Modiano_Nobel_de_litt_rature_J_aimerai_savoir_pourquoi_ils_m_ont_choisi_BFMTV_ 09102014_
Modiano_Cin_ma_Cin_mas_1990_ Video de Vincente 07_
Par contre ce que je peux affirmer
c’est que, d’emblée, j’ai éprouvé un sentiment très fort à l’égard de ce grand jeune
homme qui avait beaucoup de choses à dire, mais qui, manifestement, ne les
disait pas sans grandes difficultés. Cela m’avait très touché, fortement
ébranlé. C’est ainsi que je découvrais Patrick Modiano. Il était venu parler de
son roman (si mes souvenirs ne me trahissent pas) : « Rue des
boutiques obscures » que je suis allé acheter les jours suivants et le
dédiais à mon amie pour son anniversaire.
Médiapart 1.8
« Le soir est tombé. Le lagon
s’éteignait peu à peu à mesure que sa couleur verte se résorbait. Sur l’eau
couraient encore des ombres gris mauve, en une vague phosphorescence. J’ai
sorti de ma poche, machinalement, les photos de nous que je voulais montrer à
Freddie, et parmi celles-ci, la photo de Gay Orlow, petite fille. Je n’avais
pas remarqué jusque – là qu’elle pleurait. On le devinait à un froncement de
ses sourcils. Un instant, mes pensées m’ont emporté loin de ce lagon, à l’autre
bout du monde, dans une station balnéaire de la Russie du Sud où la photo avait
été prise, il y a longtemps. Une petite fille rentre de la plage, au
crépuscule, avec sa mère. Elle pleure pour rien, parce qu’elle aurait voulu
continuer de jouer. Elle s’éloigne. Elle a tourné le coin de la rue, et nos
vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin
d’enfant ? »
Médiapart 2.8
Aujourd’hui je ne vis plus à Paris, Libé a disparu, Seberg aussi, mais j’admire toujours Patrick Modiano, pour les raisons indiquées, mais aussi pour ses écrits. J’ai lu plusieurs de ses romans. Demain J’achèterai le Quatro qui lui est consacré.
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Patrick Modiano prix Nobel
de littérature
Libération 9 octobre 2014 à 13:02 (Mis à jour : 9
octobre 2014 à 17:18)
A 69 ans, le romancier devient
le quinzième Français à recevoir la prestigieuse récompense.
Le romancier français Patrick Modiano a reçu jeudi le
prix Nobel de littérature 2014. A 69 ans, il devient ainsi le quinzième
Français à recevoir la prestigieuse distinction.
Modiano a été récompensé pour «l’art de la mémoire
avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et
dévoilé le monde de l’Occupation», a indiqué l’Académie suédoise dans un
communiqué. Son «univers est fantastique, ses livres se répondent les
uns aux autres», a expliqué le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise
Peter Englund à la télévision publique suédoise SVT, qualifiant l’auteur de «Marcel
Proust de notre temps».
«Cela me semble un peu irréel parce que je me souviens
de souvenirs d’enfance, même Camus, je devais avoir 12 ans, et puis
d’autres», a dit le romancier lors d’une
conférence de presse chez son éditeur Gallimard, à Paris. «Cela me semble un
peu irréel d’être confronté avec des gens que j’ai admirés», a-t-il ajouté.
«C’était comme une sorte de dédoublement avec quelqu’un qui s’appelait comme
moi (...) Tout cela a été un peu abstrait», a-t-il ajouté. «J’ai vu que
j’étais (dans les listes, ndlr), mais je ne m’attendais pas du tout.»
Patrick Modiano s’est aussi interrogé sur les raisons du
choix du jury et a dédié son prix à son petit-fils suédois. «Je voudrais
savoir comment ils ont expliqué ce choix, j’ai hâte de voir quelles sont les
raisons pour lesquelles ils m’ont choisi», a-t-il déclaré. «J’ai un lien
avec la Suède. Mon petit-fils est suédois, je lui dédie ce prix parce que c’est
son pays», a-t-il ajouté.
Médiapart 3.8
Ecrivain accessible
Son éditeur, Antoine Gallimard, pensait «qu’il aurait
fallu attendre 30 ans pour qu’un autre Français soit couronné par le Nobel
après Le Clézio». Et aussi que ce prix récompensait «plutôt des livres
qui brassent les époques, les évènements. Là, ils ont choisi une œuvre qui est
dans l’intimité, le mystère», a-t-il noté.
L'œuvre de Patrick Modiano est un jeu de piste
permanent, où rien n’est laissé au hasard. Un critique littéraire de l’Express
avait relevé qu’au moins cinq personnages, issus de cinq romans, logeant à cinq
adresses différentes, partageaient un seul numéro de téléphone :
Auteuil 15-28. Le romancier français a centré toute son œuvre sur le Paris
de la Seconde Guerre mondiale, dépeignant le poids des événements tragiques
d’une époque troublée sur le destin de personnages ordinaires.
Son style sobre, limpide, a fait de lui un écrivain
accessible et apprécié du grand public comme des milieux littéraires. «Ses
livres parlent beaucoup de recherche, recherche de personnes disparues, de
fugitifs [...]. Ceux qui disparaissent, les sans-papier et ceux avec des
identités usurpées», a souligné Peter Englund.
Ses héros, en rupture de ban, sont en perpétuelle
recherche identitaire. Ils évoluent à mi-chemin entre deux mondes, entre ombre
et lumière, vie publique et destin rêvé. Les textes de Modiano dessinent aussi
une géographie de Paris avec une minutie documentaire.
Traduit en 36 langues
Protégé de Raymond Queneau, Patrick Modiano a publié son
premier roman, la Place de l’Etoile, en 1968. Il a depuis écrit une
trentaine de romans, tous publiés chez Gallimard. En 1974, il a écrit, avec le
cinéaste Louis Malle, le scénario d’un film à succès, Lacombe Lucien,
l’histoire d’un adolescent tenté par l’héroïsme, et qui plonge dans la
collaboration dans la France de 1944. Il est également l’auteur d’autres
scénarios, ainsi que d’un essai avec Catherine Deneuve sur la sœur tôt disparue
de l’actrice, François Dorléac.
Juré en 2000 du Festival de Cannes, il a aussi écrit des
paroles de chansons, comme Etonnez-moi Benoît !, interprétée par
Françoise Hardy, et publié un entretien avec l’essayiste Emmanuel Berl (Interrogatoire).
Médiapart 4.8
Il obtient en 1972 le Grand Prix du roman de l’Académie
française pour les Boulevards de ceinture, le Goncourt en 1978 avec Rue
des boutiques obscures et le Grand Prix national des lettres pour
l’ensemble de son œuvre en 1996. Patrick Modiano est traduit en quelque 36
langues, dont en suédois dans la maison d’édition d’Elisabeth Grate, qui publie
également les œuvres de Jean-Marie Le Clézio, dernier prix Nobel de littérature
français, consacré en 2008.
Patrick Modiano succède à la nouvelliste canadienne
anglophone Alice Munro, primée en 2013, et emporte la récompense de huit
millions de couronnes (environ 878 000 euros). Son nom figurait parmi
les favoris au prix depuis de nombreuses années. Il recevra son prix à
Stockholm le 10 décembre.
L’institution n’avait pas réussi à le joindre avant
d’annoncer le vainqueur de ce prix.
Le lauréat a reçu les félicitations du chef de l'Etat
via Twitter.
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Médiapart 5.8
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Les vies antérieures de
Patrick Modiano
09 OCTOBRE
2014 | PAR Ellen Salvi
Le romancier
français a reçu jeudi le prix Nobel de littérature 2014 pour « son art
de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus
insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation ». Avec cette
récompense, l'académie suédoise a surtout distingué quarante années de quête
obsessionnelle, motivée par l'urgence de l'oubli. L’œuvre d'une vie, ou plus
exactement, de plusieurs vies.
C’est un soir d’octobre, à Paris. Une
silhouette géante, vêtue d’un imperméable beige, s’avance vers le théâtre de la
Colline où se tient le festival littéraire des Inrocks. Nous sommes en
2007, mais l’année n’a guère d’importance. Le lieu non plus, d’ailleurs.
L’homme a les mains dans les poches et les yeux baissés vers le trottoir où son
ombre semble s’étendre à l’infini. Dans quelques minutes, Patrick Modiano se
retrouvera devant une salle comble pour parler de son dernier roman, Dans le
café de la jeunesse perdue. Un exercice qu’il déteste et auquel il n’accepte
de se prêter qu’en de rares occasions. Sortir de l’ombre, parler de lui à la
première personne, pratiquer l’autopsie de sa propre œuvre… Être dans le
présent. Un enfer pour cet homme qui n’a jamais vécu autrement qu’au travers de
ses vies antérieures.
En repensant à la façon dont sa main
tremblait la première fois qu’il serra la mienne, et en revoyant ses yeux
s’écarquiller et ses lèvres bredouiller quand il comprit que je disséquais
moi-même son œuvre depuis trois ans, dans le cadre de travaux universitaires,
je ne peux m’empêcher d’imaginer sa réaction en apprenant qu’il venait de
recevoir le prix Nobel de littérature. Il suffit de regarder l’entretien qu’il
avait accordé juste après avoir reçu le prix Goncourt pour « l’ensemble
de son œuvre », en 1978, l’année de Rue des boutiques obscures,
pour en avoir un aperçu.
À son
éditeur, Antoine Gallimard, qui l’a appelé ce jeudi 9 octobre pour lui annoncer
les résultats du prix Nobel, le romancier a simplement répondu : « C’est
bizarre. » Une expression qui prête à sourire lorsqu’on connaît un peu
le personnage. Car c'est bien simple, avec lui, tout est « bizarre ».
Les jurés qui l’ont récompensé pour « son art de la mémoire avec lequel
il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde
de l'Occupation », ont précisé à la télévision publique suédoise que
l'Académie n'avait pas réussi à joindre le lauréat avant d'officialiser sa
victoire. Rien de plus normal. Modiano est à l'image des personnages qui errent
entre les lignes de ses romans depuis plus de quarante ans :
insaisissable.
Médiapart 6.8
C'est d'ailleurs pour cette raison que la
critique littéraire peine souvent à trouver les mots justes pour décrire ce
qu'elle finit par qualifier en dernier ressort de « petite
musique ». Difficile d’expliquer à l’écrit ce que l’on ressent en
ouvrant un livre de Modiano, cette sensation d’être chez soi, sous un plaid, à
l’abri du temps et des événements extérieurs. Sans vouloir dissuader ceux qui
voudraient lire ce papier jusqu'au bout, l’écoute de certaines gymnopédies
d’Éric Satie est souvent bien plus efficace que la lecture d’articles de presse
pour toucher du doigt l'essence d'une œuvre que le romancier lui-même ne sait
commenter. Sa parole est aussi rare que les entretiens qu'il accorde sont douloureux.
Modiano hésite, se mord les lèvres, cherche ses mots… Et ne les trouve jamais.
Si l’écrivain a tant de mal à répondre aux
questions des journalistes, c’est d’abord parce qu’il a l’impression, à chaque
nouveau roman, d’être allé le plus loin possible dans sa quête de sens. C’est à
l’écrit, et seulement à l’écrit, qu’il parvient à trouver quelques réponses à
ses innombrables interrogations. D’aucuns se plaisent à dire que Modiano écrit
toujours le même livre. C’est faux. Depuis la parution de son premier roman en
1968, La Place de l’Étoile, jusqu’au récent Pour que tu ne te perdes
pas dans le quartier, il avance. Mais comme tous les géants, sa démarche
est lente, imprécise, tâtonnante.
’une des phrases qui résument sans doute
le mieux ses obsessions se trouve dans Livret de famille : « Je
n'avais que vingt ans, mais ma mémoire précédait ma naissance. J'étais sûr, par
exemple, d'avoir vécu dans le Paris de l'Occupation puisque je me souvenais de
certains personnages de cette époque et de détails infimes et troublants, de
ceux qu'aucun livre d'histoire ne mentionne. Pourtant, j'essayais de lutter
contre la pesanteur qui me tirait en arrière, et rêvais de me délivrer d'une
mémoire empoisonnée. » Quand on parle de Modiano, trois mots
reviennent nécessairement : identité, passé et mémoire. Pourtant, comme il
le confiait lui-même à la sortie de L’Herbe des nuits, « c’est
l’oubli le fond du problème, pas la mémoire ».
« Drôles de gens. Drôle d'époque entre chien et loup »
Patrick
Modiano a peur de l’oubli. Comme ses personnages, il compulse les bottins et
les journaux anciens, qui constituent à ses yeux « la plus précieuse et
la plus émouvante bibliothèque qu'on (peut) avoir, car sur leurs pages (sont)
répertoriés bien des êtres, des choses, des mondes disparus, (…) dont
eux seuls (portent) témoignage ». Ses romans sont peuplés de
fantômes, d’adresses effacées et de numéros de téléphone qui sonnent dans le
vide. Lui qui confiait il y a peu à Télérama avoir « toujours eu
l'envie, la nostalgie de pouvoir écrire des romans policiers », se
meut en détective à la moindre occasion. Dicté par la rêverie, il mène ses
enquêtes dans un monde parallèle, où « le passé et le présent se mêlent
(...) par un phénomène de surimpression ».
Médiapart 7.8
Sous sa plume, Paris est un espace
poétique et crépusculaire qui ne ressemble en rien à la ville que nous
connaissons. Les boulevards de ceinture, les cinémas du quartier latin, les
petits hôtels inquiétants de Montparnasse… Tout ce qui a été détruit au cours
des cinquante dernières années surgit à nouveau de terre. Les romans de Modiano
ont cela de précieux qu’il suffit de frapper « du talon sur certains
points sensibles de Paris pour que les souvenirs jaillissent en gerbes
d'étincelles ». Ils permettent de se perdre dans des rues vides et
inconnues, souvent à la tombée de la nuit, à cette heure qui sied si bien aux
personnages de l’écrivain. Un morceau de la recette de ce voyage dans le temps
se trouve dans L’Herbe des nuits : « Les dimanches,
surtout en fin d'après-midi, et si vous êtes seul, ouvrent une brèche dans le
temps. Il suffit de s'y glisser. »
Et nous voilà plongés dans le Paris de
l’Occupation, cette « nuit originelle » durant laquelle
les parents du romancier se sont rencontrés et où, comme il l’écrit dans Un
Pedigree, « l'on passait si facilement de l'ombre à une lumière
trop crue et de la lumière à l'ombre ». « Drôles de gens.
Drôle d'époque entre chien et loup. » Drôle d’ambiance, surtout. Dans
ce monde à côté du monde, les gens disparaissent et réapparaissent sans autre
explication. Ils changent d’identité, craignent de mystérieux dangers, se
cachent sans que l’on sache vraiment pourquoi et ne trouvent leur salut que
dans l'obscurité. Le père de l’écrivain, Albert, est de ceux-là.
Natif d’une « famille
juive de Toscane », l’homme ne s’est pas présenté au recensement
d’octobre 1940. Sur son veston, “la place de l’étoile” est restée vacante. « Mon
père était obligé de se cacher, évidemment. (…) Il est resté à Paris
jusqu’à la fin de l’Occupation. Sous une fausse identité. C’était une vie clandestine.
(…) Il avait des activités d’ordre plus ou moins financier, pas douteuses,
chimériques plutôt », écrit Modiano dans Un Pedigree, son roman
le plus autobiographique. De quelles activités s’agissait-il exactement ?
Albert Modiano a-t-il réellement frayé avec les collabos de la rue de
Lauriston, comme le suggèrent les premiers romans de son fils ? Nul ne le
sait.
L’essentiel
ne se trouve même plus dans la réponse à cette question. Car si Modiano a
besoin de souvenirs précis, son écriture, elle, peut désormais s’en passer. En
témoigne cette citation tirée de La Vie de Henry Brulard de Stendhal,
que l’écrivain place en exergue de Pour que tu ne te perdes pas dans le
quartier : « Je ne puis pas donner la réalité des faits, je
n'en puis présenter que l'ombre. » Ce qui importe, c’est que l’ombre
d’Albert Modiano, et avec elle, celles de Raphaël Schlemilovitch, Chalva
Deyckecaire, Dora Bruder, Serge Alexandre, Guy Roland, Annie Astrand et autres
personnages anonymes, sortent enfin de « la nuit froide de l’oubli ».
Médiapart 8.8
Comme eux,
Patrick Modiano fait désormais partie de ces « êtres mystérieux,
toujours les mêmes, qui se tiennent en sentinelles à chaque carrefour de notre
vie ». À 69 ans, il devient le quinzième Français à recevoir le prix
Nobel de littérature et ce, cinquante ans après que Jean-Paul Sartre l’a
refusé, provoquant ainsi la vexation de l’Académie suédoise qui avait mis
trente ans avant de récompenser de nouveau un auteur français, Claude Simon, en
1985.
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Patrick Modiano, l'origine du
roman, la solitude et Internet
09 OCTOBRE
2014 | PAR Sylvain Bourmeau
L'écrivain
Patrick Modiano a reçu, jeudi 9 octobre, le Prix Nobel de littérature. Dans un
long entretien à Mediapart, réalisé en mars 2010, il s'expliquait sur son
travail et sur son œuvre.
L'écrivain
Patrick Modiano a reçu, jeudi 9 octobre, le prix Nobel de littérature. Dans un
long entretien à Mediapart, réalisé en mars 2010, il s'expliquait sur son
travail et sur son œuvre. Cet entretien, fait par Sylvain Bourmeau, à
l'occasion de la parution du roman de Patrick Modiano L'Horizon a été
initialement mis en ligne le 9 mars 2010
(suivent les vidéo)
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http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Bernard-Pivot-Patrick-Modiano-est-un-coloriste-des-souvenirs-2014-10-09-1246653
Bernard
Pivot : « Patrick Modiano est un coloriste des souvenirs »
L’écrivain
et critique Bernard Pivot a suivi le parcours littéraire de l’auteur, depuis La
Place de l’Étoile jusqu’au tout récent Pour que tu ne te perdes pas dans
le Quartier. Il revient sur le charme envoûtant d’une œuvre qui, sans
relâche, explore la mémoire.
La Croix : Vous vous dites
étonné de ce Prix Nobel remis à Patrick Modiano. Pourquoi ?
Bernard Pivot : Je suis, en effet, à la fois ravi et très surpris ! Il
y a tout juste six ans, en 2008, J.M.G Le Clézio obtenait déjà cette
récompense et, même si je sais que Patrick Modiano figurait parmi les favoris
de l’Académie suédoise, je pensais qu’il aurait quelques années à attendre.
D’autant que beaucoup de pays possédant de très beaux auteurs n’ont jamais
encore été récompensés par le Nobel.
De plus, ces derniers temps, le prix revenait plutôt à
des écrivains dont l’œuvre témoigne d’une haute qualité littéraire mais touche
aussi à l’ethnologie, à l’économie ou à la politique… Or, les romans de Patrick
Modiano n’explorent qu’un champ, celui de la littérature. Ils sont pure
littérature. Double étonnement donc…
Son œuvre
n’a-t-elle pas tout de même une relation très étroite à l’histoire ?
B. P. : Plus
qu’à l’histoire, je dirais à la mémoire. C’est d’ailleurs ce mot de mémoire que
souligne le communiqué de l’Académie suédoise. Elle a entièrement raison :
Modiano est un artiste de la mémoire, un coloriste des souvenirs. Son nuancier
explore les demi-teintes, les pastels, les clairs-obscurs.
Ce qui est fascinant dans ses romans repose en grande
part sur le contraste entre une géographie très méticuleuse et une histoire
floue. Voyez comme le nom des rues, des hôtels, des restaurants… sont précis.
Et combien les dates, elles, restent vagues, flottantes. Cette imprécision du
calendrier nourrit le charme si particulier de son écriture, un charme prenant
et pourtant âpre bien souvent.
Cette
âpreté tient-elle à la détresse de ses personnages ?
B. P.
: Chez Modiano, on rencontre beaucoup de « paumés ». Ses personnages
demeurent énigmatiques, instables au sens physique du terme. Ils sont toujours
entre deux quartiers, entre deux vies. C’est un écrivain de l’entre-deux dont
les héros ne savent pas toujours d’où ils viennent et pratiquement jamais où
ils vont !
Comment un
romancier aussi français peut-il avoir été choisi par une Académie qui honore
la littérature universelle ?
B. P.
: Il est très français et même très parisien. Paris est le cadre (et bien plus
que cela) d’une part essentielle de son œuvre. L’Académie suédoise qui compte
beaucoup de francophiles y est sans doute sensible…
La dimension universelle de ses romans tient à cette
relation à la mémoire que nous évoquions tout à l’heure. Tout le monde fouille
sa mémoire, interroge son passé, est obsédé par lui qu’il le veuille ou non,
qu’il le sache ou non. La manière dont le fait Modiano, l’artiste Modiano, mêle
réalité et rêverie. Et, là encore, c’est un véritable charme qui s’insinue en
nous.
En
publiant Un Pedigree en 2005, Patrick Modiano explorait directement
sa propre mémoire sans le truchement d’un personnage de fiction…
B. P.
: Un texte bouleversant même s’il fait preuve de la retenue qui caractérise son
style. Je pense que l’écrivain voulait alors nous tendre sa « carte de
visite », nous donner quelques clefs d’une œuvre dont l’aspect
autobiographique est évident mais avec tellement peu d’ostentation qu’il
demeure profondément mystérieux.
En 2007,
vous avez écrit un portrait de Patrick Modiano pour la série télévisée
« Empreintes » (1). Quel souvenir en avez-vous conservé ?
B. P. :
Beaucoup de souvenirs ! Je le connaissais déjà bien pour l’avoir invité
régulièrement sur le plateau d’Apostrophe ou de Bouillon de Culture.
Mais j’avoue avoir été particulièrement ému quand il m’a montré la lettre que
je lui avais écrite en 1968 après avoir lu, sur épreuves, son premier roman, La
Place de l’Étoile. Non seulement, il avait gardé la lettre mais aussi son
enveloppe. Dans un geste éminemment modianesque…
(1) Le film, réalisé par Antoine de
Meaux, est rediffusé sur France 5, le dimanche 12 octobre à
9 h 15.
9/10/14 - 16 H 40
LA CROIX
Les
principales œuvres de Patrick Modiano
9/10/14 - 16 H 48
Patrick Modiano a publié une quarantaine d’ouvrages dont
une grande majorité parue dans la collection blanche de Gallimard. On lui doit
aussi plusieurs livres pour la jeunesse, dont Catherine Certitude illustré
par Sempé, paru pour la première fois en 1988 dans le magazine Je Bouquine
(Bayard).
1968 : La place de l’Étoile, son premier roman,
obtient le Prix Roger-Nimier et le prix Fénéon.
1969 : La Ronde de nuit, dont le personnage
travaille à la fois pour la Collaboration et pour la Résistance.
1972 : Les boulevards de ceinture évoque une
quête du père.
1974 : scénario du film Lacombe Lucien, cosigné
avec Louis Malle.
1974 : Villa Triste, son 4e roman, se situe dans
les années 1960.
1977 : Livret de famille mêle souvenirs
autobiographiques et digressions imaginaires.
1978 : Rue des boutiques obscures obtient le Prix
Goncourt.
1981 : Une jeunesse, suivi en 1982 de De si
braves garçons, évocation du collège Valvert.
1997 : Dora Bruder enquête sur la disparition
d’une jeune fille arrêtée par la police française en 1941, en y intégrant des
éléments autobiographiques. Son père y est réhabilité.
2001 : La petite Bijou explore la figure de la
mère.
2005 : Un pedigree, livre autobiographique.
2014 : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier,
28e roman.
9/10/14 - 16 H 48
_________________
LA CROIX
Lambeaux
d’un passé obscur
Un carnet
d’adresses perdu, des voix au téléphone, un rendez-vous dans un café, l’univers
de Modiano, encore et toujours.
1/10/14 - 14 H 12
POUR QUE TU
NE TE PERDES PAS DANS LE QUARTIER
de Patrick Modiano
Gallimard,
162 p., 16,90 €
Dans le Paris, étouffant de chaleur,
d’une fin d’été, la sonnerie insistante d’un téléphone brise la solitude de
Jean Daraganne. Au bout du fil, un certain Gilles Ottolini a retrouvé son
carnet d’adresses, perdu dans un train qui filait vers la Côte d’Azur. Il se
propose de le lui remettre en mains propres. À quoi bon le récupérer? Jean
Draganne n’appelle plus personne et qui répondrait encore?
La «voix molle et menaçante» se
fait pressante. Rendez-vous, quartier de la Madeleine. Accompagné par une jeune
femme effacée, craintive, Ottolini confie à Jean Daraganne un dossier sur le
meurtre d’une Corinne Laurent, qui travaillait dans une boîte de nuit et dont
le corps a été retrouvé dans un hôtel. L’univers de Patrick Modiano, inchangé,
avec son halo de mystère, de signes épars, de phrases oniriques, de flottement
et d’errances au pays des ombres.
Comment se débarrasser des importuns,
surgis de nulle part, qui viennent remuer la vase d’un passé «translucide», aux
contours imprécis? Que faire de ses souvenirs quand ils se dérobent «comme
des bulles de savon ou les lambeaux d’un rêve»?
Jean Daraganne n’a aucune envie de
plonger dans ce trou noir. Son retrait du monde le pousse à «se laisser
glisser au fil du courant, sans résistance», à «faire la planche», dans
«le Paris trop lisse et empaillé» du XXIe siècle.
Ouvrir ce dossier, c’est étaler devant soi les pièces, mal découpées, d’un
puzzle indéchiffrable, se perdre dans des rues obscures, chercher des
appartements introuvables, croiser «des figurants depuis longtemps
disparus», s’enfoncer à tâtons dans des brumes qui engloutissent le
passant comme le passé.
Sans le vouloir, Jean Daraganne tire
doucement le fil qui le ramène aux années 1950. Se reconnaît-il sur le
photomaton de cet «enfant non identifié», enlevé, séquestré dans «une
maison des environs de Paris», par une «danseuse acrobatique», arrêtée
au moment de vouloir franchir la frontière avec lui? À quoi renvoient les
fragments de ce dossier énigmatique: monde hippique, casinos en bordure de
forêt, faux passeport? Et ce vestige troublant, une robe de satin noir, aperçue
chez Guy Ottolini? Comment raccorder «ces détails décousus» qui
remontent à la surface de la conscience: mystérieuses allées et venues, visites
nocturnes, murmures de comploteurs, crissement de pneus sur le gravier?
Au-delà des boulevards de ceinture,
les noms de lieux imprègnent toujours l’atmosphère des romans de Modiano:
Saint-Leu-la-Forêt, forêt de Montmorency, casino de Charbonnières, champ de
courses du Tremblay. Dans ce dédale de sables mouvants, les personnages qui
apparaissent s’évanouissent dans l’oubli, s’évaporent sans explication.
La fin déchirante de ce roman
rappelle l’autobiographie bouleversante de Patrick Modiano, Un Pedigree, qui
révélait sa solitude extrême et son désarroi d’enfant abandonné avec Rudy, son
frère disparu. À bientôt 70 ans, il lève le voile: «Écrire un livre,
c’était aussi, pour lui, lancer des appels de phares ou des signaux de morse à
l’intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu’elles étaient devenues.»
Avec le temps, le style envoûtant de
Patrick Modiano devient moins net, plus vaporeux, comme épuré, suspendu,
inachevé. Qui peut écrire aujourd’hui de telles phrases, si belles, si fortes: «Non,
il ne reviendrait pas sur les lieux pour les reconnaître. Il craignait trop que
le chagrin, enfoui jusque-là, ne se propage à travers les années comme le long
d’un cordon Bickford.»
Jean-Claude
Raspiengeas
1/10/14 - 14 H 12
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Un blog pour les amateurs du
mystère Modiano
Alexandra Schwartzbrod9 octobre 2014 à 19:45
Denis Cosnard, journaliste au
«Monde», a créé un «Réseau Modiano» consacré à l'écrivain... qui n'a jamais accepté
de le rencontrer.
Il a découvert Modiano à l’adolescence, en lisant De
si braves garçons (France Loisirs, 1983; Folio, 1987) et il a été saisi par
cette «voix particulière» qui se dégageait du texte et le touchait plus
qu’aucune autre. Il a tout lu, décryptant sans relâche le style, les lieux, la
langue Modiano. Au point d’en faire un blog, Réseau Modiano, puis un livre, Dans
la peau de Modiano (Fayard, 2011), dans lesquels il tente de livrer
certaines clés du mystère et de la légende. Pourtant, il n’a rien d’une groupie
surexcitée et aveuglée par la passion. Denis Cosnard, 49 ans, est
journaliste économique au Monde après avoir longtemps travaillé au
quotidien les Echos.«A force d’être un lecteur fidèle et attentif, je me
suis rendu compte qu’il y avait, dans l’œuvre de Patrick Modiano, des noms, des
numéros de téléphone, des scènes, des personnages récurrents, un
"déjà-vu" éclairé chaque fois de façon différente. J’ai voulu
raconter et ordonner tout ça», nous a-t-il expliqué après avoir appris
l’attribution du Nobel à l’écrivain. C’est alors qu’il a découvert que beaucoup
d’autres avaient la même passion. De nombreux universitaires étrangers,
australiens et britanniques notamment, ont aussi étudié l’œuvre du grand homme
«sans œillères ni tabou».
Une communauté d’inconditionnels
Pourquoi ce nom, Réseau Modiano ? L’idée était de
montrer qu’il existe une communauté d’inconditionnels attendant fébrilement, à
chaque nouvelle publication, la sortie de l’ouvrage en librairie. Et aussi,
dans l’œuvre de Modiano, un réseau de personnages dont certains ont été puisés
dans la réalité. Ainsi Eddy Pagnon, «sinistre collabo, membre de la bande de
la rue Lauriston, qui revient dans 90% de ses romans», note Cosnard en
soulignant cet autre talent de l’écrivain, sa capacité à mêler fiction et
réalité. «Il prend des morceaux de réalité et les malaxe, les triture, les
vaporise dans ses romans.»
Le journaliste lui a consacré une bonne partie de sa
vie, il l’a donc rencontré ? Eh bien… non. «Son éditeur m’a dit qu’il
ne le souhaitait pas», reconnaît-il. «Mais, quelque part, je le
remercie. D’abord, si j’avais attendu que la vérité tombe de sa bouche,
j’attendrais encore… Ensuite, ça m’a forcé à creuser ses textes, à défricher
son réseau de personnages jusqu’à me rendre aux archives de la préfecture de
police pour trouver les minutes des procès des collabos.» Denis Cosnard
n’est pas non plus un forcené, il aime aussi Georges Pérec et Emmanuel Carrère,
mais aucun autre blog n’est prévu pour l’instant.
Alexandra Schwartzbrod
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Modiano, premières rencontres littéraires
Philippe Lançon 4
octobre 2007 à 00:29
ARCHIVES INTERVIEW
Les premières rencontres
littéraires du jeune Modiano. Entretien.
Patrick Modiano a reçu le prix Nobel de littérature
2014. «Libération» l'avait rencontré en 2007 pour évoquer ses premières
lectures. Le titre original de cet article, paru en octobre 2007, était : «Mais
qui est Dédé Sunbeam ?»
Trois écrivains
d'après-guerre traversent en seconds rôles, au coeur des années soixante, les
cafés parisiens du roman de Patrick Modiano : le dramaturge Arthur Adamov, le
poète Olivier Larronde, le romancier Maurice Raphaël. Un écrivain est fait d'écrivains.
Pour Libération, l'auteur évoque deux grandes figures littéraires qui
ont accompagné ses débuts, Raymond Queneau et Paul Morand, et certains textes
qui ont marqué sa jeunesse.
Le premier écrivain que vous
avez connu est Raymond Queneau. Plus tard, avec Malraux, il a été témoin à
votre mariage. Comment est-il entré dans votre vie ?
De 11 à 17 ans, j'ai été dans des pensionnats. Quand
j'étais à Paris, je pouvais sortir le samedi et j'allais chez mes parents. Ma
mère connaissait la femme de Queneau et un samedi, à déjeuner, il se trouvait
là. J'avais quatorze ans et demi. Il a dû voir que j'étais un peu livré à
moi-même. Par gentillesse sans doute, il m'a dit : tu peux venir déjeuner chez
moi le samedi. Donc, de fin 1959 à juin 1960, quand j'étais interne au lycée
Henri IV, je suis allé déjeuner chez lui. Il était souvent seul, le samedi. Il
habitait rive droite, près du Pont de Neuilly, c'était une espèce de bloc
d'immeubles 1930. Square Casimir Pinel, c'est ça ! Un nom qui aurait pu figurer
dans ses livres. Ensuite, il me raccompagnait en taxi, rive gauche, où il
allait voir... une amie, place Saint-André-des-Arts.
Vous parliez de quoi ?
Comme il était obsédé par les mathématiques, il m'aidait
à faire mes devoirs de ce qu'on appelait alors géométrie dans l'espace. Moi, je
n'y comprenais rien. Il essayait de m'expliquer. C'était un ou deux ans après Zazie
dans le métro. Il me disait qu'il l'avait écrit à partir d'équations.
C'était très obscur pour moi. Il était assez taciturne. Il me demandait mes
lectures. Il avait été intrigué, parce qu'elles étaient assez incohérentes à
l'époque. Par exemple, j'avais lu un texte de Léon Bloy, Belluaires et
porchers. Pour un garçon de ma génération, c'était bizarre. Plus tard, j'ai
lu dans son journal qu'il avait été obsédé par Léon Bloy.
Aviez-vous lu les livres de
Queneau ?
Deux, surtout : Pierrot mon ami et Loin de
Rueil. Pour moi, ça formait un bloc. Il savait que je m'intéressais à Paris
et il m'indiquait des tas d'endroits de promenade, souvent des endroits absurdes
et pas du tout pittoresques. Il avait écrit là-dessus dans le journal L'Intransigeant
avant la guerre. C'est compliqué à expliquer, ces lieux... Il y avait notamment
une rue au fin fond de ce quartier, là, près de la gare d'Austerlitz. Et des
endroits à la lisière du XVIIe arrondissement.
Ce qu'un personnage, dans
votre roman, appelle des «zones neutres» ?
Non. Les rues de Queneau étaient plus liées au langage,
à ses recherches pataphysiques. Les noms étaient ce qui importait. Il avait été
surréaliste et je me souviens toujours d'une lettre d'insultes à Claudel, je
crois, qui avait été signée par Breton, Aragon, etc., et, parmi tous ces noms,
on trouvait celui de Dédé Sunbeam. Ce nom me fascinait. J'ai demandé à Queneau
qui c'était et il éclaté de rire.
Il vous a fait rencontrer
d'autres écrivains ?
Chez lui, quelquefois, il y avait des gens qui venaient.
Il était très ami avec Boris Vian. Et il pouvait m'amener à des fêtes, comme
une fois chez Gallimard. J'avais 18 ans. Je le suivais, je n'osais parler à
personne. Tous ces écrivains, je ne pensais même pas qu'on pouvait leur parler.
J'étais comme quelqu'un qui se serait introduit par effraction.
Comment a-t-il reçu votre
premier livre, «La Place de l'Etoile», en 1968 ?
Il était un peu dérouté. Je n'osais pas lui dire que
j'écrivais. Puis j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai déposé chez lui le
manuscrit, sans le voir et sans le lui dire. J'avais tapé le texte à la machine
sans interlignes, c'était très désagréable à lire, très serré. Il était surpris
que je ne lui ai rien dit, et le texte était un peu agressif pour lui, je
crois. Il l'a fait passer au comité de lecture.
Ensuite, vous avez rencontré
Paul Morand, qui parle de vous dans son «Journal Inutile».
Morand, c'est lié à un truc très bizarre, qui vient des
moeurs littéraires de l'époque, pas tellement différentes de celles des années
trente. Quand j'ai publié la Place de l'Etoile, j'ai eu un prix donné
par cette riche mécène américaine, Florence Gould. Il y a eu un déjeuner avec
des gens très hétéroclites, de René Clair à Marcel Jouhandeau. Et donc Morand.
Evidemment, il avait été un peu surpris par mon livre, où il y avait des choses
désagréables sur l'Occupation. Bizarrement, il était très taciturne. Il ne m'a
rien dit, pas un mot, mais il m'a donné une lettre dans laquelle il avait écrit
ce qu'il pensait de mon livre. Ensuite, il m'a téléphoné à trois ou quatre
reprises pour me voir. C'était très laconique : «Lundi prochain, 2 heures»,
puis il raccrochait. Les gens de son époque pouvaient faire ça.
Vous avez cette difficulté à
finir vos phrases et lui, il était muet : de quoi et comment parliez-vous ?
Il pensait que des gens de ma génération ne savaient
même plus qui il était, donc il était surpris parce que j'avais lu ses livres.
Il me posait des questions, par exemple : «Et Montherlant, vous le lisez ?» Il
essayait de tâter le terrain, de comprendre ma génération. Il aurait peut-être
aimé qu'il y ait plus de gens comme moi, mais c'était fini. Il était
claquemuré, mais, brusquement, il pouvait vous prendre par le bras pour
marcher, d'un geste un peu rugueux... non, pas rugueux : un geste d'avant 1914.
Comme Montherlant, que je croisais dans mon quartier, et qui marchait avec son
manteau sous le bras qui, main sur la hanche, faisait comme une boucle (Modiano
se lève et fait le geste).
Les livres de Morand vous ont
marqué ?
Pas vraiment, en fait. Il n'avait pas de coeur. Il avait
été trop gâté dans son enfance et son amertume venait de là, je crois. Ses
livres ne me touchent pas.
Vous évoquez dans «Pedigree»
des lectures importantes : «Fermina Marquez», «Illusions perdues», «Madame
Bovary». Et Proust ?
J'ai commencé à lire A la recherche du temps perdu
à seize ans, je l'ai fini à vingt. Je ne sais pas comment les livres m'ont
influencé. C'était plutôt une musique de la phrase que je cherchais, un ton. Je
pouvais le trouver chez les poètes. J'ai toujours pensé que finalement, si on
fait de la prose, c'est parce qu'on est mauvais poète. Lecteur, j'aimais le
style oratoire, comme chez Bossuet, ou plus sec, comme chez le cardinal de
Retz. Mais ce que je cherchais dans le roman, c'était autre chose : des
phrases, non pas elliptiques, mais, comment dire, animées par une sorte de
laconisme, des phrases très courtes, cassant quelque chose qui serait trop
rhétorique, pour obtenir quelque chose qui soit plus proche de la voix que de
la grande musique. Je trouvais ça chez Hemingway, chez Pavese. J'aime lire
Bossuet, Retz ou Bernanos, mais, pour moi-même, j'essaie plutôt de trouver du
côté de Ramuz, Céline, Giono, pas pour les thèmes, mais pour le style, non pas
parlé, mais très serré. Finalement, les auteurs que j'ai admirés ne m'ont pas
influencé.
Philippe Lançon
Modiano La ronde de nuit
Philippe Lançon 4 octobre 2007 à 00:29
(Mis à jour : 4 octobre 2007 à 00:29)
CRITIQUE
Une nouvelle héroïne de
Modiano meurt dans Paris entre Montmartre et Saint-Germain-des-Prés. Promenade.
Parlons des morts, puisqu'ils nous aident à vivre. Dans
le nouveau roman de Patrick Modiano, quatre voix réveillent une ambiance,
certains quartiers de Paris, les années soixante, une femme qui va mourir. La
première est celle d'un étudiant qui veut quitter l'école des Mines ; la
deuxième, d'un détective privé qui pourrait être celui d'un autre roman, par
exemple Rue des boutiques obscures ; la troisième, de la jeune femme qui
va se tuer ; la quatrième, de son ami écrivain. Elles ont toutes en elles
quelque chose de Modiano. Fermant le livre, c'est la voix du détective qui
revient : l'enquête restitue la jeunesse et sauve de l'oubli. L'exergue de Livret
de famille, publié en 1977, résume ce roman de Modiano comme les autres : «Vivre,
c'est s'obstiner à achever un souvenir.» Vivre, autrement dit : écrire. La
phrase est de René Char. Et la mémoire de Modiano dégage une solitude qui
console le lecteur de la sienne.
La jeune femme qui va se tuer,
Jacqueline Delanque, épouse Choureau, est le centre de gravité du livre. Elle
entre par une porte de café à la première page ; elle en sort par une fenêtre à
la dernière. Sa mère était ouvreuse au Moulin Rouge. Modiano marchait beaucoup
par-là, naguère, sur les pentes d'avant Montmartre. Parfois, se souvient-il, «je
croisais la silhouette bizarre de Marcel Aymé, complètement aphasique.»
Quand elle rompt avec quelqu'un, Jacqueline change de quartier. Elle transporte
son malaise et sa grâce dans ce que son ami appelle des «zones neutres» :
rues aux identités diaphanes, paraissant ne jamais être à leur place. Quand on
est un personnage de Modiano, c'est là qu'on se fait oublier, qu'on se
souvient, qu'on vit. La neutralité de ses territoires rappelle la neutralité de
la langue que Roland Barthes rêve avant de mourir. Là où rien ne se passe, tout
arrive -mais en nuances. Barthes y voit une forme de délicatesse. Elle «touche
à une sorte d'errance sociale, assume la marge excessive». Elle va vers la
douceur et un «refus non violent». Ainsi vont les personnages de
Modiano.
C'est de la jeune femme surtout que
les autres parlent. Parfois, elle rejoint son ami dans un hôtel de la rue
d'Argentine. C'est une petite rue un peu morte, derrière l'avenue de la Grande
Armée. L'hôtel du roman existe. Il s'est appelé Hôtel Argentina. Le nouveau
propriétaire, âgé de trente ans, l'a rebaptisé : Mon hôtel. Il s'appelle
Monsieur Aymé. Le bar attenant était celui de Madame Claude. Des prostituées
rejoignaient l'hôtel avec leurs clients. Les flics surveillaient sans
interdire. Patrick Modiano se souvient d'y avoir loué une chambre quand il
avait vingt ans : «Je n'allais pas très bien, je cherchais des endroits
comme ça pour avoir la paix. Je voyais passer des couples dans les
escaliers...» Il n'y est pas retourné.
Jacqueline Delanque a un surnom,
Louki. Les habitués le lui ont donné, un soir, au café Le Condé : «Et à
mesure que l'heure passait et que chacun d'eux l'appelait Louki, dit l'étudiant
à l'école des Mines, je crois bien qu'elle se sentait soulagée de porter ce
nouveau prénom. Oui, soulagée. En effet, plus j'y réfléchis, plus je retrouve
mon impression du début : elle se réfugiait ici, au Condé, comme si elle
voulait fuir quelque chose, échapper à un danger.» Comme en amour, le
surnom est un faux passeport qui permet de croire en la tendresse clandestine
des frontières.
Louki lit certains livres teintés de
mystique, parfois célèbres en ces années-là. Horizon perdu, de James
Hilton ; Cristalqui songe, de Theodor Sturgeon ; Louise du Néant,
de Jean Maillard. Des histoires d'enfants ou d'adultes qui, d'une manière ou
d'une autre, cherchent ou trouvent un monde idéal. Modiano cite les titres,
jamais les auteurs : il restitue, avec une précision vague, non pas des
informations, mais les signes d'une intimité, les ondes d'une fréquence
sentimentale. Les titres sont comme les noms : des échos symboliques et
sonores.
L'exergue du roman est une phrase de
Guy Debord, tirée du texte du film In girum imus nocte et consumimur igni (Nous
tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu) : «A la
moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d'une sombre
mélancolie, qu'ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de
la jeunesse perdue.» Modiano n'a pas connu Guy Debord, sinon par ricochet :
«Quand j'avais huit ou neuf ans, il y avait une fille dans mon immeuble, une
étudiante aux Beaux-Arts américaine, qui me gardait et m'amenait dans des cafés
du quartier, à Saint-Germain-des-Prés. Elle avait deux amis, Patrick et Henri.
A vingt ans, Debord les avait fréquentés. Je les écoutais parler de lui. Je
l'ai lu assez tardivement, et seulement ses textes autobiographiques, comme
Panégyrique... Les textes politiques ne m'intéressent pas.»
D'autres écrivains traversent les
cafés du roman. Modiano les a croisés, ici ou là, dans sa jeunesse un peu à la
dérive. Comme pour les livres, il restitue leur silhouette, leur présence, en
quelques phrases, sans jamais informer. Voici le dramaturge Arthur Adamov, qui
fit partie du cénacle d'Antonin Artaud dans ses deux dernières années ; ou
l'écrivain Maurice Raphaël, de son vrai nom Victor-Marie Lepage, qui avait été
collaborateur actif et tortionnaire sous Vichy. Il écrivit plus tard, entre
autres, des polars sous le nom d'Ange Bastiani. Ou encore le poète Olivier
Larronde, «une sorte d'archange» alcoolique et déchu que Genet et
Cocteau avaient fait connaître lorsqu'il publia, à 17 ans, les Barricades
mystérieuses. Son second livre, Rien voilà l'ordre, est l'anagramme
de son nom. Pour soigner son épilepsie, Larronde devint opiomane. Modiano
évoque au passage une vieille voisine, toujours vivante, qui l'a connu et fume
encore de l'opium. Il a rencontré le poète à la fin de sa vie, au début des
années soixante. Lui-même avait 17 ans. Larronde, dit-il, portait «un
manteau lourd, à col relevé, de prince qui serait un clochard.»
Escortée par ces fantômes, Louki
entre dans la nuit à travers une sorte de tragédie murmurée. Louki, c'est
presque Youki, le prénom de la femme du poète Robert Desnos, et c'est bien à
elle que Modiano a songé. Mais, précise-t-il, «comme j'ai aussi pensé à deux
autres femmes que j'ai connues, dont l'une s'est tuée, je ne me suis pas senti
le droit de prendre ce nom et je l'ai un peu changé.» Modiano aime Robert
Desnos, mort en déportation du typhus en 1945, l'année même où il est né. Son
premier livre, publié en 1968, s'appelle : la Place de l'étoile. C'est
le titre de l'un des derniers textes de Desnos. Quand Modiano a écrit le sien,
il l'ignorait. Il n'allait pas bien et devait partir à l'armée. Un soir, dans
un dîner familial, on lui présente le docteur Ferdière, qui a été l'étrange
psychiatre d'Artaud et reste proche de nombreux écrivains. «Ferdière a vu
que j'allais mal, se souvient Modiano, et il s'est inquiété lorsqu'il a
su que je devais faire mon service militaire.»
Le jeune homme rend visite au
psychiatre et lui apporte son roman. Ferdière sort de sa bibliothèque le livre
de Desnos et le lui montre : c'est lui qui l'a édité, à l'automne 1945. A la
femme de Desnos, il écrivait : «C'est toi qui devrais signer le bon à tirer,
Youki, admirable compagne de Robert. Je songe aux soirées de la rue Mazarine ;
je songe au soleil de l'Apothicairerie...» «J'étais défait, se souvient
Modiano. J'avais l'impression d'avoir volé ce titre à Desnos, à cet homme
qui était mort l'année de ma naissance, dans les conditions qu'on sait, des
conditions qui ont été si importantes pour ma génération et qui marquent
tellement mon travail.» Ferdière lui explique que ce n'est pas grave, qu'il
s'agit d'un hasard objectif.
Modiano met longtemps à raconter
cette histoire. Il ne parle, comme on sait depuis l'«Apostrophes» qui le fit
connaître, que par repentirs. Le mot juste est toujours celui d'après ; en
général, il ne vient pas. Sauf à la page : les mots sont des truites que
Modiano pêche dans ses trous. Mais ces réponses inachevées, perpétuellement
reprisées, sont également la marque subtile d'une éducation : elles lui
permettent de raccompagner toute question inerte ou mal venue vers la sortie,
en souriant, avec courtoisie, en faisant croire à celui qui l'a posée qu'il
n'est responsable de rien.
Après Louki, le personnage le plus
important du livre est peut-être un spirite : comme le romancier, il éveille
les voix des morts. Il s'appelle Guy de Vere. Modiano ne précise pas que ce nom
vient d'un poème d'Edgar Poe, Lénore. Guy de Vere est, dans Lénore,
le mari survivant d'une morte. Il refuse de pleurer, elle lui dit : «Et toi,
Guy de Vere, où sont tes larmes ?» On ne sait pas où Poe a trouvé ce nom.
Modiano a cherché, comme tous ceux qui connaissent ce texte. Poe l'a sans
doute, comme d'habitude, inventé pour des raisons sonores. «Un nom qui m'a
hanté longtemps» dit Modiano. Un mystère auquel il a donné une identité
possible.
Guy de Vere habite au 5, square
Lowendal, dans le quinzième arrondissement parisien. C'est une impasse assez
chic et absolument déplacée, près du métro Cambronne : de hauts immeubles de
briques et pierre de taille autour d'une cour privative dans laquelle on a mis
des palmiers. Le roman précise que l'une des fenêtres de l'appartement du
spirite, troisième étage, deuxième immeuble à gauche, est couverte de lierre.
Aujourd'hui, il y a bien du lierre, mais autour d'une fenêtre située au
troisième étage, troisième bâtiment à droite. Modiano n'a pas mis les pieds ici
depuis vingt ans. Ses souvenirs ont la précision et la bizarrerie d'un rêve. Ce
sont des amers : «Mais oui, dit un personnage, je comprenais. Dans
cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans
poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons
perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre
pour avoir l'impression de ne plus naviguer au hasard.» C'est un art du
roman et un art de vivre. Apparemment, il n'y a pas de spirite au 5, square
Lowendal. Mais, si l'on reste assez longtemps, on voit passer de temps à autre
une femme qui pleure. Elle sort de chez l'analyste.
LANÇON Philippe
Patrick Modiano Dans le café de la jeunesse perdue
Gallimard, 149 pp., 14,50 euro(s).
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ARCHIVES INTERVIEW
Les éditions Gallimard ont
réuni dix romans de l'auteur dans la désormais classique collection «Quarto».
De bonne grâce, Patrick Modiano s’est plié au jeu :
prélever dix «romans» de son œuvre encore incomplète pour composer un volume
souple de la désormais classique collection «Quarto» des éditions Gallimard. A
l’en croire, il eût aimé jouer davantage encore et s’amuser à n’en faire
véritablement qu’un seul et même livre ininterrompu. Ou bien encore :
enchevêtrer des passages copiés-collés ici et là dans son catalogue personnel.
Il est demeuré sage, remplissant méthodiquement le cahier des charges, et
l’album photo idoine. Entretien à Paris, dans son bureau.
Comment est
née l’idée de ce volume «Quarto» ?
C’est eux, Gallimard. Ils m’ont envoyé une lettre avec
une liste un peu hétéroclite. C’était compliqué de choisir, comme un jeu de
cube dans lequel il n’y aurait pas assez de places. C’est absurde. Il ne
fallait pas dépasser dix titres. Au début, ils avaient mis mon premier livre
mais, en ce cas, il aurait fallu mettre les deux suivants. Alors j’ai préféré
commencer par Villa triste. C’est difficile parce que beaucoup de choses
se répètent de livre en livre. Sans relire, j’ai essayé d’éliminer ceux qui
étaient trop proches. J’ai pensé que certains faisaient double emploi. Mais
j’aurais été incapable d’établir la première liste. On n’est pas lucide, on
n’est jamais le lecteur de ses propres livres.
Avez-vous
parfois été surpris par la réception de vos livres ?
Surpris, non. Mais j’apprenais des choses, ça aide à
mieux comprendre ce qu’on a fait. Même si c’est avec des éléments très précis,
je travaille comme un somnambule. La réception permet au livre de se révéler,
c’est chimique, comme un révélateur photographique. Dès qu’il y a un lecteur,
le livre passe au bac, et peu à peu on le voit mieux. Sinon, on a une vision
trop rapprochée. Et puis, chaque fois, il y a cette impression désagréable,
absurde, qu’une fois fini, le livre vous rejette. Un truc un peu hostile, comme
un reproche, l’idée que cela aurait pu être autrement. Que l’on finisse de
manière abrupte ou en douceur, rien n’y fait, on ressent ce malaise. Alors,
comme un ressac, on recommence. Pour conjurer. Comme si on essayait de réparer
une erreur.
Beaucoup de
gens trouvent, et vous-même parfois, que vous écrivez toujours le même livre.
Mais ce n’est pas vrai : chaque livre apporte quelque chose de nouveau.
Quand je suis obligé de relire pour corriger des fautes,
j’ai une impression bizarre : je m’aperçois qu’inconsciemment j’ai répété les
mêmes choses à travers beaucoup de livres. Et ces choses qui reviennent de
manière identique, ces espèces d’automatismes, parfois les mêmes phrases
forment comme un réseau et donnent une impression étrange, comme le produit
d’une sorte d’amnésie. Mais vous avez raison : chaque fois j’ai l’impression
d’essayer quelque chose de nouveau. Dans ma tête, il s’agit chaque fois de
faire autre chose. Beaucoup de gens trouvent que c’est la même chose, mais moi
j’ai le sentiment d’être débarrassé de quelque chose, d’avoir déblayé pour
pouvoir m’y remettre. Il y a un mouvement.
En spirale ?
Oui c’est ça, bien plus que le ressac. C’est exactement
ça.
Vous parlez
en avant-propos d’une dimension musicale forte.
Parce qu’il y a toujours une espèce de «je», et que ce
n’est pas un «je» d’introspection, mais le «je» d’une voix. C’est plus facile
ainsi d’introduire un rythme, comme une inflexion de voix. Mes phrases doivent
être trouées de silence. Ce n’est donc pas vocal au sens des sermons de
Bossuet, avec des périodes, des phrases très construites, avec des propositions
relatives, etc. Il s’agit plutôt de trouver des choses qui s’arrêtent de
manière abrupte, comme des suspens. Quand je dis musical, c’est plutôt un
rythme que quelque chose de continu. La phrase est assez courte.
A propos de
musique, vous citez Rilke et Nerval.
Parce que ce sont des poètes alors, évidemment, la
poésie… Souvent, j’ai écrit avec des réminiscences de fragments de poèmes que
j’avais en tête. Je ne sais plus qui disait que les mauvais poètes arrivent à
faire de la prose… Depuis très jeune, depuis que j’ai lu beaucoup de poésie,
j’ai des bouts de vers dans la tête. Certains avec des rythmes impairs, ça fait
une musique. Il m’est resté beaucoup de chansons en mémoire aussi, des
chanteuses de jazz ou des chansons françaises, des trucs du music-hall qui me
tournent dans la tête et reviennent au moment d’écrire, des bribes de rythmes.
Vous auriez
préféré être poète ?
J’ai écrit des poèmes vers 12-13 ans, mais c’était
une question de rythme plutôt qu’une vocation. J’aurais été incapable de cette
concentration, de cette essence. Et puis il y a des choses difficiles à
exprimer en poésie. Tout ce fantastique social dont parle Balzac, ce côté un
peu trouble, cette rêverie pour laquelle la poésie est trop concentrée.
Jusqu’au XIXe, le roman était considéré comme un genre un peu
bâtard, il a quelque chose de mélangé avec lequel je me sens plus à l’aise…
Dans
l’avant-propos, vous mettez des guillemets à roman…
Parce que certains livres ne sont pas vraiment des
romans : Un pedigree,Remise de peine… Et puis c’est un terme un peu
incertain, «roman».
Sur les
couvertures, on pourrait écrire «rêverie» à la place ?
Ce sont en effet plutôt des rêveries sur des choses
qu’on a vues, un peu comme lorsqu’on revoit dans des rêves des endroits qui
vous ont été familiers. Des endroits qu’on a connus de manière très quotidienne
et qui sont un peu déformés. Oui, «rêverie» serait un terme plus approprié.
Et les
photos en ouverture du «Quarto», c’était aussi une demande de Gallimard ?
Oui et j’étais un peu réticent. Ou alors il faudrait
faire un livre entier comme en faisait W. G. Sebald, avec une
harmonie entre le texte et les photos. Là j’étais un peu mal à l’aise. Ils
voulaient, par exemple, des photos de gens dont j’utilise le nom dans mes
livres, mais c’est compliqué parce que souvent je déplace de vrais noms sur
d’autres personnages. Il est très difficile de confronter texte et photo. Ou
alors il faut procéder comme Breton dans Nadja ou quasiment établir un
dossier de police.
Vous auriez
pu écrire des romans policiers ?
Cela aurait été plus facile. Ne pouvant pas être poète,
il aurait été plus simple d’écrire et de publier régulièrement des livres,
comme Simenon. Quelque fois on tâtonne, on ne sait pas très bien. Mais si je ne
l’ai pas fait, c’est que j’en étais incapable. Du coup, je suis dans un
entre-deux.
Sylvain Bourmeau
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Modiano, un enfant passe
Claire Devarrieux
1 octobre 2014 à 17:36
Que faire du numéro d’un
inconnu oublié dans un carnet d’adresses perdu ?
Patrick Modiano a reçu le prix Nobel de littérature
2014. «Libération» s'était penché sur son dernier ouvrage.
Il fait beau et chaud dans le nouveau roman de Patrick
Modiano, c’est l’été indien quasiment jusqu’à la fin du livre. Mais dans
les souvenirs du personnage à la recherche d’indices sur son passé,
c’est plutôt l’automne. Plus exactement, c’était un temps d’automne lorsque,
par le passé, il a rencontré, volontairement ou par hasard, des témoins qui
auraient pu le renseigner sur certains mystères, certains blancs associés à ses
débuts dans l’existence. Il s’appelle Jean Daragane. Jean comme Jean Bosmans
dans l’Horizon (2010). Comme dans l’Horizon, la troisième
personne remplace le «je» familier des lecteurs de Modiano. Au début de Pour
que tu ne te perdes pas dans le quartier, une voix antipathique - «une
voix molle et menaçante. Ce fut sa première impression» - demande au
téléphone à parler à Jean Daragane. Daragane comme Kiki Daragane, dont le jeune
narrateur fugueur était amoureux dans Pedigree. Jean comme le premier
prénom de Patrick Modiano.
Enigme. Cela fait des mois que le téléphone n’a pas sonné chez
Jean Daragane, et lui-même n’appelle pas. Depuis trois mois, il n’a vu
personne. Parfois, plutôt que d’enquêter sur un nom jusqu’à trouver une
bribe de piste qui relierait à une adresse oubliée, il préfère laisser une
énigme en suspens. Il est équipé d’un ordinateur, il n’y a pas là de quoi
s’étonner, Modiano est plus que jamais présent dans son époque. Remplacer sa
mémoire par un moteur de recherches n’est cependant pas concluant : «Les
rares personnes dont il aurait aimé retrouver la trace avaient réussi à
échapper à la vigilance de cet appareil.»
Pour décrire son état, Daragane dit qu’il préfère «faire
la planche». Le roman flotte comme un rêve entre deux regrets - «toutes
les années perdues au cours desquelles il n’avait pas fait assez attention aux
arbres ni aux fleurs»-, deux désirs contraires. «Cette impression, il ne
l’éprouvait que depuis l’année précédente, et il se demandait si elle n’était
pas liée à l’approche de la vieillesse.» Patrick Modiano, qui aura
70 ans en juillet, a longtemps laissé croire qu’il était né en 1947,
c’était la date de naissance de son petit frère, Rudy, disparu à l’âge de
10 ans. Jean Daragane, écrivain, est né la même année que la poétesse
Minou Drouet, donc 1947. Mais nous ne sommes pas de la police. Encore
quelques noms et on en restera là. Maurice Caveing, professeur de Jean
Daragane, a bien existé, c’était un philosophe fameux. Ont existé aussi, mais
peut-être seulement dans les romans de Modiano, Colette Laurent (Chien de
printemps), Roger Vincent et Annie (Remise de peine). Et puis
Saint-Leu-la-Forêt, la rue Coustou et le square du Graisivaudan. En revanche,
Guy Torstel, non. Ce nom ne dit rien à Jean Daragane.
«Guy Torstel 423 40 55» : le pot-de-colle à la voix désagréable, le type qui appelle
à la première page de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier,
voudrait savoir pourquoi ce nom et ce numéro figurent dans le carnet d’adresses
de Daragane. Carnet qu’il a perdu et que le type a retrouvé gare de Lyon.
Rendez-vous au 42, rue de l’Arcade, non loin du 73, boulevard
Haussmann, où il arrivait à Modiano de retrouver son père. Le type est
accompagné d’une jeune fille, Chantal, un prénom d’autrefois. Ne sont-ils que
des importuns dans une ville qui elle-même est devenue presque hostile, tant
elle a changé ? Daragane est-il si vieux que le Temps des rencontres
(titre d’un livre de Georges Haldas) n’est plus pour lui ? Ou bien va-t-il
s’intéresser à ces gens ? Un détail : le numéro de portable de Chantal, qui
figure dans les épreuves non corrigées adressées à la presse, dans le livre, a
disparu. On n’a pas osé appeler.
Coïncidence. Son compagnon souhaitant de l’aide pour un obscur
projet, la jeune fille remet à Daragane un dossier (il n’aime pas ce mot) qui
contient son premier roman, des papiers plus ou moins illisibles, et les
Photomatons d’un petit garçon : «Cet enfant, que des dizaines d’années
tenaient à une si grande distance au point d’en faire un étranger, il était
bien obligé de reconnaître que c’était lui.» D’écho en coïncidence, l’écrivain
va remonter à la source, l’angoisse d’un enfant qui a peur qu’on l’abandonne
dans la maison vide. Comment ne pas penser que se trouve là la source du
travail et de l’art modianesque ? L’angoisse enfantine, le chagrin, serrent le
cœur une fois refermé Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier.
Mais c’est une tonalité qu’on n’entend pas tout de suite. Les romans de
Modiano, c’est comme au cinéma. On se poste derrière une fenêtre pour voir s’il
n’y a pas quelqu’un en bas, qui guette.
Claire Devarrieux
Patrick ModianoPour que tu ne te perdes pas dans le
quartier Gallimard, 146 pp., 16,90 €.
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Patrick Modiano ajoute un
Nobel à son « Pedigree »
Le Monde.fr | 09.10.2014 à 14h33 • Mis à jour le
10.10.2014 à 07h17 | Par Raphaëlle Leyris
Voilà une ligne qu’il ne
pensait sans doute guère ajouter à son Pedigree (2005) – titre de
l’un de ses plus beaux livres, dans lequel il revient sur les vingt premières
années de sa vie. Patrick Modiano est le quinzième écrivain français distingué
par le prix Nobel de littérature. « Pour l’art de la mémoire avec
lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le
monde de l’Occupation », a précisé l’Académie suédoise, dans un
communiqué diffusé jeudi 9 octobre, à la mi-journée.
Quand l'éditeur Antoine Gallimard a appelé l’intéressé
pour le féliciter, l'écrivain était « très heureux », mais il
a répondu avec « sa modestie coutumière » qu’il trouvait cela
« bizarre » a raconté la maison d’édition.
L’Occupation, c’est le contexte dans lequel se sont
rencontrés ses parents. Une mère flamande, « jolie fille au cœur
sec », écrira son fils ; un père juif, Albert Modiano (« J’écris
“juif”, en ignorant ce que le mot signifiait vraiment pour mon père et parce
qu’il était mentionné à l’époque sur les cartes d’identité »), aux
fréquentations et activités louches, pratiquant, sous une fausse identité, le
marché noir pendant la guerre.
Leur fils aîné, Patrick, naît en 1945 ; suivi
en 1947 par Rudy, qui mourra dix ans plus tard. C’est à ce cadet que
Patrick Modiano, au sortir d’une adolescence empreinte de solitude, entre
fugues du pensionnat et errances dans les rues de Paris, dédiera son premier
livre, La Place de l’Etoile (Gallimard, 1968), dont il estime que la
publication constitue son véritable acte de naissance. Le livre vaut au jeune
homme, protégé de Raymond Queneau, d’être immédiatement remarqué et célébré
pour son talent – plus rageur dans ce livre sur l’Occupation qu’il ne
le sera par la suite. Les Boulevards de la ceinture (1972) lui vaut le
grand prix de l’Académie française, Rue des boutiques obscures (1978),
le prix Goncourt, et l’ensemble de son œuvre, le grand prix national des
lettres, en 1996.
En exergue de Villa triste (1975), Patrick
Modiano inscrira ce vers de Dylan Thomas : « Qui es-tu, toi,
voyeur d’ombres ? » Comme s’il s’adressait la question à
lui-même, lui dont l’œuvre est pleine de fantômes et de pénombre, de
silhouettes entraperçues et de souvenirs flous, lui qui écrira dans Dora
Bruder (1997), extraordinaire enquête sur une jeune fille juive disparue
dans le Paris de l’Occupation : « Beaucoup d’amis que je n’ai pas
connus ont disparu en 1945, l’année de ma naissance. » Il dira
aussi qu’il a « toujours l’impression d’être une plante née du fumier
de l’Occupation ».
Ses livres ont très tôt fait de Patrick
Modiano une figure majeure de la littérature française. Il y a ces
déambulations dans les rues de Paris, ces atmosphères crépusculaires, ces
enquêtes qui n’en sont pas, qui tournent court, et ces personnages que l’on
peut reconnaître d’un livre à l’autre – Patrick Modiano professe que
le matériau biographique n’a d’intérêt que s’il est « vaporisé dans
l’imaginaire ». Et puis, surtout, la beauté et la fluidité de sa
phrase. Il y a aussi le personnage public, qui éveille immédiatement
l’affection du public, avec ses phrases hésitantes, pleines de « C’est
bizarre » et de points de suspension que laisse traîner sa belle voix
basse et cendreuse. Son dernier livre, Pour que tu ne te perdes pas dans le
quartier, hanté par ses thèmes de prédilection, paru le 2 octobre,
était un succès de librairie avant même l’annonce du Nobel.
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