(suite)
Lorsqu’ils lui demandent si son association est en relation avec
celle de Whitehorse, Marie dit en connaître l’existence, mais pas vraiment les
membres qui la dirigent ou la constituent. Elles n’ont pas d’activités communes
et n’échangent pas leurs expériences. Avant la fin de la rencontre, ils
réservent un monospace pour la période allant du mercredi 20 au jeudi 28.
« Vous êtes tranquilles maintenant », leur dit Marie Chaumont. Elle
semble aussi contente de leur rendre service qu’ils sont eux-mêmes contents de
rencontrer des gens aussi avenants.
Le soir ils se retrouvent au Mackenzie Lounge sur la 49° Street avec
Marc, Karin, Marie et Victor. Marc invita ses collègues Rob Ruben et Joneen
Jensen, mari et femme, tous deux reporters pour CBC-North. Les fishs and ships
et la Yukon gold sauce sont succulents. Sur scène le chanteur folk Craig
Cardiff remporte un vif succès. Le pub est comble. Ils ont de la chance. La
voie est langoureuse, habitée de mélancolie… « Here’s
to the year where we learned that Fear/Rents the cheapest room in the house,
dear/
Love called and said she found a
better room/ To the year where we stayed awake/ And talked about how the earth
quaked/ It surely must be a sign the sky would fall » Rob et Joneen sont friands
d’informations. Ils veulent connaître les raisons qui amènent Véro et Omar dans
ce coin perdu, « this lost town ». Les Marseillais leur détaillent le
projet qui ravit les journalistes. Joneen parle correctement le français. Mais
hélas pour eux les Canadiens ne savent rien sur cette mosquée qui a flotté des
milliers de miles sur le Mackenzie. Ils demandent même si cela n’est pas une
plaisanterie, ce qui contrarie Véro et Omar. Toutefois, Joneen et son compagnon
invitent les Marseillais, qui n’y voient pas d’inconvénient bien au contraire,
à parler de leur projet à la radio. Ils prennent rendez-vous pour le vendredi
au pavillon de la 54° Street. La
discussion allant, on leur vante le village de Tuktoyaktuk, ils disent Tuk, ses
entrepôts souterrains, et surtout cette femme, la mère Ninguiukusuk qui n’a
plus d’âge, dont le corps porte les stigmates de taillades de plusieurs ours et
qui aime à raconter son passé chaotique dans le restaurant qu’elle tient dans un
des nombreux sous-sols frigorifiés de Tuk.
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Tuk- in Google Earth |
C’est un village méconnu
aujourd’hui, mais pas pour longtemps assurent-ils. Pourquoi, parce que ses
entrailles sont potentiellement riches de plus de 20% des réserves mondiales
d’hydrocarbures. La semaine prochaine et la suivante il va s’y tenir un
important festival des arts premiers qu’il ne faut pas manquer. C’est à cent
quarante kilomètres au nord d’Inuvik. « Mais en été il n’y a pas de route,
on ne peut y accéder qu’en avion » dit Rob. Dans dix ans, peut-être y
aura-t-il une « route tout temps », fonctionnelle en été comme en
hiver, « mais nous n’y sommes pas encore » tempère-t-il. Pendant la
discussion, Marc présente aux Marseillais un jeune homme qu’il invite à se
joindre au groupe. « Just a drink » s’enthousiasme celui-ci en tendant
la main. Il affiche un large sourire : « Jean-Pierre Fontaine ».
Marc dit : « nos amis viennent de France ». Jean-Pierre est un
jeune poète francophone, originaire de La Gaspésie. Il est membre de North
words writers, une association d'auteurs dont la majorité est anglophone. Lui
est un parfait bilingue. Il est aussi journaliste à L'Aquilon, un hebdomadaire
francophone de la région. La soirée est longue et belle en promesses. Le jeune
poète est ravi lorsqu’il prend connaissance des projets de Omar et Véro
« surtout ne manquez pas les bains à Liard River Hots Springs, ils sont
exceptionnels, c’est sur votre route, à cent quatre-vingt-cinq miles seulement
de Fort-Nelson. » Jean-Pierre est un amoureux de la France, particulièrement
des nuits de Montmartre et du Quartier latin. Il en parlerait pendant des
heures. Emporté par la bonne humeur et les souvenirs, il se laisse aller à
déclamer des poèmes, debout, devant le micro abandonné par Craig Cardiff le
temps d’une pause : « Le son de tes voies coule dans mes veines/ N’avais-je pas suffisamment
d’audace/ Pour tatouer sur ton corps mes peines/ Retrouverai-je tes artères,
tes places ?/ Dis-moi Paname si ma quête est vaine. » Pour ne
pas froisser les anglophones, majoritaires dans le lounge, Jean-Pierre Fontaine
lit Cachalot, un poème célèbre de Edwin John Pratt. A thousand years now
had his breed/ Established the mammalian lead;/ The founder (in cetacean lore)/
Had followed Leif to Labrador;/ The eldest-born tracked all the way/ Marco Polo
to Cathay;/ A third had hounded one whole week/ The great Columbus to Bahama;/
A fourth outstripped to Mozambique/ The flying squadron of de Gama…
Jean-Pierre n’est pas inconnu. Il est chaleureusement applaudi par les uns et
les autres. Marie informe les Marseillais que Jean-Pierre anime pour
l’association des activités culturelles comme des lectures de textes ou des
ateliers d’écriture créative. « Soyez les bienvenus leur dit Jean-Pierre
en ouvrant grand les bras, venez participer à l’atelier du mercredi »
« Avec plaisir, demain ? » répondent ensemble les Marseillais. « C’est dans une semaine, vous serez
encore là ? »
(à suivre)
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