Vous trouverez aussi dans ce post 329 des articles ultérieurs à la date d'aujourd'hui (mardi 12 juin). J'ai fait ce choix d' ajouter ici-même des articles datés 15 juin par exemple ou plus, pour éviter une prolifération de posts sur cette même "affaire de Sansal en Israël". A.Hanifi.
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Lettre ouverte à Boualem Sansal
11 Juin 2012 Par SNP
Sur son blog de Mediapart, l'écrivain Salah Guemriche interpelle son confrère Boualem Sansal après ses déclarations autour de son récent séjour en Israël. «Il y a encore quelques semaines, je ne pensais pas qu’un jour j’aurai à t’écrire (je te tutoie comme le veut notre langue maternelle, laquelle, tu le sais, n’use pas de la deuxième personne du pluriel pour s’adresser à son semblable). Il aura donc fallu cette vidéo-interview de Médiapart pour me faire sortir de ma réserve.»
San Saül sur le Chemin de Tel-Aviv
Par Salah Guemriche*
Dans les nombreux entretiens qu’il accorde à la presse européenne depuis son séjour à Tel-Aviv (13-17 mai 2012), Boualem Sansal pratique un révisionnisme d’un nouveau genre, un négationnisme rétroactif à double détente : d’une part, au détriment de l’Algérie, dont il réduit la guerre d’indépendance au « terrorisme et à la diplomatie » ; d’autre part, au bénéfice d’Israël : à ses yeux d’« invité de marque », il n’y a pas lieu de parler de colonisation sur la terre… promise. Forcément.
Il y a encore quelques semaines, je ne pensais pas qu’un jour j’aurai à t’écrire (je te tutoie comme le veut notre langue maternelle, laquelle, tu le sais, n’use pas de la deuxième personne du pluriel pour s’adresser à son semblable). Il aura donc fallu cette vidéo-interview de Médiapart pour me faire sortir de ma réserve.
Jaloux de ma propre liberté, j’ai toujours veillé à ne jamais contester celle des autres, a fortiori quand il s’agit de romanciers, autrement dit de créateurs d’univers, inventeurs de parcours de vies. Donc, ici, je n’évoquerai pas tes romans, même lorsqu’ils drainent, sous couvert de mise en situation ou à la faveur d’une réplique, des relents de révisionnisme avec un soupçon (c’est l’accusation à la mode) d’essentialisme. Je ne parlerai pas de tes romans, parce que, dans la fiction, se jouent la liberté et l'accomplissement de l'auteur, sa respiration et sa tessiture ; et que, tout comme les songes dans la Tempête, la fiction a son étoffe, une substance non plus « vaine » (Shakespeare), mais vitale pour l’auteur (je ne dis pas : pour l’écrivain).
L’étoffe de la fiction
Chez le tisseur d’histoires qu’est le romancier, la tonalité et la trame de son étoffe distinguent le bon lissier du mauvais lissier. Romancier, Sansal, tu t’es imposé dans la première catégorie ; en te faisant historien, sans en avoir ni le savoir ni la rigueur, et politologue, sans en avoir la finesse d’analyse, tu as rejoint la seconde catégorie. Et de la manière la plus déplorable, celle qui fait de toi aujourd’hui un négationniste d’occasion : ainsi, tu viens de découvrir des vertus au négationnisme, celui que tu pratiques en faveur d’Israël, au service d’un certain Israël, d’un Israël qui ne veut décidément pas de la paix, parce que tous les gouvernements (travaillistes, de droite et d’extrême droite confondus) ont appliqué et appliquent depuis plus de 60 ans le principe de la guerre dor va dor, de génération en génération, contre l’ennemi intemporel : Amalek. Essentialisme ? C’est la mode, te disais-je... Mais, en un peu plus de 60 ans, le sais-tu, Israël a fait fi de 60 résolutions de l’ONU, décrétées nulles et non avenues, alors qu’une seule résolution non respectée dans d’autres parties du monde est aussitôt et sévèrement sanctionnée, au risque d’ajouter d’effroyables souffrances aux populations civiles !... Est-ce aussi cette spécificité dévolue à Israël, ce traitement préférentiel, cette élection « à part des Nations » que tu défends, Sansal, en niant le fait colonial israélien ? 60 ans, 60 résolutions : autant de pieds de nez au « machin » (l’ONU), et en toute impunité ! Cas unique dans toute l’histoire de l’humanité ! Et toi, naïvement ou machiavéliquement, je ne sais, tu t’es laissé fourvoyer : ainsi, à tes yeux d’« invité de marque » sur la « terre promise », il n’y a pas lieu de parler de colonisation en Palestine ! Les Palestiniens seraient-ils le seul peuple sur terre à être fait de l'étoffe de la fiction, Sansal ?
A la fiction, on oppose traditionnellement la réalité. Jean-Luc Godard, avec sa vision de prophète de l’image, y associe, lui, le documentaire. Si le Palestinien était la « fiction » de l’histoire, Israël en serait-il pour autant le « documentaire » ? Jean-Luc Godard : « Dans Notre Musique, j’ai hésité entre « Les Israéliens retrouvent le documentaire » et « les Israéliens retrouvent la fiction ». Il m’a semblé que, d’après l’histoire du sionisme, la seconde phrase était la plus juste : ils sont enfin sur la terre de leur fiction. Et cela correspond aussi à une phrase qu’Elias (Sanbar) m’avait dite et que j’ai mise dans le film : « Quand un Israélien rêve la nuit, il ne rêve pas d’Israël mais de la Palestine. Tandis que, quand un Palestinien rêve la nuit, il rêve de la Palestine, et absolument pas d’Israël. » (Politis, 16-01-2005).
On pourrait ajouter, à la thèse du cinéaste-philosophe, que la fiction et le documentaire se rejoignent désormais, grâce à la télévision, avec la catégorie « docu-fiction » : et, justement, c’est cette vision que tu nous as ramenée d’Israël, cher Sansal !... Une vision qui demande réparation. La réparation, pourtant, est dans le plan de Yahvé, à en croire la Kabbale qui exhorte les enfants d’Israël à réaliser le Tikkoun olam, autrement dit la « Réparation du monde » ! Le fait est qu’Israël s’est contenté de réparer son seul monde, Sansal, celui d’une fiction devenue par effraction une réalité.
De l’exécutant à l’exécuteur
Ainsi, ce qui, même pour des Israéliens, est une évidence historique, devient chez l’Algérien que tu es une pure invention. Shlomo Sand a démontré Comment le peuple juif fut inventé, et toi, tu t’apprêtes à écrire, si j’ai bien compris ton plan de carrière décliné à chaque interview, un roman démontrant Comment le peuple palestinien fut inventé. Manque de pot, c’est déjà fait : un Américain, David Horowitz, et un Français, Guy Millière, t’auront doublé. Ce dernier a une expression fétiche, « l’imposture palestinienne », qui n’est rien de moins que le corollaire de ta négation du fait colonial israélien.
Je m’étais promis de ne pas évoquer tes romans. Juste un point, alors, sur Le Village de l’Allemand et l’assimilation que tu y fais de l'islamisme au nazisme : sans être allé aussi loin, j’ai commis moi-même ce genre de raccourci, aussi forcé que racolant, dans un roman noir, L’homme de la première phrase (Rivages / Noir, 2000), mon héros se retrouvant victime d’une collusion criminelle entre deux groupuscules terroristes (l’un islamiste, l’autre d’extrême-droite)… C’est dire qu’il est des romans à thèses qui engagent leurs auteurs, n'est-ce pas ? Chez toi, une thèse récurrente se dégage pour dire au monde que la guerre d’indépendance, accomplie par ton propre peuple, ne fut pas une guerre faite de résistants et par des résistants, héros malgré eux, mais, dis-tu dans la vidéo-interview, juste un combat mené à coups de « terrorisme et de diplomatie », sans plus ! Ainsi, c’est tout ce que tu retiens des huit années de guerre et de sacrifices, ce par quoi les Algériens ont arraché leur indépendance : le maquis, la Ligne Morice, les accrochages, les bombardements, le napalm, les « crevettes de Bigeard », la torture et les camps de « regroupement », sans doute ne sont-ce, à tes yeux, que des vues de l'esprit ?
A Paris, à Tel-Aviv, à Berlin et déjà outre-Atlantique, on te présente désormais comme l’insoumis, le subversif, la conscience historique de tout un peuple qui, lui, ne te mériterait pas. Cela dit, où étais-tu, Sansal, avant 2003, année où tu fus relevé de tes fonctions de haut fonctionnaire, et sans parler d'avant octobre 1988 ? Où étais-tu, et que n'avais-tu réagi au lynchage médiatique dont furent victimes d'autres Algériens qui, longtemps, très longtemps avant toi, quinze, vingt ans avant toi, avaient osé fouler le sol d'Israël ?
Tout acte de vigilance citoyenne et toute critique d’un système passé maître en manipulation relèvent du devoir de tout intellectuel digne de ce nom. Ce devoir-là, bon an mal an et quoique sur le tard, tu l’auras rempli, à tes heures. Mais passer sans états d’âme de la dénonciation de l’arbitraire et de la corruption au dénigrement généralisé (j’allais dire : essentialiste) de tout un peuple, au reniement de l’histoire et des souffrances de tout un peuple, voilà qui, de la part de tes compatriotes, te vaut une condamnation sans nuance, et conjointement, hors de ton pays, les louanges des théoriciens d’une indépendance « imméritée ». Et si je t’écris cette lettre, ce n’est pas pour ajouter à ladite condamnation : je sais très bien que parmi ceux qui, en l’occurrence, crient au loup, il en est qui furent tes collègues aux différents ministères, et qui, eux, contrairement à toi, continuent de servir le système et d’en profiter. Non, si je t’écris aujourd’hui, c’est d’abord pour t’exhorter à l’écoute. A l’écoute de toi-même, de tes propres affirmations débitées dans une confusion intellectuelle déconcertante sur cette vidéo-interview, propos qui, je le crains, entacheront longtemps ta biographie. Des critiques du pouvoir, désolé d’avoir à le rappeler, ici, j’en ai commis dans mes livres comme dans d’innombrables tribunes (en France mais aussi en Algérie), des articles pour lesquels certains de nos pairs, acquis au régime qui les nourrit et les comble de privilèges, continuent de me montrer du doigt, et en catimini, car ces gens-là ne sont forts que dans la conjuration et la médisance, jamais dans la production et la création. Mais je me suis toujours gardé de mettre dans le même sac le maquisard et le « marsien », l’homme de la rue et l’homme du sérail, les enfants des généraux et les enfants de la piétaille, comme je m’efforce, laborieusement, certes, de ne pas mettre dans le même sac l’exécutant que tu fus et l’exécuteur que tu cherches à devenir, comme pour te venger de je ne sais quel dépit amoureux avec ton pays…
Un effet pervers du Printemps arabe ?
« En Algérie, reconnais-tu à juste titre, il n'y a aucune autonomie possible : chacun dépend du régime qui lui donne du travail, le loge, le soigne, après l'avoir formé. Le moindre écart de conduite et de langage vous conduisait à une voie de garage ; la moindre critique vous faisait disparaître de la circulation ». En effet. Tout comme des milliers de hauts fonctionnaires, d'universitaires et d'intellectuels algériens, tu as "dépendu du régime". Oui. Sauf que moi, je m’entête à mettre ces lignes au passé. Car force est de reconnaître qu'aujourd'hui on peut (presque) tout dire, grâce à Octobre 88 et à la fin du Parti unique, obtenue par la jeunesse et non par nous autres, intellos sans poids ni proximité avec les « masses laborieuses », comme on disait dans l’Algérie « soviétisante » des années 1970… Dire, tout dire, avec des risques, certes, mais ce sont, aujourd'hui, des risques calculés, Sansal, quand ils ne sont pas… recherchés. Du temps de Tahar Djaout, les risques étaient réels, et pouvaient venir de toutes parts. Mais aujourd'hui ? Aujourd'hui, de surcroît, il y a l'opinion publique, elle aussi libérée, et les ONG engagées dans la défense des droits de l'homme qui veillent. Et heureusement, car il faut absolument laisser libre cours à la parole du citoyen Sansal, et même s’il arrive un peu tard, alors qu’on avait eu tant besoin de lui dans les années 1990, qu’il soit le bienvenu, le nouveau chantre de la subversion ! Ne boudons donc pas notre plaisir : rien n’est de trop pour la sauvegarde de nos libertés. Sauf que…
Posée autrement, la question continue de me tarauder l’esprit : qu'est-ce qui fait que certains de nos intellectuels se soient libérés de leur silence antérieur ? La même question, je l'avais déjà évoquée dans un recueil de jeunesse, Alphabétiser le silence, paru en 1986, et l’ai reposée dans un autre contexte, en1993, dans une tribune publiée par le Monde (Le silence des intellectuels algériens d'en France, 25-11-93). Oui, comment expliquer, comment comprendre ce réveil, comment le dater ? Est-ce de l'insurrection d'octobre 88, qu'un ponte du parti unique avait qualifiée sur France Inter de "chahut de gamins" : 500 morts, un chahut à l'Algérienne, en somme ? Ou de la fin (?) du terrorisme islamiste (2000) ? Ou est-ce l’effet inespéré du Printemps arabe, cette magistrale leçon que nous aurons infligée, mine de rien, nos voisins tunisiens que nous autres, orgueilleux Algériens si imbus de notre sacrée Guerre de libération, avons si longtemps sous-estimés et même qualifiés de peuple docile et pusillanime... Oui, depuis quand la parole de nos intellectuels s'est-elle libérée ?
Pour revenir au conflit israélo-palestinien, « on ne peut pas, affirmes-tu, l’appeler guerre coloniale ou de décolonisation » ! Et tu as découvert cela en cinq jours (une illumination, et une marche à rebours, comme un Paul, ci-devant Saül, surpris sur le Chemin de Tel-Aviv ?), cinq jours passés en Israël, mais pas en Territoires occupés, pas à Gaza, ni à Ramallah ! Ah, mais c’est qu’il y a le Mur ! Circulez, y a rien à voir ! Et, bien élevé que tu es, trop bien élevé même pour un « insoumis », tu n’as pas cherché à voir… au-delà du Mur.
L’Algérien, même s’il n’a pas péché, reste un Algérien !
Au rythme où, dans tes interviews, tu nous livres tes illuminations sur le Chemin de Tel-Aviv, je ne doute pas que ta grandeur d’âme t’amènera bientôt à cautionner l’effarante impunité de l’Etat d’Israël, et même à faire tienne cette formule talmudique : « Israël, même s’il a péché, reste Israël ! »… C’est, de toute évidence – et il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un œil dans cette presse qui t’est acquise depuis ta conversion à l’« israélisme » (Edgar Morin), c’est ce qu’on attend de toi en Israël, en France et ailleurs. Non, je ne doute pas de ta grandeur d’âme, que, par ailleurs, tu refuses à ton propre pays, soudain coupable à tes yeux de tous les crimes et lesté de toutes les tares, parmi lesquelles cette collusion romanesque avec le nazisme. Je ne doute pas, non, de cette grandeur d’âme qui te distingue aujourd’hui comme par enchantement mais que tu refuses à ton compatriote, auquel tu serais prêt à appliquer, en l’adaptant, la sentence talmudique : « L’Algérien, même s’il n’a pas péché, reste un Algérien ! ».
En France comme en Israël, le sais-tu, une expression fait florès depuis quelques décennies, celle de la « haine de soi », appliquée notamment à ceux que l’on désigne sous l’étiquette de « Juifs honteux ». « Honteux », parce qu’ils ne prennent pas, contrairement à la majorité de leurs coreligionnaires, la Bible pour un acte de propriété... C'est ainsi, rien de nouveau chez les damnés de la terre. Il faudrait, en effet, un Franz Fanon pour analyser et démonter savamment ces pulsions à double détente de « haine de soi »… Mais, point d’ordre, je ne pense pas que tu l’aies, cette « haine de soi », non : ton travail d’écriture sera toujours là pour faire porter cette haine sur tel ou tel de tes personnages, et, miracle de la création littéraire, c’est bien de ce transfert qu’il tire son salut, l’auteur…
Donc, le Palestinien et la réalité palestinienne, tu ne les as pas rencontrés. Nooormal (comme on dit à Alger), quand on est un invité d'honneur et un touriste aussi précieux, on est très vite pris en charge et conduit avec un bandeau mental devant les yeux. C’est nooormal, là aussi : à Alger, la méthode est rôdée, et un certain BHL en sait quelque chose, lui qui, ordonné reporter de guerre en pleine décennie noire, se laissa embrigader par des officiels chargés de lui dicter les éléments de langage de son reportage…
« Le Courage de refuser »
Mais voici, pour combler ton manque d’information, cher Sansal, voici quelques déclarations d’éminents citoyens israéliens, qui sont ou étaient bien placés pour juger leur Etat et leurs gouvernements successifs (pour les références, je te renvoie à ma tribune Boycotter Israël ou l’écouter ?, dans laquelle je dis mon opposition au boycott : le Monde du 13-3-2008, le jour même de l’ouverture du Salon du livre de Paris, pays invité d’honneur : Israël) :
1. Les gouvernants israéliens ? « Une clique sans morale de hors-la-loi corrompus, sourds à la fois à leurs concitoyens et à leurs ennemis » (Yechayahou Leibovitz).
2. « Le prix de l'occupation est la corruption de la société israélienne tout entière » (…) Nous qui comprenons maintenant que le prix de l’occupation est la perte du caractère humain de l’armée de défense d’Israël et la corruption de la société israélienne tout entière (…), nous ne continuerons pas à nous battre au-delà des frontières de 1967 pour dominer, expulser, affamer et humilier un peuple entier… » (Le courage de refuser, mouvement de réservistes israéliens) ;
3. « Une célébration d'Israël (au fameux salon du livre de Paris), sans la moindre considération pour le calvaire de près de quatre millions de Palestiniens, qui vivent dans une situation similaire à celle des Noirs (du temps) de l'apartheid (…) Je ne pense pas qu'un Etat qui maintient une occupation, commettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d'être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. » (Aharon Shabtaï).
Sansal, tu n’as rien vu de tout ça, en Israël, rien vu de ce « calvaire de près de quatre millions de Palestiniens, qui vivent dans une situation similaire à celle des Noirs (du temps) de l'apartheid.. », parce que tu ne pouvais pas voir ce que moi, j’avais vu voilà quinze ans… Car moi aussi, j’ai foulé le sol d’Israël. De Jérusalem, mais aussi de Gaza et de Ramallah. En 1997. J’y étais pour la « Conférence internationale de la Paix », à Herzlia, invité sur l’initiative du regretté Shlomo Elbaz, universitaire de son état. De mon séjour (que j’évoque dans un essai inédit, Israël et son prochain, qui attend toujours son éditeur), j’étais revenu avec cette conviction : que la solution ne pourra jamais venir de l’ONU, encore moins des pays arabes, mais de l’intérieur même d’Israël, de l’intérieur même des Territoires occupés, de Gaza aussi, par et avec des combattants palestiniens, par et avec des négociateurs palestiniens, par et avec des Israéliens gagnés à l’exigence de deux Etats souverains, dans les frontières d’avant 1967. Non, tu n’as rien vu de tout ça. D’où ton ignorance (et le déni, qui s’ensuivit, de la réalité palestinienne), qui t’aura ainsi amené à trouver une légitimité biblique au fait colonial israélien. Un pas que tu as franchi allègrement ; un pas sur cette terre où couleraient « le lait et le miel » ; un pas qui, à lui seul, a dû faire se retourner dans sa tombe Mahmoud Darwich ; un pas dans cet Etat de droit divin avec effet rétroactif (as-tu entendu parler, lors de ton séjour à Tel-Aviv, de cette loi dite « de retour » qui stipule que « Tout juif, considéré symboliquement comme exilé depuis des millénaires, a le droit d’immigrer en Israël », alors qu’au Palestinien exilé depuis « seulement » quelques décennies, on interdit de retrouver sa terre natale ?) ; un pas sur cette terre, « la seule démocratie de la région », une démocratie qui se prévaut d’une vitrine constitutionnelle fondée sur la Bible… Me revient à la mémoire la formule de ce député arabe israélien (eh oui, un Arabe à la Knesset, certes !) : « Israël est un Etat juif et démocratique, c'est vrai : il est démocratique pour les Juifs et juif pour les Arabes ! »...
« La Bible n’est pas un acte de propriété ! »
D’autres Algériens, et je parle d’écrivains et d’universitaires, pas de politiques (c’est une autre histoire), s’étaient rendus en Israël, cinq ans avant moi et vingt ans avant toi. Je passe sur la levée de boucliers, en Algérie, mais aussi parmi la communauté algérienne de France… A l’époque, tu étais haut fonctionnaire, me dit-on. Je ne t’avais pas entendu, ni lu, en quoi et dans quoi que ce soit pour prendre la défense des « renégats », auxquels tu te plains aujourd’hui d’être assimilé. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, certes. Et je te le dis, sans ironie : si tu as le pouvoir et le talent de travailler à la décolonisation de l’Histoire, comme tu exhortes les Algériens à le faire, pourquoi ne te mets-tu pas aussi à décoloniser l’Histoire d’Israël ? Au lieu de cautionner le fantasme d’un Eretz Israël, ce qui revient à cautionner le fameux précepte sioniste : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » ! Car nier le fait colonial israélien revient à reconnaître à Israël le fameux droit divin, celui d’une Promesse qui ne vaut que pour celui qui l’a édictée. Miracle en terre sainte, ou réincarnation de Biléam, ce malheureux prophète qui désespérait à mort de voir ses malédictions contre Israël se transformer dans sa propre bouche en bénédictions : il aura suffi de cinq jours en Israël pour te faire épouser la thèse de Ben Gourion, là où on aurait aimé que tu fasses tienne celle de Rabin : le premier répondait avant l’heure (1937) qu’en matière de droits du peuple juif, seule « La Bible est notre mandat ! » ; le second rétorquera à des colons en furie, au lendemain des Accords d’Oslo (1993) : « La Bible n’est pas un cadastre ; ni une carte de géographie ! ». On sait le prix qu'Yitzhak Rabin a payé pour avoir osé enfreindre le tabou des tabous. La Bible n’est pas « un titre de propriété", non plus, Sansal ! Et ce sont des Juifs (laïcs, certes) qui te le disent !
Ah ! Que n’as-tu, avant de te convertir à ce révisionnisme de bon aloi, pris la peine et le temps de lire les classiques, historiens et autres philosophes juifs ! Si tu avais lu ou écouté ne fût-ce qu’Alain Finkielkraut (oui, Finkielkraut !), tu aurais sans doute saisi la complexité du « conflit ». Car l’ancien « nouveau philosophe » avait, en 1991, répondu à la question que tu aurais dû te poser (mais combien connaissent ses propos ?), et répondu ceci, dans la très sérieuse Revue d’études palestiniennes : « Israël a tendance à jouer sur les deux tableaux et se vit à la fois comme un Etat dans le monde et comme une communauté hors du monde, en butte à l’immémoriale hostilité d’un seul et même ennemi. Dans ce cadre, Arafat, c’est Hitler, Arafat, c’est Amalek. Qu’Arafat fasse un geste, qu’il change de politique, et on vous dit que ce n’est qu’hypocrisie ; qu’il reconnaisse Israël et l’on vous dit, après avoir fait de cette reconnaissance une condition sine qua non de toute négociation, qu’il ne s’est rien passé » (Revue d’études palestiniennes, N°38, 1991, pp. 20-21).
Ce que Finkielkraut disait du temps d’Arafat reste, hélas, valable de nos jours, mon cher Sansal. Et si ces propos, restés confidentiels, ne te convainquent pas, en voici d’autres qui t’auraient appris, si tu avais pris la peine de chercher plus loin encore, que la divine Promesse n’engage que celui qui a intérêt à y croire, comme le disait le célèbre Spinoza : « J’ai compris que les lois révélées par Dieu à Moïse n’étaient autre chose que le droit propre à l’Etat des Hébreux, et que par suite nul en dehors d’eux n’était obligé de les admettre ! »… Et toi, Boualem de Théniet-el-Had, qui te sens obligé d’admettre l’inadmissible (« il n’y a pas de fait colonial israélien »), tu connaîtrais mieux l’histoire d’Israël, de l’Israël biblique, mieux que Baruch Spinoza, le « Prince des philosophes » ?
Salah Guemriche
P.S.
Une information scandaleuse vient de tomber. Après avoir remis à Boualem Sansal le prix du Roman arabe, le jury (voir ci-dessous) a été convoqué pour une nouvelle réunion, sans doute pour revenir sur son choix ! Je dénonce ce revirement honteux, comme je dénonce, dans ma « Lettre ouverte », les propos du même écrivain niant le fait colonial israélien. Voir plus bas…
* Ecrivain, journaliste indépendant. Derniers ouvrage : Alger la Blanche, biographies d’une ville (Perrin, 2012) ; Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Points / Seuil, 2012).
In : http://blogs.mediapart.fr
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Algérie - Le voyage en Israël de l'écrivain Boualem Sansal lui fait perdre un prix
L'écrivain et directeur de la radio France Culture Olivier Poivre d’Arvor est en colère. Il s’exprime le 11 juin dans les pages tribune du journal français Libération pour afficher publiquement sa démission du jury du Prix du roman arabe.
Les raisons?
La «désinvitation» du lauréat 2012, l’écrivain algérien Boualem Sansal, à la cérémonie de remise des prix qui devait être organisée à Paris le 6 juin mais qui a été reportée au 12 juin.
Le prix du roman arabe est attribué chaque année et depuis sa création en 2008 à un écrivain d’origine arabe et traduit en français et dont l’œuvre littéraire a été appréciée par un jury de quinze personnes sous la présidence de l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse.
C’est le conseil des ambassadeurs arabes en France avec le soutien de l’Institut du Monde Arabe qui est à l’origine de cette récompense littéraire.
Et c’est probablement le même conseil qui a décidé de reporter la cérémonie et éventuellement de ne pas attribuer le prix à l’écrivain algérien pour son roman Rue Darwin.
Pour comprendre toute l’histoire, il faut revenir un mois en arrière.
Boualem Sansal, dont le talent est reconnu mondialement pour son livre Le serment des barbares ou encore Le village allemand, a été invité en Israël pour participer comme invité d’honneur au Festival international des écrivains à Jérusalem du 13 au 17 mai.
Il a bien entendu accepté l'invitation mais sa venue dans l’Etat hébreu a déclenché une levée de bouclier d’abord en Palestine. Dans une interview accordée au site d’information DNA Algérie, l’écrivain raconte:
«Des gens du Hamas rédigent alors un communiqué virulent dans lequel ils me condamnent et assimilent ma future présence à un acte de trahison contre les Palestiniens. Ils demandent alors aux pays arabes de boycotter Boualem Sansal».
S’en suit une polémique qui fait rage sur Internet et ailleurs: l’écrivain l'explique notamment par le fait que se rendre en Israël est considéré comme un tabou en Algérie.
«J’ai comme l’impression que sur la question palestinienne, sur les rapports avec Israël, certains Algériens veulent être plus Palestiniens que les Palestiniens. Les Palestiniens peuvent s’asseoir avec les Israéliens autour de la table de négociations, des gouvernements arabes peuvent avoir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël, commercer avec sans que cela ne choque. Mais dès qu’un Algérien se rend dans ce pays, on sort les couteaux».
Il va même jusqu’à se justifier dans une tribune parue sur le site d’information Huffington Post intitulée «Je suis allée à Jérusalem et j’en suis revenu riche et heureux ».
En tout cas, l’affaire semble avoir refroidi le conseil des ambassadeurs arabes, mécène du Prix du roman arabe.
Agé de 86 ans (AH !!), l’écrivain a tout de même dit redouter son retour en Algérie après le tonnerre de critiques mais se définit comme «libre» malgré tout et semble garder son indépendance d’esprit.
Il n'en est pas à son coup d'essai en matière de polémique. Sa participation en 2008 au Salon du Livre de Paris qui avait pour invités d'honneur les écrivains israëliens avait fait couler de l'encre.
Quant à Olivier Poivre d’Arvor, il invite les autres membres du jury à démissionner avec lui et à se réunir pour créer un nouveau prix pour récompenser l'auteur algérien.
11/06/2012
In : http://www.slateafrique.com
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Pourquoi je démissionne du Prix du roman arabe
10 juin 2012
Par OLIVIER POIVRE D'AVROR Ecrivain, diplomate, directeur de France Culture
Depuis sa création en 2008 par le conseil des ambassadeurs arabes en France, je suis membre du Prix du roman arabe dont le but est de «récompenser un ouvrage de haute valeur littéraire décerné à un écrivain d’origine arabe dont le roman a été écrit ou traduit en français». Ce prix a récompensé les œuvres d’Elias Khoury, Gamal Ghitany, Rachid Boudjedra et Hanan el-Cheikh. Pour 2012, notre jury réunissait, sous la présidence d’Hélène Carrère d’Encausse, Hélé Béji, Tahar Ben Jelloun, Pierre Brunel, Paule Constant, Paula Jacques, Christine Jordis, Vénus Khoury-Ghata, Alexandre Najjar, Danièle Sallenave, Elias Sanbar, Josyane Savigneau, Robert Solé et moi-même : nous avons attribué le prix à Boualem Sansal pour Rue Darwin, un texte magnifique paru chez Gallimard.
D’Algérie où il vit, le lauréat en a été averti et invité officiellement à la remise du prix le 6 juin à l’Institut du monde arabe par sa directrice générale et l’ambassadeur de Jordanie en France, doyen du conseil des ambassadeurs arabes. Mais, il y a quelques jours, les membres du jury recevaient un étrange message déprogrammant cette cérémonie en «raison des événements actuels dans le monde arabe» et nous proposant le 12 juin une nouvelle réunion en présence de l’ambassadrice de Jordanie et de l’ambassadeur de la Ligue des Etats arabes à Paris. Par un simple mail, Boualem Sansal se trouvait «désinvité».
Tout cela cache une vérité sordide. Entre l’attribution et la remise de notre prix, Boualem Sansal s’est rendu en Israël à l’invitation du Festival international des écrivains de Jérusalem. Le Hamas a aussitôt rédigé de Gaza un communiqué assimilant sa présence à un acte de trahison contre les Palestiniens. D’où la réaction du conseil des ambassadeurs arabes, mécène de ce prix. Boualem Sansal est un écrivain de grand talent, salué en 2011 par le Prix de la paix des libraires allemands. Limogé de la fonction publique algérienne pour sa critique du pouvoir en place, censuré dans son pays, notamment pourle Village de l’Allemand, régulièrement menacé et insulté, comme lors de son refus du boycott du salon du Livre de Paris en 2008 où les Israéliens étaient invités d’honneur, il a choisi de rester vivre et écrire en Algérie.
Je démissionne donc du Prix du roman arabe qui vient de se singulariser honteusement en revenant sur le vote de ses jurés. J’invite les membres du jury à faire de même et à créer une nouvelle distinction qui honorera l’œuvre de Boualem Sansal, écrivain algérien, homme libre et épris de dialogue.
In :http://www.liberation.fr
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Vous vous êtes récemment rendu en Palestine occupée, pour participer à une rencontre soi-disant culturelle organisée par l’entité coloniale sioniste, dans un élan inspiré par votre vision du « printemps arabe », vision qui rejoint celle de Barak Obama, Hilary Clinton, et tous les chefs d’Etat et leurs ministres occidentaux, dont les mains sont tâchées du sang des peuples arabes. Vous n’ignorez certainement pas que l’Etat sioniste, ses institutions et ses colons, son armée et ses services de renseignements, ses médias et ses associations culturelles ou écologiques, participent à une des plus grandes opérations coloniales et mystificatrices dans le monde, et l’invitation que vous avez eu le « courage » d’honorer fait partie de cet effort colonial de normaliser la présence et la vie de cet Etat.
Vous vous êtes rendu en Palestine occupée (Israël) et avez brillamment manifesté votre solidarité avec les colons, qui poursuivent le nettoyage ethnico-religieux d’une des villes les plus prestigieuses du monde, la ville arabo-musulmane d’al-Qods. Vous ne devez pas ignorer, malgré votre haine de l’islam et des musulmans (que les sites sionistes français n’hésitent pas à encenser) que des centaines de milliers de Maqdisis (les Palestiniens originaires de cette ville) ont été expulsés loin de leur ville natale, et ce depuis 1948. Des quartiers et des villages entiers furent rasés, et les colons fraîchement débarqués ont envahi les quelques maisons palestiniennes encore debout d’où avaient été chassés leurs propriétaires, par la force des armes et sous le regard attendri des soldats britanniques. Vous devez savoir que le lieu que vous avez foulé, la kipa sur votre tête, en signe de collaboration avec les criminels sionistes, fut un quartier arabe, rasé en 1967, juste après son occupation. Des centaines de maisons et de boutiques furent rasés pour installer ce que les criminels des temps modernes appelent l’esplanade du « mur des lamentations », qui est en fait un des murs de la mosquée al-Aqsa (mais cela, vous n’en avez cure, votre haine de l’islam est assez vivace pour vous empêcher de regretter la destruction d’un des hauts lieux de l’islam). Leurs propriétaires et locataires vivent aujourd’hui, en majorité, dans le camp de She’fat, que vous n’avez pas eu le courage de visiter, camp de réfugiés aux portes d’al-Qods, pas très éloigné du tram que vous avez emprunté avec vos amis, et que l’Etat colonial vient d’encercler par un mur en plus des postes militaires, pour empêcher les Palestiniens de se rendre à al-Qods, pour y travailler et étudier. Vous ignorez peut-être ce que la presse sioniste (Haaretz) vient de décompter : un quart de million de Palestiniens ont été expulsés en douce, depuis 1967, par l’entreprise coloniale qui vous a invité.
L’Etat colonial qui vous a invité à de ses colloques, dans une tentative de se « blanchir » et de dessérer l’étau qui commence à l’étouffer, poursuit la guerre contre les Palestiniens qui vivent dans leur patrie, occupée en 48, et que les sionistes ont nommée « Israël ». Vous devez sans doute ignorer le nettoyage ethnico-religieux qui se poursuit dans la région d’al-Naqab, au sud, là où un plan vient d’être adopté pour expulser plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens, soit disant « envahisseurs » de leurs terres ancestrales. Vous devez ignorer que des murs d’apartheid sont construits dans les villes appelées « mixtes » (parce que la majeure partie de leur population palestinienne a été expulsée en 48 et que les colons ont envahies) pour séparer les quartiers juifs des quartiers encore palestiniens. Vous devez ignorer que le plan de judaïsation d’al-Jalil et d’al-Naqab, que vos amis sionistes appellent « plan de développement » est né de la crainte des colons de l’expansion démographique des « Arabes », jugée « menace stratégique » par vos amis.
Vous devez sans doute ignorer que nous sommes onze millions de réfugiés qui attendons l’application de notre droit, celui de retourner dans notre patrie spoliée, occupée, colonisée et transformée en Etat colonial menaçant la paix dans la région et dans le monde. Nous n’abandonnerons jamais notre droit ni notre terre. Que le monde entier se ligue contre nous, et il s’est ligué contre nous en 1948, rien n’y fera : nous exigeons notre retour et notre droit à l’auto-détermination sur notre terre, la Palestine. Ce ne sont ni les massacres commis par vos amis sionistes, depuis l’occupation britannique jusqu’à présent, ni les guerres supersoniques déclenchées avec l’aide des USA et de l’Europe, ni la lâcheté de la communauté internationale, ni la collaboration de tous les écrivains et romanciers comme vous qui nous empêcheront de réclamer notre droit et de lutter pour y parvenir. Ni la sauvagerie de vos amis sionistes, ni leurs récits mystificateurs, ni leur fourberie, ne masqueront la vérité : la Palestine, du fleuve à la mer, est la patrie des Palestiniens.
Vous avez prétendu, dans vos interviews, que l’Algérie n’est pas en guerre contre « Israël », donc, en tant qu’Algérien, vous avez le droit de vous rendre dans cet Etat, invité par ses dirigeants. D’abord, si l’Algérie n’est pas en guerre contre « Israël », le peuple algérien, lui, est en guerre, et depuis qu’il a mené sa lutte de libération contre le colonialisme français. Car depuis cette date, le cœur du peuple algérien bat pour la Palestine. Ses volontaires pour la guerre en 48, ses volontaires dans les rangs de la résistance palestinienne depuis 1968, et ses volontaires dans la bande de Gaza aujourd’hui témoignent de son alignement sans détour aux côtés de ses frères palestiniens. Et c’est pour cela que l’Etat algérien ne peut normaliser ses relations avec l’ennemi, malgré toutes les pressions exercées par la France et ses amis sionistes. Et il en est de même pour le peuple tunisien, et pour le peuple égyptien qui se sont débarrassés des dirigeants amis des criminels sionistes.
Vous avez affirmé, dans vos interviews, rêvé de rencontres entre Palestiniens et « Israéliens », mais vous devez savoir que ces rencontres ont lieu tous les jours et à tous les instants en Palestine : aux barrages qui morcèlent la Cisjordanie, dans les rues d’al-Qods envahies par les hordes des colons, dans les prisons où les Palestiniens et leurs familles venues les visiter sont humiliées, par des fouilles à nu, et où les médecins sionistes secondent les services de renseignements pour arracher des « aveux ». Nous les connaissons, monsieur Sansal, lorsqu’ils montent dans des cars, armés jusqu’aux dents, et qu’ils vident leurs chargeurs sur la tête de nos parents et de nos sœurs, comme cela a eu lieu à Shefa ‘Amr dans al-Jalil, en 2005. Nous les connaissons, monsieur Sansal, ils ont récemment envahi la ville de Akka et leur Etat leur construit des villes-colonies au milieu de nos agglomérations. Vous souhaitez nous voir normaliser avec ces colons assassins ???
Finalement, vous avez choisi de répondre à l’invitation de l’Etat colonial et vous vous êtes rendu en Palestine occupée. Vous avez montré ce « courage » rare qui consiste à affronter la conscience de son propre peuple, même si c’est pour une mauvaise cause. De l’autre bord, un écrivain, un vrai, celui-là, Gunther Grass, a décidé d’affronter les criminels, même si son propre peuple ne s’est pas encore entièrement débarrassé d’un sentiment de culpabilité, sciemment entretenu par vos amis sionistes. De l’autre côté aussi, un autre écrivain, Henning Mankell, a affronté les criminels en se rendant à Gaza, pour briser le blocus meurtrier et inhumain qui frappe un million et demi d’êtres humains. En faisant le parallèle entre votre démarche et celle de ces deux écrivains courageux, je ne peux que vous placer, parce que vous êtes algérien et que vous avez été invité en tant que tel par l’Etat sioniste, dans la catégorie des « peaux noires, masques blancs », si bien décrite par Frantz Fanon.
Finalement, vous prétendez avoir reçu des menaces du Hamas pour le geste déshonorant commis en vous rendant en Palestine occupée, ce qui est faux et archi-faux, mais comme vos amis sionistes, vous aimez vous faire passer pour une victime, pour précisément cacher votre crime. Nous, Palestiniens, victimes de l’entreprise coloniale sioniste, connaissons parfaitement la chanson. Et en voulant collaborer avec les criminels des temps modernes que sont les sionistes, vous ne pouvez pas ne pas assumer votre geste. Le prix de littérature qui vous a été refusé est une réponse à la mesure de votre geste collaborateur. Vous ne pouvez pas manger à tous les râteliers. Vous êtes soit dans un camp, soit dans l’autre. Nous sommes en guerre, monsieur, nos martyrs sont à peine enterrés et nos prisonniers souffrent des traitements inhumains que leur font subir vos amis, tout comme notre terre est encore occupée, et nous, les réfugiés, attendons notre retour.
Avant de finir, transmettez à vos amis que nous retournerons chez nous, par la grâce de Dieu et avec Son aide, dans nos villages et bourgs d’al-Jalil et du reste de la Palestine, dans nos villes de Haïfa, Yafa et Akka et al-Qods, et les autres, et que rien ne pourra nous en empêcher. A ce moment, vous ne serez pas le bienvenu en Palestine libérée.
Fadwa Nassar, Mardi 12 juin 2012
TRIBUNE
Les ambassadeurs arabes retirent le prix du Roman Arabe à Boualem Sansal
Ce nouvel et triste épisode en dit long sur l'état du Monde arabe. Et notamment sur la liberté de pensée des artistes et des intellectuels dont la grande majorité n'élèvera naturellement pas la moindre protestation. La cause ? Boualem Sansal avait décidé de se rendre à l'invitation du dernier Festival international des Ecrivains à Jérusalem, il y a quelques semaines.
D'abord parce qu'il considérait qu'il n'avait pas à obéir à ses gouvernants. Ensuite parce qu'il avait la conviction qu'il faisait ainsi progresser l'idée de Paix dans cette région, beaucoup mieux que ceux qui s'obstinent, au mépris de la réalité, à nier l'existence d'un pays et d'un peuple, jamais nommé autrement dans le monde arabe qu' ''entité sioniste''.
Le témoignage de l'écrivain après son départ - ''j'en suis revenu riche et heureux'' - et plus encore cette ubuesque dérobade des Ambassadeurs arabes, nous persuadent que Boualem Sansal avait mille fois raison d'entreprendre ce voyage.
La seule autorité politique a l'avoir condamné est le Hamas de Gaza. Même l'Autorité palestinienne n'en avait dit mot.
Le Monde arabe devenu islamiste va-t-il se mettre aux ordres du Hamas ?
Le Monde arabe méprisant autant ses citoyens, et ce dès la ''belle''' époque du nationalisme policier, qu'il s'agisse de la politique intérieure ou extérieure, les citoyens arabes, et peut-être européens, pourront ainsi se demander si la Paix au Moyen-Orient ne serait pas au bout ... de la démocratie.
Ce qui avouons-le, après son basculement général dans l'islamisme, idéologie totalitaire et guerrière s'il en est, n'est pas pour demain.
J'appelle mes collègues arabes et algériens à réagir.
Au moins ceux qui ne résident pas dans le monde arabe.
En rappelant que Boualem Sansal, lui, vit en Algérie.
Et je salue Olivier Poivre d'Arvor en espérant que son acte donnera à réfléchir à une intelligentsia européenne qui malgré l'atroce réalité du quotidien arabe, se complait dans un Orient fantasmé.
Jean-Pierre Lledo, cinéaste (dont le dernier film ''Algérie, histoires à ne pas dire'' est toujours interdit en Algérie depuis 2007), mardi 12 Juin 2012
Par Jean-Pierre Lledo
Publié le 12 Juin 2012
Boualem Sansa: « Le printemps arabe est une erreur »
Alors que ses livres et déclarations ont poussé de nombreuses personnes à se révolter et à prendre part au printemps arabe, l'écrivain algérien Boualem Sansa tire un bilan négatif des évènements de l'année passée.
La déception d’un intellectuel
Il y a six mois, lorsque l’écrivain algérien Boualem Sansal avait reçu le prix de la paix du Francfort Book Fair, il était considéré, comme beaucoup d’anciens vainqueurs (Susan Sontag, Orhan Pamuk ou Vaclav Havel), comme une icône culturelle. Un honneur lui a été octroyé en des temps difficiles. Alors qu’il fait partie d’un groupe restreint d’intellectuels, dont les appels pour la liberté ont inspiré les insurrections de l’année passée, il est aussi devenu une des cibles des révoltés.
Très populaire en France et en Allemagne, ses livres sont interdits en Algérie.
« Le printemps arabe a complètement échoué » a déclaré Boualem Sansal dans un entretien accordé à Global Post. « C’est une catastrophe dont seuls les islamistes vont tirer profit ».
En réaction à ses engagements, le gouvernement algérien répond par la répression et menace l’auteur censuré de 20 ans de prison. Celui-ci venait d’accepter une invitation au Festival des écrivains de Jérusalem. Une occasion pour l’écrivain de faire une brève escale à Paris afin d’y retrouver ses éditeurs chez Gallimard et mentionner cette sanction qui pèse sur son avenir. L’auteur leur a expressément demandé de n’intenter aucune action ni pétition, du moins pas avant d’être arrêté (si il l’est).
Un homme attaché à ses convictions
Il n’a pas peur. Il est seulement concerné. « J’y vais » a-t-il annoncé avec détermination à son éditeur. « Nous verrons bien à mon retour. »
La menace qui pèse sur Boualem Sansal est probablement accentuée par son statut, lui, figure de l’élite intellectuelle algérienne. Cet homme de 62 ans, né dans une famille laïque, moderne et francophone, a vécu en Algérie depuis sa naissance et ne possède pas de double nationalité. Ingénieur et économiste, il a longtemps travaillé pour l’industrie pétrolière, et, plus tard, comme un haut fonctionnaire dans le ministère de l’Industrie.
« J’ai de nombreux ennemis » dit-il, en esquissant un sourire. « J’ai toujours détesté la manière dont les gens utilisent l’Islam, comme une arme de guerre. J’ai toujours détesté le discours anti-occidental des islamistes. Ils m’accusent d’être un ennemi de l’islamisation, mais comment pouvez-vous être un ennemi de quelque chose que vous ne reconnaissez pas ? » Son travail, et ce depuis son premier roman, rédigé à 50 ans, s’est toujours axé sur ce rejet profond du fanatisme.
Un livre au parfum de sandale
D’ailleurs, seul son avant-dernier titre a été traduit en anglais. Publié aux États-Unis sous le titre de « The German Mujahid » et en Grande-Bretagne avec « An Unfinished Buisness », c’est un roman spectaculaire, qui compare l’Islam au Nazisme.
L’histoire est basée sur des faits réels survenus lorsque Boualem Sansal était encore ingénieur. Envoyé dans un lointain village algérien pour une mission, il découvre une petite ville parfaitement entretenue : parterres fleuris, routes asphaltées et maisons carrées. Après enquête, il apprend que le maire de la ville est un fugitif nazi.
C’est sur ce scénario, où l’on perçoit l’ingénieur comme un héros face à l’incarnation du mal, que le livre interroge sur la capacité de l’homme à survivre. Cette comparaison a évidemment choqué.
Dans un entretien avec le Jewish Chronicle, Boualem Sansal a d’ailleurs souligné différents parallèles avec les nazis : « Il y a des similitudes énormes. Le concept de la conquête des âmes, mais aussi des territoires. Il y a aussi le concept d’extermination de tous ceux qui ne se soumettent pas à l’idéologie de l’Islam. Je pense qu’il faut analyser le national-socialisme si nous voulons maintenir l’extrémisme religieux en échec ».
« Nous ne sommes pas condamnés à une peine de prison à vie » déclare l’auteur à ses compatriotes et plus largement aux peuples arabes. « Nous pouvons être des hommes libres ». À la fois intensément présent et discret, portant un regard ouvert, il apparaît comme un observateur aux yeux vigilants, méfiants.
Un ennemi de la nation arabe Enfermé dehors
Boualem Sansal, se définit en « exil intérieur » permanet. Lui et son épouse Naziha, professeur de mathématiques, vivent dans une ville universitaire encerclés de murs et de barbelés. Sa femme et ses sœurs « font partie des gens les plus braves que je connaisse » dit-il, « car ils osent quitter le foyer en tenue occidentale régulière, et sans le voile ».
Son premier roman, publié en 2000, lui a fait perde son emploi au ministère et a provoqué le licenciement de sa femme de l’université d’Alger. Il a commencé à avoir du mal à renouveler son passeport. Il a également été la cible d’une campagne de propagande dans laquelle il a été décrit comme un ennemi de la nation arabe, de l’Islam et des traditions, à la solde des États-Unis, d’Israël et de leurs perversions. Ses deux filles, issues d’un premier mariage, vivent à Prague en République Tchèque. Il définit l’islam radical comme le « vrai problème de tous les pays arabes ». « Pendant environ une dizaine d’années après l’indépendance, les choses étaient normales en Algérie » explique-t-il. « Puis ils ont débuté un processus de nationalisme, d’islamisation, d’arabisation et ont progressivement abandonné le développement et la laïcité. C’est là que tous les problèmes ont commencé. »
Prôner la laïcité
« La laïcité n’a de sens que dans une démocratie » souligne Boualem Sansal. « Sous une quelconque dictature, elle n’a pas de sens ».
Pour lui, la Syrie est juste un autre exemple de gouvernance par diktat. Il appelle par ailleurs les puissances occidentales à intervenir en Syrie, mais aussi à lancer urgemment un mandat d’arrêt contre le président syrien, Bachar al-Assad et ses généraux. « Nous ne devrions pas avoir à attendre que le pays entier ait été massacré pour que quelqu’un agisse » déplore-t-il. « Entre temps, le peuple syrien ne devrait pas abandonner. Il doit continuer à lutter. S’il est vaincu aujourd’hui, 20 ans s’écouleront avant de savoir qui a été tué, qui a disparu et qui a été arrêté. »
Ne pas créer de « petits Irans »
Les premières heures du printemps arabe avaient gonflé l’écrivain d’optimisme. Un sentiment trop rapidement oublié, remplacé par un triste déjà-vu. Selon un dicton algérien, « plus ça change, plus c’est la même chose ». De quoi résumer l’état d’esprit de l’écrivain.
« Ils exigent le départ d’un dictateur pour le remplacer par un autre. Une révolution doit être contre les idées qui ont mené à la dictature, pas seulement contre un individu. Elle doit être basée sur des idéaux, que sont la liberté et le rationalisme. »
« En Algérie, les gens ont maintenant librement voté pour une dictature, qui sera pire que la précédente. Nous créons de nombreux « petits Irans », des petites théocraties ». Sa grande crainte pour les années à venir, c’est que ces jeunes nations forment « une nouvelle Ligue Arabe, fondée sur la religion. Ce serait très dangereux. »
Après avoir quitté Israël, Boualem Sansal a publié un article dans le Huffington Post intitulé « Je suis allé à Jérusalem… et j’en suis revenu enrichi et heureux ». S’adressant à ses « chers frères, chers amis, en Algérie, en Palestine, en Israël et ailleurs », Boualem Sansal écrit : « Je vais vous parler d’Israël et des israéliens, comme on peut les voir de nos propres yeux, sans intermédiaires, loin de toute doctrine… Le fait est que dans ce monde, il n’y a aucun autre pays, et aucun autre peuple qui leur soit semblable. De mon point de vue, c’est rassurant et fascinant car cela signifie que nous sommes tous uniques. On sait bien que l’unique est souvent agaçant, mais nous devons chérir cette qualité car une fois perdue, jamais elle ne sera rendue. »
Global Post / Adaptation Henri Lahera / JOL Press
Par Noga Tarnopolsky - 31/05/2012
In : http://www.jolpress.com
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Réponse d’Elias Sanbar à Pierre Assouline
15 Juin 2012 Par Les invités de Mediapart
Ambassadeur de la Palestine à l'Unesco, l’écrivain et traducteur Elias Sanbar a été mis en cause par Pierre Assouline [AH : lire ci-dessous]dans Le Monde des Livres à propos du Prix du roman arabe décerné à Boualem Sansal. S’estimant « pris à partie de façon indigne et infamante » et « soucieux de mettre les choses au point dans les plus brefs délais », il a décidé d’exercer son droit de réponse sur Mediapart après en avoir prevenu la rédaction du Monde.
Pauvre Pierre Assouline.
Pris à partie de façon indigne et infamante par Pierre Assouline dans les colonnes du Monde des Livres du 15 juin 2012, soucieux de mettre les choses au point dans les plus brefs délais, sans attendre la parution dans une semaine du supplément Livres du Monde, j’ai décidé d’exercer mon droit de réponse dans les pages de Mediapart.
Ainsi, selon Monsieur Assouline, réagissant à la visite de Boualem Sansal en Israël au lendemain de son obtention du Prix du roman arabe, j’aurai « été d’autant plus véhément » que je n’avais pas soutenu le roman primé. Partant de cette première « invention », j’y reviens plus bas, Pierre Assouline passe à sa théorie de la conspiration montée et menée par mes soins : « Il mobilisa ses pairs du Conseil des ambassadeurs arabes. Egalement scandalisés par le fait que Boualem Sansal a osé serrer la main d’Israéliens (…), ils convinrent donc de le « désinviter », de reporter la cérémonie [de remise du prix] et de faire voter à nouveau le jury. »
Le lecteur notera l’usage du « Il » et des « Ils », et appréciera les dons d’insinuation dont fait preuve Monsieur Assouline qui aurait décidément fait un bon témoin à charge aux procès de Prague. Mais ce n’est pas tout.
Le complot continuant, j’aurai avec une fonctionnaire de l’ambassade de Jordanie, organisé la défense de la position des ambassadeurs des pays arabes et ce lors d’une réunion « houleuse », avec force « cris mais pas de coups ».
Rejetant ce tissu de mensonges, soucieux au plus haut point de l’opinion de mes amis, de ceux aussi, très nombreux, qui ont déjà eu l’occasion de m’entendre parler du conflit israélo-palestinien et de mon combat pour une réconciliation fondée sur l’égalité et le respect mutuel, je tiens ici à rétablir les vérités suivantes.
- Je n’ai pas attendu Boualem Sansal et encore moins Pierre Assouline pour nouer des contacts avec des Israéliens épris d’une paix juste, au premier rang desquels d’ailleurs David Grossman que Boualem a rencontré à Jérusalem ou A. B. Yehoshua ou Zeev Sternhell et tant d’autres. A cet égard, je rappellerai au pseudo-néophyte Pierre Assouline, que je fus l’un des premiers participants aux contacts secrets entre Israéliens et Palestiniens dans les années quatre-vingt, puis l’un de chefs des délégations palestiniennes aux pourparlers de paix après Madrid… Et il faut être d’une insondable ignorance ou mauvaise foi, je laisse à Pierre Assouline le choix de l’épithète ajoutant qu’il pourrait opter pour les deux réunies, pour oser parler de ma « véhémence » contre un écrivain qui « aurait osé serrer la main d’un Israélien »…
- Par ailleurs, autre hic, il se fait qu’en mission à l’étranger, je n’ai pas été présent à la réunion du jury et n’ai donc pas participé au vote à l’issue duquel le prix fut décerné à Boualem Sansal. Pierre Assouline semble m’y avoir vu défendant un autre ouvrage…
- J’en viens maintenant à la réunion convoquée par le Directeur du bureau de la Ligue arabe et l’ambassadeur de la Jordanie en France, rencontre à laquelle j’ai effectivement participé, au cours de laquelle les deux ambassadeurs expliquèrent que les Etats arabes étant encore en guerre avec Israël, le conseil de leurs ambassadeurs ne pouvait plus s’associer au Prix décerné à Boualem Sansal. De leur côté, les membres présents du jury décidèrent alors de rédiger un communiqué confirmant le prix et annonçant la fin de leur relation avec le Conseil des ambassadeurs. Il est vrai que la discussion fut animée, mais de là à insinuer que les coups furent évités de justesse… De toutes façons, durant cette réunion, j’ai agi en tant que membre du jury, à aucun moment comme le représentant de la Palestine à l’UNESCO. Et c’est à ce titre que je me suis associé à la décision du jury et que j'ai signé avec les autres membres le communiqué annonçant la démission et la rupture.
- Quelques mots pour finir destinés à Boualem Sansal que je connais et qui me connaît. Je n’ai eu aucun problème à te voir aller à la rencontre de David Grossman. Comment en aurais-je eu quand je rencontre quotidiennement des Israéliens sans parler des très nombreux débats publics menés avec le même David Grossman… Connaissant ton respect de la liberté d’opinion, je me dois de te préciser deux choses. Il est vrai que j’ai préféré le roman de Salim Barakat au tien. C’est mon droit de lecteur, tout comme il est vrai que je suis en total désaccord avec toi quant à ton affirmation – je me reporte là à un passage filmé de ton entretien avec Antoine Perraud dans Mediapart – qu’il n’y a pas eu et qu’il n’y a pas d’entreprise coloniale en Palestine. C’est également mon droit, de Palestinien cette fois.
J’espère que les choses sont ainsi éclaircies et que ce pauvre Pierre Assouline aura la sagesse de s’abstenir de se chercher un Palestinien contre lequel déverser sa mauvaise foi, la prochaine fois qu’il sera pris par l’irrésistible besoin de manifester son profond pathos.
Elias Sanbar
Paris, le 15 juin 2012
In : http://blogs.mediapart.fr
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Rififi au Prix du roman arabe
Jurés littéraires, gardez-vous des mécènes ! Ils sont le problème et la solution. Soit vous vous passez d’eux, vous faites vœu de pauvreté et vous décernez votre prix en nature au bistro du coin ; soit vous les sollicitez, et vous vous retrouvez dans un pays exotique à votre prix sonnant et trébuchant dans un palace. La différence ? L’indépendance. Un jour ou l’autre, vous en éprouverez les dures réalités, avec leur lot de rumeurs et polémiques. C’est le cas depuis quelques jours des jurés du Prix du roman arabe. Décerné au romancier algérien Boualem Sansal pour Rue Darwin (Gallimard), il n’a pas pu lui être remis comme prévu, à la suite de pressions relevant davantage de la politique que du poétique.
Ce prix est né en 2008 d’une constatation de Vénus Khoury-Ghata, attachante personnalité parisienne des lettres arabes, elle-même récemment couronnée du Goncourt de la poésie : comme ses amies du prix Femina ne lisaient décidemment pas de littérature arabe traduite en français, ni même celle d’auteurs arabes écrivant directement en français, elle eut l’idée de lancer un prix pour pallier cette carence. Son entregent dans le milieu littéraire étant aussi légendaire que ses pâtisseries orientales, elle eut vite fait de monter un jury avec des membres de l’Académie française et du Femina, des critiques et des écrivains. Puis elle trouva un mécénat généreux auprès du Conseil des ambassadeurs arabes à Paris, et le partenariat de l’Institut du monde arabe (IMA). Au fil des ans, le prestige des lauréats donna du crédit aux prix : Elias Khoury, Gamal Ghitany, Rachid Boudjedra… Jusqu’à la dernière réunion, tout allait bien. Le scrutin était assez serré. Le livre de Boualem Sansal l’emporta. On se doutait bien que cela ne plairait pas à un diplomate au moins, l’ambassadeur d’Algérie, mais c’était sans importance. La nouvelle fut annoncée au lauréat, qui vit à Boumerdès (ex-Rocher noir, près d’Alger), alors qu’il était sur le départ. Il n’en fut pas moins heureux et flatté. Quelques uns le furent moins lorsqu’ils découvrirent peu après, dans de violents articles parus dans la presse arabe, qu’il s’était rendu en Israël à l’invitation de son éditeur et d’un festival littéraire israélien à Jérusalem (il s'en explique ici). Qu’il y avait donné des conférences, participé à des débats et répondu à des interviews avec le franc-parler, le courage et l’indépendance d’esprit qui le caractérisent, qu’il s’agisse de critiquer le régime algérien et le sort fait aux Palestiniens dans les territoires occupés, ou de dénoncer « le fascisme islamiste ». Comme l’avait fait avant lui en 1999 un membre du jury, Tahar Ben Jelloun. Aussi Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’Unesco mais également poète et traducteur, et à ce titre membre du jury, fit-il aussitôt pression pour que le prix du Roman Arabe soit retiré à Sansal (ce qu'il dément aujourd'hui) . Il n’avait pas soutenu son livre mais Les Plumes du syrien d’origine kurde Salim Barakat publié par leur éditeur commun Actes Sud. Il mobilisa ses pairs du Conseil des ambassadeurs arabes. Scandalisés par le fait que Boualem Sansal ait osé serrer la main d’Israéliens et parlé avec eux chez eux, ce que le Hamas et le Hezbollah ont jugé « criminel » (alors que Sanbar fait partie, lui, de ceux qui rencontrent régulièrement des intellectuels israéliens, ce qui rend sa position d'autant plus étrange), ils convinrent donc de le « désinviter », de reporter la cérémonie prévue le 6 juin à l’IMA en prétextant « les événements actuels dans le monde arabe » et de faire voter à nouveau le jury. L’un de ses membres, Olivier Poivre d’Arvor, directeur de France-Culture lança aussitôt l’alerte en faisant savoir publiquement dans Libération qu’il démissionnait en signe de protestation. L’affaire était lancée. Impossible de l’étouffer.
Il y eut beaucoup de téléphonages entre jurés. Mardi dans l’après-midi, une réunion de crise se tint au domicile de Vénus Khoury-Ghata. Plusieurs écrivains (Paula Jacques, Hélé Béji, Robert Solé), partisans comme l’ensemble du jury de ne modifier en rien un vote qui s’était voulu strictement littéraire, se trouvaient à ses côtés face à Elias Sanbar, Mona Al Husseini, conseillère auprès de l’ambassade de Jordanie (qui entretient des relations diplomatiques avec Israël, un comble !) et au directeur de la Ligue arabe à Paris, représentant les mécènes. Ce fut houleux. Des cris mais pas de coups. A la sortie, ils se séparèrent courtoisement mais pour toujours. Toute autre réaction eut entrainé en son sein une cascade de démissions. « Aller en Israël, ce n’est tout de même pas aller en enfer ! s’indigne Vénus Khoury-Ghata. On n’a pas à subir de tels diktats. On a sauvé l’honneur et tant pis si on se retrouve mendiants et orgueilleux ». Albert Cossery eut apprécié. Boualem Sansal apprécie déjà : « Mais quel nom aura ce prix? Ne sera-t-il pas perçu comme un camouflet aux ambassadeurs arabes? Moi, je suis preneur de toute décision prise par le Jury, lui seul compte pour moi ». Celui-ci a donc repris sa liberté et lui remettra bien son prix pour Rue Darwin jeudi prochain lors d’un cocktail dans les salons de son éditeur Gallimard. Mais pas le chèque de 10 000 euros. Il est prévu d’y inviter des écrivains, des poètes et des critiques. Pas de diplomates.
P. Assouline 15 juin 2012
In : passouline.blog.lemonde.f
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Boualem Sansal recevra le prix du roman arabe le 21 juin chez Gallimard
Le jury du prix du roman arabe s'est désolidarisé de son mécène, le conseil des ambassadeurs arabes en France, qui ne voulait pas de Sansal comme lauréat.
Le prix du roman arabe sera bel et bien décerné à Boualem Sansal pour Rue Darwin, le 21 juin prochain chez Gallimard. Le jury du prix s'est désolidarisé du conseil des ambassadeurs arabes, son mécène, qui avait refusé d'inviter le lauréat à Paris le 12 juin dernier "en raison des événements actuels dans le monde arabe" - un prétexte pour punir Sansal de sa présence au Festival international des écrivains de Jérusalem, du 13 au 16 mai dernier.
Le jury devrait être là au complet, et espère même réintégrer Olivier Poivre d'Arvor, qui en a démissionné avec fracas le 10 juin dernier pour protester contre la décision des ambassadeurs.
Une nouvelle vie commence donc pour le prix, fondé par la romancière Vénus Khoury-Ghata en 2008, et qui est allé depuis à Elias Khoury, Gamal Ghitany, Rachid Boudjedra et Hanan El Cheikh.
Par LEXPRESS.fr, publié le 15/06/2012
In : http://www.lexpress.fr
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Boualem Sansal a obtenu cette année le Prix du roman arabe. Or, à la suite de son voyage en Israël du 13 au 17 mai pour la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, dont il était l'invité d'honneur, le Conseil des ambassadeurs arabes qui ont créé ce prix à Paris a pris la décision, contre l'avis du jury, de ne pas le lui attribuer le 6 juin.
Boualem Sansal porte en lui cette chose rare en littérature : une puissance littéraire enveloppée d'une suavité qui vous pénètre d'un charme poignant et persiste en vous, pour toujours. Ecrivain algérien, ses personnages ne sont que les facettes de son être sensitif et doux, des êtres traversés du malheur de l'histoire, du frisson de pitié pour la condition humaine, livrée à l'abandon des siens, de ses proches, de leurs Etats qui ne leur ont pas rendu le miracle d'exister, dans un pays qu'on vénère plus que tout.
Dans les romans de Boualem Sansal, la noblesse de l'algérianité s'élève vers la patrie de tous les hommes avec une intensité tragique qui ne renonce pas à la beauté d'une terre où brille encore le lancinant instinct de joie dans le regard ouvert du chagrin. Les membres du jury du Prix du roman arabe, en couronnant cette année Rue Darwin (Gallimard, 2011), ce livre où le héros marche vers les mystères de sa naissance en compagnie de son lecteur, ébloui et déchiré, ont su ce qu'ils couronnaient : la réconciliation éperdue avec les hommes, tous les hommes.
C'est ce livre primé que Boualem Sansal est allé défendre en Israël, celui où la femme est célébrée dans le tourment de sa condition, sous le sourire lumineux d'un écrivain tout pénétré de sa passion spirituelle pour les sacrifiées, les héroïques, les surhumaines créatures, dont il est à la fois le fils et l'auteur, l'orphelin, le chevalier servant et le père rédempteur. Cette faculté viscérale qu'a Boualem Sansal de chanter la condition féminine, et à travers elle tout ce qui dans l'homme est voué à l'artificielle cruauté de l'ordre social, à la destruction de l'enfance, au massacre de l'innocence, vaut pour tous les peuples.
Le peuple chez Boualem Sansal n'est pas une chose d'Etat, il est le fond flamboyant qui dévoile la bêtise belliqueuse des puissants, il est l'humble visage de ceux que la guerre religieuse ou raciale transforme en traîtres ou martyrs, il est le coeur serré du romancier qui embrasse ses personnages souffrants avec la vénération qu'il voue pareillement aux Arabes, aux Juifs, aux Palestiniens, aux Israéliens, aux Algériens, aux Tunisiens, à tous ceux qui n'acceptent pas que leur soit retiré le bien le plus pur de leur long supplice historique : la paix.
C'est la paix qui voltige comme une caresse consolante dans le style de Boualem Sansal, dans le labeur lucide de sa prose enluminée, dans sa quête où palpite l'aile de son insoumission.
Et, ce prix de la paix, on voudrait aujourd'hui le lui enlever ? A quel titre ? Au nom de quelle guerre ? De quelle haine ? De quelle peur ? De quelle religion ? De quelle raison d'Etat ? Les voyages que fait Boualem Sansal dans n'importe quel pays du monde sont le même voyage intérieur de celui qui va chercher au fond des tragédies brûlantes la braise cachée où les frères humains se reconnaissent, celle qui survivra, celle de la réconciliation et du pardon.
Et il faudrait lui retirer cette promesse d'avenir, il faudrait se priver de ce présage poétique fulgurant que la paix sera le fin mot de toute cette histoire, que la paix adviendra quoi qu'il arrive ? Non. Personne ne peut accepter que la paix, ce pain délicieux dont Boualem Sensal rompt la croûte avec nous et les autres, cette saveur de paix qui descend dans notre gorge avec un sanglot quand nous le lisons, nous soit ôtée de la bouche. Non. Ce pain humain de la paix nourricière, ce pain pacifique et bon, l'écrivain en sème le champ plantureux dont les épis font bruire dans ses pages le parfum de leur moisson claire.
Et ce bout de pain si tendre, si fragile, nous le jetterions au lieu de le conserver comme un trésor qu'aucun prix sans doute ne vaut, mais qu'aucun prix ne peut profaner après l'avoir consacré ? Non. Ce petit bout de prix, de pain, de paix pétri de nos lectures infimes, nous ne le laisserons pas s'effriter dans les poubelles comme un morceau rassis, car il est fabriqué de ce grain gonflé du fleuve de vie qui coule secrètement dans les veines de chacun, même ennemis, et dont l'écorce de haine se broie sous la meule magique de Boualem Sansal en une mie fondante qu'on partage les yeux brillants.
Oui, nous remettrons ce prix, lecteurs sans vanité, à la noblesse de l'écrivain. J'eusse souhaité que les ambassadeurs arabes qui ont eu le mérite de créer cette distinction il y a quatre ans, afin d'honorer leur culture dans ses oeuvres vivantes, nous suivent dans notre décision. J'eusse souhaité qu'ils déclarent à Boualem Sansal, même sous l'uniforme obligé de leurs raisons d'Etat : "Nous déplorons, nous condamnons ton voyage en Israël, nous nous révoltons contre tes propos qui nous blessent le coeur, car nous aussi en avons un ; nous nous sentons offensés par tes paroles, par ton insolence intellectuelle qui nous heurte, par ta dissidence avec notre cause, qui nous inflige une peine cuisante.
Cependant, malgré la gravité de notre dissension, nous tenons à te décerner ce prix, envers et contre tout, car nous portons en nous l'antique vertu de la magnanimité. Nous te l'attribuons pour te prouver que la paix que tu prêches nous est aussi chère qu'à toi. Sauf que, n'étant pas des écrivains, seulement des consciences engagées dans l'opacité d'un rude combat, nous la cherchons avec d'autres moyens que les tiens, ceux de nos Etats imparfaits pour lesquels nous nous sommes engagés parce que nous y croyons.
Ta patrie à toi, si apparemment éloignée de nos tâches ingrates, est pourtant celle-là même de l'humanité que nous défendons, dont nos diplomaties ne sont que masques officiels de nos vrais sentiments de justice. Mais, malgré notre colère et notre tristesse, nous te remettrons ce prix, car nous te reconnaissons comme l'un des nôtres, un ambassadeur, mais d'une autre sorte, vêtu d'un habit surhaussé de beauté et liberté.
Notre étoffe n'est pas différente, mais alourdie de l'armure de la nécessité, de la mission à laquelle nous avons prêté serment par conviction. Oui, nous te décernons le prix car ton livre bouleversant nous émeut par-delà nos fonctions de soldats empêtrés dans une guerre qui n'est que l'âpre et cruelle accoucheuse de paix. Nous te couronnons, car ton message tremble dans la petite lumière pâle et juste que nous fixons de nos yeux éclaboussés de drames."
Voilà comment, peut-être, les ambassadeurs arabes, soulevés de nouvelles révolutions, auraient pu parler à leur écrivain le plus distingué. Voilà comment, meurtris mais altiers, ils auraient offert à Boualem Sansal, avec une âme stoïque, le prix de leur foi dans une réconciliation future des Israéliens et des Palestiniens. Qui sait ? Il n'est peut-être pas trop tard, il n'est jamais trop tard.
Hélé Béji est l'auteure de "Nous, décolonisés" (Arlea, 2008) et d'"Islam Pride. Derrière le voile" (Gallimard, 2011).
Par Hélé Béji, écrivaine, membre du jury du Prix du roman arabe
LE MONDE | 15.06.2012
In : http://www.lemonde.fr
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Le prix du Roman arabe remis chez Gallimard à Boualem Sansal, le 21 juin
Les membres du jury et les Editions Gallimard remettront le Prix du Roman Arabe au lauréat 2012, l'écrivain algérien Boualem Sansal, pour son livre "Rue Darwin" (Gallimard), après la rupture des jurés avec les organisateurs et mécènes du prix, le Conseil des ambassadeurs arabes.
"Les jurés se sont désolidarisés du Conseil des ambassadeurs arabes et ont voulu maintenir le choix de leur lauréat", a précisé à l'AFP la maison d'édition qui accueillera jeudi 21 juin le lauréat et les jurés.
"Cette cérémonie sera organisée en partenariat avec Radio France, à l'initiative de son président Jean-Luc Hees, et relayée sur les antennes du groupe", a annoncé vendredi à l'AFP le directeur de France Culture Olivier Poivre d'Arvor, qui avait démissionné du jury lundi pour protester contre l'annulation de la remise du prix à Boualem Sansal par le Conseil des ambassadeurs arabes.
"Dès lors que le prix est remis au lauréat, je reviens dans le jury et serai là jeudi", a-t-il indiqué. "Je pense que Radio France continuera à accompagner ce prix".
Boualem Sansal devait recevoir le 6 juin à l'Institut du monde arabe ce Prix doté initialement de 15.000 euros pour son roman "Rue Darwin", publié dans la collection Blanche de Gallimard. Mais le Conseil des ambassadeurs arabes a annulé la cérémonie "en raison des événements actuels dans le monde arabe", avait-il annoncé au jury.
"Tout cela cache une vérité sordide", avait dénoncé le directeur de France Culture Olivier Poivre d'Arvor en annonçant lundi sa décision de démissionner du jury dans une tribune au quotidien Libération.
Les diplomates arabes ont en fait réagi à la participation en mai de Boualem Sansal au Festival international des écrivains de Jérusalem, expliquait-il. Le Hamas avait assimilé dans un communiqué la présence de l'écrivain algérien en Israël "à un acte de trahison".
"Le Conseil des ambassadeurs arabes a retiré son sponsoring. Mais le prix est maintenu, nous allons rechercher un nouveau sponsor", avait indiqué plus tôt l'un des membres du jury, l'écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, ajoutant que, selon lui, "il était inévitable qu'un jour il y ait un clash avec les ambassadeurs arabes".
Le prix du Roman arabe, créé en 2008, est destiné à couronner l'ouvrage d'un auteur d'origine arabe dont le roman a été écrit ou traduit en français.
Plusieurs des livres de Boualem Sansal sont interdits en Algérie. L'écrivain, qui lutte pour la liberté de parole, de culture et de religion dans son pays, a aussi obtenu en octobre le Prix de la paix de la foire du livre de Francfort et le 29 mai le Prix Roman-News.
Publié le 15.06.2012,
In : http://www.leparisien.fr
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Les contrevérités d'un illustre écrivain
«Très lâchement, nous avons abandonné la Kabylie non seulement à elle-même, mais aussi à la répression du pouvoir algérien. Et ce pouvoir est très intelligent. Il a compris que le grand danger pour lui ce n'est pas les Français, ce n'est pas les Allemands, ce n'est pas les Américains, ce n'est pas les Russes, mais c'est les Kabyles.» (Boualem Sansal).
Cette incongrue assertion attribuée au, pourtant, brillant écrivain, dénote un tant soi peu de l'aigreur du discours chez ceux là mêmes qui ont constitué, les moellons du soubassement du système politique. Après avoir consommé, consciemment ou inconsciemment, leur compromission avec ce même système, se fourvoient dans ce que l'on peut appeler le syndrome post-octobriste. Pour se dédouaner, les mutants, et Dieu seul, sait s'ils sont nombreux, revendiquent de nouvelles vertus en stigmatisant leur propre déconfiture l'attribuant volontiers aux Services, au Parti unique et autre tête de Turc.
Invité par une association proche du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) en Allemagne(1) celui-ci aurait déclaré : «D'abord, je voudrai vous dire un immense merci pour cette invitation à laquelle Lyazid m'avait convié il y a quelque temps. C'est la première conférence que je tiens avec une association proche du mouvement pour l'autonomie de la Kabylie, avec la Kabylie au cœur du programme. Certains pourraient penser qu'il ne s'agit que d'une simple région d'Algérie et se dire, qu'après tout, que cette région soit autonome ou pas, c'est assez secondaire. Non, au fait, c'est très emblématique, c'est symbolique, c'est quelque chose de très important. La Kabylie est le cœur de l'Algérie. Sans la Kabylie l'Algérie n'existe pas et tout le Maghreb aussi. Le Maghreb reste encore à ce jour une sorte de colonie. Après avoir été colonisé pendant des siècles par les Romains, les Byzantins, les Vandales, les Arabes, les Turcs, les Espagnols, les Français, aujourd'hui, il est colonisé par… et c'est là tout le problème, car on ne sait pas trop par qui. L'Algérie est colonisée par des Algériens qui se sont donné une identité qui n'est pas la leur.»
Trop respectueux de l'esprit de l'écrivain, nous ne lui ferons pas l'injure de lui attribuer une quelconque ignorance, car, et il le sait, tous les peuples de la planète sont issus de brassages ethniques, sans pourtant en perdre l'âme. La culture hispanique a connu son apogée au lendemain de l'occupation musulmane de l'Andalousie par les troupes armées d'un grand chef berbère. Et c'est et sans nul doute, ce greffon qui a permis à cette culture de s'installer durablement en Amérique post colombienne, sans pour cela, effacer les repères identitaires amérindiens. Les grandes dynasties maghrébines, ont de tout temps, été d'essence amazighe. La fondation de la mythique El Kahira (Le Caire), n'a-elle pas été le fait d'une dynastie berbère et bien de chez nous ? Lors des échauffourées footballistiques d'Oum Dormane de récente date, a-t-on fait le distinguo entre Kabyles et Arabes ? A Tizi Wezzu, comme énoncé dans cette conférence, l'auteur ignore peut être que les familles se sont, tellement, imbriquées par des alliances, qu'il n'est plus possible d'en définir la souche. La langue du terroir en dit et à juste titre : «Nous sommes oncle et fils de sœur».
«Les seuls arabes réels, ce sont les habitants de l'Arabie. Et donc nous sommes gouvernés par un mythe. Et pourquoi avons-nous donc accepté, pendant des siècles, d'être gouvernés par un mythe ? C'est à cause de la religion. C'est que l'islam est né en Arabie et de là, il est parti se répandre dans le monde. Là où l'islam est arrivé à s'installer, eh bien, il a aussi imposé l'identité arabe.».
Après cette épique ex. cathedra, que faut-il en conclure ? Pour recouvrer notre authenticité identitaire, la seule alternative qui nous soit suggérée serait celle de désislamiser la société actuelle, pour mieux la purger de son arabité !?? Si tant elle serait, exclusivement, arabe. Que veut démontrer par cette opposition, plutôt bessonnienne, l'illustre écrivain ? Doit-il déposer son allégeance comme gage au Mont-de-Piété pour une modique considération des Francs devenus, eux mêmes Français après avoir été Gaulois ? Cette réflexion, certainement, émotive n'est à aucun moment bien pesée et peut, même, être étiquetée de discours conjecturel.
Dans le registre, Si Boualem n'a rien inventé. Chacun sait que, relents islamophobes et discours BHLien, quoique ce dernier ne renie à aucun moment sa judaïté, idéal pour lequel il roule, se rejoignent pour casser du musulman, le confondant toujours à l'Arabe. On feint d'ignorer que de grands peuples musulmans sont entrain de réémerger sur la scène mondiale tels que l'Iran, la Malaisie, l'Indonésie sûrement pas pour avoir été désaculturés. L'Islam qui est mis à l'index n'a jamais gommé l'identité bosniaque ou kirghize. Il faudrait donc repasser. Nous sommes convaincus que les frères du MAK ne sont pas dupes pour croire, de telles giclées démagogiques du genre :
«J'avais beaucoup d'espoir pour l'Algérie parce qu'en Algérie, il y a la Kabylie. La Kabylie est une région très particulière dans tout ce monde là. C'est d'abord une région qui est restée elle même tout au long des siècles. Elle a gardé son identité très riche et elle est très puissante. Malgré le fait qu'aujourd'hui, les Kabyles vivent au quatre coins du monde, ils ont gardé cette fibre kabyle. Elle est en eux, elle les habite. Ils ont cette faculté que l'on ne retrouve pas ailleurs, qui a été détruite par la culture arabe».
Se pourrait-il qu'un esprit aussi éclairé et pour lequel on nourrissait beaucoup d'espoir, s'adjuge le droit de juger une culture qu'il n'en fait pas sienne, mais qui a enfanté d'illustres pairs universellement reconnus ? En glorifiant exclusivement une région au détriment du reste du pays, sait-il au moins qu'il enfonce un coin dans le corps social jusque là intègre et qui, ni la longue nuit coloniale, ni les velléitaires sécessions, ni la déferlante terroriste n'ont jusqu'ici entamé ? Et puis encore, lui, l'écrivain, donc, le concepteur de textes qui devraient sensibiliser, informer et éduquer la jeunesse surtout, ne fait-il pas la différence entre profondeur ethnique et dimension géographique, pour imposer une Kabylie minoritaire, peut être, en tout cas indépendante, selon ses propos, de la grande Berbérie qui est nôtre et qui s'étend de l'Atlantique à l'oasis de Siwa en Egypte ?
«Il y a évidemment les Touaregs. Ce sont des gens du sud, vieille civilisation, multimillénaire. Ils sont à un stade de processus historique, qui, quand on l'examine, on comprend pourquoi ils n'ont pas rejoint la révolution berbère du nord, en Kabylie, parce qu'ils sont encore dans un âge lointain. Ils sont nomades et les notions d'État, de la république, de démocratie sont totalement absentes de leur culture. Donc ils ne comprenaient pas ce qui se passait en Kabylie. Il y a aussi les Mozabites. Ce sont des Berbères qui sont dans un courant islamique particulier. Ils sont un peu comme les Amish aux États-Unis ou les Mormons. Ils préfèrent rester entre eux que de se mêler de ce qui se passe dans le pays. C'est à peine qu'ils sont considérés comme des Algériens.»
L'intellectuel, ne semble faire valoir qu'une image d'Epinal sur les profondeurs territoriales et humaines de son propre pays. Les Touaregs sont, dit-il, dans un âge lointain. Doux euphémisme pour ne pas dire qu'ils sont au moyen âge. De toutes les strates sociales du pays, la société targuie est sans doute, la plus ouverte sur le monde et la plus prédisposée à l'universalité ; mais, elle a préféré garder son âme dans son identité. Par leurs attraits touristiques, l'Ahhagar et le Tassili se sont ouvert au monde à l'aube du XXe siècle. Les langues étrangères y sont pratiquées couramment par les autochtones, les mariages mixtes y sont légion. En relation avec les places fortes du tourisme international, ils ont su imposer leur culture, berbère plus est, au reste du monde. Typique, l'homme bleu est reconnaissable à des milliers de lieux à la ronde. Une prestigieuse marque automobile porte son nom, c'est dire l'aura qu'il exerce dans le monde. Les cités urbaines de ce Grand Sud exotique, n'ont rien à envier aux cités du Nord.
Quant aux Mormons du M'Zab, selon l'écrivain, a-t-il pris la peine de consulter au moins un de ceux à qui s'appliquerait ce qualificatif et ce sentencieux arrêt : «C'est à peine qu'ils sont considérés comme des Algériens.» ? Et pourtant, l'un des plus illustres enfants du M'Zab est l'auteur historique de l'hymne national. Plusieurs anciens ministres, dont un Premier ministre et un ancien gouverneur de la Banque d'Algérie sont issus de cette vallée radieuse.
«Il y a d'autres Berbères, comme les Berbères dont je suis originaire moi-même, les Rifains du Maroc. On les traite de Kabyles. Nous aussi, nous sommes très combatifs. Nous nous sommes révoltés contre le royaume marocain au siècle passé. Et puis, la répression au Maroc contre les Berbères rifains était terrible et depuis le processus révolutionnaire dans cette région est cassé. Mes grands parents, qui vivaient donc au Maroc, faisaient partis de ces gens, de ces peuples qui se sont battus contre le Roi. Ils ont fui le Maroc dans les années 30 et 40 et ils sont venus se réfugier en Algérie.»
Par cette profession de foi pour le moins surprenante, M. Sansal, semble renier son appartenance à Arch El-Medad (Les cèdres) de Teniet El Had. Son ascendance généalogique, contrairement à ce qu'il affirme, remonterait selon un membre du clan, au cinquième aïeul dans l'inexpugnable Mont Ouarsenis.
(1)Niedergailbach, Saarland, Allemagne, le 22.01.2012 Conférence transcrite par la rédaction du journal Tamurt
par Farouk Zahi - jeudi 21 juin 2012
In : www.quotidien-oran.com
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