D’emblée, je suis accueilli par une bouffée de
chaleur agressive, des formes, piaillant et gesticulant, et des notes de
musique tourmentées ou euphoriques. À peine entré dans le Monkey tree – un samedi de
mars – je suis attiré comme un aimant (l’oxyde de fer), jusqu’au fond de la
salle, sous l’écran de télé en pleine forme. Une table est libre. Je m’y
installe. Je distingue vaguement les types et leurs gadji accoudés au comptoir.
Non que je sois miro, bigleux ou myope, pas du tout, mais en raison de la
lumière, tamisée par un appareil semblable à ceux qu’on utilise dans les boites
de nuit, qui hachurent les visages, les corps et tout ce qui se trouve sous
leurs jets. Je les distingue mal, mais
les entends bien. Plutôt bien. Je dis (ou écris) « plutôt bien », car,
de ce que captent mes portugaises, il me faut faire la part de ce qui arrive
des enceintes et ce que crachent certains de ces types. L’un de ces derniers tartine
à ses proches son dernier séjour en Turquie depuis un bon quart d’heure : « Istanbul
c’est Londres et Berlin réunis ». Il n’offre à ses potes nul répit, « Y a un quartier qui s’appelle Bebek …t’as
une chambre à 50€, pétaing c’est pas dégun ! » Il en oublierait sa pinte
Blanche de Bruges « pâle et trouble
aux arômes fruités et acides ».
« Gaillac ? » me lance la patronne,
en hochant légèrement la tête et en clignant du lampion en guise de salamalek.
J’opine en levant le bras. Me connaît. Chaque samedi que Dieu fait (sauf
catastrophe), je reviens ici en siroter deux. Rarement trois. Ou un. Mais cela
m’arrive. Cela m’arrive d’en prendre trois. Cela m’arrive, mais pas bezzef. J’apprécie
plus le nectar servi – il présente un bon potentiel de moyenne garde et sa
texture est ample et structurée comme disent les œnologues, mais vous avez le droit
de ne pas me croire – j’apprécie plus le nectar servi disais-je que le pub lui-même
because le boucan, encore que Line Cé ma Bonne-Mère… Plus proche de moi, pour
ne pas dire sur moi, la téloche Led, encastrée (101 cm, c’est écrit) diffuse un
match de rugby muet. S’il n’y a pas de son, les supporters du Monkey s’en
chargent. 100% pour les rugbymen français : « Vas-y, on le met, on le
met, on le met, on le met !... et merde ! » 71’2O’’ Irlande 13
France 6. « Pétaing, y-a trois contre deux ! » etc.
J’enlève mon Duffelcoat et de la poche intérieure j’extrais
mon carnet rouge et mon stylo à bille bleu. J’y note nombre de remarques, de
phrases entendues çà et là, d’écrits tordus ou rigolos. J’y porte aussi mes
propres réflexions lorsque j’en ai. Toutes ces feuilles noircies m’aideront
lorsque, le moment venu, j’appellerai au secours, lancerai des Sos. Le verre de
Gaillac que vient de poser machinalement et sans sous-verre la patronne sur le
milieu de la table m’inspire. J’évoquais récemment avec des amies mahoraises
(tsing tsing belles Ba et My… !) le génie de Khayyam de Nishapur. Et,
comme les premières phrases d’une belle chanson entendue le matin, certains
vers du poète calculateur évoqué avec mes amies, me poursuivent, m’envahissent.
« Je ne me suis jamais privé de
cultiver les sciences…
Omar Khayyam
Au bout de soixante-douze ans de réflexion, Je n’ai constaté que mon entière ignorance. » Au bout de tant et tant d’années à crapahuter « mais où est le vrai ? qui suis-je ?», mon ignorance est entière et je me dis « va n’hésite pas, prends le coquelicot, humidifie ton cerveau et écoute la vie. » « C’est l’aurore, lève-toi, ô source de grâce ! Bois tout doucement et joue ta harpe. » Il n’y a nulle harpe ni lyre dans cette taverne. Je dois me contenter, comme tous les clients, du choix de Line Cé : « Lady Madonna, children at your feet. Wonder how you manage to make ends meet…. » Joindre les deux bouts, tu parles que c’était pour ma mère une question récurrente. Ma mère ne s’appelle pas Madonna. Mais elle a trimé kif-kif. Tout ce que je suis devenu lui est redevable.
Omar Khayyam
Au bout de soixante-douze ans de réflexion, Je n’ai constaté que mon entière ignorance. » Au bout de tant et tant d’années à crapahuter « mais où est le vrai ? qui suis-je ?», mon ignorance est entière et je me dis « va n’hésite pas, prends le coquelicot, humidifie ton cerveau et écoute la vie. » « C’est l’aurore, lève-toi, ô source de grâce ! Bois tout doucement et joue ta harpe. » Il n’y a nulle harpe ni lyre dans cette taverne. Je dois me contenter, comme tous les clients, du choix de Line Cé : « Lady Madonna, children at your feet. Wonder how you manage to make ends meet…. » Joindre les deux bouts, tu parles que c’était pour ma mère une question récurrente. Ma mère ne s’appelle pas Madonna. Mais elle a trimé kif-kif. Tout ce que je suis devenu lui est redevable.
Devant moi, le Turque gave ses amis à moitié
niasqués. Il revient à la charge : « sauf que là faut pas aller au sud,
y a des escarmouches avec les Syriens, faut pas déconner. Hé Line Cé, Une
Bruges s’il te plaît, qu’est-ce que tu prends fada ? » Les fadas
étaient trois. Pas sorti de l’auberge le Turque. La patronne revient chargée
comme une Allemande de l’Oktoberfest. Pose un nouveau Gaillac. J’avais levé le
bras, elle avait souri « j’arrive ». Coquelicot donc. Et Omar : « Ceux qui sont là n’auront pas un long
séjour Et de ceux qui sont partis
personne ne sera de retour. » Les spots du pub ont le tournis derviche. Chahutent
à tout berzingue rouge, vert et beige, arc-en-ciel. Et « le coqu’licot n’aimer qu’ça faut être idiot T’as pt’êt raison,
seulement voilà, quand j’t’aurai dit, tu comprendras ! », comme
un tout p’tit trou dans mon âme, va Mouloud, mais où est le nord ?
Irlande 13 France 13. Fin de partie. « Lamentab’
se lamente le voisin. Des bras cassés oui ! Attendre la 73° minute pour
faire entrer Mathieu, c’est khéné. Franchement devant une équipe irlandaise
aussi fadasse, c’est khéné j’te dis, la-men-tab’ ! »
La téloche reprend des couleurs : « It
was the third of September, That
day I'll always remember, yes I will, Cause
that was the day that my daddy died… » on
tape des mains, « Papa was a rolling
stone », on tape des mains
et des pieds, même si les paroles de la chanson ne nous y invitent guère, les
paroles on s’en moque, fini le rugby,
tous ont l’oeil (ou l’oreille) tourné vers MTV. Et on tape des mains, et on
tape des pieds. niasqués : « I never got a chance to see him, Never heard nothin' but bad
things about him, Momma I'm depending on you to
tell me the truth… » Line Cé s’il te plaît ! allo ! Omar Khayyam
Au clair de ma mémoire fatiguée
Des ombres zébrées reviennent animées
Par quelles mers avez-vous navigué
Pour venir hanter ma nuit avinée
Allez, zou ! je rentre à pieds.
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Ahmed Hanifi,
Marseille, mars 2013
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L'écrivain et savant
persan connu en francophonie sous le nom d'Omar Khayyām ou de Khayyām serait né le 18 mai 1048 à Nichapur en Perse (actuel Iran)
où il est mort le 4 décembre 1131.
On peut aussi
trouver son nom orthographié Omar
Khayam comme dans les traductions d' Armand Robin (1958) ou de M. F.
Farzaneh et Jean Malaplate (dans l'édition critique de Sadegh Hedayat, Corti,
1993).
La vie de Khayyam
est entourée de mystère, et peu de sources sont disponibles pour nous permettre
de la retracer avec précision. Les chercheurs pensent généralement qu'Omar
Khayyam est né dans une famille d'artisans de nichapur (son père était
probablement fabricant de tentes). Il a passé son enfance dans la ville de
Balhi, où il étudie sous la direction du cheik Mohammad Mansuri, un des
chercheurs les plus célèbres de son temps. Dans sa jeunesse, Omar Khayyām
étudie aussi sous la direction de l'imam Mowaffak de Nishapur, considéré comme
le meilleur professeur du Khorassan.
La légende dit
qu'Abou-Ali Hassan (Nizam al-Mulk) et Hassan Sabbah étudiaient alors également
sous la direction de ce maître et qu'un pacte légendaire aurait été conclu
entre les trois étudiants : « Celui d'entre
nous qui atteindra la gloire ou la fortune devra partager à égalité avec les
deux autres ». Cette alliance reste improbable lorsqu'on sait que
Nizam al-Mulk était de 30 ans l'ainé d'Omar et que Hassan Sabbah devait avoir
au moins 10 ans de plus que Khayyam.
Nizam al-Mulk devient
cependant grand vizir de Perse et les deux autres se rendent à sa cour. Hassan
Sabbah, ambitieux, demande une place au gouvernement ; il l'obtient immédiatement
et s'en servira plus tard pour essayer de prendre le pouvoir à son bienfaiteur.
Il devient après son échec chef des Hashashins. Khayyam, moins porté vers le
pouvoir politique, ne demande pas de poste officiel, mais un endroit pour
vivre, étudier la science et prier. Il reçoit alors une pension de 1 200 mithkals d'or de la part du trésor
royal ; cette pension lui sera versée jusqu'à la mort de Nizam al-Mulk
(tué par un assassin).
(Wikipédia)
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