C'est le nom de mon dernier ouvrage. Un mot valise alliant deux moments fort d'une journée.
De la poésie. De la vie.
Voici la préface et quelques extraits.
Écrire c’est, d’une certaine façon, saisir la possibilité de
s’écarter, ou mieux, de se libérer de cette mystification dont nous sommes
l’objet, de ces mensonges que nous portons, que porte notre humanité et qu’elle
dissimule ou qu’elle tente de dissimuler sous de faux-semblants imposés par
nombre de codes sociaux. Il nous est difficile d’être, mais plus aisé de
paraître. Nous sommes exhortés à avoir, toujours plus. Le consumérisme (1) au
détriment de la vérité, de notre vérité.
Car écrire c’est, d’une certaine façon, se saisir de notre
propre vérité, je dirais de nos propres vérités, au-delà de l’orgueil et de la
gloire. « J’écris pour me parcourir » affirmait Henri Michaux (2).
Écrire ce que, pour une raison ou une autre, l’on ne dit pas toujours, car il
est – souvent – difficile de dire, au-delà du sens commun, du conformisme.
Écrire c’est provoquer, libérer le silence et la douleur que nous portons, et
les joies aussi bien sûr : nos vérités disais-je. Les dévoiler. En
écrivant « on n’invente bien que ce qu’on porte en soi » écrit Robert
Mallet dans une préface dédiée à V. Larbaud (3).
On peut faire le choix de la prose, celui de la poésie, ou
s’exprimer à travers l’une et l’autre. Les fragments que je propose furent
écrits entre 2002 et 2014.
1_ Lire Les Choses, de Georges
Pérec, Julliard, Paris 1965.
2_ Obsevations, in Passages.
Œuvres complètes Gallimard/Pleiade, 2001.
3_ Valery Larbaud, Les Poésies de A.O. Barnabooth.
Gallimard/Poésie, Paris 1966.
--------------------------------- Extraits----------------------------------
Lorsque
Lorsque ton regard brillera au-delà
de ta lucarne
Lorsque ton ouïe s’étendra au-delà
de ta muraille
Lorsque ta main s’offrira à
l’horizon
Lorsque le sel de ton humeur
S’agrègera à la douceur des gens de
l’ailleurs
Alors l’ailleurs et l’ici
Les montagnes et les océans
Les confins et les nombrils du
monde
Se confondront dans une chaleureuse
étreinte
Alors tu seras libre.
* * *
Et toiles fécondes
Les corbeaux noirs ne volent plus au-dessus des
champs de blé
Les sillons d’Auvers ne sont plus à la fête
Le gris et le noir du marbre glacé ne dénouent
les âmes ni
l’esprit
Les feuilles mortes alentours ne sont plus
ramassées par
les pèlerins
Ni les tournesols récoltés
Les couleurs orphelines de père Tanguy ne
luisent plus
Ses yeux, d’Orient
Ni de voyage aux Marquises, ne rêvent plus
Dans ce Nouveau Monde, les archipels ne
semblent pas
veiller
Ils ne ploient pourtant ni devant l’adversité ni
devant les
défis
Nul ne pourra haler ces confettis à bord de
l’indécence
Les hommes n’y regardent ni l’hiver ni le ciel
La végétation ne forme pas de stèles pour les
hommes de toiles et d’étoiles
Jamais n’est forcée la porte de l’indicible
L’agitation sourde jamais ne flatte l’obscurité
Ni les murets de la parcimonie n’escalade.
* * *
Rengaine
Sous les faisceaux de
la lampe de bureau
Sur la feuille
opaline
Ruisselle mon flux de
conscience.
De l’autre côté du
temps
L’océan engloutit
l’astre irisé
Tandis que la nuit
sombre de nouveau
Dans les méandres du
jour.
Le sablier se vide et
se plaint
Le coq le couve de
son orgueil répété
La feuille
s’assombrit en silence
* * *
La photo jaunie
L’amande de ton regard
Appuyée par la rosée suggérée de tes lèvres
Et le charbon de tes paupières
Retenus dans le vase
Oval de ton visage
Candide, jauni
Enserré par ce cadre,
Embaument l’impatience
De ma mémoire malmenée
Qu’ils assouvissent,
Et apaisent
Aussitôt
Retrouvée
* * *
Ya Mraya
Les premières notes
Coulent du cœur de la caisse
Lampe merveilleuse
Cordes pincées.
Un parfum suranné
Ensorcelle mon verre de thé à la
menthe.
Il tremble, vacille.
Une voix épurée suit,
Chevauchant le tapis harmonique.
Elles remontent ensemble
Mon biscuit, ma madeleine,
La nuit blanche de mon être.
Douleur et corps se
déchiquetaient alors.
Pour quelque dépouille pour
l’une,
Un instant de répit pour
l’autre.
Adolescence enceinte par
l’implacable
Et inhumaine douleur affligée
par les sept Cieux.
Corps liquéfié.
Pas de rémission pour l’itim’*.
Pourtant.
Ya
Mraya, ô miroir, ya Mraya,
Cette voix complaisante
Qui tangue au-dessus du verre
enflammé,
Extirpe du cœur de la lointaine
affliction,
L’autre temps,
Répit disais-je
En arrache le temps de
l’insouciance.
De la joie et de la révolte
mêlées.
Car la vie glanait alors,
Dans les interstices du néant
Envers et contre tout,
Contre toutes les douleurs,
Inacceptables et révoltantes
douleurs
Quelques pépites bon gré mal
gré,
Les copains d'abord
Carricos
et
pitchaks
Ou Covalawa*,
Aïn-Franin et Yoyo, la blonde
Yoyo
Le temps, à seize ou vingt ans,
De tous les défis, de tous les
possibles,
Le temps où celui de la fusion
des éléments
Et des cheveux changeants,
Était encore inconcevable,
Posé sur l’horizon du ciel
Aujourd’hui rattrapé.
* l’itim’ : l’orphelin
Carrico
(chariot) : jeu constitué de deux planches auxquelles sont
fixés trois ou quatre roulements à billes.
Pitchak :
jeu de jonglage formé à partir, notamment, de chambre à air de vélo découpée en
fines rondelles attachées entre elles par un fil.
Covalawa : ou Cueva d’el agua. C’est
le nom d’une zone située près de la jetée, au bas des falaises du quartier
Gambetta, à l’est d’Oran. Jusque dans les années 60 c’était un bidonville.
* * *
Quelle Affiche demain ?
Pour ne pas oublier
J’offre ces vers-amour poignants
À toutes ces plumes xénophobes
Cette peste brune en devenir
À toi aussi petite raciste à la banane grasse
Pour ne pas oublier
J’offre ces vers-amour poignants
À toutes ces plumes xénophobes
Cette peste brune en devenir
À toi aussi petite raciste à la banane grasse
d’ignorance
Nourrie au millet des petits Ammours
À vous chroniqueurs contrariés
Haineux de tous les Manouchian
Ils étaient vingt et trois et plus
Et de l’est et du sud
Morts pour libérer vos propres aïeux, parents
Haineux de tous les M.O.I, Roms et Arabes
Nourrie au millet des petits Ammours
À vous chroniqueurs contrariés
Haineux de tous les Manouchian
Ils étaient vingt et trois et plus
Et de l’est et du sud
Morts pour libérer vos propres aïeux, parents
Haineux de tous les M.O.I, Roms et Arabes
réunis
Ignorants
Quelles affiches brunes préparent-ils pour nos
Ignorants
Quelles affiches brunes préparent-ils pour nos
enfants
Mais à quels grills songent-ils ?
À quels barbecues apéro-sauciflards ?
Pour ne pas oublier
J’offre à tous ces écervelés
Ces chemises noires et phalanges
D’aujourd’hui
Fanas de tous bords de toutes les ignominies
J’offre à tous ces égarés, ce tarés
Pour la fraternité humainement possible
Cette affiche rouge de quelques mots libres
Merci Lény, Léo, Louis et tous les autres.
Mais à quels grills songent-ils ?
À quels barbecues apéro-sauciflards ?
Pour ne pas oublier
J’offre à tous ces écervelés
Ces chemises noires et phalanges
D’aujourd’hui
Fanas de tous bords de toutes les ignominies
J’offre à tous ces égarés, ce tarés
Pour la fraternité humainement possible
Cette affiche rouge de quelques mots libres
Merci Lény, Léo, Louis et tous les autres.
* * *