À propos de la Résolution du Parlement européen sur la situation des libertés en Algérie
Cette résolution sur l’Algérie n’émane pas d’un seul homme. Elle a été proposée par 77 députés européens essentiellement des libéraux et des démocrates chrétiens, dans le cadre de navettes institutionnelles européennes (Parlement et Commission et même Conseil) plutôt complexes. La Résolution a été adoptée ce jeudi 28 novembre. Elle n’est pas contraignante.
Nombreux sont les posts, articles et autres déclarations, parfois outrés concernant la récente « résolution du Parlement européen sur la situation des libertés en Algérie ». Ils émanent de gens sincères, mais aussi d’adversaires des libertés, du Pouvoir autoritaire et de ses laquais et autres thuriféraires déshonorés au verbe déshonorant. Plus grave, certaines déclarations émanent de personnes se positionnant comme « opposées au régime algérien ». Plus que parfois, nombre de ces posts et déclarations sont combinés de chauvinisme, de nationalisme exalté, obtu et dangereux.
Par ignorance peut-être, par mauvaise fois ou par malveillance, pour susciter le rejet et à défaut d’un argumentaire objectif, construit et bienvenu, on amalgame les institutions européennes avec la France (la seule France coloniale ou en confondant France et Français), on confond délibérément Raphaël Glucksmann (qui oscille entre néo conservatisme et socialisme) avec son père André Glucksmann (non à l’auteur du magnifique et magistral « La Cuisinière et le mangeur d’hommes » qui participa de notre éveil - réveil, mais à l’ami de généraux algériens aujourd’hui en fuite ou en prison), on limite les libertés que défendraient les eurodéputés aux seules églises d’Algérie. Les entendus et considérants de la Résolution du Parlement européen n’ont été ni lus ni entendus ou très mal. On évacue la quasi totalité de son contenu que l’on réduit à la seule défense du culte chrétien en Algérie, parce qu’on s’est, par facilité, contenté des quelques interventions filmées et évité de lire la Résolution dans son détail (cf. à la suite de cet article). On ignore ou on omet de dire qu’un accord d’association lie les parties Algérie et Union européenne depuis fort longtemps et qu’en son article 2 il est stipulé que : « le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme constitue un élément essentiel de l’accord » La partie qui viole une ou plusieurs clauses de cet accord, viole en conséquence l’ensemble de l’accord. C’est ce qui se passe. Et c’est pourquoi il est précisé en l’article 14 et dernier de la Résolution : Le Parlement européen « charge son Président de transmettre la présente résolution à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres, à la délégation de l’Union européenne à Alger, au gouvernement algérien, au Secrétaire général des Nations unies, au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et au Conseil de l’Europe. »
D’un côté on se dit défendre les droits de l’homme en Algérie, on clame un État de Droit dawla kanouniya, on proteste contre les arrestations abusives, on exige la libération des détenus d’opinion, on exige la liberté de la presse (pour rappel, l’Algérie occupe la 141e place sur 180 pays) et le respect des Chrétiens algériens dont on dénonce l’arrestation et la fermeture de leurs lieux de culte… On manifeste formidablement contre toutes les atteintes (graves) aux libertés fondamentales. De l’autre on s’offusque parce que des institutions européennes (avec lesquelles nous sommes liés par des accords, notamment sur ces mêmes libertés) rappellent à la mémoire de nos pouvoirs, apparent et réel, leurs obligations. Et on crie à l’ingérence. On s’élève contre l’ingérence comme la Chine crie aussi à l’ingérence parce que les Institutions internationales lui demandent (sur le bout des lèvres il est vrai) d’arrêter de massacrer les musulmans de la région Ouïghoure du Xinjiang. On ferme les yeux et sur les Ouïghours et sur le soutien de l’Algérie officielle à cette même Chine de l’horreur, car en effet l’Algérie officielle soutient la Chine malgré ses exactions, malgré la condamnation de l’ONU. Au nom de la géopolitique. Encore. Alors ? défense des Droits de l’homme (chez certains) à géométrie variable ?
Je comprends qu’il y ait de la gêne lorsqu’on entend les éructations et exhalaisons des identitaires, représentants de l’extrême droite comme Gilbert Collard… Je ressens moi-même une gêne oui, mais de là à dénoncer un texte qui reprend parfois nos propres argumentaires pour défendre les libertés, alors non. Nous ne sommes pas dupes, nous savons les raisons géopolitiques et les stratégies qui peuvent sous-tendre certaines interventions, qui peuvent se voiler en filigrane pour maintenir un ordre dominant, oui nous devons rester vigilants, mais enfin, est-ce une raison de se taire et par conséquent alimenter le moulin des adversaires des Droits fondamentaux, c’est- à-dire nos régimes autoritaires ? Non, trois fois non.
Pour finir, je vous laisse méditer ces mots forts que nous donnait à entendre le regretté Henri Lefebvre dans un amphi de l’université de Paris 8 Vincennes, c’était en mars 1979, nous étions jeunes et idéalistes (et c’est sain) : « Les Droits de l’homme deviennent une idéologie de combat au service de l’impérialisme et du capitalisme. Mais, est-ce une raison pour les abandonner et dire que ce n’est que de l’idéologie ? Je ne le pense pas. Au contraire, il faut lutter pour que les Droits de l’homme ne restent pas une pure proclamation, quelque chose de formel et d’idéologique. Mais entrent dans la pratique, il faut les défendre, les développer… »
Les eaux ont coulé depuis ces années là. Mais le combat est identique. Il nous faut défendre les Droits de l’homme, même si d’autres le font aussi, à mauvais desseins, pour des calculs politiques éloignés des Droits de l’homme. À leur égard nous maintiendrons notre vigilance.
Le pire est de taire nos exigences de libertés au motif que nos adversaires réels ou supposés les mettent en avant.
Le pire est de taire nos exigences de libertés au motif que nos adversaires réels ou supposés les mettent en avant.
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