Pour un autre possible, demain
La
pandémie du virus Covid-19, – affection transmise par un animal à
l'homme, ou zoonose – a contaminé, à ce jour, près de 5.000.000 de
personnes dans le monde. Plus de 318.500 en sont mortes. La
quasi-totalité des pays a été touchée, particulièrement les pays les plus
développés. On dénombre ainsi 90.700 décès aux États-Unis, 34.800 en GB, 32.000
en Italie, 27.700 en Espagne. En Afrique, les pays les plus touchés sont
l’Égypte avec 533 morts, l’Algérie 507,
le Maroc 192. On a enregistré 2.900 décès en Russie, 17.000 au Brésil, 1.220 en
Indonésie, 174 en Bolivie, 10 au Costa-Rica…
La
pandémie a mis en relief un système mondialisé néolibéral du tout marchand où
l’homme sous contrôle n’est perçu que comme « une machine efficace »
à but lucratif et uniquement. Un système dont le bon fonctionnement dépend de
la disponibilité du cerveau de l’homme pour le « divertir » de ses
vérités au profit du profit de « l’Entreprise ». Un système dans
lequel les politiques économiques, sociales, environnementales sont hautement
inégalitaires et désastreuses. Il y a là manifestement un déni de démocratie. Même
les secteurs sanitaires sont perçus comme des lieux où doivent s’exprimer librement
la compétition économique, la soif du gain, au point de réduire drastiquement leurs
moyens. Un système prédateur, pilleur dans lequel les valeurs humaines sont confisquées
et ouvertement dévoyées.
Cette
crise sanitaire a mis en avant les inégalités sociales (raconter dans des
journaux son confinement dans des maisons secondaires pour certains, dans des
appartements exigus et surchargés pour d’autres, accès au numérique,
scolarisation à distance…) et nous interroge sur nos « modes de
vie ». Quels types de consommation voulons-nous ? (solidaires et
locaux ou aggravant la pollution de notre environnement) Elle a également mis
en avant l’importance des services publics. Aujourd’hui « notre vie est
mutilée. Nous vivons dans un monde déshumanisé, un monde qui a rendu obscène
notre instinct de liberté » (Gunther Stern Anders). Un monde dans lequel
le marché, la mondialisation économique et financière contribue à la
destruction d’une grande partie de l’humanité, un monde où 8 % des hommes
possèdent 83% des richesses du monde, et où une infime minorité détient le système de
communication/information qui s’impose au monde (avec ses contrôles –
sans même le recours à l’enfermement –, ses drones, ses caméras de
surveillance, une « société de contrôle » (selon Gilles Deleuze, Toni
Negri). Ce monde-là
l’Homme ne peut plus l’accepter.
Cet autre
monde, ce monde nouveau au sein duquel les hommes n’auront plus les yeux
braqués sur les richesses africaines ou sur le Nasdaq et autres indices
boursiers Cac 40, Dow Jones… j’ai la naïveté de le croire possible. « Là où croît le péril
croît aussi ce qui sauve »,
disait Hölderlin. Alors, en réaction à ce « péril », demain un autre
monde sera. Cette crise sanitaire nous donne l’opportunité de penser pour
demain un monde nouveau. Je
ne vois pas comment éviter (d’espérer) de changer de société après une telle
catastrophe – à moins de se résigner à attendre sa réédition ou de participer, consentant
ou non, au maintien des conditions de sa survenue. Le sens de l’intérêt
général, du bien commun, doit primer sur les égoïsmes des individus et
des États. Et plutôt que cette obsession
des incorrigibles capitalistes à vouloir réduire l’intervention de l’État au strict
minimum, il faut renforcer sa puissance sociale. Edgar Morin écrit que la crise
du virus Covid-19, comme dans toute autre crise, va susciter deux processus
contradictoires : le premier qui stimule l’imagination, le second qui
recherche le retour à la stabilité passée ou la désignation d’un coupable à
éliminer (Le Monde 19 avril 2020). Soit une « renaissance » avec au cœur de l’homme la solidarité, le
partage, l’altruisme ou le care, une
société « altermoderne », soit l’accentuation du repli vers le passé,
un repli nationaliste et xénophobe où l’Autre est le problème de tous les problèmes
(et cela est tangible dans de nombreux pays, hautement en Europe). Les peuples du tiers et quarts
monde, majoritairement les plus lourdement impactés, devront faire pression
(par leur force numérique), plus encore que par le passé contre leurs gouvernements
complices des multinationales assassines et des grands groupes économiques
boursiers alimentaires, pharmaceutiques égocentriques, sans foi ni loi, à l’origine de beaucoup de désastres
humanitaires (destruction de pays, fomentation de guerres, migrations
économiques…), gouvernements complices et multinationales aujourd’hui ébranlés
par un simple virus qu’ils n’ont pas prévu (hormis Bill Gates en 2012). « Votre société
violente et chaotique (le capitalisme et sa concurrence illimitée) porte en elle
la guerre comme la nuée dormante porte en elle l’orage écrivait Jean Jaurès (7
mars 1895).
Pour
éviter que se renouvelle ce type de pandémie, il faudrait transiter vers des sociétés du prendre soin, de l’attention,
des sociétés de l’éthique de la sollicitude, ou du care, depuis Carol Gilligan… cette « activité
caractéristique de l’espèce humaine qui recouvre tout ce que nous
faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin
que nous puissions y vivre aussi bien que possible » écrit Joan Tronto, et
abandonner les politiques qui favorisent l’individualisme, l’égocentrisme
et même l’anthropocentrisme porteurs d’impasse. Transiter vers des sociétés qui valoriseraient les « Biens
communs mondiaux ». L’Homme devrait apprendre à vivre
naturellement en bonne harmonie avec le vivant, le végétal et les animaux sauvages dont il a souvent nié l’existence
ou qu’il a relégués dans des espaces pour safaris rouges. La responsabilité de
l’Homme dans le dérèglement climatique avec fonte des
glaces, pollution, déforestation... globalement de l’effondrement
de la biodiversité est largement
engagée. La pandémie nous a donné à constater des animaux sauvages errer
dans le cœur des villes provisoirement abandonnées par l’Homme.
L’origine de cette pandémie montre bien la responsabilité de l’Homme dans le
saccage de l’habitat/espace animalier.
Pour
éviter que se renouvelle ce type de pandémie, pour s’extraire de ce monde
mortifère désormais, il faudrait
transiter vers des sociétés qui mettraient à bas le mythe de la
croissance sans fin. « Le progrès technique semble avoir fait faillite,
puisque au lieu du bien-être il n'a apporté aux masses que la misère physique
et morale où nous les voyons se débattre… Nous vivons une époque privée
d'avenir. L'attente de ce qui viendra n'est plus espérance, mais angoisse.
» écrivait Simone Weil en 1934, déjà. Il faudrait transiter
vers des sociétés qui interrogeraient leurs espaces sociaux afin d’en réduire
les inégalités (logements dignes versus les cages des grands ensembles), des
sociétés qui condamneraient la consommation
effrénée, qui favoriseraient les circuits courts d’approvisionnements, des
sociétés où le Collectif et la centralité de l’individu seraient repensés. Celui-ci,
ne serait plus perçu comme un îlot parmi d’autres, au détriment du tout, de la
Communauté. Il faudrait transiter vers un monde nouveau dans
lequel consommer ce qui pousse ou se fabrique, se transforme dans et autour de
sa ville ou de sa région, réduire la masse des déchets, les recycler, et
pourquoi pas créer des monnaies locales autour d’associations du
« sel » pour contourner la spéculation, mettre en commun les biens
les plus lourds (les nationaliser), valoriser les loisirs, deviendrait notre
lot. Il faudrait transiter vers un monde nouveau dans
lequel la santé serait appréhendée comme un bien précieux non négociable, hors
comptabilité, n’en déplaise à ces « consultants » qui « militent »
par exemple, dans le cadre de démarches d’excellence, pour « transformer l’hôpital de stocks en
hôpital de flux » (selon un
neurochirurgien français).
Un autre monde possible est devant
nous, j’en suis convaincu, qui mettra fin aux crises multidimensionnelles écologiques,
économiques, sanitaires, spatiales… que traversent de très nombreux pays, et en
leurs seins les classes intermédiaires et populaires, que traverse notre
humanité.
Partout
dans le monde, des peuples en mouvement manifestent sans relâche – la pandémie
du coronavirus nouveau n’est qu’une parenthèse – pour qu’advienne un autre
monde, luttent contre leurs gouvernements cyniques, parfois tyranniques ou
autoritaires : en Amérique latine comme au Chili, Argentine, Vénézuela…,
en France (gilets jaunes, personnels soignants…), en Algérie (le puissant et
long mouvement populaire ou Hirak n’a
pas dit son dernier mot), au Liban, influencé par les Algériens…, Hong-Kong,
Iran, en Espagne, en Égypte… Espérons, avec ou sans naïveté, que ce monde de
demain auquel a aussi appelé au début d’avril dernier le président du Sénégal Macky Sall, que ce
nouvel ordre
« qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales »,
soit le plus proche possible. Un nouveau New Deal à l’échelle planétaire
au cœur duquel s’épanouiraient en symbiose l’Homme digne et son environnement
naturel et culturel, est autant nécessaire que le souffle qui nous porte. Pour
un nouvel humanisme en quelque sorte, en interaction avec le vivant, tout le
vivant.
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Ahmed Hanifi, auteur.
Marseille, le 20 mai 2020
Bonjour, Vraiment un grand merci pour cet article très riche et très intéressant !
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