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mercredi, mars 04, 2015

485_ Hommage à Senouci Bendjelida le troubadour

 
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Pour Senouci Bendjelida

« Au commencement, disais-tu, il y eut le chaos engendré par l’impensable big-bang. Et c’est au chaos moderne, descendant de l’originel, que tu opposais le tien. La vie – ta vie – puisait dans cet univers de désordre la force qu’elle lui renvoyait aussitôt, toujours le sourire aux lèvres.
Alors tu comprendras cher ami l’acrobatie que je te propose ci-après que j’ai voulu à ton image, kaléidoscopique.

Tu allais de Schopenhauer à Nietzsche, de Spinoza à Deleuze et Gattari. « Nous souffrons disais-tu du vouloir. C’est de lui, du vouloir, que naît la privation et le désir et donc notre malheur d’homme ». Tu naviguais de la biologie à la linguistique et à la sociologie, et de celle-ci aux Lettres française. D’Oran à Vincennes et de Vincennes à Saint-Denis. De Noam Chomsky à Daniel Defert qui nous avait reçus, tu t’en souviens, au bas du boulevard Saint-Michel...
L'Antinéa à Oran.
En homme libre, tu revendiquais la liberté totale de voyager, de polémiquer, de se rencontrer, de se mélanger. La liberté sexuelle totale. Que de chemin parcouru cher ami, depuis la cave de la place du Ché à Oran, la place où trône un sexe emblématique, juste devant le studio. Et puis de là à l’Antinéa. Missoum le gardien nous empêchait de réveillonner dans notre studio et nous dûmes déménager nos cartons de nuit, à pieds jusqu’à l’appartement dans l’Académie rue Mouloud Ferraoun où nous attendaient les légères et névrosées Dahbia, Louisette et Suzanne l’effrontée. Ah Suzanne !

Nous allions, Tejdine, Bachir, Omar et d’autres (les filles) chez Moumen au Pavillon 35 et au Ciné-club, la cinémathèque : « Le péché suédois » (Bo Widerberg), « Il pleut toujours où c’est mouillé » (Daniel Jean de Simon), propagande, propagande et cela nous faisait rire jaune. Et « La vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu » (Roger Hanoun). L’ami Moumen s’était levé brusquement, brandissant une feuille et s’exclamant « Plus on avance et moins on recule », puis « La Méditerranée a traversé la France comme la Seine traverse Paris », puis n’a plus dit un mot. De Galilée, le théâtre, le CCF à Dien Bien Phu, à Honolulu. De Kheïra Ezziraïa à Aïn Nehala, de la poésie face aux mensonges, De Djamel Amrani à Leïla Boutaleb et « Le chant du coq ». De la PJ de Sidi el Houari au Palais de justice pour « outrage à magistrat ». Au diable la GSE !
Le Manifeste associé au H marocain nous faisait plier de rire, mais moins que les Stals.
Ah oui, bien sûr, De la PM et D’Israël à Ba’alat et de Canaan à Mohammed.

Nous allions de la guinguette, du Macumba sur la côte ouest oranaise au Kiss-Club et au Golf-Drouot à Paris. Du café Najah au bar Chez Larry.Tu nous embarquais du Raï-trab et de Saïm el Hadj à Sabah Essaghira. Et Turkish Blend « tu vas, tu viens » « Take a walk on the wild side » de Lou Reed, Soûl Makossa de Dibango. Des Student’s  à Ness el Ghiwan, de Jil Jilala au King assassiné à Marseille. Et Léo le grand, Léo Ferré « avec le temps » Et Iron Butterfly « In a gadda da vida » le crâne surdosé de shite. Nous voyagions de Abdelhalim Hafez à Farid et Om Keltoum. Et les filles de la fac, les névrosées, « comme nous ! » criais-tu…

Sur le tard, là-bas, à Paris, tu nous contais ton amie de dix ans, Cheikha Remitti (8.05.1923 à 15.05.2006) : « Ya Rabbi el aziz/ chhel nebghi el m’iz (censure) _ Wi ijini sidna âzrin/ Ghir beïta mâa ezzine » te chuchotait- elle. « Une femme unique » qui aimait se trémousser parmi les fidèles de la Merdja de Sidi Abed qui lui attribuèrent son nom de guerre.

« On est venu ici (en France) comme des orphelins, disais-tu, sans personne pour nous accueillir. Alors chacun a souffert dans son coin. Les anciens ne nous ont pas laissé grand-chose, préoccupés qu’ils étaient. C’est pourquoi nous sommes devenus des paranos, toujours aux aguets. »
Et tu es parti. Sans crier gare. Brusquement. Mais seul. Ciao mec. A bientôt.
Ahmed Hanifi
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_____________Autre hommage __________________


Par : Brahim Hadj-Slimane
 
Senouci Bendjelida, un ami de longue date, est décédé à l'âge de 62 ans, dans la nuit du 19 au 20 janvier, à Paris où il vivait depuis près de 35 ans. Originaire d'Oran (Algérie), c'était un poète et intellectuel, en friche, atypique, plein de talent, irrévérencieux à souhait. Et pourtant très peu connu parce que non obsédé par la reconnaissance médiatique. Il estimait que ce n'était pas à lui de chercher les médias mais l'inverse. Ce en quoi, il avait raison.
Il était passionné par la philosophie et l'histoire. Dans les années 80, il fréquentait l’université de Vincennes- Saint Denis et ces dernières années, il assistait à des cours de philosophie à la Sorbonne, en auditeur libre. Parce que libre, il l’était; libre et libertin. Les derniers temps, il manifestait de la considération pour Alain Badiou, un des derniers penseurs français impertinents et éclaireurs.  Il aimait Michel Foucault, un peu Felix Guattari, pas vraiment Jacques Derrida. Il avait horreur des intellectuels institutionnels, bureaucrates, pantouflards, qui cachent leur nullité derrière le statut social que leur confère diplôme. Il était resté un fils du peuple, un enfant de Saint-Antoine – Medina Djedida où il est né et a grandi. C’était le premier bachelier du quartier et les gens le saluaient fièrement comme une vedette, raconte-t-il. Il ne dévorait pas les livres (et ce n’était pas possible avec son mode de vie) mais lisait avec intelligence et avec intuition, en diagonale. Et puis, il s’en foutait de se tromper, je crois. Il avait raison. Il n’y a que les médiocres suffisants qui ont peur de se tromper parce qu’ils se croient détenteurs de vérités, en toutes circonstances. Senouci a toujours eu ses  passions du moment, ne craignant pas la contradiction. «‘êchek mellel », comme on dit. Il y a des années de cela, il se trimbalait avec Le gai savoir  de Nietzche. Mais alors, ça n’en finissait pas, ce livre le suivait partout, dans une poche jusqu’à finir en lambeaux. Puis il y a eu l’époque freudienne suivie de l’anti-freudienne. Et puis après, et puis après…  Dans les années 80, nous écumions des bars du Marais, tenus par des juifs maghrébins qui connaissaient et aimaient Senouci. Au milieu d’eux, il y avait le bar de l’oranais Houari Malaga (où descendait Guerouabi). A l’époque, il se revendiquait de (s’identifiait à ?) Charles Boukovski. Quels moments !          

 Et puis un jour, lassé par les faux-culs qui s’étaient mis à pérorer sur le Raï, ses origines et patati et patata, pour épater les blancs, Senouci avait attaqué de front Ibn Khaldoun (son étude sur les Berbères) et la poésie populaire maghrébine dont il était devenu un des connaisseurs les plus fins. Pourquoi ? Parce que c’était lui-même un poète, un passionné, un pamphlétaire, tout dans l’oralité, Un barde des temps modernes, dans villes. Il fréquentait d’ailleurs celui qui a révélée la poésie populaire, notamment avec son anthologie, au grand public : feu Mohamed Belhalfaoui auprès de qui il s’était nourri : comme il le fera plus tard auprès de Cheikha Rimiti. Il interprétait parfaitement certains poèmes, en particulier Bekhta d’Abdelkader Khaldi, chantée par Blaoui Houari puis Khaled. Il était percussionniste, à l’occasion, jusqu’à devenir un professionnel intermittent de la derbouka  Il lui arrivait de chanter dans les cabarets et cafés-concerts. Pris par la nostalgie, durant ses séjours de plus en plus fréquents à Oran, durant ses soirées au Mélomane, il y avait toujours un moment où il prenait le micro pour interpréter Viens ma brune de Salvatore Adamo. Certains, comme Boutledja Belkacem hier au téléphone, le surnomment Senouci Adamo.  Souvent, ailleurs, dans des troquets parisiens il enchaînait avec Avec le temps ou Il n'y a plus rien de Léo Ferré, en passant par Ya del mersem, grand poème immortalisé, entre autre, par Khaled. Au fil du temps, Senouci s’était constitué un répertoire de reprises et il lui arrivait, à Paris, de donner un récital, dans un bistro d’amis.  Dans les années 80-90 Il a été producteur-manager dans la musique Raï, par intermittence, s'occupant notamment de Cheb Moumen et, à quelques occasions, de Cheb Mami.

Puis Cheikha Rimiti dont il était le confident, les dernières années de la vie de cette grande dame. Quelques fois, Senouci l'accompagnait à la derbouka. L’intermittence était un mode vie chez lui, l’irrégularité, l’absence d’habitudes. C’était un errant qui déambulait avec sa dégaine d’oranais des années 60-70, avec un air un peu fier, c’était vraiment cocasse de le voir comme ça déambuler dans Paris, c’était incroyable, tellement il vivait et marchait à une autre vitesse. Il était ailleurs, hors du temps… Il n’avait jamais quitté le pays, son pays dont l’éloignement  le faisait manifestement souffrir. Avant qu’il ne se mette à y faire des séjours fréquents.                




Il y a une quinzaine d’années, Senouci un certain Enzo, premier producteur de Madona, qui était devenu un grand ami à lui et avec lequel il avait mis en chantier des projets restés en jachère puis évanouis après le décès d'Enzo. Un de leurs grands projets était celui d’emmener Cheikha Rimiti aux USA. Les dernières fois où je lai vu, il n’arrêtait pas de me dire qu’il voulait écrire la biographie de Cheikha Rimiti qui lui racontait tout.     

La dernière fois que j’ai vu Senouci, c’était début aout à Paris. Il m’a emmené dans la minuscule chambre d’hôtel à Belleville qu’il occupait. Il m’a dit : « en ce moment, je fais des répétitions de danse oranaise pour la mettre à la mode. » J’ai cru qu’il avait pété un plomb de plus. Il a mis une cassette de Blaoui et il s’est mis à danser sur place, avec application et sérieux. Et lorsque j’ai vu ça, je l’ai cru. Il avait sa part de génie et d’utopie.

Après le carnage à Charlie Hebdo, j’ai pensé à lui. Je me disais que c’était un sale temps pour les Maghrébins. Je me demandais comment il vivait ça. J’ai tenté de l’appeler jeudi dernier. En fait, il n’était plus de ce monde.

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Brahim Hadj-Slimane.
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cf ci-dessous le Post n° 484 


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