Aujourd’hui, disais-je, lorsque j’entends « confinement », j’entends
en même temps « enfermement ». « Restez enfermés (confinés) chez vous,
sauf pour de courtes exceptions » entend-on régulièrement à la radio et à
la télé. On peut déroger à la règle « pour, par exemple, pratiquer
brièvement un sport individuel ». Les termes exacts portés sur
l’Attestation de déplacement – que l’on doit absolument porter sur soi
avec sa pièce d’identité sous peine d’amende – sont ceux-ci :
« Déplacements brefs à proximité du domicile, liés à l’activité physique
individuelle… » Il y a d’autres exemples. Très bien. Mardi dernier
lorsque je découvrais cette « Attestation de déplacement dérogatoire, je
me suis demandé « mais que signifie ‘‘bref’’ ? » Le dictionnaire nous
enseigne que le mot bref veut dire « Qui est court », « qui a peu
d’étendue ». Comment puis-je continuer à marcher avec cette définition ?
me suis-je alors questionné. Et que veut dire « proximité » ? Le même
dictionnaire répond sans se fouler « à faible distance, aux environs
immédiats ». Faire le tour de deux, trois pâtés de maisons pensai-je. De
gros pâtés alors, car il me faut répondre aux « recommandations
fortes » de mon médecin « marchez une heure et demie par jour au pas
accéléré ». C’est qu’il se fâcherait le toubib.
.Rester enfermé, sauf pour marcher, une fois par jour. J’ai donc
continué à marcher ce mardi-là et chaque jour comme les jours d’avant.
Oui, il nous faut désormais dire « les jours d’avant », car depuis son
déclenchement cette pandémie ravageuse de Coronavirus – une pierre
blanche, plutôt noire – est un marqueur majeur pour notre monde, une
frontière haute plantée entre deux mondes. Une date charnière. Une date
historique comme la naissance de Jésus-Christ il y a 2020 ans (date
erronée par ailleurs), où l’extinction des dinosaures il y a 65 millions
d’années. On dira « c’était avant le coronavirus » comme on dit « avant
J.C » ou « après le coronavirus », ou encore « pendant le
coronavirus ». Le monde d’après sera autre. Un nouveau monde naîtra
demain à la suite de cette dramatique et scandaleuse expérience humaine,
je l’ai rêvé et je l’ai récemment mentionné. Un monde qui fera de la
fraternité une vertu cardinale, auprès d’autres. « naïf » ai-je entendu
dans mon rêve. Nous sommes pour sûr des millions de naïfs à penser,
espérer ce nouveau monde. Nous y croyons et nous l’espérons les bras
décroisés, le corps et l’esprit en action. Évidemment.
Mais
revenons à nos oies d’aujourd’hui. J’ai donc
continué à marcher mardi, mercredi, jeudi, vendredi et tôt ce matin comme les
jours d’avant. Le soleil pointait au-dessus des arbres, bouffi d’insolence et
impassible avec plus ou moins de vigueur, comme hier, et comme demain. Les
fleurs du printemps « ces rêves de l’hiver » (Khalil Gibran)
commencent à bourgeonner. Voyez la vigne ! Les rues étaient entièrement
silencieuses. Le gazouillis des oiseaux, frénétique. Et mes pas qui se
bousculaient. Au détour d’une ruelle, un homme surgit avec son petit chien noir
au bout d’une laisse, tout frisé, un masque sur le visage. Il portait des gants
aussi. Nous avons tous les trois, d’un même mouvement, sursauté. Le fox-terrier
se blottit derrière son maître sans même aboyer. Nous avons dit (le monsieur et
moi) en même temps « bonjour » sur un ton identique, empreint d’une
légère inquiétude, plus que de surprise, le sien étouffé par le tissus. Le fox
jappa en trépignant. J’ai traversé la rue et poursuivi mon challenge quotidien
plongé dans mes pensées, mais en rasant les murs ou les arbres, comme si je ne
souhaitais pas que l’on me voie.
Ahmed Hanifi
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