930_ MARCHE POUR GAZA_ LE CAIRE +10
Le lundi suivant, je reçois un message de France-Palestine où il est question du retour le lendemain 17 de la délégation française. Mes amies ne savent pas si elles partiront le lundi soir, le lendemain ou plus tard.
La chaleur est la même depuis mon arrivée. Autour de 36 la journée (entre 10/11h et 18 h). On a beau baigner dans la noble lutte, il y a nécessité de prendre quelques moments de recul. Chez Abou Tarek on nous sert un bon Koshary (le plat qui a fait connaître mondialement ce restaurant). Et au « Café riche » à la Talaat Harb, un bon verre. « Un missile iranien est tombé à 300 m du siège du Mossad ». Divertissement, et légèreté, d’une certaine façon. La discussion tourne autour de la littérature, on glisse de Cervantes (Don Quichotte) et sa captivité à Alger, à Borges (Ajedrez) et à Ibn Thufaïl (Hayy ibn Yaqdhan) et enfin à mon roman et la symbolique du 4 (les éléments d’Empédocle etc.)
Nous nous ressaisissons et le vendredi nous nous rendons au Croissant rouge égyptien (Al Mintaqah as Sadisah,Nasr City) et à l’Hôpital palestinien (Al Thawra Street 64). Mes camarades sont des spécialistes en acupuncture. Et membres d’une organisation humanitaire. Elles souhaitent proposer aux responsables une sorte de contrat (un protocoles de traitement de la douleur et du stress post-traumatique) non ponctuel, suivi de formations éventuellement et de diverses aides. Nous sommes accueillis de manière quelconque au Croissant rouge, peut-être même avec suspicion, où nous avons eu affaire à deux médecins. Si l’une l’était, médecin, le second avait plutôt l’air d’un flic pas très clair. Pour sa petite tête nous ne devions pas casser trois pattes à un canard. Par contre, nous avons été accueillis très aimablement dans l’établissement hospitalier dirigé par le docteur Tarik Arafat, un neveu de feu Yasser Arafat, derrière l’avenue de la Révolution.
Nous changeons d’air en nous rendons dans la vieille ville du Caire. Nous visitons ses nombreux monuments religieux. À l’hôtel, D. (de parents espagnols et palestiniens) m’aide à camoufler certaines applications (telegramm, WhatsApp etc.) de mon téléphone. Sait-on jamais.
Le 19, je me rends à l’Institut français, dans le quartier de Mounira. Il n’y a pas grand monde, pas même le responsable qui m’aurait peut-être autorisé à prendre des photos, car « il est interdit de prendre des photos »... On verra bien.
On apprend que La caravane pour Gaza a pris le départ pour rejoindre Tunis hier et qu’elle atteindra la capitale le 19 juin. Je reçois ce message de Telegramm... « R2. vous a ajouté à ce canal... » ‘‘Marche pour la Palestine’’... Il était temps. Cela confirme une organisation très aléatoire au niveau de certains pays. J’en ai fait la remarque à Paris. Ah, la magnifique organisation espagnole !
Un dernier moment sur la terrasse de notre hôtel avec R. Nous sommes sur le point de nous séparer (dans un ou deux jours). X. nous rejoint, ainsi que A. qui a raté son avion.
Au dernier étage de l’hôtel, en sa terrasse, c’est la fête. On chante, on danse. Nos corps ont fini par prendre le dessus sur l’esprit. On chante, on danse, « Solo le pido a Dios / Que el dolor no me sea indiferente » répète R. On cogne le sol à la manière des Indiens d’Amérique, à la manière des Palestiniens, dépossédés les uns et les autres. « Leve, leve, leve, viva Palestina », vous vous souvenez ? R. me fait découvrir cette chanson qui l’émeut beaucoup dont elle a dit quelques vers. Elle trouve la traduction française moins pertinente. Il s’agit de Sólo Le Pido A Dios de Mercedes Sosa. (Je vous l’offre en vidéo ci-dessous).
R. a commencé une tentative d’explication avec Chat GPT, mais elle n’a pas réussi. Elle en avait les larmes au bord des yeux. Une photo d’enfant de Gaza, mutilé par des éclats d’une bombe israélienne. Sa tristesse est profonde, communicative.
J’ai demandé à X., A. (qui est d'origine palestinienne), et R. si elles étaient d’accord pour écrire chacune un texte sur ce que nous avons vécu ici depuis le premier jour. Il serait intéressant que vous puissiez chacune, et moi avec vous, exprimer notre vécu et notre ressenti depuis que nous sommes arrivés au Caire, ce qu’est ce combat et comment il s’intègre dans l’ensemble des luttes pour la liberté du peuple palestinien. Des textes, où la dimension subjective serait forte. Cela fera un témoignage à quatre voix, des témoignages à notre hauteur, à ajouter à d’autres, de nombreux autres. Israël ne peut éternellement demeurer impuni, ni son narratif officiel, occuper de manière permanente les écrans des médias européens en génuflexion.
« Quel enseignement tirez-vous de cette expérience » me demandera plus tard l’écrivaine-journaliste K. ? Voici ce que j’ai répondu : « Je retire de cette exceptionnelle expérience, une richesse d'une extrême fraternité, de solidarité, d'entraide. J'ai participé, comme l'écrivent des animateurs de la « GlobalMarch », « à secouer la conscience du monde » au même titre que chacune des milliers de personnes qui ont marché pour Gaza ou qui se sont déplacées pour cela, même s'il faut se méfier de la démesure. Je dirais que « j'ai apporté ma part ». Et puis, je dirais peut-être « surtout », que j'ai rencontré et échangé avec des personnes dont la vision du monde repose sur un socle idéologique extrêmement généreux, dont les qualités humaines sont exceptionnelles, et pour lesquelles j'ai beaucoup de gratitude. Nos chemins désormais, d'une manière ou d'une autre, se côtoieront, souvent j'espère.
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Je vous propose maintenant le témoignage de mes amies espagnoles à un journal espagnol :
Détenues pour avoir voulu exprimer notre solidarité
Nous étions environ 11 personnes de l’État espagnol retenues, avec des dizaines d’autres — principalement des Français, dont beaucoup d’origine maghrébine — tous réunis par un objectif commun : exprimer une solidarité légitime et accompagner, par notre présence et notre engagement, le peuple palestinien.
Nous sommes avec vous.
Vous n’êtes pas seuls.
Nous ne vous oublions pas.
Et nous ne cesserons jamais de marcher — ici ou ailleurs — jusqu’à ce que le génocide cesse et que les murs du blocus tombent.
Depuis Le Caire,
X. P. & R. R.
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20 juin 2025
Message de GlobalMarch (via Cathy Le Scolan):
1. À tout ceux qui on rejoint et suivi la Marche Mondiale vers Gaza, et à ceux qui l’ont soutenue
Ce que nous avons réussi ensemble au cours des cinq derniers jours est une prouesse. De ceux qui ont marché à ceux qui ont coordonné sans relâche depuis chez eux jusqu’aux millions qui ont regardé, encouragé et partagé tout autour du monde – ce fut un mouvement du peuple, par le peuple et pour la justice en solidarité avec la Palestine.
Ensemble, nous avons mené une action historique visant non seulement à lever le siège mais aussi à secouer la conscience du monde.
2. Nous voulons vous remercier – chacun d’entre vous – de vous être levés avec nous, d’avoir marché à nos côtés et de croire encore à un monde meilleur. Plus de 4000 d’entre nous venant de plus de 80 pays différents se sont physiquement rassemblés pour marcher vers Gaza. Des millions de plus mobilisés en actions de coordination à travers le globe le 15 juin. Et derrière chaque pas, chaque post, chaque appel téléphonique, chaque communiqué de presse et chaque prière vivait un réseau de gens brillants et engagés qui ont fait que l’impossible semblait à portée de main.
3. Nous n’avons peut-être pas rejoint Rafah mais tout comme la Flotille de la Liberté et le convoi Sumud nous avons participé à l’Histoire.
Ensemble nous avons :
- Uni des gens de plus de 80 pays différents pour se rassembler et marcher épaule contre épaule pour la paix.
- Inspiré des actions mondiales qui ont levé des millions pour la Palestine.
- Créé un réseau vivant et durable de gens prêts à continuer à organiser, construire et résister ensemble.
4. Ce fut un travail d’équipe dans tous les sens du terme. À ceux qui ont travaillé dans l’ombre. À ceux qui ont été détenus ou expulsés. À ceux qui ont tenu des veillées, partagé les nouvelles, envoyé de l’amour, créé des graphiques, offert des traductions ou gardé les gens en sécurité - chaque acte a compté. Et rien de tout cela n’aurait pu arriver sans vous.
Ce qui s’est passé au Caire fut plus qu’une activation ; ce fut une révélation.
5. Même lorsque nous avons été empêchés d’atteindre Ismailia, même lorsque nous avons été détenus en essayant simplement de nous rassembler, nous avons montré au monde à quoi cela ressemble quand les peuples refusent d’être divisés. Des gens de différentes origines, religions et nations se sont levés ensemble, solidaires et portés par une vision commune de la justice.
À ceux qui ont été détenus ou expulsés, vous portez cela comme une distinction d’honneur. Votre courage fait partie d’une histoire qui résonnera longtemps. Vous avez montré la voie pour que
d’autres vous suivent.
6. Nous voulions dire aussi, à chacun qui a suivi et souhaitait pouvoir être là-bas : vous y étiez. Vous étiez avec nous. Et nous sommes avec vous. Car ce n’est que le début.
Nous avons marché pour plus de 2 millions de Palestiniens à Gaza qui meurent de faim, sont déplacés et souffrent d’une violence inimaginable. Leur courage est notre boussole. Leur survie notre urgence. Leur liberté notre objectif.
7. Nous partagerons les prochaines étapes bientôt. Et nous espérons que vous resterez proches – car nous construisons quelque chose de puissant.
Ensemble.
Avec un amour profond, de la gratitude et une solidarité acharnée,
L’équipe de la Marche Mondiale vers Gaza.
8. ENSEMBLE NOUS ARRÊTERONS LE GÉNOCIDE
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Post de Safa Chebbi
Montreal, 19 juin 2025
Voici sans doute ma dernière chronique, destinée à clore ce long et intense périple qu’a représenté, selon ma propre lecture, la Marche mondiale vers Gaza. Elle revient sur les événements marquants des dernières 48 heures.
Après des journées de tension, la situation commence à se stabiliser partiellement. Quelques faits significatifs méritent d’être partagés;
La plupart des délégations internationales ayant pris part à la Marche mondiale vers Gaza sont désormais rentrées ou en train de finaliser leur départ. D’ici quelques jours, l’ensemble des participant·es aura regagné son pays, mettant ainsi un terme à ce fort moment de convergence militante.
Parmi les épisodes marquants de cette phase de retour, celui de la délégation grecque mérite une mention particulière, ne serait-ce que pour sa dimension à la fois absurde et révélatrice.
Alors que ses membres s’apprêtaient à quitter l’hôtel, et vol prévu dans les prochaines heures, une descente policière soudaine a eu lieu. Tous ont été interpellés sur place, puis entassés dans un bus de détention avant d’être déportés vers l’aéroport. Il semblerait que le gouvernement ait tenu à leur offrir un “transport gratuit” vers l’aéroport une ironie grinçante qui en dit long sur la manière dont sont traitées des délégations pacifiques, venues et déjà prêtes à quitter le pays.
Du côté de la délégation canadienne, plus de la moitié des participant·es sont déjà rentré·es. Pour ma part, après de nombreux changements de plan, je prendrai officiellement le chemin du retour demain, incha’Allah. Contourner les dispositifs de surveillance a été un exercice complexe, une forme de jonglage permanent, dont je préfère taire les détails pour le moment, par mesure de sécurité.
Aussi Seif Abu Keshk, porte-parole de la Marche mondiale vers Gaza a été aussi libéré aujourd'hui après sa disparition.
Concernant la Caravane Al-Soumoud, après de longues négociations, les trois dernières personnes kidnappées ont été libérées. Cette libération constituait une condition essentielle pour permettre à la caravane de quitter la Libye. Celle-ci est désormais en route vers la Tunisie et devrait arriver le 19 juin 2025 ; elle se trouve actuellement à Ras Jedir.
Alors que cette aventure collective approche de sa fin, vient désormais le temps des bilans. Chaque initiative, chaque réseau impliqué devra prendre le recul nécessaire pour évaluer son action, ses forces, ses limites et les enseignements à tirer de cette mobilisation. Mais au-delà des impressions personnelles ou des prises de parole individuelles, il est essentiel de rappeler que seule la parole des instances collectives d’organisation porte une légitimité politique sur le récit à construire.
Il est aussi essentiel de rappeler que cette importante mobilisation internationale s’est appuyée sur la convergence de trois grands réseaux: la Freedom Flotilla Coalition (par la mer), la Global March to Gaza (par les airs), et la Coordination de l’action commune pour la Palestine en Tunisie (par voie terrestre). C’est cette alliance inédite qui a porté nos actions communes sous le nom « En route vers Gaza, par la terre, la mer et les airs ».
Gaza est encerclée par terre, par mer et par les airs, cette initiative a fait la démonstration inverse : ces mêmes voies peuvent devenir des canaux de solidarité, de résistance et de vie, lorsqu’elles sont investies par la force des peuples.
Cette marche a prouvé qu’il est possible de contourner l’asphyxie imposée par les puissances impérialistes, en tissant des solidarités transnationales, enracinées dans l’engagement collectif, la désobéissance organisée et l’espoir vivant d’une Palestine libre.
Et je finirai par dire quelque chose qui me tient à cœur et que je ne cesserai jamais de répéter : toute action politique ne peut, et ne doit jamais être évaluée en vérifiant uniquement si les objectifs initialement fixés ont été atteints ou non. Il faut aussi en saisir la portée stratégique, la force qu’elle déploie, l’élan qu’elle génère, les ruptures qu’elle provoque, les solidarités qu’elle tisse et les imaginaires qu’elle ravive.
Cette marche n’est pas une fin, mais bien le point de départ d’autres initiatives plus larges, plus enracinées, plus déterminées encore.
Et au cœur de tout cela, il y a Gaza. Gaza qui résiste. Gaza qui appelle. Gaza qui incarne, malgré tout, la dignité debout.
Tant qu’il y aura des peuples pour marcher, crier, désobéir, la Palestine vivra. Et la Palestine vaincra.
Post de Safa Chebbi
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