Christophe
a été emporté par le Covid 19, cette nuit. Il avait 74 ans. La majorité des
jeunes ne le connaissent pas. Mais tous eux qui furent jeunes dans les années
Yéyé (et la décennie suivante) le connaissent, ils ont aimé ses chansons.
Christophe, c’est Aline (1965), Les marionnettes (1965), Les mots bleus (1974)
et tant d’autres belles mélodies.
Comme
une fulgurance, à la seconde même où, sur France Inter j’entendais la nouvelle,
tôt ce matin, un puis deux lieux, deux moments, deux images ont traversé mon
esprit. D’autres sont venus l’embouteiller. Je vous parlerai des deux premiers.
Dans
le premier lieu, je me vois nettoyer avec un torchon élimé blanc à rayures vaguement
rouges les verres sous le double regard, le premier, attentif de Mireille, la
patronne que j’appelais « M’dame », je disais toujours « oui
M’dame » et le second plus indulgent peut-être même indifférent et plutôt
flottant, celui d’un vieux client à la corpulence d’ancien Sumotori, assis sur
un tabouret devant un double Ricard et répétant en jouant de ses mains et de
son corps « Et j’ai crié, crié, Aline pour qu’elle revienne,
et j'ai pleuré, pleuré, Oh! J'avais trop de peine… » Le lendemain
(ou le surlendemain, j’y venais trois ou quatre fois par semaine) il était
assis au même endroit et lorsque de nouveau il entendait la même chanson, il
fredonnait encore les mêmes paroles « Et j'ai pleuré, pleuré, Oh!
J'avais trop de peine… ». Je pense aujourd’hui qu’il en avait plein
le cœur ou la tête. Deux ou trois autres clients, plutôt silencieux, se
partageaient le reste du pub. Je travaillais dans ce club, depuis la mort de
mon père, trois années auparavant, quelques heures par semaine, entre deux et
douze (les heures) par semaine. Il s’appelait
« l’Aéroclub d’Oranie » et était situé au 14 de l’avenue
Loubet entre deux autres célèbres brasseries, Le Majestic à l’angle sud-ouest
(plus ou moins) et Les Falaises à l’angle Nord-ouest (plus ou moins).
Aline, par Christophe. 1965
J’étais
barman, pas 18 ans, ni fiche de paie, mais des bananes en guise de salaire. Sur
son vieux tourne-disque, la patronne passait en boucle les chansons de Sylvie
Vartan, Johnny, Marie Laforêt, Les chaussettes noires, Christophe – Aline n’avait pas cinq ans… « J'avais
dessiné Sur le sable Son doux visage Qui me souriait Puis il a plu Sur cette
plage Dans cet orage Elle a disparu Et j'ai crié, crié… » Oui je criai
aussi souvent à cette époque horrible (pourquoi donc ? laisse béton va)
Dans
le second lieu, je me vois avec mon ami B., à la même époque, sur le sable très
chaud de Paradis-Plage, pas loin où l’Arabe Snp fut descendu par Meursault,
bien avant le coup d’État et l’indépendance. Nous étions une bonne vingtaine
d’adolescents agglutinés autour du stand de la RTA, autour de la bellissima
Leïla Boutaleb. Elle faisait le tour des plages d’Algérie et offrait des
disques, des jouets, des jeux… à celui ou celle (les filles étaient aussi
nombreuses que les garçons) qui découvrait le titre de la chanson qu’elle nous
donnait à entendre… à l’envers. C’eût été trop facile autrement ! Ce
jour-là mon ami B. et moi ne savions pas que l’émission, « Radio-crochet »
était son nom, se déroulerait sur les plages oranaises, mais nous la
connaissions. « Écoutez » fit l’animatrice à la première note. Elle
n’eut pas le temps de reprendre sa respiration. À la deuxième ou troisième, peut-être la
quatrième note, j’ai levé tous mes bras, et crié, mais crié comme
un putois heureux, en trépignant : Aline ! Aline !
Aline ! » La bellissima (oui) Leïla Boutaleb avait des yeux gros
comme ça de surprise. « Applaudissez-le, allez, applaudissez-le » se
réjouissait-elle. Autour d’elle ses collaborateurs, techniciens, chauffeurs…
applaudissaient, m’applaudissaient. Ils étaient tout autant cois qu’elle. Je
l’aimais beaucoup Leïla Boutaleb, savez-vous. Elle nous faisait rêver avec ses
émissions matinales. Elle en animait ou animerait plusieurs : le réveil
musical, à cœur ouvert, le chant du coq (j’appréciais moins, il me semble
aujourd’hui que c’était de la propagande). Je peux écrire aujourd’hui qu’elle
(et d’autres) m’a aidé à tenir (quoi donc ? laisse béton va). Un
jour, bien plus tard, non loin du Majestic, j’ai rencontré Djamel Amrani qui
flânait sous les arcades. Je souhaitais parler de « Psaumes dans la
rafale », mais il m’a assommé pendant quinze minutes en ne parlant que
d’elle, « ma chérie, ma chérie » répétait-il, Leïla Boutaleb, sa
fusion. Il me semble que je m’égare là. Revenons à l’émission « Radio
crochet ». Ce jour-là, je suis reparti de Paradis-Plage avec une belle
table pliante en fer (60X40) toute bleue que je n’ai pu partager avec mon ami
B. Comme des vagues à l’âme. « J'avais dessiné/ Sur le sable/ Son doux
visage/ Qui me souriait/ Puis il a plu/ Sur cette plage/ Dans cet orage/ Elle a
disparu/Et j'ai crié, crié/Aline/Pour qu'elle revienne/Et j'ai pleuré, pleuré
/Oh! J'avais trop de peine/Je me suis assis /Auprès de son âme/Mais la belle
dame/S'était enfuie/Je l'ai cherchée /Sans plus y croire/Et sans un espoir/Pour
me guider/Et j'ai crié, crié/Aline/Pour qu'elle revienne/Et j'ai pleuré, pleuré
/Oh! J'avais trop de peine/Je n'ai gardé /Que ce doux visage/Comme une épave
/Sur le sable mouillé /Et j'ai crié, crié/Aline/Pour qu'elle
revienne/Et j'ai pleuré, pleuré /Oh! J'avais trop de peine… (de quoi de
qui donc ? laisse béton va).
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