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jeudi, septembre 26, 2024

872_ KAMEL DAOUD AUX "CORRESPONDANCES" DE MANOSQUE

 

Lundi 25 septembre 2024

Je me rends souvent à Manosque. Pour raison familiale, mais aussi au moment où la ville abrite « Les Correspondances », un festival annuel (avec la rentrée littéraire). Celles de cette année sont la 26° édition. J’y suis arrivé vers 15 heures. L’air n’est pas froid, mais une légère veste s’impose. Il ne pleut pas. La circulation est bien fluide et les passants peu nombreux. Par endroits on peut voir le Mont d’Or, protecteur. C’est dans le cœur de la ville que se tient la manifestation. Autour de la place de l’hôtel de ville. C’est ici, sous la place couverte qu’est donné le coup d’envoi du festival littéraire avec une allocution plurielle de responsables de la cité et intervenants culturels. 40 écrivains sont attendus durant les cinq jours et le premier d’entre eux, celui qui donne en quelque sorte le coup d’envoi c’est Kamel Daoud à 18h. Nous sommes près d’une centaine à lui faire face, la plupart bouche ouverte et oreilles tendues. On entendrait les mouches voler, mais il n’y a pas de mouches. Je suis venu pour l’écouter, mais aussi pour intervenir sur les polémiques qu’il contribue à faire naître notamment par ses interventions "intempestives" (dit Christiane Chaulet Achour) et lui poser une question de surface justificative de mon intervention. Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Aucune tête ne devait dépasser. L’alibi du « nous avons peu de temps alors faites vite, posez votre question » est acculé. Nous le connaissons bien. Et on te fais rassoir car ta question est étrange. Pas dans la ligne. Travail soft, pas besoin de malabars. Il suffit de "débrancher le micro". Mais bon, ce n’est pas grave vous aurez tout sur ma page.

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KAMEL DAOUD_ CORRESPONDANCES MANOSQUE_1.2


 KAMEL DAOUD_ CORRESPONDANCES MANOSQUE_2.2



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VOICI MON INTERVENTION EMPECHÉE 

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1_ Bonjour. Au préalable, je dois vous dire Kamel Daoud et je vous l’ai déjà dit combien je partage vos positions sur la société algérienne, notamment sur la gestion de la cité, sur le régionalisme, la liberté d’expression, les frères héréditaires qui perpétuent très opportunément les combats des martyrs… Vous êtes un décolonisé dites-vous, « le 1° » selon un de vos amis, mais en Algérie il y a des millions de décolonisés.  Maintenant, excusez-moi si je vous égratigne. C’est pour l’intérêt des échanges. Accordez-moi 3 minutes SVP pour cette intervention que j’achèverai par une question simple.

 

2_ Nous sommes mercredi 25 septembre 2024. Quelle journée ! Nous sommes ici en cette place de Manosque à quelques mètres de la maison de Giono sur la rue Grande, c’est un beau jour et un jour anniversaire, celui de l’inventeur du « plus petit timbre-poste au monde, celui de Yoknapatawpha. Vous avez parlé de William Faulkner. Ce génie est en effet né le 25 septembre, 1897. Il est tombé de cheval et mort un jour étrange à quelques heures de celui de la naissance de Khadidja, la mère de Fajr (Aube), et qu’il aurait pu rencontrer. 

 

3_ Monsieur Kamel Daoud, vous êtes journaliste et écrivain. Je ne vais pas jouer les rabat-joie, mais je tiens à dire ce qui suit. Beaucoup parmi nous qui apprécions l’écrivain et l’auteur d’exquises rubriques dans le Quotidien d’Oran (à propos, pourquoi n’évoquez-vous jamais le défunt Si Moussa votre premier employeur, le directeur de Détective ? mais passons) Beaucoup parmi nous ne comprennent plus votre engagement de plus en plus marqué par l’incompréhensible. Beaucoup voient de moins en moins l’écrivain, de plus en plus le polémiste. Des Algériens parlent « d’interventions intempestives » et pardonnez-moi « d’outrances ». La confusion et le malentendu se sont installés.

4_ Nombre de journalistes français ne s’y trompent pas qui, lorsqu’ils reçoivent par exemple Le Clezio, Modiano, Caryl Ferey (Mapuch) ou même la très populaire Annie Ernaux, ils les interrogent beaucoup sur leur écriture, la littérature, la description des personnages, des lieux, le programme narratif… mais lorsqu’ils ont en face d’eux des Algériens, ils les interrogent sur la politique, l’islamisme, le pouvoir, les guerres, les femmes (les voilées, pas celles qui résistent)… C’est là que le réel s’est substitué à la fiction. On bascule du roman au réel. On bascule des Lettres de Gallimard aux potins de C. News et du Point. Alors comment reprocher aux lecteurs d’amalgamer littérature et réalité ?

Il y a les Algériens au bled. Mais il y a les Algériens et les franco-algériens qui vivent ici, qui vous lisent ici. Et ce que vous dites ici ce que vous écrivez ici, notamment dans un hebdomadaire un peu chelou comme on dit.

 

5_ Ce n’est pas le livre qui est commenté, mais vos positions politiques. De verbe en verbe on en est arrivé à des excès. Certaines vilaines langues disent par exemple qu’il vous serait difficile, vous Kamel Daoud, il vous serait difficile d’écrire, si l’on caviardait ou si l’on faisait disparaître 5 à 10 mots de la langue française que vous répétez chaque jeudi dans cet hebdomadaire. Des mots comme « wokisme », « Gauche radicale », « l’Islam », « les Islamistes », et « le décolonial » qui dites-vous a été pris en otage par les islamistes … et par ces « gauchistes qui dopent la judéophobie », c’est encore vous qui le dites. Disons « antisémitisme » puisque ce vocable a été détourné de son lit, de son sens par un glissement sémantique de longue haleine et qu’on voudrait imposer à tous. Je ne suis pas judéophobe. Encore moins antisémite. Il n’y aurait donc de sémites que les Juifs. Et par conséquent les Arabes et leurs cousins ne seraient plus des sémites. Il est vrai que la défaite des mots précède la défaite. Pierre Bourdieu expliquerait mille fois mieux comment on construit et impose une idéologie dominante, notamment par les pontes médiatiques. Votre discours répété chaque jeudi dans vos chroniques de l’hebdomadaire conservateur et sulfureux Le Point est loin donc de la littérature. J’allais dire inacceptable.

 

Généralement, les journalistes français qui vous interrogent disent que vous êtes courageux, que vous prenez des risques à écrire un livre sur la décennie noire alors qu’une loi algérienne l’interdit expressément avec menace d’emprisonnement. Ils sont en roue libre ces journalistes. L’un d’eux (Le Point) titre le 8 août dernier : « Houris brise enfin le tabou de la guerre civile algérienne. » Comment peuvent-ils oser ? Vous rectifiez un chouiya, vous dites qu’il y a eu trois ou quatre livres écrits sur cette période… 

 

6_ Mon information est la suivante et j’en est presque fini : Il y a eu plus d’une centaine de livres qui évoquent clairement la décennie de sang (1992-2002) et non deux ou trois comme vous venez encore de le répéter. Dans le cadre d’un mémoire universitaire, Nazim Mekbel en a répertorié 110. Nazim est le fils du journaliste à la forte prémonition, Saïd Mekbel, assassiné en décembre 1994 qui s’interrogeait quelques jours auparavant sur son sort : « Qui tue ? Pourquoi on tue ? J’ai parfois grande envie de rencontrer les assassins et surtout les commanditaires. »

110 livres donc, écrits en français dont une partie publiée en Algérie-même. La quasi-totalité soufflant dans le sens du vent dominant évidemment. Je veux dire que leurs contenus portent sur les ravages de l’islamisme intégriste et uniquement lui. Cette vérité est partielle et par conséquent une contre-vérité. 

Le courage monsieur Kamel Daoud, il vient d’ailleurs, le courage il est dans les livres qui ont osé aller à contre-courant, qui ont repris les questions du journaliste assassiné, qui ont rappelé le sort des milliers de disparus forcés par le fait des agissements de certains segments des forces de l’ordre. Les auteurs de ceux-là, de ces livres-là – ils se comptent sur les doigts d’une seule main – les auteurs de ceux-là sont courageux. Toutes les ONG de défense des Droits de l’homme, nationales et internationales, en ont fait état : Amnesty International, la LDH française, Algeria Watch, Human Right Watch... En Algérie, la Ligue Algérienne des Droits de l’homme de Feu Maître Ali-Yahia Abdenour a comptabilisé plusieurs milliers de disparus forcés (tous morts évidemment) passés totalement sous les radars. L’association de madame Nassera Dutour, SOS Disparus, en a listé plus de 5000. 

 

7_ Les médias français et algériens ont longtemps choisi de faire l’impasse sur le martyr des familles de disparus forcés, avant que les familles elles-mêmes ne l’imposent à partir de Genève où elles ont fait un grand ramdam.

Alors je pose cette question : Où est le courage ? où est la lâcheté ? 

N’évoquer qu’une partie de la vérité, ce n’est pas la vérité, c’est répondre à une attente circonscrite géographiquement. À un public déterminé. Mais ce n’est pas répondre à l’humanité. 

 

8_ Enfin et pour finir, cette question : vous écrivez en page 121 : « Le 31 décembre 1999 on allait changer de mois, d’année, de siècle… » « Changer de siècle » ! et les correcteurs de Gallimard n’ont rien vu. 

Êtes-vous sûr que le 21° siècle – en Algérie ou ailleurs – a commencé le 1er janvier 2000 ? 

(Cette question a fait rire quelques abrutis ignorants, dans la salle)

 

L’actualité nous accule, mais je ne vous poserai pas de question sur le génocide des Palestiniens que jamais vous n’évoquez, ni sur la colonisation israélienne depuis trois-quarts de siècle. Ni sur l’invasion aujourd’hui du Liban. 

 

Vos positions sont connues et très largement partagées par les médias dominants librement Embedded chez qui vous savez. Tels sont les frictions avec les Algériens. Certainement pas la littérature.

Merci.

 

Manosque le, 25 septembre 2024

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J'ai été interrompu, mais j'ai remis directement ces deux feuillets à l'animatrice qui les a lus et les a ensuite remis à Kamel Daoud....



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Manosque. Le coeur de la ville
























BFM Région- marc 25 septembre 2024

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