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Benjamin Stora – Photo Ludovic Marin/AFP
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(in Lemonde.fr- 23.01.2021).
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OSSATURE DU RAPPORT
Ossature du Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » de Benjamin Stora.
Page 1 - 3
- citations d’Albert Camus et Mouloud Féraoun
- Sur le contexte de la demande du président Macron
- Les questions abordées dans ce rapport
Page 4 - 32
PARTIE II
- Citations de Paul Ricoeur et de Kateb Yacine
- Un exercice difficile mais nécessaire
- Singularité du conflit
- Cheminement des mémoires
- Regarder et lire toute l’histoire pour refuser la mémoire hémiplégique
- Deux imaginaires
- Interaction. Le monde du contact
Page 33
PARTIE II
- Les rapports de la France avec l’Algérie
- Discours du général de Gaulle
- L’économie, et la mémoire qui saigne
- L’arrivée de la gauche au pouvoir
- France, années 2000 : les accélérations de mémoires
- Algérie : le retour des noms propres
- Le chemin déjà accompli… sous la présidence de Jacques Chirac
- … sous la présidence de Nicolas Sarkozy
- … sous la présidence de François Hollande
- … sous la présidence d’Emmanuel Macron
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PARTIE III
Des défis à relever
- Citations de Marie Cardinal et de Leïla Sebbar
- Les archives, « un patrimoine commun » ?
- Le guide des disparus
- La mémoire, par la force des images
- La question des excuses. Un détour par l’Asie
- Autres sujets. Autres défis
Page 85
CONCLUSION
Vers un traité Mémoires et Vérité
- Citation de l’Émir Abdelkader
Fin du rapport.
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Préconisations
Page 98
Remerciements
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ANNEXES
- Annexe 1_ Les discours présidentiels
Discours du président Nicolas Sarkozy à Constantine devant des étudiants algériens, mercredi 5 décembre
Discours du président François Hollande au Mémorial de la guerre d’Algérie. 19 mars 2016
Déclaration du président Emmanuel Macron, à propos de Maurice Audin, 13 septembre 2018
- Annexe 2_ quelques signes de détente et de coopération entre les sociétés civiles
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Archives relatives à l’Algérie, classements, numérisations et mises en ligne : bilan et perspectives 2017-2024
- Présentation des fonds relatifs à l’Algérie
- Bilan des traitements déjà effectués
… en matière de classement et de description de fonds d’archives
… en matière de numérisation de documents
- Perspectives de travail pour la période 2020-2024
… en matière de traitement, de description de fonds et de rétroconversion des fonds
… en matière de numérisation de documents
… en matière de recherches administratives et historiques
Documents ottomans
Page 128
Tableau
Archives relatives à l’Algérie, classements, numérisations et mises en ligne : bilan et perspectives 2017-2024
- Classement effectué sur la période 2017-2019
Fonds territoriaux
Total des classements 2017-2019 : 123,5 m.l.
Travaux de classement 2020
Fonds ministériels 7
Fonds territoriaux 8
Travaux de classement à venir 2021-2022
Fonds ministériels
Fonds territoriaux
Travaux de classement à venir 2023-2024
Fonds ministériels
Fonds territoriaux
Archives numérisées en ligne
Numérisation et mise en ligne 2020-2021
Numérisation et mise en ligne 2022-2024
- Annexe 3_ Quatrième Session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN)- Paris, 7 décembre 2017
Communiqué conjoint
o Paix et sécurité
o Dimension humaine
o Coopération institutionnelle, éducative et culturelle
o Partenariat économique
o Calendrier bilatéral
Page 142
Bibliographie sélective sur les mémoires de la guerre d’Algérie
Bibliographie sélective sur les rapports entre la France et l’Algérie
Benjamin Stora, historien, spécialiste du Maghreb contemporain et auteur du rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », remis ce mercredi au Président de la République . Sortira en mars « France-Algérie, les passions douloureuses » (Albin Michel), est l’invité de 7h50.
Pour l’historien, « il est évident pour beaucoup d’Européens d’Algérie que ça reste une question douloureuse ; la grande question c’est de comprendre la souffrance de l’autre, des Algériens. Il faut fabriquer un discours qui permettent d’unifier les mémoires »
Interviewé par Léa Salamé
France Inter, jeudi 21 janvier 2021, 7h50
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Emmanuel Macron avait commandé en juillet dernier à Benjamin Stora un rapport pour surmonter les difficultés héritées de la colonisation et qui rendent difficiles les relations en la France et l’Algérie.
Ce rapport a été remis ce mercredi 20 janvier.
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Mediapart.fr 20 janvier 2021, par Rachida El Aazzouzi
France-Algérie: le rapport Stora privilégie une commission «Mémoire et vérité» à des excuses officielles
Dans son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie remis mercredi à l’Élysée, l’historien Benjamin Stora préconise une commission « Mémoire et vérité » pour impulser des initiatives mémorielles de part et d’autre de la Méditerranée. Mais déconseille au président Macron des excuses officielles.
C’est un rapport éminemment sensible dont la remise officielle a plusieurs fois été repoussée. Au point que son auteur s’en était inquiété, craignant que sa mission soit devenue encombrante pour son commanditaire, Emmanuel Macron, président d’une République où le premier ministre clame à la télévision que « nous n’avons pas à « nous autoflageller, regretter la colonisation, et je ne sais quoi encore ». Le rapport est enfin public.
Ce mercredi 20 janvier, l’historien Benjamin Stora a remis à l’Élysée ses travaux sur « les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie », ainsi que ses propositions en vue de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». La remise a eu lieu en comité restreint en fin d’après-midi, la semaine où a démarré à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi « séparatisme » (ou « confortant le respect des principes de la République »). La semaine aussi où l’exécutif s’est enorgueilli d’avoir imposé « une charte des principes pour l’islam de France ». Un agenda qui ne doit rien au hasard.
Benjamin Stora, l’un des principaux spécialistes français de l’Algérie, avait été chargé en juillet dernier par Emmanuel Macron de « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » tandis qu’en Algérie, dans une démarche parallèle inédite, le président algérien désignait Abdelmadjid Chikhi, l’inamovible directeur général des archives algériennes, pour mener « un travail de vérité entre les deux pays »…
Dans son discours en octobre aux Mureaux (Yvelines), Emmanuel Macron avait déclaré que « le séparatisme islamiste » était en partie « nourri » par les « traumatismes » du« passé colonial » de la France et de la guerre d’Algérie, qui « nourrit des ressentiments, des non-dits » « toujours pas réglés ».
« On a trop oscillé entre le déni et le non-dit depuis 60 ans, renchérit aujourd’hui son entourage. Il faut en sortir pour empêcher qu’un prurit mémoriel malsain et contre la République se produise. On constate très souvent que cette histoire est mal racontée, parfois pour des raisons politiques malsaines, à la jeune génération d’aujourd’hui. »
Benjamin Stora, qui a mené seul cette mission, formule dans son rapport une trentaine de recommandations concrètes pour sortir de l’ornière à l’approche du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022, et de la fin d’un conflit que la France n’a nommé « guerre » qu’en 1999, usant du terme « événements d’Algérie » durant des décennies.
Au risque de servir la dépolitisation de la question coloniale qui provoque des débats d’une ampleur inédite et se trouve au cœur du renouveau du mouvement antiraciste, Benjamin Stora se refuse cependant à prôner tout grand discours officiel symbolique d’excuses, ce que réclament les autorités algériennes depuis plusieurs années.
L’Élysée s’en réjouit : « C’est un des grands apports du rapport de Benjamin Stora. Il n’est pas question de repentance, de présenter des excuses. La repentance est vanité ; la reconnaissance est vérité. Et la vérité, elle se construit par les actes. »
L’entourage du président rappelle les propos prononcés à Alger par Emmanuel Macron candidat à la présidentielle, lorsqu’il a dénoncé en 2017 la colonisation comme « un crime contre l’humanité, une vraie barbarie » : « Le président ne regrette pas ses propos qui ont créé des polémiques franco-françaises qui renvoient à la nécessité de regarder cette histoire en face. Ayant dit cela, que pouvait-il dire de plus ? Il n’y a rien à dire de plus. En revanche il y a beaucoup à faire. »
« Faire des discours, cela a été fait mais après, chacun rentre chez soi, il ne se passe pas grand-chose. Mon rapport est réformiste, ce n’est pas un texte révolutionnaire pour dénoncer les crimes du colonialisme qui l’ont déjà été de Césaire à Macron », abonde auprès de Mediapart Benjamin Stora, qui « veut avancer concrètement plutôt que perdre du temps à s’empailler idéologiquement ».
Sur ce point, l’historien se prépare aux critiques d’une partie de la gauche et assure ne pas chercher à satisfaire ceux qui pensent, comme à l’extrême droite et à la droite de l’échiquier politique, à l’image du premier ministre Jean Castex, que la France n’a pas à «s’autoflageller, regretter la colonisation ». « Tout le sens de mon rapport est la dénonciation du système colonial. Tout le long du rapport, j’explique que le colonialisme a été condamné comme un crime dans de multiples discours présidentiels français. Pourquoi donner argument à l’extrême droite en parlant de “repentance” pour la laisser détruire l’ensemble du rapport, alors que moi je veux avancer pratiquement ? L’extrême droite n’attend que cela, que j’utilise le mot fétiche – repentance –, un mot qu’elle nous a imposé comme des écrans, des murs, pour ne pas affronter la réalité du passé colonial. Je ne leur ferai pas ce cadeau. »
Dans son rapport, l’historien, qui commence par disséquer les effets des mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie sur la société française, « de l’installation de l’oubli à la séparation des mémoires », invite à ne pas aller sur le terrain d’un débat idéologique centré sur la repentance et à « emprunter d’autres chemins, une autre méthode pour parvenir à la réconciliation des mémoires ».
« Le Japon s’est déjà excusé dix fois mais ils n’ont rien changé à leur manière de concevoir la question coloniale en Chine et en Corée, confie à Mediapart le chercheur. Ils n’ont pas fait d’indemnisation. Ils n’ont rien réparé. Ils ont même honoré des criminels de guerre. Les Américains ont fait cela aussi avec le Vietnam. S’excuser tout le temps, qu’est-ce que cela change au comportement de la société américaine ? Rien du tout. »
Plutôt que de parler de « repentance », l’historien appelle la France « à reconnaître les discriminations et exactions dont ont été victimes les populations algériennes » en mettant en avant des faits précis. « Car les excès d’une culture de repentance, ou les visions lénifiantes d’une histoire prisonnière des lobbies mémoriels, ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé. »
Pour Benjamin Stora, « la mémoire revêt un aspect concret, pratique, pas seulement un aspect idéologique de condamnation ». « Ce qui m’intéresse, c’est d’avancer sur chacun des dossiers, d’ouvrir des portes, sur les archives, les essais nucléaires, les cimetières, les harkis, le napalm, la torture, la panthéonisation de Gisèle Halimi, etc. Comment on fait pour savoir qui sont les disparus, comment on parle aux jeunes, qu’est-ce qu’on met dans les manuels scolaires sur la colonisation, quel rétablissement de vérité sur les assassinats ? »
Dans son rapport de quelque 200 pages, qui deviendra en février un livre, France-Algérie, les passions douloureuses, aux éditions Albin Michel, il liste ainsi une trentaine de préconisations pour « regarder et lire toute l’histoire, pour refuser la mémoire hémiplégique ». Certaines sont connues, réclamées depuis longtemps, de vieux projets ou serpents de mer, d’autres sont inédites.
S’il ne les a pas hiérarchisées, faute de temps – « Je n’ai eu que quatre mois » –, il dessine cependant des priorités : l’ouverture des archives, la question des disparus, la reconnaissance par l’État français de sa responsabilité dans la mort du héros nationaliste algérien Ali Boumendjel, la panthéonisation de l’avocate Gisèle Halimi, connue pour son combat pour les droits des femmes mais moins pour celui contre le colonialisme, un meilleur enseignement de l’histoire de la guerre et de la colonisation de l’Algérie, la préservation des cimetières, etc.
Quelles suites concrètes le président de la République va-t-il donner au rapport Stora, alors qu’il légitime les traditionnelles obsessions identitaires françaises et que le climat politique se durcit et fait prospérer les idées d’extrême droite ? Premier président français à être né après l’indépendance de l’Algérie, Emmanuel Macron fait preuve d’un certain volontarisme sur la question algérienne, plus que ses prédécesseurs, qui se sont surtout contentés de discours.
Après avoir déclaré pendant la campagne présidentielle de 2017 que la colonisation était « un crime contre l’humanité », pour ne plus en parler ensuite, Emmanuel Macron a reconnu, une fois élu, la responsabilité de l’État français dans l’assassinat du militant communiste Maurice Audin. Il a, dans le même temps, admis le recours systémique à la torture pendant la guerre d’Algérie.
Une semaine après sa visite à Josette Audin, il a également honoré des harkis, ces combattants algériens qui ont servi la France puis qui ont été abandonnés par les autorités françaises dans des conditions tragiques. Il a encore restitué à Alger, début juillet, vingt-quatre crânes de résistants algériens décapités pendant l’interminable et sanglante conquête de l’Algérie par la France au XIXe siècle, crânes qui étaient entreposés au musée de l’Homme. Un geste qualifié de « grand pas » par Alger.
« Il peut s’autoriser ce travail, car il n’est ni un acteur ni un témoin engagé de cette période. Comme Jacques Chirac avait regardé la rafle du Vél d’Hiv en face, il peut générationnellement regarder en face cette histoire », plaide son entourage. Mais jusqu’au où ira le chef de l’État dans la mise en pratique du rapport Stora ? L’historien espère « ne pas avoir travaillé pour rien », que son rapport ne sera pas un énième rendez-vous manqué avec l’Histoire : « Si on veut connaître la vérité et la réconciliation, il faut que l’État s’investisse, mette des moyens. »
L’Élysée assure qu’il y aura « des mots » et « des actes » dans « les prochains mois », tout en précisant qu’« une période de consultations » s’ouvre, que « rien ne se fera sans concertation », que le chef de l’État « s’exprimera en temps et en heure » sur les préconisations du rapport », qu’il est « déterminé à construire une mémoire de l’intégration républicaine, partagée par tous les citoyens, quelles que soient leur culture, origine, formation ». Est aussi annoncée la participation du président à trois journées de commémorations : la journée nationale des harkis le 25 septembre, la répression meurtrière de la manifestation pacifique d’Algériens le 17 octobre 1961 et les soixante ans des accords d’Évian le 19 mars 2022, à un mois de l’élection présidentielle.
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Rfi.fr
En France, c’est aujourd’hui que l’historien Benjamin Stora remet son rapport sur la colonisation en Algérie et la guerre d’indépendance au président français. Un rapport qu’Emmanuel Macron lui avait commandé en juillet dernier. Objectif : surmonter les difficultés héritées de ce passé non soldé qui empoisonnent les relations franco-algériennes. Benjamin Stora va ainsi formuler toute une série de propositions.
Emmanuel Macron dit vouloir œuvrer à la réconciliation des peuples français et algérien. C’est dans ce cadre qu’il a sollicité l’été dernier cet historien né à Constantine, reconnu aussi bien dans l’Hexagone que de l’autre côté de la Méditerranée pour réfléchir à la question mémorielle.
Car ce sujet plus que tout autre ne cesse depuis 60 ans d’empoisonner les relations entre les deux pays. Ainsi, dans le rapport qu’il remet ce mercredi au président, l’historien prône la réconciliation des mémoires entre la France et Algérie mais aussi au sein même de la société française entre harkis, pieds noirs et binationaux. Objectif à terme pour l’historien : « que les Français comprennent ce qu’a été le vécu algérien et que les Algériens rentrent aussi dans ce qui a été l’histoire française de la guerre d’Algérie ».
Alors, comment parvenir à un tel résultat ? Benjamin Stora formule plusieurs propositions concrètes, comme l’enseignement de l’histoire de la colonisation et la reconnaissance de certaines figures de la guerre d’Algérie. L’idée est notamment formulée de faire entrer au Panthéon Gisèle Halimi. Cette avocate anti-colonialiste est notamment célèbre pour avoir défendu des militants FLN durant la guerre d’Algérie.
L’historien émet également des propositions concernant les archives sans qu’on en connaisse précisément le contour. Le sujet est là extrêmement sensible. Alger demande depuis des années que lui soit remis la totalité des archives de la période coloniale la concernant.
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ouest-France.fr
L’historien français Benjamin Stora remet mercredi à Emmanuel Macron son très attendu rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie (1954-1962) pour tenter de « décloisonner » des mémoires divergentes et douloureuses entre les deux pays, aux relations aussi étroites que complexes.
Spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine de l’Algérie, Benjamin Stora a été chargé en juillet par le président français de « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », achevée en 1962 et qui reste un épisode très douloureux dans les mémoires des familles de millions de Français et d’Algériens.
L’historien veut promouvoir une « volonté de passage, de passerelle, de circulation, de décloisonnement des mémoires », a-t-il déclaré mardi, ajoutant que son rapport serait concret.
« Ce n’est pas simplement idéologique, ce n’est pas simplement des discours qu’on prononce, des mots fétiches qu’on prononce, mais des actes, c’est-à-dire ouvrir des archives, identifier des lieux, chercher des disparus, entretenir des cimetières. Ce sont des choses qui sont très simples, très pratiques, très évidentes mais qui sont autant de contentieux, de problèmes très lourds entre la France et l’Algérie », a-t-il énuméré, sans dévoiler le contenu du rapport rendu public mercredi.
Premier président français né après cette guerre, Emmanuel Macron affiche sa volonté de dépassionner et débloquer ce dossier brûlant et tenter, par ce biais, d’apaiser des relations bilatérales volatiles depuis des décennies entre les deux pays, intimement liés par l’Histoire, de la conquête et la colonisation de 1830 à la Guerre d’indépendance.
En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a chargé le directeur des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, de travailler sur la question mémorielle, de concert avec Benjamin Stora, dans une démarche commune et concertée des deux chefs d’État.
À l’approche du 60e anniversaire de la fin du conflit en 2022, Emmanuel Macron a confié à Benjamin Stora ce rapport dans le cadre de ses initiatives pour tenter de « finir le travail historique sur la guerre d’Algérie » parce que, a-t-il expliqué en décembre, « nous avons des tas de mémoires de la guerre d’Algérie qui sont autant de blessures ».
Rien qu’en France, l’Algérie est présente dans les mémoires familiales de millions de Français ou d’Algériens, qu’il s’agisse de rapatriés pieds-noirs, d’appelés du contingent qui ont fait la guerre (qui n’a pas été appelée comme telle pendant longtemps mais désignée par le vocable d’« événements d’Algérie »), de harkis, ces supplétifs qui ont combattu pour la France, et bien sûr des immigrés algériens…
« Sortir des conflits mémoriels »
Dans la lettre de mission de Benjamin Stora, Emmanuel Macron indique qu’« il importe que l’histoire de la guerre d’Algérie soit connue et regardée avec lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris ». Pour lui, il en va aussi « de la possibilité pour notre jeunesse de sortir des conflits mémoriels ».
Côté algérien, le président Tebboune a souhaité que MM. Stora et Chikhi accomplissent « leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente », comme il l’avait expliqué au quotidien français L’Opinion.
Alger attend de Paris qu’on lui remette « la totalité » des archives de la période coloniale (1830-1962) la concernant.
La France a restitué à l’Algérie une partie des archives qu’elle conservait, mais elle a gardé la partie concernant l’histoire coloniale et qui relève, selon elle, de la souveraineté de l’État français.
Né en 1950 à Constantine, en Algérie, Benjamin Stora enseigne l’histoire du Maghreb, des guerres de décolonisation et de l’immigration maghrébine en Europe à l’Université Paris 13 et à l’Inalco (Langues Orientales).
Il est notamment l’auteur des essais « La gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie », « Appelés en guerre d’Algérie » ou « Algérie, la guerre invisible ».
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Le Quotidien d’Oran, 21 janvier 2021
par El-Houari Dilmi
Rapport Stora sur la colonisation: Pas de «repentance ni d’excuses»
La « réconciliation des mémoires », voulue par l’Elysée, n’est pas pour demain. En effet, alors que la remise du rapport Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie était attendue pour hier mercredi en milieu d’après-midi, la présidence française a annoncé que « des actes symboliques sont prévus mais il n’y aura ni repentance ni excuses».
L’Elysée a précisé, dans son communiqué, qu’Emmanuel Macron « participera à trois journées de commémoration dans le cadre du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie en 1962 : la journée nationale des harkis le 25 septembre, la répression d’une manifestation d’Algériens le 17 octobre 1961 et les Accords d’Evian du 19 mars 1962 ». L’historien français Benjamin Stora devait remettre hier à l’Elysée, le rapport dont l’a chargé en juillet Emmanuel Macron pour «dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie». Macron « s’exprimera en temps et en heure sur les préconisations de ce rapport et de la commission qui sera chargée de les étudier », a encore précisé la présidence française. « Il y aura des mots et des actes du président dans les prochains mois », selon le communiqué de l’Elysée, pour lequel s’ouvrait une « période de consultations ». Il s’agit de « regarder l’histoire en face d’une façon sereine apaisée, afin de construire une mémoire de l’intégration », est-il indiqué dans le texte rendu public par l’Elysée. C’est « une démarche de reconnaissance, mais il n’est pas question de repentance et « de présenter des excuses », a tranché la présidence française, en s’appuyant sur l’avis de Benjamin Stora qui cite en exemple le précédent des excuses présentées par le Japon à la Corée du Sud et à la Chine sur la Deuxième Guerre mondiale qui n’ont pas permis de « réconcilier » ces pays. Inspirés des 22 recommandations du rapport Stora, figure parmi les actes envisagés, l’entrée de l’avocate anticolonialiste Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020, au Panthéon qui accueille les héros de l’Histoire de France. Un hommage solennel devrait lui être rendu aux Invalides au printemps «quand les circonstances sanitaires le permettront», toujours selon le palais de l’Elysée.
La présidence française a par ailleurs souligné qu’Emmanuel Macron ne « regrettait pas » ses propos prononcés à Alger en 2017 dénonçant la colonisation comme « un crime contre l’humanité ». « Que pouvait-il dire de plus ? Il n’y a rien à dire de plus, en revanche, il y a beaucoup à faire », souligne le communiqué de l’Elysée.
« L’historien souhaite la mise en place d’une commission « Mémoire et Vérité » chargée d’impulser des initiatives mémorielles communes entre les deux pays », rapportait le Journal Le Monde dans son édition d’hier. L’historien propose que cette commission soit composée de « différentes personnalités engagées dans le dialogue franco-algérien », selon le même journal, qui précise que cette commission « pourrait formuler des recommandations sur 22 points ». Parmi ces points figurent la question des archives, le dossier des disparus (algériens et européens), les déchets issus des essais nucléaires français en Algérie et la pose des mines aux frontières algériennes, les restes humains des résistants algériens conservés au Muséum national d’histoire naturelle, ou encore le canon de Baba Merzoug pour lequel une commission franco-algérienne d’historiens sera créée afin « d’établir l’historique du canon « La Consulaire », ravi lors de la conquête d’Alger en 1830 et installé à l’arsenal de Brest, et de «formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée ».
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El Watan, 20 janvier 2021
Nadjia Bouzeghrane
Stora remettra son rapport sur «les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie» aujourd’hui : A l’épreuve de l’écueil des lobbies mémoriels
La réconciliation des différentes mémoires liées à la colonisation française et à la guerre d’Algérie est un jalon – primordial – à la construction d’un partenariat d’exception voulu par les présidents Tebboune et Macron.
L’historien Benjamin Stora remettra officiellement aujourd’hui au président Emmanuel Macron son rapport sur «Lesmémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie», avec des propositions pour parvenir à «une nécessaire réconciliation» franco-algérienne, a indiqué dimanche l’Elysée.
L’historien français «formule dans son rapport plusieurs recommandations qui visent à parvenir à cette nécessaire réconciliation des mémoires», ajoute l’Elysée.
«Il n’est pas question d’écrire une histoire commune de l’Algérie, mais d’envisager des actions culturelles sur des sujets précis, à déterminer, comme par exemple les archives ou la question des disparus», avait expliqué en août Benjamin Stora.
Les présidents français et algérien ont désigné chacun un expert – Abdelmadjid Chikhi pour l’Algérie – afin de travailler sur ce dossier toujours brûlant, à l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie (1962).
Benjamin Stora a été chargé le 24 juillet 2020 par Emmanuel Macron de «dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie».
Emmanuel Macron l’a chargé de ce rapport dans le cadre de ses initiatives pour tenter de «finir le travail historique sur la guerre d’Algérie» parce que, a-t-il expliqué en décembre, «nous avons des tas de mémoires de la guerre d’Algérie qui sont autant de blessures». «Je souhaite m’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien», avait précisé Emmanuel Macron pour lequel «le sujet de la colonisation et de la Guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée». «On a à finir le travail historique sur l’Algérie», avait-il déclaré dans une interview accordée au site en ligne Brut. La France «doit regarder son passé avec les historiens et de manière très réelle».
Le temps d’un apaisement des mémoires est-il venu ? Alors que les obstacles qui parsèment le chemin à parcourir sur ce sentier tracé en vue de favoriser une réconciliation franco-algérienne ne sont pas des moindres.
A peine désigné pour faire ce travail, l’historien a dû essuyer les tirs croisés des nostalgiques de «l’Algérie française». C’est ainsi que l’écrivain Jean Sevilla lui a reproché une vision «partielle donc partiale» à l’égard de la mémoire algérienne de la
colonisation française et de la guerre d’Algérie dans un texte publié sur FigaroVox le 27 juillet.
Réagissant à ces attaques, Stora a rappelé que ses travaux ont porté sur la mémoire des deux camps, y compris grâce à l’étude des archives militaires françaises. «Bien entendu, Jean Sévilla peut être en désaccord avec mes travaux, mais il n’est pas possible d’en nier la pluralité, sur ces questions complexes, depuis plus de quarante ans».
«A travers les archives écrites, la presse, les témoignages et aussi les images… j’ai essayé de comprendre les motivations des Algériens, des musulmans, mais aussi des juifs et des Européens, c’est-à-dire de toutes les communautés. Pas simplement de donner de restituer des visions à partir d’un seul aspect ou d’une seule dimension, mais de croiser les points de vue pour dégager un paysage historique d’ensemble».
«J’ai entrepris ce va-et-vient, sans cesse recommencé, entre ce qui est arrivé dans l’histoire algérienne et ma propre expérience, en éclairant sans cesse l’une par l’autre. Car l’irruption de l’expérience subjective, comme facteur de vérité et non plus comme vecteur d’illusion, fait partie de ma façon d’écrire l’Histoire», affirmait Benjamin Stora lors d’une journée consacrée à son travail, organisée au Mucem de Marseille en 2019.
«Discuter», «dialoguer»
Qu’en est-il du côté algérien? De la mission que lui a confiée le président Tebboune pour mener un travail de «vérité» sur les questions mémorielles entre les deux pays, Abdelmadjid Chikhi, directeur général du Centre national des archives algériennes, devra également rendre compte.
Pour ce faire, M. Chikhi devra selon toute vraisemblance attendre le retour du président Tebboune d’Allemagne où il s’est rendu pour des soins complémentaires pour lui remettre son rapport. Abdelmadjid Chikhi devra lui aussi contourner, voire balayer les tentations de surenchères politiciennes du passé colonial de l’Algérie.
Les deux experts qui ont travaillé chacun de son côté n’ont pas été désignés pour faire un travail commun, mais leurs travaux peuvent fournir des points de convergence sur lesquels s’appuiront les deux chefs d’Etat.
Les rapports à l’histoire coloniale et aux mémoires de la colonisation française de l’Algérie sont différents d’une rive à l’autre. Les deux historiens l’ont dit. «Il s’agit de voir comment amener les deux pays à gérer leurs mémoires. Si mon collègue, mon partenaire ou mon vis-à-vis, Benjamin Stora, a une vision qui est la vision française en matière des problèmes de mémoire, nous aussi nous avons la nôtre. Donc, il s’agit de confronter, de discuter», déclarait Abdelmadjid Chikhi à l’AFP.
Le conseiller du président de la République pour les Archives et la Mémoire nationales a souligné par ailleurs : «Nous avons subi 132 ans d’une colonisation qui a été atroce, très destructrice. La société algérienne a été désarticulée. Nous sommes en train d’essayer de la remettre sur pied, et les problèmes de mémoire se posent. Comment les gérer ? En ce qui nous concerne, nous faisons le travail. Il faut que le même travail soit fait de l’autre côté, et nous pourrons confronter nos idées et peut-être arriver à une vision qui ne soit pas trop contradictoire, ni une vision à sens unique, car le développement des deux pays a suivi des cours différents. Donc, nous voulons des rapports sereins dans le respect mutuel et également dans l’exploitation des problèmes de mémoire selon les circonstances de chaque pays.»
«Avancer vers une relative paix des mémoires»
«L’histoire de la décolonisation et de la colonisation fabrique du nationalisme des deux côtés, c’est-à-dire le nationalisme impérial, colonial, du côté français, pendant très longtemps, et naturellement le nationalisme de libération nationale de l’autre côté de la Méditerranée.
Ce sont des points de vue qui sont naturellement différents d’une rive à l’autre», déclarait Benjamin Stora dans une interview à RFI (23 juillet 2020). «Chaque pays, chaque groupe possède ses mémoires, fabrique une identité à partir d’une mémoire particulière (…). On ne peut jamais définitivement réconcilier des mémoires. Mais je crois qu’il faut avancer vers une relative paix des mémoires pour précisément affronter les défis de l’avenir, pour ne pas rester prisonniers tout le temps du passé, parce que l’Algérie et la France ont besoin l’une de l’autre…» (interview diffusée le 23 juillet).
«L’histoire en Algérie comme en France est une histoire à enjeux. On a effectivement, de part et d’autre de la Méditerranée, à essayer d’approcher au plus près possible une histoire qui soit celle des faits eux-mêmes et qui ne soit pas une histoire idéologisée en permanence, ou instrumentalisée en permanence», a souligné l’historien français dans la même interview.
Le 22 décembre sur les ondes de la Radio algérienne chaîne 1, Abdelmadjid Chikhi répétait «qu’il n’est pas possible de tourner la page du passé, car le dossier de la mémoire fait partie intégrante de l’histoire de l’Algérie et que le dialogue est la solution la plus adéquate pour calmer les esprits, surtout si des canaux appropriés sont utilisés pour faire aboutir les négociations».
En marge d’un hommage à la défunte Gisèle Halimi, il a rappelé les déclarations du chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, où il disait que «l’Algérie ne peut renoncer à son histoire, mais elle peut œuvrer avec l’autre partie à construire des relations équilibrées, ce qui est primordial dans les relations internationales. Néanmoins, l’histoire appartient au peuple algérien qui a le droit de savoir ce qui s’est passé».
Dans un entretien accordé au journal Le Monde, et à une question à propos de la mission que lui a confiée Emmanuel Macron, Benjamin Stora déclarait : «C’est un pas positif, une grande première. Cette mission s’inscrit dans un contexte global où la France et l’Algérie ont intérêt à se rapprocher, d’abord par rapport à la conjoncture politique internationale. Il y a ce qui se passe en Libye, l’immigration, l’islam en France, le terrorisme, le Sahel. L’Algérie est un partenaire essentiel pour la France, en réalité.
C’est une dimension du présent qu’il faut garder à l’esprit quand on traite de la relation avec l’Algérie.» (Le Monde du 29 juillet).
Ecrire et dire l’histoire est l’affaire des historiens. A partir d’archives et autres sources libres et accessibles. Leur travail est de rendre lisibles et intelligibles des faits, des événements. En toute indépendance et impartialité. Aux dirigeants des deux pays de s’en saisir pour un rapprochement mutuellement bénéfique.
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Rédaction Web
Liberté, 20 janvier 2021
Travail mémoriel sur la colonisation française et la guerre d’Algérie
Stora émet 22 recommandations dont le retour des harkis
Le rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie, remis ce mercredi 20 janvier par l’historien Benjamin au président français Emmanuel Macron, recommande la mise en place d’une commission « Mémoire et Vérité » chargée d’impulser des initiatives mémorielles communes entre la France et l’Algérie, selon le quotidien Le Monde, qui a révélé les 22 points sur lesquels cette commission est appelée à formuler des recommandations. Une commission que l’historien souhaite composée de « différentes personnalités engagées dans le dialogue franco-algérien », comme Fadila Khattabi, présidente du groupe d’amitié France-Algérie de l’Assemblée nationale, Karim Amellal, ambassadeur, délégué interministériel à la Méditerranée, des intellectuels, médecins, chercheurs, chefs d’entreprise, animateurs d’associations… selon la même source.
Au premier chapitre, le rapport Stora recommande de «poursuivre les commémorations, comme celle du 19 mars 1962 demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accords d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie ».
Il s’agit également d’autres « initiatives de commémorations importantes (qui) pourraient être organisées autour de la participation des Européens d’Algérie à la seconde guerre mondiale ; du 25 septembre, journée d’hommage aux harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d’Algérie ; du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France». A tous ces moments de commémoration, suggère l’historien, pourraient « être invités les représentants des groupes de mémoires concernés par cette histoire».
Parallèlement, l’historien propose d’organiser le recueil par la commission « Mémoire et Vérité » de la parole des témoins « frappés douloureusement par cette guerre pour établir plus de vérités et parvenir à la réconciliation des mémoires ».
Sur d’autres chapitres, le rapport Stora propose de « construire une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader », la « reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel », un geste qui «ferait suite à la déclaration du président Emmanuel Macron concernant Maurice Audin en septembre 2018 », selon toujours Le Monde. A cela s’ajoute également la perspective d «œuvrer à la publication d’un ‘’guide des disparus’’ (algériens et européens) de la guerre d’Algérie, sur la base des recherches du ‘’groupe de travail’’ créé à la suite de la déclaration d’amitié signée lors de la visite du président François Hollande à Alger en 2012 ». Ce groupe avait été mis en place, rappelle le Monde, pour permettre la localisation des sépultures des disparus algériens et français de la guerre d’indépendance, et qu’il devra donc poursuivre son travail. Aussi, il s’agit de poursuivre le travail conjoint concernant « les lieux des essais nucléaires français en Algérie, réalisés entre 1960 et 1966, et leurs conséquences, ainsi que la pose des mines aux frontières », mais également « l’activité du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXe siècle conservés au Muséum national d’histoire naturelle ».
Autre chapitre, cependant très sensible côté algérien, est celui des harkis. Le rapport Stora envisage ainsi de «voir avec les autorités algériennes la possibilité de faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie», mettre en place « une commission mixte d’historiens français et algériens pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962 ; entendre la parole des témoins de cette tragédie », et «encourager la préservation des cimetières européens en Algérie (travaux, entretiens, réhabilitations des tombes), ainsi que des cimetières juifs (comme ceux de Constantine et de Tlemcen) ».
Toujours côté mémoire, et à l’instar de « la mesure instaurée par le président de la République visant à donner à des rues de communes françaises des noms de personnes issues de l’immigration et de l’outre-mer », le rapport envisage d’ «inscrire des noms de Français d’origine européenne particulièrement méritants, en particulier médecins, artistes, enseignants, issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France », et « activer le groupe de travail conjoint sur les archives, constitué en 2013 à la suite de la visite du président Hollande en 2012 », et qui «devra faire le point sur l’inventaire des archives emmenées par la France et laissées par la France en Algérie ».
Côté coopération universitaire, et en attendant « le règlement de la domiciliation des archives », la France pourrait « donner chaque année à dix chercheurs, inscrits en thèse sur l’histoire de l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance dans un établissement universitaire algérien, la possibilité d’effectuer des recherches dans les fonds d’archive en France».
En parallèle, note le rapport, « des étudiants français, dans un nombre qui reste à discuter avec les autorités algériennes, devraient pouvoir bénéficier d’un visa à entrées multiples et d’un accès facilité aux archives algériennes concernant la même période».
L’historien recommande, dans le même sens, de «favoriser la diffusion des travaux des historiens par la création d’une collection ‘’franco-algérienne’’ dans une grande maison d’édition », créer « un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe et de l’arabe vers le français d’œuvres littéraires et à caractère historique (ce fonds pourra également prendre en charge les écrits de langue berbère) », et «accorder dans les programmes scolaires plus de place à l’histoire de la France en Algérie.
« A côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation –, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels) », souligne le rapport.
Par ailleurs, Stora suggère d’ «aller vers la mise en place d’un office franco-algérien de la jeunesse, chargé principalement d’impulser les œuvres de jeunes créateurs (œuvres d’animation, courts-métrages de fiction, création de plate-forme numérique pour le son et l’image) », réactiver « le projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, prévu à Montpellier et abandonné en 2014 », organise en 2021 « un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par certaines grandes personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze et Paul Ricœur », et une exposition ou un colloque sur les indépendances africaines au Musée national de l’histoire de l’immigration.
Enfin, le rapport prévoit « l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure de l’opposition à la guerre d’Algérie », et la création d’ « une commission franco-algérienne d’historiens chargée d’établir l’historique du canon ‘’Baba Merzoug’’ » et de « formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée ».
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Kamel Daoud – France-Algérie : que faire si on arrête la guerre ?
ANALYSE. L’écrivain a lu le rapport remis par l’historien Benjamin Stora à Emmanuel Macron sur la colonisation et la guerre d’Algérie.
Publié le 23/01/2021 à 15h00
« C’est un homme sans histoire », conclut, lors d’un aparté avec le chroniqueur, un célèbre académicien à propos de Macron. Comprendre : c’est un enfant des Indépendances, pas des colonisations. Et ce n’est pas plus mal. Voilà donc un président qui ne subit pas le poids de l’Histoire, ce qui à la fois le libère des précautions et des hésitations pour traiter la question de la colonisation, mais aussi du piège d’une position trop technicienne, presque sans empathie, face aux « communautés » que la guerre d’ Algérie a enfantées : pieds-noirs, immigrés, victimes, tortionnaires, vétérans, nationalistes ou déportés, harkis ou dépossédés.
On accuse Macron de traiter la « question » comme on le fait d’un capital-décès, de ne pas en partager les douleurs et les blessures. Le rapport Stora, dans ses préambules, insiste d’ailleurs sur les « ressentiments » et l’éthos des uns et des autres. Dans les deux cas cependant, Macron restera le président qui a le plus avancé sur ce dossier de la mémoire entre la France et l’Algérie. Celui qui a osé ou obligé à la réflexion concrète. Les raisons ? Peut-être qu’à force de penser selon les colonnes des bénéfices et des pertes, le président français a compris ce que des adversités ont saisi il y a des décennies : tant qu’on ne règle pas, à la lumière du jour et selon les poids assumés des responsabilités, par un récit de l’histoire et non des sentiments, la question « algérienne », d’autres en feront leurs fonds de commerce et leurs instruments de guerre à la république.Par exemple, les islamistes l’ont bien compris, autant que les communautaristes et les identitaires : tant que l’on consolide le lien, désormais artificiel, entre la confession et la mémoire de la colonisation, l’islam français ne sera pas français. Il sera ce qui rallie les mémoires des victimes, et ce qui offre leur pain aux victimaires et autres indigénistes virulents. Il a été le moyen de résistance à la colonisation ? On en fera un moyen de résistance à la francité qui refuse son passé. Dès lors, le seul moyen de faire de cette confession un patrimoine soumis à la loi de la république, c’est de le dissocier de son statut de propriété exclusive des victimaires et de raconter l’histoire réelle.
Avocats du diable
« Vous ne pouvez pas être français, car vous êtes musulmans et vous êtes musulmans parce que vous êtes victimes de la colonisation, et c’est l’islam qui vous a préservés de l’effacement. Voilà l’idée-force des avocats du diable. Régler la question de la mémoire, c’est donc couper ce lien, le dissoudre dans le texte de la loi et les bancs des institutions. Il en naîtra un islam de France et une histoire française mieux partagés. C’est douloureux, blessant pour l’orgueil, toujours insuffisant comme justice, mais vital.Par ailleurs, Macron semble avoir bien déchiffré que cette « question coloniale » sans réponses assumées a un effet domino sur le repli identitaire, le communautarisme, le séparatisme, le lobbyisme d’États tiers ou la guerre faite à la France par l’internationale islamiste. Erdogan l’illustre on ne peut mieux. À chaque charge de discours anti-français, il convoque la mémoire de la colonisation et l’islam. Il en fait sa routine haineuse. Il y a donc urgence à « décoloniser » l’islam, guérir le souvenir des Français d’origines maghrébines et assumer.
Une thérapie française avant de prétendre être une thérapie de couple
Mais en se préservant des pentes faciles des repentances démagogiques qui ne peuvent que provoquer les effets contraires et nourrir les extrémismes identitaires qui proposeront d’y résister par le repli sur la généalogie, le royaume d’avant, les populismes ravageurs. Le pays ne gagne rien ni avec le déni face à la France ni avec le déni au nom de la France. Des citoyens nés après les indépendances rejouent aux colonisés et d’autres nés après la colonisation sont accusés de son crime. Des jeux de rôles trop faciles.
Du coup, le rapport de Stora remis cette semaine à l’Élysée a au moins un double avantage : mettre des mots sur ce qui est possible, identifier ce qui fait mal et participer à la thérapie. Car ce rapport est une thérapie française avant de prétendre être une thérapie de couple. Il permettra à la France d’avancer. En effet, si des Français ne comprennent pas l’exigence algérienne et si des Algériens ne s’expliquent pas le refus de responsabilités chez des Français, c’est parce qu’une partie de l’Histoire n’a pas été racontée autrement que par des hurlements et des silences. Un trop-plein de mémoires « communautarisées » en France, face à un trop-plein d’histoire officielle des apparatchiks en Algérie.
L’intellectuel du Sud est « congelé »
« Mais qu’en-est-il du côté algérien ? » interrogèrent, de suite, les médias anglo-saxons si curieux des colonisations quand elles sont commises par d’autres. Le chroniqueur a eu du mal à expliquer sa réponse : « Rien, sinon peu de chose », répond-il depuis quelques jours. L’intellectuel du « sud » est « congelé » (c’est une expression du rapport Stora) dans la posture de la victime, du décolonisé perpétuel, par les amateurs du postcolonial en Occident et par les rentiers dans son propre pays. On tâte sa réaction comme on le fait d’un grand malade. Et s’il répond qu’il plaide pour le présent et qu’il est aussi un enfant des indépendances et pas des colonisations, c’est d’un côté la surprise en Occident qui adore l’étiquetage scientifique, et le scandale dans le pays décolonisé qui adore identifier des traîtres.
La vérité est que le rapport Stora ne fera pas bouger les lignes en Algérie, mais il permettra, brièvement, de mettre les rentiers de la décolonisation en face de leur réalité. Celles d’élites et de communautés qui ne veulent pas sortir du mythe trop parfait de leur guerre de Libération, et qui trouvent dans la position de la victime de quoi manger et s’habiller en costume de héros permanent. Il faut alors expliquer (et c’est laborieux) que les « excuses » de la France sont parfois plus utiles quand on les demande, que lorsqu’on les obtient. Et que mettre fin à la guerre des mémoires par le recours à l’histoire, ou, à l’extrême, clore le dossier par un acte de repentance ou de reconnaissance, obligera en Algérie à endosser le présent, qui est l’ennemi universel des vétérans.
Lucidité
Les fameuses « excuses » sont une exigence morale pour beaucoup d’Algériens. Leur préalable cependant fausse le récit de l’histoire et occulte le véritable récit du passé et du présent. Elles peuvent se justifier, mais c’est un préalable de mauvaise foi, sinon stérile aujourd’hui. Pour surmonter le déni des uns et la ruse politique des autres, il faut un travail d’historiens, de récit, de mots à trouver et de sortie de la mythologie d’entretien, un deuil des narcissismes collectifs. Ce qui en Algérie n’est pas encore le cas, ni en France. L’acte de lucidité sur soi et les autres menace tant de royaumes de vétérans.
Ce n’est pas pour rien que la haine de la France perçue comme puissance coloniale éternelle, est encore plus forte chez les plus jeunes.
On comprend qu’en Algérie les décolonisateurs en chefs entretiennent cette mémoire faussée et les islamistes on fait l’épopée d’une guerre sainte pour recruter les plus jeunes. Les contraindre à la paix ou au dépassement, c’est les obliger au pire sort, celui de chômeurs idéologiques. Et ce n’est pas pour rien que la haine de la France, perçue comme puissance coloniale éternelle, est encore plus forte chez les plus jeunes. Ils n’ont rien d’autre à vivre que le passé et la Stora Story les appauvrit encore plus.
Étrangement, régler la question de la mémoire entre l’Algérie et la France est une question de primauté de la République sur le repli en France, et une question de démocratie en Algérie. Pour le premier pays, c’est une urgence pour parer aux menaces des dislocations et pour construire une identité riche. Pour le second, la mémoire ne sera transformée en histoire que lorsque la génération des décolonisateurs acceptera la pluralité, la démocratie, la transition et la vérité sur le passé, c’est-à-dire la fin du mythe. « La réalité est toujours anachronique », écrivait Borgès. Elle l’est encore plus dans les pays nés de la décolonisation.
www.lepoint-fr. le 23.01.2021
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El Watan 23 JANVIER 2021
Par A.Z.
Mémoires algéro-françaises
Abdelaziz Rahabi : «Le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens»
Dans un post publié aujourd’hui sur son compte twitter, l’ancien ministre de la Communication et de la Culture Abdelaziz Rahabi soutient que « le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation ».
L’ancien diplomate rappelle qu’« il ne s’agit ni de repentance, notion étrangère aux relations entre États ni de fonder une mémoire commune, les deux pays étant héritiers de deux mémoires antagoniques sur cette question ».
Pour les reste, précise-t-il, « chacun doit assumer son passé et les deux Etats sont tenus de mettre en place les conditions d’une relation apaisée et tournée vers l’avenir ».
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L’historien Benjamin Stora a remis, mercredi dernier, au président français, Emmanuel Macron, son rapport « sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Ce rapport a pour but, a-t-il dit, de «décloisonner» des mémoires divergentes et douloureuses entre les deux pays, aux relations aussi étroites que complexes.
Au lendemain de la publication du rapport, aucune réaction officielle n’a été enregistrée côté algérien. Seuls des titres de presse se sont emparés du sujet, dont certains ont exprimé leur déception face au refus de Paris d’aller dans le sens des excuses.
Pour eux, « le président Macron n’a pas tenu ses promesses [en refusant les excuses] qu’il avait tenues à Alger lors de sa visite en tant que candidat ». Allusion faite à la déclaration, en 2017, d’Emmanuel Macron, alors candidat en visite à Alger, qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité ».
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FRANCE CULTURE _
LE TEMPS DU DÉBAT par RAPHAËL BOURGOIS _ 23 janvier 2021
France / Algérie ou la difficile réconciliation des mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie
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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION DE FRANCE CULTURE
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CLIQUER ICI POUR LIRE LE RAPPORT INTÉGRAL DE BENJAMIN STORA
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France-Algérie: Benjamin Stora répond aux critiques sur son rapport
25 JANVIER 2021 PAR AGENCE FRANCE-PRESSE
L’historien français Benjamin Stora répond aux reproches qui ont accueilli son rapport sur la « réconciliation des mémoires » entre Paris et Alger, défendant « une méthode qui privilégie l’éducation et la connaissance de l’autre », dans une tribune publiée lundi dans le Quotidien d’Oran.
L’historien français Benjamin Stora répond aux reproches qui ont accueilli son rapport sur la « réconciliation des mémoires » entre Paris et Alger, défendant « une méthode qui privilégie l’éducation et la connaissance de l’autre », dans une tribune publiée lundi dans le Quotidien d’Oran.
M. Stora, qui a remis mercredi son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie au président français Emmanuel Macron, a été très critiqué dans certains médias algériens, notamment pour ne pas avoir pris position en faveur d’« excuses » de la France pour son passé colonial dans le pays.
« J’ai simplement proposé dans mon rapport une méthode qui est la mienne depuis longtemps: connaître les motivations, la trajectoire de tous les groupes de mémoire frappés par cette guerre dévastatrice, patiemment, pour faire reculer les préjugés et le racisme », se défend M. Stora, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie, dans le journal oranais.
« Les discours d’excuses ne doivent pas être des mots prononcés un jour pour se débarrasser le lendemain d’un problème si profond », ajoute l’historien, disant regretter le retard pris en France comme en Algérie sur « ce travail d’éducation ».
Face à une histoire complexe, « mon rapport propose précisément une méthode qui privilégie l’éducation, la culture, par la connaissance de l’autre, et de tous les groupes engagés dans l’histoire algérienne », affirme M. Stora.
La publication de son rapport, commandé en juillet par Emmanuel Macron, n’a pas encore suscité de réaction officielle à Alger.
Mais de nombreuses critiques ont émané de médias locaux et d’Algériens qui déplorent que le principe « d’excuses » ait été écarté.
« Le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation », a tweeté Abdelaziz Rahabi, ex-ministre et diplomate algérien.
Dans un entretien avec l’AFP, l’historien algérien Fouad Soufi a néanmoins salué la volonté de M. Stora de « tisser des passerelles entre les deux pays » malgré les positions extrémistes d’un côté comme de l’autre.
La « réconciliation des mémoires » antagonistes sur la colonisation française et la guerre d’indépendance (1954-1962) est un des dossiers prioritaires entre Alger et Paris.
El Watan, 25 janvier 2021
Par Madjid Makedhi
Rapport de l’historien Benjamin Stora sur la mémoire
Abdelmadjid Chikhi : «Je ne peux rien dire»
«Je ne peux rien dire. Ce rapport ne nous a pas été adressé officiellement et nous ne pouvons pas réagir sur la base de ce qui a été rapporté par la presse. Les relations entre Etats ne sont pas gérées comme ça», déclare Abdelmadjid Chikhi.
Le directeur général des Archives nationales et conseiller chargé de la mémoire auprès de la Présidence, Abdelmadjid Chikhi, refuse de commenter le rapport de l’historien Benjamin Stora sur «Les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie». «Je ne peux rien dire. Ce rapport ne nous a pas été adressé officiellement et nous ne pouvons pas réagir sur la base de ce qui a été rapporté par la presse. Les relations entre Etats ne sont pas gérées comme ça», nous déclare-t-il.
Et d’ajouter : «Nous réagirons lorsque nous recevrons le rapport de manière officielle.» Abdelmadjid Chikhi a refusé également de s’exprimer sur ce qui a été fait de côté algérien sur cette question de la mémoire. Pour rappel, Abdelmadjid Chikhi a été désigné, en juillet dernier, par le président Abdelmadjid Tebboune «en tant que représentant de l’Algérie pour mener le travail avec l’Etat français sur les dossiers inhérents à la mémoire nationale et à la récupération des archives nationales».
Le directeur général des Archives nationales devait mener le travail en collaboration avec l’historien Benjamin Stora. En décembre dernier, Abdelmadjid Chikhi avait affirmé qu’il n’y a pas eu de collaboration avec Benjamin Stora.
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«Je n’ai eu de contacts avec l’historien français Benjamin Stora qu’à deux reprises par téléphone. Il m’a affirmé qu’il préparait un rapport à la demande du président français, Emmanuel Macron, et qu’il ne pouvait pas parler de ce dossier avant de remettre son rapport aux autorités françaises», avait-il déclaré.
Mais la diffusion, mercredi dernier, du contenu du rapport remis par l’historien français spécialiste de l’histoire de l’Algérie au président Emmanuel Macron a suscité des interrogations sur la partie du travail devant être réalisée par Abdelmadjid Chikhi. «Qu’est-ce qui a été fait du côté algérien ?» se demandent de nombreux observateurs.
Pas de réponse. Pour l’instant, le rapport Stora a provoqué de nombreuses réactions des historiens algériens qui ont analysé son contenu.
C’est le cas de Hassan Remaoun qui affirme que «ce rapport correspond à la commande faite par le président Macron». «Il ne s’agit pas de l’élaboration d’une nouvelle version de l’histoire de la colonisation française en Algérie et de la Guerre de Libération nationale, mais plutôt de la présentation d’un état des lieux mémoriel et des retombées que cela suscite dans les relations franco-algériennes», précise-t-il dans une déclaration à l’APS. Selon lui, l’objectif est «d’assumer le lourd contentieux légué dans ce domaine par l’histoire et d’apaiser autant que possible les mémoires de tous les concernés».
Pour sa part, Mohamed El Korso estime que ce document doit interpeller la classe politique française. «Avant d’être une feuille de route pour des négociations sur des sujets sensibles entre l’Algérie et la France dans la perspective d’une future réconciliation pas seulement mémorielle, mais aussi politique, stratégique, scientifique, économique, culturelle…, il interpelle d’abord l’ensemble de la classe politique française à se réconcilier avec sa propre mémoire», indique-t-il.
Guerre d’Algérie : une mémoire par en bas
Repentance. Le mot resurgit alors que l’historien Benjamin Stora a remis son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie à Emmanuel Macron. Les écrivains Joseph Andras et Kaoutar Harchi proposent ici de s’approcher du cœur des peuples, là où les conteurs lui donnent leurs mots. S’approcher pour mieux voir.
AU PIED DU MUR. Il arrive qu’un mot empêche jusqu’à la possibilité de penser : « repentance » est de ceux-là. Personne ne s’en réclame mais on se plaît partout à la condamner. La main sur le cœur, avec ça. L’extrême droite en a fait sa passion et la droite son passe-temps – et voilà qu’une frange de la gauche rêve d’occuper ses journées avec la droite depuis qu’elle ne sait plus ce qu’est la gauche.
Personne n’appelle au « repentir », sinon Jean-Baptiste dans le désert de Judée.
Personne n’appelle à la « contrition », sinon Thomas d’Aquin dans les pages de sa Somme.
Alors si tout le monde parle de ce dont personne ne parle, c’est qu’il doit y avoir quelque intérêt à cela. On ne construit pas en vain un mot comme une menace. Jean Castex, ancien élu UMP et actuel Premier ministre, nous a récemment éclairés à heure de grande écoute : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ! »L’épure n’est pas sans mérites ; elle balaie jusqu’aux dernières ombres : quiconque enjoint à lutter contre la « repentance » appelle donc à promouvoir l’Empire – c’est-à-dire l’accumulation du capital.
Tandis que les pourfendeurs de la « repentance » célèbrent l’exploitation des matières premières et des travailleurs, les dirigeants des États français et algérien mènent, une fois l’an, leur valse diplomatique. Certes, on se marche sur les pieds en public : les uns s’en veulent un peu, mais pas trop, et puis ça dépend des jours ; les autres notent l’effort, léger tout de même, un pas de plus ne serait pas des moindres. Au grand jour, les oligarques en cravate et les oligarques en képi confisquent les mémoires ; en coulisses, la France était, en 2019, le « premier client » de l’Algérie et son « deuxième fournisseur » en termes d’échanges commerciaux.
Les États sont des monstres, on le sait. Les intérêts ne savent pas les regrets – sauf si cela sert de nouveaux intérêts. Macron présentant ses excuses à Tebboune ? Hollande à Bouteflika ? Le grotesque autorise le sourire. Que les États trompent le monde, c’est bien normal : ils ont été conçus pour ça. Que nous leur prêtions l’oreille, c’est là matière à étonnement. La mémoire n’est que celle du peuple, des peuples – et plus encore de la classe, majoritaire, qui n’a pour vivre que ses seuls bras. Si l’on croit que la mémoire se double d’un devoir, c’est celui d’escorter le présent : non comme un fantôme mais une armure. L’État français a écrasé la révolte populaire de 2018 et l’État algérien maté la sienne quelques mois plus tard : on a connu meilleurs arbitres de l’Histoire. Lorsque gilets jaunes et partisans du hirak se croisèrent, on entendit « Même combat ! » dans les rues.
Que l’Empire ait mandaté le marquis de Galliffet pour « pacifier » l’Algérie puis l’ait mobilisé pour « pacifier » la Commune de Paris ne doit rien au hasard. L’Empire est l’enfant sanguinaire des détenteurs du capital ; ne confions pas aux représentants de ce dernier la charge des blessures et des oublis. Le peuple algérien a vaincu le colonialisme : la défaite de l’État français fut la promesse d’une humanité possible. En se libérant, un peuple en libère toujours deux. Cette promesse inachevée dessine une mémoire de part et d’autre de la mer – une mémoire par en bas.
Peut-être faut-il alors s’approcher : au cœur des peuples, les conteurs lui donnent leurs mots. S’approcher pour mieux voir.
La mémoire a mille mains. Les conteurs, les écrivains et les poètes se joignent à celles des cafés, des foyers, des fabriques et des rues qui, toutes, loin des stèles et des défilés, fouillent la matière nationale, taillent, découpent, façonnent, gravent, composent et recomposent les déshonneurs et les hardiesses, les bourbiers et les soleils. Dans le dos des possédants, les peuples se regardent droit dans les yeux.
Et, maintenant, voyez Kateb Yacine.
Il est âgé de seize ans. Nous sommes en 1945, le 8 mai précisément. Sous ses yeux, à proximité de la grande place du marché, les Européens fêtent la victoire contre le nazisme. Les Algériens aimeraient, eux aussi, fêter la victoire contre le colonialisme. Alors les Algériens défient les ordres du sous-préfet et les voilà qui marchent, agitent dans l’air leur drapeau national, criant à qui veut bien le croire que l’Algérie, bientôt, sera libre, indépendante. Les scouts musulmans entonnent le chant patriotique Min Djabilina. Comprendre : de nos montagnes. Kateb Yacine est là, quelque part. Voyez-le emporté par la foule qui enfle. Se souvenant de cet instant, il écrira plus tard, dans Nedjma : « Le peuple était partout, à tel point qu’il devenait invisible, mêlé aux arbres, à la poussière, et son seul mugissement flottait jusqu’à moi ; pour la première fois ; je me rendais compte que le peuple peut faire peur. » La répression commence : « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus personne autour de moi ». Puis ce n’est plus la foule mais l’armée qui, cette fois, emporte Kateb Yacine et le fait prisonnier, trois mois durant. Puis, « sorti de prison, écrira-t-il encore, j’étais tout à fait convaincu qu’il fallait faire quelque chose : et pas une petite chose : tout faire ». Cette grande chose n’est autre que la composition lente – le temps d’une vie –, douloureuse et vive à la fois, d’un mausolée littéraire. Les mots s’offrent aux générations futures : le verbe katébien va sculptant la mémoire. Une mémoire formée sur du papier blanc : c’est sa fragilité ; c’est sa force. Du vivant du poète, le pouvoir algérien n’en fera rien. Voyez Kateb Yacine appeler les écrivains à se saisir de l’Histoire : « Si les gens commencent à parler, c’est extraordinaire, ça devient un torrent. Ces expériences nouvelles, il faut les étendre, il faut les maîtriser. Elles nous offrent des moyens énormes ». La mort du poète advenue, le pouvoir algérien essaiera d’en faire quelque chose – ceci en vain.
Et, maintenant, voyez Assia Djebar.
Elle est âgée de vingt ans. Un jour de mai de l’année 1956, l’étudiante décide de se lever et d’entrer en grève à l’appel de l’Union générale des étudiants musulmans algériens. Elle est exclue. Ce temps dont soudain elle dispose est consacré à l’écriture de son premier roman, La Soif. L’intensification de la guerre d’indépendance et le militantisme de son époux vont contraindre Assia Djebar à se rendre en Tunisie, à quelques kilomètres de la frontière algérienne. Là, elle travaille pour le journal du FLN ; là, elle rencontre des femmes, les questionne sur cette expérience d’être une femme dans la guerre. Ces années sont menaçantes, incertaines. Assia Djebar distingue pourtant un horizon : « Dire à mon tour, transmettre ce qui a été dit puis écrit. Propos d’il y a plus d’un siècle comme ceux que nous échangeons aujourd’hui, nous, femmes de la tribu. » Elle songe à adjoindre à l’écriture l’image et le son : La Nouba des femmes du mont Chenoua investiguera la mémoire profonde des femmes et cherchera, plan après plan, à « ressusciter les voix invisibles ». Cette lutte pour que jamais les femmes algériennes ne soient oubliées, que jamais leurs contributions à l’histoire du pays ne soient niées, l’écrivaine n’aura de cesse de l’inscrire dans le domaine d’une mémoire privée à valeur publique et collective. « Écrire, c’est tenter désormais de fixer, de rêver, de maintenir un ciel de mémoire. » Voyez ce labyrinthe littéraire patiemment bâti par ses soins : poussez la porte d’une autre histoire, tissée « comme si toute parole de femme ne pouvait commencer que dans le flux verbal d’une précédente femme ».
Et, maintenant, voyez François Maspero.
Il est âgé de vingt-deux ans. La guerre – toujours elle – éclate mais ne dit pas encore son nom. Son père a disparu à Buchenwald ; sa mère a survécu à Ravensbrück ; son frère est tombé les armes à la main contre l’occupant. Il lui faut, avouera-t-il, « être à la hauteur ». Peut-être le jeune homme affronte-t-il ses morts en donnant la vie : les livres ont la chair plus coriace que l’espèce qui les lit. Ceux des autres, d’abord, puis les siens, un jour. Il devient libraire à Paris, reçoit Césaire et, contre le « silence de mort » qui entoure l’Empire, fonde sa propre maison d’édition : il publie Frantz Fanon préfacé par Jean-Paul Sartre, Le Droit à l’insoumission et Vérités pour du réseau Jeanson ; cosigne le « Manifeste des 121 » (« La cause du peuple algérien […] est la cause de tous les hommes libres ») ; rend compte du massacre du 17 octobre 1961 dans les pages de Ratonnades à Paris ; passe par la Suisse et l’Italie afin de diffuser certains des textes dont il a la charge. Voyez comme on s’abat sur lui : censure gaulliste, assauts fascistes (une dizaine de saisies, plusieurs attaques armées). Celui que la presse décrit alors comme « l’homme le plus plastiqué de France » racontera en 2009 : « [J]’avais besoin, mes lecteurs avaient besoin, de livres qui rendent compte de ce qui se passait dans le monde. À commencer par la guerre que la France menait en Algérie, au prix de centaines de milliers de morts, de zones interdites, de camps de regroupement et de tortures. Alors, ce genre de livres, je les ai publiés. Certains ont été interdits, j’ai été poursuivi, etc. J’avais besoin aussi, nous avions besoin, c’est vrai, de maintenir "l’espoir d’un autre monde". »
Voyez-les tous les trois – et tant d’autres avec eux. Voyez-les refondre les rives au nez et à la barbe des États.
La mémoire a mille mains. Les conteurs, les écrivains et les poètes se joignent à celles des cafés, des foyers, des fabriques et des rues qui, toutes, loin des stèles et des défilés, fouillent la matière nationale, taillent, découpent, façonnent, gravent, composent et recomposent les déshonneurs et les hardiesses, les bourbiers et les soleils. Dans le dos des possédants, les peuples se regardent droit dans les yeux.
Joseph Andras et Kaoutar Harchi
www.regards.fr/monde/article/
Pascal Blanchard. Historien, chercheur-associé au CRHIM (Lausanne) : «Le rapport Stora vise d’abord à ‘‘régler’’ un contentieux franco-français»
L’historien Pascal Blanchard considère que le rapport de Benjamin Stora sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie «vise en premier lieu à faire évoluer le débat mémoriel en France. Condition essentielle pour que les relations avec l’Algérie changent demain. Et c’est tout autant dans l’autre sens.» Et «pour décider d’avancer ensemble, il faut être deux. Il n’est pas certain que nous ayons, des deux côtés de la Méditerranée, terminé nos processus respectifs de déconstruction». «Ensuite, viendra le temps de réfléchir aux excuses», à la manière dont il faudra «tourner la page», à «l’acte symbolique majeur».
– Les préconisations du rapport Stora peuvent-elles apaiser les différentes mémoires en France liées au passé colonial ?
Je ne sais pas encore si les préconisations du «Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie» que vient de remettre Benjamin Stora au président de la République française, Emmanuel Macron, va «apaiser les différentes mémoires», je remarque par contre que c’est un moment historique pour appréhender enfin dans toutes ses dimensions ce passé colonial avec l’Algérie.
Benjamin Stora a essayé d’embrasser toutes les mémoires, tous les récits autour d’une histoire commune, c’est la première fois qu’un président français s’inscrit dans ce type de dynamique (avec quelques précédents notables, dans l’action d’anciens Premiers ministres, comme Michel Rocard ou Lionel Jospin).
Pour mémoire, les sept présidents précédents avaient explicitement choisi soit l’oubli et les amnisties (le général de Gaulle), le surplace (François Hollande), la nostalgie et la manipulation électorale des mémoires (Nicolas Sarkozy et Valéry Giscard-d’Estaing), le double-jeu (Jacques Chirac et Georges Pompidou) et, enfin, la grand hiver avec François Mitterrand.
Je rappelais, à cet égard, la semaine dernière dans Libération que «François Mitterrand après son voyage officiel en décembre 1981 en Algérie qui va conduire à l’initiative du 29 septembre 1982 de Pierre Mauroy qui fera polémique, présentant un projet de loi symbolique de la volonté de François Mitterrand de pardonner aux… ultras de l’Algérie française (avec la réintégration de huit généraux putschistes d’avril 1961). L’opposition fut telle que l’article 49-3 fut nécessaire pour faire passer le texte de loi dans son intégralité.»
Toute l’histoire de ce passé avec l’Algérie est donc liée à notre vie politique franco-française. Nicolas Sarkozy et son discours qui lance sa campagne en 2007 à Toulon… mais aussi la condamnation en 2005 des «massacres» de Mai 1945 par deux ambassadeurs français successifs.
Jacques Chirac et son double jeu avec la loi de février 2005 (loi sur la «colonisation positive» de février 2005 qui initie et notamment son article 4 qui fera scandale et dont il fera croire ensuite qu’il sera celui qui le fera déclasser par le Conseil constitutionnel en janvier 2006), avec aussi son projet d’un musée nostalgique à Marseille et sa volonté d’inaugurer, le 5 décembre 2002, un «mémorial national» à la mémoire des soldats français morts en Algérie, au Maroc et en Tunisie de 1952 à 1962.
Lionel Jospin bascule dans l’autre sens avec sa volonté de passer un cap, le 10 juin 1999, lorsque l’Assemblée nationale va reconnaître enfin le terme de «guerre d’Algérie» pour définir explicitement cette période de l’histoire… mais il sera ensuite incapable de faire la bascule pour regarder en face le poids de l’histoire coloniale tant la mémoire au PS de François Mitterrand est encore vivace sur la colonisation. En France, c’est encore un «consensus impossible» au regard de ces présidences d’immobilisme et d’amnésie.
Face à de tels enjeux en zigzag, ce rapport (commandé par Emmanuel Macron) essaye d’être à l’écoute de tous les récits de ce passé, pour justement que chaque mémoire puisse être désormais entendue autour de cette histoire commune.
De toute évidence (comme à chaque fois), chacun trouvera donc «qu’il manque quelques choses», ou «qu’il ne va pas assez loin». Tout le monde aura raison, mais cela ne permet pas d’avancer vers une structuration positive de ce passé pour débloquer point après point la situation si on n’engage pas des actions concrètes.
Benjamin Stora rappelle dans son rapport que ces «guerres de mémoires» sont liées depuis 1962 au fait que chacun a voulu choisir une mémoire ou un «camp» dans les décennies précédentes, alors que, précise-t-il : «Tout groupe appartenant à cette histoire est spécifique, mais aucun n’est exceptionnel et nul ne doit être placé au-dessus des autres.»
Il a fondamentalement raison, c’est cette capacité à penser toutes les mémoires, de manière inclusive, qui permettra de structurer un récit commun sur cette histoire commune. Il rappelle aussi que pour «digérer la guerre d’Algérie», il faut désormais s’inscrire dans une «temporalité très longue d’une présence coloniale française».
J’aurais aimé – comme beaucoup d’autres – qu’il aille encore plus loin dans son analyse, pour inscrire le passé colonial de la France avec l’Algérie dans la globalité de la question coloniale, mais ce n’était pas la «commande» du président de la République française.
Dans le contexte actuel, la question n’est pas d’apaiser les mémoires, mais bien de construire autour d’une histoire commune (le passé colonial de la France en Algérie de 1830 à 1962) un travail global pour «résoudre» les différentes questions traumatiques et de connaissances.
Bien entendu demeure la question des «excuses» et celle des relations bilatérales avec l’Algérie – qui vont polluer le débat dans les prochains jours, mais c’est ainsi… –, mais sur ces deux points je serai très clair : le rapport Stora vise d’abord à «régler» un contentieux franco-français et la question des «excuses» – comme a pu le faire Angela Merkel avec la Namibie, ou Silvio Berlusconi avec la Libye – est en France idéologisée autour des fantômes de la repentance qui depuis 2005 empêchent d’avancer.
– Ce rapport peut-il contribuer à réconcilier les deux pays sur les questions mémorielles ?
Un rapport ne réconcilie personne, encore moins deux pays. La réconciliation entre deux nations, deux peuples, deux histoires… est un long processus.
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En outre, on attend de connaître et de lire le rapport du côté algérien pour avoir toutes les «pièces du dossier». Alors, on pourra mesurer si ce rapport permet de continuer à avancer avec l’Algérie – ses dirigeants et ses citoyens, ce qui n’est, sur ce sujet, pas du tout la même chose – et si une étape a été franchie. Ce rapport vise en premier lieu à faire évoluer le débat mémoriel en France.
Condition essentielle pour que les relations avec l’Algérie changent demain. Et c’est tout autant dans l’autre sens. Pour décider d’avancer ensemble, il faut être deux. Il n’est pas certain que nous ayons, des deux côtés de la Méditerranée, terminé nos processus respectifs de déconstruction.
Ensuite viendra le temps de réfléchir aux «excuses», à la manière dont il faudra «tourner la page», à l’acte symbolique majeur. De toute façon, les Français trouveront toujours que Benjamin Stora en fait «trop» et les Algériens affirmeront qu’il n’en fait pas «assez» au regard de la violence et la brutalisation que furent les 132 ans de présence française en Algérie. Nous savons qu’il y a eu «crime», le débat n’est plus là.
Seuls les aveugles ne veulent pas voir. La question est pour la génération actuelle, comment on travaille ensemble à faire que ce passé passe. Cela ne veut pas dire s’oublie, mais bien se «digère» comme la France et l’Allemagne ont su le faire à partir du milieu des années 50’.
– Que retenez-vous dans les propositions de Benjamin Stora ?
Dans ses propositions, Benjamin Stora ne recommande pas une loi mémorielle qui «entraverait tout exercice critique de l’histoire», ni un grand discours, mais des actes qui, ensemble, font programme. Personne n’est dupe, on a bien compris que si le président de la République française a opté pour cette stratégie, c’est qu’il n’a pas souhaité emprunter d’autres chemins.
La volonté de regarder ce passé colonial dans sa globalité s’éloigne, l’idée d’un musée d’histoire colonial aussi – et je pense que c’est une erreur ! –, la volonté d’une politique du «pas à pas» est dans la continuité de ses actes précédents (restitution des crânes en Algérie, affaire Audin, déclaration sur le «crime contre l’humanité»…).
Mais l’opinion avance plus vite et de manière plus bruyante que prévu (déboulonnage des statues, débat décolonial à l’université…), il risque d’y avoir un moment un grand écart.
En fait, Emmanuel Macron a été séduit par l’idée de Benjamin Stora de suivre la méthode sud-africaine, d’une «Commission Mémoire et Vérité» qui embrasse tous les enjeux du passé (comme là-bas sur l’Apartheid).
C’est dans ce cadre qu’il faut lire les propositions que fait Benjamin Stora pour cette future commission (dont on se doute qu’il va en être l’animateur le plus actif), et elles sont nombreuses (plus d’une vingtaine).
Il veut organiser les commémorations entre les dates existantes (19 mars, 25 septembre, 17 octobre), rendre hommage à l’Emir Abdelkader, établir un guide des disparus, dresser un inventaire des lieux et effets des essais nucléaires dans le Sahara, partager les archives (avec un travail en profondeur et de numérisation dans la continuité de l’accord de coopération datant du 6 mars 2009 entre nos deux pays), restituer les corps et restes de nos musées, développer la coopération universitaire, faciliter le déplacement des harkis et de leurs familles entre la France et l’Algérie, faire l’histoire des camps d’internement en France des Algériens, soutenir l’idée que des noms de rues mettent en exergue des Français d’Algérie, restituer plusieurs objets symboliques, développer les films et projets audiovisuels, enquêter sur les crimes d’Etat (comme celui de l’avocat Ali Boumendjel), et (mais je pense que cela sera le plus difficile) agir sur les programmes scolaires en France.
Et enfin, il propose de faire entrer au Panthéon une personnalité symbole de la réconciliation des mémoires, comme Gisèle Halimi.
En outre, une des propositions s’inscrit dans le temps court et sera pour moi le signe d’une volonté réelle d’agir (dès cette année) des autorités françaises : organiser, en 2021, au Musée national de l’histoire de l’immigration, ex-Palais des Colonies (qui va commémorer le 90e anniversaire de l’Exposition coloniale cet été), une grande exposition sur le passé colonial (dans sa globalité et qui replace l’Algérie dans ce récit) avec un colloque sur les décolonisations et les guerres de décolonisation.
Nous allons pouvoir juger sur pièces très rapidement : entre la mise en place de cette commission, sa composition, la réalisation de cette exposition et quelques «actes symboliques» (comme le précise l’Elysée). Désormais, on attend aussi de voir ce que les Algériens vont proposer.
On ne peut avoir une distance critique sur ce que les Français viennent de proposer sans s’imposer aussi à soi-même le même chalenge… Je crois profondément que la nouvelle génération est – en Algérie comme en France – avide d’avancer sur un chemin différent demain. 60 ans de guerre des mémoires nous ont «fatigués» car elles ne permettent pas de voir, de comprendre, de débattre sur l’histoire.
Benjamin Stora recommande une stratégie pour aller au-delà des guerres de mémoires, au-delà du conflit entre la France et l’Algérie (parce que, écrit-il joliment, «l’histoire n’a pas de nationalité»), pour qu’enfin la «réconciliation attendue» ouvre sur la possibilité du passage d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune. Je pense qu’il a raison.
On espère donc que le président de la République française mettra en œuvre ce «programme» et que l’Algérie proposera de manière concrète aussi des pistes fécondes pour nouer un dialogue avec la France, mais aussi engager un débat au sein de la société algérienne.
Nos mémoires sont en fait très semblables, et les enjeux assez proches, il faut que des deux côtés de la Méditerranée les «mémoires entrent en mouvement».
Nadjia Bouzeghrane
El Watan, 27 janvier 2021
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Photo Amar Mohand Amer_ DR_ 24H
Algérie – 24H_ 27.01.2021
« En France, un puissant lobby pense que la colonisation a été une œuvre civilisatrice », estime Amar Mohand Amer
Par Fayçal Métaoui
Amar Mohand Amer est historien. Il a notamment travaillé au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran. Il revient sur le rapport de l’historien français Benjamin Stora relatif à la mémoire de la colonisation et de « la guerre d’Algérie » et remis au président Emmanuel Macron le 20 janvier 2021.
24H Algérie: Comment avez-vous trouvé le rapport de Benjamin Stora ?
Amar Mohand Amer: C’est un rapport qui contient des pistes intéressantes et audacieuses. Reste deux questions : la faisabilité et la perception des Algériens de ces mesures proposées par Stora. A mon avis, il est très tôt d’évoquer « la réconciliation » des mémoires. C’est prématuré. En Algérie, le regard porté sur la colonisation est toujours dur, vif et complexe. La colonisation nous hante toujours. Preuve en est, l’hystérie constatée sur le rapport Stora après sa publication. Tout le monde en parle. Je soutiens certaines propositions de Stora parce qu’elles vont dans le sens d’affranchir l’Histoire des politiques et des porteurs de mémoire.
Par exemple ?
Permettre aux chercheurs des deux pays de travailler tranquillement. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il est compliqué pour les Français d’avoir des visas pour venir en Algérie. Et pour les Algériens, c’est encore plus compliqué d’aller en France. En tant qu’historien, je milite depuis longtemps pour que les archives, qui sont en France et en Algérie, soient ouvertes aux chercheurs, aux journalistes et surtout aux historiens.
Le risque aujourd’hui est d’avoir une Histoire écrite uniquement par des chercheurs qui peuvent aller en France. Beaucoup de nos chercheurs abandonnent leurs travaux parce qu’ils peinent à accéder aux archives tant en Algérie qu’en France. Pour travailler en France, il faut aussi avoir des moyens financiers. Stora a compris l’importance des chantiers par rapport à l’Histoire.
Est-il possible de réconcilier les mémoires entre celle d’une puissance qui a colonisé et un pays qui a subi cette colonisation?
Non. Dans quelques décennies, on peut, peut être, parler de cette mémoire et de cette Histoire avec moins d’empathie et de douleurs. Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Je me rappelle qu’une historienne a évoqué, il y a quelque temps, l’expression « Histoire apaisée » en s’adressant aux moudjahidate de « la Bataille d’Alger » (1957). Celles-ci ont répondu qu’elles avaient subi le martyr dans leurs propres corps. J’espère qu’à l’avenir, on va reconnaître la violence de la colonisation. Il n’y a aucune Histoire apaisée.
Benjamin Stora propose d’autoriser les Harkis à retourner en Algérie alors qu’il sait que c’est une question sensible en Algérie. Comment expliquer cela ?
Parce que son rapport s’adresse aux Français, pas aux Algériens. Nous sur-réagissons à ce rapport. Nous aurions aimé lire le rapport de Abdelmadjid Chikhi (conseiller du président de la République sur les questions de la mémoire). Nous sommes donc réduit à conjecturer sur des propositions faites pour l’Etat français.
Pour les Harkis, je me pose la question si la société algérienne, l’université et la presse sont prêtes à aborder la question, à ouvrir le débat. Il faut dire que les Harkis ne sont pas tous partis en 1962. C’est également une histoire complexe.
Dans son rapport, Stora évoque uniquement le cas de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel, assassiné par l’armée française en 1957. Qu’en est-il des autres nationalistes algériens tués avant et durant la guerre de libération nationale ?
C’est un choix symbolique, après Maurice Audin (en 2018, le président Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans la mort de ce mathématicien favorable à l’indépendance de l’Algérie). Dans l’Histoire comme en politique, il y a les symboles. Ali Boumendjel a été assassiné d’une façon effroyable (l’avocat a été jeté du sixième étage le 23 mars 1957 après avoir subi des tortures pendant plusieurs jours par les parachutistes commandés par Aussaresses à Alger).
Cela dit, je ne pense pas que la reconnaissance de l’Etat français de l’assassinat d’Ali Boumendjel aura lieu. En France, il existe un puissant lobby qui pense que la colonisation a été une œuvre civilisatrice. Il reste que pour moi, les propositions de Benjamin Stora de reconnaître le crime d’Etat pour Ali Boumendjel et de faire entrer Gisèle Halimi au Panthéon de Paris sont courageuses. Seront-elles concrétisées ? La question est posée.
L’Algérie réclame l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français au Sud algérien (dans les années 1960). La question a été abordée vaguement dans le rapport de Stora. Un commentaire ?
Il faut revenir aux Accords d’Evian. C’est aussi une question complexe qui peut être réglée dans le cadre de concertations entre les deux pays. Il faut indemniser les victimes algériennes des radiations nucléaires. Il est tout de même terrible de faire des expériences atomiques sur des humains sans garanties et sans protection (les cobayes).
L’Elysée a clairement déclaré, lors de la remise du rapport de Stora, que l’Etat français ne présentera pas d’excuses aux Algériens sur les crimes coloniaux. La question semble tranchée. Qu’en pensez-vous ?
La France est entrée dans une phase pré-électorale (élections présidentielles en 2022). Emmanuel Macron a reculé par rapport à ce qu’il avait dit sur le colonialisme (considéré comme « un crime contre l’humanité ») en 2017. Les convictions du Macron-candidat ne sont pas celles du président Macron qui veut rester au pouvoir. A mon avis, la France gagnerait à reconnaître les crimes du colonialisme.
Pourquoi, selon vous, l’Histoire de la colonisation française de l’Algérie est limitée à la période 1954-1962 ?
C’est ce que j’appelle une hiérarchisation de l’Histoire. En France comme en Algérie, on se contente d’évoquer la guerre d’indépendance uniquement. Cela est lié au fait que les porteurs de mémoire de cette guerre sont toujours en vie. Il y a aussi des enjeux politiques. En France, le Rassemblement national (ex-Front national, extrême-droite) refuse la guerre d’Algérie et considère la colonisation comme « une oeuvre civilisatrice ». Pour certains, la guerre d’Algérie est un fonds de commerce politique.
Abdelmadjid Chikhi a déclaré récemment que l’Algérie a besoin de créer un « mouvement d’écriture de l’Histoire ». Etes-vous d’accord?
Pour créer un mouvement d’écriture de l’Histoire, il faut ouvrir les archives aux Algériens, ouvrir les médias publics aux historiens, renforcer les moyens de la recherche et réhabiliter le métier de l’historien en arrêtant de le polluer par la politique et par le discours des porteurs de mémoire.
Cela dit, Abdelmadjid Chikhi n’a pas à donner des leçons aux historiens. A Alger, le Centre des Archives nationales est devenu une forteresse depuis plus de dix ans. Il est très compliqué d’y travailler actuellement.
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 28 janvier 2021
La paix des braves... A titre rétroactif!
par Mourad Benachenhou
C'est peu de traverser les montagnes et de battre une ou deux fois les montagnards, pour les réduire, il faut attaquer leurs intérêts. On ne peut y parvenir en passant comme un trait, il faut s'appesantir sur le territoire de chaque tribu, il faut s'arranger de manière à avoir assez de vivres pour y rester le temps nécessaire pour détruire les villages, couper les arbres fruitiers, brûler ou arracher les récoltes, vider les silos, fouiller les ravins, les rochers et les grottes, pour y saisir les femmes, les enfants, les vieillards, les troupeaux et le mobilier, ce n'est qu'ainsi qu'on peut faire capituler ces fiers moontagnards. P34 ( dans «instructions pratiques du Maréchal Bugeaud duc d'isly pour les troupes de campagne.» Leneveu Librairie Pour l'Art Militaire, Paris 1854, p.34)
Benjamin Stora n'est nullement inconnu du grand public algérien. Ses profondes racines dans notre pays l'ont certainement inspiré, non seulement à s'intéresser à notre histoire, dans sa période la plus tragique, mais également à l'écrire avec le regard d'un authentique Algérien . Il faut reconnaitre qu'il ne cherche pas à dissimuler, dans ses ouvrages, pleins d'érudition, son parti-pris pour nos douleurs et nos peines, à relater avec force détails la violence du système colonial tout comme son caractère raciste.
Forcés à s'exiler pour écrire l'histoire de leur pays
Travaillant sur le sol français, Stora a pu, en toute liberté, effectuer ses recherches et en publier les résultats, sans craindre la foudre de ses autorités, ou la censure officielle, quelles qu'aient été, par ailleurs, les vues des autorités publiques françaises ou d'une partie de l'opinion de l'ex-occupant sur la colonisation.
Alors qu'il poursuivait sans entraves son travail de recherche, tout comme d'autres historiens français ayant la passion de découvrir et de faire découvrir l'histoire coloniale dans notre pays, nos propres autorités ont , tout simplement, décidé unilatéralement, que nous n'avions la maturité d'esprit, ni même les capacités intellectuelles, pour reconstituer et raconter notre propre histoire. Ceux des Algériens qui tenaient, tout de même, à consacrer leur vie à élucider notre histoire, ont du s'exiler chez l'ex-colonisateur pour poursuivre leur passion académique.
Non contents de confisquer le pouvoir politique, nos dirigeants ont traité notre histoire comme leur propriété personnelle. Il a fallu beaucoup de combats et de tragédie pour que, finalement, ces autorités, sensées diriger la lourde mission de renaissance de notre patrie, acceptent de nous laisser reprendre possession de ce bien commun qu'est l'histoire de notre peuple.
Arrêter de sous-traiter notre histoire nationale
On doit savoir gré à -, et même exprimer de la gratitude envers- Benjamin Stora et d'autres historiens français ou algériens exilés en France, d'avoir labouré le champs de notre histoire, et d'avoir accumulé, grâce à leurs efforts, une somme de connaissances sur notre histoire contemporaine, somme qui est, sans aucun doute, loin d'épuiser la riche matière. Ces efforts, si louables soient-t-ils, et si impeccables scientifiquement, ne peuvent , en aucun cas, apparaitre comme non perfectibles ou non révisables. Aux historiens algériens, maintenant libérés de toutes entraves, de revisiter, de relire, de réécrire, tout cette vaste littérature , de l'améliorer, bref de l'algérianiser, sans chauvinisme, mais avec la seule fin de nous libérer de la sous-traitance historique à laquelle ont poussé les dirigeants algériens.
Comme historien, donc, Benjamin Stora a fait œuvre, non seulement utile, mais même indispensable et selon une perspective que l'on pourrait appeler algérienne. A ce titre, on ne peut lui adresser aucun reproche, au contraire. Ni son honnêteté intellectuelle, ni ses qualités de chercheur ne peuvent être remises en cause, et si elles le sont, elles ne sauraient l'être que par ses collègues historiens, sur tel ou tel détail de ses écrits. Il ne faut surtout pas que la discussion de son rapport prenne la forme d'une argumentation «ad personam,» l'attaquant directement et à titre personnel.
Un rapport exclusivement politique
Les critiques de ce délicat rapport ne manquent déjà pas et, sans doute, ne manqueront pas dans le proche futur. Mais, il s'agit d'abord de «contextualiser» ce document, ensuite de relever son orientation générale, et , enfin de discuter certaines de ses affirmations , soit incomplètes, soit même délibérément biaisées dans leur présentation pour appuyer la thèse centrale, c'est-à-dire la possibilité de l'écriture d'une histoire commune «apaisée» entre le bourreau et sa victime.
Le contexte politique du rapport
Sur le plan contextuel, Stora n'est nullement l'initiateur de ce document. Cet historien de métier est, dans ce projet, avant tout un haut fonctionnaire français, soumis aux règles de la hiérarchie administrativo-politique de la France, qui est chargé d'une certaine mission ponctuelle. Cette mission n'a pas un objectif scientifique. Il ne s'agit pas d'écrire une histoire du système colonial français, vue de Sirius, et détachée de toute considération autre que la recherche de la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, afin que le tribunal de l'Histoire, réel ou virtuel, prononce finalement son verdict, et tranche quant aux responsabilités des deux parties en conflit, condamnant l'une et rétablissant l'autre dans tous ses droits. L'objectif ressortit d'abord et avant tout de la politique intérieure française: à la fois répondre à un besoin de mettre derrière soi, et une fois pour tout, un pan de l'histoire nationale de cette puissance, qui est loin d'être à son honneur ou d'avoir reflété les valeurs «républicaines» et «humanistes» qu'elle proclame, ensuite apaiser le débat, parmi la population française essentiellement, sur cette période pénible de l'histoire de ce pays, et vider l'abcès des blessures et des brisures qu'ont causées chez le peuple français les événements liés à cette histoire, et finalement faire compter cet apaisement intérieur comme une des avancées politiques justifiant l'appui par une majorité de citoyens français à un second mandat pour le présent chef d'état français.
Stora se devait de présenter un «document politiquement correct» à tous points de vue, répondant à ces trois exigences politiques, et jugé acceptable par le donneur d'ordre, le magistrat suprême du pays.
A la limite, Stora n'avait nul besoin de se demander si ce document était ou non acceptable pour les Algériens, ou s'il ne risquait pas de raviver des rancunes , si ce n'est d'anciennes haines, et donc rater son objectif d'apaisement. Il ne s'agissait pas, non plus, de mécontenter systématiquement les interlocuteurs algériens, donc, ne serait-ce qu'en passant, s'obliger à reconnaitre les torts du système colonial et compatir avec ls souffrances de ceux qui les ont subis.
C'est donc un exercice délicat que Stora a tenté : prendre en charge tous les termes de référence du chef d'état français, tout en laissant entendre, à travers quelques passages, qu'il n'était pas insensible aux doléances des Algériens, mais, en les relativisant, pour prouver que, finalement, dans le grand schéma des choses, les deux parties pouvaient dépasser le lourd contentieux historique qui empêchait une réconciliation totale et sans réserves mentales ou autres, entre les deux peuples, d'autant plus que la perche a été «généreusement tendue,» sur le plan des mots et des symboles, à la «victime algérienne.»
A-t-il réussi à ménager, selon l'expression populaire imagée «la chèvre et le choux?» Une lecture froide et approfondie du texte remis au chef de l'Etat français, est loin de permettre de conclure que ce document a ouvert le chemin royal vers une mise à plat des relations «tumultueuses» entre l'ancien occupant et l'Algérie, et qu'il pourrait constituer la chaine manquante dans ce dialogue pénible, qui n'arrête pas de rebondir chaque fois qu'on a l'impression qu'il s'est finalement engagé sur une base libre de tout malentendu entre les deux nations. Stora, qui ne peut que forcer le respect quand il s'agit de porter un jugement sur son oeuvre historique, a rédigé un document exclusivement politique, qui reprend, quasiment, sans nuances, toutes les positions officielles françaises sur son occupation coloniale, y compris ses «bienfaits,» même si cela est dit de manière indirecte. Pour faciliter la compréhension de la thématique de ce document, il apparait indispensable d'en évoquer les points essentiels et de les examiner sous un angle «algérien», même si on comprend que c'est un document à «usage franco-français.»
Participation des Algériens à l'administration de l'Algérie coloniale.
Le rapport évoque «la participation des Algériens» à l'administration de la colonie par l'intermédiaire des «délégations financières,» laissant croire que, finalement, l'Algérie aurait été une sorte de «condominium» franco-algérien, ce qui est tout simplement une falsification de l'histoire, d'abord parce que les Algériens n'ont pris part ni à l'élaboration de ces institutions, ni à leur mise en place, ni à leur contrôle, et ensuite parce que l'objectif de ces délégations était essentiellement de donner une base légale à la domination unilatérale de la population française sur toute la politique de gouvernement de la colonie. Le partage du pouvoir était franco-français, et on y avait ajouté , pour faire croire à une volonté d'équité, des délégués algériens, dont les voix étaient rarement entendues, si ce n'est pour corroborer des décisions prises exclusivement en faveurs de la population européenne. Est-il raisonnable de croire que, s'il y avait équité dans le partage de pouvoir entre «indigènes algériens, « et «Européens,» ces indigène auraient accepté que le budget de l'éducation de la population indigène soit inférieur aux subventions données aux écoles confessionnelles chrétiennes et juives? Auraient-ils appuyé la justice à deux vitesses appliquée par les autorités coloniales , selon qu'il s'agissait de juger un «indigène,» ou un «Européen?» Auraient-ils soutenu le «code de l'indigénat,» et la distinction entre communes dite» mixtes,» mais en réalité entités soumises au maitre absolu qu'était l'administrateur, et «communes de plein exercice» dans les régions à majorité européennes? Auraient-ils applaudi à toutes les brimades, les actes arbitraires, les privations délibérées auxquelles était soumise la population algérienne, soit directement, soit par l'intermédiaire des auxiliaires, caïd et autres bachaghas? La liste des manifestions de la domination coloniale a été rapportée avec force détails, même par Benjamin Stora, dans ses écrits, qu'il apparait quelque peu immodeste de vouloir les lui rappeler dans ce bref écrit.
Sympathie à l'égard de la misère du colonisé algérien.
Quant à la sympathie pour le sort des Algériens, montrée par certains intellectuels ou auteurs, elle a joué un rôle trop faible dans la réduction de la violence coloniale unilatérale. La manifestation de cette sympathie peut, certes, témoigner du fait qu'il y avait des Français et des Françaises qui croyaient dans les valeurs que la France était censée représenter, mais rien d'autre. Ce ne sont pas leurs condamnation du système colonial qui lui on fait lâché prise, mais le refus des Algériennes et Algériens d'accepter d'être sous-humanisés au bénéfice d'une minorité étrangère, qui a forcé ce système à évoluer et à accepter de reconnaitre finalement l'humanité du peuple algérien.
Charles de Gaulle, libérateur de l'Algérie?
L'un des autres thèmes récurrent dans l'historiographie coloniale française, et repris dans ce rapport, est le rôle de de Gaulle dans l'indépendance de l'Algérie. On continue à entretenir la légende qu'il aurait consenti à cette indépendance par calcul politique interne, dans le but d'éviter que, par la force de la croissance de la population algérienne, émergerait une force politique détruisant l'équilibre entre «FSE» (Français de souche européenne) et «FSNA»(français de souche nord africaine) , même dans la métropole. Il aurait, sans aucun doute, voulu garder, sous une forme ou une autre, une «Algérie française,» mais la population algérienne , comme les dirigeants de la lutte finale de libération nationale, a refusé de transiger quand à sa volonté de devenir indépendante. Jamais la violence militaire française n'a été aussi intense que pendant les quatre dernières années de l'occupation coloniale, et alors que De Gaulle était le chef d'état. A rappeler, si cela a été oublié, que, lors des massacres de mai 1945, c'était De Gaulle qui était à la tête de la France, nouvellement libérée de l'occupation nazie, grâce à l'appui anglo-saxon.
Amnistie ou amnésie pour les crimes de guerre de l'armée coloniale?
Une autre affirmation que les faits et les textes ne supportent pas, est avancée par l'auteur de ce document, serait que les autorités françaises et algériennes auraient accepté, dans le cadre des accords d'Evian, de passer l'éponge sur tous les crimes commis par l'armée française pendant les «opérations de maintien de l'ordre» entre 1954 et 1962. Rien n'est plu faux, et d'autres auteurs français l'ont reconnu: le GPRA a refusé de discuter ce sujet, et les décisions d'amnistie, traduites dans des textes réglementaires cités par l'auteur, ont été prises unilatéralement par le gouvernement français, sans consultations aucunes avec le gouvernement algérien de l'époque. Toutes les autres mesures d'amnisties prises par les différents gouvernements français , de gauche comme de droite, entre 1962 et 1999, et concernant des actes de militaires français au cours des «opérations de maintien de l'ordre,» n'ont également fait l'objet d'aucune discussion, sous quelque forme que ce soit, entre les deux pays. D'ailleurs, même la reconnaissance des «opérations de maintien de l'ordre» comme étant en fait une guerre (d'Algérie ou en Algérie, peu importe) avait une motivation exclusivement d'ordre social: permettre aux ex-mobilisés français d'être reconnus comme ancien combattants et de recevoir les allocations et autres avantages dont bénéficient ceux qui ont participé à des guerres.
Question des archives nationale: la position française figée.
Pour ce qui est des archives, on ne perçoit aucune avancée dans le traitement par la partie française de la question, qui ressortit de la souveraineté nationale retrouvée. La position officielle française est maintenue, à savoir que le problème est d'ordre uniquement technique, sous ses deux aspects centraux, non seulement la préservation matérielle des archives, mais également le libre accès à ces archives, problèmes, suivant ce rapport, soit résolus, soit solvables par une bonne volonté mutuelle. Le gouvernement français persiste dans sa position que le principe de la succession d'état, tel que défini par les traités et accords internationaux, et dont un volet concerne les archives, ne s'applique pas pour l'Algérie. C'est-à-dire que, jusqu'à présent la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie par la France est incomplète, impliquant la légitimité et la légalité de la présence française dans notre pays, et confirmant la réalité statutaire de «L'Algérie française,» et faisant de l'indépendance algérienne une sécession, une séparation brutale, et la création d'une entité nouvelle , sans autre passé politique que celui de la colonisation.
La France maintient donc la fiction de l'Algérie, «res nullius (c'est-à-dire terre n'appartenant à personne), table rase sur la quelle cette puissance coloniale aurait eu tous les droits de gouverner à sa guise. Derrière le problème des archives, se cache un problème fondamental. Pourquoi ce rapport , qui, en fait, ne propose rien de nouveau, ne fait-il pas mention de l'accord international de 1983 sur la disposition des archives nationales dans le cadre de la décolonisation entre autres? Quant à la circulaire qui restreint l'accès aux archives françaises, sous le couvert de «secret-défense,» rien n'empêche le chef de l'Etat français, chef des armées françaises, de déclarer sa nullité, et le problème est réglé.
Comparaison avec la réconciliation franco-allemande.
Demander de traiter l'histoire commune algéro-française dans les mêmes termes que l'histoire commune germano-française ressortit plus de la mauvaise foi que de la proposition concrète. L'auteur sait fort bien que la Seconde Guerre Mondiale, dans laquelle des centaines de milliers d'Algériens ont versé leur sang du côté des Alliés, s'est terminée par le jugement de tous les criminels nazis, sous l'égide d'un tribunal international, instauré à Nuremberg( 20 Novembre 1945-1er Octobre 1946). Certains ont été condamnés à mort, dont le rédacteur en chef de l'hebdomadaire nazi «Der Stürmer» et le dernier chef d'état nazi, d'autres à de lourdes peines de prison. Par ailleurs, les gouvernements allemands, des deux côtés du mur de Berlin, on procédé à la dénazification de l'armée et de l'administration, à la destruction de la littérature nazie, des manuel scolaires etc. Et jusqu'à présent l'Allemagne continue à payer le prix des crimes nazis, en fournissant gratuitement matériel militaire, y compris des sous-marins, et armement et munitions de tous types, à un état qui s'est autoproclamé héritier des victimes du nazisme. De l'autre côté, pas un responsable militaire français, quelles qu'aient été les preuves accumulées contre lui, y compris pour le meurtre de sang froid de personnalités algériennes, n'a été inquiété. On continue même la tradition de donner les noms des criminels de guerre, dans le sens reconnu internationalement, à des promotions sortis des écoles militaires françaises. Il n'y a pas eu de purge de l'administration française mettant fin aux carrières de tous les Français ou Françaises ayant participé , d'une manière ou d'une autre, aux «opérations de maintien de l'ordre.» Aucun journaliste français n'a été jeté au cachot pour avoir encouragé à la violence contre les Algériens ou au maintien à tout prix de l'Algérie française. Il n'y a pas que le problème des disparus, mis délibérément en relief dans le rapport pour faire croire à un début de remords officiels, mais celui des millions d'Algériennes et Algériens qui ont perdu leur vie, directement sous les coups de l'occupant colonial, ou indirectement du fait de la misère à laquelle cet occupant a condamné le peuple algérien pendant cent trente-deux années.
Le Japon et ses excuses à la Chine et à la Corée.
Quant aux criminels de guerre nippons, eux aussi ont été arrêtés, et jugés pour leurs crimes, après Août 1945,(tribunal de Tokyo, Avril 1946-novembre 1948). Et le gouvernement nippon, sous le protectorat américain conduit par le Général Mac Arthur, a veillé à purger l'administration et l'armée et la presse nippones de tous les partisans et acteurs de la politique d'expansion de l'empire du Soleil Levant; à rappeler, en passant, et alors que l'empereur Hiro Hito allait déclarer la reddition du Japon, et que le gouvernement américain en était clairement informé, ce dernier n'a pas hésité à faire bruler une partie de la population de deux villes japonaises, sous le prétexte qu'elles abritaient des installations militaires «pouvant servir à la poursuite de la résistance japonaise.» Effectivement , le Japon a accepté de présenter des excuses à certains pays qu'il a agressés, dont la Chine et la Corée du Sud, mais a refusé de faire amende honorable pour tous ses crimes. Ces excuses étaient-elles sincères ou non? Comment juger de la sincérité d'excuses, même entre particuliers? Ce genre de question demeure sans réponse, mais une excuse, même pas trop sincère, qui est la moitié du chemin vers la reconnaissance d'avoir causé un tort, vaut mieux que pas d'excuses du tout. De plus, et c'est à souligner, ces deux pays ont fait disparaitre toute trace de l'influence linguistique nippone. Alors que le Japonais était la langue scolaire, parallèlement à la langue locale, dans les pays occupés, ceux-ci ont éliminé sans réserve cette langue de leurs curriculum, une fois l'occupation japonaise terminée. La Corée, dont la production intellectuelle , littéraire ou autre, était nulle avant la libération en 1945, après seulement 35 années sous l joug japonais, et dont le vocabulaire était restreint, contrairement à la langue arabe, dont la première encyclopédie moderne a été publiée en 1964, a effacé toute trace de la langue de l'ex-occupant, qui n'est plus écrit et parlé couramment que par les survivants de la génération coréenne ayant vécu sous occupation japonaise.
Le problème des harkis.
Ce drame n'a été créé ni par l'ALN, ni par le FLN. Les autorités coloniales, exploitant le dénuement total de la population rurale dans certaines régions, et jouant de la situation de peur et de sentiment d'impuissance de cette population devant le déploiement de la brutale et impitoyable force militaire coloniale, ont recruté à bon marché, et parfois sous la contrainte et la menace, et entrainé des troupes irrégulières au statut militaire ressortissant du mercenariat, parmi la population locale. A la fin des hostilités, et comme elles l'avaient fait auparavant après la défaite de l'Indochine, les autorités françaises ont tout simplement décidé d'abandonner à leur sort ces mercenaires, qui n'étaient couvert par aucun loi internationale de la guerre. Ceux de ces mercenaires qui ont réussi à être embarqués vers l'ex-métropole, en violation des directives fermes des autorités militaires françaises, ont été jetées dans des camps improvisés, et placés en captivité plus ou bien appliquée. Tout le poids du drame matériel et moral de ces «harkis» tombe, donc, totalement sur ceux qui ont profité de leur ignorance et de leur misère pour les embarquer dans une aventure sans issue. Pendant l'occupation nazie, la France a eu aussi ses «harkis,» mais, eux, volontaires, et qui ont, délibérément et en connaissance de cause, collaboré avec l'occupant nazi. Celui-ci a fait preuve de loyauté envers ces collaborateurs et leur a donné , alors qu'il était en retraite, le choix de se replier en Allemagne; il leur a même reconnu des droits d'anciens combattants bénéficiaires d'une protection sociale. Ceux qui ont choisi de rester en France ont été soit exécutés sommairement, soit après jugement, soit, pour les plus chanceux, emprisonnés. On estime à 72.000 le nombre de collaborateurs des occupants nazis qui ont été tués . La France a, par ailleurs, mené une vaste opération d'épuration de ses administrations et même de ses intellectuels, qui avaient commis le crime de collaboration. Il est faux d'affirmer que les «harkis» originaires d'Algérie, et n'ayant pas pu fuir en France après le cessez-le-feu, aient été l'objet d'instructions officielles écrites ou verbales d'exécution. Il y a eu des actes criminels de caractère individuel, et plus méritant le qualificatif de vengeance parfois personnelle contre certains harkis et dans des régions isolées et individuellement. En fait, les autorités algériennes ont voulu effacer rapidement cette tâche et apaiser les esprits. Ainsi, en Wilaya I, Tahar Zbiri , colonel commandant de cette wilaya, raconte, dans ses mémoires, comment il a fait désarmer ces harkis, et les a renvoyés chez eux, par crainte de provoquer des guerres tribales incessantes. Comme les ex-autorités coloniales stipendiaient ces «harkis,» et qu'elles avaient donc une liste complète de ces mercenaires, qu'elles publient donc les noms de ceux qu'elles ont recrutées et qui ne se retrouvent ni parmi les pensionnés installés en France, ni parmi ceux restés en Algérie, déterminant ainsi les noms des disparus éventuels. On met sur la soi-disante «violence méditerranéenne» la prétendue élimination «massive» des harkis algériens. C'est le jeu habituel de la légitimation de sa propre violence et de la délégitimation de la violence des autres. Comment qualifier l'exécution des 72.000 collabos français après la fin de l'occupation, exécution conduite par des Français contre d'autres Français et Françaises? Car même des femmes ayant eu la mauvaise idée de fréquenter les officiers et soldats nazis ont été exécutées!
Le tiers de la population algérienne dans des camps de concentration.
L'auteur parle du «déplacement de 2 millions d'Algériens» pendant les «opérations de maintien de l'ordre.» déplacements dont il rappelle qu'ils ont été dénoncés par Michel Rocard. En fait, le terme «déplacements» est un euphémisme rsonnant mal, utilisé par un historien, qui sait certainement que cette population n'a pas été déplacée, mais emprisonnée dans des «camps de regroupements,» proches , si ce n'est équivalents des camps de déportation nazis, du type de Ravensbruck, par lesquels sont passés nombre de Français et Françaises, mais dont le nombre ne représentait pas le quart de la population française, comme en Algérie. On estime à 2.700.000 Algériennes et Algériens, dépourvus de toutes ressources qui ont été enfermés dans ces «camps de regroupement,» pendant une période allant de 2 à 6 années.
En conclusion
Benjamin Stora, qui bénéficie, comme historien de la saga algérienne pendant la période de l'occupation coloniale, d'une grande notoriété et d'une opinion favorable de la part du lecteur algérien, a été délibérément choisi par la plus haute autorité française pour exprimer la position inchangée de la France quant au système colonial imposé par une extrême violence, impitoyable, et allant jusqu'à la barbarie, et tenter de la libérer de ses lourdes responsabilités historiques à l'égard du peuple algérien;
Il est dit que le messager est le message. Mais, dans ce cas précis, malgré la crédibilité du messager, le message officiel qu'il fait passer , demeure inacceptable pour le peuple algérien;
Le document de Benjamin Stora ne reflète pas son métier d'historien, respectueux des faits historiques, et , donc, respectable, mais constitue avant tout un document politique émanant de l'ex-puissance coloniale qui veut forcer le peuple algérien à accepter de légitimer le système colonial dont il a été la victime pendant cent trente-deux années, et qui l'a déraciné et rendu étranger dans son propre pays;
Les autorités françaises continuent à tenter de faire partager au peuple algérien la responsabilité de la violence coloniale, en exigeant de nous d'aller même jusqu'à délégitimer notre résistance à cette violence unilatérale;
Etablir une liaison, comme le fait ce rapport, entre les actes criminels perpétrés récemment en France par de personnes aux noms à consonance musulmane, et l'ouverture de ce dossier mémoriel , prouve, s'il le fallait encore que l'exercice auquel les ex autorités coloniales invitent officiellement l'Algérie a des objectifs politiques internes à la France, plutôt qu'une démarche visant à régler un contentieux mémorielle avec notre pays;
La responsabilité des autorités politiques algériennes, qui ont, non seulement, imposé un embargo total sur l'histoire de la lutte de libération nationale pendant plus d'un quart de siècle, est engagée dans ce révisionnisme auquel l'ex colonisateur veut nous convenir, sous le couvert de l'apaisement des mémoires, mais également conduit des relations trop confortables avec l'ancienne puissance, rendant quelque peu futile et peu crédible la demande officielle algérienne de contrition, sous quelque forme que ce soit, de la repentance aux excuses;
On ne peut tout de même pas accepter que le peuple algérien efface toute son histoire et que l'on inverse les rôles, en transformant le coupable en victime et la victime en coupable;
Ce qui est demandé, en filigrane de ce rapport, dont le caractère officiel apparait clairement, car il ne fait que reprendre le fil directeur de la gestion de l'histoire du colonialisme français en Algérie, c'est en quelque sorte ceci:» Pardonnez-nous de vous avoir opprimé pendant cent trente-deux ans et nous vous pardonnerons de nous avoir résisté pendant toute cette période.»
Qui acceptera ce marché de dupes? L'Algérie passe par une phase de grande faiblesse et de grands danger! Nos autorités seraient-elles prêtes à échanger l'histoire de notre combat, inachevé jusqu'à présent, pour la survie et la dignité contre des visas? Telle est la question!
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Sur le rapport de Benjamin Stora: le conseiller contre l’historien
28 janv. 2021
Par Olivier Le Cour Grandmaison
Missionné il y a plusieurs mois par le président de la République, Benjamin Stora a remis, le 20 janvier 2021 son rapport relatif aux « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Ce rapport est une des pièces majeures d'une stratégie de reconquête politique destinée à remettre au goût du jour le « en même temps ». Les termes choisis par le conseiller-historien comme les propositions qu’il a élaborées s’en ressentent, gravement. Analyse.
· « On ne conseille pas les grands et les princes impunément. La liberté, la morale et la vérité en sont toujours les premières victimes. Tu croies guider leurs pensées et leurs pas. Fol est ton orgueil. Si tu as leur oreille, c’est qu’ils ont subjugué ta plume. Souviens-toi ! Nul ne peut servir plusieurs maîtres. » Anonyme florentin de la Renaissance.
Missionné il y a plusieurs mois par le président de la République, Benjamin Stora a donc remis, le 20 janvier 2021, à Emmanuel Macron son rapport relatif aux « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie. »
Que l’auteur dudit rapport soit un historien, reconnu pour ses nombreux ouvrages sur l’Algérie contemporaine et le conflit qui a ravagé le pays entre le 1er novembre 1954 et la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, est sans incidence sur la nature politique de ce document.
Politique, il l’est en raison des mobiles qui ont incité le chef de l’Etat à le commander, de son contenu, des catégories mobilisées, du vocabulaire employé par celui qui l’a rédigé, des propositions qui y sont formulées et des usages qui en seront faits par l’exécutif dans les mois qui viennent.
Ces mois si importants pour l’actuel locataire de l’Elysée qui, de façon officieuse d’abord, officielle ensuite, sera en campagne. Nul doute que les commémorations à venir, en rapport avec la guerre d’Algérie, seront employées à cette fin.
On ne fera pas l’injure à Benjamin Stora de penser qu’il ignorait ce contexte, ces enjeux et le sens de la mission qu’il a acceptée de remplir. Les lignes qui suivent concernent non l’historien mais le conseiller qu’il est devenu lors du quinquennat de François Hollande avant de poursuivre dans cette voie à l’occasion de celui d’Emmanuel Macron.
Depuis un certain temps déjà et pour diverses raisons, le président flatte l’électorat de droite le plus conservateur voire le plus réactionnaire.
Entretien sur l’immigration, l’islam et la laïcité accordé à l’hebdomadaire Valeurs actuelles (31 octobre 2019), soutien réitéré en plein confinement à Philippe de Villiers et à son barnum ethno-centré, franchouillard et cocardier du Puy du Fou, qui est à l’histoire ce que l’alchimie est à la chimie, et relance du « débat » sur « l’identité nationale » à la fin du mois de décembre 2020 non sans avoir salué Nicolas Sarkozy et son courage passé lorsqu’il l’a initié quelques années auparavant.
N’oublions pas les propos convenus et laudateurs de son premier ministre, Jean Castex, tenus à une date particulièrement importante, le 1er novembre de l’année dernière. En laborieux ventriloque de la doxa chère au courant politique au sein duquel il a fait l’essentiel de sa carrière, il déclarait : on ne saurait « regretter la colonisation » puis en appelait à l’unité de la « communauté nationale » quoi doit « être fière de ses racines [et] de son identité. »
A persévérer dans cette voie, grand est le risque de s’aliéner un électorat plus centriste, progressiste et plus jeune (1) dont le chef de l’Etat a impérativement besoin pour triompher de nouveau.
Le rapport commandé à Benjamin Stora est une des pièces majeures de cette stratégie de reconquête politique destinée à remettre au goût du jour, sur des sujets particulièrement importants, le « en même temps » cher à qui l’on sait. Les termes choisis par le conseiller-historien comme les propositions qu’il a élaborées s’en ressentent, gravement.
« Guerre des mémoires », « communautarisation » de ces dernières, « compétition victimaire », « culture de repentance » : toutes sont supposées affaiblir dangereusement le « paysage culturel et politique » de la France.
Si la droite parlementaire a joué un rôle majeur dans la réactivation des polémiques portant sur la colonisation française en votant la loi du 23 février 2005 qui officialise une vision apologétique de cette histoire – soit écrit en passant cette loi scélérate, indigne d’un Etat démocratique, n’a jamais été abrogée -, Benjamin Stora ajoute peu après : ces « incendies de mémoire enflammées » ont été « surtout » allumés « dans la jeunesse. »
De cette dernière, le conseiller-historien ne dit rien de plus.
Sans céder si peu que ce soit à une lecture du soupçon, il est fort à parier que la jeunesse, ici désignée et accusée, est celle des héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale, et des quartiers populaires. Nul doute en tout cas, c’est ainsi que la majorité des lecteurs, dans les rangs du parti présidentiel, à droite, à l’extrême-droite et chez nombre de nationaux-républicains qui se disent de gauche, interpréteront ces lignes dans lesquelles ils verront la confirmation de leurs préjugés qu’ils tiennent pour de fortes pensées.
Le recours à ce vocabulaire hyperbolique et martial, comme à des métaphores empruntées au registre de la pyromanie, accrédite la thèse, répétée ad nauseam par les forces politiques précitées, selon laquelle des menaces d’une extrême gravité pèseraient sur l’unité de la République en raison des mobilisations irresponsables de divers « groupes communautaires » et générationnels.
Version particulière de « l’insécurité culturelle » que Benjamin Stora conforte ainsi en faisant siens les termes que l’on sait.
Etrange contamination du vocabulaire aussi, lequel est employé par ceux qui, défendant une vision passéiste et mythologique de la France, s’opposent avec véhémence à toute reconnaissance officielle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les forces coloniales de l’Hexagone.
Plus encore, sous couvert de qualification, ces termes et ces images sont au service d’une opération politique grossière mais efficace : la stigmatisation de celles et ceux qui, depuis plusieurs dizaines d’années parfois, œuvrent pour cette reconnaissance, et la disqualification de leurs revendications.
Sans aucune distance analytique et critique, peut-être parce qu’il les partage, Benjamin Stora légitime ces éléments de langage et les représentations qu’ils véhiculent en lestant ces dernières de sa double autorité d’historien et de conseiller du prince investi d’une mission d’importance.
De là de nombreuses et fâcheuses conséquences.
Une recherche lexicographique centrée autour de quelques termes clefs en atteste.
« Crime de guerre » ? Inutile de chercher le syntagme, il n’est nulle part employé. « Crime contre l’humanité » ? Une seule occurrence. Elle renvoie à la déclaration faite par le candidat Emmanuel Macron à la chaîne de télévision algérienne Echorouk News en février 2017. A cette occasion, il avait qualifié la « colonisation de crime contre l’humanité » avant de se dédire dès son retour en France afin de ne pas heurter les cohortes d’électeurs indispensables à sa victoire.
Par contre, Benjamin Stora use et abuse du terme d’exactions – 12 occurrences – et de celui de « répression » - 13 occurrences - pour qualifier les actes commis pendant la colonisation et la guerre d’Algérie. Stupéfiante imprécision du langage et de l’analyse qui est en réalité une concession majeure à la doxa de saison bien faite pour satisfaire le chef de l’Etat et sa majorité hétéroclite, et ménager les nombreux débris de la droite et du centre que celui-ci entend rallier à sa cause dans les mois qui viennent.
« Exaction » l’enfumade de la tribu des Ouled-Riah dans la région du Dahra commise par le colonel Pélissier le 18 juin 1845 au cours de laquelle une tribu entière – vieillards, hommes, femmes et enfants désarmés – a été asphyxiée dans la grotte où ils avaient trouvé refuge ? Crime contre l’humanité commis en application des ordres donnés par le général Bugeaud à ses subordonnés. « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, fumez-les à outrance comme des renards », avait-il déclaré peu avant. Ainsi fut fait par Pélissier, Saint-Arnaud et Canrobert, notamment.
A propos de la conquête et de la colonisation de l’Algérie, à partir des années 1840 et des méthodes employées par les colonnes infernales commandées par ces officiers, ajoutons que ce rapport est remarquablement lacunaire alors que cette période fut le théâtre de violences extrêmes, de spoliations massive et de destructions majeures. De là aussi une paupérisation et des crises sanitaires catastrophiques. Une « véritable vivisection sociale », écrit, par exemple, Pierre Bourdieu de la loi Warnier votée en 1873 et destinée à désagréger « les structures fondamentales de la société et de l’économie. » (2) Le bilan est terrible puisqu’en 1872 l’effondrement démographique est d’environ 875 000 personnes, selon le spécialiste de l’époque, René Ricoux. (3)
« Répression » à Sétif, Guelma et Kherrata commise par l’armée française et des milices coloniales à partir du 8 mai 1945, écrit aussi l’historien avant d’user, avec prudence et en citant l’ambassadeur de France, Bernard Bajolet, du terme de « massacre ». Deux vocables très en deçà de la qualification juste et précise des faits. Les « indigènes » assassinés et exécutés sommairement – près de 40 000 (4) - l’ont été pour des motifs politiques et raciaux, et en vertu d’un plan concerté, soit très exactement les éléments constitutifs d’un crime contre l’humanité tel qu’il est défini par l’article 212-1 du Code pénal.
« Exactions » la torture, les disparitions forcées, les exécutions extra-judiciaires et la déportation de plus de deux millions de civils « musulmans » forcés de vivre, pendant la guerre d’Algérie, dans des camps ce qui représentait alors un quart de la population du pays (5) ; le tout organisé par l’armée française avec l’aval des autorités politiques de l’époque ?
Crimes de guerre et crime contre l’humanité encore.
Rappelons à l’oublieux conseiller Benjamin Stora, qui mentionne ces faits et à ceux qui saluent béatement son rapport, que grâce à l’obstination de l’avocat Louis Joinet une convention internationale, ratifiée par la France puis entrée en vigueur le 23 décembre 2010, fait de la disparition forcée un crime contre l’humanité. Trois ans plus tard, le code pénal reprend cette qualification – art. 211-1- et définit ladite disparition dans l’article 221-12.
« Sanglante la répression » des manifestants rassemblés pacifiquement à l’appel du FLN dans la capitale et en région parisienne le 17 octobre 1961 pour protester contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé ? Massacres et crime d’Etat que la regrettée Simone Dreyfus, en bonne avocate qu’elle était, qualifiait aussi de crime contre l’humanité dans un ouvrage collectif (6)auquel Benjamin Stora a également participé. De même Jean-Luc Einaudi dont le nom et les travaux ne sont même pas cités dans ce rapport et la bibliographie alors qu’on lui doit deux ouvrages majeurs sur la « sale guerre » menée à Paris par le préfet Maurice Papon contre le FLN. (7)
Est-il nécessaire de qualifier cet oubli ?
Cette brève liste peut être aisément complétée, (8) elle n’en révèle pas moins une indigence terminologique et analytique qui ne laisse pas d’étonner car le conseiller Benjamin Stora connait ces événements meurtriers et dramatiques.
Plus encore, l’usage réitéré du terme « d’exaction », conjoint à une synthèse partielle, partiale et fragmentaire des nombreuses guerres menées en Algérie par la France depuis 1830, accrédite l’opinion selon laquelle de telles pratiques seraient exceptionnelles alors qu’elles furent structurellement liées à la domination coloniale.
Ajoutons que cette dernière est également indissociable d’un racisme d’Etat dont témoignent le code de l’indigénat adopté le 9 février 1875 et les nombreuses discriminations établies de jure contre les « indigènes » puis, pour certaines d’entre elles, maintenues de facto après 1945 à l’endroit des « Français musulmans d’Algérie ».
Quant aux tortures, aux exécutions sommaires, aux déportations des civils et aux massacres, ils sont la règle lorsque les autorités estiment que l’ordre colonial est gravement menacé et qu’il doit être rétabli quoi qu’il en coûte.
« Mal nommer les choses », ce n’est pas seulement « ajouter au malheur de ce monde », (Albert Camus), c’est aussi ajouter la confusion à la confusion et trahir ce qui ne devrait pas l’être : la « volonté de savoir » et « le courage de la vérité » (Michel Foucault) sans lequel la première ne peut longtemps persévérer et parvenir à ses fins.
La cause de cette situation singulière ?
Celle-ci sans aucun doute : le Benjamin Stora historien a capitulé devant le Benjamin Stora devenu conseiller pour permettre au second de présenter à Emmanuel Macron un programme commémoriel congruent à ses desseins électoraux. Afin de ne pas heurter certains groupes mémoriels au mieux conservateurs, au pire réactionnaires, et justifier par avance, conformément aux desiderata du chef de l’Etat, l’absence de reconnaissance officielle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés par la France, il fallait euphémiser ces derniers pour mieux rejeter cette revendication en faisant croire qu’elle est dangereuse, irresponsable et inutile.
De la pusillanimité politique à la pusillanimité intellectuelle puis rédactionnelle, la distance, souvent, est fort courte ; Benjamin Stora l’a rapidement franchie. La forme et le contenu de son rapport en attestent. Pourtant, il fut un temps, en 2002, (9) où ce dernier écrivait que de tels crimes avaient été perpétrés en Algérie, et regrettait qu’ils ne soient pas ainsi nommés. Preuve, s’il en était encore besoin, que le conseiller s’est imposé au détriment de l’historien.
Quant à l’exemple très partiel du Japon, mobilisé par l’auteur, il permet de renforcer ce refus de la reconnaissance en faisant croire que cette position partisane, et conforme aux orientations présidentielles, repose sur une comparaison internationale sérieuse, probante et objective.
Ce tour de passe-passe argumentatif convaincra sûrement les ignorants et les idéologues mais il occulte ceci : nombreux sont les pays qui ont solennellement reconnu s’être rendus coupables de crimes coloniaux d’une extrême gravité.
A preuve. Le 10 juillet 2015, le gouvernement allemand admet que les forces du général Lothar von Trotha ont commis, entre 1904 et 1905, un génocide contre les tribus hereros et namas dans la colonie allemande du Sud-Ouest africain (actuelle Namibie). A la suite de cette reconnaissance, l’Allemagne a proposé 11,7 millions de dollars au titre des réparations. Le 12 Septembre 2015, « le gouvernement britannique reconnait que les Kényans ont été soumis à des actes de torture et à d’autres formes de maltraitance de la part de l’administration coloniale. » (Libération, 14 septembre 2015). Ces mots sont inscrits sur le mémorial, financé par la Grande-Bretagne et érigé à Nairobi, pour rendre hommage aux milliers « d’indigènes » massacrés par les troupes de sa Gracieuse majesté lors du soulèvement des Mau-Mau dans les années 1950.
Quant aux Etats-Unis en 2000, à la Nouvelle-Zélande en 2002, au Canada en 2006 et à l’Australie en 2008, tous ont admis que des traitements indignes avaient été infligés aux populations autochtones de leur territoire respectif. Dans plusieurs cas cette reconnaissance politique a été complétée par des allocations financières ou matérielles attribuées aux victimes ou à leurs descendants. (10)
Une nouvelle fois et sur un point capital, le conseiller Benjamin Stora s’est imposé à l’historien en s’autorisant ce que ce dernier ne s’autoriserait pas et n’autoriserait à un-e étudiant-e- de master. En effet, l’exemple japonais mobilisé est d’une partiellité inacceptable puisqu’il repose sur l’ignorance ou l’occultation de tous les autres ; ceux-là même qui contredisent l’orientation politique défendue par l’auteur du rapport.
Très singulière liberté, pour le moins, prise avec les règles élémentaires de la recherche et de la probité intellectuelle.
Enfin, soutenir que de tels actes seraient inutiles, c’est conjoindre la méconnaissance de leurs effets éminemment positifs et réparateurs pour les personnes concernées, à l’aveuglement d’un jugement aussi péremptoire qu’inique.
Ces quelques rappels, que le conseiller Benjamin Stora semble ignorer, prouvent ceci : la position qu’il défend, en cautionnant les opinions de ceux qui se sont toujours opposés à la reconnaissance pleine et entière des crimes d’Etat commis par la France en Algérie, est minoritaire à l’étranger. Une fois encore, la République et ses représentants divers, qu’ils soient à l’Elysée, au gouvernement ou dans la docile majorité présidentielle, font preuve d’un conservatisme aussi indigne qu’injuste à l’endroit des victimes, et d’un mépris confondant pour les femmes et les hommes qui, dans ce pays, se mobilisent depuis des décennies pour faire connaître et reconnaître ces événements criminels.
Eux savent que sur ces sujets la fausse monnaie des pompeuses cérémonies officielles chasse la bonne, et qu’elles sont en partie conçues pour cela.
Les préconisations élaborées par le conseiller-historien le confirment : la multiplication des commémorations, et des gestes symboliques et partiels, permet de donner le change et d’offrir au chef de l’Etat comme aux différentes catégories de citoyens qu’il courtise du grain à moudre en refusant l’essentiel.
Et l’essentiel peut être ainsi résumé : une déclaration précise et circonstanciée dans laquelle les crimes seraient enfin qualifiés, leur adresse clairement indiquée : l’Etat français, son armée, sa police et ses milices coloniales, sans oublier l’hommage dû à toutes les victimes des innombrables guerres menées en Algérie depuis 1830.
A défaut, la réconciliation tant vantée demeurera une formule incantatoire bien faite pour les périodes électorales et les envolées diplomatiques ronflantes qui, depuis des années, n’engagent à rien et ne changent rien.
Comment rendre véritablement hommage aux innombrables algérien-ne-s torturés, exécutés sommairement, massacrés et violés alors que, pour l’essentiel, leurs bourreaux ne sont plus et que la justice française a toujours refusé de juger ces derniers en vertu des dispositions d’amnistie – le décret du 22 mars 1962, entre autres, – adoptées à la suite des Accords d’Evian ?
Comment satisfaire leurs revendications et celles des héritier-e-s de l’immigration coloniale et post-coloniale en butte à des discriminations mémorielles et commémorielles qui s’ajoutent à toutes celles, systémiques, qu’ils subissent par ailleurs ?
A ces questions majeures, le rapport du conseiller Benjamin Stora n’apporte aucune réponse satisfaisante. Seule la reconnaissance, dans les conditions précitées, permettrait de faire droit aux exigences de dignité, de vérité et de justice des uns et des autres. Et relativement aux seconds de leur signifier qu’ils sont enfin identifiés comme des égaux et des citoyens à part entière dont l’histoire particulière a désormais droit de Cité et droit d’être citée.
En dépit des affirmations réitérées de leurs contempteurs, de telles revendications ne sont pas exclusives, « communautaristes » ou favorisées par un ressentiment « victimaire » ; ceux qui les soutiennent n’exigent nullement de faire l’objet d’un traitement particulier grâce auquel ils jouiraient de prérogatives exorbitantes ou d’un statut singulier.
Au contraire, ils ne cessent d’affirmer ainsi qu’ils veulent être pleinement reconnus comme membres de cette société par cette société qui, jusqu’à présent, les a au mieux maintenus ou relégués dans les marges sociales, politiques, symboliques et mémorielles, au pire traités comme des ennemis intérieurs supposés incarner une menace existentielle pour le pays.
Alors que le soixantième anniversaire des massacres du 17 octobre 1961 approche, de même celui de l’indépendance de l’Algérie quelques mois plus tard, les atermoiements réitérés, les manœuvres dilatoires, les triangulations improbables synonymes de lâches renoncements, la pusillanimité électoralement intéressée, les misérables calculs personnels et partisans, les ambitions dévoyées, les euphémisations mensongères et odieuses aux victimes, les concessions indignes faites aux forces les plus conservatrices de ce pays doivent cesser.
Candidat-e-s à l’élection présidentielle, déjà déclarés ou à venir, vous serez aussi jugés sur les positions que vous défendrez sur les sujets qui nous occupent. D’ores et déjà prenez cet engagement solennel qui pourrait être ainsi libellé : « l’Etat français reconnaît les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qu’il a commis et fait commettre par ses forces armées et de police au cours de la colonisation de l’Algérie (1830-1962). »
Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire. Derniers ouvrages parus : « Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019 et, avec O. Slaouti (dir.), Racismes de France, La Découverte, 2020.
(1). S. Diffalah et N. Funès, journalistes de L’Obs, ne s’y trompent pas. « Les préconisations du rapport, (…) qui pourraient donner lieu à des événements de réconciliation dans les prochains mois, visent aussi à rapprocher la macronie d’une partie de la jeunesse et de la gauche », écrivent-elles. L’Obs, n°2934, 21 janvier 2021, p. 41.
(2). P. Bourdieu, Sociologie de l’Algérie, (1961), Paris, PUF, 2010, p. 120.
(3). Voir R. Ricoux, La Démographie figurée de l’Algérie, Paris, Masson, 1880.
(4). Voir notamment, A. Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945, Paris, La Découverte, 2001 et J-L. Planche, Sétif 1945. Histoire d’un massacre annoncé, Paris, Perrin, 2006.
(5). M. Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie, (1959), Paris, Mille et Une Nuits, 2003.
(6). Voir O. Le Cour Grandmaison, (dir.), Le 17 octobre 1961. Un crime d’Etat à Paris, Paris, La Dispute, 2001.
(7).J-L. Einaudi, La Bataille de Paris. 17 octobre 1961, Paris, Seuil, 1991 et Octobre 1961. Un massacre à Paris, Paris, Fayard, 2001.
(8). Sur les crimes commis par l’OAS et les nombreuses victimes de cette organisation terroriste, voir également l’analyse de Jean-Philippe Ould Aoudia qui écrit : « Non monsieur Stora ! Nous n’acceptons pas que la réconciliation (…) se fasse au détriment de la mémoire des victimes de l’OAS et de la négation de la souffrance de leur famille. » Président de l’association Les Amis de Max Marchand et Mouloud Feraoun, J-Ph. Ould Aoudia n’a jamais été consulté par l’historien lors de la rédaction de son rapport. (lire : « Algérie/France : Le rapport Stora, une mémoire hémiplégique » _www-ancommunistes-org/spip.php?article2821)
(9). B. Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, La Découverte, 2002, p. 101.
(10). Voir J-L. Tin, De l’esclavage aux réparations. Les textes clés d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Les Petits Matins, 2013 et M. Bessone, Faire justice de l’irréparable. Esclavage colonial et responsabilités contemporaines, Paris, Vrin, 2019.
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EL WATAN, 28 JANVIER 2021
Mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie
Brèves remarques sur le rapport de Benjamin Stora
PHOTO : D. R. - Le rapport remis par Benjamin Stora au président de la République française Emmanuel Macron
La mission confiée à Benjamin Stora s’inscrit dans une stratégie de reconquête politique destinée à réhabiliter, sur des sujets particulièrement importants, le «en même temps» si prisé par le locataire de l’Elysée.
De là, de très nombreuses lacunes dont l’accumulation débouche sur de multiples compromissions. «Crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité» perpétrés par la France depuis 1830 en Algérie, comme le prouvent les enfumades du général Bugeaud et de ses officiers supérieurs, les déportations massives de civils dès les années 1840, les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, à partir du 8 Mai 1945, la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées et les viols de masse commis au cours de la dernière guerre d’Algérie…
Très singulièrement, Benjamin Stora n’utilise jamais cette première qualification. Aucune occurrence. En atteste la courte mais efficace recherche lexicographique à laquelle nous nous sommes livrés.
Les résultats en disent long sur la forme comme sur le fond de ce rapport. Quant à la seconde, «crimes contre l’humanité», elle n’apparaît qu’une seule fois à l’occasion d’une citation. En lieu et place, l’historien abuse du terme d’exactions pour désigner les actes perpétrés par la puissance coloniale française en Algérie.
Etonnante régression langagière et analytique. Elle euphémise des actes constitutifs de violences extrêmes aux conséquences humaines, sociales et économiques catastrophiques pour les colonisés.
Qui plus est, ces derniers ont été dominés par un Etat d’exception permanent s’appuyant sur des mesures répressives particulières qui, jusqu’en 1945, les ont privés des droits et libertés fondamentaux en en faisant non pas des «citoyens» mais des «sujets» soumis à un ordre colonial raciste et discriminatoire.
Réformé, assurément, ce dernier n’en a pas moins perduré sous différentes formes jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, laquelle clôt, dans les conditions particulièrement meurtrières, une longue suite de massacres antérieurs destinés à défendre coûte que coûte l’Algérie française. Employer à de nombreuses reprises le terme d’exactions pour rendre compte de cette histoire participe d’une euphémisation.
De même, qualifier les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris de «répression brutale», sans plus de précision, est parfaitement inadéquat eu égard au nombre de manifestants abattus ce jour-là par les forces de l’ordre agissant sous l’autorité du préfet de police Maurice Papon.
Avec une rigueur et un courage salués par beaucoup, le regretté Jean-Luc Einaudi a mis au jour le contexte parisien, national et international, et les consignes orales données par ce préfet aux policiers qu’il commandait.
De là, ce massacre de civils, qui est le plus important de l’après-Seconde Guerre mondiale. Ni son travail ni son nom ne sont cités dans le rapport de Benjamin Stora ! Benjamin Stora dénonce «les guerres de mémoires», leur «communautarisation», la «compétition victimaire» et la «culture de repentance». Toutes sont supposées menacer le «paysage culturel et politique» français.
Si la droite parlementaire est en partie responsable des polémiques mémorielles en raison de la loi du 23 février 2005 qui a officialisé une vision apologétique de la colonisation française – soit écrit en passant cette loi scélérate, indigne d’un Etat démocratique, n’a jamais été abrogée –, Benjamin Stora ajoute peu après : ces «incendies de mémoires enflammées» ont été «surtout» allumés «dans la jeunesse».
Très classique accusation qui fait des jeunes des quartiers populaires, notamment, une catégorie dangereuse pour l’ordre social, politique et commémoriel établi.
Il ne faut donc pas s’étonner si les recommandations faites par Benjamin Stora sont muettes sur la reconnaissance des crimes précités. Sans reconnaissance officielle et claire, la réconciliation tant vantée restera une formule incantatoire bien faite pour les périodes électorales et les envolées diplomatiques ronflantes qui, depuis des années, n’engagent à rien et ne changent rien.
Quant aux descendants des victimes, qu’ils soient français ou algériens, ils seront toujours en butte à des discriminations commémorielles inacceptables.
Emmanuel Macron, candidat, avait déclaré que «la colonisation (était) un crime contre l’humanité». Emmanuel Macron, chef de l’Etat, doit désormais le dire haut et fort lors des commémorations qui s’annoncent.
Universitaire. Dernier ouvrage paru : Ennemis mortels. Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019.
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Liberté, jeudi 28 janvier 2021
Par : Lahouari Addi
Professeur émérite à Sciences-po Lyon
“Ce que l’Algérie attend de la France, ce ne sont ni des excuses ni de la repentance et encore moins des indemnisations financières. Elle attend de ce grand pays qu’il participe à son développement économique en ouvrant son marché aux produits algériens, qu’il accueille plus d’étudiants en postgraduation universitaire, qu’il lève les barrières sociales qui maintiennent les Français d’origine maghrébine dans une sorte de néo-indigénat, et qu’il use son droit de veto au Conseil de sécurité pour faire respecter le droit international dans les zones de conflit.”
L’historien Benjamin Stora a rédigé un rapport à la demande du président Emmanuel Macron sur la possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie. C’est une mission difficile que l’historien aurait dû refuser, car il sait, comme l’a enseigné Ernest Renan, que si le passé domine le présent, la mémoire se gangrène. Benjamin Stora n’est-il pas l’auteur d’un livre intitulé La gangrène et l’oubli ? Le rapport est une commande officielle de l’État et il s’adresse à une partie de l’opinion publique qui croit encore que l’ancien empire colonial a été une œuvre de civilisation. Ce que dit en filigrane le rapport, c’est que l’Algérie est un État souverain incontournable dans le partenariat euroméditerranéen et qu’il est nécessaire de mettre en œuvre une coopération mutuellement bénéfique. Il invite les mémoires à ne pas perpétuer le souvenir de la douleur et qui empêche les plaies de se refermer.
Depuis sa première publication sur Messali Hadj, B. Stora se bat contre les tumultes mémoriels, ce qui lui vaut des inimitiés tenaces des deux côtés de la Méditerranée. Parviendra-t-il à domestiquer la mémoire belliqueuse avec le rapport que lui a commandé le chef d’État français ?
“L’économie et la mémoire qui saigne”
C’est le titre du paragraphe du rapport Stora où il évoque l’économie pour donner du poids aux propositions qu’il préconise. Il évoque des chiffres du commerce extérieur pour rallier une partie de l’opinion française réticente à faire refluer la mémoire. Il explique que le marché algérien est significatif pour certains produits français, ce qui devrait inciter à accepter des gestes symboliques.
Il écrit : “En 2019, les exportations françaises vers l’Algérie ont atteint près de 5 milliards d’euros… L’Algérie demeure un partenaire économique important de la France, elle se présente comme son premier client, le premier marché des entreprises françaises en Afrique.”(p. 34) Benjamin Stora ne souligne pas dans ce passage que la structure du commerce entre les deux pays obéit à la logique de l’échange inégal de la période coloniale : produits manufacturés contre matières premières.
Mais cette structure de la balance commerciale est le résultat de l’incapacité de l’économie algérienne à sortir de la logique rentière qui exporte des hydrocarbures et importe des biens de consommation. Malheureusement, l’Algérie n’est pas le Vietnam, devenu un pays émergent en partie grâce au marché américain. En 2019, les USA ont importé du Vietnam $ 19,8 milliards en biens manufacturés, avec une balance commerciale favorable à ce dernier pays à hauteur de $ 16,8 milliards. L’économie vietnamienne exporte des produits manufacturés, ce que ne fait pas l’économie algérienne. Cet échec donne du grain à moudre aux nostalgiques de l’Algérie française qui déclarent que l’indépendance n’a pas été suivie par le développement, ce qui pousserait les Algériens à venir s’installer en France. Éric Zemmour a bâti sa popularité dans les médias sur ce discours, insinuant que les Algériens regrettent la période coloniale.
Gisèle Halimi ou Bugeaud ?
On dit que le commerce adoucit les mœurs. Peut-être que le commerce entre la France et l’Algérie n’est pas suffisamment puissant pour faire taire l’imaginaire colonial qu’entretient l’extrême droite. Lors d’une visite à Alger, Emmanuel Macron avait affirmé que “la colonisation a été un crime contre l’humanité”. Cette phrase, lourde de sens, invite à la déconstruction de la perception du passé colonial comme geste épique. Le récit national français est encore incarné et entretenu par des monuments et des noms de rue qui rappellent les conquêtes coloniales. Une majorité de Français est-elle prête à accepter de débaptiser des rues portant les noms de Bugeaud, Pélissier, Cavaignac… B. Stora évite cette question sensible, mais il propose de faire transférer les cendres de Gisèle Halimi au Panthéon. Elle mérite cet honneur, et l’Algérie aussi devrait l’honorer officiellement.
Mais ce serait incohérent si une rue adjacente au Panthéon porte encore le nom d’un chef militaire qui aura gagné ses galons dans les champs de bataille des colonies. Soit on célèbre Gisèle Halimi, militante anticolonialiste, soit on célèbre Galliéni, chanté comme le conquérant du Sénégal. Cette question n’est pas algéro-française ; elle est franco-française et sera tranchée par un rapport de force idéologico-politique au sein de la société. Tant que les Français d’origine maghrébine ou africaine ne constituent pas une force sociale dans l’économie, dans les médias, dans l’université, tant qu’ils n’auront pas une influence sur le champ électoral, Bugeaud et Galliéni continueront d’être des héros du récit national.
Sur ce plan, la France postcoloniale intègre trop lentement les Français issus de l’immigration. Est-ce une fatalité que cette catégorie de la population française soit sur-représentée dans le système carcéral et sous-représentée dans le système universitaire ? Au lieu de se référer aux travaux sociologiques qui pointent les causes sociales de la pauvreté dans les banlieues, la presse de droite fait porter la responsabilité à “une culture hostile aux valeurs françaises”, décrivant les banlieues comme “des territoires perdus par la République et gagnés par l’islam”. Ce discours est issu d’une mémoire coloniale nostalgique ; c’est une construction sociale façonnée par un rapport de force politique et idéologique. Pour la modifier, il faut aller aux causes sociales qui la favorisent et qui la perpétuent.
Le colonialisme n’est pas une essence culturelle
Du côté algérien, tout n’est pas blanc pour autant. Le discours mémoriel continue de réduire la France à une seule dimension, le colonialisme, comme si celui-ci était une essence culturelle, alors qu’il est un phénomène historique lié à la naissance du capitalisme. Sans diminuer la pertinence politique des mouvements de libération nationale, la décolonisation était devenue inéluctable après la défaite du nazisme. L’économie de l’Algérie coloniale ne profitait ni aux autochtones ni aux Français de la métropole ; elle profitait à une minorité de colons qui s’enrichissaient en faisant “suer le burnous”, selon l’expression utilisée par les adversaires du parti colonial.
Le plus célèbre d’entre eux était Georges Clémenceau, adversaire de Jules Ferry sur la question. Il y a eu en France des courants opposés à la colonisation, notamment le mouvement ouvrier et les syndicats qui ont été à l’écoute des nationalistes des colonies. Messali Hadj a été aidé par les communistes dans les années 1920, avant de s’éloigner d’eux dans les années 1930. Par ailleurs, les fondateurs du nationalisme algérien, Messali Hadj, Ferhat Abbas et Abdelhamid Ben Badis, n’étaient pas hostiles à la France comme civilisation, alors qu’ils étaient des adversaires farouches du système colonial. Les deux premiers avaient épousé des Françaises et le troisième revendiquait la nationalité française dans le respect de l’islam et la langue arabe.
Kateb Yacine considérait la langue française comme un butin de guerre. Alors qu’en 1954, il y avait à peine 15% d’enfants autochtones scolarisés, dix ans plus tard, en 1964, il y en avait près de 80%, apprenant, entre autres, le français. Cela permet de tirer comme conclusion que le mouvement national ne combattait pas la France ; il combattait le système colonial français.
Le déséquilibre universitaire
Certaines propositions du rapport de Benjamin Stora auront des effets positifs si elles sont appliquées, en particulier celles relatives à la création d’une commission “Mémoire et Vérité”, à l’exploitation des archives et à la coopération universitaire en matière d’histoire. Fort heureusement, B. Stora ne suggère pas une écriture commune de l’histoire. Entre les deux pays, il y a un passé commun, mais les historiens des deux côtés de la Méditerranée l’analyseront différemment pour des raisons épistémologiques liées aux questionnements des chercheurs. Il est banal de dire que la recherche universitaire est plus développée en France qu’en Algérie. Le monde académique algérien attend ses historiens de la dimension de Charles-Robert Ageron, André Nouschi, Gilbert Meynier… Ce déséquilibre est frustrant et perpétue objectivement un rapport inégal. Les Algériens ont accès à leur passé en grande partie grâce à des historiens français ou étrangers. En voulant faire du passé une mémoire gérée par l’administration et en se méfiant des universitaires, les autorités algériennes ont une responsabilité dans la perpétuation de ce déséquilibre. Cela est illustré par le choix fait par les deux présidents : Emmanuel Macron a chargé un historien, auteur d’une vingtaine de livres pour rédiger un tel rapport, alors qu’Abdelmadjid Tebboune a désigné à cette tâche un fonctionnaire. Exit Mohammed Harbi, Dahou Djerbal, Hosni Kitouni, Hassan Remaoun...
En conclusion, ce que l’Algérie attend de la France, ce ne sont ni des excuses, ni de la repentance et encore moins des indemnisations financières. Elle attend de ce grand pays qu’il participe à son développement économique en ouvrant son marché aux produits algériens, qu’il accueille plus d’étudiants en postgraduation universitaire, qu’il lève les barrières sociales qui maintiennent les Français d’origine maghrébine dans une sorte de néo-indigénat, et qu’il use son droit de veto au Conseil de sécurité pour faire respecter le droit international dans les zones de conflit. L’histoire a lié l’Algérie et la France dans des relations sociétales intenses ; c’est aux politiques de les orienter vers l’intérêt mutuel.
Dernier ouvrage
La crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant, Presses universitaires de Louvain, 2019, et éditions Frantz Fanon, 2020
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TSA_ 28 Janv. 2021 à 18:22
ENTRETIEN. Abderrahmane Hadj-Nacer : « Nous avons gagné la guerre et perdu la paix »
Par : Makhlouf Mehenni
Abderrahmane Hadj Nacer, essayiste et ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, revient sur le rapport Stora, l’ordre néocolonial, le pillage des richesses de l’Algérie, les crimes coloniaux, hirak… ENTRETIEN.
Au vu de la teneur du rapport de l’historien Benjamin Stora, la repentance de la France vis-à-vis de son passé colonial en Algérie n’est toujours pas à l’ordre du jour. Pourquoi une telle réticence des autorités françaises ?
Abderrahmane Hadj-Nacer, essayiste, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie :
Les prises de position de l’Etat français par rapport à la guerre d’Algérie sont liées à la politique interne française.
Ce n’est pas lié à un rapport à l’Histoire et certainement pas à un rapport à la vérité. L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Sommes-nous des vaincus ? 20% de la population française a un rapport direct avec l’Algérie et c’est énorme.
L’Algérie est donc un thème récurrent de la politique française. Il est donc très important de parler de l’Algérie, tantôt positivement, tantôt négativement, tout dépend à quelle partie de la population française on s’adresse.
Nous sommes davantage confrontés à des enjeux électoraux et donc cela n’a rien à voir avec l’expression d’une vérité. Force est de constater encore aujourd’hui en France, le déni de la réalité, le refus absolu d’aller véritablement dans le fond des rapports entre l’Algérie et la France, parce que, effectivement, pour beaucoup de Français, il s’agit d’une guerre civile qui a eu lieu en Algérie à partir de 1954 car le nord de l’Algérie était une partie des départements français.
C’est le refus même de considérer qu’il y avait là une entité qui avait sa propre personnalité et sa propre histoire. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, certains considèrent que l’Algérie a été créée par la France, comme s’il n’y avait rien, ni géographie ni histoire avant l’arrivée de la France.
Le sujet revient ainsi à la surface régulièrement, à chaque élection française au niveau présidentiel ou régional. À chaque élection à Marseille ou à Paris, on voit le prétendant maire de la ville qui veut se faire réélire venir prendre des images à Alger.
Vous remarquerez que les images sont souvent prises dans l’Alger colonial, pas dans la Casbah ni dans l’Algérie qui a été construite après l’indépendance. Le message qui se veut subliminal est celui de la mission civilisatrice de la France.
« Nous avons perdu la paix au congrès de Tripoli dès le moment où l’ordre néo colonial a prévalu » La partie algérienne attendait pourtant au moins des pas significatifs…
Le rapport Stora répond à une commande politique liée à la prochaine échéance présidentielle en France. Il y a une différence avec ce qui s’est passé lors de la préparation des élections en 2016-2017. Il s’agissait, alors, de convaincre l’électorat musulman que le candidat Macron était prêt à aller loin, on a donc parlé de crimes contre l’humanité.
Or, cette fois-ci, on est dans la course à l’extrême droite étant donné la droitisation des opinions publiques européennes et occidentales en général. Nous sommes dans un cas de figure où il faut se débarrasser des complexes liés à la colonisation. Cela évidemment conforte l’attitude de déni historique de la responsabilité de ce qui s’est passé en Algérie.
Il est important de souligner que dans cette séquence comme dans cette affaire, nous ne sommes pas concernés et c’est pour ça que surréagir au rapport Stora pose problème.
Cela étant, si on devait véritablement faire ce travail, cela signifierait d’abord que nous le fassions en tant qu’entité autonome. Or nous avons un problème, nous avons gagné la guerre en 1958 déjà, mais nous avons perdu la paix au congrès de Tripoli dès le moment où l’ordre néo colonial a prévalu.
Donc tant que l’Algérie est dans cet ordre, il est très très difficile d’interroger l’Histoire d’un point de vue différent de celui du dominé. (ah : ?) Cela est d’autant plus difficile que la France, dite pays de droit, a interdit l’accès aux archives malgré la loi. Il est vrai que les Français pourraient être surpris d’apprendre la vérité sur la main rouge, L’OAS, les exactions du 5 juillet à Oran, l’opération valise ou cercueil ou encore le sort funeste programmé des harkis.
« Donc que doit-on réclamer à la France ? »
Cette question des archives est primordiale. Qu’est-ce qu’elles pourraient nous apprendre au-delà des crimes coloniaux, du nombre de victimes ou du déroulement précis des événements ?
Ces archives nous concernent nous, non seulement parce qu’elles traitent de 1830 à aujourd’hui, je dis bien aujourd’hui, c’est-à-dire 2021, mais les Français ont aussi pris les archives de la période ottomane, de la Régence d’Alger et celles des différentes zaouïas dont certaines remontent au 10e siècle.
C’est-à-dire de l’Algérie qui existait avant l’arrivée de la France. Dans ces archives, nous pouvons découvrir beaucoup des choses qui montrent d’abord l’indépendance de l’Algérie de l’époque, mais aussi certains chiffres clés, par exemple, le chiffre des impôts qui nous donne une population de dix millions d’habitants au moment où est arrivée la France.
Mais il faut reconnaitre que même nos propres archives nous sont interdites, les archives du MALG et de l’Algérie indépendante ne sont pas accessibles aux chercheurs algériens. Se pencher dans ces conditions sur l’Histoire coloniale ou néocoloniale est quelque chose d’extraordinairement complexe et d’impossible.
Cela étant, si nous pouvions le faire, ce n’est pas à l’occasion d’un rapport rédigé en six mois. Il faudrait des commissions composées de spécialistes très différents, notamment des anthropologues, des ethnologues, des sociologues, des démographes, des économistes, des statisticiens, des historiens…
Par exemple, s’il n’y avait pas eu les génocides d’Algériens, la population algérienne serait de l’ordre de 80 millions d’habitants. Si on prend en considération la réalité de l’Histoire, le Trésor d’Alger, qui a été chiffré par les Français eux-mêmes à 500 millions de francs de l’époque, soit l’équivalent de la moitié des revenus de la France de l’époque.
Donc que doit-on réclamer à la France ? La restitution du Trésor ? On serait loin de l’évaluation de Pierre Péan, cinq à six milliards d’euros, mais d’infiniment plus ! Pour être relatif, le montant serait de l’ordre du tiers du PIB français, c’est-à-dire 700 milliards d’euros.
Si l’on devrait chiffrer le nombre d’Algériens qui manquent, il s’agirait de 35 millions. Et si on applique le chiffre le plus bas relatif aux indemnisations concernant la Shoah, soit 5 000 dollars par individu disparu, je vous laisse calculer. Je ne parle même pas de ce qui apparaîtrait comme une broutille, la dette du blé pour nourrir les troupes napoléoniennes.
On peut aller encore plus loin, en reprenant l’argumentaire du GPRA concernant le Sahara, l’Algérie a été amputée de toute la partie occupée par les touaregs et conquise à partir de l’édification de l’État Rostémide. Comment évaluer ce trauma ?
« Or, tous nos gens de très grande compétence sont pillés. »
Peut-on alors considérer que la France refuse l’idée de présenter des excuses pour ne pas voir la revendication passer à une autre étape, celle de l’indemnisation ?
Ça va bien au-delà de ça. Pour que la France puisse présenter des excuses, il faut que l’Algérie finalise son indépendance. C’est pour ça que le Hirak est un enjeu. Le Hirak a montré une population qui n’est plus dans l’ordre néocolonial pendant que le régime, lui, n’avait pas encore fait sa mue.
Donc, ce problème ne peut encore être posé maintenant, parce que nous avons même vu l’Algérie gérée à partir des Invalides. Nous avons eu des réunions où il y avait le chef de l’Etat, le chef d’état-major et le chef des services sous le regard plein d’alacrité de François Hollande, comme si cela était naturel.
Ce n’est même pas une image humiliante, c’est une image qui reflète la réalité du fonctionnement de l’ordre néocolonial. Le rapport Stora n’est d’aucun intérêt pour nous, parce que le pire est en train de se dérouler à un moment où nous avons le plus besoin de regrouper nos forces.
Car le pillage, ce n’est pas seulement l’exploitation du sous-sol, c’est surtout l’exploitation de la vraie richesse qu’est la ressource humaine. Quand vous avez un système qui ne retient pas ses cadres dont la formation a coûté à la Nation, les plaçant en situation de précarité sociale et politique, qui les livre à un système qui, lui, accorde facilement des visas aux ingénieurs et aux médecins et qui vous demande de reprendre tous ceux qui ne plaisent pas aux autorités européennes, il y a là, un problème grave.
Il s’agit d’un pillage par consentement mutuel. Un médecin, c’est un million de dollars de formation et ça rapporte 500 000 euros par an en termes de revenus. C’est aussi le cas d’un informaticien, d’un polytechnicien… Or, tous nos gens de très grande compétence sont pillés.
Par contre, nous devons devenir les gardiens de prison de ceux qui ne sont pas compétitifs. On peut dire que les gens sont attirés par les conditions de vie meilleures et que personne n’est venu les prendre de force, mais ça, ce sont des techniques modernes de pillage.
Quand vous avez un système de visas qui est totalement inique, quand vous avez n’importe quel ministre de souveraineté qui est prêt à s’humilier pour obtenir des visas pour ses enfants, vous n’avez en réalité plus de ministère de souveraineté.
Les gens compétents représentent 3 ou 4% de la population, la règle aurait voulu que lorsque vous accordez un visa à un médecin, vous en accordez infiniment plus à d’autres catégories dont les chômeurs pour représenter la population algérienne. Si vous ne le faites pas, vous faites du pillage.
Évidemment, il faudrait mettre tout cela sur la table. Je ne veux même pas aborder les contrats économiques où même lorsque vous signez avec un chinois, vous payez la dîme à un français comme le montre si bien l’autoroute est-ouest. Ni le recel généralisé des biens et fonds mal acquis.
Mais d’ailleurs, remontons un peu dans le temps. Au XVIe siècle, François 1er a signé des accords avec la Sublime porte et d’autres avec la Régence d’Alger. Les gens disent que la Régence d’Alger n’était pas indépendante, mais ce n’est pas vrai. C’est comme si on disait aujourd’hui que la France n’est pas indépendante parce qu’elle fait partie de l’Union européenne ou de l’Otan.
L’Algérie avait accepté des accords de protection du commerce de la France par rapport à ses concurrents, les Anglais, les Hollandais, etc. Est-ce que nous avons été payés pour ça ? Évidemment non. Ça aussi, il faudra le mettre sur la table. Nous avons apporté beaucoup au commerce français et la France nous a apporté de la duplicité.
Dans notre naïveté permanente, nous croyons aux accords, comme l’Emir Abdelkader qui a cru à tous les traités qu’on lui a fait signer alors qu’il a été traité comme un vulgaire prisonnier, y compris au château d’Ambroise.
Le génocide qu’a subi l’Algérie est un génocide qui n’a pas de nom. Non seulement on a tué des gens, non seulement on les a enfumés, le plus important c’est qu’on a voulu modifier la structure mentale, les caractéristiques culturelles de la population algérienne. On a fait revenir à l’âge de la pierre une société qui était cultivée, qui était savante.
Donc s’il faut parler de l’histoire, il faut revenir au moins au XVIe siècle. Comment en déterminer le prix ? Comment construire une relation apaisée ? Comment expurger la haine et la duplicité ?
« La torture (…) a été tuée par celui qui l’a mise en œuvre »
Vous dites que le rapport de M. Stora est sans intérêt pour nous. A-t-il peut-être veillé à ne faire que des propositions réalistes, c’est-à-dire qui peuvent facilement être mises en œuvre ?
Il ne faut pas en vouloir à Benjamin Stora, qui fut un historien honnête et qui a fait ce qu’on lui a demandé de faire, car il ne faut l’oublier, aujourd’hui, il est plus fonctionnaire qu’historien et là, il n’est pas dans la recherche mais dans la réponse à une question politique et électoraliste.
Je dirais que ce sont des propositions sans intérêt historique, mais des propositions qui visent au niveau du droit à éteindre une revendication. Quand vous voulez étouffer une affaire, vous la jugez.
C’est le principe du fait jugé. Ce qui se passe aujourd’hui avec le rapport Stora, c’est ce qui s’est passé antérieurement avec des tentatives à l’époque de Jacques Chirac ou de François Hollande, c’est-à-dire en parler pour ne pas en parler.
D’ailleurs, vous remarquerez que la torture, qui est quand même une tache énorme pour l’armée française, comme les événements d’Abou Gharib pour l’armée américaine, a été tuée par celui qui l’a mise en œuvre, c’est-à-dire le général Aussaresse.
Celui-ci a fait un livre et puis on n’en parle plus, or c’était à nous d’en parler. C’est aussi ça l’ordre néocolonial, ils font des livres et ils tuent le sujet. Comme je l’ai dit, nous avons perdu la paix en 1962, et tant que nous n’aurons pas achevé le processus de recouvrement de la paix, nous ne pourrons pas aborder les questions d’Histoire parce que nous ne nous autorisons pas à le faire.
« J’ai eu à dire que le Hirak a gagné »
Quelques semaines avant la remise de ce rapport, il y a eu une vive polémique suite à des propos du président français sur la situation politique en Algérie. Quelle lecture peut-on faire de ces propos ?
J’ai eu à dire que le Hirak a gagné, non pas parce qu’il a désigné des gens à la tête de l’Etat, mais parce qu’il a remis en cause l’ordre néocolonial. On sait que les « régime change » ou les « révolutions de couleur » ne correspondaient pas aux intentions affichées, c’est-à-dire la démocratie, mais à affaiblir ou changer des régimes.
Dans le cas de l’Algérie, c’était comment renouveler le régime finissant de Bouteflika dans un contexte où les rapports de force n’étaient pas clairs. Mais le Hirak a montré une si grande autonomie que la seule intelligence qui a pu se développer c’était celle d’enfourcher ce Hirak, avec l’idée saugrenue que dès qu’un nouveau pouvoir sera installé, tout rentrerait dans l’ordre.
Or, pour cela, il faut un compromis historique. Tel qu’il est conçu par les décideurs habituels, le compromis c’est un accord entre les décideurs et un adoubement de l’étranger, la France en premier.
Mais on a oublié que le Hirak avait sa propre autonomie et a donc refusé d’adouber l’accord, de la façon la plus simple. D’abord le Hirak a continué, et puis il n’y a pas eu de vote malgré toutes les manipulations.
Si par ailleurs les chiffres qui ont été publiés sont proches de la réalité, cela montre qu’il n’y avait pas encore de compromis à l’intérieur du système. Par contre, manifestement, les propos du président Macron montraient qu’il y avait eu un compromis partiel avec l’étranger.
Donc nous avons un système avec une partie qui avait un accord avec l’étranger et d’autres parties qui n’ont pas été dans le compromis, alors que la population elle-même a été exclue de ce compromis. Ce que n’arrive pas à comprendre le système, c’est qu’il n’est plus possible d’avoir un compromis sans un accord minimum avec la population.
Par ailleurs, il convient de replacer les interventions du président Macron dans le contexte de la politique intérieure française.
Lorsqu’on reproduit en métropole les conditions de l’aménagement du territoire inique des colonies et que l’on parque dans des cités insalubres les exclus de la croissance puis que l’on montre du doigt l’islam et qu’enfin on parle de séparatisme, c’est que de façon évidente la guerre d’Algérie n’est toujours pas soldée et que la France non plus n’a pas gagné la paix.
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Mediapart- Lundi 1° février 2021
Par Gilles MANCERON
Le Blog de Gilles Manceron
S’appuyer sur le rapport de Benjamin Stora
La remise du rapport Stora sur les mémoires de la colonisation et la guerre d’Algérie a suscité des réactions diverses, souvent hâtives, qui confirment surtout la présence lourde du passé franco-algérien dans le présent des deux pays. Davantage que de s’attarder sur les reproches ou soupçons exprimés ça et là, il s’agit de se demander quel avenir il pourrait ouvrir si des citoyens s’en emparent.
Constatons d’abord que la remise de ce rapport a eu lieu dans des conditions quelque peu cocasses. Elle était annoncée sur l’agenda de l’Élysée pour le jeudi 20 janvier à 17h, mais quand l’auteur du rapport s’est présenté à l’heure dite pour le remettre au président, aucun journalistes invités auxquels il aurait pu, ainsi qu’Emmanuel Macron, prononcer quelques mots sur le sujet. Mais, dans la matinée, ceux-ci avaient été convoqués par un conseiller à la Présidence, Bruno Roger-Petit, qui leur a livré des « éléments de langage », qui ont été largement diffusés dès la mi-journée par l’Agence France Presse, les quotidiens en ligne et les chaines d’information continue. C’est ainsi que les journaux français et étrangers se sont fait l’écho de ce verdict péremptoire : « Colonisation et guerre d’Algérie : il n’y aura ‘‘pas d’excuses’’ prévient l’Élysée.
L’invention du terme de « repentance »
Comment ne pas s’inquiéter de cette sentence catégorique. Immédiatement reprise par la presse française et algérienne par des personnes qui n’avaient pas eu le temps de lire ce rapport de près de 200 pages (dans la version qui va paraître chez Denoël) qui commençait à peine à circuler par des voies autres que le site de l’Elysée. Quelques lecteurs, pourtant, dans les deux pays, ont émis des réactions intéressées. Quant au haut fonctionnaire chargé en Algérie de ce dossier « sous l’autorité » du président Tebboune — son conseiller Abdelmadjid Chikhi, ex-conseiller de Bouteflika et bien connu pour être le gardien sourcilleux des archives nationales algériennes —, il a eu le toupet de dire, quand la presse algérienne l’interrogeait sur son silence, qu’il ne l’avait pas lu, car il ne l’avait pas reçu officiellement. On en est presque revenu à l’époque où les dirigeants soviétiques des débuts de la déstalinisation niaient l’authenticité du rapport présenté par Khrouchtchev au XXe congrès dont le texte circulait dans le monde entier, parlant de lui comme du rapport « attribué au camarade Khrouchtchev ».
C’est donc la formule « ni excuses, ni repentance », avant même sa remise et même si on ne la trouve pas dans le rapport, qui s’est trouvée accolée au rapport Stora.
Le choix du mot « repentance » n’est pas innocent. Il a été utilisé par Nicolas Sarkozy lors de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2007. Avec un but précis : attirer des voix d’extrême droite pour éviter une présence de celle-ci au second tour et refuser toute reconnaissance lucide du fait que la colonisation de l’Algérie contredisait toutes les idées des droits de l’homme. Celles des Encyclopédistes et de la Révolution française en faveur de la liberté des peuples à ne pas être objet de conquête, et même, le cas échéant, celui d’y résister. Que la colonisation contredisait le principe de l’égalité de tous les êtres humains proclamé sous la Première République lors de la Révolution française(1). En bref, que la « République coloniale » avait été un errement dans l’histoire de la République.
Destiné à faire obstacle à cette reconnaissance, la « repentance » est un concept écran, inventé, non par des Algériens, mais par des Français nostalgiques de la colonisation pour discréditer les demandes de qualifier pour ce qu’elles sont les injustices et les violences coloniales. Un concept repris comme un épouvantail par quelques auteurs comme Pascal Bruckner ou Daniel Lefeuvre(2), ou l’historien Guy Pervillé(3) aux travaux importants mais qui est proche des milieux « nostalgériques », et qui, par exemple, lors du procès de Bordeaux qui a condamné Maurice Papon pour complicité de crime contre l’humanité en Gironde en 1942, s’était adressé à l’AFP en 1997 pour réfuter le témoignage de Jean-Luc Einaudi sur la répression sanglante en octobre 1961 orchestrée par ce même Papon devenu préfet de police du département de la Seine.
L’impossible « grand écart » de Jacques Chirac
Contrairement à ce que dit Pervillé(4), le gouvernement algérien n’a jamais utilisé ce mot de « repentance ». La Fondation du 8 mai 45, qui s’attache à commémorer la répression sanglante des manifestations de mai et juin1945 dans le Constantinois, créée en mai 1990 à Kherrata par Bachir Boumaza et présidée ensuite par Mohamed El Korso et Abdelhamid Selakdji, aux initiatives auxquelles j’ai plusieurs fois participé comme historien à Sétif et Guelma, a pour revendication principale la reconnaissance par la France de ses crimes coloniaux en Algérie. Si elle s’est élevée légitimement contre la création en 2010 par Nicolas Sarkozy et son ministre de la Défense Hubert Falco d’une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie sur la base de la loi du 23 février 2005 enjoignant les enseignant à montrer les « aspects positifs de la colonisation »(5), elle s’est placée, quelles que soient ses demandes, sur le terrain de l’histoire et du droit, refusant « la tentation d’agir dans un esprit vindicatif ou revanchard »(6). Il est inexact de dire que « la revendication de repentance à Alger a fait échouer le traité d’amitié » qu’espérait Jacques Chirac(7). En réalité, c’est le « grand écart » tenté par lui entre ce projet de traité et la loi sur les « aspects positifs de la colonisation » — qui résultait d’une promesse faite en 2002 au lobby « nostalgériste » pour le dissuader de voter Le Pen au second tour de la présidentielle —, qui a conduit à son échec, puisque l’inscription dans son préambule demandée par l’Algérie des « regrets » de la France pour « les torts portés à l’Algérie durant la période coloniale » ne pouvait se concilier avec son appui à la vision « civilisatrice » de la colonisation. Son refus de la reconnaissance a rendu vains les quelques gestes de compassion qu’il avait faits durant son quinquennat et a préparé l’orientation encore plus négative de Nicolas Sarkozy qui a brandi la formule du « refus de la repentance ».
Le nécessité absolue de la reconnaissance
Depuis ces atermoiements de la présidence de Jacques Chirac, les choses se sont nettement aggravées dans la société française. Une régression s’est produite sur la question coloniale, le débat sur cette page du passé de la France s’est éloigné davantage au XXIe siècle de la référence aux droits universels de l’homme.
Les quatre dernières décennies du XXe siècle ont été marquées par l’extrême pusillanimité sur ce sujet des présidents successifs de la Ve République. Le général de Gaulle, après avoir fait le choix d’accepter l’indépendance de l’Algérie, qui l’a confronté à la défection au sein de ses soutiens de 1958 des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française, a renoncé, en juin 1968, à ce que l’amnistie ne s’applique pas à tous les actes des putschistes de 1961 et des criminels de l’OAS. Il a cherché à détourner les Français de cette page de notre histoire en ravivant la mémoire de la Résistance incarnée par Jean Moulin et les martyrs du Mont Valérien. Georges Pompidou a voulu faire oublier les temps où « les Français ne s’aimaient pas ». Valéry Giscard d’Estaing a réintégré dans sa majorité une partie de la droite antigaulliste qui n’avait pas accepté l’indépendance de l’Algérie. François Mitterrand s’est tenu à l’écart de cet épisode de la décolonisation où il n’avait pas été particulièrement lucide comme ministre de l’intérieur en 1954, et, où, avant de soutenir l’abolition de la peine de mort en 1981, il l’avait préconisée abondamment comme ministre de la Justice du gouvernement Guy Mollet. Quant à François Hollande, il n’a fait sur ce sujet – malgré les conseils de Benjamin Stora – que de petits gestes trop timides. Dans ces conditions, aucune déconstruction des mythes qui justifiaient l’empire colonial n’est intervenue et l’extrême droite qui les cultive comme une rente a eu beau jeu d’étendre son influence.
Il faut dire que la gauche française est extrêmement gênée par la page coloniale de notre histoire, et cela a pour elle des racines profondes. Sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), le mouvement socialiste naissant a majoritairement regardé avec faveur l’expansion coloniale. C’est la Deuxième République (1848-1852) qui a fait des territoires de l’Algérie des départements français soumis à des lois particulières. Et une personnalité comme Jaurès qui a évolué de 1908 à 1914 vers un anticolonialisme résolu, n’a pas été suivi sur ce sujet par la majorité de ses camarades. A la fin du XIXe siècle, la gauche républicaine s’est ralliée à l’idée d’empire, et, au XXe siècle, pour que la branche du mouvement socialiste devenue le PCF adopte, à certains moments de son histoire, une orientation fermement anticolonialiste, il a fallu de fortes pressions de l’Internationale communiste.
La déclaration d’Emmanuel Macron sur la colonisation comme « crime contre l’humanité », avant son élection, sa déclaration importante de septembre 2018 en rendant visite à la veuve de Maurice Audin, reconnaissant que son mari a été assassiné par les militaires français qui le détenaient, dans le cadre d’une pratique généralisée de la torture et des détentions arbitraires, dépassent largement en audace ce qu’ont dit les responsables de la gauche depuis la fin de la guerre d’Algérie.
La régression récente de la société française
L’entrée dans le XXIe siècle a été marquée par une soudaine mais éphémère prise de conscience. Il y a eu un « moment 2000 », où après les articles de Florence Beaugé en juin dans Le Monde, suivis de « l’Appel des douze » publié dans l’Humanité en octobre, la question de la torture pratiquée par l’armée française dans la guerre d’Algérie, paroxysme et emblème de la violence coloniale, est revenue quelque temps sur le devant de la scène. Cela a coïncidé avec un essor des travaux de recherches sur ces sujets à l’université, dont la thèse de Raphaëlle Branche, soutenue en décembre, sur la torture pratiquée par l’armée française dans la guerre d’Algérie(8). Il a duré plusieurs années et été marqué par des événements importants : l’inauguration par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, en 2001 d’une plaque au Pont Saint-Michel commémorant le massacre du 17 octobre 1961, puis d’une Place Maurice Audin en 2004, et la reconnaissance par la presse des travaux de Jean-Luc Einaudi, après le fiasco de la plainte de Maurice Papon contre lui en mars 1999 pour ce qu’il avait écrit dans Le Monde sur le massacre des Algériens lorsqu’il était préfet de police.
Mais ces années ont été aussi celles de la consolidation du Front national, de la présence de Jean-Marie Le Pen en mai 2002 au second tour de l’élection présidentielle et des gages donnés par Jacques Chirac aux milieux nostalgiques de la colonisation (avec la promesse d’un monument aux morts de la guerre d’Algérie au Quai Branly, inauguré en décembre 2002, et d’une loi sur les « aspects positifs de la colonisation » votée en février en 2005) pour les dissuader de voter Le Pen au second tour. La suite de son quinquennat a été marquée par des gestes contradictoires et des tergiversations ont fini par ouvrir la voie à l’élection de Nicolas Sarkozy, avec son « refus de la repentance » et son discours sur les Africains qui « ne sont pas entrés dans l’histoire ».
Mais cela a été combattu. La loi de 2005 a été largement dénoncée, par exemple Le Monde, ce qui a conduit à un épisode unique dans l’histoire de la République : le retrait d’un article d’une loi signée par le président et publiée au Journal officiel. Et au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, un texte a été publié dans ce quotidien à l’initiative de l’historien Gilbert Meynier et du militant de la Ligue des droits de l’Homme de Toulon, François Nadiras, intitulé « France Algérie : dépasser le contentieux historique », signé largement des deux côtés de la Méditerranée, notamment par Benjamin Stora, Simone de Bollardière, Edgar Morin, Christiane Taubira, Jack Ralite, Yvette Roudy, Raphaëlle Branche, Malika Rahal et Sylvie Thénault, et, en Algérie, Hocine Aït-Ahmed, Mohammed Harbi, Ali Haroun et Abdelhamid Mehri. Diffusé par la LDH et porté par le site ldh-toulon, sa conclusion est claire et toujours actuelle : « Dépasser le contentieux franco-algérien implique une décision politique, qui ne peut relever du terme religieux de “repentance”. Et des “excuses officielles” seraient dérisoires. Nous demandons donc aux plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie. Une reconnaissance nécessaire pour faire advenir une ère d’échanges et de dialogue entre les deux rives, et, au-delà, entre la France et les nations indépendantes issues de son ancien empire colonial ». Il date de novembre 2007 et a été salué, par exemple, comme une « intelligente pétition » par le quotidien Libération. Ce qui permet de mesurer, au vu de la réaction de l’Elysée à la remise du rapport Stora, combien, depuis cette date, les termes du débat ont régressé en France.
Benjamin Stora n’a pas pu, compte tenu des régressions qui se sont produites dans la société française, réitérer avec force cette demande de reconnaissance « première et essentielle ». Compte tenu du positionnement timide d’Emmanuel Macron qui n’a pas réitéré en tant que président ses propos tenus en Algérie avant son élection, et de ce qu’il répondait à une commande du pouvoir visant à « rassembler les mémoires françaises ». Mais cette demande de reconnaissance, si elle n’est pas assénée plus fortement au cœur de son rapport, est en implicite dans son contenu. Le rapport admet qu’il faudra que les plus hautes autorités de la France en viennent à formuler des excuses pour ce qui a été commis au nom de la France. L’important aujourd’hui est de faire avancer dans l’opinion l’idée qu’il faut un travail de vérité sur les réalités coloniales et le rapport Stora peut y aider.
Plutôt que d’exprimer certaines idées auxquelles il est personnellement attaché mais qui n’auraient aucune chance d’être retenues dans le contexte politique actuel de la France, Benjamin Stora a recherché ce qui pourrait être efficace. Sa démarche pragmatique ne mérite pas d’être discréditée. Elle mérite d’être soutenue en ajoutant d’autres préconisations.
Se tourner vers l’avenir
C’est dans cette optique que l’Association Josette et Maurice Audin qui continue le combat du Comité Audin, animé de 1957 à 1963 par les universitaires Laurent Schwartz et Pierre Vidal-Naquet, y a réagi par une contribution tournée résolument vers l’avenir des deux pays. Elle qui a pour objectif d’établir la vérité sur les circonstances de l’assassinat de Maurice Audin en 1957, a inauguré en 2019 un cénotaphe au cimetière du Père-Lachaise, seul monument en France pour un combattant de l’indépendance algérienne, et, depuis, le 11 juin, date de la « disparition » de Maurice Audin, elle y organise un rassemblement. En 2021, un représentant de la République française au plus haut niveau y serait bienvenu.
Sur la question des personnes « disparues » comme Maurice Audin entre les mains des forces de l’ordre françaises dans la guerre d’Algérie, elle a soutenu la mise en place du site 1000autres.org qui fait appel à des témoignages sur le sort de plus d’un millier de personnes qui en ont été victimes. Cela lui a permis d’identifier à ce jour, grâce aux archives et aux familles, 320 disparus dont les corps restent introuvables.
En septembre 2019, cette association a co-organisé à l’Assemblée nationale une journée d’étude rassemblant des historiens, des archivistes et des juristes, consacrée à cette question et diffusé en ligne l’intégralité des débats. L’idée y a été émise d’un recours devant le Conseil d’Etat pour obtenir la levée des entraves à l’accès à certaines archives concernant notamment ces disparitions. En effet, bien qu’une communication « de plein droit» découle de la loi en vigueur pour accéder aux archives de plus de 50 ans, une instruction interministérielle rend obligatoire une procédure de déclassification préalable pour tous les documents munis de tampon « secret », abondamment apposés par l’armée française en Algérie. L’effet de ce texte absurde est d’interrompre brutalement des centaines de travaux de recherche. Ce sont des décennies de notre histoire qui sont désormais soumises au bon vouloir et aux faibles moyens humains des administrations, alors que la loi les rend librement communicables s’ils sont antérieurs à 1970. Cela contredit la promesse du président de la République lors de sa visite à Josette Audin le 13 septembre 2018 d’une ouverture des archives de la guerre d’Algérie. Cette situation soulève une vives protestations d’historiens français et étrangers, d’archivistes et de citoyens. Un recours au Conseil d’État a été déposé. Le rapport de Benjamin Stora mentionne cette démarche.
D’autres propositions peuvent s’inscrire dans sa lignée. La venue en France de chercheurs algériens pour consulter les archives françaises doit être facilitée. Le travail du site 1000autres.org doit être reconnu et aidé par les autorités publiques et une collaboration entamée avec les équipes des Archives nationales qui ont commencé à travailler à un Guide des disparus. Le prix de mathématiques Maurice Audin, reprenant l’initiative du mathématicien Laurent Schwartz, qui est attribué à des mathématiciens algériens et français, dont le jury est composé de mathématiciens de renom, algériens et français, certains titulaires de la médaille Fields (Cédric Villani, Ngô Bảo Châu), soutenu en Algérie par la direction et le ministère de la recherche scientifique et en France par l’Institut Henri Poincaré et les sociétés de mathématiques, mérite d’être mieux connu et valorisé. Des moyens financiers durables doivent permettre de le pérenniser. Les chaires de mathématiques Maurice Audin qui sont en cours de création dans les deux pays doivent également être mieux encouragées.
La population algérienne réclame avec son hirak de se réapproprier son histoire. Un rapprochement des peuples algériens et français ne passe pas par des commissions opaques rassemblant dans le secret des hauts fonctionnaires français et des représentants des militaires au pouvoir en Algérie. Il passe par des échanges, réguliers et soutenus, dans de nombreux domaines, culturel, scientifique, sportif, entre les citoyens. De multiples pistes peuvent être avancées en s’appuyant sur le rapport de Benjamin Stora.
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(1) Gilles Manceron, Marianne et les colonies, La Découverte/Ligue des droits de l’homme, 2003.
(2) Pascal Bruckner, La Tyrannie de la pénitence : Essai sur le masochisme Occidental, Grasset, 2006 ; Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2008.
(3) Guy Pervillé, Histoire iconoclaste de la guerre d'Algérie et de sa mémoire, Vendémiaire, 2018.
(4) Entretien avec Frédéric Bobin publié dans Le monde le 22 janvier 2020.
(5) Algeria-Watch, 29 septembre 2009, « Fondation sur la guerre d’Algérie : La fondation 8 mai 45 réagit ». Ligue des droits de l’homme.
(6) Voir par exemple, La Dépêche de Kabylie, 7 mars 2005: « Loin de la Fondation du 8-Mai 1945, la tentation d’agir dans un esprit vindicatif ou revanchard. Cependant, il importe beaucoup pour le peuple algérien que la France officielle se décide enfin à reconnaître son implication dans les actes monstrueux et inhumains commis en son nom de 1830 à 1962 ».
(7) Entretien cité.
(8) Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001.
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 11 février 2021
Les réactions suscitées par le rapport Stora dans la gauche française
par Emmanuel Alcaraz*
En Algérie, les réactions se sont focalisées sur la formule « pas d'excuses, pas de repentance » que Stora nie avoir écrit. Voilà ce qu'il a rédigé : « Je ne sais pas si un nouveau discours d'excuses officielles suffira à apaiser les mémoires blessées, à combler le fossé mémoriel existant entre les deux pays. » S'en suit toute une démonstration montrant que les excuses du gouvernement japonais aux Coréens n'ont servi à rien et n'ont pas permis de calmer le ressentiment en Corée du Sud. Stora mise plutôt sur l'établissement et la reconnaissance des faits pour pacifier les mémoires. Sur ce point, il a bien raison. Suiteà la déclaration de l'Elysée au moment de la remise du rapport et aux réactions algériennes, Stora n'a peut-être pas écrit, « pas d'excuses, pas de repentance » comme il l'a dit récemment dans un entretien à TV5 Monde. Mais, il n'a pas écrit non plus qu'il était favorable aux excuses dans son rapport. Il a bien développé une argumentation montrant que les excuses ne permettaient pas de pacifier les mémoires. C'est bien qu'il n'y est pas favorable et c'est cette argumentation qui a été employée par l'Elysée pour justifier en 2021 son « pas d'excuse, pas de repentance ». Ce qui m'intéresse, ce n'est pas ce que pense le citoyen Benjamin Stora qui est peut-être favorable ou pas aux excuses, qui est peut-être trotskyste, socialiste, macronien ou encore gaulliste de gauche ou d'extrême-gauche comme Régis Debray, cela ne regarde que lui comme il ne se présente pas à une élection, ce qui est important pour nous, c'est ce qu'écrit l'historien Benjamin Stora dans son rapport, consultable en ligne, sur le site de l'Elysée, et qui va être édité par les éditions Albin Michel sous une forme plus développée. On peut regretter que les deux rapports Stora et Chikhi ne soient pas publiés ensemble avec une version en français et en arabe comme le président Macron souhaite le développement de l'arabe en France à l'école.
Beaucoup d'intellectuels sont fortement incitésà se positionner par rapport au rapport Stora qui est devenu l'étalon officiel de référence pour la République française concernant l'histoire et les mémoires franco-algériennes. Les commentaires, et aussi les miens comme je fais partie du lot, relèvent qui nous sommes, ainsi que les commentaires sur les commentaires des chercheurs, des intellectuels, des hommes politiques et de tous les acteurs engagés dans cette longue histoire. On peut les classer en plusieurs groupes, mon classement étant forcément subjectif.
A gauche, il y a ceux qui jugent totalement insuffisante la condamnation de la colonisation dans le rapport. Parmi eux, on peut mentionner le politologue Olivier Le Cour Grandmaison qui a écrit,sur son blog, sur le site de Mediapart,une charge critique intitulée « Sur le rapport de Benjamin Stora : le conseiller contre l'historien » et la militante « décoloniale » Françoise Vergès, nièce de l'avocat Jacques Vergès et fille du sénateur de la Réunion Paul Vergès. Les deux reprochent à l'historien ses liens avec Emmanuel Macron, d'avoir mis sa plume au service des objectifs politiques du président Macron, qu'ils classent tous deux à droite. C'est un mauvais procès faisant une confusion entre le professionnel, l'histoire, les opinions politiques et des considérations personnelles. On pourrait leur rétorquer que Jean-Luc Mélenchon des Insoumis(19, 58% aux élections présidentielles de 2017), un mouvement politique de gauche, avec des liens avec l'extrême-gauche à travers certaines personnalités et groupes militants, n'a jamais condamné la colonisation dans les termes employés par le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron en 2017 qui l'a qualifiée de crime contre l'humanité, ce qui lui a été reproché par la droite et l'extrême-droite française. Il est resté totalement silencieux sur le rapport. Le Parti communiste françaisa une position, dans la continuité, similaire à celle d'Emmanuel Macron en 2017, ce Parti ayant incarné, en dépit de certains détours, une forme de résistance à la guerre d'Algérie. C'est bien lui avec le Parti communiste algérien qui compte le plus de martyrs européens pour la cause algérienne avec notamment les morts de Charonne. Pour trouver une condamnation aussi ferme qu'Emmanuel Macron en 2017, il faut aussi se tourner vers des organisations politiques qui ne sont pas des partis de gouvernement n'ayant pas l'ambition de prendre le pouvoir par les urnes, mais par la révolution et la grève générale, Lutte ouvrière(O, 67% aux élections présidentielles de 2017) et le NPA(1,09%aux élections présidentielles de 2017), deux organisations trotskystes de révolutionnaires professionnels et vers le mouvement décolonial qui, en l'état, demeure embryonnaire en France, même après le mouvement Black lives matter, l'affaire George Floyd et après les mobilisations consécutives à l'affaire Adama Traoré, un jeune homme mort dans une gendarmerie à Persan-Beaumont dans l'Oise après son arrestation en 2016.Il jouit cependant d'une certaine aura dans certains milieux intellectuels et dans certaines sphères militantes. Dans les territoires sensibles de la République, il a une faible influence.Certains dirigeants politiques, de sensibilité écologiste, à l'exemple de la sénatrice, qui est aussi historienne, Esther Benbassa, a un engagement décolonial en ayant participé à un séminaire organisé par Europe Ecologie les Verts, « l'histoire coloniale : une histoire à déboulonner » en 2020. Il est vrai que la mise en exploitation des ressources de la planète par le système colonial a contribué au changement global au cours du XXe siècle. C'est un facteur indéniable. Cela s'est poursuivi après les décolonisations. On voit l'ampleur de la catastrophe écologique suscitée par les modes de production capitalistes.
Par rapport à la présentation de ces commentaires, il estdifficile de classer Emmanuel Macron, selon le traditionnel clivage droite gauche, comme il se dit de gauche sur certaines questions et de droite pour d'autres. Il a mené une politique économique plutôt libérale, mais il a cherché aussi à protéger les Français pendant la pandémie de Covid en hésitant pas à augmenter de manière importante la dette publique. Sur des questions sociétales, il a su aussi se montrer progressiste. Il faut aussi penser la complexité. Tout n'est pas blanc ou noir. Il parait hasardeux comme le fait FrançoiseVergès dans un entretien à Sputnik de reprocher à l'historien Benjamin Stora de ne pas mentionner toutes les exactions commises par le colonisateur alors qu'il suffit de consulter les ouvrages de Stora pour les y trouver, des enfumades au napalm. Il me semble que tout y est. Le tort de Stora a été de botter en touche les excuses officielles selon ces intellectuels militants. Eh bien, s'il avait écrit dans le rapport, je demande les excuses. Vous n'auriez pas eu les excuses et en 2022, vous auriez vu l'accroissement des chances de Marine Le Pen de se faire éliregrâce au déchainement, entre autres, de Eric Zemmour, intellectuel, journaliste et polémiste redoutable, et de ses amis. Compte tenu du poids de l'immigration algérienne en France, cela n'aurait pas été une bonne chose pour l'Algérie et pour les relations économiques entre les deux pays qui se sont poursuivies tant bien que mal, malgré tout, depuis 1962.Rappelons aussi que Sputnik est un instrument d'influence russe en France, qui assure un suivi conséquent à Marine Le Pen. Sa ligne est proche des médias souverainistes, à l'exemple de Valeurs Actuelles. Le choix du media n'est peut-être pas très judicieux pour exprimer des thèses décoloniales, qui certes ont eu au moins le mérite de soulever le problème du racisme dans la société française et de l'insuffisante représentation de la diversité en France.
Enfin, il y a les soutiens, plutôt proches de l'historien français, avec parfois quelques critiques. Je pense à Gilles Manceron et à Alain Ruscio, l'historien et journaliste proche du Parti communiste français, qui parle d'une brèche ouverte par ce rapport. Je partage ce point de vue comme je l'ai écrit en disant que s'il s'agit bien d'un rapport pour l'Etat français, il propose une démarche originale, celle d'une commission de justice transitionnelle, même si la mise en œuvre parait ouvrir un long processus semé d'embuches. J'ai trouvé aussi que ce rapport n'était pas assez critique à l'égard des ambiguïtés de la politique du général de Gaulle, même si à titrepersonnel, je suis comme la plupart des Français un admirateur de l'homme du 18 juin, qui a permis à la France d'être représenté dans le camp des vainqueurs à la fin de la seconde guerre mondiale et de sa politique d'indépendance nationale qui a cherché à moderniser le pays.
A titre personnel, je n'aurais pas parlé de repentances ou d'excuses dans un travail d'historien parce que cette décision relève du pouvoir politique. Il fallait simplement expliquer les faits, l'état de la recherche, pour servir de rapport préparatoire pour la Commission Mémoires et Vérité. En clair, il ne fallait pas donner la conclusion dès le départ, mais laisser les autorités politiques la prendre à la fin du processus de justice transitionnelle en fournissant une expertise scientifique solide qui est d'ailleurs bien donnée dans ce travail. Abdelmadjid Chikhi a la possibilité de rectifier le tir comme son rapport a une égale importance à celui de Stora. D'une certaine manière, le rapport Stora, probablement sans le vouloir, a réussi à accomplir un des objectifs politiques du macronisme : fracturer encore plus la gauche sur la question du passé colonial pour que le président soit le seul recours face à l'extrême-droite. On comprend mieux pourquoi Jean-Luc Mélenchon est resté silencieux sur le rapport Stora. A titre personnel, je suis cité dans ce rapport pour une phrase tirée d'un article du Quotidien d'Oran, du 22 décembre 2018, selon laquelle Emmanuel Alcaraz dénonce « les propos de ceux qui « pointent les atrocités commises des deux côtés cherchant un équilibre qui méconnaît les causes fondamentales de la lutte contre les dénis de droits, la dépossession et la répression continue, mais à chaque fois, ils cherchent à mettre en avant la responsabilité du FLN et à minorer celle de la France coloniale ».C'est toujours ma position y compris dans mon prochain livre Histoire de l'Algérie et de ses mémoires des origines au hirak à paraître chez Karthala. Je traite sans tabou de tous les aspects de la guerre d'Algérie, y compris les aspects franco-français, en cherchant à prendre en compte la complexité en voulant neutraliser les scories idéologiques, éviter le manichéisme et les jugements moraux, ce à quoi se sont attachés des historiens, avec toutes leurs différences, comme Benjamin Stora, Guy Pervillé et Daniel Rivet, formés par leur maître Charles-Robert Ageron, inspiration que j'ai sans cesse recherchée en voulant à chaque fois réfléchir et progresser avec mes modestes capacités et mes modestes moyens, tout en développant une approche spécifique.
Je me permets, ce que je ne ferai pas en France, compte tenu qu'il s'agit d'une République laïque, d'adresser aux Algériens, un argument religieux. Qui seul a le pouvoir de pardonner ? C'est Dieu qui est miséricordieux. Que vaut la demande de pardon d'un Etat ? N'est-il pas « le plus froid de tous les monstres froids » comme le disait Nietzsche ?Le pardon est un don, un acte d'amour pour son prochain. L'islam ne fait pas du pardon une obligation. Selon les croyances des musulmans, Dieu ne demande pas aux musulmans quelque chose au-delà de leurs forces. Le pardon peut être encouragé, demandé, mais pas exigé.Avec ce processus de justice transitionnelle proposé par Stora, il est possible de soulager sa conscience en reconnaissant les faits, établis par les historiens, et de sortir du ressentiment pour construire un avenir meilleur.Si le gouvernement français veut faire réparation, l'annulation par la France de la dette de ses anciennes colonies peut être une piste intéressante. Je sais bien que l'Algérie n'a pas besoin avec ses ressources et son potentiel de l'aide économique de la France. Mais, le gouvernement français pourrait faire des gestes désintéressés en faveur du développement de pays anciennement colonisés, à l'exemple de la Tunisie, sœur de l'Algérie, qui ne demande pas d'excuses par exemple, mais qui, elle aussi, a souffert en lien avec l'affaire algérienne, de Sakiet Sidi Youssef, et sous la présidence du général de Gaulle, de la crise de la base de Bizerte en 1961, qui a un lien avec la crise algérienne. Ces gestes peuvent aussi concerner des pays anciennement colonisés par les Britanniques comme le Kenya qui a souffert de la guerre Mau Mauou des anciennes colonies lusophones comme l'Angola dont les guerres de décolonisation se sont poursuivies jusque dans les années 1970.
Enfin, pour les réactions hostiles en France, il faut mentionner celle de Fatima Besnaci-Lancou, fille de harki, qui a soutenu sa thèse sous la direction deOlivier Dard de l'université Paris Sorbonne et de Benjamin Stora de l'université Paris XIII. Fatima Besnaci-Lancou milite dans une association Harkis et droits de l'homme, classée au centre-gauche. Son livre, tiré de sa thèse a été édité aux éditions du Croquant, qui édite la revue Savoir Agir, dirigée par le militant syndical Louis Weber, dans la collection d'Aïssa Kadri. Venant régulièrement en Algérie, je connais la mémoire algérienne concernant les harkis. Je me rappelle d'une dame qui m'a raconté que son mari était au maquis et que les harkis sont venus, et qu'ils ont tué un de ses jeunes fils. Quantités de témoignages similaires existent en Algérie. Je vous ai raconté la décision prise par le général de Gaulle d'abandonner ces hommes ayant choisi de porter l'uniforme français et leurs familles pour qu'ils restent dans la terre de leurs ancêtres, sous la terre, serait le terme exact. Le général, en nationaliste, en soldat, avait du respect pour le FLN, à qui il avait proposé la paix des braves. Je ne vous donnerai pas d'analyse ici sur le choix de ces hommes, de ces soldats français, obéissant à des motivations souvent plus complexes qu'il n'y parait, liées à leur société d'origine. Je connais l'opinion algérienne à ce sujet. Je sais que cela ne servirait à rien en l'état de vous l'expliquer. Mais, la décision du général est terrible. Et, ce n'est pas l'OAS qui en est la cause principale comme le dit le rapport Stora. Ce n'est qu'une cause conjoncturelle, pas la cause profonde. C'est certainement une des raisons pour laquelle Gilles Manceron, intellectuel, et militant des droits de tous les hommes, a accepté de co-diriger l'ouvrage de Fatima Besnaci-Lancou sur les harkis et la raison pour laquelle Aïssa Kadri, sociologue algérien, a accepté d'éditer son travail dans sa collection.
*Docteur en histoire
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