Le Caire, Giza- Vendredi 13 juin. La vue sur les pyramides de Giza, de la terrasse de l’hôtel est splendide. À l'heure du petit déjeuner, tardif, je fais la connaissance d’un groupe de Français décidés à marcher.
Deux jours au Caire, et s'il y a un sujet numéro un, il serait le roi soleil. Le vrai. Écrasant. Épuisant. Concernant ce qui nous concerne, les Cairotes dorment sur leurs deux oreilles parce que, justement, les murs en ont. Alors... bouches cousues. Rien sur Gaza, les Palestiniens. Une crainte feutrée. Seulement, personnellement, je suis entré en contact avec plusieurs personnes étrangères. Le moment déclencheur, initialement prévu pour dimanche au Caire n'aura pas lieu. Ce moment et le lieu ont été déplacés, vers le nord pour la ville.... (écrivai-je)
Des appels à témoigner sont lancés par egyptianfront.org via FB, concernant les violences policières égyptiennes, en leur adressant un courriel. Cette nuit, Israël a attaqué l’Iran. Plusieurs installations nucléaires sont alors touchées.
À la terrasse de l’hôtel, je prends un café (pas terrible). J’entends parler français. Un groupe d’une dizaine de gars papotent. Je leur fais signe et me lève. Je prononce « ... marche ? » Les réponses fusent simultanément « ah, non, non ! », « quelle marche ? » Ils ne feront pas d’excellents comédiens ceux-là. Je m’en écarte. J’allais quitter la terrasse lorsqu’arrive, T. qui semble être leur leader. Il explique leur précaution. Grand blond et queue de cheval. Il utilise souvent ces expressions « mon frère » et « salam alikoum », avec l’accent d’un émigré inversé. Agaçant.
Je comprends qu’ils se dirigent vers Ismaïlia, en taxis, par petits groupes. À toutes fins utiles il me transmet leur adresse sur place : « Egyptian Youth Hostel... »
Je continue jusqu’à la gare ferroviaire Ramsès par métro. Je demande à un préposé à l’accueil, les guichets pour aller à Ismailia. Il me dit ne pas savoir. Me désigne un gars qui m’emmène vers un autre, un troisième se joint à nous. Et la souricière est prête. Pourquoi Ismaïlia me demande le quatrième ? Et dans la foulée, il tend la main et dit « passport, your passport » puis me demande de le suivre. Jusqu’au grand escalier. Une vingtaine de marches. À l’étage on prend un couloir sur la gauche, puis immédiatement à droite. Le même couloir qui se prolonge sur une quinzaine de mètres. Impasse. Sur la gauche, un grand espace avec une sorte de comptoir derrière lequel s’affaire une dizaine de policiers (ces gens ne peuvent être autres que policiers) la plupart ne portent pas d’uniforme. Ce sont les Politiques. Ce sont eux qui traquent les marcheurs. Je suis maintenant entouré de trois gaillards. Peu recommandables. J’ai compris. Il y a là une table et beaucoup de chaises. Cinq sont occupées. On me propose la sixième. Les échanges se font essentiellement dans un anglais et dans un arabe dont je ne saisis le sens que lorsqu’ils articulent et parlent lentement. Ils ne comprennent pas que je ne les comprenne pas. Ils se passent le relais. Les questions fusent dans plusieurs langues : Vous êtes d’où ? Votre origine ? le nom, le téléphone de votre hôtel ? Vous voulez aller où ? Pourquoi ? Tourisme ou Rafah ? Rejoindre les marcheurs ?
Les questions se répètent. « Et ça c’est quoi ? » me lance-t-il en exhibant mes échanges sur WhatsApp et les groupes de discussion de GlobalMarch et de Soutien Palestine. Ils sont décidément infréquentables, affichage ostentatoire de leur sale boulot. Certains se font plus discrets, plus corrects. Ils prennent en photos mon passeport, hésitent avec mon bloc-notes dont ils ne saisissent pas l’écriture en pattes de mouche et où tout est consigné. Parfois avec des fleurs, parfois les mots sont crus. Trente minutes plus tard, ils m’invitent à retourner dans le couloir à côté, encadré par deux garde-chiourmes muets. Ils me font un geste pour que je m’assoie sur le long faux tapis de prières. On m’a proposé de l’eau. Le jour s’effiloche, mais la température est implacable. Une demi-heure plus tard, arrivent de la salle d’autres officiers. On revient à mon point de départ. La grande salle des pas perdus, plus près des trains, côté arrivées, derrière les tourniquets. On me propose de m’asseoir là. Il n’y a pas de chaise, mais une longue bande métallique, tout le long du mur. Je vois un jeune homme de la police politique. Il tient dans sa main droite des passeports. Le mien et celui des trois personnes derrière moi. Trois filles espagnoles. Elles ont acheté un billet pour un départ ce soir à 22 heures.
Le gars régurgite un discours où se mélangent, pêle-mêle le danger, les juifs, l’Occident, la Grande patrie arabe avec l’Égypte en tête, la destruction de la Syrie, de l’Irak, de la Libye, l’Islam, les Frères Musulmans, la naïveté des jeunes occidentaux, l’entrisme de certains dans cette « GlobalMarch » et bien sûr le rôle majeur d’Israël et son intérêt dans ce qui se trame. La dernière preuve, aujourd’hui même, l’agression de l’Iran. Ce policier, tout lisse, me demande d’être son avocat auprès des trois femmes qui nous regardent. Il s’en va, les passeports serrés dans sa main.
Les trois femmes sont super-sympas. Au premier abord, elles me disent ne pas être concernées par ces marches. Puis, peu à peu, je leur explique mon point de vue sur ce qui m’a été dit dont l’objectif inavoué est de faire passer leur message. Elles viennent des îles espagnoles et du continent. Nous finissons par n’avoir que le sujet de la marche en discussion., et notre situation présente. On récidive. Décidément les flics veulent se montrer conciliants. On nous offre de l’eau, du café... Passe le temps. Le jeune flic en civil revient avec son discours de propagande, de plus belle. Une façon comme une autre de faire patienter. Les trois femmes demeurent assises, à consulter leur téléphone. Le mien est toujours aux mains de la police.
Au bout de trois heures, à 22 heures, on nous rend nos passeports et mon téléphone. Les policiers nous demandent de les suivre jusqu’à l’extérieur. Un des flics hèle un taxi et lui demande de nous raccompagner à nos hôtels respectifs. En route elles décident de changer d’hôtel. Adieu disons-nous à Ismailia et à Rafah. Est-ce vraiment un adieu ? Demain, il fera jour. Et les jours suivants.
Sa 20250614_ 17 h
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MESSAGE DE SAMUEL GRETTENAND _ LE 16 JUIN 2025












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