Culture: Baya Hachi, la diplomate des âmes et des mémoires
Le Jour d’Algérie, 27 octobre 2025
Il est des femmes dont la parole éclaire les blessures du temps, et dont la plume fait jaillir la lumière des silences. Baya Hachi appartient à cette race rare d’écrivaines qui écrivent autant avec le cœur qu’avec la mémoire.
Par Hafit Zaouche
Née à Ath Jennad, dans les montagnes d’Azazga, elle a parcouru les couloirs du monde – de l’École Nationale d’Administration d’Alger aux institutions des Nations unies – avant de revenir, à travers l’écriture, à la terre qui l’a façonnée.
Diplomate de carrière, experte internationale en droits humains, Baya Hachi a longtemps plaidé pour les victimes des guerres et les oubliés de la planète. Aujourd’hui, à la retraite entre Alger et Vienne, elle continue à servir la vérité autrement : par la littérature. Après La marche de la perdrix, Le monde magique de Setsi, elle signe un roman bouleversant, Les gardiennes du feu, publié aux éditions La Pensée à Tizi Ouzou.
Ce roman de 300 pages, dense et vibrant, plonge dans les drames personnels vécus durant la guerre de Libération nationale. Sans héros, sans gloire tapageuse, «Les gardiennes du feu» donne la parole aux êtres ordinaires happés par l’Histoire.
Au centre du récit, une jeune fille, Baya, dialogue avec sa sœur des années après les événements. En quête de sens, elle revisite son enfance volée par la guerre. Ses souvenirs se mêlent à la poésie, aux contes, à la douleur du deuil et à la découverte brutale du monde.
Par ce regard d’enfant devenu adulte, Baya Hachi offre un miroir sensible à toute une génération : celle qui a grandi dans la peur et l’attente, entre les rafales et les coquelicots. L’écriture, fluide et nourrie de culture populaire, relie les champs de bataille aux veillées du village, la tragédie collective à l’intimité des femmes qui veillaient, priaient, cachaient, espéraient.
Le titre du roman résonne comme un chant. «Les gardiennes du feu», c’est d’abord un hommage à ces femmes anonymes, les thi3ssassine, guetteuses de l’aube, gardiennes des lieux et du souffle.
Elles n’étaient pas sur les affiches de la Révolution, mais sans elles, rien n’aurait été possible. C’est à ces femmes de l’ombre que Baya Hachi dédie son livre. Leur feu, c’est celui de Novembre, celui du courage, de la tendresse et de la fidélité silencieuse.
Dans les pages du roman, ces femmes se dressent, fières et fatiguées, entre les berceuses et les bombes, entre les tâches quotidiennes et les gestes de résistance. Leur héroïsme est fait de patience, de dignité et de feu intérieur – un feu transmis de génération en génération.
Diplomate rigoureuse, Baya Hachi reste ici une enquêtrice de la mémoire. Elle revisite les villages, recueille les témoignages, fait parler les femmes. Ses recherches sur les populations enfumées, les déportations en Nouvelle-Calédonie, les têtes décapitées de martyrs envoyées en métropole, rappellent son exigence de vérité et son refus de l’oubli. Dans ses lignes affleurent la colère et la lucidité : la colonisation n’a pas seulement spolié la terre, elle a mutilé les âmes. L’auteure interroge aussi la persistance des discours paternalistes et les falsifications de l’Histoire. En dénonçant ces «lois d’amnistie doublées d’amnésie», elle rappelle que la mémoire n’est pas vengeance, mais condition de dignité.
Formée à l’école coloniale mais nourrie par la sagesse du milieu, la jeune héroïne du roman incarne l’Algérie en construction : déchirée, hybride, avide de se réconcilier avec elle-même., Baya, l’écrivaine, s’en empare pour ouvrir un dialogue plus vaste : celui de l’humanité avec sa conscience. Car au-delà du contexte historique, «Les gardiennes du feu» parle de courage, de trahison, de deuil et d’espérance – ces thèmes universels qui traversent les guerres et les siècles. Sur la couverture du livre, une photo offerte par le photographe Nacer Ouadahi : des coquelicots éclatants dans un champ de blé. Symbole de renaissance et de sang versé, ils rappellent que la vie reprend toujours ses droits.
«Les morts nous parlent si l’on sait les écouter», dit Baya Hachi. Et c’est peut-être cela, le véritable message de son œuvre : apprendre à écouter le murmure des absents, pour mieux transmettre la flamme aux vivants.
Aujourd’hui, entre Vienne et Alger, elle continue d’écrire, d’espérer, de témoigner. Son feu ne s’éteint pas. Il brûle pour la mémoire des femmes, pour la vérité historique, et pour cette Algérie qu’elle aime avec la tendresse exigeante de celles qui savent ce que coûte la liberté.
Les gardiennes du feu, enfin, est bien plus qu’un roman : c’est une offrande. Une flamme déposée entre les mains de la nouvelle génération, pour qu’elle sache d’où elle vient, et qu’elle garde, à son tour, le feu vivant.
H. Z.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire