La littérature moderne algérienne de langue française
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Entretien avec Maïssa BEY, Salim BACHI et Boualem SANSAL.
Contribution adressée à la revue Etudes francophones, Université de Louisiane. Etats-Unis.
Ahmed HANIFI, mai 2009.
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Entretien avec Maïssa BEY, Salim BACHI et Boualem SANSAL.
Contribution adressée à la revue Etudes francophones, Université de Louisiane. Etats-Unis.
Ahmed HANIFI, mai 2009.
Trois périodes marquent la littérature algérienne de langue française. La première est celle qui la vit naître et se confirmer. La deuxième couvre la guerre d’Algérie et les premières décennies de l’Algérie indépendante. La dernière enfin est celle qui s’ouvre avec la disparition du parti unique. Trois représentants emblématiques de la littérature moderne algérienne nous accordèrent au courant de ce mois un entretien commun que nous vous proposons.
Le premier récit algérien de langue française date de la première partie de la colonisation française (1830-1962). Il revient à Ben Rahal Si M’hamed qui écrit en 1891 une nouvelle intitulée La vengeance du cheikh (Ferenc Hardi 7). D’autres écrits comme les poèmes de Athman Ben Salah furent édités durant la même période. La littérature algérienne d’expression française se développa durant les premières années du 20° siècle. Musulmans et chrétiennes, un roman-feuilleton de Ahmed Bouri fut publié (partiellement) en 1912 dans une revue d’Oran. « Généralement tous les critiques acceptent pour date de naissance du roman algérien l’année 1920 avec la publication de Ahmed Ben Moustapha, goumier de Mohamed Ben Si Ahmed Ben Chérif » (Ferenc Hardi 8). Elle s’affermit avec Jean El-Mouhoub Amrouche, Caïd Bencherif, Abdelkader Hadj-Slimane, Mohammed Ould Cheikh… Selon Ahmed Lanasri cette littérature se caractérisait essentiellement par son ambigüité (Ahmed Lanasri 8).
Durant la guerre d’indépendance (1954—1962) la littérature algérienne de langue française représentée par Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Mouloud Féraoun, Malek Haddad, Assia Djebar, Jean Senac…, sans jamais renoncer à l’esthétique, fut une littérature de souffrance, de révolte, de lutte. La littérature algérienne des années de guerre « si elle est de langue française, elle est nécessairement traversée par l’imaginaire maghrébin qui la travaille en retour (…) Elle se confondra avec le mouvement de l’histoire de son pays » (Hafid Gafaïti 13). Le français est alors vécu et défini selon les mots de Malek Haddad et de Kateb Yacine, respectivement comme « une langue d’exil » (Tahar Bekri 23) ou comme « un butin de guerre » (Benamar Mediène 144).
L’indépendance acquise, la littérature algérienne d’expression française ne disparaît pas, contrairement aux attendus idéologiques de l’époque relatifs à l’intérêt d’écrire dans la langue de l’ancien colonisateur. Elle est désignée sociologiste et ne rompt pas avec la littérature de lutte. « Dans le contexte global des sociétés maghrébines en général et algérienne en particulier, pendant le combat nationaliste et après les Indépendances, la question du sens idéologique de l’œuvre littéraire ne se pose pas. Elle est acquise par définition : le texte est expression de l’identité collective et l’écrivain se doit d’être le porte-parole de son peuple » (Gafaiti 15). Selon Charles Bonn « les romans algériens parus entre 1967 et 1980 répondent d’une façon simpliste à la commande de l’idéologie officielle algérienne » (Charles Bonn 168).
A partir de 1989, lorsqu’une forme de liberté d’expression s’imposa au pays entier à la suite des dramatiques événements d’octobre 1988 (1), une autre littérature surgit. Elle est décomplexée, indépendante, insoumise aux injonctions médiatiques, politiques ou circonstancielles. Certes les œuvres littéraires, dit-on, témoignent toujours, même indirectement, de leur époque, de leur société. Néanmoins, les écrits qui parviennent à s’extraire du témoignage ou du libelle, de l’éphémère en quelque sorte, ceux qui soignent la syntaxe et ont pour visée l’esthétique, sont ceux-là même qui estampillent l’histoire de la littérature.
La nouvelle littérature algérienne d’expression française, ou « littérature-monde en français » (2) est marquée de plus en plus par la distanciation. Sans se plier au réel de surface sans envergure, mais sans pour autant se démarquer de l’Histoire, elle porte un intérêt plus important au signifiant. Elle répond de mieux en mieux aux exigences stylistiques. Des dizaines d’auteurs se révèlent durant la décennie 1990 et suivante, parmi lesquels : Abdelkader Djemaï (ancien journaliste), Yasmina Khadra (handicapé par sa longue carrière militaire), Noureddine Saadi, Amin Zaoui… Mais les représentants les plus doués de cette nouvelle écriture sont incontestablement Maïssa Bey, Salim Bachi et Boualem Sansal. Ils en constituent aujourd’hui la colonne vertébrale. Ils forment à eux trois « un puissant courant d’écriture » inévitable qui fait l’objet d’études universitaires tant algériennes que françaises notamment. Plusieurs de leurs ouvrages furent primés.
Leurs premiers écrits remontent aux années les plus sombres de l’histoire de l’Algérie indépendante. Ils en sont fortement marqués. C’est en 1996 que fut édité Au commencement était la mer de Maïssa Bey (Editions Marsa, Paris), une diatribe contre l’islamisme, contre la régression. « Des lois sont édictées chaque jour au nom d’un ordre nouveau, rédempteur, par des prosélytes d’un autre âge, et chaque jour plus nombreux, chaque jour plus féroces » (Maïssa Bey Au commencement 70). Boualem Sansal publia Le serment des Barbares (Editions Gallimard, Paris) en 1999. C’est une majestueuse fresque de la réalité chaotique algérienne. C’est en 2001 que Salim Bachi se révéla avec Le chien d’Ulysse (Editions Gallimard, Paris), une odyssée mêlant mythes et réalité. Le narrateur (tous les Algériens) est (sont) en quête de sens. Il (ils) plonge (ent) dans le passé pour l’interroger, le réinterpréter. Pour se construire.
La décennie qui suivit l’interruption en janvier 1992 par l’armée des premières élections législatives pluralistes, fut marquée par une guerre civile qui fit plus de 150 000 morts, des milliers de disparitions forcées, des dizaines de milliers de traumatisés et des centaines de milliers de déplacés. Une décennie perdue dont la responsabilité incombe à la fois au régime autoritaire et au radicalisme islamiste. Des dizaines de milliers d’Algériens quittèrent le pays. Salim Bachi vit en France depuis 1997. Samia Benameur choisit de ne pas quitter l’Algérie mais écrit sous le pseudonyme de Maïssa Bey, qu’elle conserve depuis. Boualem Sansal décide également de rester au pays.
Aujourd’hui leur œuvre s’est étoffée. Ils ont chacun écrit cinq romans, de nombreuses nouvelles, essais et divers articles. Plusieurs ouvrages de Maïssa Bey sont adaptés au théâtre. Le talent littéraire de ces auteurs est reconnu. Ils sont traduits dans de nombreux pays. Il reste que certaines de leurs œuvres sont interdites de vente dans leur propre pays ; ainsi Le Village de l’Allemand, Poste restante Alger, Tuez-les tous… Boualem Sansal a été licencié de son poste de travail en 2003 en raison de ses déclarations.
Maïssa Bey, Salim Bachi et Boualem Sansal s’ingénient à inventer des « personnages en papier » (Maïssa Bey), des êtres faits de papier et d’encre, des homuncules, « formes ombreuses mais ingénieuses au travail desquelles, disait William Faulkner, je devais de pouvoir réaffirmer les impulsions de mon propre égo dans le monde réel mais dénué de stabilité » (Michel Gresset 1087). Et cela leur réussit tellement bien.
L’écriture magistralement guidée de Maïssa Bey se caractérise à la fois par une grande retenue, une pudeur élégante et par une poésie filigranée. Choisis avec minutie, les mots qu’elle aligne décrivent avec force et précision une société sclérosée par le poids lourd de son histoire et qui se retourne contre ses membres les plus fragiles, particulièrement les femmes qu’elle violente, qu’elle dissimule, qu’elle ignore ou assigne à la seule procréation. Aucun mot, aucune expression ne déborde de son propre périmètre. D’un point de départ à un autre, jusqu’au final, l’écriture chemine sans superflu, de mot-clé en mot-lien. Les phrases sont plutôt sèches ou courtes, mais radicalement efficaces. Elle « traque le mot juste, nous dit-elle, jusqu’au moment où il vient trouver sa place dans la phrase ».
Salim Bachi jongle avec les mots et notre impatience. Il est un architecte exigeant, un spécialiste « des envolées lyriques absconses » (Salim Bachi Autoportrait 113), un chef d’orchestre sophistiqué qui peut délicatement agacer par l’agencement de son spectacle, circulaire, tourbillonnant, parfois enivrant. Il nous invite à plonger au-delà des mots dans un univers où, tels des balises d’orientation immanquables, personnages du passé ou contemporains, voix uniques ou polyphoniques, lieux éloignés ou proches, temps passés ou présents, s’entrecroisent et s’entremêlent pour structurer des histoires en apparence éclatées, en apparence seulement. On devine, dissimulées derrière certaines tournures, derrière certaines expressions ou allusions posées comme des indices, les ombres admiratives de Faulkner, de Joyce ou de Dujardin.
Dans tous ses romans Boualem Sansal met l’Algérie à nu, l'Algérie d'aujourd'hui, schizophrène, plus hantée par son passé décomposé et travesti que par son devenir. Les personnages sont à la fois réels et fictifs, tourmentés par leur destin. Les lieux sont chaotiques, blessés tout autant que les hommes qui les hantent, tout aussi merveilleux qu'eux. L'écriture pleine de bifurcations et « fuyant par tous les bouts » est artificiellement provocante. La raillerie et l'humour postés aux avant-gardes, abritent en définitive des tragédies vivantes enchaînées dans des culs-de-sacs infranchissables où « il ne se passe rien. Comme dans un cimetière, un jour d'automne d'une année morte dans un village abandonné d'une lointaine campagne d'un pays perdu d'un monde mal fichu. » (Harraga 237). L’écriture de cet auteur se nourrit de toutes les souffrances algériennes. Son indignation sourdre de l’intérieur même des mots à fragmentation, catapultés contre tous les archaïsmes sociétaux, toutes les trahisons politiques. L'esthétique, telle un nectar, imbibe le récit qui explose, emportant tout sur son passage, tel un oued révolté par sa propre crue, atteignant le lecteur attentif au plus profond de ses certitudes. Nous vous proposons un extrait de chacun des trois auteurs. Le premier est de Boualem Sansal, le suivant de Salim Bachi, le troisième de Maïssa Bey.
Tonton Ali était dans son lit, il regardait le plafond, quelque part au fond de sa tête. Dans sa chambre, j’ai lu et relu le journal de Rachel, le passage sur son voyage au bled, l’aéroport, les policiers qui dévisagent les arrivants et qui d’un claquement de doigts font sortir les suspects du rang, l’atmosphère de camp d’extermination qui règne dans les rues d’Alger, les taxis clandestins qui abandonnent leurs clients en rase campagne, les faux barrages, les gendarmes terrés dans leurs blockhaus, la nature qui souffre le martyre. Curieux sentiment, plutôt que de me décourager le tableau noir m’a encouragé. Je n’ai jamais pensé que remonter à la source des choses était chose facile. Tout a un prix. J’étais prêt à le payer. Rachel parlait de chemin de Damas, je ne sais pas à quoi ça renvoie mais ça doit être ça : le chemin d’Alger. (Le village de l’Allemand 141).
Les rues de Cyrtha dormaient. Je tremblais en essayant d’avancer dans la nuit. Un filet de sang coulait sur ma joue, mes lèvres et mes dents. Personne n’osait se balader à cette heure tardive. Depuis le début des événements, on ne s’attardait guère la nuit à Cyrtha. Combien ont été assassinés par mégarde ? Comme ce fou. Ithaque : un nom aux sonorités exotiques. Il cherchait son chemin à travers les méandres de son esprit. Comme moi. Et la ville, enchevêtrée, ressemblait à son esprit. Un embrouillamini de ruelles, de venelles glissantes -on n’y distinguait pas un homme- parcourait la face vieillie de Cyrtha. Ithaque devait ressembler à ce cancer de pierres. Traverser une mer pour finir dans les bras d’une monstruosité. Le fou raisonnait juste. Chercher cette cité, c’était retourner sur les lieux mêmes de sa folie, retrouver le nœud premier. Serpents, emmêlés sur un cadavre, luisaient, à trois heures du matin, sur ma peau, mes rêves. (Le chien d’Ulysse 238).
Là, un homme couché près d’une porte cochère. Agonisant. Des bulles de sang affleurent au coin de ses lèvres. Le jeune homme qui vient de lui tirer une balle dans la nuque souffle sur le canon de son arme comme il l’a vu faire dans les westerns. Puis il se dirige vers la voiture qui l’attend, moteur allumé, portière ouverte. Il monte. Il s’assoit à côté de son compagnon qui démarre en trombe. Première cible de la journée à inscrire à leur tableau de chasse. Ils vont probablement continuer tout le jour leur mortelle randonnée. Plus loin, par terre, on dirait un paquet informe de linge blanc ensanglanté. C’est une femme que quelqu’un a charitablement recouverte de son haïk. Ses mains serrent toujours son filet à provisions. Encore une femme de ménage, encore une victime de « l’opération fatmas », se disent les passants qui font un détour pour éviter le cadavre qui reste là, jusqu’à ce que l’une des ambulances débordées vienne l’emmener à la morgue de l’hôpital. (Pierre Sang Papier ou Cendre 183-184.)
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Notes :
1- En octobre 1988, du 5 au 12, des émeutes ont secoué l’ensemble des grandes villes de l’Algérie. Ces révoltes, réprimées par les militaires, se sont soldées par la mort de plus de 500 personnes. Elles ont été à la source d’une nouvelle Constitution et de la reconnaissance du pluralisme politique.
2- Par un manifeste qu’ils font paraître le 15 mars 2007, alors même que plusieurs prix littéraires parisiens récompensaient quelques mois plus tôt des auteurs d’outre-France, 44 écrivains (dont Boualem Sansal) affirment l’émergence d’une « littérature-monde en français » en opposition au concept de francophonie, dépassé. Le français échappe aujourd’hui à la France qui, disent-ils, « n’en a plus l’exclusive propriété ». Post n° 54 in http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com
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LES SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Salim BACHI. Autoportrait avec Grenade. Paris : Editions du Rocher, 2005. 189 pages.
- Salim BACHI. Le chien d’Ulysse. Paris : Editions Gallimard, 2001. 258 pages.
- Tahar BEKRI. Malek Haddad, l’œuvre romanesque. Pour une poétique de la littérature maghrébine de langue française. Paris : Editions L’Harmattan, 1986. 215 pages.
- Maïssa BEY. Au commencement était la mer… Paris/Alger : Editions Marsa, 1996, 2001. 120 pages.
- Maïssa BEY. L’une et l’autre. Le Moulin du Château : Editions de l’Aube, 2009. 59 pages.
- Maïssa BEY. Pierre Sang Papier ou Cendre. Le Moulin du Château : Editions de l’Aube, 2008. 206 pages.
- Charles BONN. Le roman algérien de langue française. Vers un espace de communication littéraire décolonisé ? Paris : Editions L’Harmattan, 1985. 359 pages.
- Hafid GAFAITI. Les femmes dans le roman algérien. Paris : Editions L’Harmattan, 1996. 350 pages.
- Michel GRESSET. Faulkner, œuvres romanesques. Paris : Editions Gallimard/ la Pléiade, 1977. 1607 pages.
- Ferenc HARDI. Le roman algérien de langue française de l’entre-deux-guerres : discours idéologique et quête identitaire. Paris : Editions L’Harmattan, 2005. 270 pages.
- Ahmed LANASRI. La littérature algérienne de l’entre-deux-guerres, genèse et fonctionnement. Paris : Editions Publisud, 1995. 565 pages.
- Dominique LE BOUCHER. « Lecture/Dialogue. » ALGERIE LITTERATURE/ACTION Numéro 55/56. Novembre-décembre 2001 : 266 pages.
- Benamar MEDIENE. Paris : Kateb Yacine, le cœur entre les dents. Editions Robert Laffont, 2006. 344 pages.
- Bouba MOHAMMEDI TABTI. Blida : Maïssa Bey, l’écriture des silences. Editions du Tell, 2007. 128 pages.
- Boualem SANSAL. Harraga. Editions Gallimard, 2005. 272 pages.
- Boualem SANSAL. Paris : Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. Editions Gallimard, 2008. 264 pages.
Voici l’entretien que nous ont accordé dans le cadre des travaux de la Revue Etudes francophones de l’Université de Louisiane, Maïssa Bey, Salim Bachi et Boualem Sansal.
Ahmed Hanifi : Comment êtes vous « tombés » dans l’écriture ? Vous Salim Bachi, vous avez toujours écrit. Boualem Sansal vous avez été encouragé par votre ami Rachid Mimouni. Quant à vous Maïssa Bey vous avez dit avoir eu envie très jeune d’écrire mais que vous aviez peur de ne pas être à la hauteur « l’exigence se faisant frein » (Bouba Mohammedi Tabti 67) ?
Maïssa Bey : Je dirais plutôt que je suis « arrivée » jusqu’à l’écriture, parce qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour me décider à considérer que ce que j’écrivais, jusqu’alors pour moi et seulement pour moi, pouvait être soumis à d’autres regards que le mien. Ayant d’abord et avant tout été lectrice, l’écriture me semblait être un territoire « réservé » où je ne pouvais songer à m’aventurer. Ce sont sans doute les circonstances particulières que nous avons vécues durant la dernière décennie qui ont fait naître en moi le désir de prendre le risque du dévoilement, de la mise en lumière et donc du jugement.
Salim Bachi : Depuis que j’ai quinze ans, j’ai toujours écrit, avec plus ou moins de régularité. J’ai commencé par écrire de la poésie, ensuite je suis passé à la prose.
Boualem Sansal : Oui, l’impulsion est venue de mon regretté ami Rachid Mimouni. Nous étions amis, collègues de travail, voisins de palier, et compagnons de sorties, nous passions beaucoup de temps ensemble, avec d’autres amis, et, bien évidemment, la littérature était au cœur de nos discussions, qui souvent se terminaient tard dans la nuit. Il en avait une formidable connaissance, il était un grand écrivain mais aussi un immense lecteur. Il m’a beaucoup appris et, voyant sans doute quelques dispositions en moi, il m’a encouragé à écrire. Puis est venue la guerre civile. Nous parlions toujours de littérature mais aussi de l’engagement politique et du rôle de la littérature dans le combat politique. Alors, à mon tour, nécessité faisant loi, je me suis engagé à la fois en littérature et dans le combat politique.
Vous écrivez tous dans plusieurs registres, avez-vous pensé à écrire directement des pièces de théâtre (plusieurs textes de M. Bey ont été adaptés au théâtre) ?
Maïssa Bey : Je n’ai jamais pensé à écrire des pièces de théâtre mais c’est le théâtre qui est venu à moi. Presque tous mes textes ont été adaptés pour le théâtre et, il y a quelques années, un metteur en scène m’a demandé d’écrire une petite pièce qui a été très vite suivie d’une autre commande pour une scène nationale en France. C’est alors que je me suis mise à l’écriture théâtrale.
Salim Bachi : J’y ai pensé mais cela ne s’est pas encore fait. Le théâtre est un projet collectif, et je n’ai encore trouvé personne que l’aventure intéressait.
Boualem Sansal : La littérature est une aventure. Dès qu’on ouvre une porte, celle du roman dans mon cas, il s’en présente une autre, qu’on a aussitôt envie d’ouvrir. Après quatre romans, j’ai tenté le pamphlet avec Poste restante Alger puis l’essai avec Petit éloge de la mémoire. Ce furent de petites tentatives mais elles m’ont valu beaucoup d’ennuis. Lorsqu’en 2003 France Culture m’a proposé d’écrire une pièce radiophonique, j’ai sauté sur l’occasion. J’ai découvert que c’était une écriture particulière, très difficile, très contraignante. Puis je suis revenu au roman sous forme de journal avec Le village de l’Allemand.
« Tout ce que j’écris est vrai » dites-vous Boualem Sansal. Maïssa Bey vous nous aviez dit il y a quelques temps que Sous le jasmin la nuit est « le fruit d’expériences vécues », vous avez écrit Entendez-vous dans les montagnes. Vous Salim Bachi vous avez écrit Autoportrait avec Grenade. Vos expériences de vie se traduisent fortement et très joliment dans vos différents écrits. La réalité n’est-elle pas précisément celle qui réside dans les mots comme le disait Nathalie Sarraute ?
Maïssa Bey : Oui, ce sont les mots qui donnent corps à la réalité. A partir du moment où chaque personnage est inséré dans un contexte qui n’est autre que celui dans lequel nous puisons les situations que nous mettons en scène dans nos romans. Je repense à cette citation de Stendhal qui affirmait que « le roman est un miroir que l’on promène le long d’un chemin ». Cependant il est vrai aussi que les écrivains n’empruntent pas tous le même chemin, et c’est heureux, c’est pourquoi leurs œuvres ne réfractent pas toutes la même image…
Salim Bachi : Je dirai que la vérité se niche entre les mots. Ma vie se dilue sur la page blanche pour former d’étranges figures qui parfois m’étonnent moi-même. Je suis le lecteur de ma vie, qui est souvent un songe.
Boualem Sansal : Il y a réalité et réalité. La réalité profonde est une abstraction, elle est insaisissable, il n’y a pas de mots pour la dire. Peut-être peut-on s’en approcher avec le langage mathématique, mais au niveau où se situent ses concepts, ils sont bien rares dans le monde ceux qui les entendent. La littérature est le monde de la croyance, de la subjectivité, du relatif, du momentané, comme l’est toute expérience de vie, comme le sont toutes les histoires humaines. La réalité est celle qui réside dans les émotions qu’elle provoque en nous. Après on trouve ou pas les mots pour dire ces émotions.
La littérature algérienne qui a émergé autour de l’an 2000 s’est substituée à une littérature fortement idéologisée, sociologiste, des années précédentes, fortement engluée dans le social-réalisme. Le roman se doit-il d’être un simple miroir du réel ou bien un miroir esthétiquement déformant « que l’on promène le long d’un chemin » ?
Boualem Sansal : Tous les romans sont possibles et nécessaires. On ne se nourrit pas que d’un seul aliment et tous les publics n’ont pas les mêmes besoins. L’essentiel est qu’ils soient de bonne qualité. La qualité a un pouvoir structurant extraordinaire, autant pour l’auteur qui s’évertue à la rechercher que pour le lecteur à qui elle donne du plaisir et ensuite l’envie de cultiver son goût pour les belles choses.
Salim Bachi : Je ne sais pas. J’ai ma propre idée, mais je ne suis pas là pour donner des leçons d’écriture. L’essentiel est d’écrire un bon livre, peu importe le chemin emprunté.
Maïssa Bey : Cela rejoint un peu ce que je disais.
Le Serment des barbares devait être un essai ?
Boualem Sansal : Au départ oui. Parce que telles étaient ma formation, et mes activités professionnelles d’alors, j’ai naturellement, spontanément, utilisé les instruments d’analyse en ma possession, la science économique, politique, et l’histoire, pour comprendre les réactions alchimiques qui agitaient la société algérienne en ces années noires de la guerre civile. L’essai s’est avéré un affreux galimatias pseudo scientifique qui n’expliquait rien. C’est peut-être dû tout simplement à ma faible connaissance de ces sciences. Je me suis tourné vers la littérature. Il en est sorti ce roman. Dire le quotidien et les réflexions basiques d’un simple inspecteur de police engagé dans une enquête criminelle m’a permis d’en apprendre bien plus sur le mystérieux drame qui frappait mon pays. Je n’exclus pas le fait que le roman a pu être lu comme un essai par de nombreux lecteurs.
Vos titres Maïssa Bey Pierre Sang Papier ou Cendre et Salim Bachi Le chien d’Ulysse renvoient à des auteurs qui ont marqué la littérature. Nuée ardente renvoie à Garcia Marquez m’avez-vous dit Salim Bachi. Quels sont les auteurs étrangers, notamment nord-américains, que vous appréciez ou qui vous influencent ?
Maïssa Bey : J’aurais du mal à citer les noms des auteurs qui comptent pour moi. J’aurais peur d’en oublier tant ils sont nombreux. Que ce soit dans la littérature ou dans la poésie qui est indispensable à ma vie, depuis très longtemps. Il y a bien sûr des œuvres majeures, celles qui nous accompagnent tout au long de notre parcours, et d’autres, moins connues, et qui cependant laissent des traces et dont on peut retrouver des échos lointains parfois dans notre écriture. Pour ce qui des auteurs américains dont j’admire surtout la puissance narrative et la complexité de la structure romanesque que l’on ne retrouve pas dans la littérature française, s’il fallait des exemples, je pourrais citer bien entendu Faulkner, Fitzgerald, Dos Passos et plus récemment John Irving, Philip Roth, Toni Morrison ou encore Paul Auster, que je lis beaucoup. Peut-on pour autant parler d’influences ? Je préfère pour ma part dire que certaines œuvres m’ont nourrie, plus particulièrement les œuvres poétiques.
Salim Bachi : Nord-Américains : Faulkner est mon dieu ! Ensuite Hemingway, Steinbeck, Dos Passos en partie. Mais Faulkner est essentiel pour moi. En écrivant La Kahéna, par exemple, j’avais en tête Absalon ! Absalon !
Boualem Sansal : Je ne sais pas comment le système d’influence se construit en nous et autour de nous. C’est une alchimie complexe qui fait qu’à un moment donné on est comme ci et à un autre moment comme ça. Ce que je peux dire c’est que la part des auteurs nord-américains dans mon patrimoine littéraire est très grande. Il n’y a rien d’original à cela, je crois que ces auteurs ont influencé tous les écrivains du monde, la force de la littérature nord-américaine est à l’image de ce pays, immense, diverse, profonde, vivante, violente, romantique. Mais il y aussi en moi l’influence des écrivains sud-américains, russes, anglais, français, algériens.
Je ne peux pas davantage répondre à la question des titres que je donne à mes livres, ou qui en fait s’imposent à moi, généralement à la fin du processus d’écriture.
Lorsque durant plusieurs semaines ou mois, l’on se met dans la peau d’un autre (Boualem Sansal dans celle d’une pédiatre perdue, Maïssa Bey dans celle d’un homme, ou Salim Bachi dans la tête d’un tueur, même si le roman est écrit à la 3° personne) est-ce que l’on s’en sort facilement une fois le manuscrit achevé ?
Maïssa Bey : Il est vrai que pendant toute la phase d’écriture d’un roman, l’identification est totale. Il m’arrive même de me sentir totalement immergée dans la trame d’un roman au point que j’ai du mal à supporter les contraintes de la vie réelle… cela va même jusqu’au brouillage des repères quotidiens (sommeil, nourriture, temps à consacrer aux autres, et cetera). Mais dès que le roman est achevé (après de nombreuses relectures et corrections) il se produit un détachement presque immédiat et, autour de moi, tout reprend vie, couleur et consistance.
Salim Bachi : On en sort différent, transformé. Pour moi la littérature c’est la vie. Ecrire un livre c’est vivre de nouvelles expériences.
Boualem Sansal : Harraga est écrit à la première personne. Le narrateur est l’héroïne elle-même. Dans mon cas, la relation est complexe, dans la mesure où Lamia, l’héroïne de Harraga, a réellement existé et avec laquelle j’avais une relation d’amitié qui s’est fortement développée durant cette période qui a vu la petite Chérifa entrer dans sa vie, puis en sortir d’une manière tragique. J’étais partie prenante dans cette histoire. C’est donc d’emblée que je suis entré dans la peau de Lamia et à ce jour, je n’en suis pas vraiment sorti. Mais cela n’a rien à voir avec la technique narrative, c’est tout simplement que Lamia était une amie et que j’ai été intimement lié à son histoire avec Chérifa.
L’intertextualité, voire la récriture est fortement et délibérément présente dans vos écrits : Tuez-les tous, Pierre Sang Papier ou Cendre, Harraga…
Maïssa Bey : Dans l’œuvre que vous citez, c’est de propos délibéré, effectivement, que j’ai inséré dans le corps du texte des citations sans même respecter les codes, je veux dire sans guillemets, tout en remerciant, à la fin du livre, les auteurs à qui j’ai fait ces emprunts. Procédé non conventionnel qui pourrait étonner, mais qui se justifie par le thème même de l’œuvre.
Salim Bachi : Oui, c’est vrai. Je suis un homme de papier !
Boualem Sansal : Comment échapper à l’intertextualité ? On porte ses influences comme on porte ses gènes.
Salim Bachi comme Maïssa Bey, vous utilisez fréquemment les points de suspension mais aussi les aposiopèses comme une invite au lecteur, pour qu’il se positionne, qu’il décide. Mais aussi comme si ces figures de style ouvraient sur l’inconnu. Boualem Sansal vous préférez les points virgules et les phrases au long cours. Il n’est pas rare que vous jouiez avec la typographie. Qu’exprime ce jeu ?
Maïssa Bey : Comment ne pas se servir des nombreuses ressources de la typographie ? Je ne perds jamais de vue que l’objet livre est aussi œuvre graphique où tout prend sens : la structure, les blancs, les signes, la distribution des phrases et des paragraphes et tous procédés qui offrent au lecteur des pistes dans son parcours de lecture. Bien plus qu’un jeu, c’est à mon sens une façon d’inviter le lecteur à se faire une place à l’intérieur même de l’histoire, à se glisser dans les interstices…
Salim Bachi : J’essaye d’écrire avec ma tête mais aussi avec mes tripes, mes sentiments, et ceux-ci sont marqués parfois par des signes typographiques particuliers.
Boualem Sansal : Est-ce un jeu ? Non, la ponctuation comme la taille des phrases participent de l’écriture et même de l’histoire. Ici, il faut un dièse, un bémol et ailleurs un silence, ici une phrase courte s’impose et là une longue tirade. C’est la musique interne du roman qui impose ça, ce n’est pas la volonté de l’auteur. Le choix de la typographie tient à de simples considérations techniques.
A propos de musique, dans vos écrits vous faites référence à l’art et à la culture. Je pense au groupe Metallica, au film Hiroshima mon amour… dans Tuez-les tous (Salim Bachi), à Main de femme (Maïssa Bey) comme si vous vouliez donner à voir et à entendre vos textes. Vous dites Maïssa Bey dans un entretien (Algérie Littérature/Action 145) « lorsque j’écris j’entends les mots »
Salim Bachi : Je ne pensais pas particulièrement à Metallica en décrivant la boite de nuit dans Tuez-les tous… Une étudiante y a pensé pour moi. Il est toujours amusant, voire confondant de voir comment sont lus vos romans. Et c’est le lecteur qui a toujours raison, d’une certaine manière. Le livre terminé, il n’appartient plus à son auteur. Il se charge d’autres significations, il agrège d’autres lectures. Un peu comme un aimant.
Maïssa Bey : Flaubert, disait-on, passait toutes ses phrases à l’épreuve du « gueuloir », afin de vérifier si le rythme et la sonorité en étaient justes. Je ne gueule pas lorsque j’écris, rassurez-vous, mais le son et le rythme de chaque phrase que j’écris résonnent en moi et je traque le mot juste jusqu’au moment où il vient trouver sa place dans la phrase. C’est aussi une exigence de lectrice que heurtent parfois des dissonances, des problèmes d’euphonie qui viennent gâcher quelque peu le plaisir de lire.
Boualem Sansal : Oui je pense comme Maïssa, les mots ont une image et un son qui leur est propre. Un texte est une composition complexe : des mots, plus des couleurs, de la musique, des odeurs. Si un ingrédient manque, la sauce est fade.
D’une certaine manière Tuez-les tous est une copie de Le chien d’Ulysse. Le premier valant pour l’hécatombe du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le second pour la terreur qui a prévalu en Algérie durant les années 1990.
Salim Bachi : Oui j’ai dit cela. Mais ce sont deux angles différents. Dans Le chien d’Ulysse je donnais la parole à toute une génération. Dans Tuez-les tous, j’ai donné la parole à l’un des enfants de cette même génération.
La stratégie narrative vogue de Cyrtha à Ithaque et jusqu’en Amazonie. Entre Odyssée et Mille et une nuits.
Salim Bachi : Mon imaginaire m’entraîne très loin parfois. Je ne sais pas pourquoi. Il me semble que Les Mille et une nuits est le livre de tous les possibles, de toutes les aventures, de tous les voyages. Il en va de même de L’Odyssée. Je suis donc sous influence de ces textes.
Salim Bachi vous dites La Kahéna, plus que Le chien d’Ulysse, a été un travail sur l’Odyssée d’Homère.
Salim Bachi : Oui c’est vrai, et personne ne l’a remarqué jusqu’à présent ! Toute la structure de l’Odyssée est dans La Kahéna, alors qu’elle ne l’est que partiellement dans Le chien d’Ulysse. Le voyage en Amazonie, par exemple, est le voyage au royaume des morts… La narratrice dans La Kahéna est aussi bien Shéhérazade que Calypso. Samira est parfois Circé dans La Kahéna, et Louis Bergagna Ulysse. La Kahéna, la maison à la fois histoire et mémoire, se mue en antre magique où Circé opère toutes les métamorphoses symbolisées par le grand salon aux miroirs… Personne ne l’a vu. C’est mystérieux, non ?
Le monologue intérieur est démultiplié comme dans la nouvelle Histoire d’un mort. Une symphonie à plusieurs voix comme dans la tragédie de Compson dans Le bruit et la fureur.
Salim Bachi : Oui, Histoire d’un mort, c’est le calque de Tandis j’agonise. Mais Histoire d’un mort n’est qu’une nouvelle. A un moment j’ai eu le désir d’en faire un roman. Mais cela revenait à écrire ce qui l’avait déjà été. L’intertextualité à parfois des limites pour un romancier. Je ne crois pas que Pierre Ménard réécrivait le Quichotte.
Vos romans s’interpellent, on retrouve les mêmes personnages dans différents écrits. Les personnages de Les douze contes de minuit entrelacent ceux d’autres romans ou nouvelles : La Kahéna, Tuez-les tous…
Salim Bachi : Oui ce sont mes livres, mes enfants, une grande famille.
Dans Le chien d’Ulysse, le personnage principal, Hocine est reconnu par son chien Argos mais pas par ses frères.
Salim Bachi : Les braves gens ne courent pas les rues, pour emprunter un titre d’une nouvelle extraordinaire de Flannery O’Connor. Non, les braves gens ne courent pas les rues…
Les titres de vos écrits dissimulent plusieurs sens, plusieurs réalités : La Kahéna pour la reine Berbère, la métaphore de l’Algérie, Le Chien d’Ulysse pour l’Odyssée, L’autoportrait avec Grenade pour l’arme destructrice (notamment), qui éclatera dans Tuez-les tous, un roman écrit en même temps que L’Autoportrait.
Salim Bachi : Les deux livres ont été écrits en même temps et devraient être, idéalement, lus en même temps. Le jour pour Autoportrait et la nuit pour Tuez-les tous, le conscient et l’inconscient…
Maïssa Bey, la nouvelle En ce dernier matin m’a fait penser à Addie dans Tandis que j’agonise de Faulkner.
Maïssa Bey : Dans cette nouvelle, une femme se tient au seuil de la mort. Et tout autour d’elle tournoient des moments de sa vie, des bonheurs brefs et trop rares mais aussi des désirs qu’elle n’a pu réaliser parce que femme, vivant sous le joug d’une somme de contraintes aliénantes. Et le jour de sa mort est un jour où elle est, pour la première fois de sa vie, au centre de toutes les pensées et de tous les actes de ses proches… c’est aussi le cas de Addie, le personnage de Faulkner dont me revient, parce que vous en parlez, le souvenir. Et, même si je n’ai pas relu depuis longtemps cette œuvre magnifique, la comparaison me semble tout à fait intéressante et sans doute judicieuse, toutes proportions gardées, bien entendu !
Vos écrits tournent autour d’un noyau : la condition faite aux femmes par des hommes auxquels vous ne trouvez le plus souvent aucune indulgence.
Maïssa Bey : Je n’ai pas non plus d’indulgence pour les femmes, pour certaines d’entre elles du moins. Les mères, dans plusieurs de mes nouvelles par exemple… celles qui au nom de la sauvegarde de principes rigides et dépassés brident la vie de leurs filles et renforcent, par l’éducation qu’elles leur donnent, le sentiment de toute puissance de leurs fils… Toutefois, il suffit de jeter un regard sur la situation des femmes dans notre pays, maintenues en état d’infériorité par un dispositif juridique inique, approuvé par une majorité d’hommes, pour comprendre ma révolte et mon désir de « donner à voir » quelles en sont les conséquences immédiates et visibles sur leur vie. Ceci ne m’empêche pas de considérer que les hommes sont eux aussi otages de la régression programmée de notre société et que leur souffrance, de nature différente, n’en n’est pas moins réelle. Mais il est vrai aussi que beaucoup d’hommes font porter leur souffrance aux femmes… Il n‘est que de voir tous les messages de détresse lancés dans les rubriques « psycho » des journaux et revues.
Maïssa Bey, vous m’avez déclaré en marge du festival du livre de Mouans-Sartoux (Alpes maritimes) que le français est votre langue paternelle, un héritage paternel que vous faites fructifier.
Maïssa Bey : C’est un peu une boutade que, depuis, j’ai tenté d’expliquer par le fait que, s’il y a langue maternelle et dans ce cas, pour nous ce serait l’arabe algérien, (et pourquoi maternelle ? Les pères parlent aussi en cette langue à leurs enfants dès les premiers jours ! Encore une discrimination !) je pourrais dire que mon père, avant de mourir, parce qu’il m’a appris à lire et à écrire en français, m’a légué cette langue.
La question de la littérature francophone est-elle dépassée ? C’est une question polémique. Salim Bachi, vous écrivez sur votre blog [http://cyrtha.canalblog.com/] que ce qualificatif vous ennuie au plus haut point. Voici ce que Abdellatif Laabi a répondu lorsque nous lui avions posé la question lors du Maghreb des livres qui s’est tenu à Paris en février dernier. « Je ne suis pas, comme le dit si bien l’écrivain et poète Ashiya Oukassi Kya, un tirailleur Sénégalais de la langue française. Nous sommes des écrivains qui écrivent dans cette langue parce qu’ il y a une histoire qui a fait que nous avons été obligés d’écrire dans cette langue. On en prend acte et puis ça suffit. Par contre je refuse absolument d’être manipulé ou instrumentalisé dans une politique de la francophonie. »
Salim Bachi : Oui, c’est terminé. La littérature c’est la littérature comme disait Antoine Compagnon, qui a été brièvement mon professeur à la Sorbonne. La littérature c’est la littérature… Un pléonasme et un mystère inqualifiable. Quant à la réponse de Laabi elle est parfaite. Je n’ai rien à dire de plus.
Boualem Sansal : Le fait pour nous d’écrire en français n’est pas neutre, pour personne. L’histoire, les relations compliquées entre la France et les pays anciennement colonisés par elle, les données politiques et culturelles internes à nos pays, comptent dans le regard qui est porté par les uns et les autres sur cette littérature d’expression française. En tant qu’écrivain, je rejoins Abdelatif Laabi, il faut s’affranchir de toute tutelle, mais en tant qu’intellectuel, on peut s’engager dans la défense et la promotion d’une langue que l’on a en partage avec d’autres peuples et qui nous met en connexion avec d’autres langues (par le biais de la traduction et de l’adaptation). Si l’on ne comptait que sur la traduction des œuvres étrangères dans nos langues (l’arabe, le tamazight pour nous), je crois que nous ne serions pas loin d’être analphabètes, en tout cas ignorants du reste du monde.
Maïssa Bey : Si l’on s’en tient à la définition la plus simple de la francophonie, à savoir qu’elle « repose sur le sentiment d'appartenir à une communauté que fonde l'usage d'une langue, le français », je ne peux que me définir comme francophone, parce que je partage le point de vue de ceux qui pensent la langue comme un instrument qui permet l’accès à une culture et en même temps un outil de communication qui favorise les échanges. La francophonie c’est donc l’espace des diversités vivantes de la langue française. C’est cette notion d’ouverture et de métissage que refusent ceux qui ne voient dans la langue qu’un instrument au service d’une propagande idéologique. Et je n’ai aucun complexe à me dire francophone !
Charles Bonn [un des spécialistes de la littérature maghrébine] écrit que les romans algériens parus entre 1967 et 1980 répondent d’une façon simpliste à la commande de l’idéologie officielle algérienne.
Salim Bachi : Pas tous. Certains échappent comme La Répudiation de Rachid Boudjedra, Tombéza de Rachid Mimouni…
Maïssa Bey : Je laisse à Charles Bonn, dont je salue le travail immense de recension et de critique de la littérature algérienne, la liberté d’émettre ce jugement fondé sans nul doute sur un travail de recherche minutieux et pertinent. Je suis cependant sûre qu’il n’incluait pas le roman de Boudjedra, La répudiation, publié en France, rappelons-le, et qui fut interdit en Algérie, je m’en souviens, et un peu plus tard ceux de Mimouni et Yamina Mechakra. Il faudrait pouvoir se livrer à une analyse de tous les écrits pour pouvoir donner un point de vue sur une littérature étroitement contrôlée par un appareil étatique qui avait, ne l’oublions pas, le monopole de l’édition et de la diffusion ! D’ailleurs n’est-ce pas à cette époque que se sont exilés Mohamed Dib, Kateb Yacine, Assia Djebar et bien d’autres intellectuels ?
Boualem Sansal : Il faut préciser : tous les romans édités en Algérie. A cette époque, l’édition était un monopole de l’Etat. Tout livre qui ne répondait pas à l’idéologie officielle était refusé. Les plumes libres étaient alors obligées de passer par Paris pour les francophones, ou Beyrouth pour les arabophones, pour se faire publier.
Si le monopole a été démantelé dans la vague de la libéralisation des années 80, la censure n’a pas pour autant disparue. Aujourd’hui, elle est plus implacable que jamais et son champ d’application s’est considérablement élargi. Elle est gardienne de l’idéologie officielle et de toutes les dérives funestes qu’elle a pu engendrer. Elle ne se contente plus d’interdire, elle anathématise et aussitôt actionne le bras séculier.
Vos écrits Boualem Sansal sont des cris de douleur lancés comme des bouteilles à la mer. A qui, les uns et les autres destinez-vous vos écrits (à quels lecteurs) ?
Boualem Sansal : Je dirais plutôt cris de colère, colère contre les empêcheurs de vivre et les gardiens du temple. Je crie à la cantonade, je ne m’adresse à personne en particulier.
Salim Bachi : Mais ils sont destinés à tous le monde ! La condition humaine est une condition souffrante. C’est parfois aussi la lumière après l’orage, et un bel arc-en-ciel…
Maïssa Bey : Au commencement, il y a le cri… mais une œuvre, ou du moins toute création qui pourrait mériter le qualificatif d’œuvre littéraire se doit de moduler le cri pour le rendre intelligible. Ce serait avoir peu de considération pour un lecteur que de lui imposer une longue litanie de plaintes, qui, même si elles sont légitimes dans les circonstances que nous traversons, pourraient attiser les douleurs ou plus simplement lasser. Il y a bien sûr la révolte, le désir de briser le silence, de susciter un écho dans la conscience du lecteur, mais il y a aussi et surtout le plaisir de lire…
Peut-on alors parler d’écriture plaisir ?
Salim Bachi : Certainement. Sinon à quoi bon.
Boualem Sansal : Le plaisir est dans le cri. Il soulage, il libère. L’écriture, c’est laborieux, épuisant, stressant.
Maïssa Bey : Interrogé sur son métier de peintre, Issiakhem disait : « Lorsque je peins, je souffre », et cela me semblait difficile à concevoir avant que je n’entre en écriture. L’écriture est d’abord souffrance parce qu’elle est création, parce qu’il faut arracher à l’informe, à l’insu en soi, la vérité de son être. Aller au-delà de la tentation du silence. Néanmoins, il y a plus que le plaisir parfois, une sorte de jubilation, certains moments de grâce, rares il est vrai, mais qui deviennent très vite contrepoints indispensables à l’équilibre de ceux qui, de leur plume ou de leur pinceau, vont à rencontre de l’autre.
Boualem Sansal, vous écrivez « Les censeurs en Algérie sont nombreux, ils traquent le mot, la virgule ». En effet, aucune publication ne peut être importée en Algérie, vendue ou explosée sans l’autorisation (le « visa ») du ministère de la Culture. Plusieurs éditeurs et écrivains ont été interdits d’exposition au dernier Salon du livre d’Alger (en 2008).
Boualem Sansal : L’année 2008 a été une année noire dans l’histoire de la censure en Algérie. La raison en est simple : Le président Bouteflika préparait son viol de la constitution (qui eut lieu en novembre) et son plébiscite en avril 2009. Il lui fallait casser tout esprit de réflexion et de contestation dans la société. Interdire, censurer, geler, contrôler, menacer, voilà le clavier sur lequel il a joué pour parvenir à ses fins et il a parfaitement réussi.
Et vous ?
Salim Bachi : J’ai été interdit à de nombreuses reprises. Au début pour Le chien d’Ulysse, et maintenant pour Tuez-les tous et Le silence de Mahomet. La littérature fait peur en Algérie. C’est bien qu’elle est pertinente, nécessaire.
Maïssa Bey : La censure peut en effet prendre des formes et des prétextes divers pour maintenir une société en état d’ « inconnaissance » et même d’abrutissement. Quelle tâche ardue et vouée à l’échec – mais le savent-ils seulement ? – que celle des censeurs qui ne peuvent, en cette ère des autoroutes de l’information, accomplir leur travail et avoir la maîtrise de tout ce qui se pense et se dit dans leur pays ! En dehors des visas, il faudrait, pour être vraiment efficace, envisager d’autres méthodes de musèlement et il semble bien que nous soyons engagés, de plus en plus, dans un processus de répression de la parole ou du moins de la parole libre. Il faut aussi mentionner une autre forme de censure, celle qui consiste, par toutes sortes de moyens et de canaux, à jeter l’anathème sur un auteur et à l’accuser du délit de trahison des valeurs nationales pour le jeter en pâture à la communauté…
Envisagez-vous de vous extraire totalement et de vos « thèmes obsessionnels » et de la réalité algérienne ou maghrébine, écrire à partir d’un ailleurs, sur cet ailleurs ou sur soi, sans en appeler aux réalités sociales et culturelles maghrébines, écrire un roman de science-fiction par exemple comme le rêve Boualem Sansal ?
Boualem Sansal : Le village de l’Allemand est déjà en rupture avec mes précédents écrits. Mon prochain roman consacrera sans doute cette rupture. Ce que j’avais à dire sur l’Algérie, je l’ai dit. Y revenir serait radoter.
Salim Bachi : J’écris sur la réalité humaine dans des contextes différents, particuliers souvent, plus larges parfois. J’écris sur l’homme dans la vie.
Maïssa Bey : Peut-être, peut-être… faire comme Mohamed Dib dans sa trilogie nordique… les aubes froides et immobiles dans la blancheur d’une nuit embuée de givre… ou alors murmurer à l’oreille des lecteurs un roman d’amour et de lumière sans dimension tragique – mais ne serait-ce pas là justement de la science fiction ? Plus sérieusement, je tiens à noter que beaucoup de lectrices, un peu partout dans le monde, me disent qu’elles se reconnaissent dans les personnages féminins de mes romans, dans les aspirations, les déchirures et les révoltes de ces personnages. Tout comme je me reconnais, malgré la différence de contexte, dans certains personnages de romans américains, indiens ou turcs… il suffit, me semble t-il, de se tenir au plus près de l’humain pour avoir accès à l’autre. Peu importent alors le lieu, la culture, l’époque…
Pour écrire sur une région, un pays en effervescence faut-il prendre de la distance comme le dit Salim Bachi ou bien faut-il rester ? Cette question de la proximité est-elle sensée ?
Salim Bachi : Pour moi, elle était nécessaire, cette distance. Pour Boualem, par exemple, la nécessité était inverse, je crois.
Boualem Sansal : La distance est nécessaire, elle élargit le champ de vision. Salim a magnifiquement parlé de Cirta à partir de Paris. Yasmina Khadra a fait de même avec Kaboul, Bagdad et Tel-Aviv, sans y être jamais allé. Je crois avoir assez bien parlé des banlieues françaises sans y avoir jamais vécu. Si je suis resté en Algérie, ce n’est pas pour mieux en parler dans mes livres, c’est simplement que l’émigration ne m’a jamais réellement tenté, en tout cas pas au point de faire mes valises. Peut-être cela viendra-t-il un jour ?
Maïssa Bey : Le recul par rapport aux événements et à l’immédiateté (ce en quoi la littérature se distingue du témoignage et du journalisme) se fait dès que l’on est capable de se détacher de ses emportements, de ses jugements pour aller jusqu’à la page. Et cela se fait grâce à la médiation de l’écriture romanesque. Que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur. Il ne s’agit pas de distance géographique. Je crois vraiment que tout auteur vit en exil. Je veux parler de l’exil de l’écriture, acte solitaire qui l’isole, qui en fait un être singulier, souvent incompris par les siens, par ceux dont justement il veut se rapprocher.
Charles Bonn dit que « la littérature algérienne remue la mauvaise conscience française ». Remue-t-elle la mauvaise conscience du microcosme qui gouverne l’Algérie ?
Salim Bachi : Sans aucun doute. Sinon pourquoi la censurer. Ce n’est pas un microcosme qui gouverne l’Algérie ce sont des microbes qui la gangrènent…
Boualem Sansal : Le microcosme qui gouverne l’Algérie est autiste. Il n’entendrait pas une bombe atomique qui exploserait à plus de dix mètres de sa fenêtre. Ce microcosme, il faut le déboulonner, le jeter à la mer et aérer la maison Algérie pour chasser jusqu’à son souvenir.
Maïssa Bey : Il faudrait pour cela que la culture soit au premier rang des préoccupations de ce microcosme ! Et surtout il faudrait qu’ils puissent être susceptibles, installés comme ils sont dans leurs certitudes, sans jamais se remettre en question, de ressentir ce que vous appelez « la mauvaise conscience ». Je suis sûre que presque tous ceux qui ont condamné Boualem Sansal pour son essai Poste restante et pour son roman Le village de l’Allemand n’en ont pas lu une seule page. D’autre part, il faut bien reconnaître que les écrits dérangent, parce que souvent les écrivains mettent le doigt sur des plaies à vif et qu’il est des moyens subtils d’anesthésier les consciences.
Le Village de l’Allemand vous a fermé toutes les portes du possible en Algérie. N’avez-vous pas été trop loin ?
Boualem Sansal : Je ne sais pas ce que veut dire aller trop loin. Il n’y a rien dans ce roman qui soit faux ou inventé : j’ai raconté l’histoire d’un nazi qui a réellement existé, j’ai raconté la Shoah comme elle est arrivée, j’ai raconté une banlieue difficile française au plus près de la réalité et j’ai raconté la vie deux jeunes Rachel et Malrich comme on peut rencontrer beaucoup dans n’importe quelle banlieue. Le problème n’est pas mon propos, le problème est l’existence en Algérie d’une censure qui veut empêcher toute expression libre.
Boualem Sansal, peut-on dire de votre écriture qu’elle est une dénonciation de la gabegie des pouvoirs politiques, de leur mainmise sur l’histoire ? Dans Petit éloge de la mémoire vous écrivez ceci : « Jamais peuple n’a autant oublié son passé et renié ce qu’il fut (…) l’Afrique est bien aux Africains mais ses rois et ses raïs ont placé ses richesses en Amérique et leurs enfants les dilapident en Europe. » N’y a-t-il pas risque que l’on ne retienne de votre écriture que son volet polémiste comme on le fait en Algérie, au détriment de l’esthétique alors même que vous la placez très haut.
Boualem Sansal : La dénonciation est par nature violente. Elle implique de dire les choses par leurs noms et de pointer le doigt sur le mal. L’euphémisme en la matière est à proscrire, il est une trahison, une lâcheté. La polémique est indispensable à nos sociétés. Agiter les idées, les confronter, voilà qui fait avancer la société. Cela dit, quel livre n’est pas polémiste ?
Quelle est selon vous l’importance de la critique littéraire en Algérie ?
Boualem Sansal : Il n’existe pas à ma connaissance de critique littéraire en Algérie. Rares sont les journaux qui ont une rubrique littéraire et encore plus rares les magazines spécialisés en littérature. Il faut dire aussi que la production littéraire est bien trop faible pour justifier l’existence de tels instruments.
Salim Bachi : Qu’elle commence déjà par dénoncer la censure qui nous touche et on commencera à parler de critique littéraire. Comment parler de livres qui sont interdits et en parler à qui si personne ne peut les lire ?
Maïssa Bey : Ce sont, de façon générale, les instances universitaires qui sont les plus à l’écoute de la production littéraire. Il s’agit donc bien plus d’analyses, d’études et de recherches sur les auteurs. Dans les pages culturelles des journaux, qui souvent se réduisent comme peau de chagrin, certains journalistes essaient de faire leur travail, du mieux qu’ils peuvent – il faut leur en savoir gré – en présentant des œuvres. Mais il n’existe pas, à mon sens, de véritable tradition comme dans d’autres pays où la critique littéraire est une véritable institution avec ses codes, ses références mais aussi parfois sa subjectivité.
Y a-t-il une politique du livre en Algérie ?
Salim Bachi : Oui, malheureusement. Une politique de contrôle.
Boualem Sansal : La politique du livre vise à éradiquer le livre. N’oubliez pas que l’islamo-nationalisme est au pouvoir en Algérie. Au plan économique, le secteur du livre ne bénéficie d’aucune aide de l’Etat. Au contraire, il est surchargé d’impôts et de taxes. La censure, la question des droits d’auteurs, la faiblesse du pouvoir d’achat, l’absence de bibliothèques, les contraintes sécuritaires, la fermeture de la télévision à tout débat littéraire, font le reste.
Maïssa Bey : Je pense que cette question devrait s’adresser aux éditeurs, aux libraires, aux importateurs, aux lecteurs… et au ministre concerné ! Il fut un temps où nous achetions nos livres et ceux de nos enfants de la même façon que nous achetions un produit de première nécessité, grâce à la politique de soutien des prix. C’est peut être la seule chose que nous regrettons de cette époque révolue, l’époque où des volumes de La Pléiade et des encyclopédies étaient à la portée de tous, malgré – et cela peut paraître incroyable aujourd’hui – le rétrécissement déjà programmé de la liberté d’expression. Pour avoir un élément de réponse, il suffit de faire un tour dans les librairies, les salons du livre et autres expositions – qui pullulent dans les villes et villages – et de constater qu’il y en a qui ont bien compris que le livre devait être accessible à tous. Je veux parler, vous l’aurez compris, du livre religieux !
Pouvez-vous dire aux Américains quelques mots sur vous, sur vos différentes proximités…
Salim Bachi : J’aime lire, écrire, me promener sur une plage déserte et lumineuse.
Maïssa Bey :
Mais qui trop s’acharne à poursuivre un rêve
Vit dans l’exil de lui-même
Perché au-dessus d’un précipice, il tente en vain de déchiffrer les signes
Et se laisse distraire par les leurres
Pendant qu’au-delà, blottis au cœur des nuées qui parcourent les cieux,
Les rires des amants insoucieux se jouent des mirages.
_________________________Vit dans l’exil de lui-même
Perché au-dessus d’un précipice, il tente en vain de déchiffrer les signes
Et se laisse distraire par les leurres
Pendant qu’au-delà, blottis au cœur des nuées qui parcourent les cieux,
Les rires des amants insoucieux se jouent des mirages.
BIOGRAPHIE
Maïssa Bey :
Ce pseudonyme lui fut choisi par sa mère. Samia Benameur est son nom véritable. Maïssa Bey naquit en 1950 à Ksar-El-Boukhari une ville qui se situe au sud de la capitale Alger. Son père était instituteur. Il lui apprend le français bien avant qu’elle ne fréquente l’école. « Le français est ma langue paternelle » nous dit-elle dans un précédent entretien. Son père militait pour l’indépendance de l’Algérie. Il fut tué durant la guerre en 1957.
Maïssa Bey est diplômée de lettres françaises. Longtemps elle enseigna dans un lycée. Aujourd’hui elle vit à Sidi-Bel-Abbès (sud d’Oran). Elle y a créé une association « Paroles et écriture » où elle anime des ateliers d’écriture. Elle est co-fondatrice et directrice de rédaction de la revue des éditions associatives Chèvre-feuille étoilée, Etoiles d'Encre (Montpellier).
Maïssa Bey publia plusieurs romans : Au commencement était la mer, éditions Marsa, Paris 1996. Cette fille-là, Editions Aube, 2001, prix Marguerite Audoux. Surtout ne te retourne pas, Aube et Barzakh 2005, prix Cybèle. Bleu blanc vert, Aube 2006. Pierre Sang Papier ou Cendre, Aube 2008. Elle publia un récit autobiographique, Entendez-vous dans les montagnes, Aube et Barzakh, 2002. Sous le jasmin la nuit, qui est un recueil de nouvelles, Aube 2004.
Maïssa bey participa également à des ouvrages collectifs : Journal intime et politique, Algérie quarante ans après, Editions Aube et Littera 05, 2003. Albert Camus et le mensonge, Editions BPI, Paris 2007. Une enfance d’Outre-mer, Seuil 2001. Son dernier titre est issu d’une conférence donnée en novembre 2008 : L’une et l’autre, Aube, 2009. Plusieurs de ses textes furent adaptés au théâtre.
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Salim Bachi :
Salim BACHI naquit en 1971 dans l’Est algérien. Il suivit des études de lettres en Algérie jusqu’en 1996 et s’installa en France. Il interrompit une thèse de troisième cycle consacrée à La douleur et la mort dans l’œuvre d’André Malraux. Il écrit depuis le lycée. Son premier roman Le chien d’Ulysse fut publié en 2001 aux éditions Gallimard. Il reçut plusieurs prix dont le Goncourt du premier roman. Chez le même éditeur il publia : La Kahéna en 2003, lui aussi primé, Tuez-les tous en 2006, Les douze contes de minuit en 2007, Le silence de Mahomet en 2008. En 2005 il publia une autofiction aux éditions du Rocher : Autoportrait avec Grenade.
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Boualem Sansal :
Il naquit en 1949 à Teniet-el-Had (sud d’Alger). Orphelin de père dès le plus jeune âge il fut élevé à Tiaret par son grand-père paternel, un homme cultivé. Au lycée le jeune Boualem étudie le latin et le grec. Il est ingénieur et docteur en économie. Il enseigna à l’INPED (un institut de gestion mis en place à Boumerdes avec le concours du BIT et de HEC-Montréal).
Durant plus de dix ans il occupa un poste de responsabilité dans le ministère de l’industrie, jusqu’à son limogeage en 2003 pour ses critiques contre le système politique en place. Officiellement il fut licencié pour « suppression de structure ». Son épouse qui était enseignante fut mise d’office à la retraite. Boualem Sansal choisit de vivre en Algérie, à Boumerdes malgré les intimidations.
Il publia en Algérie des ouvrages techniques dans les années 1986-1989. Plus tard, chez un même éditeur, Gallimard, il publia des romans : Le Serment des Barbares en 1999 (Prix du premier roman 1999, Prix Tropiques 1999), L'Enfant fou de l'arbre creux, en 2000, Dis-moi le paradis en 2003, Harraga en 2005, Le Village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller en 2008 (grand prix RTL-Lire 2008, grand prix de la Francophonie 2008, prix Nessim Habif de l’Académie royale de Belgique, Prix Louis Guilloux)
Des nouvelles dont : La Voix en 2001, Editions Gallimard-Le Monde, La Femme sans nom, en 2004 chez Littera et l’Aube. Ma mère, en 2008. Ouvrage collectif aux éditions du Chèvre-feuille. Rendez-vous à Clichy-sous-Bois en 2008. Ouvrage collectif aux éditions Textuel.
Il a publié des essais : Poste restante : Alger, Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes en 2006 aux éditions Gallimard. Petit éloge de la mémoire. Quatre mille et une années de nostalgie en 2007 aux mêmes éditions.
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Ahmed HANIFI, mai 2009.
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