PARTIE B
Que derrière ces murs
OCT. 14, 2025
De Malika
Maintenant que mes pieds foulent à nouveau la terre ferme, que je respire librement sans barreaux ni murs, je prends enfin le temps d’écrire ces mots, lourds et pleins de ce que nous avons vécu.
Nous avons été emprisonnés dans une prison israélienne. Nos voix, nos corps, nos esprits, enfermés. Mais pas seulement nous. Tout près, de l’autre côté de ces murs que l’on devinait si proches, il y avait des milliers de prisonniers palestiniens. Des hommes, des femmes, des enfants parfois, enfermés depuis des années, certains depuis des décennies. Torturés, oubliés, condamnés au silence.
Dans cette prison, nous avons crié : « Free Palestine ». Encore et encore. Pas pour nous. Pour eux. Pour qu’ils sachent que nous étions là. Que derrière ces murs, il y avait des cœurs battants pour leur cause, des voix qui refusaient de se taire. J’espère qu’ils nous ont entendus. J’espère que ces slogans ont traversé le béton, les grilles, l’oppression. J’espère qu’ils ont su que nous étions là, pour eux. Pour une Palestine libre.
Les jours ont passé. Nous avons été libérés. Accueillis dans les aéroports par les bras chauds de nos proches, par les larmes et les chants. Nous étions rentrés.
Vivants. Changés.
Et puis… quelques jours plus tard, comme un écho à notre propre sortie, des images ont surgi. Celles de prisonniers palestiniens enfin libérés. Les mêmes uniformes que nous. Les mêmes regards marqués. Des hommes qui sortaient après 20, 25, 30 années de détention. Certains tenaient dans leurs mains des chapelets qu’ils avaient patiemment fabriqués dans leur cellule. Des chapelets semblables à ceux que nous avons trouvés et ramenés avec nous. Objets de prière, d’espoir, de survie.
Voir ces images, après les nôtres. Sentir que, d’une manière ou d’une autre, nos cris, notre enfermement, notre médiatisation ont ouvert une brèche… Cela ne pouvait être qu’un signe. Une grâce. Une lumière.
Ils sont enfin libres, eux aussi. Près des leurs. Et c’est peut-être cela, la plus belle des victoires : que notre liberté ait résonné jusqu’à la leur.
Pour eux. Pour la Palestine. Toujours.
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Serflex électriques
OCT. 13, 2025
De Yannick
Mémoires. 2 octobre
Mise en scène
Les militaires nous demandent s’ils doivent acheminer l’aide humanitaire à Gaza, sous l’œil attentif du service de presse de l’armée. Nous restons mutiques.
Transbordés sur l’Alma, nous restons parqués de longues heures sur le pont, les mains entravées par des serflex électriques que certains militaires sadiques serrent à l’excès. Nous attendons leur départ pour que d’autres, plus humains, viennent enfin desserrer ces attaches.
Sur le quai, nous essuyons un déluge d’injures, traités de « terroristes » par le cher Ben Gvir, venu en personne nous accabler d’insultes.
La situation se complique quand la police prend le relais, plus vicieuse encore. Serrés par centaines, assis à même le sol, le ministre revient à la charge pour nous vomir sa haine. Nos slogans de résistance entraînent de nouvelles entraves, les mains attachées dans le dos.
Humiliations
Greta Thunberg, traînée par des militaires, un drapeau israélien dans les mains, est forcée à s’agenouiller front contre terre durant une heure devant un militaire. Cette scène d’humiliation, dont ils diffusent les images, les rend pitoyables dans leurs efforts vains pour couper les séquences gênantes : nos « Free, free Palestine » scandés à l’envie.
Suit une longue série de formalités : fouilles, signatures, reconnaissance d’entrée illégale – ils ne sont plus à une pitrerie près –, le tout se prolongeant une bonne partie de la nuit.
Enfin, on nous entasse dans un bus-cellule, en tee-shirt, la climatisation poussée au maximum, mains toujours entravées, transis de froid. Après trois à quatre heures de trajet, nous arrivons à la prison de Ktzi’ot, dans le Néguev.
©Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International
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(non daté)
3h15 du matin, heure de Gaza
Yannick, conversation téléphonique
1h15 du matin, heure de Gaza
Cela fait maintenant plus de deux heures que nous sommes entourés par des vedettes qui nous aspergent de canons à eau, ce que je préfère néanmoins aux mortiers. Cela devient une manie. Si seulement ils pouvaient bombarder Gaza avec ces canons. Je pourrais peut-être le leur suggérer. Nous sommes trempés et épuisés, d’autant plus que nous n’avons pas dormi la nuit dernière, ni beaucoup la nuit d’avant.
Les petits bateaux sont apparemment plus faciles à intercepter.
Notre navire a le commandement. Les ordres sont clairs : continuer. Nous avançons donc à 4 nœuds. En 15 à 17 heures, nous y serons, c’est-à-dire dans l’après-midi. Par conséquent, ils vont être de plus en plus nerveux au fur et à mesure que nous nous approcherons de la limite des eaux territoriales de Gaza, située à 12 miles nautiques, soit à 22 kilomètres des côtes. Je me prends à espérer que nous arriverons bientôt sur les côtes de Gaza.
Nous sommes fiers d’avancer et nous avons même l’impression qu’ils sont débordés. En effet, ils pensaient qu’à une heure du matin ce serait terminé, or seulement 20% de la flottille a été interceptée.
Ils sont venus avec 12 bateaux militaires, paraît-il. L’un d’eux est illuminé comme un bateau commercial, nous nous demandons si ce n’est pas le bateau prison. Il est d’ailleurs assez gros.
Les vedettes rapides foncent régulièrement sur nos bateaux, effectuant un vrai ballet. Nous avons ainsi été entourés par des vedettes qui après 4 à 5 passages sans arraisonner font hurler leurs sirènes, allument les projecteurs et mettent en action les canons à eau. Nous suivons scrupuleusement les consignes : nous gardons les mains sur la tête dès qu’ils approchent, puis nous les baissons dès qu’ils s’éloignent.
Bien que la flottille soit groupée, nous sommes trop dispersés pour observer ce que les Israéliens font réellement. Quand prennent-ils contact ? Utilisent-ils des zodiacs pour arraisonner ? Comment montent-ils à bord ? Je n’ai que les images de la Madleen en tête.
Enfin, la stabilité des communications reste très variable : dès que les bateaux approchent, le réseau est systématiquement brouillé. Je n’ai pas pu t’appeler avant, là ça été possible.
3h15 du matin (2ème coup de fil)
On est suivi depuis cinq à dix minutes par une vedette. Nous avons leur projecteur en pleine tronche. Ils nous ont donné l’ordre de stopper notre moteur - pilote automatique, mais nous n’avons pas obtempéré.
Mains sur la tête... personne n’a bougé... Résistance non-violente parfaite. Si tous les arraisonnements mettent une heure comme pour nous, ils ne sont pas prêts d’y arriver et nous serons à Gaza avant.
© Global Sumud Tracker :













































































