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mardi, février 11, 2025

892_ USHUAIA_ 14_ Santiago de Chili- Valparaiso et Pablo Neruda

892_ USHUAIA_ 14_ Santiago de Chili- Valparaiso

 



À six heures du matin les rues du quartier Independancia commencent à murmurer, à s’agiter. Les trottoirs sont remplis de détritus de toutes sortes, résidus du marché de la veille, autour de la station de métro Punte Calle y canto. Une image m’est venue, celle du marché de Noailles où je me rends souvent. Mais ici, je dois l’avouer, c’est un peu plus pire comme dirait d’aucun. Nous nous engouffrons jusqu’au changement à la station Los Heroes. De là nous nous rendons à Pajaritos. L’autocar pour Valparaiso nous attend. On y fait la connaissance d’un vieux français, barbe et casquette-bleue-qui-fait-jeune, en vacances ici. Et qui souhaite lui aussi visiter la Sébastiana, la maison-paquebot-musée de Pablo Neruda. Et rejoindre Buenos-Aires avant de rentrer en France.

Nous voyageons une heure trente et traversons trois villes dont l’une se nomme Casablanca. Au premier abord le nom de Valparaiso nous submerge de souvenirs très anciens, extrêmement positifs. 

Nous sommes derrière le Terminal des bus, à hauteur de la Farmacia Almendral à l’angle de Chacabuco et Rawson. Nous recherchons le meilleur trajet pour nous rendre au musée. Nous avec « le Routard 2023/2024- Chili Île de Pâques » penchés sur la page « 112, Valparaiso », notre ami alsacien, le Français est Alsacien, consulte la position Gps sur son i-phone. Une phrase pour dire ici que nous continuons par atavisme à acheter et à lire pour nos voyages « Le Routard » alors que très souvent (j’insiste) très souvent les informations du guide sont soit dépassées, soit entièrement inventées ou non contrôlées. Elles sont reconduites d’année en année telles quelles.

 

Brusquement, en un éclair ou en une fraction de seconde, c’est comme on veut, nous sommes bousculés. L’Alsacien perd son appareil, arraché en un éclair, je me répète, ou en une fraction de seconde, par un type venu de nulle part. En France on dirait « un basané » ou « de type maghrébin » ou « un Arabe ». Ou, les policiers, « un Noraf ». Je ne dirais rien qui ressemblerait à cela. D’ailleurs quel est le type-alibi dans ces contrées ? le Péruvien ? le local du Sud ? Il n’y a peut-être tout simplement pas de population alibi, tête de Turc ou souffre-douleur.

Aussitôt notre ami se met à hurler en courant comme un lévrier après le malfaiteur « Attrappez-le, attrappez-le ! » Il hurlait en français instinctivement. Il aurait pu hurler en alsacien, mais il a fait un autre choix. Le français. Mais les Chiliens, s’ils ne comprennent pas cette langue, ils saisissent immédiatement qu’il s’agit là d’un pickpocket. Ils crient eux aussi, mais nous ne savons quoi. Le voleur tourne au coin de la rue Rawson, en direction du Terminal des bus, glisse, il est vite rattrapé (presque) par notre Alsacien. Entre temps le portable lui est tombé de la main. Deux agents de la police, en uniforme kaki et gilet jaune, des carabineros, qui patrouillaient dans la zone,  sautent sur le voleur qui porte lui aussi un gilet jaune, d’où la confusion dans l’esprit de notre ami Alsacien, qui, un instant, prend les policiers pour des complices du voleur. Les policiers le maintiennent à terre, devant le magasin Alimentos Tatin et aussitôt menottent ses mains dans le dos. Il crie. Sans effet. L’alsacien que nous rejoignons sur la rue Rawson est soulagé lorsque les agents des forces de l’ordre (quatre dont deux en motos) lui demandent en espagnol et en utilisant leur traducteur vocal et écrit de raconter ce qui s’est passé. Entre temps est arrivé un véhicule de police vert et blanc « Carabineros de Chili » qui embarque le voleur. Deux autres voitures identiques (sans grillage intérieur) arrivent. Les policiers nous proposent de nous accompagner jusqu’au lieu que nous souhaitons, mais au préalable ils nous faut signer notre déclaration au commissariat de police.

Nous disons « Le Musée Pablo Neruda », L’Alsacien ajoute « moi je me rendais au Cerro San Juan de Dios » « Ok » fait le policier. Nous sommes véhiculés jusqu’au commissariat central, une grosse bâtisse carrée à l’angle de l’avenue Colón et la calle Buenos Aires. Sur place les mêmes policiers plus deux autres, autour d’une longue table en bois (4mX2) nous proposent de raconter l’événement. Un autre, qui avait l’air d’un grand chef, (à peine la trentaine) nous dit (lui aussi avec son propre appareil de traduction) : « racontez sans angoisse ni stress racontez normalement, calmement, les faits, rien que les faits ». Je ne sais ce qui en notre attitude l’autorise à dire cela. Mais bon, voici le récit de l’Alsacien, le principal intéressé : « J’étais en train de consulter le Gps de mon téléphone pour situer la maison de Pablo Neruda que mes amis avaient programmée dans leur visite à Valparaiso et voir aussi où se trouve le quartier de la colline San Juan. Brusquement, en un éclair, je suis bousculé. Je sens une main s’agripper à mon appareil, qui me l’arrache en une fraction de seconde. Le voleur est reparti en courant en direction de la rue près du Terminal des cars. Alors je me suis mis à le poursuivre en criant ‘‘attrapez-le !’’ à plusieurs reprises. J’ai compris et j’ai été soulagé lorsque, dix mètres plus loin, je l’ai vu à genou devant un magasin, les mains dans le dos devant des policiers avec des gilets jaunes. Les gilets de la police, m’ont un moment perturbé car le voleur avait lui aussi un gilet jaune. Mais après-coup, j’étais rassuré ». Puis, après la signature du PV nous avons échangé avec plusieurs policiers, très sympathiques. « Depuis quand êtes-vous au Chili ? qu’avez-vous aimé ? … » Ils nous ont promis de nous renvoyer une copie de la déclaration par mail. Il y avait aussi, une jeune policière en tenue devant son bureau, à pianoter des notes et en même temps en fredonnant des airs entraînant. La joie et la bonne humeur pour tous. 45 minutes ont passé. Les policiers nous saluent et deux d’entre eux nous proposent de monter dans leur belle voiture vert et blanc. Belle mais limite en espace pour nous trois à l’arrière. Direction « La Sebastiana, Ferrari 692 » c’est l’adresse de la maison de l’immense Pablo Neruda. Nous y sommes en quelques minutes, sirène hurlante (par inadvertance) quelques secondes. Respirons car nous changeons de registre. L’Alsacien nous fait de grands signes. À une autre fois peut-être. La maison du poète est grande, c’est une belle bâtisse rose, rouge, blanc posée sur la colline, surplombant le port avec une très belle vue (à chaque étage) sur l’Océan pacifique qu’aujourd’hui une purée de pois nous empêche d’admirer. Elle est posée sur un grand et beau jardin de deux niveaux (5 pour la maison). Lorsqu’il s’adresse à ses amies Sara vial (poétesse de Valparaiso) et l’artiste Marie Martner Pablo Neruda leur demande de rechercher pour lui « Une maison à Valparaiso, originale et confortable, ni trop grande, ni trop étroite, indépendante, mais avec des commerces à proximité. »

La visite de la grande maison s’effectue par le bar avant la salle à manger (et l’on pense à une coque de bateau). On monte l’escalier en colimaçon (les pièces et recoins sont numérotées de 1 à 11) jusqu’à une chambre avec lit, matelas… Au salon on admire un grand tableau de Diego riviera…

La Sebastiana avait été détruite par les militaires putschistes qui détestaient le poète communiste et son contenu volé ou saccagé. Pablo Neruda l’aima au point de lui dédier ces mots :

 

« À "La Sebastiana"

 

J'ai construit la maison.

Pour l'entreprendre, je n'avais que de l'air.

J'ai donc commencé par hisser le drapeau 

et je l'ai accroché au firmament, a l'étoile, 

au jour et à la nuit.

 Le ciment, le fer le verre 

étaient choses fabuleuses, 

plus chères que le blé et comme de l'or, 

il fallait rechercher, il fallait vendre, 

après quoi un camion arriva 

qui déchargea des sacs 

et encore des sacs.

La tour s'enracina dans la terre ferme

-mais cela ne suffit pas, dit le constructeur, 

il manque encore du fer et du ciment, 

du verre, des portes 

et je n'ai pas dormi de la nuit.

Pourtant, la maison grandissait 

et grandissaient les fenêtres, encore un peu d'effort, 

un coup de main au papier, au travail, 

un coup d'épaule et de genoux »

etc. 


À l’extérieur, en amont, un collège porte le nom du poète, en contrebas – la côte est très raide, mais nos sacs à dos supportables ; ni ordi, ni gros appareil photo, ni les kilos de fils et prises électriques, ni bouteilles d’eau (par omission) – à l’angle de la rue Ferrari, face au restaurant… un jardin « Bellavista Florida » où l’on peut prendre en photo les statues de Pablo Neruda et ses amis Mistral Gabriela (prix Nobel de littérature, poétesse et diplomate) et Vicente Huidobro (poète surréaliste et écrivain).

 

Pour nous rendre au Cerro Alegre, très réputé quartier pour ses maisons coloriées, ses restaurants, et ses ascenseurs et escaliers… (En fait « cerro » signifie « collines » perchées sur la ville. Et des cerros à Valparaison il y en a 42 avec pour la plupart des funiculaires ou « asensors ».) On nous conseille le bus 6.12 dont l’arrêt se trouve à deux centaines de mètres de la Sébastiana, à l’angle de l’avenue Alemania. On se croirait dans la « 1 », le « 11 » ou le « 51 » à Oran. Ni foi, ni loi. La folie. Seuls comptent le boitier de vitesses sur sa droite qu’il articule avec la main gauche (oui la main gauche) et le portable coincé entre la main et l’oreille droites, le regard droit devant et la pédale d’accélérateur au plancher. Encore un effort et il battrait les chauffeurs oranais qui eux, s’autorisent le luxe d’ajouter à ces exploits un gobelet de café posé entre les cuisses et une cigarette coincée entre les lèvres. Du Lucky Luke presque jamais vu. On s’accroche aux barres, aux sièges, où on peut, pour ne pas se retrouver collé à la vitre ou allongé par terre. On lui dit quand même en sautant du bus, la portière ouverte depuis presque une minute, « muchas gracias » sans le penser vraiment. Mais le jeune chauffeur dynamique n’a que faire de nos remerciements. Il est déjà à l’autre bout du virage.






Alors que dire de Cerro Alegre ?  Que ses rues sont pavées pour beaucoup d’entre elles. Que le tremblement de 1906 a lourdement endommagé ses maisons. Mais que la plupart ont été reconstruites. Les maisons et les escaliers qui montent (ou descendent), comme les ascenseurs, sont aujourd’hui très colorées avec des peintures extravagantes, agréables au regard. Ses nombreux restaurants typiques sont eux aussi colorés à l’exemple du « Café Zeit » à l’angle de Amirante Montt et Galos. Et la musique, chilienne et internationale, s’incruste dans tous les endroits. Ici et là des murs sont dédiés au peuple palestinien : « Free Gaza ».

La marche de Cerro Alegre au Terminal est agréable avec les étals sur la place Victoria, et les promeneurs du boulevard Errazuriz, Brasil, Yungay, et l’avenue Montt jusqu’à la gare routière… On nous regarde parfois avec, nous en sommes convaincus, le désir de communiquer, de nous demander qui sommes-nous, d’où venons-nous… alors il nous arrive de sourire, d’échanger quelques mots…. « Francia, Argelia… » Et cela me renvoie à ma jeunesse… Vingt ans à London, 22 à København, à Stockholm, 23 à Warszawa, à Brno, à Praha,  etc. Je n’en dirais pas plus. Nous continuons la marche sans le souvenir de l’agression du matin (nous avons contourné ou essayé de contourner les blocs proches du Terminal des cars). Nous y arrivons et prenons l’autocar jusqu’à Santiago, Morande… Alors, s’il y a un mot à retenir de Valparaiso ce serait « Arc-en-iel » et s’il y en a trois ce serait « arc en ciel, monter, descendre ».

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