in: Noces de Tipasa- Gallimard/ Livre de poche, 1967, p. 17
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Ce mercredi 25 septembre 2013 ont été inaugurées les 15°
correspondances de Manosque La Poste. Il était 17 heures 20 sur la place de l’hôtel de ville
et
l’affluence des grands jours s'impatientait depuis une demi heure. 150 personnes environ. Plusieurs prises de
paroles plus ou moins longues, dont celles de la vice-présidente de l’association des
Mille et une nuits de la Correspondance qui conçoit Les Correspondances de
Manosque, suivie par le directeur de La Poste, puis le maire Bernard Jeanmet, le sous-prefet de
Forcalquier et le directeur des Correspondances Olivier Chaudenson…
La première rencontre, sur les mêmes lieux, devant le même
public, peut-être plus nombreux, sous le même beau soleil estival a commencé à
18 heures 15. Elle porte sur "Camus en toutes lettres", Nous sommes bien en automne. La rencontre assemble Alban Cerisier
(« Il est chargé de la conservation et de la mise en valeur des
fonds patrimoniaux ainsi que du développement numérique du groupe
Gallimard. »- Wiki), Salim Bachi pour « Le dernier été d’un
jeune homme », Abdelkader Djemaï pour « Frères de soleil » in
« L’herne Camus ». La rencontre est animée par l’inévitable Pascal
Jourdana. Elle sera suivie, au théâtre Jean-le-Bleu à
21 heures, de la lecture par Charles Berling du roman posthume d'Albert Camus « Le Premier homme ».
« Albert Camus est aujourd’hui, avec Antoine de St
Exupéry, l’auteur le plus diffusé par les éditions Gallimard et un des auteurs
les plus diffusés dans le monde » entame Alban Cerisier qui annonce la
parution, à l’occasion de ce centenaire de Camus, de trois publications, trois
« Correspondance » sur les « amitiés littéraires de Camus que
sont Roger Martin du Gard, Louis Guilloux, Francis Ponge »
A propos de l’idée du livre, qui « n’est pas tout à fait
une fiction » dit le présentateur, Salim Bachi: « Je voulais parler
de Camus et l’Algérie, donc de sa jeunesse. Et lorsqu’on évoque sa jeunesse on
ne peut éviter d'évoquer la tuberculose qui l’atteint en 1930. Et l’absurde, l’absurde de
la vie, car enfin découvrir la tuberculose à 17 ans c’est découvrir l’absence
de perspective, c’est la mort. C’est cette idée que j’ai voulu retracer dans
mon roman, ce Camus jeune, en butte à la maladie, à la mort et qui se forme à
l’écoute de Jean Grenier, et par les lectures de Gide, Malraux… et par la
fréquentation d’hommes comme Louis Guilloux qui va l’emmener en 1947 à St
Brieuc sur la tombe de son père. C’est peut-être à ce moment-là que lui vient
l’idée d’écrire Le Premier homme. Comme j’ai voulu montrer le Camus au bord du
suicide lors de son voyage au Brésil, que révèle son Carnet III- 1951-1959, »
Abdelkader Djemai: « La mer est très importante dans l’œuvre de Camus. Il a
grandi à Belcourt un faubourg d’Alger où la mer est partout. A Oran, les
moments les plus heureux de Camus sont ceux qu’il passe sur les plages
d’Aïn-el-Turk, Cap Falcon… Il dit ‘‘ il me faut écrire comme il me faut nager,
parce que mon corps l’exige’’ » (Janvier 1936- Carnet I- 1944-1948)
Jourdana : « tu écris, ‘‘Au moment où on célèbre le
centenaire de la naissance d’Albert Camus et le cinquantenaire de
l’indépendance de l’Algérie la question ne manquera pas d’être posée. C’est un
peu comme si on vivait avec Camus (nous Algériens) une querelle de famille sans
que les liens entre les membres qui la composent ne soient définitivement
rompus’’ ».
que Camus dise que
ce peuple mérite d’être indépendant. » Camus n'était pas pour l'indépendance algérienne, mais pour une fédération.
Concernant la présence de l’eau, du soleil, de la plage,
éléments qui par ailleurs sont très présents dans Le dernier été d’un jeune
homme, de Salim Bachi, Djemaï dit « Camus a compris très jeune, à partir
de Noces, combien étaient importants pour lui la mer, le soleil. On ne
comprendrait pas l’œuvre de Camus si l’on n’intègre pas la dimension de la
sensualité, et la Méditerranée représente cette sensualité. »
Salim Bachi, à ce propos complète « Camus est un maître
en écriture pour ce qui est de la représentation du paysage, et pas seulement
du paysage, c’est de la sensation dans le paysage, cela est particulièrement
saisissant dans Noces. » Salim Bachi regrette qu’on ne retrouve pas cette
force de la description chez les auteurs algériens. Albert Camus chante la
fusion de l’homme et de la nature avec un lyrisme dans la description du petit
port de Tipasa et des plantes odorantes qui l’enserrent (cf ci-dessous), avec une très grande
simplicité dans l’écriture, ce que rappelait Abdelkader Djemaï, et qui dit-il
fait sa force.
Sont évoquées ensuite les relations entre Albert Camus et sa
mère ou le monde du silence (cf ci-dessous). Albert Camus avait avec sa mère dit Jordana
« un rapport très affectif et très douloureux, fait de beaucoup de
manques ». Salim Bachi « Je crois que le silence de sa mère l’a
terriblement marqué, c’est un des grands drames de sa vie. Quand il est enfant
il est saisi d’angoisse car il ne sait pas si sa mère l’aime ou non. »
La rencontre s’achève à 19h15.
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Extraits :
La mère : « Quand il
réfléchissait, Jacques se rendait compte que c'était de ce vieil instituteur perdu
maintenant de vue qu'il avait appris le plus de choses sur son père. Mais rien
de plus, sinon dans le détail, que ce que le silence de sa mère lui avait fait
deviner. » Le Premier homme. Gallimard. 1994.
Tipasa : A gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux
ruines parmi les lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit
phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de
grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers
les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le
vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous
regardons la lumière descendue du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de
ses dents éclatantes. Avant d’entrer dans le royaume des ruines, pour la
dernière fois nous sommes spectateurs.
Au bout de
quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre
les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la
terre au soleil monte sur toute l’étendue du monde un alcool généreux qui fait
vaciller le ciel. » Noces à
Tipasa, Gallimard. 1967.
--------- Ce qui suit = ajouté le merc 02 10 2013 --------
Le dernier été d’un jeune homme, 25 septembre 2013, 270 pages,
18 €- Salim Bachi. Edition Flammarion.
En cette année du
centenaire de la naissance de l’illustre écrivain, Salim Bachi offre un
deuxième regard algérien sur Camus avec Le dernier été d’un jeune homme.
Un hommage moins critique que celui rendu par Salah Guemriche dans Aujourd’hui
Meursault est mort, mais qui n’a rien des célébrations monolithiques
habituelles. C’est en outre un roman à part entière même s’il s’appuie sur
l’œuvre de Camus publiée dans la Pléiade*, sur ses correspondances et ses notes
prises au cours de son voyage vers l’Amérique du Sud, et sur les biographies
d’Olivier Todd et de Michel Onfray. Pour tenter de comprendre le « personnage
énigmatique » de l’écrivain et son œuvre, Salim Bachi s’intéresse surtout à
la psychologie de l’homme marqué par son enfance algérienne, à son
environnement familial, aux événements qui ont forgé son âme adolescente, aux
livres qui ont enflammé son imaginaire… Et, très habilement, il lui confie le
« je » de la narration, procédé romanesque idéal pour donner à ses propos
des accents de sincérité convaincants.
Nous
sommes en plein été 1949. Auteur désormais célèbre depuis La Peste,
Albert Camus a été invité au Brésil. Au cours de cette traversée qu’il a
acceptée pour fuir un quotidien qui lui pèse et un monde parisien dans lequel
il n’est pas lui-même, il est atteint d’une rechute de tuberculose et comprend
que « sa jeunesse est terminée ». Enfermé sur ce bateau où il ne
peut se défendre d’une certaine « honte de voyager en première »,
il converse avec les passagers, travaille dans sa cabine au manuscrit des Justes,
y tient régulièrement son journal, se remémore les épisodes de son enfance, et
surtout de son adolescence et de sa vie de jeune adulte. Et, rendu fiévreux par
la maladie, il s’abandonne à ses rêveries, à ses angoisses et ses délires.
C’est « un voyage aux allures de drame » où, côtoyant un passager
au nom prémonitoire, Camus se trouve à nouveau confronté à « cette fin
promise à dix-sept ans ». « Encerclé » par la mer, par cet
océan lui ouvrant les abîmes entrevus par Achab, assailli par la mélancolie, il
s’accroche à une femme – tant charnelle que fantasmée – incarnation de son
destin, de son désir de vivre et de sa mort prochaine.
Le récit,
déroulant en allers et retours le passé de Camus et le présent de sa traversée,
instaure une sorte de ressac entre le « soleil brûlant » de
l’Algérie de sa jeunesse, entre la lumière de ces femmes incandescentes
successives dans lesquelles il puise des forces sans cesse renouvelées, et les
« flots amers de la mort ». Il se divise en vingt parties,
correspondant sans doute aux vingt jours du voyage – ou à ces vingt ans dont
Camus ressent cruellement le besoin « pour achever son œuvre » et
donner ainsi un sens à son absurde vie : « Je n’ai rien dit
encore, rien d’essentiel ».
On est
très vite conquis par la simplicité de l’écriture qui nous fait entrer de
manière naturelle et vivante dans la perception du monde du jeune homme au fil
de ses sensations et de ses sentiments. Un style sur lequel se greffent dans
une grande fluidité des élans lyriques pleins de ferveur et d’émotion. Qualités
s’apparentant peut-être à cette « clarté de l’expression » que
Camus aimait tant chez Gide, l’auteur d’Amyntas comme celui des Nourritures
terrestres.
Le monde
du jeune Camus est au départ très circonscrit, pauvre mais joyeux malgré
l’absence du père et d’une mère « emprisonnée dans son silence »
depuis la mort de ce père jamais connu. Un monde maternel proche et étranger
dont il est exclu et qu’il aimerait comprendre (contrairement à cet autre monde
inconnu qu’il côtoie visiblement sans grande curiosité : celui des
Arabes). Et le roman montre bien le choc déterminant de la maladie, de cette
confrontation précoce à la mort. Une maladie qui placera Camus en retrait du
monde, en dépit de sa sociabilité et de sa mondanité apparentes. Dépossédé de
sa « jeunesse éternelle », des espoirs qu’il avait nourris – la
tuberculose lui interdisant le football, comme le concours à l’agrégation de
philosophie… –, il s’évadera dans cet « univers de papier» merveilleux,
et dans cette « passion des femmes » qui seule lui permet de faire
à nouveau corps avec le monde, nourrissant l’ambition de laisser une œuvre
témoignant de cette vie éphémère qu’il ne se résigne pas à voir oubliée comme
celle de son père.
Mais dans le
dernier tiers du livre le récit s’infléchit, devient un peu lourd et répétitif
(notamment concernant les femmes), didactique même, et on s’étonne de voir
l’auteur revenir sur des clins d’œil déjà éloquents pour préciser la
signification de Charon et de Moira ! Le narrateur perd de sa touchante
candeur et semble parfois animé par le désir de convaincre. Alors que ses
notations illustraient clairement sa perception européenne des
« Arabes », des indigènes, comme une « masse indistincte
» (puis individualisée mais esthétisée à la manière de Gide) et même – dans ces
magnifiques pages sur la Casbah et ses premières étreintes avec une prostituée
kabyle – sa vision orientaliste fantasmée des femmes, ses explications ne
cadrent pas toujours avec ce que l’on devine entre les lignes.
C’est que,
si la date choisie par l’auteur lui permet d’éviter les polémiques liées à
l’attitude de Camus pendant la guerre d’Algérie, elle ne peut évacuer la
question du colonialisme et du racisme. Les longs passages évoquant la sensibilité
– réelle – du jeune écrivain à la misère, aux injustices et aux inégalités dont
sont victimes les Arabes, ainsi que son engagement aux côtés de ses – rares –
amis arabes, ou plutôt camarades du Parti, tranchent avec le surprenant
raccourci initial sur les massacres de Sétif et de Guelma couverts en 1945 par
le rédacteur de Combat, tandis que le texte montre de manière
récurrente l’assimilation dans son esprit du colonialisme aux « gros
colons ». On sent de plus qu’un fort désir de justification de L’Etranger
(1942) – roman à l’interprétation généralement contestée, à juste titre,
par les Algériens – occupe le narrateur qui en explique la gestation,
voire la signification, de manière très appuyée (la référence au procès de
Garine dans Les Conquérants de Malraux, à ces nombreux procès
auxquels il assista en tant que journaliste…). Et l’on ne sait pas trop s’il
faut voir là une volonté de l’auteur de souligner les contradictions de Camus,
un peu vite évacuées dans des phrases lapidaires qui auraient mérité d’être
développées (« Je n’ai jamais réussi à combler l’écart entre mes
paroles fraternelles et mes actes » / « Jamais je ne dévoile cette
force brute (…) L’Etranger est né de cette pulsion obscure que je porte en moi
depuis l’enfance »), ou s’il a été influencé par ses sources…
Toujours
est-il qu’un certain malaise saisit le lecteur et qu’il se départit quelque peu
de cette empathie ressentie au départ pour un jeune Camus qui, désormais, ne le
convainc plus totalement.
Emmanuelle
Caminade
*
édition dont les annotations de L’Etranger sont notamment remises
en cause par Yves Ansel dans son récent essai Albert Camus totem et
tabou
In :