranger d’Albert Camus une lecture à l’envers du stéréotype arabe », citée par Olivier Todd, op. cit., p. 764.
[30] Albert Camus,
Théâtre, récits, nouvelles. Op. cit.
[31] Le Littré, janvier 2003, tome trois, p. 3034.
[32] Jacques Derrida, Adieu à Emmanuel Levinas, repris par
Annabel Herzog dans l’article « paradigmes bibliques, colonialisme et
hospitalité dans ‘‘L’Hôte’’ d’Albert Camus », Etudes françaises vol 42,
n°2, 2006, pp 137-147, on www.erudit.org, consulté en mai
2013.
[33] Albert Camus,
Théâtre, récits, nouvelles, op. cit. p. 2051.
[34] Albert Camus,
Chroniques algériennes, op. cit. p. 99
[35] Albert Camus, Le
Premier homme, Gallimard/Nrf, Paris, 1994.
[36] Keling Wei, Albert Camus : l’écriture autobiographique et les
registres multiples de la voix… Queen's University Kingston, Ontario, Canada Janvier 1998, p. 13.
[39] Albert Camus,
Chroniques algériennes, op. cit., p. 200.
[40] Hocine Aït-Ahmed,
Camus et le bicentenaire de la déclaration des droits de l’homme, 1789-1989, in
Rencontres méditerranéennes de Lourmarin, Albert Camus une pensée, une œuvre,
Colloque de Lourmarin, 1-10 août 1985, p. 106.
[41] Jérôme Dupuis,
Retour sur le dernier jour d’Albert Camus, L’Express.fr, 11.02.2010.
[42] Catherine Camus
en réponse à une de nos questions à la Cité du livre d’Aix en Provence le 28
novembre 2006.
[43] Albert Camus,
Carnets 3 -1951-1959, Gallimard, 1989, p. 266.
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On le trouve ici:
On le trouve ici:
Mais aussi:
a- dans sa version courte:
Littérature algérienne- Dz-lit
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b- dans son intégralité:
--> 414/354/226/213/189/182/177/135/115/55+35--------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.laprovence.com/
a- dans sa version courte:
Littérature algérienne- Dz-lit
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b- dans son intégralité:
Littérature maghrébine- Limag
http://www.limag.refer.org/new/index.php?inc=dspart&art=00035609
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c- article intégral ici aussi:
SPLA- Sud Planète- Africultures
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c- article intégral ici aussi:
SPLA- Sud Planète- Africultures
Ainsi que mes autres posts:
La Provence 27 10 2013
La Provence 18 10 2013
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