Je
ne pense pas avoir rêvé les fréquents arrêts du train. Je n’étais pas non plus
tout à fait éveillé. J’ai bien entendu des grincements perçants de freins, des
gens qui parlaient, mais les ai-je réellement entendus ou bien était-ce des
élucubrations cérébrales ? Dans cet entre-deux, mon obsession était que je
me réveille et que je ne puisse ensuite de nouveau m’endormir.
Le
matin, un contrôleur est passé en toquant sur chacune des portes comme un
forcené, ou bien un sergent-chef qui n’a pas dormi de la nuit, réveillant à
l’aube ses ouailles « Béchar, aya
Bechar, Bechar ! »
Nous
sommes arrivés à 8h37 sous un beau soleil timide, mais frais et
accueillant et avec près de deux heures
et demi de retard. Et c’est aussi bien, car où serais-je allé et qu’aurais-je
fait à six heures du matin un jour saint ? Là il me suffit de lever le
bras et hop un taxi garé dans l’enceinte de la gare s’approche. « La gare
routière saha ». 50 DA.
-
Y-a-t-il un départ pour Adrar ?
-
Ah, il vient de partir.
-
Le prochain ?
-
Après El-Asr,
-
Quelle heure ?
-
Vers trois heures… Estenna…
Le guichetier me demande de patienter, il téléphone. Il
raccroche et me demande 1150 DA.
- Il y a un départ ?
En
fait le car qu’il m’a dit être parti, est sur le point de partir, pas parti. « Suit
l’homme là » fait le guichetier en me remettant le billet. C’est le
receveur venu me chercher à la suite de l’appel du guichetier. Il me fait
monter dans le car après avoir déchiré mon ticket. Une manière comme une autre
pour le valider. Il est ainsi donc « vérifié ». Raqm, Essaâ, el yaoum, el
ittijah, el mablagh. Cela donne, traduit en français : N°, L’heure, le
jour, la destination, le prix ou encore 016307, 9h, le 11 janvier, Adrar, 1150.
Je
m’enfonce à l’arrière. Un beau car Higer bleu de 45 places. Plutôt propre. Sur son
flanc quatre éoliennes blanches, ou quelques fleurs ou autre chose qui leur
ressembleraient sont dessinées. Nous sommes cinq passagers plus les eux employés.
On est bien assis et les sièges sont réglables. C’est un plus pour les longues
distances et entre Béchar et Adrar il y a 600 km.
À la sortie de la ville bien
après Bidandou (Bidon2 ou Béchar Jdid) et la SNTR, bien après le contrôle
de gendarmerie, après l’immense marché de fruits et légumes, de brocantes, de
pièces détachées, de brics, de brocs et plus encore, étalés sur cinq hectares,
on délaisse à gauche la direction de Taghit et d’Igli, et on continue sur la N6.
Le conducteur est respectueux du
code de la route et même plus que cela, les panneaux indiquent « 90 »
et lui roule à dix ou vingt kilomètres en dessous, alors qu’il n’y a plus de
contrôles militaires, sur de longues distances et que la voie est double et
large. L’alpha règne alentour. Cette fois la vitesse est autorisée jusqu’à
« 80 ». On longe un immense espace cultivé, protégé par une clôture.
La terre est humide, elle longe un oued asséché.
| Abadla |
Voilà Abadla, notre premier
arrêt.
![]() |
| image Google |
Et voilà El Ouata,
un beau village… que je connais. Il y a quelques années je m’y étais arrêté. Il
m’avait inspiré un texte que j’avais intitulé Un thé à El-Ouata. En voici les
premières lignes : « Le thé rouge que je déguste
sous la tonnelle qu’ombragent de respectables bougainvilliers fleuris à faire
rougir de lointains congénères mieux lotis, a le goût suave
de l’immuabilité. Pour beaucoup ici
la mesure du temps est une abstraction, une fantaisie étrangère dont on se
moque éperdument comme on raille les instruments – la montre ou le sablier –
chargés de cette énigmatique et impossible opération. Les éléments
Nous sommes
vendredi et c’est l’heure de la prière, les commerces doivent cesser. Mon verre
de thé ne coûte pas cher, quant aux couscous du chauffeur et de son adjoint, le
gargotier ne peut se permettre de les leur refuser au risque de ne plus revoir
ces hommes et leurs éventuels voyageurs les jours à venir. Le moteur du car n’a
pas arrêté de ronronner durant toute la halte. Un peu moins d’une heure plus
tard nous reprenons la route. À 100, 110 km/h, le conducteur semble vouloir
récupérer le temps perdu, maintenant qu’ils ont mangé, à l’œil. Je comprends
alors pourquoi depuis le départ de Béchar nous avions roulé à moins de 80 km/h.
Arriver à l’heure du repas ou plutôt à l’heure de la prière pour se goinfrer
gratos. Peut-être bien.
Le
conducteur ralentit à cause d’un troupeau de dromadaires déambulant sur la
route même.
Il fait un arrêt de deux minutes à 20 km de Ouled Khodeïr qui se
trouve sur notre gauche, c’est ce qu’indique un panneau de signalisation, un
village niché sous une immense dune qui un jour, peut-être, l’ensevelira avec
ou sans ses habitants réfractaires, sans état d’âme. Au croisement à venir
l’autocar prendra à droite. À gauche est la route qui mène à Timimoun. À
l’arrêt, un homme monte, embrasse le conducteur. Il ne l’a manifestement pas vu
depuis longtemps. Un autre descend de l’autocar son téléphone collé à l’oreille.
Il ne dit mot, ni à son correspondant, ni aux passagers. Une voiture l’attend
de l’autre côté. À un mètre d’elle, sur le sable, son conducteur lève les bras
près des oreilles puis se prosterne. Les monts sur notre gauche, plus nombreux
que les dunes, sont sombres, révélant ainsi la présence de métaux en leur cœur.
Les deux hommes s’enlacent. Et nous, nous continuons. Nous traversons un long
oued sec. Entièrement.
Je
commence à en avoir assez de rouler et je l’écris sur mon calepin (tous mes
petits cahiers à spirale sur lesquels, depuis des années, je note tout, sont
numérotés. Celui-ci porte le numéro 28 de la nouvelle série). Vivement Adrar,
pense-je et écris-je, avant la nuit si possible. Le receveur, qui ne m’a ni
entendu (évidemment) ni lu, éternue. Deux fois. À ses souhaits. Par endroits,
des plaques entières de sable recouvrent la chaussée. Au loin, un autocar est à
l’arrêt, le triangle de sécurité est posé à l’arrière, à trois mètres environ.
Le nôtre le double puis s’arrête devant. Le conducteur et le receveur en descendent
sans un mot. Ils reviennent treize minutes plus tard et nous repartons sans
qu’ils n’aient rien dit, rien justifié, et puis quoi encore ? À une
vingtaine de kilomètres de Tsabit, un contrôle militaire impressionnant. Le
militaire armé en faction signifie d’un geste preste du bras,
« passe ». Et le conducteur qui ne se le fait pas répéter deux fois,
embraye. Nous passons.
, une station d’essence Naftal et
trois gendarmes motards, et deux kilomètres plus bas un contrôle « Halte
police » et une nouvelle caserne militaire. Ils dessinent l’approche de la
grande ville que voici après un immense château d’eau aux couleurs locales,
couleurs du sable et rouge sahraoui,
et un grand parc dédié aux enfants, le "Familly Park".
Voilà donc Adrar, le
pays de la miss Algérie 2018. La lumière du jour prend congé.
Voilà donc Adrar, le
pays de la miss Algérie 2018. La lumière du jour prend congé.
(à
suivre)
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EXTRAITS DE: UN THÉ À EL-OUATA







J'aime voyager avec vous.
RépondreSupprimerMerci à vous Pierre.
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