Pour Senouci Bendjelida
« Au commencement, disais-tu, il y eut le chaos
engendré par l’impensable big-bang. Et c’est au chaos moderne, descendant de
l’originel, que tu opposais le tien. La vie – ta vie – puisait dans cet univers
de désordre la force qu’elle lui renvoyait aussitôt, toujours le sourire aux
lèvres.
Alors tu comprendras cher ami l’acrobatie que je te
propose ci-après que j’ai voulu à ton image, kaléidoscopique.
Tu allais de Schopenhauer à Nietzsche, de Spinoza à
Deleuze et Gattari. « Nous souffrons disais-tu du vouloir. C’est de
lui, du vouloir, que naît la privation et le désir et donc notre malheur
d’homme ». Tu naviguais de la biologie à la linguistique et à la sociologie,
et de celle-ci aux Lettres française. D’Oran à Vincennes et de Vincennes à
Saint-Denis. De Noam Chomsky à Daniel Defert qui nous avait reçus, tu t’en
souviens, au bas du boulevard Saint-Michel...
L'Antinéa à Oran. |
Nous allions, Tejdine, Bachir, Omar et d’autres (les
filles) chez Moumen au Pavillon 35 et au Ciné-club, la cinémathèque :
« Le péché suédois » (Bo Widerberg), « Il pleut toujours où
c’est mouillé » (Daniel Jean de Simon), propagande, propagande et cela
nous faisait rire jaune. Et « La vérité sur l’imaginaire passion d’un
inconnu » (Roger Hanoun). L’ami Moumen s’était levé brusquement,
brandissant une feuille et s’exclamant « Plus on avance et moins on
recule », puis « La Méditerranée a traversé la France comme la Seine
traverse Paris », puis n’a plus dit un mot. De Galilée, le théâtre, le CCF
à Dien Bien Phu, à Honolulu. De Kheïra Ezziraïa à Aïn Nehala, de la poésie
face aux mensonges, De Djamel Amrani à Leïla Boutaleb et « Le chant du
coq ». De la PJ de Sidi el Houari au Palais de justice pour « outrage
à magistrat ». Au diable la GSE !
Le Manifeste associé au H marocain nous faisait plier
de rire, mais moins que les Stals.
Ah oui, bien sûr, De la PM et D’Israël à Ba’alat et de
Canaan à Mohammed.
Nous allions de la guinguette, du Macumba sur la côte
ouest oranaise au Kiss-Club et au Golf-Drouot à Paris. Du café Najah au bar
Chez Larry.Tu nous embarquais du Raï-trab et de Saïm el Hadj à Sabah Essaghira.
Et Turkish Blend « tu vas, tu viens » « Take a walk on the wild
side » de Lou Reed, Soûl Makossa de Dibango. Des Student’s à Ness el
Ghiwan, de Jil Jilala au King assassiné à Marseille. Et Léo le grand, Léo Ferré
« avec le temps » Et Iron Butterfly « In a gadda da vida »
le crâne surdosé de shite. Nous voyagions de Abdelhalim Hafez à Farid et Om
Keltoum. Et les filles de la fac, les névrosées, « comme
nous ! » criais-tu…
Sur le tard, là-bas, à Paris, tu nous contais ton amie
de dix ans, Cheikha Remitti (8.05.1923 à 15.05.2006) : « Ya Rabbi el
aziz/ chhel nebghi el m’iz (censure) _ Wi ijini sidna âzrin/ Ghir beïta mâa
ezzine » te chuchotait- elle. « Une femme unique » qui aimait se
trémousser parmi les fidèles de la Merdja de Sidi Abed qui lui attribuèrent son
nom de guerre.
« On est venu ici (en France) comme des
orphelins, disais-tu, sans personne pour nous accueillir. Alors chacun a
souffert dans son coin. Les anciens ne nous ont pas laissé grand-chose,
préoccupés qu’ils étaient. C’est pourquoi nous sommes devenus des paranos,
toujours aux aguets. »
Et tu es parti. Sans crier gare. Brusquement. Mais
seul. Ciao mec. A bientôt.
Ahmed Hanifi
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_____________Autre hommage __________________
Par : Brahim Hadj-Slimane
Senouci Bendjelida, un ami de longue date, est
décédé à l'âge de 62 ans, dans la nuit du 19 au 20 janvier, à Paris où il vivait
depuis près de 35 ans. Originaire d'Oran (Algérie), c'était un poète
et intellectuel, en friche, atypique, plein de talent, irrévérencieux à
souhait. Et pourtant très peu connu parce que non obsédé par la reconnaissance
médiatique. Il estimait que ce n'était pas à lui de chercher les médias mais
l'inverse. Ce en quoi, il avait raison.
Il était passionné par la philosophie et l'histoire. Dans les années 80, il fréquentait l’université de Vincennes- Saint Denis et ces dernières années, il assistait à des cours de philosophie à la Sorbonne, en auditeur libre. Parce que libre, il l’était; libre et libertin. Les derniers temps, il manifestait de la considération pour Alain Badiou, un des derniers penseurs français impertinents et éclaireurs. Il aimait Michel Foucault, un peu Felix Guattari, pas vraiment Jacques Derrida. Il avait horreur des intellectuels institutionnels, bureaucrates, pantouflards, qui cachent leur nullité derrière le statut social que leur confère diplôme. Il était resté un fils du peuple, un enfant de Saint-Antoine – Medina Djedida où il est né et a grandi. C’était le premier bachelier du quartier et les gens le saluaient fièrement comme une vedette, raconte-t-il. Il ne dévorait pas les livres (et ce n’était pas possible avec son mode de vie) mais lisait avec intelligence et avec intuition, en diagonale. Et puis, il s’en foutait de se tromper, je crois. Il avait raison. Il n’y a que les médiocres suffisants qui ont peur de se tromper parce qu’ils se croient détenteurs de vérités, en toutes circonstances. Senouci a toujours eu ses passions du moment, ne craignant pas la contradiction. «‘êchek mellel », comme on dit. Il y a des années de cela, il se trimbalait avec Le gai savoir de Nietzche. Mais alors, ça n’en finissait pas, ce livre le suivait partout, dans une poche jusqu’à finir en lambeaux. Puis il y a eu l’époque freudienne suivie de l’anti-freudienne. Et puis après, et puis après… Dans les années 80, nous écumions des bars du Marais, tenus par des juifs maghrébins qui connaissaient et aimaient Senouci. Au milieu d’eux, il y avait le bar de l’oranais Houari Malaga (où descendait Guerouabi). A l’époque, il se revendiquait de (s’identifiait à ?) Charles Boukovski. Quels moments !
Il était passionné par la philosophie et l'histoire. Dans les années 80, il fréquentait l’université de Vincennes- Saint Denis et ces dernières années, il assistait à des cours de philosophie à la Sorbonne, en auditeur libre. Parce que libre, il l’était; libre et libertin. Les derniers temps, il manifestait de la considération pour Alain Badiou, un des derniers penseurs français impertinents et éclaireurs. Il aimait Michel Foucault, un peu Felix Guattari, pas vraiment Jacques Derrida. Il avait horreur des intellectuels institutionnels, bureaucrates, pantouflards, qui cachent leur nullité derrière le statut social que leur confère diplôme. Il était resté un fils du peuple, un enfant de Saint-Antoine – Medina Djedida où il est né et a grandi. C’était le premier bachelier du quartier et les gens le saluaient fièrement comme une vedette, raconte-t-il. Il ne dévorait pas les livres (et ce n’était pas possible avec son mode de vie) mais lisait avec intelligence et avec intuition, en diagonale. Et puis, il s’en foutait de se tromper, je crois. Il avait raison. Il n’y a que les médiocres suffisants qui ont peur de se tromper parce qu’ils se croient détenteurs de vérités, en toutes circonstances. Senouci a toujours eu ses passions du moment, ne craignant pas la contradiction. «‘êchek mellel », comme on dit. Il y a des années de cela, il se trimbalait avec Le gai savoir de Nietzche. Mais alors, ça n’en finissait pas, ce livre le suivait partout, dans une poche jusqu’à finir en lambeaux. Puis il y a eu l’époque freudienne suivie de l’anti-freudienne. Et puis après, et puis après… Dans les années 80, nous écumions des bars du Marais, tenus par des juifs maghrébins qui connaissaient et aimaient Senouci. Au milieu d’eux, il y avait le bar de l’oranais Houari Malaga (où descendait Guerouabi). A l’époque, il se revendiquait de (s’identifiait à ?) Charles Boukovski. Quels moments !
Et puis un jour,
lassé par les faux-culs qui s’étaient mis à pérorer sur le Raï, ses origines et
patati et patata, pour épater les blancs, Senouci avait attaqué de
front Ibn Khaldoun (son étude sur les Berbères) et la poésie populaire maghrébine dont
il était devenu un des connaisseurs les plus fins. Pourquoi ? Parce que
c’était lui-même un poète, un passionné, un pamphlétaire, tout dans l’oralité,
Un barde des temps modernes, dans villes. Il fréquentait d’ailleurs celui qui a
révélée la poésie populaire, notamment avec son anthologie, au grand public :
feu Mohamed Belhalfaoui auprès de qui il s’était nourri : comme il le fera
plus tard auprès de Cheikha Rimiti. Il interprétait parfaitement certains
poèmes, en particulier Bekhta d’Abdelkader Khaldi, chantée
par Blaoui Houari puis Khaled. Il était percussionniste, à l’occasion, jusqu’à
devenir un professionnel intermittent de la derbouka Il lui arrivait de chanter dans les cabarets
et cafés-concerts. Pris par la nostalgie, durant ses séjours de plus en plus
fréquents à Oran, durant ses soirées au Mélomane, il y avait toujours un moment
où il prenait le micro pour interpréter Viens ma
brune de Salvatore Adamo. Certains, comme Boutledja Belkacem hier
au téléphone, le surnomment Senouci Adamo. Souvent, ailleurs, dans des troquets parisiens
il enchaînait avec Avec le
temps ou Il n'y a plus rien de Léo Ferré, en passant par
Ya del mersem, grand poème immortalisé,
entre autre, par Khaled. Au fil du temps, Senouci s’était constitué un
répertoire de reprises et il lui arrivait, à Paris, de donner un récital, dans
un bistro d’amis. Dans les années 80-90 Il
a été producteur-manager dans la musique Raï, par intermittence, s'occupant
notamment de Cheb Moumen et, à quelques occasions, de Cheb Mami.
Puis Cheikha Rimiti dont il était le confident, les
dernières années de la vie de cette grande dame. Quelques fois, Senouci
l'accompagnait à la derbouka. L’intermittence était un mode vie chez lui,
l’irrégularité, l’absence d’habitudes. C’était un errant qui déambulait avec sa
dégaine d’oranais des années 60-70, avec un air un peu fier, c’était vraiment cocasse
de le voir comme ça déambuler dans Paris, c’était incroyable, tellement il
vivait et marchait à une autre vitesse. Il était ailleurs, hors du temps… Il
n’avait jamais quitté le pays, son pays dont l’éloignement le faisait manifestement souffrir. Avant
qu’il ne se mette à y faire des séjours fréquents.
Il y a une quinzaine d’années, Senouci un certain Enzo,
premier producteur de Madona, qui était devenu un grand ami à lui et avec
lequel il avait mis en chantier des projets restés en jachère puis évanouis
après le décès d'Enzo. Un de leurs grands projets était celui d’emmener Cheikha
Rimiti aux USA. Les dernières fois où je lai vu, il n’arrêtait pas de me dire
qu’il voulait écrire la biographie de Cheikha Rimiti qui lui racontait
tout.
La dernière fois que j’ai vu Senouci, c’était début aout à
Paris. Il m’a emmené dans la minuscule chambre d’hôtel à Belleville qu’il
occupait. Il m’a dit : « en ce moment, je fais des répétitions
de danse oranaise pour la mettre à la mode. » J’ai cru qu’il avait pété un
plomb de plus. Il a mis une cassette de Blaoui et il s’est mis à danser sur
place, avec application et sérieux. Et lorsque j’ai vu ça, je l’ai cru. Il
avait sa part de génie et d’utopie.
Après le carnage à Charlie
Hebdo, j’ai pensé à lui. Je me disais que c’était un sale temps pour les
Maghrébins. Je me demandais comment il vivait ça. J’ai tenté de l’appeler jeudi
dernier. En fait, il n’était plus de ce monde.
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Brahim Hadj-Slimane.
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cf ci-dessous le Post n° 484
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