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samedi, novembre 05, 2011

290 - Jean Tabet est mort


Nous étions près de 150 personnes dans le cimetière de Salon pour rendre un dernier hommage à Jean Tabet, un militant de la cause nationale algérienne et collègue au sein de l’association Salon-Djezaïr.
Il y a avait des membres de sa famille, Simone sa compagne, ses frères, ses enfants et petits enfants. Il y avait de nombreux amis de lutte.  Nombre d’entre eux ont rendu qui un hommage préparé, qui un salut spontané devant le cercueil recouvert du drapeau algérien, tous empreints d’émotions.
Je veux rendre hommage ici à l’homme intègre qu’était Jean Tabet. L’homme qui toute sa vie lutta pour un idéal commun, l’émancipation de l’homme.    


Il me faut dire aussi pour être honnête que nos divergences sur l'histoire récente de l'Algérie, sur l’Algérie d’aujourd’hui, sur les modalités de sa sortie de crise étaient nombreuses et lourdes.
Ces divergences ne doivent en aucun cas voiler le respect que je dois à la rectitude de Jean dans ses convictions. Il ne jouait pas. Sa franchise était entière. Ses convictions aussi. Non négociables. Je voudrais saluer ici ce caractère trempé.

Avec son autorisation, je porterai ci-devant un très beau poème, à la sincérité immédiate, saturé d’émotion, de Keltoum Staali, proche de Jean et collègue de l’association Salon Djezaïr.
(bientôt)
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Voici le texte



 Un jour pour mourir


Ce premier novembre est un beau jour pour mourir. Jean Tabet a choisi de mourir un premier novembre, lui qui était né un 19 mars. Bien sûr, c'est un hasard du calendrier, un caprice de la grande faucheuse, qui ne s'embarrasse pas de considérations symboliques. Mais pour ceux qui connaissent Jean, c'est surtout un dernier clin d'oeil du militant farouchement anticolonialiste, une façon d'inscrire à jamais son parcours dans l'histoire de l'Algérie indépendante à laquelle il a consacré sa vie. Une façon aussi de toujours tenir tête à la fatalité, de ne pas se rendre, de décider de son destin. De rester le maître à bord.
Ce matin de premier novembre Jean est mort, d'un seul coup. Il luttait depuis plusieurs mois contre une cruelle maladie qui ne lui laissait pas de répit. Ce matin, il s'apprêtait à boire son sacro-saint café et c'était le dernier. Voilà, c'est fini. Un dernier souffle. Le ciel était gris, un vent léger agitait les feuillages roussis par l'automne. C'était un beau jour pour mourir. Je devais le voir ce matin-là, à mon retour d'Alger, les bras chargés des dattes qu'il aimait, des livres qui venaient de paraître, des récits, des anecdotes, des nouvelles d'Algérie: la couleur du ciel, sa lumière,les pluies diluviennes, les rencontres improbables, les librairies, les amis, le jasmin, les orangers...le premier métro!
C'était donc un jour pour mourir. Il s'est bien battu jusqu'au bout, sans jamais se plaindre. Assis devant son café, il a dû perdre connaissance. Il est tombé. Le flou, le vertige, le grand noir. Simone l'a ramassé. Simone, toujours là. Elle l'a porté. Le moment était venu. Elle m'a téléphoné. Pas la peine de venir. Il vient de mourir.
Je regarde les dattes dorées et fondantes dans leur emballage de cellophane, serrées dans un  ruban rose.
Je regarde le ciel obstinément gris, grave, comme figé. Un ciel de circonstance. Un ciel d'automne qui pèse comme un poème baudelairien. Bas et lourd.

C'était son jour: un premier novembre aux échos insurrectionnels qui ont rythmé son chemin d'infatigable défenseur de la liberté et de la dignité des peuples qu'on opprime. Jusqu'à ses derniers instants, il s'est enthousiasmé pour les révoltes arabes, a suivi l'évolution de la situation en Tunisie, en Libye et dans le reste du monde.  N'a pas ménagé ses efforts pour soutenir le combat des peuples d'Afrique, des forces de progrès à travers le monde, lui, le communiste sans parti, l'internationaliste ami des grands de ce monde: Mehdi Ben Barka, Henri Curiel... Ses dernières inquiétudes sont pour la Tunisie et ses soubresauts démocratiques, pour le chaos libyen,  pour la Palestine  luttant pour son existence, pour la France menacée par la montée de l'extrême-droite.
Il est mort ce matin-là, devant la tasse de café odorant, dernière sensation, dernier parfum, dernier matin. Nous devions nous voir. Je reste avec mes dattes, mes livres, mes anecdotes, mes récits, ces cadeaux d'Algérie où il ne pouvait plus se rendre. Cette Algérie qu'il a tant aimée.

Keltoum staali

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IN MEMORIAM JEAN TABET: L’éclair et la brûlure

Par Abdelmadjid Kaouah

Ainsi donc, c’est par un  1er Novembre que Jean Tabet, «Juste de l’anti-colonialisme»,  vient de nous quitter. La  mort ne relève pas du hasard. Jean Tabet  achève ici-bas à une date emblématique sa marche pour rentrer dans l’histoire. Je l’avais vu au printemps dernier à Salon de Provence où il s’était installé depuis de nombreuses années, encore dans la force  de l’âge, au cœur de maintes initiatives de solidarité politique. Ces derniers mois, il luttait stoïquement contre un cancer. L’un des plus méchants, comme il me l’’avait dit tout dernièrement  au téléphone. Peu d’espoir, il en était le premier conscient. Mais  rien n’a ébranlé sa volonté ni sa détermination à poursuivre avec constance  et lucidité ses contributions  de tous les jours pour le progrès et la liberté des hommes. Il est mort debout sans jérémiades, entouré des soins et de l’amour de sa campagne Simone Roche. Une  amie  commune, très   proche  d’eux , m’a confié  qu’il avait minutieusement préparé ses obsèques. C’est dire  sa force de caractère et  quel homme, il était. Sa vie fut  profondément ancrée dans celle du Tiers-monde au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Reprenons quelques passages d’une chronique que nous consacrions à Jean Tabet confronté à son dernier combat. 
De parents nés en Algérie, d’origine juive, cette période a avivé sa sensibilité au rejet de l’oppression et de l’injustice. La première de ses révoltes fut celle contre le Père dont il réprouva  très jeune l’attitude obtuse sinon hostile. Force  de caractère précoce chez cet homme né au  Maroc. A  quatre ans, il suivait les batailles contre le nazisme,  mimant les combats aériens contre les Messerschmitt ! C’est long un parcours d’homme, surtout de militant.  Jean Tabet était pudique en ce qui concerne ses actes de bravoure et sa vie intime. Fort heureusement, la  réalisatrice Rina Sherman lui a consacré un film où il  évoque de vive voix son parcours. On replonge  avec lui dans les luttes anticolonialistes et anti-impérialistes des années 50/60 que les générations d’aujourd’hui ont du mal à imaginer. Et bien plus, certaines plumes nous affirment même que l’anti-impérialisme était devenu un combat d’arrière-garde…
Jean Tabet, osait,  pour sa part, se rebeller contre sa Tribu et se solidariser avec les indigènes, les bougnoules, ces «damnés de la terre». Mémorable confrontation sur cette question avec le père et même avec la mère- pourtant mendéssiste  et familière   de Ben Barka… Jean Tabet était issu d’une famille plus qu’aisée. Il aurait pu préférer son cocon, son clan à l’aventure anti-impérialiste. Non, il rompit  les amarres pour la clandestinité, la solidarité avec les damnés de la terre. Il restera intraitable à l’égard des fascismes et   leurs  relents en Europe et dans le monde. Intraitable également quand il s’agit de  l’émancipation totale des peuples Tiers-Monde libérés du chaînes du colonialisme mais encore en quête d’Etats de droit, soumis à des impostures politiques ou des potentats. Il ne manqua pas d’exercer sa vigilance à l’égard des indépendances confisquées et des subterfuges néo-coloniaux.
Jean Tabet dont nous avait dit: «Dès mon jeune âge, j’ai été fasciné par les plus grandes aventures  humaines du XXe siècle, des Brigades Internationales de la guerre d’Espagne, de la Résistance. Deux références utiles et justes. J’ai très mal vécu la guerre d’Algérie, je l’ai vécue comme une agression contre un peuple qui voulait être libre. Pour moi, j’avais le sentiment qu’on jouait le rôle de nos ennemis  la Gestapo, la dureté du fascisme. Donc, j’ai glissé comme ça de l’antifascisme à l’anti-colonialisme. Ce qui est au fond assez logique. La façon dont se comportait l’armée française en Algérie était totalement inadmissible. Je sais que ce n’était pas le cas de tout le monde. Il fallait trouver les moyens d’aider les gens qui luttaient pour leur liberté, qui luttaient pour leur indépendance. Et cette vieille phrase m’a toujours frappé : un peuple qui asservit  un autre peuple est lui-même asservi ». D’où une rencontre capitale du jeune homme qu’il était avec Mehdi Ben Barka. Un point d’orgue dans sa prise de  conscience anti-impérialiste. Sur  Ben Barka, Jean Tabet pouvait être  intarissable: «Mehdi Ben Barka était quelqu’un d’extraordinaire. Une énergie, une vitalité comme je n’en ai vu chez personne d’autre. Il n’arrêtait  jamais de travailler. Une vraie mitrailleuse. Il recevait dix personnes à la fois, menait quatre conversations en même temps. Pour aller plus vite, il organisait des rendez-vous dans sa voiture! Admiration mais aussi un regard objectif. «Il m’avait donné rendez-vous dans un café à Paris…
Il  m’adit: si tu veux je te fais découvrir un Maroc autre que celui que tu connais. Or, j’avais quitté enfant le Maroc et j’avais une vision, une impression du Maroc. Il m’a envoyé à plusieurs reprises en mission au Maroc parmi les gens de son parti. La misère, je l’avais vue mais  grâce aux militants de son parti j’ai vu l’analyse, si on peut dire, de la misère. La guerre d’Algérie était e n cours. Et je lui ai dit que je voulais être mis en contact avec le FLN pour aider  ce dernier…J’ai été au procès Janson. .. Et deux jours après, quelqu’un est venu me recruter dans les réseaux de soutien au FLN, réseau Curiel… ».
Après l’arrestation des Algériens avec lesquels, il était en rapport Jean Tabet était « grillé ».Il se réfugie alors  au Maroc. Auparavant, il avait interviewé Ben Barka pour «Vérité anticolonialiste». «Ben Barka m’adit: il faut maintenant que tous ceux qui ont aidé le FLN réfléchissent à aider d’autres mouvements de libération nationale». Il lui ouvre «les contacts avec tous les autres mouvements de nationaux de libération, ceux des colonies africaines, l’Union des populations du Cameroun, les mouvements  des colonies portugaises, le CNOCP, (Comité de coordination des organisations nationalistes des colonies portugaises présidé  par Aquino de Braganca, Amilcar Cabral qui passait régulièrement….
Rabat était un pays pourri mais qui était obligé quand même de donner le change et d’accueillir quelques mouvements de libération. Ce qui préfigure  ce qui se fera   plus tard en Algérie indépendante  à une échelle plus large. Il y avait aussi l’ANC d’Afrique du Sud, le Sawaba du Niger …
Et puis c’est l’indépendance de l’Algérie. Jean Tabet est sur les lieux, de la fête algérienne: « J’ai un souvenir extraordinaire de cette période. J’ai l’impression, je me trompe peut-être mais quand je vois les images et les joies de la Libération de la France, j’ai l’impression de joie de ce type. C'est-à-dire un peuple cherchant à se faire lui-même pour la première fois ».C’était à la suite d’une autre rencontre capitale : Henri Curiel. «Je rencontre enfin  Henri   qui sort de prison; c’est le choc, je comprends que ce qui chez moi était   spontané, un peu fou, est chez lui argumenté, ossaturé, théorisé. Il me touche énormément avec sa façon de mettre en valeur ses interlocuteurs, sa simplicité, son immense rayonnement humain. J’avais l’impression de ne rien pouvoir lui refuser. . C’est ainsi que je me retrouve à Alger avec Didar dirigeant  un groupe de l’organisation Solidarité en Algérie. Les liens vont s’étendre avec Saint-Domingue, le Venezuela, Cuba.». Jean Tabet sera instituteur à mi-temps à la Casbah pour rester immergé dans le peuple tandis que  Didar Fawzy (elle aussi aujourd’hui décédée) s’occupera surtout des chantiers volontaires.
D’autres fronts de la solidarité  sont ouverts. Les Palestiniens pour lesquels un autre ami emblématique de Jean Tabet tombera : l’Algérien Mohamed Boudia victime d’un attentat. Henri Curel également. Des assassinats politiques dont Jean Tabet ne doute pas de la signature et de préciser : « Il faut savoir qu’en cette période là, plein de leaders progressistes ont été assassinés par l’impérialisme soit américain soit français. Ce sont les leaders de l’union des populations du Cameroun, tel Félix Moumié ;  Amilcar Cabral de Guinée-Bissau, de Lumumba au Congo…
C’était une politique radicale pour éliminer les leaders importants».
Jean Tabet est resté un militant infatigable: la  montée du Front national et de l'idéologie d'extrême droite en  France  le conduit  à lever haut le drapeau du nouvel antifascisme  en lançant, avec  sa compagne, Simone Roche comme coordinatrice,  le Salon du livre antifasciste de Gardanne et de Martigues. Documentaliste de profession, Jean Tabet  avait appelé à «engager les professions du livre dans un combat pour la liberté» afin  "d'éclairer sans brûler".  Au plus dur de « la décennie rouge», il ne manqua pas  d’apporter   de nouveaux témoignages de solidarité aux Algériens victimes d’un intégrisme mortifère. Il était  ces derniers temps en solidarité avec les Tunisiens.
Sur la crise économique internationale,   il avait eu des mots prémonitoires : «  la mondialisation »  i met « en concurrence les travailleurs, les nations en même temps qu’elle déclenche des crises identitaires, des crises de l’Etat-nation, elle oblige à constater qu’avec le néolibéralisme, ses mouvements de  capitaux, son économie mafieuse, elle laisse près de 2 milliards de personnes en situation de pauvreté absolue, elle provoque des séries de conflits dont certains vont jusqu’au génocide, en deux mots, elle installe un monde apartheid, un monde barbare ».On a conscience que sur le papier on répercute faiblement la parole de Jean Tabet. Sa voix a la force de ceux qui ont des convictions indestructibles, qui  traversent  les épreuves en  gardant  confiance dans un avenir des hommes toujours meilleur. Il parlait  sans grandiloquence.
Jean Tabet aimait à citer ce vers d’ Hölderlin: «Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve». Ces derniers mois, il livra un autre combat, plus personnel et peut-être non moins périlleux. Le cancer. Fatal. Durant trois ans, il avait refusé de faire le film avec la  réalisatrice Rina Sherman. La gravité de son état avait fini par lui faire accepter le projet. «Jean Tabet : Une lueur d’espoir», tel est le titre du film qui devient, après sa disparition, davantage incontournable. Film longtemps  attendu, conduit avec tact et chaleur où il se  livre sans fard et sans emphase. Un moment de vérité. Sur l’histoire d’un engagement anti-colonial et son prolongement et sur la personne. Moment d’émotion  quand Jean Tabet, dans une rare digression, évoque  d’un mot  la lumière, la luminosité d’un ciel maghrébin. Quelle nostalgie et quelle tendresse dans la voix de ce «évolutionnaire professionnel», comme on n’en fait plus, ce «communiste à part»…
Adieu Jean Tabet. Merci, Jean!

A.K., le vendredi 4 novembre 2011



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