Boualem Sansal a reçu hier soir, au siège de son éditeur A. Gallimard, le "Prix du roman arabe" pour son dernier roman "Rue Darwin" et je m’en félicite. Un prix dont le jury a expurgé (si j'ose) le mécène, le conseil des ambassadeurs arabes qui avait il y a trois semaines retardé l'attribution du prix (prévue le 06 juin) à Boualem Sansal, « en raison des événements actuels dans le monde arabe » pour mieux l'oublier, confondant l'écriture du romancier avec son voyage en Israël. Car en effet le drame pour ces officiels arabes qui se cachent ou s’expriment à travers ce conseil, est que l'écrivain se soit rendu dans ce pays honni (‘honni’ à juste titre. Entendons nous, honnir: condamner pour cause de transgression des normes éthiques). Personnellement j'applaudis des deux mains cette attribution, quoique symbolique, mais je ne peux exclure ce qui à mon sens devrait faire débat, à savoir le silence de Boualem Sansal lors de sa visite en Israël (du 13 au 16 mai), quant au sort fait par cet état aux Palestiniens. Aller en Israël n'est pas un problème, je l'ai écrit. On ne trahit pas la cause du peuple palestinien par le simple fait de se déplacer dans ce pays. Combien de dirigeants arabes ont trahi les Palestiniens sans avoir eu à s’extraire de leurs bureaux ! Nombre de médias et d’intellectuels arabes tombent sur l'écrivain à bras raccourcis pour la seule raison qu'il s'est rendu dans ce pays (ou pour régler de mauvais comptes). Les médias occidentaux de leur côté ne valent pas mieux, ne mettant l'accent que sur cet aspect en avançant que l'écrivain est un homme libre (ceci est incontestable néanmoins) et en évacuant SYSTEMATIQUEMENT le véritable problème, la question coloniale. La manipulation (ou l'aveuglement) est aussi bien le fait des uns que des autres. Les médias français (à l’exclusion de Médiapart) ne faisant pas même une seule allusion à l'état colonial (ci-dessous Le Nouvel Obs et autres). Sansal, lui, a le droit non seulement de se déplacer où bon lui semble, mais avoir le droit de ne pas soutenir les Palestiniens, de dire qu’il n’y a pas de fait colonial à leur endroit. J’ai le droit à mon tour de le lui reprocher et de lui répondre, comme l'a fait Elias Sanbar récemment : « je suis en total désaccord avec toi quant à ton affirmation qu’il n’y a pas eu et qu’il n’y a pas d’entreprise coloniale en Palestine » (entretien avec Antoine Perraud dans Mediapart - vidéo ci-dessous). Cette question n’a pas été abordée par les médias en France (exemple vidéo sur F. Inter, ci-dessous) , préférant mettre en relief Hamas, qui fait bander nombre de journalistes français rien qu'à l'évocation du nom. "Khamas" disent-ils (en hébreu, "kh" exactement comme le font les Israéliens, car ce terme renvoie tant à l'organisation qu'à un autre sens, détestable... alors...) et ils mettent sous le boisseau les pratiques cruelles de l’Etat hébreux depuis des décennies. Nous en avons l'habitude et ne les connaissant que trop bien.
Pour revenir au prix, Sansal le mérite amplement. Espérons que les pressions et la mise en quarantaine de l'écrivain en Algérie cessent. Que la presse privée se libère des sphères du Pouvoir et édite aussi des articles ou contributions qui ne soient pas imbibées d'injures à l'encontre du plus grand écrivain du Maghreb, elles en ont reçues.
A.H.
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Boualem Sansal sur France Inter, ce matin:
http://www.franceinter.fr/emission-le-79-boualem-sansal
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Sansal répond aux questions de Médiapart.
http://www.youtube.com/watch?v=xg7GbMz78Mw
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Comment Boualem Sansal a fini par recevoir le prix du Roman arabe
Après une décision honteuse des pays arabes qui finançaient le prix, celui-ci a été remis au courageux auteur de «Rue Darwin», chez son éditeur.
Il y avait du monde, ce jeudi 21 juin, dans le salon bleu des éditions Gallimard. Des gens de la maison, bien sûr, comme le patron (Antoine Gallimard), la mémoire des lieux (Roger Grenier) ou le lauréat du dernier Goncourt (Alexis Jenni). Mais aussi Jean Daniel et, par exemple, le staff qui dirige Radio-France: Jean-Luc Hees, Philippe Val, Olivier Poivre d'Arvor.
Ils n’étaient pas là pour fêter la musique, ni seulement pour avaler des petits fours. Il s'agissait d'applaudir un petit homme coiffé d'une queue de cheval et vêtu d'un blouson d'un vert douteux: Boualem Sansal recevait le prix du Roman arabe pour son dernier roman, «Rue Darwin».
C'est pourtant le genre de prix littéraire dont pas grand-monde ne parle, d'habitude. Sauf que cette fois, on en a beaucoup causé depuis que les pays arabes, qui le financent, ont décidé qu'un personnage comme Sansal ne méritait ni tant d'honneur, ni le chèque de 10.000 euros qui traditionnellement l'accompagne. Ces pays n'ont manifestement pas apprécié que l'écrivain algérien du «Village de l'Allemand» participe, il y a quelques semaines, à un festival littéraire israélien. Ils ont donc annulé la cérémonie initialement prévue, ce 6 juin, à l'Institut du Monde Arabe. Ils ont, surtout, réussi à lui faire la plus belle des publicités, puisque le jury du prix du Roman arabe a bruyamment fini par rompre avec ses mécènes, et par décerner quand même son prix à Sansal, chez son éditeur.
Il a été question de certains ambassadeurs arabes, qui n’auraient agi que sur ordre de leur hiérarchie et des gouvernements qu’ils représentent (son voyage en Israël leur a-t-il servi de scandaleux prétexte pour régler de vieux comptes avec un dissident qui n’hésite guère à dire combien l’islamisation et la dictature le désolent? Certains membres du jury n’excluent pas l’hypothèse). Il a été question de l’indépendance des écrivains, dont il faudra bien comprendre un jour qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes. Il a enfin été question, dans la bouche du romancier, lauréat l’automne dernier du très prestigieux prix de la Paix des libraires allemands, de la paix qu’il faut toujours s’efforcer de promouvoir.
Aujourd’hui, Boualem Sansal repart pour l’Algérie après avoir donné des interviews à France Culture et à France Inter. Il y a dit combien cette affaire lui a semblé «insupportable». Il sait que l’exposition médiatique dont il bénéficie en Europe le protège, dans son pays, des «institutions» et de «l’Etat». Mais il sait aussi que «contre les fous, au contraire, ça expose». Et il suffit, hélas, de lire un peu ce qui s’écrit sur lui dans son pays pour comprendre que cette exposition-là n’est pas seulement d’ordre intellectuel, ou symbolique.
N’empêche. Parce qu’il considère qu’«être silencieux à Alger» rend «peut-être» plus puissant que d’être «causeur à Paris», Sansal trouve plus important d’être «là-bas». Les diplomates pathétiques qui finançaient le prix du Roman arabe n'ont décidément rien compris.
Grégoire Leménager
PS. Présidé par Hélène Carrère d’Encausse, le jury du prix du Roman arabe est composé de Hélé Béji, Tahar Ben Jelloun, Pierre Brunel, Paule Constant, Paula Jacques, Christine Jordis, Vénus Khoury-Ghata, Alexandre Najjar, Danièle Sallenave, Elias Sanbar, Josyane Savigneau et Robert Solé. Olivier Poivre d'Arvor, qui disait en avoir démissionné de manière définitive, l'a réintégré. Et voilà désormais le prix à la recherche d'un «nouveau sponsor», a déclaré Tahar Ben Jelloun à l'AFP. Avis aux amateurs?
le 22-06-2012
http://bibliobs.nouvelobs.com
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Ecrivain sans frontières
Invités tous deux fin mai par la Foire du livre de Prague, Boualem Sansal me dédicaçait amicalement son livre Le village de l'Allemand (Gallimard, 2008), "en souvenir de notre heureuse rencontre à Prague". Justement à Prague, ville carrefour d'une Europe pas si heureuse, autrefois meurtrie, mais ville symbole de Vaclav Havel, et d'autres qui surent par leurs écrits résister aussi au XXe siècle aux étouffements du totalitarisme.
Du nord au sud comme d'est en ouest, l'œuvre de Boualem Sansal questionne les vieux démons totalitaires du XXe siècle. Car Boualem Sansal comme beaucoup d'écrivains est sans frontières ou apatride. Pourtant on croyait bien au pays de Kafka, ces vieux démons du XXe siècle véritablement enterrés, relevant d'une seule fiction, en écho au titre prémonitoire d'un de ses précédents livres Le serment des barbares. Comme si Boualem Sansal depuis son retour en Algérie était lui-même devenu le héros malgré lui de ses propres fictions. S'étant rendu mi-mai à Jérusalem invité à présenter Le village de l'Allemand traduit en hébreu, il est un des rares auteurs du monde arabe à aborder frontalement la question souvent taboue de la Shoah. Pour avoir révélé sur un mode fictionnel dans ce roman l'histoire vraie d'un SS allemand réfugié en Algérie venu y former les cadres de l'armée nationale après l'indépendance. Le retour des fantômes : ici se télescopent réalité et fiction autour des suites de la guerre civile algérienne des années 1990 qui se conclua elle aussi par d'autres centaines de milliers de tueries impunies...
Mais aller à Jérusalem, capitale des monothéismes, pour un écrivain sans frontières est aujourd'hui synonyme de fatwa aux conséquences imprévisibles. Comme les livres, celle-ci circule plus vite relayée par les médias mais ne connaît non plus de véritables limites. Dans leur prêche quotidien du vendredi, les Ayattolahs avaient commencé à coloniser l'Université de Téhéran devenu premier lieu de prière au détriment de la Mosquée pour islamiser peu à peu les lieux profanes de la pensée. Dès septembre 1988, Salman Rushdie banni pour ses écrits par ces Ayatollahs dû éprouver cette condition de l'écrivain maudit pour devoir survivre dans la clandestinité dans différents endroits du monde.
Faudra-t-il que Boualem Sansal continue à se terrer dans son village près d'Alger, à craindre l'incertitude, condamné à distance par le Hamas qui n'a sans doute jamais lu son œuvre mais aussi honni dans son propre pays l'Algérie comme nouvel ennemi fantasmatique de la cause palestinienne ? Boualem sans doute bien mal lu dans le Proche-Orient, souligne l'existence d'Auschwitz et rappelle à sa manière l'existence vraie d'un SS devenu moudjahid. La fatwa déborde les frontières avec d'autres conséquences puisqu'un écrivain peut aussi être discrédité en plein Paris par des ambassadeurs accrédités du monde arabe, réfugiés eux dans leur seule raison d'Etat, ne souhaitant plus aujourd'hui faire décerner ce prix annuel du meilleur roman arabe pourtant déjà attribué par un jury d'écrivains impartiaux pour son dernier roman Rue Darwin.
L'islamisme autoritaire, relayé par ces derniers représentants d'une pensée officielle, a encore une fois banni la liberté d'expression au nom du populisme ou du politiquement correct. Au fond un écrivain, véritable ambassadeur de la paix éveillerait-il des lecteurs à une nouvelle forme de littérature considérée in fine comme "mal voilée" ? Ironie du sort, en 1939, le philosophe Walter Benjamin, juif allemand et donc devenu "sans nationalité", traqué pour se suicider à Port Bou, avait lui songé pour échapper au nazisme à partir en Palestine pour y trouver la liberté... Boualem Sansal pourra enfin la retrouver le 21 juin chez son éditeur à Paris pour recevoir son prix et s'exprimer dans l'attente de printemps meilleurs.
Kristian Feigelson, coauteur de Just images, ethics and cinematic (Cambridge Press, 2011).
Kristian Feigelson, sociologue, Sorbonne-Nouvelle/EHESS
Le Monde.fr | 21.06.2012
In : http://www.lemonde.fr
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Avigdor Lieberman demande à Laurent Fabius d'aider l'écrivain Boualem Sansal
Lors de leur rencontre hier à Bruxelles, le ministre israélien Avigdor Liberman a fait part à son homologue français Laurent Fabius que bien que des éléments radicaux dans de nombreux Etats du Moyen-Orient ont gagné en force, le « printemps arabe » a aussi révélé de nouvelles forces des jeunes, instruits et libéraux. Ces forces comprennent que leur problème n’est pas le sionisme israélien ou les Juifs. Mais qu’il s’agit de la pauvreté, de l’énorme fossé entre la majorité de la population et un petit groupe qui détient les richesses par l’exploitation inéquitable des ressources naturelles et de la division injuste du revenu de ces ressources. Le plus grand danger pour ces nouvelles forces est le radicalisme et les groupes militants identifiés avec le djihad, l’Iran et Al Qaida. (…) Avigdor Liberman a également soulevé la question de l’écrivain algérien Boualem Sansal, qui devait recevoir le prix du roman arabe.
Les commanditaires, les ambassadeurs à Paris des pays de la Ligue des États arabes, ont décidé d’annuler la cérémonie et de retirer le prix à la suite de la participation de Sansal à l’International Writers Festival à Jérusalem en mai.
Le ministre israélien à remis au ministre français une lettre dans laquelle il demande au gouvernement de la France d’aider Sansal, qui vit à Paris, et de soutenir publiquement sa position concernant la discussion et le dialogue entre Israël et les États arabes. Pour Liberman : « c’est le devoir moral du gouvernement français. »
24 Juillet 2012 Par Lucas Martin
In : http://blogs.mediapart.fr/
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Lettre ouverte à Boualem Sansal
Cher Boualem,
Le refus - d'ailleurs embarrassé - des ambassadeurs arabes, qui au surplus n'étaient pas unanimes, de te remettre un prix, a fait de toi une star. Or je sais que tu détestes cela et que tu n'aimes pas profiter, sur un plan personnel, de la défense que tu t'es imposée des justes causes. Tu es un romancier dont le talent est reconnu - je dirais même consacré - par l'un des jurys les plus exigeants d'Europe, celui du Prix de la Paix des libraires allemands.
On ne peut parler de la littérature francophone sans te citer, et il y a autant de gens estimables qui te réprouvent que de gens peu estimables qui t'approuvent. C'est cela qu'Henry de Montherlant, qui a écrit de beaux textes sur notre terre natale, a accepté d'appeler la gloire. Il ajoutait : "Tout le problème ensuite c'est ce qu'on réussit à en faire".
Pour ma part, tu sais avec quelle chaleur et fidélité je partage tes succès littéraires depuis que j'ai lu ton premier livre "Le serment des barbares", depuis que je t'ai écrit qu'il me rappelait mon ami Kateb Yacine, et depuis que tu as participé à un hommage qui m'était rendu aux côtés de Lakhdar Brahimi, ancien ministre algérien et d’Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël à Paris. Déjà, par notre réunion à tous quatre, nous avions abattu nos cartes et indiqué le chemin : celui de la fraternité, de la culture.
"Nous ne sommes pas des modérés"
Pour moi, quelles que fussent les outrances capricieuses que tu te permettais sur notre terre natale et dans notre langue, le français, j'appréciais plus que tout ton indépendance. Ce n'est pas un mot que l'on peut employer à la légère. Car il définit un comportement incroyablement exigeant devant toutes les pressions, toutes les influences, toutes les modes et toutes les injonctions dont nous sommes accablés.
Quelqu'un a dit de moi que mon indépendance était faite de modération et j'en ai été fort irrité. Car c'est tout le contraire. Nous ne sommes pas des modérés, ni toi ni moi : nous combattons sur tous les fronts, et ce presque en même temps. J'ai écrit un livre, un jour, sur la condition juive. Un grand ami disparu, Mohammed Arkoun, m'a fait l'honneur de dire qu'il voudrait pouvoir écrire sur l'islam avec la même liberté que celle dont j'avais alors fait preuve. Des hommes comme toi sont en train de montrer le chemin préconisé par Arkoun.
La sainteté unit
Voici qui me fait penser à tes propres attitudes. Non content d'avoir vitupéré contre tous ceux qui ont confisqué la mémoire et l'honneur d'une révolution algérienne - qui reste grande lorsqu'on n'oublie pas que des hommes et des partis très différents l'ont conduite ; non content de cette iconoclastie, tu t'es rendu librement, spontanément, naturellement, en Israël. La terre qui devrait être sainte, car la sainteté unit et le sacré divise. Tu as rejoint ici l'esprit même de l'universel. Ce que l'on ne dit pas, en te critiquant ou en te rendant hommage, c'est qu'il y a en Israël - je viens d'en apprendre le chiffre - 452 organisations qui ont décidé, soit par la musique, soit par la médecine, soit par l'athlétisme, de fonder leur action sur l’entente israélo-palestinienne.
Tout le monde cite à juste titre les noms de Daniel Barenboim et d’Edward Saïd, qui ont formé des orchestres judéo-arabes un peu partout dans le monde. Mais sait-on qu'un homme comme Daniel Schulman, spécialiste du sanskrit, a créé un organisme chargé de reconstruire, tous les jours, les immeubles des Palestiniens détruits par des nouveaux colons ?
Cette dernière histoire nous rappelle d'ailleurs que ces colons existent - et je parlais d’eux récemment. Avec David Grossman, ce grand romancier dont je suis heureux d'apprendre que tu es devenu l'ami. J'ai eu l'émouvant honneur de partager avec lui un prix à Barcelone. Je suis heureux de te parler de lui pour te suggérer de veiller comme lui à n’être récupéré par personne. Il ne faut pas que notre indépendance profite à nos ennemis. Il est plusieurs Algéries, mais il y a deux Israël, dont l'un, celui des colons, ne fait pas partie de notre univers. L'histoire les a placés là où ils sont, mais eux estiment que c'est Dieu qui les y a installés. Nous avons tous les deux nos obscurantistes. Je répète que l'indépendance consiste à se battre contre eux, et sur tous les fronts. C'est harassant ! Sans doute ! Tu peux en croire ton vieil ami qui t'embrasse !
le 19-07-2012 Par Jean Daniel
In : http://tempsreel.nouvelobs.com
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