L’écrivaine d’un seul livre.
Lettre à Yamina Mechakra, dans sa souffrance capitale .
Photo DR
“Comme si le devoir de mourir ne suffisait pas, il faut aussi compter sur le laisser mourir et le faire mourir. (Anthropologie de la mort : L.-V. Thomas p : 103).”
Qui parmi nous se rappelle de cette femme de verbe, en vers, de plume, en encre et de cœur, fille de Meskiana, celle qui sa maman l’a appelée Yamina, oui Yamina Mechakra ? Les mamans, toutes les mamans, savent bien choisir les noms de leurs filles. J’adore ce nom “YAMINA” très algérien. Il est très fort par sa musicalité rurale et fine. D’ailleurs, Ahmed Wahbi a chanté sa Yamina : “Yamina Ghadra”.Une femme fragile au sourire douloureux ! Elle appartient à la race “des roses” ! Celle qui, autour de son premier roman La Grotte éclatée a pu réunir deux géants de la culture algérienne : M’hamed Issiakhem pour la couverture (tableau de l’aveugle) et Kateb Yacine pour la préface, cette écrivaine est menacée d’extinction.“Issiakhem lui a dit un jour : attention, il ne faut pas écrire comme les femmes, hein ?!” cette écrivaine qui a écrit comme “les grands” sombre dans le silence d’un hôpital psychiatrique, sans caresses, sans amis et sans poésie ! Elle qui adorait écouter le vin des vers.
Elle est plus grande que notre silence complice qui l’enterre vivante. Nous regardons sa mort unique et spectaculaire et nous croquons des pistaches persanes grillées ! Nous évitons de regarder sa descente en enfer de la folie pour mieux déguster ce match en direct de Johannesburg ! Et, dehors, les drapeaux aux couleurs nationales flottent partout dans les rues et les ruelles, nous sommes le 5 juillet, 48 ans d’indépendance. Et Yamina garde de cette guerre de libération des images : “un homme écartelé sur le canon d’un char, exposé dans la rue. Elle a vu torturer son père. Elle l’a vu mourir en lui recommandant de garder la tête haute… c’est à lui qu’elle dédia le livre.” Comment une poétesse internée à l’hôpital psychiatrique Frantz-Fanon de Blida vit ce jumelage : la poésie et la folie ? Qui est l’origine de l’autre ?
À l’image de son maître Kateb Yacine, Yamina Mechakra est l’écrivaine d’un seul texte, d’un seul livre. Les prophètes, comme les poètes, eux aussi n’ont qu’un seul livre. Par son roman La Grotte éclatée (1979), Yamina Mechakra a bouleversé l’écriture algérienne des années 70/80. Sur les traces de Nedjma, de Kateb Yacine, vingt-cinq ans après l’apparition de Nedjma (1956), Yamina Mechakra a révolutionné l’écriture romanesque sur la révolution algérienne. Comme Mohammed Dib, dans Qui se souvient de la mer (1962), Yamina Mechakra voulait subvertir l’écriture de l’intérieur, en dynamitant la langue et les genres littéraires.
La Grotte éclatée est un texte en plein feu de la folie. La folie créative est la sœur jumelle de toute écriture honnête et révélatrice. La folie est installée dans le texte ou dans l’âme de Yamina ? C’est kif-kif ?
Dans sa préface au roman, Kateb Yacine écrit : “À l’heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.” “L’écrivaine éclatée” ! L’or est l’affaire des femmes esclaves ! Et en ce 5 juillet, 48 ans d’indépendance, un demi-siècle, la poudre est mouillée à l’hôpital psychiatrique de Blida. Seule, esseulée ! Le baroud ne répond plus ! Et l’âme subversive saigne ! L’âme est blessée !
En ces jours de fête du 5 juillet 2010, face à ces drapeaux aux couleurs nationales qui flottent, berçant la mémoire de la révolution, en soutien à l’écrivaine Yamina Mechakra dans sa souffrance, j’invite les Algériens à lire ou à relire son roman La Grotte éclatée (je signale que le roman est disponible en traduction arabe).
Merci Yamina Mechakra pour tout ce que tu nous as appris, dans et par le texte, dans et par ta vie peinée.
Amine Zaoui.
in: Liberté / Culture Jeudi 08 Juillet 2010Lettre à Yamina Mechakra, dans sa souffrance capitale .
Photo DR
“Comme si le devoir de mourir ne suffisait pas, il faut aussi compter sur le laisser mourir et le faire mourir. (Anthropologie de la mort : L.-V. Thomas p : 103).”
Qui parmi nous se rappelle de cette femme de verbe, en vers, de plume, en encre et de cœur, fille de Meskiana, celle qui sa maman l’a appelée Yamina, oui Yamina Mechakra ? Les mamans, toutes les mamans, savent bien choisir les noms de leurs filles. J’adore ce nom “YAMINA” très algérien. Il est très fort par sa musicalité rurale et fine. D’ailleurs, Ahmed Wahbi a chanté sa Yamina : “Yamina Ghadra”.Une femme fragile au sourire douloureux ! Elle appartient à la race “des roses” ! Celle qui, autour de son premier roman La Grotte éclatée a pu réunir deux géants de la culture algérienne : M’hamed Issiakhem pour la couverture (tableau de l’aveugle) et Kateb Yacine pour la préface, cette écrivaine est menacée d’extinction.“Issiakhem lui a dit un jour : attention, il ne faut pas écrire comme les femmes, hein ?!” cette écrivaine qui a écrit comme “les grands” sombre dans le silence d’un hôpital psychiatrique, sans caresses, sans amis et sans poésie ! Elle qui adorait écouter le vin des vers.
Elle est plus grande que notre silence complice qui l’enterre vivante. Nous regardons sa mort unique et spectaculaire et nous croquons des pistaches persanes grillées ! Nous évitons de regarder sa descente en enfer de la folie pour mieux déguster ce match en direct de Johannesburg ! Et, dehors, les drapeaux aux couleurs nationales flottent partout dans les rues et les ruelles, nous sommes le 5 juillet, 48 ans d’indépendance. Et Yamina garde de cette guerre de libération des images : “un homme écartelé sur le canon d’un char, exposé dans la rue. Elle a vu torturer son père. Elle l’a vu mourir en lui recommandant de garder la tête haute… c’est à lui qu’elle dédia le livre.” Comment une poétesse internée à l’hôpital psychiatrique Frantz-Fanon de Blida vit ce jumelage : la poésie et la folie ? Qui est l’origine de l’autre ?
À l’image de son maître Kateb Yacine, Yamina Mechakra est l’écrivaine d’un seul texte, d’un seul livre. Les prophètes, comme les poètes, eux aussi n’ont qu’un seul livre. Par son roman La Grotte éclatée (1979), Yamina Mechakra a bouleversé l’écriture algérienne des années 70/80. Sur les traces de Nedjma, de Kateb Yacine, vingt-cinq ans après l’apparition de Nedjma (1956), Yamina Mechakra a révolutionné l’écriture romanesque sur la révolution algérienne. Comme Mohammed Dib, dans Qui se souvient de la mer (1962), Yamina Mechakra voulait subvertir l’écriture de l’intérieur, en dynamitant la langue et les genres littéraires.
La Grotte éclatée est un texte en plein feu de la folie. La folie créative est la sœur jumelle de toute écriture honnête et révélatrice. La folie est installée dans le texte ou dans l’âme de Yamina ? C’est kif-kif ?
Dans sa préface au roman, Kateb Yacine écrit : “À l’heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.” “L’écrivaine éclatée” ! L’or est l’affaire des femmes esclaves ! Et en ce 5 juillet, 48 ans d’indépendance, un demi-siècle, la poudre est mouillée à l’hôpital psychiatrique de Blida. Seule, esseulée ! Le baroud ne répond plus ! Et l’âme subversive saigne ! L’âme est blessée !
En ces jours de fête du 5 juillet 2010, face à ces drapeaux aux couleurs nationales qui flottent, berçant la mémoire de la révolution, en soutien à l’écrivaine Yamina Mechakra dans sa souffrance, j’invite les Algériens à lire ou à relire son roman La Grotte éclatée (je signale que le roman est disponible en traduction arabe).
Merci Yamina Mechakra pour tout ce que tu nous as appris, dans et par le texte, dans et par ta vie peinée.
Amine Zaoui.
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Extrait de : La grotte éclatée.
4 Juin 1962 - Cinq heures du matin. Un soleil rouge et ruisselant se levait derrière les collines. La caravane s'immobilisa au bord de la frontière. Je glissai de la fourgonnette. Debout, le soleil dans le dos, le vent dans les cheveux, la main sur mon cœur, je me dis tout bas mon pays et ma maison, ma grotte et ma peine. Quelque part dans le monde, une autre femme peut-être, debout sur une autre frontière priait pour la dernière fois. Je laissai tomber mon bras puis je me déchaussai. De mes pieds couverts des cratères du napalm, mes pieds nus et carbonisés, je foulai avec douceur la terre brûlante de mon pays. Je fis un pas. puis un autre, puis encore un autre. Les cailloux me déchiraient la peau. Les ronces m'égratignaient, j'eus soif, j'eus mal à la tête et m'évanouis. Quand je me réveillai, j'étais allongée au pied de la fourgonnette, le cadavre castré me passait un peu d'eau sur le visage. Il devait être midi. Je lui demandai de verser un peu d'eau fraîche sur le cercueil métallique. Kouider devait suffoquer. Mon fils tendait l'oreille à la voix du poète, qui le tenait dans ses bras. Je laissai la caravane gorgée de milliers d’émigrés sur la route de Tébessa et partis avec le poète, le cadavre castré et Rima à la recherche d'un arbre nu et déchiré, mort debout, au pied duquel dormaient ma grotte et mes amis. Je le vis au bout de ma route, les bras levés vers le ciel. Face à mon arbre, je cessai de respirer et le regardai avec mes yeux mêlés aux yeux de Kouider. Je m'approchai de lui et glissai mes lèvres sur son écorce rugueuse. Il avait survécu à mes amis. Il était ce quelque chose qui avait poussé dans ma mémoire quand ma grotte mourut, il était l'unique quelque chose qui me parlait encore de mes amis J'y accrochai ma ceinture. Le sol ne trahissait plus l'existence de ma grotte. J'arrachai une motte de terre. Je l'emporterai avec moi à ARRIS. Je la déposerai dans une jarre et j'y planterai des marguerites.
Extrait de : La Grotte Éclatée Alger SNED. 1979.In :http://timkardhit.hautetfort.com/archive/2007/03/10/la-grotte-eclatee-yamina-mechakra.html
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Extrait de Arris :
La mère ferme les mains en coquille autour de la bouche d’Arris. Recueille le vomi bilieux qu’elle verse dans un vieux chiffon qui lui sert de serviette. Le petit se remet à somnoler.
La mère plonge la main dans son corsage, en tire un minuscule paquet. De ses doigts fébriles, elle écarte les bouts entachés d’huile du journal et découvre un beignet doré, couvert de sucre. Le petit refuse de manger. Elle se sent moins seule. Sur une banquette, vieille de deux guerres, elle allonge Arris enveloppé dans une serviette de bain. Les malades couchés à même le sol, et dehors jusque sur les trottoirs, lui rappellent atrocement l’année du typhus : ça sent les crachats verts, spumeux et couverts de mouches lui meurtrissent la vue et l’estomac.
La mère se frotte la main pour la réchauffer, soulève la serviette et la glisse doucement sur le dos d’Arris.
Le monstre est là, gros comme une orange. Elle le palpe ; il est fluctuant. Le petit geint. Elle retire discrètement sa main. Puis la glisse de nouveau vers le monstre ; ce n’est pas de l’os. Elle vérifie les vertèbres, une à une : toutes présentes. Le monstre, c’est quoi alors ?
Extrait du roman, page 7.La mère plonge la main dans son corsage, en tire un minuscule paquet. De ses doigts fébriles, elle écarte les bouts entachés d’huile du journal et découvre un beignet doré, couvert de sucre. Le petit refuse de manger. Elle se sent moins seule. Sur une banquette, vieille de deux guerres, elle allonge Arris enveloppé dans une serviette de bain. Les malades couchés à même le sol, et dehors jusque sur les trottoirs, lui rappellent atrocement l’année du typhus : ça sent les crachats verts, spumeux et couverts de mouches lui meurtrissent la vue et l’estomac.
La mère se frotte la main pour la réchauffer, soulève la serviette et la glisse doucement sur le dos d’Arris.
Le monstre est là, gros comme une orange. Elle le palpe ; il est fluctuant. Le petit geint. Elle retire discrètement sa main. Puis la glisse de nouveau vers le monstre ; ce n’est pas de l’os. Elle vérifie les vertèbres, une à une : toutes présentes. Le monstre, c’est quoi alors ?
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Il est de nature qu’aujourd’hui encore en Algérie on continue d’ignorer nos plus belles plumes. Ceux qui sont poussés par un excès de zèle tenteront de renier cette donne, mais la vérité est malheureusement là, à nous faire face. Elle est tellement cinglante qu’on n’ose même pas la regarder. Et le cas de l’écrivaine algérienne Yamina Mechakra n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. L’auteur de la Grotte éclatée est aujourd’hui dans la détresse. Pourtant, elle a tant donné à un pays qui continue d’ignorer encore ses meilleurs enfants.
Il est vrai qu’il n’est pas de l’habitude des officiels algériens de bouger le petit doigt pour venir à l’aide d’une frange aussi fragile que celle à qui appartient Mechakra, mais on n’est mieux compris que par ses semblables. Ses semblables comme Hayder Ben Hassen qui a adapté au théâtre la Grotte éclatée, ou Ahmed Benaïssa qui la mis en scène. La générale de la pièce a été présentée, hier, au Théâtre national algérien. Pour ceux qui veulent la voir, il n’est nullement trop tard, puisqu’une deuxième représentation sera donnée aujourd’hui, à 15h, au TNA. Cette pièce est un pan de la vie “fictive” de Yamina Mechakra. “Fictive, le mot est juste puisque le roman est une fiction. Néanmoins, cette œuvre n’est pas de celles qui appartiennent à la science fiction. Le roman de Mechakra est une fiction qui traite de faits réels”, dira Ahmed Benaïssa, lundi dernier, lors d’une conférence de presse animée au TNA. Tout en reconnaissant la difficulté de la mise en scène d’une pareille pièce, le metteur en scène a néanmoins souligné que “ça a été un énorme plaisir de mettre en scène une œuvre d’une pareille force psychologique”. En effet, la force psychologique de l’œuvre de Mechakra réside dans le fait qu’elle nous présente des personnages schizophréniques. A cela, on peut également ajouter le caractère d’une violence inouïe de ces mêmes personnages. Yamina Mechakra les a presque traînés dans la boue. Toutefois, les scènes décrites dans le roman ne reflètent que le vrai visage de la guerre de Libération nationale. Ahmed Benaïssa a, dans ce contexte, estimé que le “roman de Mechakra traite également de la situation actuelle de l’Algérie. Il est de ce fait affranchi des rênes du temps”. Par ailleurs, l’adaptateur de la pièce a indiqué que le texte de Mechakra est doté d’une force au point où il n’a de cesse de le tarauder depuis plus de dix ans. “J’étais absorbé par sa portée poétique et prosaïque à tel point que j’ai décidé de l’adapter. Et le projet je l’ai entamé en 2001, à l’Institut national des arts dramatiques et chorégraphiques de Bordj El Kiffan. Je l’ai fait en présence de Mechakra ; elle a trouvé l’idée géniale”, a indiqué Hayder Ben Hassen. Soulignons enfin que la pièce, la Grotte éclatée, est la cinquième pièce qui entre dans le cadre d’“Alger, capitale de la culture arabe 2007”. Elle sera jouée par trois comédiens du Théâtre national algérien, en l’occurrence Linda Sallam, Malika Belbey et Ali Djebarra.
Hakim C. Le Soir d’Algérie 08 mars 2007
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YAMINA MECHAKRA, LE RETOUR DE LA KEBLOUTI
Dire l’amour dans ses trois dimensions symboliques autour du même nous Arris , le pays ;l’ amant , l’ enfant : Je dis ma foi en demain clouée sur ma poitrine. Je dis Arris mon pays et ses moissons. Arris mes ancêtres et mon honneur. Arris mon amour et ma demeure
«A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or. » C'est par cette phrase restée célèbre que Kateb Yacine terminait la préface de La Grotte éclatée de Yamina Mechkra (ENAG-1979). Ce roman-poème, pluriel dans la pluralité des « je » féminins, mémoires et sensibilités de l'Algérie en lutte pour son indépendance, outre de nombreuses études universitaires qu'il a suscitées, a été traduit en plusieurs langues dont la plus récente, en cours, en version anglaise, est entreprise par trois Américaines de l'Etat de l'Ohio. Yamina Mechakra revient à l'écriture par la publication récente de Arris aux Editions Marsa (collection Algérie- Littérature-Action) ; un roman qui continue, en forme et en fond, La Grotte éclatée. A-t-elle cessé d'écrire depuis ? Comment a-t-elle vécu depuis ? Nous l'avons rencontrée dans l'ambiance katébienne. En fait, cette fille de la pierre aurésienne est une Keblouti obsédée par l'écriture, une écriture transhumante mais vrillée à l'Algérie : « Je creuserais la terre de mes mains, de ma bouche, mais je ne quitterai pas l'Algérie. »
Arris paraît vingt-deux ans après la publication de La Grotte éclatée (SNED, 1979) préfacé par Kateb Yacine qui a dit de vous : « A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or ».
Q : Pourquoi cette absence ?
Les gens s'imaginent que je me suis tue. Or, je n'ai pas cessé d'écrire, mais j'écris et je perds. Je n'ai pas la chance de Kateb Yacine qui a eu Jacqueline Arnaud qui a sauvé et fixé ses textes transhumants.
J'ai commencé à écrire à neuf ans, un roman à douze ans (manuscrit [qu’elle a] illustré de ses propres dessins intitulé Le Fils de qui ?) et j'ai publié à vingt-quatre ans. Je viens de sauver Arris et je n'en ai publié que le un dixième.
A l'origine, Arris fait 400 pages, et la mythologie d'Araki incluse dans le roman 120 pages. La Grotte éclatée est un roman que j'ai écrit en 1973. Ce n'est qu'au bout de sa troisième version (toutes ont été lues par Kateb Yacine) que je l'ai publié en 1979. Pour écrire Arris, je suis retournée vingt-six ans en arrière, l'année 1974 où j'ai rencontré le professeur Grangaud, pédiatre à l'hôpital de Béni Messous. Dans son service ambulatoire de pédiatrie, je prenais des notes.
Quand les patients s'endorment, je les reprends. Ainsi, l'idée d'Arris m'est venue de cette réalité des enfants hospitalisé(e)s. C'est donc une fiction construite à partir de cette expérience à Béni Messous. Les enfants que je soignais m'ont donné l'idée d'Arris. Surtout dans le service que j'ai créé pour les filles-mères. Un soir de garde, une mère se présente avec son enfant déshydraté. On lui exige un livret de famille qu'elle n'a pas et on lui refuse l'hospitalisation de son enfant. De ce personnage-clé que j'ai gardé, c'est le statut de la fille-mère et des enfants abandonnés que je pose dans sa réalité sociale et émotionnelle. Je suis restée six mois à Béni Messous. Je garde cette image d'une mère de 17 ans qui m'a jeté dans les bras son nourrisson et elle est tombée par terre. S'est-elle évanouie ? Elle était sûre d'avoir confié son bébé.
Q : Le récit d'Arris est simple, mais d'une tension psychologique extrême.
D'où avez- vous puisé cette énergie textuelle qui se déploie dans le cri obsessionnel d'une mère dans la quête de son enfant ?
J'écris avec mon coeur, mes viscères ; mes textes, en gestation, sont des accouchements douloureux. Seule la mère peut se permettre cette fulgurance du cri, ces gémissements. Elle emmène son fils malade, âgé de quatre printemps, en ville au prix de tous les sacrifices de la communauté pour l'hospitaliser. Or, et pour l'enfant, les quatre premières années de sa vie sont décisives. C'est pourquoi Arris, volé à sa mère, ne cesse de reconstruire son itinéraire. Mais Petite mère, c'est la Patrie. Elle est à l'image de ces femmes de Khenchela qui se sont révoltées en 1916 et se sont battues pelles et pioches à la main contre la France qui venait prendre leur fils pour la Première Guerre mondiale. Dans notre culture, la mère est gardienne de la mémoire et est épicentre des attaches, du groupe, de la communauté, de la grotte. Kateb Yacine était très lié à sa mère que j'ai connue. Issiakhem pleurait l'ancienne Kabylie des solidarités. La mère, malgré sa blessure béante, a confié à Arris, par les contes, la légende de la déesse-mère, Araki, le message de ses racines, de son identité. Où que l'on soit et de quelque origine, la mère est l'attache primitive. La Petite mère a gardé la culture, c'est la gardienne du temple jusqu'à son dernier souffle. C'est en quelque sorte une terre absolue.
Q : Le personnage d'Arris est fait de « transhumances intérieures », un concept que vous aviez étudié en psychiatrie. Est-ce une identité de la transculturation ?
Arris est une quête obsessionnelle des racines premières, de sa culture primaire, en dehors de toute religion et de toute langue, comme dans la mythologie d'Araki. Toute la littérature algérienne est marquée par ces états psychotiques de l'identité. Arris est un déraciné au premier degré, mais il est symbole de l'entêtement identitaire dans ses transhumances géographiques et surtout intérieures, dans les « bouffées délirantes » de la quête de soi. Kateb Yacine avait dit que chacun de nous sera quelque part caché dans la mémoire de son terroir. Certes, Arris a vécu ailleurs une autre culture, une autre famille qui l'a choyé, mais obsédé par son terroir, sa terre maternelle. Il retrouve ses racines mais il rencontre l'absence de son monde d'enfant. Il a vécu deux absences : la sienne et ceux qu'il a aimés. Ce texte a fait pleurer beaucoup de lecteurs, en majorité des femmes intellectuelles.
Q : Kateb Yacine reste votre référentiel en écriture. Peut-on dire que vous écrivez dans le texte katébien ?
Kateb Yacine m'a fait beaucoup lire des ouvrages qui lui étaient dédicacés. Je l'en remercie. Ma rencontre avec lui a été capitale. Mais, aujourd'hui, chacun se l'approprie. Or, lui, il était l'ami de tous. On disait de lui qu'il ne pouvait plus écrire ; or, son écriture est un long silence. Qu'on le laisse en paix. Issiakhem que j'ai connu est une montagne de sensibilités comme Kateb. Je ne les ai jamais vus pleurer.
Dire l’amour dans ses trois dimensions symboliques autour du même nous Arris , le pays ;l’ amant , l’ enfant : Je dis ma foi en demain clouée sur ma poitrine. Je dis Arris mon pays et ses moissons. Arris mes ancêtres et mon honneur. Arris mon amour et ma demeure
«A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or. » C'est par cette phrase restée célèbre que Kateb Yacine terminait la préface de La Grotte éclatée de Yamina Mechkra (ENAG-1979). Ce roman-poème, pluriel dans la pluralité des « je » féminins, mémoires et sensibilités de l'Algérie en lutte pour son indépendance, outre de nombreuses études universitaires qu'il a suscitées, a été traduit en plusieurs langues dont la plus récente, en cours, en version anglaise, est entreprise par trois Américaines de l'Etat de l'Ohio. Yamina Mechakra revient à l'écriture par la publication récente de Arris aux Editions Marsa (collection Algérie- Littérature-Action) ; un roman qui continue, en forme et en fond, La Grotte éclatée. A-t-elle cessé d'écrire depuis ? Comment a-t-elle vécu depuis ? Nous l'avons rencontrée dans l'ambiance katébienne. En fait, cette fille de la pierre aurésienne est une Keblouti obsédée par l'écriture, une écriture transhumante mais vrillée à l'Algérie : « Je creuserais la terre de mes mains, de ma bouche, mais je ne quitterai pas l'Algérie. »
Arris paraît vingt-deux ans après la publication de La Grotte éclatée (SNED, 1979) préfacé par Kateb Yacine qui a dit de vous : « A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or ».
Q : Pourquoi cette absence ?
Les gens s'imaginent que je me suis tue. Or, je n'ai pas cessé d'écrire, mais j'écris et je perds. Je n'ai pas la chance de Kateb Yacine qui a eu Jacqueline Arnaud qui a sauvé et fixé ses textes transhumants.
J'ai commencé à écrire à neuf ans, un roman à douze ans (manuscrit [qu’elle a] illustré de ses propres dessins intitulé Le Fils de qui ?) et j'ai publié à vingt-quatre ans. Je viens de sauver Arris et je n'en ai publié que le un dixième.
A l'origine, Arris fait 400 pages, et la mythologie d'Araki incluse dans le roman 120 pages. La Grotte éclatée est un roman que j'ai écrit en 1973. Ce n'est qu'au bout de sa troisième version (toutes ont été lues par Kateb Yacine) que je l'ai publié en 1979. Pour écrire Arris, je suis retournée vingt-six ans en arrière, l'année 1974 où j'ai rencontré le professeur Grangaud, pédiatre à l'hôpital de Béni Messous. Dans son service ambulatoire de pédiatrie, je prenais des notes.
Quand les patients s'endorment, je les reprends. Ainsi, l'idée d'Arris m'est venue de cette réalité des enfants hospitalisé(e)s. C'est donc une fiction construite à partir de cette expérience à Béni Messous. Les enfants que je soignais m'ont donné l'idée d'Arris. Surtout dans le service que j'ai créé pour les filles-mères. Un soir de garde, une mère se présente avec son enfant déshydraté. On lui exige un livret de famille qu'elle n'a pas et on lui refuse l'hospitalisation de son enfant. De ce personnage-clé que j'ai gardé, c'est le statut de la fille-mère et des enfants abandonnés que je pose dans sa réalité sociale et émotionnelle. Je suis restée six mois à Béni Messous. Je garde cette image d'une mère de 17 ans qui m'a jeté dans les bras son nourrisson et elle est tombée par terre. S'est-elle évanouie ? Elle était sûre d'avoir confié son bébé.
Q : Le récit d'Arris est simple, mais d'une tension psychologique extrême.
D'où avez- vous puisé cette énergie textuelle qui se déploie dans le cri obsessionnel d'une mère dans la quête de son enfant ?
J'écris avec mon coeur, mes viscères ; mes textes, en gestation, sont des accouchements douloureux. Seule la mère peut se permettre cette fulgurance du cri, ces gémissements. Elle emmène son fils malade, âgé de quatre printemps, en ville au prix de tous les sacrifices de la communauté pour l'hospitaliser. Or, et pour l'enfant, les quatre premières années de sa vie sont décisives. C'est pourquoi Arris, volé à sa mère, ne cesse de reconstruire son itinéraire. Mais Petite mère, c'est la Patrie. Elle est à l'image de ces femmes de Khenchela qui se sont révoltées en 1916 et se sont battues pelles et pioches à la main contre la France qui venait prendre leur fils pour la Première Guerre mondiale. Dans notre culture, la mère est gardienne de la mémoire et est épicentre des attaches, du groupe, de la communauté, de la grotte. Kateb Yacine était très lié à sa mère que j'ai connue. Issiakhem pleurait l'ancienne Kabylie des solidarités. La mère, malgré sa blessure béante, a confié à Arris, par les contes, la légende de la déesse-mère, Araki, le message de ses racines, de son identité. Où que l'on soit et de quelque origine, la mère est l'attache primitive. La Petite mère a gardé la culture, c'est la gardienne du temple jusqu'à son dernier souffle. C'est en quelque sorte une terre absolue.
Q : Le personnage d'Arris est fait de « transhumances intérieures », un concept que vous aviez étudié en psychiatrie. Est-ce une identité de la transculturation ?
Arris est une quête obsessionnelle des racines premières, de sa culture primaire, en dehors de toute religion et de toute langue, comme dans la mythologie d'Araki. Toute la littérature algérienne est marquée par ces états psychotiques de l'identité. Arris est un déraciné au premier degré, mais il est symbole de l'entêtement identitaire dans ses transhumances géographiques et surtout intérieures, dans les « bouffées délirantes » de la quête de soi. Kateb Yacine avait dit que chacun de nous sera quelque part caché dans la mémoire de son terroir. Certes, Arris a vécu ailleurs une autre culture, une autre famille qui l'a choyé, mais obsédé par son terroir, sa terre maternelle. Il retrouve ses racines mais il rencontre l'absence de son monde d'enfant. Il a vécu deux absences : la sienne et ceux qu'il a aimés. Ce texte a fait pleurer beaucoup de lecteurs, en majorité des femmes intellectuelles.
Q : Kateb Yacine reste votre référentiel en écriture. Peut-on dire que vous écrivez dans le texte katébien ?
Kateb Yacine m'a fait beaucoup lire des ouvrages qui lui étaient dédicacés. Je l'en remercie. Ma rencontre avec lui a été capitale. Mais, aujourd'hui, chacun se l'approprie. Or, lui, il était l'ami de tous. On disait de lui qu'il ne pouvait plus écrire ; or, son écriture est un long silence. Qu'on le laisse en paix. Issiakhem que j'ai connu est une montagne de sensibilités comme Kateb. Je ne les ai jamais vus pleurer.
In: Batnainfo mars 2009: http://www.scribd.com/doc/13974115/Batna-Info-Mars-2009fr
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Et cet appel :
Yamina Méchakra, est malade, elle séjourne actuellement à l'hôpital de Chéraga (Alger). Je lui souhaiterai un prompt rétablissement.
Svp tous ce qui peuvent lui rendre visite pour faire ainsi, tous ce qui ne peuvent pas satisfaire d'essayer de lui envoyer vos bénédictions de bonne santé
Juin 2010 ( ?)
In : http://www.chawiland.com/blogComment.php?blog_id=22
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