5 octobre 1988
Sale temps en ce mercredi 5 dans l’œil de Satan. Lundi j’ai déposé les demandes de renouvellement des passeports à Arzew. Des rumeurs ont traversé avec insistance les rues de grandes villes comme Oran, et même chez nous autour d’Arzew. Des anonymes (qui se révèleraient être des flics ou plutôt des « agents », nous disions alors « khawa ») prévoyaient « larebâa ghadi tetkhallat », mercredi, elle va se mélanger, entendre « mercredi ce sera le désordre. »
Et en effet, le mercredi 5, comme le jeudi et les jours suivants, le pays était « à feu et à sang » comme disaient les journalistes étrangers. Les radios et journaux – nous n’avions pas encore les antennes satellites pour capter les chaînes de télévision française. J’étais revenu de France depuis un an et demi. « Retour définitif » (il durerait 7 ans). La crise financière de 1986 semblait s’être aggravée. Tous les deux ou trois ans des manifestations se déroulaient dans les grandes et moyennes villes du pays, au point qu’en 1985 le président Chadli avait encouragé la création d’une Ligue des droits de l’homme (LADH) pour à vrai dire contrecarrer l’autre ligue, la ligue indépendante créée en juin 1985 par un groupe de militants dont Maître Ali Yahia Abdennour, la LADDH issue du Mouvement berbère (MCB). Ali Yahia serait arrêté dès le 9 juillet. Au sein de la ligue « officielle du pouvoir », encouragée donc par Chadli, il y avait aussi des gens sincères (mais qui a tué son président Maître Fethallah?) et qui voulaient s'émanciper de la tutelle officieuse du pouvoir. À Oran, Abdelkader Alloula en était membre ainsi que Ghouadmi, Boumediou, Henni, Dahdouh, Khadraoui... beaucoup d'autres, et moi-même. Nous officions à l’angle du square Kayla, à dix mètres de la BEA, angle de la rue de la Vieille mosquée. Nous éditions une revue « Le Lien ».
Les dernières manifestations juste avant (et même pendant) l’explosion du 5 octobre étaient ouvrières avec les grévistes des usines de Rouiba. On était loin du « Chahut de gamins » (comme l’avait annoncé le représentant de l’Amicale des Algériens en France, Ali Ammar)
Revenons à Oran.
Les locaux du FLN étaient saccagés un peu partout dans le pays. De nombreuses administrations, mairies…. avaient fermé. Il en a été ainsi jusqu’au discours du président Chadli du 10 octobre (après avoir reçu Ali Benhadj, Nahnah et Sahnoun), le jour de la manifestation à Alger noyautée par les islamistes qui avaient la veille lancé des tracts appelant à manifester. Les policiers et les militaires tirèrent sur la foule ce 10 octobre faisant 33 morts dont le journaliste Sid Ali Benmechiche. Le bilan officieux ferait état de plus de 500 morts durant toutes ces manifestations d’Octobre, essentiellement des jeunes gens et adolescents. Beaucoup ont été torturés. C’est ce même jour qu’un « collectif de 70 journalistes » dénonce la censure auprès de l’AFP. Pas avant. Durant les mois précédents les journalistes algériens revendiquaient des logements (ah M’Guedem, M’Guedem !), des conditions de travail et de salaires corrects, pas de revendications politiques contrairement à ce que certains d’entre eux – roublards – affirmeraient plus tard sur un mode quasi permanent et mensonger. Il n’y a qu’à lire leurs écrits dans les journaux d’alors (exemples ici en fin d’article).
Revenons de nouveau à Oran. Nous nous sommes rendus dès le lendemain du 5 dans le centre-ville. Des dizaines de jeunes manifestaient dans les rues, certains portant des paquets subtilisés des centres commerciaux ou magasins. Les dérapages existaient bien, mais la coupe était pleine. Dans ma voiture, cela sentait l’oignon me semblait-il alors, « crymougène ! » (gaz lacrymogène) me dit B. On a vite fait de traverser Ben M’hidi, Max Marchand, Montplaisant. À Gambetta, tous les jours vers 18 heures, nous tenions des assemblées informelles chez B, chez Bijouti, chez Bouchi… La parole, soudain, se libérait. Elle débordait, partait dans tous les sens et chacun, évidemment, avait raison contre la dictature.
Octobre
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