J’ai commencé il y a quelques jours une double analyse
portant à la fois sur le grand tohu-bohu suscité par le roman de Kamel Daoud,
« Meursault, contre-enquête » et sur le roman lui-même. J’ai
commencé, l’esprit peu tranquille. Peu tranquille pour la raison que, depuis
quelques mois je me promettais de reprendre le manuscrit que j’avais entamé
en mai 2013 et mis de côté en mai dernier pour éditer quelques écrits, ce
qui fut fait (La petite mosquée des Inuits… et un recueil de poésie). Les
écrits furent édités, mais j’ai entamé une « virée » au bled en
novembre, animant des ateliers d’écriture… suivie d’un salon à Istres…
J’ai décidé donc de suspendre mon analyse et de revenir à
mon manuscrit sur la haine, épais d’une cinquantaine de pages.
Ceci étant, il m’a semblé utile de mettre à disposition de
mes lecteurs l’ensemble des documents en ma possession concernant le roman de
Kamel Daoud et l’« affaire » qui en découla, où, malheureusement, se côtoient le meilleur et le pire...
Pour être juste il me faut préciser que ce sont plus les déclarations (parfois intempestives et calculées) de ce journaliste-auteur ainsi que ses chroniques, mais aussi parfois (nous en sommes témoin à Oran comme à Marseille) ses arrogances qui furent mises en point de mire plutôt que son roman dont on peut compter les recensions sur la moitié des doigts d’une seule main.
Pour être juste il me faut préciser que ce sont plus les déclarations (parfois intempestives et calculées) de ce journaliste-auteur ainsi que ses chroniques, mais aussi parfois (nous en sommes témoin à Oran comme à Marseille) ses arrogances qui furent mises en point de mire plutôt que son roman dont on peut compter les recensions sur la moitié des doigts d’une seule main.
Voici donc documents et vidéos…
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K.D 13 12 2014_ F2
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27 FEVRIER
2014
Ce texte est un
condensé par Christiane Chaulet Achour d’une conférence qu’elle a donnée à
Lyon, le 30 janvier 2014, pour l’Association Coup de Soleil en Rhône-Alpes [1].
L’endroit de l’envers : Kamel Daoud et Albert Camus
Les écrits algériens
sur Camus sont désormais si nombreux que nous avons éprouvé le besoin de les
rassembler en une sorte de répertoire, publié ce mois-ci par Casbah éditions, Quand
les Algériens lisent Camus [2].
Cet ouvrage permet de découvrir la richesse bibliographique sur le sujet.
Or, tout récemment,
le roman de Kamel Daoud, Meursault. Contre-enquête, à Alger chez
Barzakh, a retenu notre attention, une fois le « répertoire »
terminé, à la fois par sa performance littéraire mais aussi par le fait qu’il
appartient à la génération de la post-indépendance dont le rapport à l’œuvre de
Camus est différent de celui des aînés.
Une ouverture incitative
Cette contre-enquête
se déroule en 15 chapitres dont le premier chapitre développe les constantes de
reprise et contre-proposition par rapport à Camus et d’évasion vers l’Algérie
actuelle. On peut lire le roman sans connaître l’œuvre de Camus mais lorsqu’on
la connaît l’effet de stéréophonie est savoureux et parfois même désopilant
comme cette première phrase : « Aujourd’hui, M’ma est encore
vivante. »
Le roman raconte ce
qui n’a pas été dit : tout le monde parle d’un seul mort alors qu’il y en
a deux ; ainsi le motif de la contre-enquête est dévoilé : « Je
te le dis d’emblée : le second mort, celui qui a été assassiné, est mon
frère. Il n’en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis
dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me
présentera. »
Un "je"
parle à un "tu" dans un bar d’Oran… évidemment pas dans un bar
d’Amsterdam ! Oran comme dans La Peste ! Ce vieillard ne
laisse pas la parole à son interlocuteur et l’exhorte au silence et à la
patience : les choses seront dites quand elles devront être dites. Très
vite ce narrateur développe une thématique récurrente : s’il écrit et
parle en français, c’est qu’il a appris cette langue qui n’est pas la sienne
pour se mesurer, sinon rivaliser avec Camus, lire son livre et raconter,
lui-même, l’histoire complète qui n’éliminerait pas « l’Arabe ». Dans
ce monde « ciselé » que Camus a su créer, une seule ombre,
« celle des "Arabes", objets flous et incongrus, venus
"d’autrefois", comme des fantômes avec, pour toute langue, un son de
flûte. » L’Arabe sur la plage s’appelait Moussa : « Qui sait si
Moussa avait un revolver, une philosophie, une tuberculose, des idées ou une
mère et une justice ? »
009_KAMEL_DAOUD_-_Le_blog_de_Ahmed_HANIFI_Litt_rature_quotidien_etc_1.3gp
Moussa/Meursault-deux
morts, un frère aîné/son petit frère, deux meurtres, l’un au soleil à 2h. de
l’après-midi et l’autre sous la lune à 2h de la nuit…, le chiffre 2 est
souverain et donne du sens en même temps qu’il montre le jeu auquel s’est livré
Kamel Daoud : reprendre un texte si connu et si controversé sans en faire
une tragédie mais comme un jeu où humour, ironie (de l’histoire…) et invention
donnent une jubilation à celui qui jongle avec Camus et avec l’Algérie. Autour
du « zoudj », Kamel Daoud, brode avec virtuosité. Au bout du … conte,
on verra apparaître une équivalence, Meursault ou l’Arabe, c’est pareil,
Meursault ou lui, le vieux narrateur, partagent la même identité de meurtrier
impuni et d’homme indifférent au monde : « Un Arabe bref,
techniquement fugace, qui a vécu deux heures et qui est mort soixante-dix ans
sans interruption, même après son enterrement. » Et tout le monde a
transformé un meurtre « en insolation ». Le frère qui parle s’appelle
Haroun ; lui et Moussa sont Ouled el-assasse, fils du gardien. Or,
dans « assasse », il y a aussi bien assassin qu’assassiné.
Ce roman est si
intelligent et si bien construit, intégrant reprise, détournement et
transgression de l’œuvre camusienne qu’on souhaiterait tout citer. Ne le
pouvant pas, on conseille de le lire… Car, malgré sa proximité avec L’Etranger,
Kamel Daoud parvient à écrire une œuvre autonome et originale, sans oublier son
objectif qui apparaît comme unique dans le titre mais qui n’est pas le
seul : une contre-enquête pour rétablir justice et droit que la première
enquête a voilés.
Les quatorze chapitres suivants vont
détailler la vie qu’a été celle du frère et de la mère après le meurtre, le
quartier où ils vivaient puis leur déménagement à Hadjout où la mère vit
toujours et, pour le vieillard qui parle, à Oran. Haroun a appris le français
pour lire « un des livres les plus lus au monde », interprétant L’Etranger
comme un récit des origines. Le chapitre 7 offre une magistrale transposition
du fameux « Dimanche au balcon », déjà remis sur le métier par Camus
dans Le Premier homme et qui devient ici « Le Vendredi au
balcon ». Vient ensuite le récit de l’autre meurtre : au début de
l’été 62, Haroun a tué un Français : ce n’est « pas un assassinat
mais une restitution ». Le chapitre 15 est la clôture… « Fin de
partie » comme dirait Beckett ! Le vieillard du bar est au bout de
son histoire, il n’a pas été condamné et, comme Meursault dans sa cellule, il a
rêvé que les autres assistent à sa pendaison avec des cris de haine et
reconnaissent ainsi son existence.
Camus et sa lecture
Kamel Daoud
sollicite plusieurs textes de Camus mais le dialogue massif se fait avec L’Etranger,
avec une prédilection pour l’extension du récit : au-delà de ce que pouvait
voir Camus, l’envers du décor qu’il ne voyait pas et le décor d’aujourd’hui
qu’il ne pouvait connaître. Une fois la lecture terminée, il est patent que
l’Arabe a été oublié sur la p(l)age et que la « colère » de ses
semblables se justifie. Le reproche n’est pas fait à Camus de n’avoir pas
procédé autrement : fils de l’Algérie coloniale – même si ces termes ne
sont jamais utilisés – il ne pouvait concevoir les choses autrement. Dont acte.
En cela il rejoint quelques interprétations universitaires qui, contrairement à
ce qu’affirme Haroun, n’ont pas manqué de souligner la forte contextualisation
algérienne du récit pour comprendre l’escamotage de la victime du meurtre. En
1960, Pierre Nora, approuvé par J. Derrida, interprétait, « L’Etranger
comme un roman algérien dont la dernière scène – le coup de revolver de
Meursault sur un Arabe anonyme – s’offre comme la réalisation fantasmatique
d’un désir inconscient des Français d’Algérie. »
Beaucoup serait à
dire sur les thématiques qui se déploient dans cette contre-enquête.
Evoquons-en trois. La langue tout
d’abord :
de façon appuyée et récurrente reviennent des paragraphes insistant sur Camus,
maître de langue française et sur le style comme transformation du réel et sur
la duplicité de l’écriture dès lors qu’elle s’attaque à l’Histoire plutôt qu’à
la géographie. La femme est très présente tant chez Camus
que chez Daoud. Que ce soit par le biais de la Mauresque prostituée dont
Raymond est le proxénète ou Zoubida qui serait l’amie de Moussa et non sa sœur.
Que ce soit avec les femmes aimées : Marie et Meriem ; plus
contemporain, Kamel Daoud n’a pas la vision conformiste méditerranéenne de la
femme aimante et soumise qu’a Camus et sa Meriem est pleine de vie, insoumise
et constructive. Les mères enfin, en apparence opposées mais qui, au fond se
ressemblent, régnant sur la vie de leurs fils pesamment. L’identité enfin. Meursault. Contre-enquête
est l’histoire d’une restitution de l’identité de base à laquelle a droit
chaque être humain. De cette spoliation naissent des êtres timorés, lâches et
velléitaires comme le narrateur du bar d’Oran. S’il y a toujours « un
autre » dans l’Histoire comme il nous le dit à un moment du récit, il faut
savoir qui il est ; pour que chacun évolue en toute autonomie, il ne faut
pas le réduire à une identité grégaire : hier l’Arabe est devenu Arabe par
le regard de Meursault et a perdu son identité, aujourd’hui, par l’imposition
d’une même attitude religieuse, tous deviennent des Meursault. « Arabe,
je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. […] Dans le quartier, dans notre
monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes.
Point. »
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Il faut aussi, pour
aller plus loin relire les « résumés » du récit camusien qui
jalonnent le roman de Daoud et rétablissent l’endroit, la vie algérienne, de
l’envers, la vie coloniale. Il faut se reporter aux pages 17-18, 69, 75,
88-89 : « Après l’Indépendance, plus je lisais les livres de ton
héros et remontais sa carrière d’écrivain devenu célèbre, plus j’avais
l’impression d’écraser mon visage sur la vitre d’une salle de fête où ni ma
mère ni moi n’étions conviés. Tout s’est passé sans nous, même après la mort du
meurtrier. Il n’y a pas de trace de notre deuil et de ce qu’il advint de nous
par la suite. Rien de rien, l’ami ! Le monde entier assiste éternellement
au même meurtre en plein soleil, personne n’a rien vu et personne ne nous a vus
nous éloigner. Quand même ! Il y a de quoi se permettre un peu de colère,
non ? Si seulement ton héros s’était contenté de s’en vanter sans aller
jusqu’à en faire un livre ! Il y en avait des milliers comme lui, à cette
époque, mais c’est son talent qui rendit son crime parfait. »
Mais Kamel Daoud ne
s’en tient pas à la rectification du passé et c’est ce dépassement qui fait de
son œuvre, une œuvre autonome et originale.
Car redonner un nom
et une identité à son frère et, par extension, à un peuple, aux siens, c’est,
en rétablissant une injustice de l’Histoire, tenter de mettre le doigt sur la
course à la désillusion des années post-indépendance. Ce brouillage
identitaire, à force d’être répété, transforme tous les Algériens en orphelins
comme Haroun, comme Meursault, c’est-à-dire en acteurs passifs face à une
réalité qu’ils ne parviennent pas à maîtriser. « J’ai vu récemment un
groupe de Français devant un bureau de tabac à l’aéroport. Tels des spectres
discrets et muets, ils nous regardaient, nous les Arabes, en silence, " ni
plus ni moins que si nous étions des pierres ou des arbres morts". »
Il semblerait alors
qu’en écrivant Meursault. Contre-enquête, Kamel Daoud a voulu rétablir
une analyse historique, sans reproche ni nostalgie. Certaines de ses chroniques
« Raïna Raïkoum » ont déjà abordé ce devenir des relations
algéro-françaises qui, selon lui, ne pourront repartir sur des bases saines que
si on règle le passé pour solde de tout compte. Si on poursuit dans
l’occultation et le meurtre, réel ou symbolique, on devient tous des Meursault,
« l’Autre est une mesure que l’on perd quand on tue. » C’est ainsi
que je lis toutes les passages sur l’Algérie d’aujourd’hui, par réalisme bien
sûr puisqu’Haroun y vit, mais surtout par désir de clore le débat. Son désir
d’écrire cette œuvre a-t-il été réactivé par la fameuse polémique autour de
« la caravane Albert Camus » ou par le passage aux propos inconvenants
de Michel Onfray à Alger ? Peut-être. Néanmoins, ce solde de tout compte a
largement précédé cette actualité et même le « centenaire » de Camus,
comme on peut le lire dans une de ses chroniques du Quotidien d’Oran, du
27 avril 2006, « L’ "Etranger" de Camus n’est plus le
pied-noir ». Il y a dans ce roman et de façon plus générale dans ses
chroniques, affirmation d’un avenir possible moins déceptif si la mémoire
pervertie n’occulte pas ses potentialités ; un avenir sans Meursault, sans
Caïn et Abel et en redonnant à l’absurde, son sens usuel et non celui d’une
philosophie existentielle.
Dans un Café
littéraire récent à Béjaïa, Kamel Daoud a affirmé : « J’ai démantelé
l’œuvre de Camus, mais avec amusement. » Il faut croire que l’amusement
n’est pas incompatible avec un travail en profondeur et en connaissance de
cause de l’œuvre du « démantelé »… Que cette proposition emporte ou
non notre conviction n’empêche pas la lecture d’un des romans algériens
« camusiens » les plus réussis.
Christiane
Chaulet Achour
Notes
[1] La version intégrale, « Une variation algérienne
sur l’écriture camusienne : Meursault. Contre-enquête de Kamel
Daoud (2013) », figure sur le site
internet de Christiane Chaulet Achour où elle est téléchargeable : http://christianeachour.net./images....
[2] Par Amina Azza-Bekkat, Afifa Bererhi, Christiane Chaulet
Achour, Bouba Mohammedi-Tabti, 2014.
003_ Kamel_Daoud_interview_part_1.3_ Merci Tahia Dzair- gp
MARS 2014
Littératures
du monde
L’objet du crime
« Meursault, contre-enquête », de Kamel Daoud
par Sébastien
Lapaque, mars 2014
En Algérie, où Albert Camus continue d’être lu et commenté comme un enfant
du pays, même ses admirateurs doivent confesser leur trouble lorsqu’on leur
fait remarquer que, parmi les personnages décisifs de L’Etranger, un
seul est privé de nom et de prénom : l’Arabe tué par Meursault de cinq
coups de feu, un dimanche après-midi dans la banlieue d’Alger, au cours d’une
promenade à la plage. On a beau se souvenir du reportage de Camus « Misère de la Kabylie », paru du 5 au 15 juin 1939
dans le quotidien Alger républicain, de sa dénonciation du régime du
travail mis en place par les Français à Tizi Ouzou et ailleurs, il est permis
de se demander si cet Arabe sans état civil n’est pas une fantomatique — et
involontaire — incarnation de la relégation dont étaient victimes les
autochtones assujettis au code de l’indigénat.C’est en romancier que Kamel Daoud éclaire aujourd’hui la question. Né en 1970 à Mostaganem, auteur d’ouvrages de fiction qui ont traversé la Méditerranée pour être publiés en Allemagne, en France et en Italie, le chroniqueur du Quotidien d’Oran aurait pu composer un essai sur Camus et l’Algérie. Mais cette affaire flotte dans une sorte de clair-obscur dont seul le roman peut rendre compte. Daoud le démontre en faisant parler à la première personne le frère de l’Arabe assassiné par Meursault. « Tu peux retourner cette histoire dans tous les sens, elle ne tient pas la route. C’est l’histoire d’un crime, mais l’Arabe n’y est même pas tué — enfin, il l’est à peine, il l’est du bout des doigts. C’est lui, le deuxième personnage le plus important, mais il n’a ni nom, ni visage, ni paroles. »
002_Le
chroniqueur et écrivain Kamel Daoud à la bibliothèque Paroles et
écritures de Sidi Bel Abbes le 01 Mars 2014_Merci Bel-Abbes
Info_29122014
Reclus dans un bar d’Oran où il est encore possible de boire de l’alcool, le
narrateur de Meursault, contre-enquête se confie à un universitaire
camusien qui veut entendre sa version des faits. A son frère, il commence par
rendre son prénom : Moussa. Haroun est au soir de sa vie. Depuis la mort
de Moussa, en juillet 1942, il a connu la guerre de libération,
l’indépendance, Houari Boumediène, la « décennie
noire » et le maintien au pouvoir
d’un Front de libération nationale (FLN) crépusculaire. Les images d’un
demi-siècle d’histoire algérienne défilent dans sa longue confession. Mais là
où l’art du roman atteint avec Daoud une subtilité rare, c’est lorsqu’il fait de
Haroun un troublant Doppelgänger (1) de
Meursault.Car au cours de son existence, lui aussi a été confronté à l’absurdité du monde, à l’impossibilité de l’amour et à un crime sans objet. Et il ne lui déplaît pas de le raconter en français, tandis que l’appel du muezzin à la prière retentit dans la ville radieuse : il veut que l’Arabe, son frère, ait droit au même tombeau de mots que l’Européen condamné à avoir la tête tranchée. Meursault, à propos de son crime, tentait de préciser les « causes » : « Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front (...). Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. » Tué à cause du soleil, vraiment ? Haroun pose la question en faisant entendre des échos de L’Etranger. « Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon bien vacant », jure-t-il avec fierté. En s’en emparant, il fait résonner le fameux trait de Kateb Yacine : « La langue française a été et reste un butin de guerre. »
Sébastien Lapaque
Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud, Barzakh, Alger, 2013,
192 pages, 700 dinars algériens.(1) Mot allemand qui désigne le « double ».
01 JUIN 2014
Meursault, contre-enquête • Kamel Daoud, Editions Actes Sud
Par Béatrice
ARVET • Correspondante La Semaine • 01/06/2014 à 11h36
C'est vrai qu'il aurait pu l'appeler Mohamed, Mouloud ou
pourquoi pas Moussa. Assurément, au regard de l'évolution des mentalités, cet
Arabe sans nom que Meursault tue sous un soleil aveuglant sur une plage
d'Alger, paraît terriblement politiquement incorrect. En prenant la voix du
frère de la victime, Kamel Daoud invente un contrepoint au roman d'Albert Camus
tout en restant sans concession, pour l'Algérie actuelle.
Il
fallait un sacré culot pour se frotter à " L'Étranger* " l'un des
livres les plus lus au monde, inscrit sur la liste des cent meilleurs de tous
les temps par le Cercle norvégien. Kamel Daoud n'en manque pas, qui écrit
chaque jour une charge contre le pouvoir algérien dans le " Quotidien
d'Oran ". Il n'est pas non plus dépourvu d'ambition lorsqu'il affirme
" Je ne réponds pas à Albert Camus, je joins ma petite voix au cri houleux
et muet d'Edward Munch dont Meursault est l'alphabet et le livre sacré. "
D'ailleurs il formule si bien ses intentions que l'on ne peut que s'en faire
l'écho. Il ne s'agit pas ici d'un règlement de comptes, d'une guerre des
mémoires, de faire le procès de Camus ou de la colonisation, mais "
d'écrire pour continuer l'interrogation de Meursault, son face à face avec un
monde sans Dieu ". Et également de donner chair à cet " Arabe "
anonyme, en lui attribuant un prénom, Moussa (Moïse), un passé, une mère
définitivement drapée dans le deuil, un père absent et un frère, Haroun, qui
raconte son histoire dans un bar d'Oran, un peu à la manière de Clamence dans
" La Chute* ". La mort de Moussa dont on n'aurait jamais retrouvé le
corps et la quête obsessionnelle de la mère ont créé chez lui une frustration
et une colère qui ont forgé son identité jusqu'à ce qu'il découvre l'existence
rédemptrice du roman. L'œuvre de Camus est omniprésente dans ce monologue dont
la structure, calquée sur son modèle, donne parfois l'impression d'en être non
seulement le verso, mais le négatif. L'exercice est périlleux. Kamel Daoud ne
s'en sort pas si mal, même s'il peine à convaincre de ses présupposés et que
cet " Arabe " qu'il s'entête à personnifier, reste -
intentionnellement ? - flou. Plus à l'aise avec le volet politique et les
héritages de l'Algérie, il pose lui aussi la question du meurtre et de la
vengeance - y a-t-il de meilleures raisons que d'autres de tuer ? - qui, compte
tenu de l'actualité régionale, donne tout son sens à cet exercice rempli de
références bibliques, historiques ou philosophiques. Un détournement original
de la fiction camusienne à découvrir en même temps que l'on lit ou relit
l'œuvre du prix Nobel.
* " L'Étranger " et " La chute " - Albert Camus (Folio)
JUIN 2014
« Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud
juin 2014
Cinquante ans après
l’indépendance, voilà qu’un écrivain algérien s’empare de la langue française
pour affronter l’autorité du régime actuel et pour faire face à sa
langue de bois. Le français n’est plus, comme au temps de Kateb Yacine,
« un butin de guerre», car le pouvoir en Algérie ne parle plus cette
langue. Il est devenu ce que Kamel Daoud appelle, dans Meursault, contre-enquête, roman
qui fera date dans la littérature algérienne, « un bien
vacant » : une maison de fantômes, pourtant solidement
construite, où l’on peut rêver d’une autre vie1.
Né en 1970, Daoud a été scolarisé en langue arabe dans un
pays qui classe le français parmi les langues étrangères. Dans son école,
m’explique t-il, c’était « une petite matière.»
Aujourd’hui, à l’école Mohamed Benzineb, autrefois l’école
communale où Camus a appris ses lettres, le français est obligatoire
dès la troisième année du primaire. Les élèves font une heure et demie
d’étude, trois fois par semaine—ce qui n’est pas négligeable. Mais toutes
les écoles n’ont pas que de bons professeurs, et certains n’en ont aucun.Daoud s’est mis à apprendre le français «tout seul » à partir de neuf ans, chez ses grands parents à Mostaganem. On croit entendre Camus quand il explique que « très peu de gens autour de moi savaient lire. » En même temps, un père gendarme qui habitait loin lui envoyait de temps en temps des lettres en français, comme un défi.
Être né en 1970 en Algérie, c’est avoir passé les plus belles années de sa jeunesse en temps de guerre, dans la terreur. On ne peut en sortir indemne. Aujourd’hui, chroniqueur au Quotidien d’Oran, sous la rubrique « mon opinion, votre opinion, » Daoud est connu pour un style qui a fait penser à un "mélange entre Thomas Bernhard et Alexis de Tocqueville" , colère lyrique tempérée de percutantes analyses de société. Son atelier d’écriture était le journalisme avec les faits divers, au moment où il couvrait les procès pour Le Quotidien d’Oran dont il a été pendant huit ans rédacteur-en-chef. La littérature en langue française a toujours été pour lui, dès l’enfance, la porte de sortie d’une société meurtrière, par où passaient la femme, le sexe, la poésie, la mythologie grecque—tout ce qui n’était ni récit national, ni Coran. Auteur de nouvelles tout d’abord, Daoud a publié Meursault, contre-enquête, son premier roman, aux Editions Barzakh (Alger) en octobre 2013 ; en mai 2014, Actes Sud (Arles) a publié le même texte à quelques détails près. Le « Meursault » du titre, évidemment, c’est le Meursault de Camus, ce personnage connu de tous, qui ne laisse personne indifférent. En prenant L’Etranger comme tremplin, en s’emparant de son narrateur, Kamel Daoud a réussi un exploit à la fois critique et hautement littéraire.
« Aujourd’hui, M’ma est encore vivante »
Meursault, contre-enquête est un détournement, dans la grande tradition post-coloniale d’ouvrages qui sont des « remakes » d’œuvres canoniques de la littérature européenne. On pense à La prisonnière des Sargasses de Jean Rhys. Dans ce roman de 1966, Rhys reprend l’histoire de Bertha Antoinette Mason, la folle au grenier, fantôme plus que personnage de Jayne Eyre, qui met le feu à la maison de Rochester. Rhys raconte son histoire depuis sa petite enfance dans les Antilles jusqu’à sa folie qui n’en est pas une. Admettons que tout grand roman nous invite à ce genre de réécriture. Comment lire Madame Bovary sans se demander quel fut le destin de la fille d’Emma ; comment tourner la dernière page de Tendre est la nuit sans imaginer la fin de vie de Dick Diver ? Enfin comment lire L’Etranger sans vouloir connaître la vie de l’Arabe ?Pour Daoud, le remake fait écho à ses premières expériences de lecture. Enfant dans une maison où il y avait très peu de livres, son regard s’attardait toujours sur la page « du même auteur » et il s’essayait à imaginer les histoires qui correspondaient aux titres. L’idée de réinventer L’Etranger lui est venu au cours d’une conversation avec un visiteur à Oran qui voulait lui parler de Camus : il ne lui a pas posé une seule question sur l’Arabe.
« Les Arabes dans La Peste et L’Etranger, » disait Edward Said dans un des essais fondateurs de la théorie post-coloniale, « sont des êtres sans nom qui servent d’arrière fond à la grandiose métaphysique européenne qu’explore Camus. »2. Kamel Daoud ne dit pas le contraire. Mais là n’est pas son propos. Pour lui, le fait que le personnage Meursault tire cinq fois sur un Arabe sans nom, qu’il y a vingt-cinq mentions d’Arabes dans le texte sans que l’Arabe assassiné compte dans l’acte d’accusation contre Meursault, le fait que l’ultime crime de Meursault, d’après ceux qui le juge, sera de ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère, tout ceci produit avant tout un désir d’écrire. L’Arabe portera désormais comme nom Moussa, qui fait si joliment écho à Meursault. Puisque Moussa est mort, Daoud fait parler son frère, Haroun, qui aura le soin de raconter le jour où son frère est mort ainsi que sa destinée personnelle et celle de sa M’ma, les survivants du crime. Meursault, contre-enquête commence dans la colère de Haroun contre Meursault. Mais finit ailleurs.
« Tu y comprends quelque chose, toi l’universitaire ? »
Meursault, contre-enquête est un ouvrage qui fera certainement la joie des professeurs de lettres, tant s’y trouvent de clins d’œil aux textes de Camus. Contrainte OuLiPienne: Son roman a exactement le même nombre de signes que L’Etranger. Il côtoie le texte de Camus par des citations, mises entre guillemets dans le texte, et par des reprises d’éléments de l’original, tournés avec science et humour. Quant à la forme du récit, elle s’inspire non pas de L’Etranger mais de ce que Daoud considère comme le texte « le plus sincère et le moins construit » de Camus, La Chute. L’histoire se déroule dans un bar, Le Titanic, devenu depuis l’indépendance Djebel Zendel ( haut lieu des maquisards), où Haroun, nourri d’alcool, fabule. Un bar—le genre d’endroit menacé d’extinction dans la pieuse Algérie d’aujourd’hui, fait écho au bar «Mexico-City» à Amsterdam, où se déroule La Chute. Clamance, dans La Chute, déclame devant un interlocuteur invisible. Haroun livre sa tirade à l’un des nombreux universitaires qui viennent en Algérie pour étudier le grand auteur – les mêmes qui vont certainement éplucher le roman de Daoud.On retrouve à travers la tirade de Haroun à-la-manière-de-La-Chute, quantités de détails de L’Etranger adaptés à l’Algérie contemporaine : Meursault s’ennuie le dimanche ; Haroun le vendredi…. Salamano passe toute la journée à hurler contre son chien ; le voisin de Haroun récite le Coran a tue-tête pendant la nuit ; les Algériens de L’Etranger regardent les Européens en silence ; dans Meursault, Contre-Enquête, ce sont des Roumi (Européens) qui reviennent en Algérie, qui errent en silence « essayant de retrouver qui une rue, qui une maison, qui un arbre avec un tronc gravé d’initiales. ». Et l’absurde camusien ? : « L’absurde, c’est mon frère et moi qui le portons sur le dos ou dans le ventre de nos terres, pas l’autre. » Quand je demande à Kamel Daoud ce que signifie l’absurde en Algérie aujourd’hui, il me répond que « l’absurde est un devoir quand on a le Coran et un récit national qui pèsent trop lourd. On part de l’absurde pour construire du sens ; tandis que ceux qui partent du sens, ceux qui pensent détenir la vérité, finiront toujours dans l’absurde. »
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Le procès de Haroun n’aura pas lieu
Meursault, contre-enquête ne se contente pas de s’approprier L’Etranger pour s’en venger. Le plus beau moment du récit renverse brutalement la colère de Haroun contre Meursault, et donne à Camus le rôle de procureur dans un procès imaginaire que fait Daoud, écrivain et chroniqueur politique, à son pays–à ce que l’Algérie indépendante a fait de sa liberté .Reprenons son récit : En 1962, au moment de la Libération, Haroun, l’homme dont « le frère est mort dans un livre » a 27 ans. Sa mère a trouvé du travail à Hadjout (ex Marengo, où Meursault enterre sa maman) comme femme de ménage ; mère et fils habitent une misérable dépendance d’une maison coloniale. Au moment de la libération, le propriétaire fuit avec sa famille et Haroun et sa M’ma prennent le bien vacant. Et là, dans les premiers jours de l’indépendance, Haroun tue un colon, un certain Joseph Larquais qui venait de se cacher dans les environs de cette maison coloniale abandonnée par les siens. Œil pour œil. Mais aussi acte qui bouleverse le narrateur, devenu maintenant meurtrier à son tour. Il n’est plus du côté de la victime. Et c’est là où sa haine contre Meursault, le meurtrier de son frère, se change forcément en identification ; là aussi où la confrontation de Daoud avec Camus se transforme en admiration pour un deuxième frère, un écrivain qui lui rend son reflet : « j’y cherchais [dans L’Etranger] des traces de mon frère, j’y retrouvais mon reflet, me découvrant presque sosie du meurtrier. »
La scène de l’interrogatoire est sûrement le moment le plus drôle, le plus ludique, de Meursault, contre-enquête. Haroun, tout comme Meursault, est arrêté, et il doit faire face non pas à un procureur mais à un Colonel de l’AFN, qui lui demande non pas s’il croit en Dieu mais s’il croit à la Révolution. Meursault, dans L’Etranger, doit répondre du fait de ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère. Haroun doit expliquer pourquoi qu’il n’a pas pris les armes pour libérer le pays. L’absurde s’avère être une question de dates, et les dialogues qui s’ensuivent sont savoureux :
« Le Français, il fallait le tuer avec nous, pendant la guerre, pas cette semaine ! »
J’ai répondu que cela ne changeait pas grand-chose3. Interloqué sans doute, il se tut avant de rugir : « Cela change tout ! » Il se mit à bégayer qu’il y avait une différence entre tuer et faire la guerre, qu’on n’était pas des assassins mais des libérateurs, que personne ne m’avait donné l’ordre de tuer ce Français et qu’il aurait fallu le faire avant. “Avant quoi?”, ai-je demandé. “Avant le 5 juillet! Oui, avant, pas après, bon sang !”
Autrement dit, si Haroun avait tué son roumi avant le 5 juillet 1962, il aurait commis un acte héroïque de guerre ; après le 5, il s’agit d’un banal meurtre.
D’Alger à Arles
Finalement, Haroun est libéré, sans procès. Il assume son acte. Jusqu’au jour où vient à la maison une jeune femme du nom de Meriem, à la recherche de sources du grand livre écrit par l’assassin de Moussa. Son enquête l’a mené jusqu’à sa porte. Il va l’aimer, elle va lui apprendre le français, et il va enfin lire le livre du meurtrier. Dans l’édition algérienne de Meursault, contre-enquête, celle de 2013, le livre qu’il lit s’appelle L’Etranger. Dans l’édition française, celle de 2014, il s’appelle L’Autre. Dans l’édition algérienne, Daoud joue sur la petite dispute locale quant à l’adresse exacte de la maison de Madame Camus: « L’assassin habitait au 93, rue de Lyon, à Belcourt, mais je découvris, bien des années plus tard, qu’il n’avait, en quelque sorte, pas d’adresse: en vérité, ses disciples ne savaient s’il s’agissait du 93, du 131 ou du 124 »4. Tandis que l’édition française enlève le clin d’œil par une description imprécise de l’endroit, et elle insiste davantage qu’il ne s’agit pas d’un vrai auteur : « L’assassin habitait quelque part dans un quartier non loin de la mer, mais je découvris, bien des années plus tard, qu’il n’avait, en quelque sorte, pas d’adresse.» Dernière modification: Albert Meursault, l’auteur de L’Etranger dans l’édition algérienne, devient , dans l’édition française, simplement « Meursault.» L’assassin de Moussa n’est plus l’auteur du livre, c’est le narrateur5.
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A quelques mots de près, qu’est-ce que cela change? Partout dans ce roman, il y a une confusion vertigineuse entre narrateur et auteur, entre Meursault et Camus : Haroun, délirant, ne voit pas la différence. Et son délire se résume assez bien par ce nom comique, Albert Meursault. Comme si l’on disait F. Scott Gatsby pour Gatsby le Magnifique, ou Jean-Paul Roquentin, pour La nausée. Enlever le prénom « Albert » dans l’édition française adoucit légèrement (mais pas fatalement) le geste de l’écrivain. D’après la jurisprudence sur la propriété littéraire, Daoud a le droit de représenter Albert Camus en tant que personnage historique (droit de biographe), mais il n’a pas le droit de s’emparer d’une œuvre de création. Le problème, et l’originalité de son propos, c’est que Daoud s’empare à la fois des éléments de la vie de l’auteur, et des éléments du texte, et il le fait au deuxième degré. Nous rentrons alors dans le débat éternel, qui existe au moins depuis Proust et Sainte-Beuve : en quoi un écrivain est-il une représentation de son personnage littéraire, et vice-versa ? Conor Cruise O’Brien dans un essai polémique aux lendemains de l’indépendance de l’Algérie est allé jusqu’à dire que Camus effectuait « une solution finale artistique» contre les Arabes algériens, raisonnement qui nous paraît aujourd’hui bien caricatural6. En voulant représenter une société raciste dans un roman, on ne fait pas preuve de racisme. Quant au geste de Daoud, il a joué, avec « Albert Meursault », sur le fait qu’en Algérie, dans le discours autour de Camus, texte et auteur sont fatalement confondus. Daoud a parfois l’impression qu’il existe un bien pensé algérien où «tuer un Arabe dans un roman, c’est le même crime que de ne pas avoir soutenu le FLN. » Créer un auteur fictif qui s’appelle Albert Meursault, c’est à la fois exposer et ridiculiser cette confusion.
Nous avons demandé à Kamel Daoud comment il a vécu la réception de son livre en Algérie et en France. Chaque fois qu’il a présenté son texte dans un librairie algérienne, m’a-t-il dit, il s’amusait à étiqueter dans la salle juges, procureurs, et avocats de la défense : « les Algériens font toujours un procès à Camus. » Tandis qu’en France, après la publication par Actes Sud, beaucoup de journalistes, de lecteurs, voulaient savoir plutôt pourquoi il avait écrit un roman en partant de l’Etranger et, avec un brin de condescendance, ce qui lui donnait le droit de frôler l’œuvre du grand écrivain7. L’audace, pour les lecteurs français et algériens, n’est pas la même8.
Meursault, contre-enquête n’est pas un livre facile ; il faut le lire et le relire pour apprécier pleinement la césure du récit, entre les chapitres VIII et IX, le moment du meurtre qui, tout comme dans L’Etranger, divise le récit en deux parties : ce moment où Haroun entre dans la peau de Meursault, et où Daoud, qui jusqu’alors semblait simplement détourner L’Etranger, va bien au delà9. Attitude qui est confirmée dans l’une de ses plus belles chroniques, « Rapatrier un jour les cendres de Camus.»10. Ce désir qu’il exprime de vouloir élargir l’histoire nationale est quelque chose qu’on entend de plus en plus dans ce pays qui sort de la décennie noire :
Mais viendra un jour où, pour continuer à vivre, ce pays cherchera la vie plus loin, plus haut, plus profond que sa guerre. On devra alors proclamer nôtres les anciennes histoires, toutes nos histoires et s’enrichir en nous appropriant Camus aussi, l’histoire de Rome, de la chrétienté de l’Espagne, des «Arabes» et des autres qui sont venus, ont vu ou sont restés. La langue française est un patrimoine, comme les architectures des colons, leurs traces et leurs actes, crimes ou marais asséchés, génocides et places publiques. Finalement ce qu’il y a de plus émouvant dans Meursault, contre-enquête, c’est cette langue que Daoud fait sienne – pas le français des colons, mais un français rêvé, celui de la littérature, de la liberté, de la justice. Comme le dit son porte-parole Haroun, “La langue française me fascinait comme une énigme au-delà de laquelle résidait la solution aux dissonances de mon monde. Je voulais le traduire à M’ma, mon monde, et le rendre moins injuste en quelque sorte.” Soulignons enfin qu’il s’agit dans son propos non pas de choisir telle ou telle langue, mais de réclamer les bénéfices de la traduction, de faire un va et vient entre le français et l’arabe11. Ce n’est ni un néo-colonialisme, ni une nostalgie, car il faut comprendre que c’est seulement en tant qu’arabophone que Daoud peut faire son geste audacieux envers le français.
Au moment où la France lâche le français au profit de l’anglais, d’autres s’en emparent. C’est un exemple à retenir.
Alice Kaplan – Oran, juin 2014
- Notion qui reste à creuser et que l’on trouve déjà dans un éditorial d’Amin Zaoui en 2010 : http://www.djazairess.com/fr/liberte/135633. Sur le détournement de l’habitus colonial en Algérie, v. Henry Grabar, « Reclaiming the City: Cultural Geographies: Changing urban meaning in Algiers after 1962,” in Cultural Geographies July 2014 21:389-409. Corbin Treacy aborde la question de la langue française dans l’Algérie contemporaine par le biais de son analyse du roman de Maissa Bey, Bleu, Blanc, Vert (Editions de l’Aube, 2006). Le récit de Bey démarre dans un bien vacant de 1962 et se termine en 1992 par la rénovation d’une maison coloniale (Treacy, “Contested Cartographies: Maissa Bey’s Bleu, Blanc, Vert” in The Journal of North African Studies 18:3, 20013.) ↩
- Edward Said, “Representing the Colonized: Anthropology’s Interlocutors,” Critical Inquiry 15, Winter 1989, 205-225. ↩
- Sans être une citation exacte de L’Etranger, cette phrase toute simple reprend à la perfection deux tics verbaux de Meursault, son “j’ai répondu que” (“j’ai répondu que cela ne signifiait rien”; “j’ai répondu qu’on ne changeait jamais de vie”; “j’ai répondu, ‘c’est que je n’ai jamais grand chose à dire”; “j’ai répondu que je ne croyais pas en Dieu”) et son “cela ne…” (“Cela ne signifiait rien,” Cela ne voulait rien dire,” etc.). ↩
- Voir « Il habitait ou exactement ? » http://www.demarcalise.com. ↩
- « Le titre en était L’Etranger, le nom de l’assassin était écrit en lettres noires et strictes, en haut à droite : Albert Meursault. » (Alger, 2013) ; « Le titre en était L’Autre, Le nom de l’assassin était écrit en lettres noires et strictes, en haut à droite : Meursault. » (Arles, 2014) ↩
- Conor Cruise O’Brien, Albert Camus of Europe and Africa (New York: Viking, 1970). ↩
- Par exemple, dans ce compte-rendu très élogieux: “Il fallait un sacré culot pour se frotter à L’Étranger l’un des livres les plus lus au monde, inscrit sur la liste des cent meilleurs de tous les temps par le Cercle norvégien. » http://lasemaine.dev.flare.actunet.com/2014/05/22/meursault-contre-enquete–kamel-daoud-editions-actes-sud. ↩
- Voir les analyses de Mary Anne Lewis de l’exportation de la culture maghrébine: “The Maghreb goes abroad: The “Worlding of Francophone North African Literature and Film in a Global Market” thèse de doctorat (Yale 2013) dont on trouve un résumé à http://pqdtopen.proquest.com/pqdtopen/doc/1495950079.html?FMT=ABS. ↩
- Jennifer Carr, dans un travail de fin de semestre pour notre séminaire doctoral “Camus et la question algérienne,” (Yale, printemps 2014) conçoit le roman de Daoud comme l’inauguration d’un “post-post-colonialisme.” Elle aborde Meursault, contre-enquête à la lumière du célèbre essai de Gayatri Spivak, “Can the Subaltern Speak?” in Cary Nelson et Lawrence Grossberg, eds., Marxism and the Interpretation of Culture (Urbana-Champagne: University of Illinois Press, 1988). ↩
- https://www.facebook.com/kamel.daoud.7/posts/553935261355657. ↩
- Finalement, c’est ni l’arabe classique, ni le français, mais l’algérien, (el-jazayriya), cette langue vivante qui « puise dans d’autres langues » que Kamel Daoud voudrait voir élevée au statut de première langue du pays. Voir son manifeste de juin 2013 : http://www.algerie-focus.com/blog/2013/06/djazairi-le-manifeste-de-ma-langue-par-kamel-daoud/. ↩
06
SEPTEMBRE 2014
Nominé pour 5 prix littéraires : Kamel Daoud en route vers la consécration
« Meursaut, contre-enquête », roman du journaliste
et écrivain algérien Kamel Daoud, est en lice pour plusieurs prix littéraires.
Prix Renaudot, Prix Goncourt, Prix des cinq
continents de la francophonie, Prix de la littérature arabe, Prix
François-Mauriac décerné par l’académie française. Il s’impose
comme la révélation de la rentrée littéraire française.
Au départ, une idée
audacieuse : Faire revivre « l’arabe » tué par Meursaut, personnage principal de l’Étranger d’Albert Camus.
Dans son soliloque,
le narrateur, -qui est le frère de l’arabe-, fait le récit fantasmagorique de
sa vie, de celle de son frère tué, à qui il donne enfin un nom : Moussa. Dans
sa rhétorique saisissante, l’obsession que l’arabe soit enfin reconnu, rythme
la narration.
« Et bien sûr, le soir même j’ai entamé ce livre maudit.
Je me suis sentit tout à la fois insulté et révélé à moi-même. Une nuit entière
à lire comme si je lisais le livre de dieu lui-même, le cœur battant, prêt à
suffoquer. Ce fut une véritable commotion. Il y avait tout sauf l’essentiel :
le nom de Moussa! Nulle part. J’ai compté et recompté, le mot
« arabe » revenait vingt-cinq fois et aucun prénom, d’aucun
d’entre-nous » écrit Kamel Daoud.
Un livre né d’un agacement
Kamel Daoud s’étonne que personne n’y ait pensé avant. « Je trouve l’idée fascinante ».
« Ce livre est
né d’un agacement. Après avoir discuté avec un journaliste français de passage
en Algérie, la question s’est imposée : Camus est-il à nous ou à eux? Puis j’ai
pris le roman de Camus comme prétexte pour construire un texte autonome »
confie-t-il encore.
D’abord publié en Algérie, en mai 2014, par les éditions Barzakh, le roman sort en France Chez Actes Sud. Cette nomination pour
plusieurs prix littéraires lui donne une seconde vie.A l’origine du succès
D’abord, il y a l’idée qui séduit et prend tout le monde de court. Mais il y a aussi l’excellence d’un style :
Extrait : « La nuit fut longue, personne ne dormi. Les gens n’en
finissaient pas de venir présenter leurs condoléances. Les adultes me parlaient
avec gravité. Quand je ne pouvais pas comprendre ce qu’ils disaient, je me
contentais de regarder leurs prunelles dures, leurs mains qui s’agitaient et
leurs chaussures de pauvres. A l’aube, j’ai eu très faim et j’ai fini par
m’endormir je ne sais où. J’ai beau fouiller dans ma mémoire, de ce jour-là, du
lendemain, je ne garde aucun souvenir, sinon celui de l’odeur du couscous. Ce
fut une sorte d’immense journée, grande et ample comme une vallée profonde où
j’ai déambulé avec d’autres gamins graves me témoignant le respect dû à mon
nouveau de « frère du héros ». Puis rien. Le dernier jour de la vie
d’un homme n’existe pas. Hors des livres qui racontent, point de salut, que des
bulles de savon qui éclatent. C’est ce qui prouve le mieux notre condition
absurde, cher ami : personne n’a droit à un dernier jour, mais seulement à une
interruption accidentelle de la vie.«
C’est la première
fois qu’un auteur algérien, vivant en Algérie et d’abord édité en Algérie, est
en lice pour autant de prix en même temps. Pour l’auteur, c’est déjà en soi
« une consécration ».
Fella Bouredji
14 AVRIL
2014
Kamel Daoud: «Il faut être algérien pour penser l'absurde comme Camus»
« Ce qui m’a aidé chez Camus, c’est de redécouvrir l’absurde, comme capital, comme dignité. » Chroniqueur au Quotidien d’Oran, Kamel Daoud publie Meursault, contre-enquête, son premier roman. De l’élection en cours à l’influence de la construction démocratique tunisienne, Kamel brosse un portrait difficile mais riche d’une société algérienne prise entre clientélisation et asséchement intellectuel. Entretien.
e notre envoyé spécial à Alger. Journaliste algérien, essayiste, chroniqueur au Quotidien
d’Oran, Kamel Daoud publie le 5 mai Meursault, contre-enquête, son
premier roman, aux éditions Actes Sud. Ce roman raconte l’histoire non dite,
celle de l’« Arabe » tué par l’Étranger d’Albert Camus. Kamel Daoud
lui donne un nom, imagine sa famille, se débattant dans l’Algérie
postindépendance.
Une manière pour l’auteur de parler de son pays, d’aborder
l’Algérie contemporaine : « Il faut être algérien pour savoir
qu’on n'a même pas besoin d’expliciter ce lien entre l’absurde tel qu’il a été
pensé par Camus et l’absurde politique que l’on vit chez nous. » De
l’élection en cours à l’influence de la construction démocratique tunisienne,
de la « gérontocratie » du régime à la « bazardisation »
de l’économie, de l’influence de la décennie noire à la sclérose culturelle qui
atteint son pays, Kamel Daoud brosse un portrait difficile mais riche d’une
société algérienne prise entre clientélisation et asséchement intellectuel.
Entretien.
Mediapart. Comment traversez-vous la période actuelle, et
ce processus électoral complexe et chaotique ?
J’avais écrit dans une chronique que nous sommes finalement
38 millions de Meursault. Ce rapport qu’avait Meursault à sa mère, « Aujourd'hui,
Maman est morte », la fameuse phrase, c’est ce rapport qu’ont les
Algériens avec l’Algérie. Une sorte d’indifférence maladive vis-à-vis du pays,
du présent, de la responsabilité de vivre, du sens de la vie, qui est
incroyable. Nous sommes dans cet absurde-là. D’un point de vue politique,
aussi. Il faut être algérien pour savoir qu’on n’a même pas besoin d’expliciter
ce lien entre l’absurde tel qu’il a été pensé par Camus et l’absurde politique
que l’on vit chez nous.
Il y a tout de même de petites choses qui ont changé :
ce candidat, Ali Benflis, qui a surgi de dix années de silence, et créé une
dynamique autour de lui, comment regardez-vous cela ? Comme des
personnages animés ? Allez-vous voter ?
J’étais dans la tradition du sceptique total, une grande
tradition philosophique algérienne, ne croire en rien, et en même temps, se
revendiquer comme profondément croyant, ce qui est très bizarre. Mais après, je
me suis dis : « Je vais voter Benflis. » Pourquoi ?
Par stratégie, par effet de barrage, parce que pour moi, sa candidature a au
moins un sens politique. C’est quelqu’un qui a une ambition politique. L’autre,
son adversaire, Bouteflika, le régime, ceux qui sont autour, que
défendent-ils ? Ils ne me proposent rien que la perpétuation d’un état des
lieux que je déteste, que je refuse. Je voterai Benflis.
Et je ne comprends pas qu’un homme qui est malade,
incapable de gouverner, puisse se représenter pour un quatrième mandat. Qu’ils
puissent triturer la Constitution pour le permettre.
Pourquoi ne pas boycotter le scrutin ?
Boycotter, ça veut dire, comme m’a dit une amie,
« discréditer le régime ». Mais ce régime n’a plus peur du discrédit.
Ça ne servira à rien. Je préfère voter, plutôt qu’on vote à ma place. Je
préfère peut-être entretenir une naïveté d’électeur, plutôt que de ne pas
voter.
Quand on enquête un peu sur l’Algérie, on a le sentiment
que le scepticisme s’est installé partout, mais qu’un autre phénomène est
apparu : le clientélisme s’est tellement approfondi que le pouvoir est en
quelque sorte redevable des subsides qu’il distribue, et qu’il ne peut plus
faire marche arrière. Qui clientélise qui en Algérie ?
On a eu la décennie noire, avec le « Qui tue
qui ? ». Maintenant c’est « Qui corrompt
qui ? ». À force de donner beaucoup d’argent, il y a un effet
d’appel : plus on distribue de logements, plus il y a des émeutes autour
du logement. Mais cette dynamique va s’écrouler, car on ne pourra pas donner
indéfiniment. Depuis 15 ans, le régime a réussi à clientéliser de larges parts
de la société : les hommes d’affaires, la société civile, beaucoup de
partis politiques, le milieux associatif. Il n’a pas procédé par répression,
comme dans le reste des pays arabes, mais par clientélisation.
Sauf que cette clientélisation a une fin, c’est une
position qui est intenable à long terme. Et puis le désastre est aussi éthique,
et moral. Qu’a produit Bouteflika en 15 ans ? Une génération d’Algériens
qui ne travaillent pas, qui ne veulent pas travailler. Il a détruit des choses
fondamentales dans l’histoire d’un pays : le sens de la justice, avec sa
politique de réconciliation nationale imposée par en haut ; le sens de
l’effort aussi.
Le symbole, c’est peut-être la corniche qui se construit à
Alger, avec ce grand supermarché qui rappelle les « mall » saoudiens…
Mais oui, c’est la maladie des pays pétroliers. Les
Algériens fonctionnent un peu comme des junkies face à la drogue du pétrole.
Ils ont un rapport au réel qui est altéré, ils sont dans la colère et
l’agressivité quand ils sont en manque. À force de distribution d’argent,
on va vers cette… – est-ce que le mot existe ? –
« bazardisation » de l’économie et de la vie. On deviendra peut-être
des citoyens. C’est peut-être ça, l’ambition de Bouteflika.
Quel rapport entretenez-vous à ces groupes, qui ont une
filiation, Bezzef, la Coordination nationale pour le changement démocratique
(CNCD), et aujourd’hui Barakat, qui portent un propos intéressant mais peinent
à mobiliser ?
C’est un rapport de proximité. J’étais d’ailleurs dans la
CNCD en 2011. Dire que ça ne prend pas, ce n’est pas exact. Je me suis posé la
question : « Pourquoi le phénomène Bouteflika est-il
possible ? » Il a créé une société qui rend ce phénomène-là
possible. Il faut travailler dans l’autre sens. Au lieu d’attaquer frontalement
le régime, il faut repolitiser les gens, expliquer ce qu’est une constitution,
élire, un vote. Vous savez, les Algériens de cette génération sont les enfants
d’une guerre qui a duré dix ans. Ce sont des gens qui ne savant pas ce que sont
leurs droits, le consensus, comment revendiquer, ce qu’est une plateforme, ce
qu’est un élu, une constitution, une loi. Il faut travailler sur le long terme.
Dire que le mouvement Barakat ne prend pas ? Non. C’est un travail de
longue haleine. Ces gens-là ont contre eux à la fois un régime et une société
totalement amorphe, qui ne croit en rien pour le moment, et qui se méfie
absolument de tout leadership.
Bouteflika «ne veut pas une république, il veut un royaume»
La décennie noire du terrorisme a-t-elle encore un impact sur des jeunes qui ont 18 ans aujourd’hui, et qui n’ont pas vécu au rythme des attentats ?Un impact énorme. Ce sont des gens qui ne savent pas ce que c’est que vivre la nuit, un cinéma, qui ne savent pas qu’il peut y avoir un rapport normal de couple, qui n’ont pas vu de couples se promener normalement, ni un homme tenir la main d’une femme dans un jardin. On focalise souvent sur les guerres, mais on oublie souvent que le désastre dure deux générations, celle qui la vit, et la suivante. Ce sont des générations nihilistes, qui ne croient plus en rien, qui sont dans la perpétuation de la violence comme mode d’expression et de revendication. Croire que la décennie noire a été close après dix ans, c’est faux, d’autant que c’est une décennie qui n’a pas été assumée, dite, racontée. La loi impose qu’on l’oublie. Amnistie totale, avec interdiction de remettre en question cette loi, de rouvrir des procès, de penser la chose. Nous, on est allés directement à la soi-disant réconciliation, sans passer par la case « vérité ».
À Oran où vous habitez, le symbole de cela, c’est le théâtre qui porte le nom du grand dramaturge Abdelkader Alloula, victime d'un attentat le 10 mars 1994 (lire ici le portrait de sa fille), tué sans que l’on sache encore aujourd'hui par qui. Que ressent-on, lorsque l’on côtoie pareils symboles au quotidien ? Comment vivez-vous cette fossilisation de la mémoire et de la culture ?
J’ai commencé le journalisme à l’âge de 22 ans, c’était la décennie 1990. Je l’ai fait parce que j’avais envie d’écrire, et parce qu’il y avait beaucoup de recrutement, beaucoup de journalistes étaient tués ou choisissaient l’exil. L’assassinat de Alloula, ça s’est passé dans la ruelle où je travaillais. Ce qui est extraordinaire dans la violence quand elle se produit sous vos yeux, c’est que vous ne la comprenez pas. Vous voyez le sang, le cadavre… mes premiers reportages étaient sur des massacres, un cours accéléré en journalisme et en écriture.
Ce qui est désastreux en Algérie, c’est ce que vous dites : la sclérose culturelle est énorme. On a l’impression qu’il y a eu un deal sur notre dos, entre les islamistes qui ont perdu le pouvoir mais ont gagné la société, et le régime qui a perdu la société mais gardé le pouvoir. Quand vous voyez un régime qui construit la plus grande mosquée d’Afrique, pour ensuite aller se faire soigner en France, là, vous comprenez ce qui se passe ici.
Les bouleversements en cours dans les pays voisins – multiples, la Tunisie n’étant pas l'Égypte ni la Libye – ont-ils un impact selon vous sur la société algérienne ? Ou au contraire, l’Algérie a-t-elle tendance à se « bunkeriser » ?
On a voulu la « bunkeriser ». Dès 2011, le régime a été très malin. Ils ont ouvert trois fronts. Le premier fut de promettre des réformes, c’est le discours d’avril 2011 de Bouteflika, promesses d’ouverture de l’audiovisuel, levée de l’état d’urgence, etc. Finalement, à part des détails, rien n’a été fait. Et au contraire, ils ont tout fait pour discréditer le politique. Imaginez : on interdit les autorisations pour les partis politiques pendant dix ans, et puis d’un coup, on en donne pour 60 partis. C’était pour mieux noyer l’électorat.
Le second front, c’est l’international : on envoie l’actuel président du conseil constitutionnel en France, et deux ou trois ministres en Occident pour expliquer que l’Algérie, c’est une singularité, et que le printemps algérien, cela s’est passé en 1988.
Je me rappelle d’un ministre qui me disait : « L’Algérie a déjà payé. » Et je lui avais répondu : « Oui, mais elle n’a jamais été livrée. »
Le troisième front fut de travailler le traumatisme des années 1990, selon l’équation : démocratie = chaos. Et là, les médias proches du pouvoir ont fait un travail énorme, les images du chaos libyen sont passées en boucle. Ils ont tellement fait peur aux gens que cette équation s’est installée maintenant.
À partir de là, le régime a pu, comme vous dites, « bunkeriser » la société, en arrosant tout le monde. Mais ça ne peut pas tenir. Il y a d’abord un problème de démographie. On ne peut pas être gouverné par des gens qui ont plus de 70 ans, avec des jeunes qui n’ont accès ni à la rente ni au capital symbolique, à l’opportunité de gérer, de donner un sens à leur vie, d’incarner leurs idées, de gouverner.
Je me suis longtemps trompé en croyant que Bouteflika voulait réincarner Boumediene (l’ancien président algérien). C’est une erreur : il veut réincarner Hassan II (le précédent roi du Maroc). Il ne veut pas une république, il veut un royaume. On est dans le « moi » suprême, et on détruit peu à peu toutes les institutions pour faire de la place.
Le parcours tunisien, ce chemin de la dictature vers une construction démocratique compliquée mais qui se consolide de jour en jour, comment le perçoit-on ici ?
C’est un parcours que l’on essaie d’occulter d’un point de vue officiel. On parle du cauchemar arabe, pas du rêve arabe. Tout ce qui ne marche pas est médiatisé. En revanche, l’expérience tunisienne est vraiment occultée, d’autant plus que c’est une expérience assez gênante, car même pour les islamistes d’Ennahda, il y a un virage. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les propos de son président, Rached Ghannouchi. Il pose un concept tout à fait nouveau dans la culture islamiste, qui est de dire : « La majorité n’est pas le consensus. » C’est vraiment extraordinaire. J’ai été pendant des années dans le courant islamiste, et je vous jure que c’est une avancée énorme. Ghannouchi l’a dit lui-même : « J’ai tiré les leçons du cas algérien, mais aussi du cas égyptien. » Cette réflexion sur le consensus, c'est ce qui manque dans notre pays. L’expérience tunisienne est énorme, étonnante, et très pédagogique. Mais ils ont évidemment deux chances que nous n’avons pas : ils ne sont pas passés par une guerre civile, et ils n’ont pas d’armée qui pèse sur le politique. Ils peuvent donc construire un consensus qui ne soit pas parrainé par une force « supérieure ». Mais en tant qu'Algérien, l'expérience tunisienne me concerne, je me sens très impliqué.
« Camus, c’est un Français. C’est ça qu’on nous récite »
D’où est née cette envie de prendre la suite de Camus, et de raconter l’« Arabe » de L’Étranger ?Kamel Daoud : L’idée est venue en 2010, c’est parti d’une de mes chroniques au Quotidien d’Oran. C’était une petite histoire d’agacement. J’avais rencontré un journaliste français qui était sur les traces de Camus à Oran, on était toujours dans le folklorisme. Et par émotion, je me suis dit : « Ils me posent toujours la question : est-ce que Camus nous appartient, ou vous appartient ? » Je suis rentré chez moi, et j’ai écrit ma chronique, qui cette fois-ci s’appelait « L'Arabe deux fois tué ». Et mon éditeur m’a appelé en me disant : « Kamel, c’est une belle histoire, il faut continuer. » En même temps, c’est fou que personne n’y ait pensé avant : imaginer l’Arabe tué dans L’Étranger de Camus, imaginer l’histoire, creuser la brèche. Nommer, au lieu de dénommer. Imaginer une histoire alternative. Je me suis lancé dans ce deal d’une fiction autour d’une fiction. Et ça venait tout seul, il y avait autant le discours de Camus que celui, hypernationaliste et chauvin algérien, sur Camus…
En quoi consiste-t-il, ce discours nationaliste sur Camus ?
« C’est un colonialiste, ce n’est pas un Algérien », c’est l’orientalisme d’Edward Saïd en version primaire. Tout ça, je voulais le mettre dans ce roman, régler tout ce passif. Moi je lisais Camus avant mes vingt ans de manière innocente, c’était Camus, c’était Sartre, c’était Michel Tournier. C’est l’école qui a intoxiqué ce rapport à Camus. J’ai donc voulu exorciser tout ça, et imaginer une sorte de personnage qui règle le compte, non seulement celui de Meursault, mais réellement des camusiens et des anticamusiens. Je ne voulais pas écrire un roman autour de Camus, je voulais que ce soit un point de départ pour une réflexion nouvelle.
Qui est donc cet Arabe deux fois tué ?
C’est le frère de l’Arabe qui a été tué sur une plage par Meursault. Puisque le mort est mort, j’ai imaginé son frère, qui essaie de vendre une histoire à laquelle personne ne croit. Ce qui m’a amusé, c’est la scène où lui et sa mère vont chez les nouveaux maîtres du pays en 1962, en disant : « Mon frère, c’est le premier martyr, on a droit à une pension. » Sauf qu’il n’y a aucune preuve… Il y a une possibilité de fiction incroyable, d’autant qu’il n’est pas nommé. Cela ouvre la porte à toutes les fictions.
Il y a eu une année sur Camus, où l'on a tout dit, et personne n’a pensé à voir l’Autre. C’est tentant du point de vue de la fiction, et passionnant du point de vue de l’Histoire.
Comment peut-on être « intoxiqué » par une lecture algérienne et scolaire de Camus ?
C’est une vision d’exclusion, Camus ne fait pas partie de la généalogie livresque qu’on nous inculque à l’école. Camus, c’est tout à fait un étranger. Camus, c’est un Français. C’est ça qu’on nous récite. Après, l’Algérie que l’on découvre chez Camus, on la découvre par soi, par ses propres lectures. Il y a un hyperchauvinisme sur lequel le parti, le régime, le pouvoir algériens ont bâti leur légitimité pendant très longtemps. Et cette doctrine-là exclut des gens comme Camus.
Au-delà de l’œuvre philosophique de Camus, qu’a-t-il apporté à l’Algérie, aux Algériens ? Et vous-même, par ricochet, que souhaitez-vous apporter avec ce roman ?
Ce qui est extraordinaire, c’est que ce n’est pas L’Étranger de Camus qui m’a sauvé l’âme. C’est L’Homme révolté, c’est Le Mythe de Sisyphe. J’ai été plongé dans le courant religieux qui était prédominant en Algérie, j’ai été islamiste pendant une partie de ma jeunesse. L’œuvre qui m’a aidé, qui m’a marqué, ce n’est pas L’Étranger. L’Étranger, c’est une affaire qui ne me concerne plus. Qu’un pied-noir tue un Arabe, ça s’est passé il y a tellement longtemps, ça n’a pas d’importance pour moi. Ce qui m’a aidé, c’est de redécouvrir l’absurde, comme capital, comme dignité. Lire Caligula, par exemple, ça été important dans ma vie.
Quand j’étais à la fac, il y avait deux réactions à l’œuvre de Camus. Celle, nationaliste, qui parlait de Camus uniquement par le trou de serrure de L’Étranger. Et il y avait les islamistes, qui dénonçaient Camus, mais pas celui de L’Étranger, celui de l’absurde, celui qui tue Dieu, celui de Sisyphe, Camus le philosophe. Camus a été important pour m’autonomiser, pour me sortir du discours religieux ambiant.
Je n’ai pas écrit un roman pour régler une histoire. Je l’ai fait pour imaginer une histoire. L’histoire de la guerre de libération, c’est fini pour moi. Je n’ai pas à porter de cadavre, je n’ai pas à refaire la guerre, la bataille d’Alger, etc. L’histoire de la guerre m’a tué, je ne veux pas la revivre, ni la perpétuer. L’Étranger de Camus, c’était un point de départ, imaginer une alternative à partir de l’Arabe, de la famille de l’Arabe, partir de là et reposer ces questions que se posait l’Étranger, et que je me pose à moi-même. Le rapport à la mort, le rapport à Dieu, le rapport à l’histoire, à la femme, et à la mère, aussi.
Camus est mort, l’Étranger est mort, l’Arabe est mort, celui qui est vivant, c’est moi. Il s’agit de mon salut, à moi. L’enjeu, c’est ma vie, c’est son sens, maintenant.
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09 SEPTEMBRE
2014
Le roman Meursault, contre-enquête de l'écrivain et
journaliste algérien Kamel Daoud sera bientôt adapté au cinéma par Saïd
Ould-Khelifa.
Présélectionné au prix Goncourt et au prix Renaudot, les
deux plus importantes distinctions littéraires en France, le livre de Kamel
Daoud, paru en 2013 en Algérie avant d'être édité en France Meursault,
contre-enquête, est nominé parmi 15 romans pour le prestigieux prix de
l'Académie Goncourt et parmi 17 autres pour le prix Renaudot, décerné le même
jour que le Goncourt par des journalistes et des critiques littéraires.
L'annonce des sélections finales pour ces deux prix littéraires est prévue en
octobre alors que les lauréats seront connus le 5 novembre prochain.
Premier roman de Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête reprend l'histoire de l'assassinat commis par le personnage polémique de L'Etranger du prix Nobel de littérature né en Algérie, Albert Camus, en livrant une version du meurtre racontée d'un point de vue algérien par le frère de l'Arabe assassiné. Salué par la presse et la critique dès sa sortie en Algérie, ce roman est également en lice pour d'autres distinctions comme le prix François Mauriac de l'Académie française et le Prix des cinq continents de l'Organisation internationale de la Francophonie. Invité à commenter cette double nomination, l'éditeur algérien du roman, Sofiane Hadjadaj (Barzakh) a déclaré: «Cette nomination est d'autant plus importante que le roman de Daoud pose beaucoup de questions sur la 'mémoire franco-algérienne'', portée à la fois par la vision de l'auteur et du livre d'Albert Camus auquel il renvoie, a estimé M. Hadjadj.
Plusieurs auteurs algériens étaient sélectionnés pour les prix prestigieux de l'édition en France, c'est le cas, notamment du plus prolifique, Yasmina Khadra qui avait bien été finaliste du prix Renaudot avec L'Attentat en 2005, El Mahdi Acherchour retenu sur la première liste du prix Femina en 2010 pour Moineau, Boualem Sansal, sélectionné pour le Medicis en 2008 pour Le village de l'Allemand, Salim Bachi nominé sur les premières listes du Goncourt en 2008 avec Le silence de Mahomet et du Renaudot en 2010 pour Amours et aventures de Sindbad le marin, Anouar Benmalek retenu en 2000 sur la première liste du Femina pour L'Enfant du peuple ancien. Mais aucun, rappelle Sofiane Hadjadj, «n'avait d'abord été publié en Algérie. Tous, comme tous les auteurs africains, publient d'abord en France avant de voir leurs livres éventuellement faire l'objet d'une cession de droits pour une édition algérienne».
Ce tout premier roman du journaliste-écrivain, Kamel Daoud, fera prochainement l'objet d'une double adaptation au théâtre et au cinéma, a-t-on appris auprès de la maison d'édition Barzakh. Pour l'adaptation au théâtre, elle devrait se faire au printemps 2015, d'une adaptation au théâtre Liberté de Toulon, codirigée par le comédien Charles Berling, dans une mise en scène de Philippe Berling et où le comédien Miloud Khetib incarnera le rôle principal. Pour le projet d'adaptation cinématographique, elle est en cours par le réalisateur Saïd Ould-Khelifa.
Dans ce que l'on pourrait appeler «la géopolitique éditoriale», Daoud fait donc figure d'exception. Né en 1970 à Mostaganem (ouest) Kamel Daoud anime la chronique Raïna Raïkoum dans le journal francophone Le Quotidien d'Oran. Il est également l'auteur des deux recueils de nouvelles Minotaure 504 et La préface du nègre.
Premier roman de Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête reprend l'histoire de l'assassinat commis par le personnage polémique de L'Etranger du prix Nobel de littérature né en Algérie, Albert Camus, en livrant une version du meurtre racontée d'un point de vue algérien par le frère de l'Arabe assassiné. Salué par la presse et la critique dès sa sortie en Algérie, ce roman est également en lice pour d'autres distinctions comme le prix François Mauriac de l'Académie française et le Prix des cinq continents de l'Organisation internationale de la Francophonie. Invité à commenter cette double nomination, l'éditeur algérien du roman, Sofiane Hadjadaj (Barzakh) a déclaré: «Cette nomination est d'autant plus importante que le roman de Daoud pose beaucoup de questions sur la 'mémoire franco-algérienne'', portée à la fois par la vision de l'auteur et du livre d'Albert Camus auquel il renvoie, a estimé M. Hadjadj.
Plusieurs auteurs algériens étaient sélectionnés pour les prix prestigieux de l'édition en France, c'est le cas, notamment du plus prolifique, Yasmina Khadra qui avait bien été finaliste du prix Renaudot avec L'Attentat en 2005, El Mahdi Acherchour retenu sur la première liste du prix Femina en 2010 pour Moineau, Boualem Sansal, sélectionné pour le Medicis en 2008 pour Le village de l'Allemand, Salim Bachi nominé sur les premières listes du Goncourt en 2008 avec Le silence de Mahomet et du Renaudot en 2010 pour Amours et aventures de Sindbad le marin, Anouar Benmalek retenu en 2000 sur la première liste du Femina pour L'Enfant du peuple ancien. Mais aucun, rappelle Sofiane Hadjadj, «n'avait d'abord été publié en Algérie. Tous, comme tous les auteurs africains, publient d'abord en France avant de voir leurs livres éventuellement faire l'objet d'une cession de droits pour une édition algérienne».
Ce tout premier roman du journaliste-écrivain, Kamel Daoud, fera prochainement l'objet d'une double adaptation au théâtre et au cinéma, a-t-on appris auprès de la maison d'édition Barzakh. Pour l'adaptation au théâtre, elle devrait se faire au printemps 2015, d'une adaptation au théâtre Liberté de Toulon, codirigée par le comédien Charles Berling, dans une mise en scène de Philippe Berling et où le comédien Miloud Khetib incarnera le rôle principal. Pour le projet d'adaptation cinématographique, elle est en cours par le réalisateur Saïd Ould-Khelifa.
Dans ce que l'on pourrait appeler «la géopolitique éditoriale», Daoud fait donc figure d'exception. Né en 1970 à Mostaganem (ouest) Kamel Daoud anime la chronique Raïna Raïkoum dans le journal francophone Le Quotidien d'Oran. Il est également l'auteur des deux recueils de nouvelles Minotaure 504 et La préface du nègre.
23 SEPTEMBRE
2014
Un lecteur, un libraire, entre autres.
Note de lecture : « Meursault, contre-enquête » (Kamel Daoud)
⋅ 23 septembre 2014
⋅
Le meurtre d’un Arabe anonyme par Meursault en 1942 comme filtre décapant de la colonie qui écrase et de la post-colonie qui échoue.
Publié en 2013 chez barzakh à Alger, puis en juin 2014
chez Actes Sud, le
troisième roman du journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud, qui a également publié
deux recueils de nouvelles, permet au lecteur français une fascinante plongée
en angle oblique dans une certaine Algérie contemporaine, et dans l’impossible
digestion de cent trente ans de colonialisme par cinquante ans d’indépendance
aux trop nombreuses failles, en remontant au meurtre fictionnel, mondialement
célèbre, d’un Arabe par un Blanc sur une plage algéroise chauffée au soleil.
Dans cet univers-ci,
le roman « L’étranger »
(1942) n’a pas été écrit par un certain Albert
Camus, philosophe et romancier humaniste, mais, sous forme de
récit autobiographique « arrangé », par le meurtrier Meursault
lui-même, qui n’a finalement pas été guillotiné, mais est devenu écrivain.
Dans un bar d’Alger
de nos jours, refuge rare et menacé, emblématiquement excessif, d’une société
qui ne courba pas toujours à ce point l’échine face au rituel religieux, le
narrateur, vieillard, se confie à un étudiant, doctorant en cours d’enquête
pour sa thèse : il est le frère de cet Arabe anonyme abattu de plusieurs balles
au soleil, soixante-dix ans plus tôt, par Meursault.
« Aujourd’hui, M’ma est encore vivante.
Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter
bien des choses. Contrairement à moi, qui, à force de ressasser cette histoire,
ne m’en souviens presque plus.
Je veux dire que c’est une histoire qui remonte à
plus d’un demi-siècle. Elle a eu lieu et on en a beaucoup parlé. Les gens en
parlent encore, mais n’évoquent qu’un seul mort – sans honte, vois-tu, alors
qu’il y en avait deux, de morts. Oui, deux. La raison de cette omission ? Le
premier savait raconter, au point qu’il a réussi à faire oublier son crime,
alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement,
semble-t-il, pour qu’il reçoive une balle et retourne à la poussière, un
anonyme qui n’a même pas eu le temps d’avoir un prénom.
Je te le dis d’emblée : le second mort, celui qui a
été assassiné, est mon frère. Il n’en reste rien. Il ne reste que moi pour
parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais
personne ne me présentera. Tu peux en rire, c’est un peu ma mission : être
revendeur d’un silence de coulisses alors que la salle se vide. C’est
d’ailleurs pour cette raison que j’ai appris à parler cette langue et à
l’écrire ; pour parler à la place d’un mort, continuer un peu ses phrases. Le
meurtrier est devenu célèbre et son histoire est trop bien écrite pour que
j’aie dans l’idée de l’imiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais
faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une
les pierres des anciennes maisons des colons et en faire une maison à
moi, une langue à moi. Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon
bien vacant. Le pays est d’ailleurs jonché de mots qui n’appartiennent plus à
personne et qu’on aperçoit sur les devantures des vieux magasins, dans les
livres jaunis, sur des visages, ou transformés par l’étrange créole que
fabrique la décolonisation. »
Ce narrateur
d’origine modeste, issu du peuple illettré, ne dénonce pas explicitement les
maux qui sont ses cibles potentielles. Beaucoup plus matois, beaucoup moins
fiable, se gardant de tout dire, tout révéler, attendant son heure, au
privilège du grand âge et de la bosse roulée, il lui suffit en somme de
raconter les trois contre-enquêtes ayant tenté d’élucider le mystère de cet
anonymat complet de la victime – absence de signes et de preuves, absence de
témoignages concrets, absence de certitudes, qui renvoient peut-être même le
frère supposé au rang de simple mythomane. Raconter d’abord celle de sa mère,
enquête de pauvresse engluée dans les figures imposées du rite funéraire et de
la haine déjà viscérale ; raconter ensuite la sienne, au moins en partie – car
n’est-ce pas au fond la quête même d’une vie ? -, frisant la folie et risquant
comme l’écho de l’absurdité incarnée par Meursault ; raconter enfin celle d’une
jeune intellectuelle libérée, juste après l’Indépendance, rationnelle et
sensible, incarnation d’un avenir algérien qui aurait pu exister si…
« Je vais te résumer l’histoire avant de te la
raconter : un homme qui sait écrire tue un Arabe qui n’a même pas de nom ce
jour-là – comme s’il l’avait laissé accroché à un clou en entrant dans le décor
-, puis se met à expliquer que c’est la faute d’un Dieu qui n’existe pas et à
cause de ce qu’il vient de comprendre sous le soleil et parce que le sel de la
mer l’oblige à fermer les yeux. Du coup, le meurtre est un acte absolument
impuni et n’est déjà pas un crime parce qu’il n’y a pas de loi entre midi et
quatorze heures, entre lui et Zoudj, entre Meursault et Moussa. Et ensuite,
pendant soixante-dix ans, tout le monde s’est mis de la partie pour faire
disparaître à la hâte le corps de la victime et transformer les lieux du
meurtre en musée immatériel. Que veut dire Meursault ? « Meurt seul »
? « Meurt sot » ? « Ne meurs jamais » ? Mon frère, lui, n’a
au droit à aucun mot dans cette histoire. Et là, toi, comme tous tes aînés, tu
fais fausse route. L’absurde, c’est mon frère et moi qui le portons sur le dos
ou dans le ventre de nos terres, pas l’autre. Comprends-moi bien, je n’exprime
ni tristesse ni colère. Je ne joue même pas deuil, seulement… seulement quoi ?
Je ne sais pas. Je crois que je voudrais que justice soit faite. cela peut
paraître ridicule à mon âge… Mais je te jure que c’est vrai. J’entends par là,
non la justice des tribunaux, mais celle des équilibres. Et puis, j’ai une
autre raison : je veux m’en aller sans être poursuivi par un fantôme. Je crois
que je devine pourquoi on écrit les vrais livres. Pas pour se rendre célèbre,
mais pour mieux se rendre invisible, tout en réclamant à manger le vrai noyau
du monde. »
Si le frère
narrateur de Kamel Daoud
dénonce, c’est principalement dans les creux de ses récits lancinants,
ressassant en volutes désabusées – mais pas nécessairement désespérées -. la
possibilité de l’ignorance de l’autre, l’acceptation centenaire de
l’infériorité structurelle de l’Arabe anonyme face au colon européen, la
présence jamais démentie du racisme et du suprématisme blanc, la réalité des
guerres fratricides et des montées aux extrêmes, la corruption des pouvoirs
issus des ralliements tardifs aux maquisards et des lendemains de victoire qui
déchantent à vive allure, le terrible effondrement psychologique qui entraîne
un peuple entier des prometteuses années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina aux années de
soufre de la Sonatrach mettant un pays en coupe réglée et corrompue, pour finir
par échouer dans les années de sel d’une religion paradoxalement victorieuse,
développant comme un cancer ses pires penchants à l’oppression sociale et au
rituel étouffant.
« Les bars encore ouverts dans ce pays sont des
aquariums où nagent des poissons alourdis raclant les fonds. On vient ici quand
on veut échapper à son âge, son dieu ou sa femme, je crois, mais dans le
désordre. Bon, je pense que tu connais un peu ce genre d’endroit. Sauf qu’on
ferme tous les bars du pays depuis peu et qu’on se retrouve tous comme des rats
piégés sautant d’un bateau qui coule à un autre. Et quand on aura atteint le
dernier bar, il faudra jouer des coudes, on sera nombreux, vieux. Un vrai
Jugement dernier que ce moment. Je t’y invite, c’est pour bientôt. Tu sais
comment s’appelle ce bar pour les intimes ? Le Titanic. Mais sur l’enseigne est
inscrit le nom d’une montagne : Djebel Zendel. Va savoir. »
S’il traque
impitoyablement les non-dits, les interstices philosophiques et politiques qui
rendent possible le meurtre au soleil, et tout particulièrement ceux qui
échappaient à l’humanisme confronté à l’absurde du « Mythe de Sisyphe » (1942), contemporain de la
scène originelle du crime, prenant acte aussi du déchirement et de l’indécision
du Camus honni par
toutes les parties en présence pour sa poursuite tenace d’une improbable voie
médiane étroite au moment de la guerre d’indépendance, le roman de Kamel Daoud, par l’étrange voix de ce
vieillard fraternel, invente bien une autre « voix qui crie dans le
désert », qui est aussi celle d’un juge-pénitent, de plus d’une manière,
comme on le découvrira à mi-parcours, et qui se fait l’écho complice de celle
du Clamence de « La chute »
(1956), et témoin d’une parenté réelle avec l’Albert Camus désenchanté de 1958-1960.
Usant de la langue, de ses plis et de ses replis, pour mieux montrer
insidieusement à quel point, même lorsque les récits de deux vainqueurs
contradictoires s’affrontent, l’histoire des véritables vaincus leur échappe
encore et toujours, ne pouvant subsister, peut-être, que dans la mise en gloire
des ratiocinations d’un vieillard dont jamais on ne saura la part de ce qu’il
invente, oublie ou travestit, le soir, autour d’un verre, Kamel Daoud nous offre le très grand
roman d’un humanisme qui meurt encore et encore.
La superbe lecture
de ma collègue et amie Charybde 7, qui m’a fait découvrir ce grand roman, est ici.(site)
Et c’est ainsi avec
une grande joie que la librairie Charybde
(129 rue de Charenton 75012 Paris) recevra Kamel Daoud le vendredi 26 septembre (2014) à partir
de 19 h 30.
06 NOVEMBRE
2014
L’écrivain et journaliste algérien a enchainé les distinctions depuis la parution de son roman, Meursaut, contre-enquête. Il a raté de peu le prestigieux prix Goncourt. Il estime « être aller aussi loin que possible ».
Comment cet Algérien, originaire de Masra, village à 13 km au sud-est de Mostaganem, dans l’ouest algérien où il a vécu 18 ans a pu se frayer un chemin jusqu’à arriver dans la cour des grands ?
Une fulgurance à Tikjda
Avril 2011, à 1478
mètres d’altitude, Moussa est né. Moussa, l’arabe tué, 70 ans plus tôt dans l’Etranger, le roman de l’iconoclaste
Camus. Il voit le jour dans une petite maison rustique à Tikjda où Kamel Daoud
s’est recueilli pour écrire. L’homme a fuit les bruits d’Oran, ville où
il vit. Il a délaissé sa chronique « Raina Raikom » sur le quotidien
d’Oran et y a passé des jours à guetter à l’aube, le lever du soleil, à se
délecter des rumeurs de la nature… pour revenir à littérature, qui est pour
lui, seule capable d’«annuler le poids du réel ».
Sa solitude a vue
sur les montagnes du Djurdjura. Il ne cherche pas ses mots, ils viennent à lui
sans qu’ils les attendent. Ils tombent sur lui, en cascades. Kamel écrit, tout
le temps, même quand il ne tape pas ses mots.
Dans ce coin désert
où il séjourne, il fouille dans sa conscience, laisse jubiler ses idées, à la
recherche du fil, d’une histoire, d’un prétexte pour dire sa vision du monde.
Il créé Haron, le frère de Moussa, l’arabe tué dans l’étranger d’Albert Camus.
L’incipit est une fulgurance qui le transporte. L’homme rejoint son quotidien après
quelques jours de répit, il a trouvé le fil. Le roman sera édité, un peu plus
d’une année plus tard, aux éditions Barzakh à Alger. Puis, en Mai 2013, aux
éditions françaises Actes Sud.
« Meursaut,
contre – enquête », raconte comme le souligne Moussa, « l’histoire de
tous les gens de cette époque ». Mais pas seulement. Dans un soliloque
saisissant, il raconte la complexité de son Algérie, sa fascination pour la
mort, négocie avec ses idées, les compresse et les dilate, en rendant justice « à
l’arabe tué, 25 fois cité dans le roman sans que Camus n’ait pensé à lui donner
un nom ». Kamel l’appelle Moussa et c’est Haron, son frère cadet qui nous
l’annonce.
« Partir d’un village, écrire et réussir »
Deux ans plus tard,
le livre est un succès en librairie, il propulse Kamel Daoud. Tout le monde
parle du roman et s’intéresse à cet homme qui enchaine les prix, en Algérie
(Prix Escales littéraires et Prix Ourtilane) mais aussi ailleurs (Prix François
Mauriac, Prix des cinq continents de la francophonie…). « Meursault
Contre-enquête », créé la surprise. Les médias étrangers s’emparent du
livre qui se fait traduire en plusieurs langues. Il est finaliste, avec
trois autres écrivains, du prix Goncourt. La consécration commence.
« Non, c’est déjà une consécration en soi. Je viens
d’un village et rien ne me prédisposait à une telle réussite »
commente Kamel. L’homme est surpris, il y voit une forme de « fouroulisme,
(en écho à Mouloud feraoun, ndlr) ». « C’est classique, tu pars d’un village, tu réussis et tu écris »
lâche-t-il dans un sourire, avant de saisir une énième fois son téléphone sur
la table.
Kamel est pris dans
un tourbillon. Son téléphone ne cesse de vibrer. Les RDV s’enchainent,
ici et ailleurs. Premier écrivain algérien a être nominé au Goncourt. Premier écrivain
algérien à cumuler autant de distinctions. Il fascine, fait polémique pourtant,
on connaît si peu l’homme, son moteur. Comment cet Algérien, originaire de
Masra, village à 13 km au sud-est de Mostaganem, dans l’ouest algérien où
il a vécu 18 ans a pu se frayer un chemin jusqu’à arriver dans la cour des
grands ?
Au commencement était un mot
L’homme est
multiple. Faut-il parler du journaliste, du chroniqueur, de l’écrivain, du père
de deux enfants qu’il adore, de l’oranais (où il habite depuis ses 18 ans) et
qui répète souvent à ses amis algérois qu’Alger n’est « pas le centre de
l’Algérie… » ou encore de l’homme, l’algérien, « une nationalité qui le différencie du reste du monde ».
Parlons d’abord du Fils. Fils d’une mère qui lui apprendra à « se
crever à la tâche », lui le « grand
paresseux » qui a appris à « organiser sa paresse ». Fils d’un gendarme, ancien militaire
de l’école des cadets, Kamel est né le 17 juin 1970.
« C’est à lui que je dois cette réussite »
confie Kamel, ému. Ce père qui lui a appris l’ordre moral, « à gagner sa vie honnêtement et à faire à la
perfection tout ce qu’il entreprend », est décédé il y a deux
semaines.
Pour Kamel, c’est
une déchirure. « La vie est un élan,
je ne crois pas que la mort l’épuise » assène-t-il, le regard tout
de même interrogateur. La mort est au centre de ses réflexions.
« L’absolu disproportion d’une vie qui m’a accompagné
se heurte à l’absolue insignifiance de la mort », commente Kamel,
qui à 44 ans est confronté au deuil pour la seconde fois de sa vie.
La première fois, il
n’avait que 12 ans quand à la mort de son grand père, « dont il était
tellement proche », il découvre la colère dans le silence de la
disparition. Il s’en souvient encore. A l’époque, il gribouillait ses premiers
textes, au sortir de ses premières lectures. Après avoir essayé de lire
« la chair de l’orchidée » de Chase, un livre trouvé à la maison,
Kamel, à 9 ans, se tourne vers la BD. Il bute sur une phrase : « Il observe le moutonnement… ».
Le mot « moutonnement » qu’il découvre pour la première fois le
bouleverse.
« Mon désir d’écriture est venu à ce moment. Quand j’ai
lu et relu Rahan, appris par cœur, il fallait que j’en écrive la suite… »
confie, Kamel, amusé par ses souvenirs.
Rahan, personnage
préhistorique de BD, cherche la tanière du soleil. Un peu comme Kamel, qui
semble vouloir poursuivre cette quête. A ce jour.
A la recherche du sens
Adolescent, Kamel a
soif de sens. Après avoir savourer le pouvoir de l’imaginaire dans la
mythologie et dans les récits de sciences fiction,- dont il devient un grand
amateur-, il découvre la littérature musulmane et islamiste. Il lit Ibn Quayyim
Al-Jawziyya, Ibn El Khatib et bien d’autres.
« Le religieux t’offre du sens
jusqu’à l’intime, contrairement aux autres idéologies : le corps, la sexualité …
».
Kamel fait du
prosélytisme jusqu’à devenir imam de la mosquée de son lycée. Puis, il décroche
son baccalauréat (mathématique) et sans le savoir se prépare à prendre le grand
virage de la littérature française. Dans l’esprit du jeune homme, une cassure
se prépare. Le religieux offre, certes, du sens. Mais ce n’est pas assez.
« A un moment, j’ai eu l’envie de rire de tout ça. La
religion ne me suffisait plus ».
Kamel quitte son
village pour Oran. Il découvre la vie en cité universitaire, l’ennui, la
mixité, en entamant ses études de littérature française.
« J’ai surtout découvert la lutte
des classes, moi qui débarquait d’un village et qui ne parlait même pas
français », raconte-il.
C’est une époque
trouble, la cassure s’opère. Il se souvient des expéditions punitives du FIS à
la cité U. Kamel continue de dévorer des livres et se met à écrire de la
poésie. « Beaucoup de poésie », précise-t-il, souriant, comme
nostalgique.
Le jeune homme
découvre aussi, l’argent. Il fallait en gagner. « Je suis entré dans le journalisme parce que j’étais
fauché ». L’engagement, le militantisme, il les découvrira
bien plus tard. Kamel se fait recruter dans une petite rédaction de l’ouest, où
il rédige ses premiers articles et traite les courriers du coeur.
« J’ai lu des histoires incroyables » se
rappelle-t-il.
Le jeune homme
sillonne le pays pour écrire des faits divers et couvrir des procès. Il est
heureux d’empocher à chaque fin de mois, 4500 dinars. « A l’époque, 4500
dinars, c’était vraiment quelque chose » insiste-t-il. Mais pour lui, des
années dures s’annoncent…
Ecrire pour annuler le réel
En quittant la cité
U, son diplôme en poche, Kamel se heurte à un dilemme : rester à Oran ou
rentrer au village ? Le choix est vite fait, il reste à Oran.
« J’ai galéré, il me fallait un
logement, un travail… Tu crèves la dalle et t’as pas où dormir »
résume Kamel.
Aidé par une
enseignante, il réussit à s’installer dans une cité U, pour un premier temps,
lui qui n’est déjà plus étudiant.
« C’était des moments intenses.
Durant les vacances, je me retrouvais seul dans la cité, sans électricité, sans
eau, parfois dans le froid ».
Pour « annuler ce réel », Kamel lit et
écrit pendant que sa carrière journalistique commence à prendre un nouveau
virage. Il rejoint une plus grande rédaction, le quotidien d’Oran.
« A cette époque, j’avais deux idoles dans la presse,
Chawki Amari et Sid Ahmed Semiane SAS, je me régalais en les lisant »
confie Kamel qui deviendra quelques années plus tard, lui aussi,
chroniqueur : l’exercice journalistique qui le rapproche le plus de la
littérature.
Kamel apprend à
« switcher » entre la chronique et la littérature. Il rédige
plusieurs manuscrits qu’il ne proposera à aucun éditeur, à ce jour.
« Parmi eux, La traversée du
visage, j’ai écrit à cette époque, l’histoire d’un homme laid »
raconte Kamel, encore fasciné par l’idée que « la laideur soit proche du crime ».007_ part1_Kamel_Daoud_sur_Echourouk.3gp
Un autre livre dans le livre
L’homme manque
aujourd’hui, cruellement de temps, mais « si j’arrive à gagner assez d’argent, je gagnerai le temps de rouvrir ses
vieux chantiers et entamer de nouveaux textes ». Si Kamel Daoud
excelle dans la chronique, la littérature reste pour lui essentielle. Après
avoir publié, en 2002, son premier recueil de chroniques à Dar El Gharb, son
premier récit sort, une année plus tard, « la fable du nain ». Puis
un autre récit, en 2004 : « O Pharaon » qui revient sur le
massacre de Ramka.
« C’est un livre que je regrette, j’aurais aimé
l’écrire autrement. C’est une histoire tellement tragique. 1000 morts et si peu
de personnes le savaient, c’est un chiffre dont j’avais besoin de me
débarrasser » avoue-t-il en se frottant les mains, comme agité.
Kamel, semble
torturé par ses idées. Face à son écran, Kamel écrit beaucoup et vite, comme
pour s’en débarrasser. En 2008, son recueil « L’Arabe et le vaste pays de
ô » est primé par la fondation Mohamed Dib. C’est un moment crucial et
joyeux.
« Cette fondation a la générosité de primer un manuscrit, ce prix m’a
beaucoup apporté ».
Son recueil est
édité dans la même année, par les éditions Barzakh, qui publieront quelques
années plus tard « Meursaut, contre-enquête », le livre qui révèle
Kamel. Un livre né d’un agacement.
« Après avoir discuté avec un journaliste français de passage en Algérie, la
question s’est imposée : Camus est-il à nous ou à eux? Puis j’ai pris le roman
de Camus comme prétexte pour construire un texte autonome » confie-t-il
encore.
Pour beaucoup, Kamel
doit le succès de ce premier roman fantasmagorique, à ce prétexte camusien.
Mais pour plonger dans la puissance du style de Daoud, il faut oublier
Meursault, Camus et même Moussa pour découvrir un autre livre dans ce livre…
Fella Bouredji
08 NOVEMBRE
2014
article paru d’abord dans REPORTERS
La sélection et la disqualification de Kamel Daoud
aux prix Goncourt et Renaudot 2014
Une illusion néocoloniale
Abdellali Merdaci*
Samedi 8
novembre 2014
La sélection par les académies Goncourt et Renaudot, en France, du premier
roman Meursault, contre-enquête (Alger, Barzakh, 2013 ; Arles,
Actes Sud, 2014) de Kamel Daoud et sa disqualification, le 5 novembre 2014,
dans leurs ultimes votes pour l’attribution de leurs prix, ont été vécues comme
un événement national en Algérie. Au moment où le pays célébrait le 60e
anniversaire de son entrée en guerre contre le colonialisme français, le délire
qui a accompagné les listes des deux jurys depuis leurs premières
proclamations, distinguant l’œuvre du chroniqueur oranais, font penser à
un pays encore sous domination
française, à une sorte de République algérienne fédérée à la France, telle
qu’elle a été pensée dans les années
1940 par Ferhat Abbas. Ce qui est une amère rétractation. Dans la patrie de
Larbi Ben M’hidi et des centaines de milliers de martyrs de la guerre
d’Indépendance, ce n’est plus seulement le football qui se pare des couleurs de
la France mais aussi la littérature, au moment où le chef du FLN, jadis
porte-flambeau de la guerre anticoloniale, est plus présent dans ses résidences
parisiennes cossues que dans les bureaux enfumés de son austère palais
algérois.
Cette ferveur pour les coulisses putrides de grands prix littéraires français, dénoncées par le critique et historien Jacques Brenner, en 2006, fut-elle partagée par le vigilant commentateur Maâmar Farah, le très provincial Boubakeur Hamidechi (Le Soir d’Algérie, 30 octobre et 1er novembre 2014) et l’universitaire Belkacem Ahcène-Djaballah, fringant critique littéraire (Le Quotidien d’Oran, 30 octobre 2014). Fut-elle, enfin, consentie à la poignante dramatisation au lendemain de l’annonce de la défaite du candidat algérien par plusieurs quotidiens comme en témoignent les commentaires contrits d’El Watan et de L’Expression dans leur édition du 6 novembre 2014, reprenant les messages désespérés de l’auteur désavoué à ses soutiens sur Tweeter et Facebook ?
Cette ferveur pour les coulisses putrides de grands prix littéraires français, dénoncées par le critique et historien Jacques Brenner, en 2006, fut-elle partagée par le vigilant commentateur Maâmar Farah, le très provincial Boubakeur Hamidechi (Le Soir d’Algérie, 30 octobre et 1er novembre 2014) et l’universitaire Belkacem Ahcène-Djaballah, fringant critique littéraire (Le Quotidien d’Oran, 30 octobre 2014). Fut-elle, enfin, consentie à la poignante dramatisation au lendemain de l’annonce de la défaite du candidat algérien par plusieurs quotidiens comme en témoignent les commentaires contrits d’El Watan et de L’Expression dans leur édition du 6 novembre 2014, reprenant les messages désespérés de l’auteur désavoué à ses soutiens sur Tweeter et Facebook ?
Une France littéraire assimilatrice
Créé, en 1896, par volonté testamentaire d’Edmond de Goncourt pour célébrer la
mémoire de son frère Jules, disparu en 1870, le prix qui porte leur nom était
au départ destiné à un jeune auteur français ; mais cela n’a pas toujours
le cas. En fonction des fluctuations de l’histoire littéraire de la France, ces
critères d’âge et de nationalité n’ont jamais été érigés en règle. Dans la
première décennie de son outrecuidant magistère, le prix Goncourt apparaît tout
proche de l’entreprise coloniale française consacrant les œuvres de
John-Antoine Nau (« Cristobal, le poète », 1903), Claude Farrère
(« Les Civilisés », 1905), Jérôme et Jean Tharaud (« Dingley,
l’illustre écrivain », 1906), Marius-Ary Leblond (« En France »,
1909). Il lui fut reproché d’avoir couronné, en 1921, René Maran et son
« Batouala, véritable roman nègre », première ébauche d’un suave
anticolonialisme littéraire, propre à effaroucher les rombières des beaux
quartiers parisiens. Par le biais de ses nombreux prix, la France littéraire
pratique une assimilation par le haut : elle naturalise les œuvres et
auteurs de langue française dans le monde, marqués de singularité, quelles que
soient leur origine ou leur nationalité, alors même qu’elle n’en manque pas
dans sa propre littérature. S’il y a dans le champ littéraire français, des
prix littéraires spécialement dédiés aux œuvres étrangères traduites, le prix
Goncourt est une récompense traditionnellement destinée exclusivement aux
seules œuvres de romanciers français nationaux ou assimilés – parfois même
abusivement. En raison d’une attitude d’accaparement envahissante du champ
littéraire français, il n’y a plus de littératures nationales belge et suisse
de langue française, depuis longtemps ingérées par les histoires littéraires
les plus officielles de l’École et de l’Université françaises. Au palmarès du
Goncourt, les noms et les œuvres belges (Maxence Van Der Meersch, 1936 ;
Francis Walder, 1958 ; Félicien Marceau, 1969 ; François Weyergans,
2005), suisse (Jacques Chessex, 1973), russes (Henri Troyat, 1938 ; Elsa
Triolet, 1944 ; Andreï Makine, 1995),
et d’autres pays (Romain Gary-Émile Ajar, Lituanie, 1956-1974 ;
Vintila Horia, Roumanie, 1960 ;Tahar Ben Jelloun, Maroc, 1987 ;
Amine Maalouf, Liban, 1993 ; Jonathan Littell, États-Unis, 2006), sont
inscrits au patrimoine de la littérature française. Hors des prix littéraires,
la liste d’écrivains assimilés dans les lettres françaises est plus longue.
En 2014, la sélection de Kamel Daoud au prix Goncourt fleure l’insidieuse provocation néocoloniale. Elle constitue et prolonge dans sa forme un impérialisme culturel français qui ne désarme pas. Si l’État français n’a jamais renié son passé colonial, une longue histoire de violence et de dépouillement des peuples en Afrique et en Asie, il garde toujours la main sur ce legs controversé, et maintient, sur le plan politique et militaire son pré-carré africain. Il en va pareillement dans le champ culturel, en général, et plus sensiblement, dans les littératures de langue française de ses anciennes possessions dans le monde. Et la langue de l’ancien colonisateur, devenue la langue de plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, enregistrant un remarquable développement en Algérie et dans les pays du Maghreb, s’érige-t-elle en vecteur d’un impérialisme culturel déguisé ?
En 2014, la sélection de Kamel Daoud au prix Goncourt fleure l’insidieuse provocation néocoloniale. Elle constitue et prolonge dans sa forme un impérialisme culturel français qui ne désarme pas. Si l’État français n’a jamais renié son passé colonial, une longue histoire de violence et de dépouillement des peuples en Afrique et en Asie, il garde toujours la main sur ce legs controversé, et maintient, sur le plan politique et militaire son pré-carré africain. Il en va pareillement dans le champ culturel, en général, et plus sensiblement, dans les littératures de langue française de ses anciennes possessions dans le monde. Et la langue de l’ancien colonisateur, devenue la langue de plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, enregistrant un remarquable développement en Algérie et dans les pays du Maghreb, s’érige-t-elle en vecteur d’un impérialisme culturel déguisé ?
« Briller » à Paris…
Si le français s’est imposé comme langue officielle dans les défuntes colonies
de l’AEF-AOF, la situation est bien différente dans les pays du Maghreb qui ont
gardé, au-delà des conséquences mesurables de la colonisation, des traditions linguistiques
berbères et arabes locales, fortement enracinées. En Algérie, où le français
garde une plus durable présence, des années 1830 à nos jours, il ne peut être
ni « un butin de guerre » ni un « bien vacant », mais une
recréation. Du fait des conditions de distribution des langues par l’État
colonial, des nombreuses proximités communautaires et culturelles entre
populations européennes, juive et indigène de l’Algérie coloniale, des
hétérogénéités linguistiques sont soulignées depuis l’indépendance nationale.
Ont-elles suscité un français algérien, autrefois rêvé par Henri Kréa, qui
exprime dans sa syntaxe et dans sa morphologie une langue mutante, un de ces
retentissements de l’Histoire qui paraît insurmontable ? S’il y a un arabe
algérien, mixage inventif des langues d’usage dans les vastes territoires du
pays, il existe, désormais, un français algérien, il est vrai moins coloré que
le charabia d’antan, et parfois de bonne tenue, lorsqu’il n’est pas génial de
truculences ; et, il se lit dans les journaux et dans la littérature, il
se décline aussi à la radio et à la télévision, fourbissant une imparable
identité linguistique.
Si les différentes générations d’écrivains algériens, depuis la fin du XIXe siècle, ont fait le choix de la pureté de la langue française, souvent raillé par les critiques et historiens de cette littérature, les auteurs d’aujourd’hui, à l’image de Kamel Daoud, ne connaissent qu’un néo-français, idiome segmenté, corrompu de solécismes. C’est cette mutation en cours de la langue française d’Algérie que les académies Goncourt et Renaudot se sont empressées de retenir dans leurs listes successives ; et, avant elles, l’Académie française décernait le Prix François Mauriac à un de ses représentants. Mais, en vérité, ce que ces institutions de la langue et de la littérature françaises ont voulu sanctifier, c’est bien l’intarissable fortune littéraire d’Albert Camus, audacieusement recommencé dans son œuvre la plus contestable, par un écrivain algérien, qui pratique un ersatz de français, un français d’Arabe, renaissant dans les bruits et les fastes du centenaire de la naissance de l’écrivain colonial. Ce choix est celui de l’extravagance.
Depuis son Manifeste « Pour une littérature-monde en français », en 2007, le champ littéraire français, particulièrement germanopratin, ne cache pas son ambition d’annexer les littératures des pays pratiquant le français et d’en établir une périphérie sanctuarisée. Beaucoup d’écrivains algériens se sont depuis intégrés à cette aventure littéraire néocoloniale, contre l’idée de littérature nationale algérienne, désormais recluse. Certains d’entre eux ont estimé que leur talent est mieux monnayé à Paris qu’à Alger ; d’autres ont voulu donner des gages en demandant et en obtenant simplement la nationalité française. Un romancier s’est affiché en Israël, pour y encourager une politique sanglante contre les Palestiniens, accumulant d’incertains hochets en contrepartie de misérables vilénies. Et il n’est pas moins significatif que Kamel Daoud ait « brillé […] dans les médias français par sa liberté de parole » à l’occasion d’une morne campagne électorale présidentielle en Algérie, comme l’observe une critique du « Point » (n° 2197 du 23 octobre 2014). Il pouvait aussi, pendant l’été 2014, au plus fort des tueries de femmes et d’enfants palestiniens de Ghaza par l’armée d’Israël, refuser dans une formule amphigourique, dans les colonnes du quotidien qui l’emploie, « une ‘‘solidarité’’ qui nous vend la fin du monde et non le début du monde ». Cette indifférence de Kamel Daoud envers la douleur du peuple de Ghaza, ne majorait-elle pas cette licence de tuer que s’est accordée, depuis longtemps au mépris des lois internationales, un sionisme arrogant ; elle a été résolument répandue dans les médias français par un écrivain-chroniqueur qui trempait sa plume dans le sang des martyrs palestiniens. Sur l’Algérie comme sur la Palestine, la presse littéraire parisienne, unanime, a su reconnaître cet engagement de trublion jacasseur, payé en recensions élogieuses pour un court roman mineur, au thème de seconde main, au style bravache, qui en d’autres circonstances n’aurait pas justifié un bas-de-casse dans ses colonnes. Il est certainement plus gratifiant pour un écrivain de faire une carrière éthique qui ne doit qu’à sa langue et à son imaginaire, plutôt qu’à un surenchérissement de moqueries sur son pays et à une course effrénée sur les cadavres d’enfants palestiniens. Mais on ne « brille » jamais à Paris et dans ses médias sans de redoutables conséquences.
Si les différentes générations d’écrivains algériens, depuis la fin du XIXe siècle, ont fait le choix de la pureté de la langue française, souvent raillé par les critiques et historiens de cette littérature, les auteurs d’aujourd’hui, à l’image de Kamel Daoud, ne connaissent qu’un néo-français, idiome segmenté, corrompu de solécismes. C’est cette mutation en cours de la langue française d’Algérie que les académies Goncourt et Renaudot se sont empressées de retenir dans leurs listes successives ; et, avant elles, l’Académie française décernait le Prix François Mauriac à un de ses représentants. Mais, en vérité, ce que ces institutions de la langue et de la littérature françaises ont voulu sanctifier, c’est bien l’intarissable fortune littéraire d’Albert Camus, audacieusement recommencé dans son œuvre la plus contestable, par un écrivain algérien, qui pratique un ersatz de français, un français d’Arabe, renaissant dans les bruits et les fastes du centenaire de la naissance de l’écrivain colonial. Ce choix est celui de l’extravagance.
Depuis son Manifeste « Pour une littérature-monde en français », en 2007, le champ littéraire français, particulièrement germanopratin, ne cache pas son ambition d’annexer les littératures des pays pratiquant le français et d’en établir une périphérie sanctuarisée. Beaucoup d’écrivains algériens se sont depuis intégrés à cette aventure littéraire néocoloniale, contre l’idée de littérature nationale algérienne, désormais recluse. Certains d’entre eux ont estimé que leur talent est mieux monnayé à Paris qu’à Alger ; d’autres ont voulu donner des gages en demandant et en obtenant simplement la nationalité française. Un romancier s’est affiché en Israël, pour y encourager une politique sanglante contre les Palestiniens, accumulant d’incertains hochets en contrepartie de misérables vilénies. Et il n’est pas moins significatif que Kamel Daoud ait « brillé […] dans les médias français par sa liberté de parole » à l’occasion d’une morne campagne électorale présidentielle en Algérie, comme l’observe une critique du « Point » (n° 2197 du 23 octobre 2014). Il pouvait aussi, pendant l’été 2014, au plus fort des tueries de femmes et d’enfants palestiniens de Ghaza par l’armée d’Israël, refuser dans une formule amphigourique, dans les colonnes du quotidien qui l’emploie, « une ‘‘solidarité’’ qui nous vend la fin du monde et non le début du monde ». Cette indifférence de Kamel Daoud envers la douleur du peuple de Ghaza, ne majorait-elle pas cette licence de tuer que s’est accordée, depuis longtemps au mépris des lois internationales, un sionisme arrogant ; elle a été résolument répandue dans les médias français par un écrivain-chroniqueur qui trempait sa plume dans le sang des martyrs palestiniens. Sur l’Algérie comme sur la Palestine, la presse littéraire parisienne, unanime, a su reconnaître cet engagement de trublion jacasseur, payé en recensions élogieuses pour un court roman mineur, au thème de seconde main, au style bravache, qui en d’autres circonstances n’aurait pas justifié un bas-de-casse dans ses colonnes. Il est certainement plus gratifiant pour un écrivain de faire une carrière éthique qui ne doit qu’à sa langue et à son imaginaire, plutôt qu’à un surenchérissement de moqueries sur son pays et à une course effrénée sur les cadavres d’enfants palestiniens. Mais on ne « brille » jamais à Paris et dans ses médias sans de redoutables conséquences.
Vaines surenchères politiques et piteuses démagogies littéraires
Je ne crois pas que la démarche de Kamel Daoud, comme celle de l’increvable
« Voyageur d’Israël », soit des plus cohérentes. Tous les deux, en
piètres opposants de salon à un pouvoir algérien calamiteux, ont forcé leur
critique d’un système politique démentiel et de ses acteurs dans des médias
parisiens assurément disposés à donner une grande ampleur à leur discours, au
service de la promotion de leur œuvre et de leur carrière d’écrivain. L’auteur de
Meursault, contre-enquête, rédacteur en chef du seul quotidien algérien
qui a accepté de publier « l’Appel aux consciences anticoloniales »
contre la « Caravane Camus » en Algérie (Le Quotidien d’Oran,
1er mars 2010) se découvre « camusien », en 2013, chasseur
d’aubaine, dans une troublante volte-face et une insipide œuvre de
circonstance. N’y a-t-il, là, rien de sordide et de dérisoire ? Dans une
déclaration à El Watan (4 novembre 2014), il affirme avoir de nouveaux
projets d’écriture. Attendons donc l’accueil que leur feront l’édition et la
critique françaises et espérons que soit reconnu leur français pittoresque,
loin de vaines surenchères politiciennes et piteuses démagogies littéraires. Il
serait de bon ton que les écrivains algériens soient reconnus à l’étranger pour
la solidité de leurs œuvres plutôt que par leurs incantations sur la liberté de
parole dans leur pays que le système éclopé, plus préoccupé par le contrôle des
rues des cités que par la traque des gazettes, ne leur conteste plus.
Le choix de Kamel Daoud d’écrire sur l’Algérie pour nourrir une carrière littéraire en France lui appartient et personne ne songera à le lui discuter. Éliminé au prix Goncourt et à son lot de consolation, le Renaudot, échappera-t-il à un avilissant enrôlement nocturne de supplétif des lettres françaises, lui qui s’est projeté dans la fragile carapace de l’Arabe frère de l’Arabe abattu dans la moiteur d’une table faisandée du restaurant Drouant, à Paris. Une mort tout autant absurde et évocatrice que celle de l’Arabe de « L’Étranger », qui répète et ravive une illusion néocoloniale. Mais la littérature algérienne ne se résoudra pas à être une sous-zone de la littérature française et de ses sous-traitants stipendiés. Le seul combat, qui soit nécessaire aujourd’hui, c’est de défendre – en Algérie – une littérature nationale dans toutes ses langues sans distinction, libre et autonome, à l’instar de celles de la France et d’autres pays du monde. Cette littérature algérienne n’est pas française et elle ne le sera pas. L’impérialisme culturel français ne doit pas en faire une arrière-cour et solder en dépendance aliénée son honneur et son indépendance.
Le choix de Kamel Daoud d’écrire sur l’Algérie pour nourrir une carrière littéraire en France lui appartient et personne ne songera à le lui discuter. Éliminé au prix Goncourt et à son lot de consolation, le Renaudot, échappera-t-il à un avilissant enrôlement nocturne de supplétif des lettres françaises, lui qui s’est projeté dans la fragile carapace de l’Arabe frère de l’Arabe abattu dans la moiteur d’une table faisandée du restaurant Drouant, à Paris. Une mort tout autant absurde et évocatrice que celle de l’Arabe de « L’Étranger », qui répète et ravive une illusion néocoloniale. Mais la littérature algérienne ne se résoudra pas à être une sous-zone de la littérature française et de ses sous-traitants stipendiés. Le seul combat, qui soit nécessaire aujourd’hui, c’est de défendre – en Algérie – une littérature nationale dans toutes ses langues sans distinction, libre et autonome, à l’instar de celles de la France et d’autres pays du monde. Cette littérature algérienne n’est pas française et elle ne le sera pas. L’impérialisme culturel français ne doit pas en faire une arrière-cour et solder en dépendance aliénée son honneur et son indépendance.
*
Écrivain-universitaire. Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage
paru : Une histoire littéraire déviée. La réception critique de la
littérature algérienne de langue française d’avant 1950, Médersa, 2014.
13 NOVEMBRE
2014
Ednat CANAL BLOG
AFFAIRE ALBERT CAMUS VERSUS KAMEL DAOUD
D'abord, relire L'étranger. Excellente surprise. Mon souvenir de lectures précédentes (la première au tout début des années soixante, et au moins une reprise il me semble il y a dix ou douze ans, poussé par je ne sais plus quelles circonstances) ne gardait la trace de nul enthousiasme. De l'intérêt, un vif intérêt, mais rien de plus. Or j'ai trouvé cette fois le roman remarquable. Cette bascule m'amuse d'autant plus qu'elle est à l'exact inverse de ce qui s'est produit pour La chute, pseudo-confession qui avait enthousiasmé mes vingt ans et m'a laissé, relue fin 2009 à l'occasion d'une réflexion sur Finkielkraut, plus réservé.Le canevas de L'étranger est connu. Après l'incipit fameux: Aujourd'hui, maman est morte, on suit, racontés par lui-même comme s'il n'était que partiellement impliqué , agi par les circonstances plus qu'acteur, quelques mois de la vie de Meursault, petit blanc de l'Algérie du temps qu'elle était française, des mois qui, dans un enchaînement où l'aléatoire, sa passivité fataliste, mais aussi son absence résolue de penchant pour la dissimulation, vont le conduire de l'enterrement de sa mère à sa condamnation à mort, au terme d'un procès où son manque supposé d'amour filial pèsera lourd, une condamnation pour l'assassinat, sans ressort logique explicable, d'un arabe sur une plage vide et écrasée de soleil.
Le roman a été publié en 1942. Informations digressives: Camus avait passé l'année scolaire 1941-42 à Oran, professeur de français au cours privé André Bénichou, créé suite aux lois raciales du gouvernement de Vichy qui avaient exclu les juifs, professeurs et élèves, des établissements publics d'enseignement; il avait 28 ans, des problèmes de santé (tuberculose), et venait, après un premier mariage malheureux, d'épouser une jeune institutrice, Francine Faure, qui se trouva, à cette période, enseigner dans la même école que ma belle-mère.
Outre le narrateur, à peine vingt personnages traversent le roman. Ils ne sont pas fouillés, psychologiquement, ce qui relève de la logique même du positionnement purement factuel de la narration, mais chacun a des caractéristiques précises. On retient bien entendu le vieux Salamano, qui martyrise en permanence son chien et se retrouve affectivement déstabilisé quand il le perd .
Sinon, il y a le directeur de l'asile de vieillards, un petit vieux, avec la légion d'honneur; le concierge de l'asile, moustache blanche, de beaux yeux, bleu clair, et un teint un peu rouge; le vieux Thomas Pérez, le fiancé tardif, à l'asile, de la mère du narrateur; Marie Cardona, une ancienne dactylo, retrouvée à la plage, avec qui Meursault engage aussitôt une liaison et qui voudra l'épouser; le patron, au bureau, figure à peine évoquée, ainsi qu' Emmanuel, le collègue; Raymond Sintès, le voisin de palier, assez petit, avec de larges épaules et un nez de boxeur, officiellement magasinier et plus certainement maquereau à la petite semaine, qui va être le ressort du drame; la maîtresse de Raymond , une mauresque, qu'il corrige, battue jusqu'au sang, et son frère, l'Arabe, qui finira troué de balles par Meursault sur la plage; l'agent qui vient, alerté par le plombier du deuxième, pour gifler Raymond ; Céleste, le patron de bistrot et une de ses clientes, bizarre petite femme [avec] des gestes saccadés et des yeux brillants dans une petite figure de pomme; Masson, un ami de Raymond, un grand type, massif de taille et d'épaules, avec une petite femme ronde et gentille, à l'accent parisien – Masson qui avait l'habitude de compléter tout ce qu'il avançait par un "et je dirai plus", même quand, au fond, il n'ajoutait rien au sens de sa phrase; le juge d'instruction, un homme aux traits fins, aux yeux bleus enfoncés, grand, avec une longue moustache grise et d'abondants cheveux presque blancs; l'avocat, petit et rond, assez jeune, les cheveux soigneusement collés; le journaliste, au procès, un homme déjà âgé, sympathique, avec un visage un peu grimaçant; les juges, le président du tribunal, le procureur, l'avocat général (ce ne sont que des noms qui passent); l'aumônier, un air très doux, des mains fines et musclées.
J'ai souligné, ici ou là, quelques phrases ou griffonné quelques mots en marge, au fil des pages. Peu.
Tout, au fond, l'emmerde; et en vieillissant, on se rapproche de cet état (griffonné).
Il enterre sa mère le vendredi. Le samedi, aux bains du port, il drague Marie Cardona (griffonné).
Raymond m'a offert une fine (…) Je le trouvais très gentil avec moi et j'ai pensé que c'était un bon moment (souligné).
Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait (souligné).
Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit : "C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche" (souligné).
Marie était très pâle. Moi, cela m'ennuyait de leur expliquer. J'ai fini par me taire et j'ai fumé en regardant la mer (souligné).
Sans doute, j'aimais bien maman, mais cela ne voulait rien dire. Tous les êtres sains avaient plus ou moins souhaité la mort de ceux qu'ils aimaient (souligné).
Il est parti avec un air fâché (…) il ne me comprenait pas et il m'en voulait un peu (…) Mais tout cela au fond n'avait pas grande utilité et j'y ai renoncé par paresse (…) A vrai dire, je l'avais très mal suivi dans son raisonnement, d'abord parce que j'avais chaud et qu'il y avait dans son cabinet de grosses mouches qui se posaient sur ma figure, et aussi parce qu'il me faisait un peu peur (souligné ).
J'ai aussi griffonné ceci : A y réfléchir, cela fait penser au Petit Nicolas de René Goscinny, une vision d'enfant, le discours simple qui dit sans aucun filtre ce qu'il perçoit et n'a pas assimilé les modes d'expression codifiés de l'âge adulte, qu'il réinterprète à son compte dans un langage enfantin .
Enfin : Il (le juge) m'a seulement demandé (…) si je regrettais mon acte. J'ai réfléchi et j'ai dit que, plutôt que du regret véritable, j'éprouvais un certain ennui (souligné).
Je commençais à respirer. Personne en ces heures-là n'était méchant avec moi (souligné).
Un fait divers, relaté dans la coupure de journal trouvée en prison, entre la paillasse et la planche du lit, et que Meursault ressasse au long de sa détention déclenche une réflexion très en accord avec l'approche "Goscinny" évoquée ci-dessus. Voici le passage:
Un homme était parti d'un village tchèque pour faire fortune. Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa sœur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps à la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La sœur s'était jetée dans un puits. J'ai dû lire cette histoire des milliers de fois. D'un côté, elle était invraisemblable. D'un autre, elle était naturelle. De toute façon, je trouvais que le voyageur l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer.
Etc.
Les dernières pages sont plus sombres, et sans viser au pathos du Hugo des Derniers jours d'un condamné, lèvent chez le lecteur, une émotion vraie. Quoi qu'il en soit, donner un sens clair à L'étranger reste une gageure. L'apathie de Meursault qui gère sa vie conformément à la politique du rat crevé au fil de l'eau n'est pas sympathique, sa distance à l'événement semble relever de la pathologie plus que de la prise de position philosophique, comme la trace d'une interruption du processus de passage de l'enfance à l'âge adulte. Son affectivité est absolument primaire et aucun processus d'analyse de la situation ne vient l'aider à dépasser le premier ressenti. Il inverse complétement le cogito cartésien. Il se contente d'être et ses éléments de pensée ne dépassent pas l'influx nerveux induit par la sensation. Le décor, pour lui, prime la réflexion. Il est, réellement, un être inachevé. Et peut-être pourrait-on réduire L'étranger à la description d'un cas clinique et renoncer à y voir un type. Le narrateur de La chute est lui, un type. Meursault, non, il est Meursault, ou alors, s'il est nous, c'est nous dans cet état intermédiaire qu'on nomme hypnagogique, entre la veille et le sommeil, quand nous flottons, incertains, au milieu d'événements sur l'absurdité desquels nous ne portons aucun jugement et dont nous acceptons les plus invraisemblables hypothèses.
Une algarade violente, dans les dernières pages du roman, avec l'aumônier dont le prêchi-prêcha le sort enfin de lui-même, parvient à l'arracher à sa léthargie infantile et le conduit à un rapport au monde un peu plus conscient, où l'indifférence cesserait d'être subie pour devenir assumée, mais c'est au moment où le rideau tombe.
Les dernières lignes du livre:
Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvris pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux , et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.
On pourrait se remettre à gloser, reprendre la réflexion en se demandant si Meursault ne serait pas à lui seul le colonialisme aveugle, tirant avec indolence de ce pays ce qu'il lui offre de bonheur de vivre et sacrifiant comme un agaçant obstacle l'Arabe générique qui s'interpose entre lui et le soleil. Etc. D'autres lectures encore sont possibles.
Mais repartons de celle de Kamel Daoud. Elle n'est d'ailleurs sans doute pas éloignée de la dernière hypothèse que je viens de formuler. Kamel Daoud est en pleine ambivalence. Il admire l'auteur de L'étranger et il vomit la disparition, la dissolution, dans le décor du roman, de la population arabe d'Algérie. Vingt-cinq fois, le vocable "l'Arabe", a-t-il compté, est cité, et pas une seule fois l'homme, derrière, n'est nommé, désigné, individualisé, incarné. L'étranger, pour Daoud, c'est le tombeau de l'Arabe inconnu. Au fond, là est le nœud de Meursault, contre-enquête. De contre-enquête d'ailleurs, point, du moins telle qu'on la pensait, détaillée, minutieuse, acharnée, dessinant pour finir un portrait achevé de ce mort transparent et quasiment non advenu. A la place, on a la longue plainte douloureuse d'un jeune frère auto-proclamé, dont la vie, dit-il, a été totalement transformée en un repliement obsessionnel sur un seul projet: donner, publiquement, un nom, un corps vivant, une existence à ce mort.
Réussite incertaine. On lit, on relève une volonté constante de parallélisme des destins, de parallélisme aussi des livres, à commencer par cet incipit en clin d'œil, assez maladroit : Aujourd'hui, M'ma est encore vivante. Un peu ridicule, non?
Quelques passages sont volontairement démarqués de L'étranger, où le narrateur de Daoud se substitue au narrateur de Camus. Par ailleurs, la construction en monologue, dans un bar, revendique assurément un autre parallélisme, celui à faire avec La chute. Tressât-il des couronnes à l'écrivain, Kamel Daoud n'en lit pas moins dans L'étranger le colonisateur égocentrique et méprisant que la guerre d'indépendance a en toute justice renvoyé à la métropole et dont il charge son narrateur d'exécuter au passage, à placer dans l'autre plateau de la balance où finit d'agoniser l'Arabe camusien de service, un spécimen.
Elément positif, sa critique continue, mordante et sans appel des religions en général et de l'Islam en particulier, faisant pendant à la volée de bois vert administrée par Meursault à l'aumônier de la prison.
Mais sur le fond, on n'apprend rien de nature à nous éclairer sur la mort de Moussa, puisque Kamel Daoud a voulu dénommer ainsi l'Arabe de Camus, et sa présence sur la plage fatale n'est pas plus expliquée que l'insistance de Meursault à y retourner . S'il rejette l'hypothèse camusienne d'une sœur de mœurs légères dont l'honneur eût été à venger, Kamel Daoud ne propose aucune logique de substitution et son roman n'est que la mélopée d'un vieillard qui s'est inventé un frère de papier et en profite pour développer une réflexion aigre- douce sur l'Algérie post-coloniale.
L'idée était originale, mais finalement, ce titre, Meursault, contre-enquête, n'est qu'un effet d'annonce. Partant d'un personnage de roman dont on ne savait rien, on lit un livre au sortir duquel on n'en sait pas davantage. Le projet de construire un pendant à L'étranger, n'aboutit pas. Et ce mort, sur la plage, n'a pas acquis par Kamel Daoud l'épaisseur humaine que lui avait refusée Albert Camus. Tout au plus s'est-il trouvé augmenté d'une grande barbe (islamique?). Décevant.
14 NOVEMBRE
2014
BRAHIM SENOUCI BLOG
Cher Kamel,
Il s’en est fallu
d’un cheveu pour que tu décroches le Goncourt, le prix le plus prestigieux de
la littérature française. J’espère que tu n’en conçois pas une amertume
excessive. Cet « échec » ne le mérite pas.
Bien peu de gens
pourraient donner une liste de noms d’écrivains ayant obtenu le Goncourt. La
plupart d’entre eux sont retournés à l’oubli. C’est dire si cette distinction
doit être relativisée. Pour ma part, j’ai retenu celui de Tahar Ben Jelloun,
peut-être parce qu’il continue de sévir dans le jury qui attribue le prix en
question. Je me rappelle avoir tenté, sans succès, de lire le livre qui lui a
valu la récompense. C’était « La nuit sacrée ». Il m’est tombé des
mains à plusieurs reprises. Je l’ai rattrapé souvent puis je l’ai laissé définitivement
choir au bout d’une dizaine d’essais infructueux. Trop mal écrit!
Mais qu’est-ce qui
lui a valu cette récompense? Certainement pas son style ni sa syntaxe
approximative ! Peut-être a-t-il obtenu la juste rétribution de ses
efforts pour entrer dans la peau du Marocain idéal, celui qui exhale un petit
parfum d’exotisme, qui a la délicatesse de ne jamais évoquer les
« vicissitudes » de la colonisation, qui dénonce les travers de sa
société mais qui épargne prudemment le roi, tellement prisé par la France
des riads et du tourisme sexuel. C’est aussi l’homme qui désarme le raciste qui
sommeille au fond de l’âme de l’ami condescendant et qui arriverait presque à
toucher le cœur du raciste primaire par ses efforts obstinés pour lui
ressembler. Songez donc : pour dénoncer le racisme, il utilise les mêmes
accents que ses amis « de souche » ! En fait, il s’insurge, non
pas contre la haine de l’Arabe mais contre celle qui prend pour cible un Arabe
qui se voudrait français !
Dans la catégorie de
Ben Jelloun, il y en a bien d’autres, des écrivains algériens, tunisiens,
marocains, dont l’œuvre tout entière est tendue vers la quête du Graal
littéraire, qu’il prenne la forme du Goncourt, du Renaudot, voire du
Nobel ! Certains ne résistent pas à exprimer à haute voix leur amertume et
leur incompréhension d’avoir été « oubliés ». Leurs amis attentifs
font en sorte que leur soit décerné un prix de consolation, une sorte de
médaille en chocolat. Dans leur tension vers la conquête de ce qu’ils croient
être une consécration, ils vont de plus en plus loin. Sansal, après le
courageux « Serment des barbares », s’est engagé dans une longue
dérive dans laquelle il décrit un mouvement de libération nazifié, et finit par
regretter la période coloniale en expliquant que l’état du peuple d’Algérie
aujourd’hui est bien pire que ce qu’il était sous l’occupation française !
Inutile de dire à quel point ce discours est bien accueilli en France et la
reconnaissance qu’il lui vaut auprès de cette tranche de l’opinion française,
vaguement rongée par un sentiment de culpabilité et qui se réveille innocente
ipso facto ! Sansal a lui aussi bénéficié de quelques prix de consolation.
Il n’a pas accédé au titre suprême. C’est qu’il faut quand même un peu de
talent littéraire en plus de celui de collaborateur zélé !
Kamel, tu es d’une
autre étoffe. Tu as une belle plume, inventive, insouciante des effets de mode.
Tu es un vrai écrivain, en ce sens que tu n’es tendu que vers l’expression de
toi-même et que ta quête d’une sorte de vérité ne saurait se confondre avec
celle d’un prix décerné par un aréopage français, on ne peut plus éloigné de la
réalité de ton pays.
En fait, il y a eu
une espèce de malentendu qui a régné tout au long de la montée vers la finale
du concours. Tu as sans doute été perçu en France comme un possible Sansal qui
aurait du talent, et qui se serait donné la mission subliminale de réhabiliter
a posteriori la colonisation à travers une réalgérianisation de Camus, ou
plutôt une « camusation » de l’Algérie qui frapperait d’illégitimité
l’Algérie indépendante. A travers précisément l’œuvre de négation de l’Algérie
indépendante qu’ils ont cru déceler dans ton parcours, notamment à travers tes
billets quotidiens, le jury du Goncourt a peut-être cru voir une entreprise de
réhabilitation de l’Algérie de Camus, celle où les bons sentiments de
l’écrivain philosophe devaient constituer un viatique suffisant pour faire
oublier au peuple algérien ses aspirations à l’indépendance. Je ne crois pas au
complot mais à la tyrannie de l’inconscient. Les membres du jury n’échappent
pas à l’emprise de l’inconscient collectif français qui considère que l’Algérie
a été dérobée à la France et non rendue à elle-même. Surtout, encore une fois,
ils ne connaissent rien de l’Algérie réelle ni du sport favori des Algériens
qui consiste à s’auto flageller en permanence, une tendance nourrie par la
haine de soi qui les caractérise. Beaucoup de gens prennent cette tendance au
premier degré et en tirent des conclusions fautives. En réalité, ce regard âpre
que nous promenons sur nous-mêmes est celui d’écorchés vifs paradoxalement
silencieux et immobiles en dépit du bruit et de l’agitation de nos rues. Ce
bruit sert de paravent à nos blessures secrètes, celles d’avoir perdu des
millions des nôtres durant la période de la colonisation et la guerre de
libération, des centaines de milliers du fait du terrorisme durant la décennie
noire, victimes mangées par l’oubli. Blessure aussi de n’avoir même pas pu
fêter bien longtemps l’avènement de l’indépendance puisque des pouvoirs dictatoriaux
nous ont immédiatement intimé le silence…
Alors, nous nous
adonnons tous, ou presque, à ce jeu de massacre qui consiste à nous dépeindre
sous les traits de barbares sales et paresseux. Il y avait initialement de la
tendresse qui transparaissait tout de même mais cette tendresse s’est évanouie
à mesure de la montée des désespoirs et de l’absence de perspectives. Nous
riions au début des portraits que nous faisions de nous-mêmes à travers ceux de
nos compatriotes. Il y avait quelque chose qui atténuait la cruauté des traits,
quelque chose qui s’appelle l’empathie. C’est cela qui a disparu, ou presque.
En tout cas, on a de plus en plus de mal à la discerner dans les écrits, les
caricatures… L’absence d’empathie creuse un fossé qui va grandissant entre les
producteurs de ces portraits, écrivains, intellectuels… et notre peuple. Le
résultat est que la dénonciation de ses tares, dénonciation factuellement
pertinente mais dépourvue de bienveillance et rarement assortie de propositions
de sortie par le haut, conduit au résultat inverse, c’est-à-dire à la
pérennisation, voire l’aggravation desdites tares. Ta prose est une parfaite
illustration de cette tendance. J’ai souvent trouvé sa vigueur féroce
bienvenue. Et puis, au fil du temps, à mesure que s’éloignait la perspective
d’un changement dans notre pays, le voile d’amitié silencieuse qui en atténuait
les aspérités s’est progressivement déchiré. Il n’avait sans doute pas disparu
mais tu ne le convoquais plus parce que l’amertume, parce que le désespoir…
La lecture du billet quotidien devenait de plus en plus douloureuse pour un
grand nombre d’Algériens. Sa fonction de stimulation que ton billet remplissait
s’était atténuée pour devenir un aliment de plus à la sinistrose nationale.
Parallèlement, la cote de cette littérature journalière montait en France. La
sortie de ton livre a fait événement, une sorte de retour de Camus. Le thème,
mais aussi les qualités d’écriture en ont fait le candidat le plus sérieux au
Goncourt. « Ils » croyaient tenir l’ « arabe » tant
recherché, celui qui a intégré la doxa occidentale et qui s’est défait de cet
être culturel qu’« Ils » honnissent. Sans doute
s’appuyaient-« Ils » en particulier sur deux éléments qui ont fait
florès sous ta plume. Il y a eu d’abord la mise entre guillemets du mot
« arabe » (le monde dit « arabe » par exemple). Il y a eu
également une mini-série sur la Palestine, au moment de l’agression israélienne
sur Gaza.
Le rejet de la
dimension arabe de l’Algérie a été aussi mal perçu au pays qu’il t’a valu de regain
de faveur en France. Revoilà l’inconscient collectif français
presque en pâmoison devant la confirmation de l’effacement (l’assassinat) de
l’Arabe, (sans guillemets dans l’Etranger). Camus, après en avoir fait un
élément récurrent du décor, le tue. Kamel Daoud le supprime. Je t’entends d’ici
te récrier. Oui, tu as voulu au contraire le rendre au monde, cet Arabe
évanescent, mais tu l’amputes, pas dans le roman, mais dans ta littérature
quotidienne, de cette dimension. Il y a une sorte de jouissance morbide à
s’évertuer à gommer de la personnalité algérienne tout ce qui fait société,
tout ce qui est de l’ordre du partage. Que je sache, l’Arabe était la langue
principale de communication et d’échange dans l’Algérie précoloniale, y compris
dans les centaines de zaouïas de Kabylie ! On peut remonter jusqu’à l’un
des plus illustres natifs d’Algérie, le berbère Tarek Ibn Zyad, qui
apostrophait ses guerriers en arabe ! Mais pourquoi diable cette fixation
sur ce pan de notre culture qui nous a donné le chaâbi, le melhoun, Kaki ou
Alloula ? Peut-être qu’il y a malentendu. J’entends pour ma part que l’on
est arabe, non par le sang, mais par l’usage de la langue, que nous avons en
partage avec Ibn Rochd, Ibn Sina, Ibn Khaldoun. Le chaâbi, précisément, doit ses
lettres de noblesse à des chanteurs qui pouvaient être originaires de régions
arabophone ou berbérophones, qui pouvaient être musulmans ou juifs ! Je
crois au contraire que nous devons réhabiliter cette langue, la refaire vivre
et qu’elle soit un élément fort de la cohésion de notre société ! C’est la
langue, maison de l’être, dieu dans la chair incarné, qui prémunit les sociétés
contre la tentation du glissement vers la plus mauvaise part d’elle-même. Ces
mêmes personnalités de France qui se retiennent d’applaudir à chaque fois que,
du monde arabophone, monte une voix qui ostracise la langue arabe, ne sont pas
les dernières à monter une garde ferme contre tout ce qui serait de
nature à remettre en cause ou à dégrader la qualité de la langue française… Là
aussi, il a sans doute un malentendu. Tu n’appelles pas à la disparition de la
langue arabe, enfin je ne le crois pas. Mais tes écrits les plus récents
peuvent donner cette impression et faire de toi, volens nolens, tu as pu
susciter l’espoir de voir en toi un nouveau soldat de l’Empire préposé à la
destruction des cultures autres qu’occidentales du monde, pour faire des
sociétés concernées des groupes épars, des communautés de hasard, voués à
échanger les richesses naturelles dont la Nature les a dotés contre des biens
périssables.
La Palestine…
Il y eu, je crois,
trois billets parus dans le Quotidien d’Oran, au moment même de l’agression
israélienne sur Gaza. Tu y tournais en dérision la « solidarité »
(les guillemets sont de toi) avec la Palestine. Evidemment, il fallait les lire
au second degré. Ce n’était pas la solidarité avec la Palestine que tu moquais
mais les lâchetés, les hypocrisies, qui se sont exprimées sous couvert de cette
solidarité, notamment dans le monde arabe. Mais des piques mal venues parsemaient
ces textes, tel ce passage où tu accusais les gens qui se déclaraient proches
des Palestiniens d’être en réalité des antisémites. Cette même accusation est
très régulièrement brandie, notamment par les dirigeants du CRIF en France, ce
CRIF qui est en réalité une ambassade israélienne. Est-il besoin de le
souligner ? Cette accusation n’est pas seulement infamante. Elle est
fausse pour l’écrasante majorité des gens qui marchent, distribuent des tracts,
boycottent les produits israéliens. Je suis personnellement investi en France
dans la bataille pour la reconnaissance des droits des Palestiniens, dans
différentes associations. Mon expérience la plus marquante a été la
participation à la fondation et aux travaux du Tribunal Russell sur la
Palestine. J’ai rencontré beaucoup de monde, des citoyens anonymes aussi bien
que des ambassadeurs, d’anciens ministres, des stars, comme Roger Waters, des
écrivains comme Alice Walker (la couleur pourpre), des activistes mythiques
comme Angela Davis, des prix Nobel de la Paix comme Maired Maguirre, des
personnalités palestiniennes comme Leïla Shahid, Raji Sourani, Marie-Claude El
Hamchari, veuve du délégué de l’OLP Mohamed El Hamchari, assassiné par le
Mossad à Paris… Il y a eu aussi des juifs rescapés du ghetto de Varsovie comme
le psychiatre Stanislaw Tomkiewicz, ou revenue des camps de concentration comme
Eva Tischauer. J’ai connu tout cela dans la compagnie de la haute figure de
Stéphane Hessel… Il n’y a jamais eu, au grand jamais, le moindre soupçon de
quelque forme de racisme que ce soit durant les très nombreuses journées de
travail que nous organisions. Alors, laisse, s’il te plaît, ces accusations au
CRIF et à ses affidés de la Ligue de Défense Juive ! Quand des gens
marchent au nom d’une cause dont tu te déclares toi-même solidaire,
accorde-leur un préjugé favorable plutôt que de chercher un mobile inavouable à
leur engagement.
Le mythe de la
caverne est un récit allégorique de Platon. Il commence par la description
d’une caverne dans laquelle des prisonniers enchaînés tournent le dos à
l’entrée ouverte à la lumière. Derrière les prisonniers, un sentier escarpé sur
lequel vont et viennent des hommes portant des statuettes. Derrière le sentier
brûle un feu. Les prisonniers, nos semblables, ne pouvant tourner la tête, ne
voient pas la lumière du feu mais seulement les ombres qu’il projette sur la
paroi de la caverne, ombres qu’ils jugent seules porteuses de réalité,
constitutives avec la prison du monde sensible, celui auquel nous accédons par
nos sens. L’extérieur de la caverne figure le monde des idées. Un jour, un des
prisonniers est conduit à la lumière du jour. C’est ce que Platon appelle la
dialectique ascendante. Après une phase d’aveuglement dû à l’intensité de la
lumière, il voit les objets naturels. Il sera par la suite heureux de cette
connaissance et ne voudra pas retourner en esclavage. Si par amour pour ses
semblables, il retourne quand même dans la caverne (dialectique descendante),
il n’y distinguera d’abord que peu de choses, ses yeux s’étant habitués à la
lumière. Puis, il expliquera à ses anciens compagnons l’erreur qu’ils
commettent à prendre pour réalité ce qui n’est qu’illusion. Selon Platon, ses
compagnons le prendront peut-être pour un fou et lui feront subir le sort de
Socrate en le condamnant à mort. Peut-être peut-on envisager un sort plus
heureux pour tel de nos penseurs ou de nos écrivains qui ferait cette
démarche ?
Gadamer, philosophe
allemand, élève de Heidegger, démontre que « le plus grand préjugé des
Lumières, c’est le préjugé contre les préjugés et que l’explicitation du
préjugé peut mener à un plus grand niveau de compréhension ». C’est dans
ce sens, ajoute-t-il, que « le préjugé peut être vu de façon
positive ». Notre inconscient collectif est peuplé de préjugés. Ce sont
eux qui nous paralysent, qui désarment toute tentative d’innovation. Ce sont
eux qui nous dictent notre comportement moutonnier, notre conformisme en
matière d’accoutrement… Plutôt que de nous contenter de les dénoncer de manière
récurrente, interrogeons-les, cherchons-y un sens. C’est le moyen de nous en
affranchir. La caverne de Platon, c’est nous. La dialectique ascendante, nous
devons la réaliser à partir de nous-mêmes, nous élever au-dessus de notre
condition actuelle pour accéder à la vérité des idées. Mais nous ne pouvons le
faire seuls. Nous sommes lestés de trop de liens, trop de poids. Nous avons
besoin de l’aide d’autres nous-mêmes, qui nous ressemblent, que notre sort
intéresse, et qui ont fait l’expérience de la sortie vers la lumière. Mais,
pour ce faire, encore faut-il aller vers eux, les connaître, ou plutôt les
Reconnaître, refaire avec eux la route difficile vers la connaissance. Il nous
faut rompre avec la tentation de la dissolution de notre être et revenir au
contraire vers ce qui nous fonde et que nous ne voulons plus voir. Nous avons à
reconstruire notre destin, à prendre à notre compte nos mémoires, notre
imaginaire, plutôt que d’adhérer à un universalisme décharné qui s’est
construit sans nous, voire contre nous depuis des siècles.
Descendons dans la
caverne, Kamel, retournons auprès des nôtres. Refaisons avec eux l’ascension du
chemin escarpé vers la plus haute des libertés, celle de l’esprit. Nous aurons
en retour le prix inestimable de la reconnaissance de notre peuple. Pour moi
sûrement, pour toi, je crois, elle nous est plus précieuse et plus utile que
celle d’un groupe d’écrivains ou assimilés, réunis une fois l’an pour désigner
un ou une lauréat(e), tout en essayant de se rappeler, à proximité de l’heure
du déjeuner, si c’est l’année du gibier à poils ou du gibier à plumes.
Je te souhaite, je
nous souhaite le meilleur et que ce meilleur soit aussi le meilleur pour notre
pays, l’Algérie…
Brahim Senouci
22 NOVEMBRE
2014
Leïla Benammar Benmansour
Docteur en communication, auteure. Dernier ouvrage, Ferhat Abbas
l’homme de presse. Alger-Livres Editions. Alger 2013.
Meursault, contre-enquête est un livre de Kamel Daoud, dont
c’est le premier roman. A son actif, jusque-là, deux recueils de nouvelles. Ce
roman, qui s’inspire de L’étranger d’Albert Camus, a été publié d’abord en
Algérie, ensuite en France aux éditions Actes Sud. Il a rencontré un succès
certain auprès des critiques littéraires de tout bord et de manière unanime,
qui ont porté aux nues l’écrivain et son œuvre. Les lecteurs français l’ont
moins adopté puisque 8000 exemplaires seulement ont été vendus (Editeur. Blog
Le Figaro. Sept 2014).
C’est bien peu pour un ouvrage promis au Goncourt, mais ce
n’est pas si mal pour un premier roman. Ce succès auprès des critiques
littéraires, et ce sont eux qui font le succès d’un livre, a permis à l’auteur
d’obtenir deux prix littéraires, celui des Cinq continents de la francophonie
et le prix François Mauriac, avant d’atterrir finalement sur la table du
Goncourt.
Kamel Daoud n’a pas obtenu ce prix prestigieux que tous les
critiques littéraires de France et d’Algérie espéraient ou réclamaient presque
pour lui, et que lui-même a fini par attendre, mais c’est l’écrivaine Lydie
Salvayre qui l’obtint pour son roman Pas pleurer (Seuil), qui avait déjà vendu
avant l’attribution du prix plus de 20 000 exemplaires de son livre. Cette
écrivaine n’est pas une inconnue, loin de là, puisqu’ayant à son actif 23
romans. J’ai lu Meursault, contre-enquête, curieuse de connaître le contenu de
ce livre encensé par la critique.
Moussa ou la recherche identitaire
Dans cette histoire inspirée de L’Etranger d’Albert Camus,
l’auteur, Kamel Daoud, s’attache à un point-clé de l’œuvre, l’Arabe assassiné
sur la plage, non pas pour faire l’enquête policière, omise dans L’Etranger
comme le laisse à penser le titre, car Camus avait «zappé» l’enquête sur
l’assassinat pour accorder la primeur à l’indifférence du fils devant le
cercueil de sa mère, mais pour dévoiler l’identité de la victime, parce que,
s’insurge Kamel Daoud, personne depuis l’indépendance de l’Algérie ne s’est
soucié de lui donner un nom ni de rechercher ses ancêtres.
D’emblée, le narrateur, un vieux monsieur, qui répond au
prénom de Haroun, et qui passe ses soirées dans un bar, annonce la couleur : il
est chargé d’une «mission», celle de donner un nom à la victime, qui n’est
autre que son frère Moussa (je l’écris en majuscules, comme le veut le
narrateur) : «Moussa, Moussa, Moussa... J’aime parfois répéter ce prénom pour
qu’il ne disparaisse pas dans les alphabets. J’insiste sur ça et je veux qu’on
l’écrive en gros. Un homme vient d’avoir un prénom un demi-siècle après sa
naissance. J’insiste...» (p. 23) Pourquoi le choix de Moussa, un prénom rare en
Algérie, et pourquoi pas après tout ?
Mais enfin, Daoud était-il à court de prénoms ? Le choix
d’un prénom n’est pas anodin, comme lorsque Camus choisit celui de Marie et
Daoud celui de Myriam. Et lorsque l’auteur le répète à profusion, c’est que ce
prénom a un sens pour lui bien évidemment, au point de vouloir l’attribuer à
tous les Algériens. Ils deviennent tous des Moussa, comme le barman, comme les
clients du bar et comme lui-même puisqu’il s’identifie à son frère, dont il
devient le double, «Moussa zoudj».
En fait, Haroun voit des «Moussa» partout autour de lui,
tant il a été obsédé toute sa vie par le prénom de ce frère assassiné sur une
plage des environs d’Alger par un certain Meursault, qui n’avait trouvé d’autre
explication à son geste meurtrier que le soleil. Daoud écrit : «Oui, le serveur
s’appelle Moussa, dans ma tête en tout cas. Et cet autre là-bas au fond, je
l’ai lui aussi baptisé Moussa... Ils sont des milliers, crois-moi.» (pp.
34-35).
La question du prénom étant réglée, Daoud Haroun s’apprête
à décrire Moussa. Même s’il n’avait que sept ans à la mort de son frère,
néanmoins les souvenirs sont précis. Il le décrit comme grand de taille. «Il
avait un corps maigre et noueux. Il avait un visage anguleux et des yeux durs à
cause de la terre perdue des ancêtres». (p. 7). Si la victime de la plage a
désormais un prénom, la mission n’est pas terminée pour autant, la question
identitaire n’étant pas encore résolue. Car il y a la mère. Tant qu’elle sera
en vie.
Remake : l’indifférence du fils à la mort de sa mère
Commence alors la narration d’une histoire originale,
touchante et saisissante, celle d’une mère éplorée qui a passé sa vie dans une
longue recherche éperdue du corps de son fils et de son assassin. Dans son
immense chagrin, elle a entraîné avec elle son jeune fils Haroun sans se
soucier un instant des dégâts psychologiques que provoqueraient sur lui la
quête du cadavre et la haine des Français d’Algérie, puisqu’en chacun de ces
derniers elle voyait l’assassin de son fils.
Au point qu’elle oublia que son jeune fils avait besoin
d’elle plus que le mort qu’elle voulait venger. Il manqua de son affection et
finit par ne plus l’aimer vraiment et n’attendre que le jour de son
enterrement. Mais le pire est ailleurs ; c’est que Haroun, devenu un homme et
sous l’impulsion de sa mère, tua un Français d’Algérie — le 5 juillet 1962,
date de l’indépendance de l’Algérie —, venu se réfugier dans leur maison, car
suivi par une horde d’Algériens qui voulaient sa peau. L’heure des règlements
de comptes.
La mère a fait de son fils un assassin. Il lui en voudra
tout le reste de sa vie, attendant sa mort pour exister enfin pour lui-même et
en étant enfin lui-même. Si l’histoire est touchante et même poignante, car le
lecteur ne peut rester insensible ni à la souffrance du frère, ni à celle du
fils qu’il est en même temps (Moussa zoudj), ni à celle de la mère à la quête
de la tombe de son fils et de son assassin.
Le lecteur est néanmoins surpris de constater que le
romancier reprend le thème central de L’Etranger : l’indifférence d’un fils à
la mort de sa mère. Si dans L’Etranger la mère est déjà morte et que le fils
reste indifférent devant son cercueil, par contre Haroun, lui, devient
indifférent à sa mère au fil du temps et finit par n’attendre que son
enterrement pour en être débarrassé. La contre-enquête concerne pourtant le
frère et non un règlement de comptes avec la mère. Il écrit, en effet : «Oui,
aujourd’hui M’ma est encore vivante et ça me laisse complètement indifférent.
Je m’en veux, je te jure, mais je ne lui pardonne pas. J’étais son objet, pas
son fils.
Elle ne dit plus rien. Peut-être parce qu’il ne reste rien à dépecer du
corps de Moussa. Je me rappelle encore la reptation à l’intérieur de ma peau,
sa façon de prendre la parole quand on recevait de la visite, sa force et sa
méchanceté et son regard de folle quand elle cédait à la colère. Je t’emmènerai
avec moi assister à son enterrement» (p. 49).L’auteur oublie alors la fiction, tenté par une envie dévorante d’analyse de L’Etranger de Camus à laquelle il n’arrive pas à échapper. Il tombe dans le piège à plusieurs reprises, se ressaisit et replonge, et c’est ainsi tout au long du livre, au point que le lecteur se demande où se trouve la création.
L’écrivain casse souvent le fil conducteur de la narration, si ce n’est par l’analyse, c’est en s’en prenant aux Algériens dans un règlement de comptes impitoyable et sans détour. Quel mal donc a pris le narrateur Daoud/Haroun de prendre à partie les pauvres gens d’une cité d’Algérie, où habite d’ailleurs le narrateur (c’est une fiction bien sûr) qui se débattent avec la question de survie, les laissés-pour-compte vivant en marge des quartiers chics où la nomenklatura se prélasse et se délasse ?
Le peuple algérien laminé
Daoud abandonne Haroun et sa mère pour regarder de son balcon les habitants de la cité où il habite et nous décrire leurs «tares». Le lecteur sait que le peuple algérien n’est ni meilleur ni plus mauvais qu’un autre. Et peut-être est-il plus mauvais que d’autres. Enfin, cela dépend comment on le regarde et ce qu’il représente pour soi. Mais de là à fouler aux pieds l’honneur et la foi simple des pauvres gens des cités des grandes villes d’Algérie, comme le fait Daoud dans son livre, on se croirait dans le roman algérianiste de la période de l’entre-deux guerres qui n’avait pas assez de mots dénigrants vis-à-vis des Algériens, et tournant l’Islam en dérision.
Avec Kamel Daoud, la tare principale de l’Algérien, enfin celle qui l’indispose, c’est justement sa foi. En effet, l’Algérien l’indispose le vendredi, son héros, Haroun, déteste le vendredi et pour cause, c’est le jour de repos pour les musulmans. Lui se dit athée. Ceci relève de sa liberté. Mais il oublie celle des autres, garantie par la Déclaration universelle des droits de l’homme : la liberté de conscience. Chez Daoud/Haroun, c’est la haine de l’autre, parce que différent. Il veut le voir porter le chèche rouge ou alors le nœud papillon, refusant ainsi à l’Algérien sa liberté d’être.
Il n’en a cure. Il pointe du doigt avec dégoût ses voisins se rendant à la mosquée, «l’accoutrement : djellaba et claquettes», «le tapis sous l’aisselle», «cette hâte hypocrite des fidèles vers l’eau et la mauvaise foi, les ablutions et la récitation» (p. 79), «l’oisiveté de tout un cosmos devenu des c... à laver et des versets à réciter» (p. 79). «La voix de l’imam qui vocifère à travers le haut-parleur» (P 79), son voisin qui récite le Coran et qui l’insupporte, il voudrait défoncer le mur, l’étrangler pour ne plus l’entendre.
Au sujet du Coran : «J’ai toujours cette impression quand j’écoute réciter le Coran. J’ai le sentiment qu’il ne s’agit pas d’un livre mais d’une dispute entre un ciel et une créature (p. 75-76) et il poursuit plus loin : «Je feuillette parfois leur livre à eux. LE LIVRE, et j’y retrouve d’étranges redondances, des jérémiades, des menaces et des rêveries qui me donnent l’impression d’écouter le soliloque d’un vieux gardien de nuit...» (p. 81). Au sujet de la mosquée : «Un minaret hideux qui provoque l’envie de blasphème absolu en moi... Je suis tenté parfois d’y grimper, là où s’accrochent les haut-parleurs, de m’y enfermer à double tour, et d’y vociférer ma plus grande collection d’invectives et de sacrilèges...» (p.149).
Tout le voisinage de la cité où habite Haroun en prend pour son grade. Il déteste ce militaire en retraite qui ne fait rien d’autre que lustrer sa voiture et pour lequel il attribue un qualificatif pornographique, le chauffeur de taxi... Hideux, moches, tous, «chiffonnés, négligés, sans soins, sans élégance, sans soucis d’harmonie». Même Alger la belle n’a pas échappé aux sarcasmes de Daoud/Haroun. «Cette capitale grotesque qui expose ses viscères à l’air libre m’a semblé la pire insulte faite à ce crime impuni...
Dieu que je déteste cette ville, son monstrueux bruit de mastication, ses odeurs de légumes pourris et d’huile rance ! Ce n’est pas une baie qu’elle a, mais une mâchoire» (p. 149). II lui préfère Oran, cela se comprend. S’opposer à Camus l’Algérois pour lequel «Oran est une ville ordinaire et rien de plus» (La Peste). Mais Albert Camus avait l’élégance des mots.
Mais comme si tout cela ne suffisait pas pour mettre une ville et son peuple en rat des égouts, Daoud/Haroun s’exprimant au sujet de ses voisins de la cité, s’en prend à leurs enfants qui le répugnent : «Leur marmaille grouillant comme des vers sur mon corps» (p.79). Camus-Meursault se disant athée, ne s’en est pas pris aux chrétiens, ni aux musulmans, ni aux juifs, ni à toute religion non monothéiste. Il n’a pas traîné dans la boue Jésus et la Bible. Il ne s’en est pas pris au voile des bonne sœurs ni à la soutane de l’évêque.
II n’a pas décrit les Français dans leur habillement du dimanche en se rendant à l’église, les rabaissant aux rats des égouts. Il n’a pas tourné en dérision leur foi. Il ne s’en est pris qu’à l’aumônier venu dans sa cellule pour l’absoudre de ses péchés et encore, car il lui trouvait tout de même un air très doux. L’Etranger (p. 116). Lorsqu’on se saisit d’un livre d’une telle valeur que L’Etranger d’Albert Camus, pour construire sa propre histoire en laminant le peuple algérien aux yeux du monde, l’entreprise devient douteuse.
Elle ne laisse plus place ni à ce pauvre Moussa, ni à cette mère éplorée (et c’est bien dommage), mais simplement à un règlement de comptes avec un peuple innocent, et ne rend pas service à Albert Camus, dont l’œuvre se suffit à elle-même et n’a pas besoin d’une suite imaginée qui porterait atteinte à son humanisme. Car Camus, dans la vie réelle, a toujours appelé les Algériens «mes frères» et n’a jamais touché, au grand jamais, ni à leurs coutumes ni à leurs traditions et encore moins à leur foi. Il n’a touché ni au peuple pied-noir ni au peuple de France, et encore moins aux enfants (domaine universellement sacré et donc intouchable).
Albert Camus a été un patriote, un vrai. Il n’a jamais cessé de se dire Français et revendiquait sa francité avec fierté, ce qui est tout à son honneur. En obtenant le Nobel en 1957, il a redoré le blason de son pays empêtré dans la guerre d’Algérie. Ce qui explique pourquoi Nicolas Sarkozy a voulu lui rendre un ultime hommage en transférant ses restes au Panthéon qui porte l’inscription : «Aux grands hommes, la patrie reconnaissante». N’est pas grand homme qui veut !
Leïla Benammar Benmansour
21 DECEMBRE
2014
La chronique de Kamel DAOUD 12 décembre 2014
Chez Laurent Ruquier, mais dans ma têteAu matin Radio France, Paris. Question sur Ca mus, l'Algérie, le chroniqueur puis le temps de parole à un architecte belge, Vincent Callebaut, fascinant : utopiste de villes-flottantes et de villes verticales écolos. A Ecouter. Car dans la tête de l'algérien, la machine à comparer ne s'arrête jamais. Lui pense : Paris à « dé-musifier » (du mot musée), ville écologique auto-suffisante, verticalité anti-banlieues, portager-avenueetc, implanter la campagne au cœur de la ville. Concept du vivre-ensemble. « Et vous ? ». C'est plus complexe : le régime encourage, soutien et dépense pour le « vivre-chez-soi », pas pour le vivre ensemble. Le but est de reloger chacun dans un trou pas de creuser un pays dans le creux de la géographie ; le vivre-ensemble n'est pas un but national algérien. Cela a été dit dix mille fois. La ville est chez nous ennemie, elle est le signe de la blessure coloniale, le lieu de perdition et de négation, l'espace de la vengeance enfouie et secrète. Où ce situe le centre-ville quand l'histoire est refusée ? C'est le centre coloniale rebaptisée ou le centre effacé des cités dortoirs ? La stèle ou le forum ? Le logement tourne le dos au logement chez nous. Ou le contraire. A poursuivre. Cela faisait rêver, au matin gris de Paris, dans la froidure, sur cette ville future que permettait l'utopie de l'architecte.
Longue nuit d'ailleurs. La veille, dans une télé. Sensation d'être à l'intérieur d'un aquarium en regardant Laurent Ruquier, très sémillant, de « On n'est pas couché ». Assis avec les chroniqueurs de la fameuse émission, filmé, flashé, interrogé, essoré. Curieuse sensation de flottement sous les applaudissements. Pensée sur ce que va dire le pays à propos de ce que va dire le chroniqueur. Parler en France pour un algérien est dur : c'est à la fois choisir des mots, choisir des histoires, choisir un passé, un risque, un trébuchement. On ne dit pas en France ce que l'on se dit entre nous sur l'Algérie : règle une. Règle deux : notre âne est meilleur que leur cheval, précise le manuel du décolonisé. Règle trois : chaque mot à deux visages, trois sens, quatre synonymes et cinq boules de fer au pied. Malaisé. J'aurais voulu n'être ni Français, ni algérien, mais bolivien par exemple. Parler de Camus, de l'histoire, de la blessure coloniale, mais avec distance. Ne pas être malade de l'Histoire. Difficile : comment à la fois dire que la colonisation est un crime mais que l'indépendance est un désenchantement ? Comme dire que la France a tué mais que le désastre algérien présent sur le dos de la colonisation est facile et comique, vu de la lune ? Comment parler de l'islam sans tomber ni dans l'islamophobie facile ni dans l'islamophilie ridicule comme explication du cosmos ? Quatre heures d'enregistrement.
Le temps de s'ennuyer un peu, rire beaucoup, regarder, parler, répondre, surveiller sa langue par ses oreilles et regarder la télé de l'intérieur. Intéressant le cosmos-show Occidental. Avec en clou de spectacle une empoignade entre deux chroniqueurs français : Natacha Polony et Aymeric Caron. Du ravissement, à la même table que vous.. Et un peu d'ennui. Si loin de nous. Les sujets ? L'immigration, le crime, les faux chiffres, la droite, la gauche, Le Pen, Zemmouretc. Dans tout ça les « arabes » ou les immigrés en gros ont le rôle du cadavre. Comme dans l'Etranger. Tout part d'eux, mais sans eux. Ce fut bien comme émission cependant. Fini tard.
La nuit, Paris est un ciel nocturne inversée : il commence au sol, sous vos pieds, puis s'élève avec vos yeux quand vous renverser la tête vers la voute noire, dans votre taxi silencieux.
21 DECEMBRE
2014
LE QUOTIDIEN D ALGERIE
(reprise de
l’article dEl Watan même jour) ADDI
Lahouari El Watan
L’appel à condamner à mort Kamel Daoud par Abdelfattah Hamadache, sous le
prétexte qu’il a porté atteinte à l’islam, au-delà des possibles manipulations
par des cercles occultes, renvoie à la difficulté d’une partie des musulmans à
accepter la liberté de pensée et la liberté de conscience.Cette question est de la plus haute importance pour l’avenir des sociétés musulmanes qui, en raison de la présence d’un courant d’opinion intolérant, s’opposent à la liberté de penser et d’écrire, considérant ces libertés comme un danger pour l’islam et pour l’idée de Dieu. Cette prédisposition d’esprit est, selon le grand théologien Mohamed Abdou et son disciple Abdelhamid Ben Badis, la cause du déclin de la brillante civilisation musulmane, déclin qui a coïncidé avec la victoire des hanbalites sur les mu’tazilas. Les hanbalites, dont Abdelfattah Hamadache est un pâle représentant, ont une lecture littéraliste du Coran qui est un texte sacré et, à ce titre, ne se lit pas comme un livre ordinaire. Il se lit avec le cœur pour découvrir sa dimension spirituelle et humaniste. Le Coran n’est pas un livre de combat ; c’est un enseignement éthique qui dit d’emblée que «tuer un homme, c’est tuer toute l’humanité».
La charia qu’il contient, la voie, n’est pas un droit répressif ; c’est un ensemble de principes qui protègent la vie, la dignité et l’honneur des hommes et des femmes dans la culture de l’époque où le Coran a été révélé. La charia a pour objectif final l’épanouissement de l’homme selon les époques historiques où il vit. Elle est un droit humain, élaborée sur la base de l’ijtihad par les imams Malik, Ibn Hanbal, Chafii et Hanifi qui connaissaient les œuvres de Platon et d’Aristote ainsi que la pensée philosophique de l’époque. Sur les 6000 règles du rite malékite, seulement 500 proviennent du Coran, selon A. Ghazali. Ceci prouve une créativité perdue aujourd’hui, où la charia n’offre pas cette image de droit humaniste parce qu’elle est mal comprise par des musulmans formés par des siècles de décadence au cours desquels le fiqh s’est transformé en un ensemble de règles répressives.
La charia et, d’une manière générale, l’islam sont victimes d’un appauvrissement culturel provoqué par l’ignorance qui s’est installée chez l’élite religieuse depuis la décadence qui a fait disparaître le pluralisme des interprétations et les débats contradictoires dans le kalam et le fiqh. Est-ce un hasard, si en droit, il y a quatre écoles juridiques qui se sont formées avant le Xe siècle ? Aboul Hamid Ghazali a réfuté Ibn Sina (Tahafut el Falasifa) sans jamais écrire qu’Ibn Sina n’est pas musulman ou qu’il mérite la mort. Car ce grand théologien, et avant lui Al Ash’ari, savait que ce n’est pas facile de donner une définition du bon musulman et de l’apostat. M. Hamadache a lancé son appel contre Kamel Daoud parce que ce dernier aurait blessé Dieu par ses paroles ou ses écrits.
Comment une petite créature comme Kamel Daoud pourrait blesser Dieu ? N’est-ce pas ramener Celui-ci à la dimension humaine ? Et voilà que Hamadache, en censeur de conscience et d’imam caché, court pour défendre Dieu ! Quelle prétention ! Sa réaction est l’illustration vivante de sa méconnaissance et de sa pauvre interprétation du Coran. Car peut-être que Kamel Daoud a exprimé un point de vue non conforme à la doctrine orthodoxe ; est-ce suffisant pour déclarer que ce n’est pas un musulman ? En islam, l’inquisition n’existe pas ; elle a été une pratique de l’Espagne catholique encouragée par l’Eglise et est étrangère à la culture musulmane.
Aucun homme, aucune institution n’a la prérogative de dire que tel ou tel n’est pas musulman, et ce, pour une raison très simple énoncée dans le Coran : nul ne sait ce qu’il y a dans le cœur d’un homme. Et Kamel Daoud est un homme de cœur comme il le montre tous les jours dans ses chroniques du Quotidien d’Oran. Il défend le faible, il condamne l’injustice, il tourne en dérision l’autoritarisme et il dénonce la corruption. Ce sont là des «mou’amalate» qui le désignent comme le meilleur d’entre nous. De ce point de vue, Kamel Daoud défend tous les jours les vraies valeurs de l’islam. Quant au rapport qu’il a avec Dieu, il faut laisser Dieu seul juge. Le Coran donne plus d’importance aux «mou’amalate» qu’aux «ibadate». Comment serons-nous jugés lors du Jugement dernier ? Sur notre comportement en société ou sur notre assiduité à la mosquée ? Bien sûr le Coran recommande le respect des «ibadate», mais l’homme étant ce qu’il est, le vrai critère, «es sah», de la générosité du cœur pour être un bon musulman, c’est les «mou’amalate».
Le philosophe iranien Abelkrim Soroush, ancien gardien de la révolution, écrit qu’il ne veut pas aller à la mosquée prier à côté de personnes qui se sentent contraintes par l’Etat ou la société. Il dit qu’il n’y a pas de foi sans liberté et il veut prier à côté de gens qui viennent à la mosquée de leur propre gré. C’est cela l’esprit de l’islam que Hamadache défigure en se prenant pour le vicaire de Dieu sur terre («khalifatu Allah fi ardihi»), ce qui est expressément interdit par le Coran. En attendant, un appel au meurtre est un délit grave que l’éthique religieuse et le droit condamnent sévèrement. L’Etat a l’obligation d’intervenir pour non seulement assurer la protection d’un citoyen, mais aussi pour garantir la liberté de pensée nécessaire à l’épanouissement culturel et spirituel de la communauté.
Lahouari Addi : Professeur de sociologie
21 DECEMBRE
2014
ALGERIE PATRIOTIQUE
Le lobby sioniste français parraine une pétition en faveur de Kamel Daoud pour fragiliser l'Algérie
Article | 21. décembre 2014 - 3:58
Bernard-Henri Lévy, le «philosophe»
français connu surtout comme étant un militant engagé dans la déstabilisation
des pays arabes, notamment la Libye, tente de reprendre pied en Algérie. En
effet, c'est par le biais d'une pétition lancée simultanément à Paris et à
Alger, censée condamner une «fatwa» émise par un intégriste illuminé visant le
journaliste Kamel Daoud, que le chroniqueur du magazine Le Point fait parler de lui.
Bernard-Henri Lévy trouve ainsi le filon inespéré pour jeter le discrédit sur
l'Algérie. Mais le malheur est que ce sinistre personnage, honni aussi bien
dans le monde arabe qu'en France, fasse bonne presse dans le Tout-Alger
médiatique. Il faut dire qu'une majorité écrasante de la presse algéroise ne
trouve aucun mal à rendre publique la «pétition» sur laquelle sont apposées plusieurs
dizaines de signatures de figures de proue du lobby sioniste français. Outre
Bernard-Henri Lévy, on remarque également Raphaël Enthoven, «philosophe», fils
de Jean-Paul Enthoven, un sioniste né en 1949 à Mascara, en Algérie, connu dans
les milieux pervers de la jet-set. Ce dernier épousa le 4 décembre 1981 Corinne
Pécas, fille du réalisateur et producteur de films érotiques Max Pécas.
Ex-compagnon de Carla Bruni – l’actuelle compagne de Nicolas Sarkozy – au début
des années 2000, Raphaël Enthoven est mentionné dans le site de la Radio
militaire israélienne Galei Tsahal comme «un pilier du cercle littéraire
franco-israélien». A noter aussi qu'Esther Benbassa, sénatrice et universitaire
franco-turco-israélienne, spécialiste du sionisme, a tenu à «condamner
l'obscurantisme» en Algérie, sans omettre la signature de Caroline Fourest, une
«star» de la presse pro-sioniste parisienne, présidente du «centre gay et
lesbien» de Paris de mai 1999 à mars 20002, protectrice des Femen ukrainiennes
à Paris, mais surtout une partisane zélée de l'islamophobie en France. Nuire à
l'Algérie suscite, par ailleurs, l'implication de Rober Badinter, ex-garde des
Sceaux né en 1928 à Paris et compté comme «élite juive» de France, foncièrement
pro-sioniste. Il faut dire que la liste est trop longue pour pouvoir citer tous
ces «démocrates éclairés» érigés en donneurs de leçons à une «Algérie
obscurantiste». Cependant, les Algériens s'interrogent sur ce brusque mouvement
«né en deux temps trois mouvements pour mettre l'Algérie au piquet». Certains
compatriotes n'hésitent pas à prendre d'assaut la Toile pour dénoncer «cette
subite pétition qui sent indubitablement l'ingérence dans les affaires
algériennes». Pour ces Algériens, c'est indéniablement la paire Kamel
Daoud-Abdelfattah Hamadache qui a déroulé le tapis rouge aux sionistes
français. A l'exemple de ce commentaire lu dans le forum d’Algeriepatriotique, qui considère que
la pétition ne servirait pas plus Kamel Daoud que les «personnalités»
signataires dont les dividendes politiques seront d'un «impact important sur la
fragilisation de l'Etat algérien». Un autre internaute n'hésite pas, à juste
titre, à renvoyer dos à dos le journaliste et le faux imam auteur de l’appel au
meurtre, «dont l’un voudrait être auréolé du titre d’un Salman Rushdie algérien
et l’autre de chef d’une antenne algérienne de Daech». «Rentrons-leur dedans
tous les deux !» fulmine un autre internaute.
Djamel Zerrouk
Djamel Zerrouk
21 DECEMBRE
2014
ALGERIA WATCH
L'imam
salafiste du regime algerien et l'ecrivain camusien
Fausse polémique et vraie manipulation
Algeria-Watch,
21 décembre 2014
Le 16 décembre dernier à Alger, un certain Abdelfatah Hamadache, qui se dit
imam et chef d’un mouvement salafiste non agréé, le Front de la Sahwa (éveil)
islamique libre, publiait sur sa page Facebook (1) un appel à l’exécution par
l’État du journaliste-écrivain algérien Kamel Daoud, auteur du roman Meursault, contre-enquête, largement salué
par la presse française et finaliste du prix Goncourt. Qualifiant Kamel Daoud
d’« apostat » et d’« ennemi de la religion » qui insulte
« Allah et le Coran et combat l’islam », l’imam salafiste écrivait
notamment : « Si la charia islamique était appliquée en Algérie, le
châtiment contre lui aurait été la mort pour apostasie et hérésie. […] Nous
appelons le régime algérien à appliquer la charia et à le condamner à mort en
le tuant publiquement pour la guerre qu’il mène contre Dieu et le
Prophète. »Ces déclarations ont suscité de vives réactions, en Algérie comme en France. De nombreuses voix se sont élevées à juste titre pour considérer cet écrit comme un appel au meurtre et le condamner en conséquence. Curieusement, Hamadache n’a pas cité les déclarations qu’il reprochait à Kamel Daoud. Alors que le journaliste s’est souvent exprimé ces dernières semaines, notamment dans l’émission de France 2 « On n’est pas couché » du 13 décembre 2014, où il expliquait son point de vue sur la colonisation, l’arabité et les printemps arabes. Et où il critiquait le rapport des musulmans à leur religion, considérant en substance que « la religion, c’est le mal du monde arabe ».
Abdelfatah Hamadache, « salafiste des services »
Des sources fiables ont confirmé à Algeria-Watch que le prétendu imam salafiste est en réalité de longue date un agent du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), la police politique secrète du régime algérien. Lors de la « sale guerre » des années 1990, l’agent undercover Abdelfatah Hamadache activait dans les rangs islamistes sous la fausse identité d’Abdelfatah Berriche, dit aussi « Abou Souleiman ». Des précisions décisives ont été apportées sur ce personnage par le capitaine Ahmed Chouchane, ancien officier des forces spéciales qui avait été arrêté en mars 1992 pour ses sympathies islamistes (mais qui avait récusé le recours à la lutte armée) (2). Dans son livre publié sur Internet en 2012 (3), le capitaine Chouchane relate de façon détaillée le rôle joué par Hamadache – il avait découvert sa véritable identité – dans la mutinerie manipulée des détenus de la prison de Berrouaghia, dont la terrible répression fit plus de cinquante morts le 13 novembre 1994 (4). L’objectif de cette opération était de justifier l’élimination extrajudiciaire de nombreux cadres du Front islamique du salut (FIS) qui y étaient incarcérés. Chouchane, qui y était alors détenu, raconte comment ces cadres (enseignants, médecins, intellectuels) avaient fait de la prison une sorte d’école, apprenant à lire et à écrire aux quelque 1 200 prisonniers politiques qu’elle comptait à l’époque. Et comment, quelques semaines avant le drame, le DRS avait transféré à Berrouaghia plusieurs détenus d’autres prisons comme Serkadji et Lambèse, parmi lesquels Hamadache, tandis que la direction de la prison était remplacée.« Les premiers à subir les effets de ces bouleversements à l’intérieur de la prison, explique Ahmed Chouchane, ont été les enseignants et les cadres qui ont été diabolisés ; puis, sous l’ordre de la nouvelle direction, de nouveaux leaders arrivés avec le dernier transfert ont pris l’ascendant sur les anciens et ont pris le contrôle avec l’aide des gardiens... Certains des nouveaux détenus, qui avaient même des relations personnelles avec le directeur de la prison, […] étaient vraiment des agents transférés dans le seul but d’exécuter des cadres du FIS. » Ces agents, se présentant comme des islamistes radicaux, ont constitué au sein de la prison un « émirat », dont Hamadache a été désigné « imam ». Ils ont alors entrepris d’embrigader de jeunes détenus fragilisés par la torture pour organiser une évasion. Le capitaine Chouchane rapporte en détail le déroulement des faits et l’épouvantable répression par les forces de sécurité, en précisant : « Toutes ces informations m’ont été données par les jeunes victimes des bourreaux après l’échec de l’évasion et ont confirmé une manipulation des services de renseignement. […] Quant à Abdelfatah Hamadache, il a été le premier à être exfiltré en nous disant qu’il avait été blessé par balle dans sa tentative d’évasion. »
Vingt ans après ce drame, l’agent infiltré a retrouvé son patronyme et refait surface sous les spots des studios de télévision. Depuis quelques années, le prédicateur salafiste Hamadache est en effet invité sur les plateaux des nouvelles chaînes algériennes « privées » pour prêcher la haine en toute impunité. Ses discours incendiaires, qui ont d’ailleurs peu d’écho dans la population, ne lui valent aucun rappel à l’ordre ni poursuite, ni interdiction d’antenne. Dans un pays bâillonné et dont les médias sont tous étroitement contrôlés par le DRS, cette tolérance est révélatrice tant des protections dont il bénéficie que du rôle qui lui est assigné sur la scène médiatique.
Jusque-là, la réputation de ce personnage équivoque ne dépassait pas les cercles spécialisés : le « salafiste des services » n’était connu que de ceux qui observent avec attention le théâtre des marionnettes médiatiques algériennes. Mais son appel au « régime algérien à appliquer la charia […] en exécutant publiquement » Kamel Daoud a valu à Abdelfatah Hamadache une notoriété dépassant les frontières de son pays. Il faut dans ce contexte relever l’opinion d’Ali Belhadj, l’ex-numéro deux du FIS – qui continue à ce jour d’être poursuivi par les autorités algériennes –, demandant à Hamadache immédiatement après sa sortie « de s’expliquer et de dire en quelle qualité il pouvait juger (5) ». Il ajoutait que « s’il est possible de rappeler les principes religieux, par contre, personne ne peut juger » : selon Belhadj, « il n’appartient qu’au seul Dieu de juger qui est musulman et qui ne l’est pas ». Il désavouait ainsi clairement les propos de l’imam salafiste.
Ce prédicateur obscurantiste brutalement surgi des limbes par un discours très provocateur a en tout cas efficacement refocalisé l’attention des médias à l’étranger et en Algérie sur la « menace islamiste ». Tous les éléments d’une opération de guerre psychologique étaient ainsi réunis. Une intrigue mince, mais un procédé efficace. L’acteur principal, un obscur imam sans écho ni audience qui attaque un auteur francophone et laïque, complètement inconnu de ses ouailles potentielles, mais relativement célèbre en France. Le scénario est éprouvé et porte la signature du DRS. Pourquoi, avec ce type d’initiative, ce service a-t-il entrepris aujourd’hui de renouer avec des modes de désinformation et d’« action psychologique » déployés dans les années 1990 pour mener à huis clos, mais avec de puissants relais étrangers, sa guerre d’« éradication » de la « menace islamiste » et de la démocratie ?
Le régime d’Alger instrumentalise l’islamisme pour masquer un bilan désastreux et assurer la transition au sommet
L’enjeu, cette fois, n’est pas de masquer un coup d’État et une guerre civile derrière une prétendue menace millénariste : il s’agit plus trivialement de créer les conditions les plus propices à la transition qui se prépare à Alger. Le pays est en effet à la veille de recompositions complexes et d’inévitables changements, inhérents à la nature même d’un régime politique usé dont les principaux dirigeants – pour la plupart très âgés – ne sont plus en état de tenir les commandes. La paralysie durable de la vie politique, aggravée par l’ossification du système dans un contexte global peu favorable – la chute des prix pétroliers est un facteur négatif de plus –, inquiète les principaux alliés extérieurs du régime, avant tout désireux d’éviter des ruptures brutales préjudiciables à leurs intérêts économiques mais également sécuritaires. Un potentiel de tensions et de déséquilibres exacerbé par l’état de santé du chef de l’État, très affaibli après son énième hospitalisation en urgence à Paris, le 16 décembre 2014.L’image internationale du régime – qui a oublié la sale guerre des années 1990 ? –, pourtant servie au mieux par un extraordinaire silence médiatique et le bâillonnement de facto des voix discordantes, est désormais très atteinte. Publiquement « contraints dans leur expression » pour reprendre l’éloquent aveu d’un ancien Premier ministre français (Lionel Jospin en septembre 1997 (6)), nombre de responsables français et européens n’hésitent pas, en privé et off the record, à critiquer sévèrement leurs homologues algériens. Sans qualités reconnues, hors leurs capacités de nuisance, ces derniers apparaissent pour ce qu’ils sont : des partenaires par défaut dans la guerre éternelle contre le terrorisme. Sur ce terrain où la propagande est une arme de guerre, le DRS possède une expertise reconnue : les coups tordus sont une incontestable spécialité maison. Qui a oublié les « commandos médiatiques » des années 1990 débarquant en Europe pour prêcher la bonne parole des « démocrates-putschistes » d’Alger en guerre contre des islamistes barbares dirigés par d’étranges émirs, marchand de volaille ou carrossier automobile ? Qui a oublié les assassinats atroces d’intellectuels attribués « naturellement » à de sanguinaires djihadistes ? C’est souvent après coup que nombre de « spécialistes » ont réalisé, sans le reconnaître pour autant, que les auteurs de ces crimes abjects ne se recrutaient pas uniquement dans les rangs des fanatiques religieux et que les commanditaires restaient hors de portée. À ce jour, de troubles zones d’ombre recouvrent encore les meurtres que le journaliste Saïd Mekbel, lui aussi tué par des assassins anonymes en décembre 1994, attribuait au chef de la police politique secrète, le général-major Mohammed Médiène, dit « Toufik » ( 7).
En décembre 2014, c’est pour occulter la réalité nue de son échec généralisé, économique, social et politique, que le régime réactive des extrémistes en réserve depuis des années. En témoigne notamment la réapparition médiatique de l’ancien chef de l’Armée islamique du salut (AIS), Madani Mezrag, autrefois considéré comme un terroriste, dont on apprend qu’il a été autorisé à organiser une « université d’été » dans le djebel en août 2014. Ainsi que, probablement, l’étrange assassinat en Kabylie du randonneur français Hervé Gourdel, le 24 septembre dernier. La remise au devant de la scène de cette mouvance islamiste sous contrat avec le DRS a pour but de signifier aux étrangers, mais aussi aux Algériens, que la seule alternative à la « barbarie islamiste » est le régime en place, garant exclusif de modération et d’équilibre.
Comme dans les années 1990, des groupes islamistes supervisés par le DRS s’en prennent, pour l’instant verbalement, à des représentants des courants « laïques et modernistes » afin de créer un climat de tension et de distribuer les rôles dans une pièce où les enjeux réels de contrôle du pouvoir et la rente sont soigneusement dissimulés. La contradiction religieux/laïques est instrumentalisée et mise en scène pour faire diversion et leurrer l’opinion internationale. L’affaire Hamadache-Daoud participe très clairement de ce scénario.
Notes
1. Reproduite dans l’article du journal online proche du pouvoir, « Un imam salafiste appelle à condamner à mort Kamel Daoud », TSA, 16 décembre 2014.2. Sur le parcours d’Ahmed Chouchane, on peut se reporter à son audition lors du procès en diffamation engagé à Paris, en juillet 2002, par l’ancien ministre de la Défense algérien, le général Khaled Nezzar, contre l’ex-lieutenant Habib Souaïdia : « Audition de l’ex-capitaine Ahmed Chouchane, à la requête de la défense », in Habib Souaïdia, Le Procès de La Sale Guerre. Algérie : le général-major Khaled Nezzar contre le lieutenant Habib Souaïdia, La Découverte, Paris, 2002.
3. Ahmed Chouchane, Le Livre de la crise algérienne. Un témoin au cœur des événements [en arabe], 2012, p. 122.
4. Voir Algeria-Watch, « Vingt ans après: 13 novembre 1994 : massacre à la prison de Berrouaghia », 13 novembre 2014.
5. « Ali Belhadj se démarque de Hamadache », KalimaDZ, 18 septembre 2014.
6. José Garçon, « Algérie : Jospin fait aveu d’impuissance. Pour le Premier ministre, un processus de démocratisation est indispensable », Libération, 16 septembre 1997.
7. Voir Algeria-Watch, « Vingt ans après : décembre 1994, l’assassinat de Saïd Mekbel, le journaliste qui avait dû “avaler ce qu’il sait” », 3 décembre 2014.
22 DECEMBRE
2014
L EXPRESSION par Amira
Soltane
«Si
tu ne veux pas que les choucas t'assiègent de leurs cris, ne sois pas la boule
d'un clocher.» Johann Wolfgang von Goethe
Kamel Daoud est un chroniqueur connu sur la place médiatique. Cela fait plus
de 16 ans qu'il sévit avec brio dans sa tribune, «Rayna Raykoum», critiquant
aussi bien les gens du pouvoir que les islamistes ou les démocrates. Mais ce
n'est qu'une fois dévoilé sur le petit écran, avec sa première télévision
internationale sur France 2, que l'écrivain et chroniqueur a fait connaissance
avec l'univers de la polémique. Et pourtant, Kamel Daoud est passé sur Berbere
TV avant tout le monde, mais son passage sur cette chaîne communautaire est
passé inaperçu, il n'était pas aussi regardé que sur France 2. Visiblement, la
télévision française lui a offert la plus grande audience de toute sa carrière.
Une audience inespérée, qui est arrivé même chez les islamistes, au point de
titiller le salafiste Hamadache. Après la fetwa du leader du parti salafiste
contre Daoud, toutes les chaînes algériennes privées ont tenté, en vain, de
décrocher une interview de l'écrivain et chroniqueur. Certains ont même ressorti
des archives d'interviews réalisées dans le cadre de sa nomination au Goncourt
pour coller à l'actualité, c'est le cas d'El Djazairia TV. Très vite, Ennahar
TV, toujours à l'affût de ce genre de polémique, a tenté de traiter la
polémique à sa façon. Mais faute de Kamel Daoud et ses éventuels soutiens, la
télévision de Anis Rahmani est contrainte de donner la parole aux adversaires
de l'écrivain. Hamadache et Rachid Boudjedra. Du coup, ces télévisions sont
perçues comme les ennemis de l'écrivain et les opposants à la thèse et
l'antithèse. Et pourtant, les journalistes d'Ennahar TV ont épuisé toutes leurs
cartes pour tenter de mettre la main sur l'écrivain. Ils ont même contacté le
journaliste qui lui a fait la première interview après la polémique Kamel Zait
de France 24 arabic. Kamel Daoud avait en effet besoin de s'exprimer en arabe,
pour faire passer le message de l'autre côté du mur: chez les téléspectateurs
arabes, les éventuels islamistes et les salafistes baptisés. Mais France 24
arabic est-il le bon choix pour atteindre sa cible....? De nombreux
observateurs ont critiqué le choix de l'écrivain de s'exprimer sur des médias
exclusivement français. Certains évoquent même une récupération de l'écrivain à
des fins machiavéliques. Le fait de ne parler qu'à France 2 ou France 24,
dénote indéniablement une volonté de rester dans le camp des médias français ou
arabes appartenant à la France et rejeter inexorablement tout contact avec un
média algérien qui plus est serait ouvertement en sa faveur. En refusant de
s'exprimer ni sur Echourouk TV, ni sur Ennahar TV, et encore moins sur l'Entv
(qui n'est pas demandeuse), Kamel Daoud a visiblement choisi son camp pour
contre-attaquer médiatiquement ses adversaires. Trois jours après une riposte
française, l'écrivain et chroniqueur algérien choisit un canal arabophone et de
préférence...algérien pour faire taire les rumeurs et répondre à ses
détracteurs. Et c'est sur KBC, la télévision du groupe El Khabar, que le choix
s'est porté. Et le choix n'est pas fortuit. La chaîne n'est pas proche des
islamistes ni proche du pouvoir et représente le symbole de la liberté
d'expression et de l'opposition dans le paysage médiatique algérien. Dans ce
labyrinthe de médias et de marketing séguélien, Kamel Daoud s'en est bien tiré,
en choisissant avec minutie ses canaux de communication pour une contre-attaque
bien réfléchie et surtout bien calculée.
22 DECEMBRE
2014
el watan
Il est paradoxal qu’un roman comme celui de Kamel Daoud puisse passer à peu près inaperçu en Algérie après avoir été couronné dans le monde.
Une tirade de 150 pages — en passe d’être traduite dans plusieurs langues — qui puisse tenir en haleine le lecteur, c’est la gageure que Daoud a relevée parce qu’il a écrit un livre dans un style remarquablement riche, rempli de colère et d’exaltation. Mais que raconte donc Daoud de si profond qui puisse déranger autant les censeurs ? Comment ose-t-il s’attaquer à l’œuvre monumentale de Camus ? Pour Camus qui décrit l’absurdité de la vie, celle-ci est dès l’origine dénuée de sens parce que la mort est attachée à la vie, inéluctablement. Meursault tue alors l’Arabe sans raison. Pour paraphraser Dostoïevski, si la vie est absurde, tout est permis.
Mais l’Arabe, dit Daoud, est un homme, un homme à qui il faut donner un nom, une sépulture. Ce qui préoccupe Daoud n’est pas tant la condition humaine dans sa généralité et sur laquelle au fond on n’a que peu d’emprise, mais la condition particulière de l’homme, des hommes comme Meursault, Moussa (la victime de Meursault), vous ou moi. En somme, plutôt que la question du sens – inaccessible – de l’existence humaine et de son irrationalité qui est le point de départ des préoccupations de Camus et du courant existentialiste, il préfère se focaliser immédiatement sur l’absurdité du comportement humain tel qu’il est enfanté par la société.
En somme, ce qui intéresse Daoud, ce n’est probablement pas tant la gratuité du meurtre de Meursault — consécration ultime de l’absurdité de la condition humaine — mais la négation du statut de Moussa, victime de l’irrationalité de Meursault. Il y a là un premier glissement important. Camus estime, face à l’absurdité de la condition humaine, que l’homme et la société s’en sortent comme les juges de Meursault : en cherchant par des artifices à forger une rationalité là où il n’y en a pas à l’origine, où rien n’est interdit et à rendre celle-ci opposable à tous. Daoud prend le contre-pied en estimant que c’est l’homme et la société qui créent l’absurdité de leur propre condition indépendamment de leur problème existentiel dont ils ne peuvent maîtriser ni les tenants ni les aboutissants.
Ainsi, Haroun est condamné par les djounoud non pas parce qu’il a tué le Roumi sur injonction de sa mère, en représailles au meurtre de son fils, mais parce qu’il l’a fait le 5 juillet, soit 24 heures en retard : vous l’auriez tué hier, lui dit-on, vous auriez été un héros et un libérateur, mais aujourd’hui vous êtes un assassin. Autre exemple, la mère porte le deuil de son fils comme dans un rôle de cinéma : ce n’est plus tant la douleur (cela faisait des années que son fils Moussa avait été tué par le livre de Camus sur la plage) mais la société qui lui impose un protocole de conduite en pareil cas qu’elle se doit de jouer pour l’éternité.
Pour Daoud, la société ne cherche pas nécessairement à se créer une rationalité dans une vie fondamentalement absurde comme le soutient Camus ; au contraire, elle est capable de secréter ab initio des comportements absurdes. Autrement dit, pour Daoud, le monde n’est pas chaotique originellement mais l’est par ce qu’en font les hommes. Cette position est riche en ce qu’elle appelle une praxis : Camus interprète le monde comme dirait Marx, Daoud propose au fond de le changer en scrutant le comportement humain — au lieu de la condition humaine — et en l’érigeant comme point de départ de son investigation.
Mais dans un cas comme dans l’autre, il y a l’espoir sur lequel les deux auteurs se rejoignent. Celui-ci est cependant posé comme hypothèse chez Camus : Sisyphe, malgré sa punition par les dieux, est heureux sans qu’on sache pourquoi ; Meursault découvre à la veille de son exécution le monde, les odeurs de sel et les étoiles et nous dit aussi qu’il est heureux ; dans La Peste, les gens se mobilisent pour combattre le fléau mais là encore, on ne sait pas clairement d’où leur vient cette soif de résistance, sinon pour dépasser leur problème existentiel.
En revanche pour Daoud, si l’absurdité de la condition humaine est une propre production de la société, alors la société peut également être génératrice d’espoir. Pour Camus, bien que la mort soit attachée à la vie, la vie vaut la peine d’être vécue ; pour Daoud, les sociétés sont libres dans leur devenir, elles sont donc également capables de créer historiquement de l’espoir pour l’humanité. Le livre de Kamel Daoud est une œuvre algérienne qui devrait être étudiée dans les lycées, Mme Benghebrit, tout comme le fut un certain temps l’œuvre de Camus car elle fait partie désormais du patrimoine de la philosophie, de cette philosophie universelle, mère des sciences, dont l’enseignement a progressivement disparu dans les faits de l’école algérienne.
Au lieu de cela, une fatwa appelle à sa condamnation à mort. Ces «fatwieurs» estiment donc que je dois ôter la vie à celui qui ne pense pas comme moi. Belle réponse à Voltaire qui aurait dit à un abbé qu’il n’était pas d’accord avec ses idées mais qu’il se battrait toute sa vie pour qu’il puisse les exprimer. N’eut été le tragique de la situation de Daoud, on se serait mis à croire, par une ironie du sort, qu’il ne s’agit que de la continuation de son livre.
Cette situation est en effet l’image de l’absurdité de la vie de tous les jours qu’il décrit dans son propre livre et que lui renvoient les impotents bardés de certitudes qui jugent, qui condamnent, qui ont horreur qu’on les dérange dans leurs certitudes, qui répondent à la pensée et aux lectures par l’appel au meurtre. J’ai envie de dire à ces accusateurs : êtes-vous capables d’écrire, montrez-nous ce que vous êtes capables de produire ?
Pour reprendre une chronique de Daoud même, je leur pose la question : à quoi servez-vous, quel est votre apport ? Quelle est votre relation à l’humanité d’aujourd’hui, à sa compréhension et au cours de son histoire ? Daoud a écrit un livre qui appartient désormais à la littérature universelle que l’on soit ou non d’accord avec sa pensée ; par contre vous, vous êtes nus dès que les hommes et la société, dans un sursaut de conscience, vous auront ôté ce privilège qui est actuellement le vôtre : celui de délivrer les fatwas de la mort.
Bouklia Rafik : Professeur d’économie à l’université d’Oran
23 DECEMBRE
2014
LIBERTE 23 12 2014 (répété le
25 12 2014)
Contribution
Meursault, contre-enquête ou la
revanche postcoloniale du fils prodige
La philosophie poststructuraliste de Michel Foucault, Jaques Derrida et
autres… nous a annoncé la mort de l’auteur. Une mort symbolique et féconde qui
n’a rien à voir avec l’appel à la mort haineux et l’ignorance sacrée d’un
“certain imam machin”, pour reprendre les mots de Leïla Aslaoui-Hemmadi.
La mort de l’auteur à laquelle a appelé Barthes d’abord, Foucault et Derrida
après, et qui devient une sorte de credo du poststructuralisme est une mort
féconde. Productive et féconde dans la mesure où elle laisse
l’auteur/générateur du texte tranquille et donne naissance au lecteur, au débat
contradictoire, au savoir et à la lumière tout simplement. Le texte et
l’écriture représentent le phénomène le plus complexe, le plus merveilleux et
le plus violent que l’être humain n’a jamais créé. Il a un pouvoir interminable
de générer le sens, même au-delà de l’attente de l’auteur lui-même. C’est pour cela
que, quelque part, l’interprétation d’un texte par une personne n’est que
réflexion de son inconscient et extrapolation de sa culture et son idéologie
sur le texte lui-même. Ce qu’a théorisé, par ailleurs, le penseur et critique
de lettres Edward Saïd comme contrapuntal reading, théorie selon laquelle on
peut trouver une idée et son contraire dans une même œuvre littéraire. La
présente contribution se veut une lecture distincte de l’ensemble des attaques
haineuses ou simplement naïves et risquées dont a été victime le romancier
algérien Kamel Daoud pour son dernier roman Meursault, contre-enquête. Nous
pensons que ce chef-d’œuvre, souvent mal compris, a été trop lésé dans la
mesure où beaucoup a été dit de Kamel Daoud, de ses chroniques courageuses et même
de la haine d’un imam histrionique, mais peu a été dit de son roman. Lire le
texte est le plus important à mon avis, car, comme l’a affirmé le philosophe du
siècle, Jaques Derrida, “il n'y a rien hors du texte” – un texte ne doit être
lu que dans sa texture propre, sans référent, ni signifié transcendantal, ni
hors-texte.Camus, L’Etranger, le discours colonialiste français et le writing back postcolonial
La colonisation est loin d’être un simple acte de dépossession matérielle. Elle implique toujours une sorte de choc culturel dicté par la logique de l’expérience coloniale et la rencontre de deux consciences, colonisateur/colonisé. Chaque colonisation est ainsi accompagnée d’un discours colonialiste qui sert à justifier la colonisation et l’enjoliver sous prétexte de mission civilisatrice. Le cas de la colonisation française en Algérie n’est pas une exception. L’éminent sociologue algérien Lahouari Addi l’a brillamment expliqué dans un de ses articles intitulé “Colonial Mythologies : Algeria in the French Imagination”. Il explique en fait que “la rhétorique colonialiste a construit un ensemble de mythes ethnocentriques qui stipulent que les populations autochtones n’ont pas de culture, pas de civilisation. La colonisation, qui est une domination d’un pays par un autre, est perçue comme une forme d’extension de la civilisation vers des régions habitées par des peuples ‘primitifs’ ou ‘semi-primitifs’ qui vont certainement tirer bénéfice du fait ‘d’être colonisés’ ”.
Le discours colonialiste haineux de la France peut aller aussi loin dans le temps qu’un Alexis de Tocqueville qui, un jour, a dit sur la colonisation française en Algérie : “Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux.” Ce discours colonialiste s’étale jusqu'à nos jours sous forme de déclarations simplistes et ignares de petits esprits des temps modernes, tel un Eric Zemmour qui avance que l’Algérie est une invention de la France, ignorant que Salluste a écrit La Guerre de Jugurtha avant la naissance de la France. Ou encore sous forme de déclarations plus officielles, tel l’article 4 de la loi du 23 février 2005 en France qui porte sur le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord.
L’hégémonie du discours colonialiste est loin d’être vaincue aujourd’hui. C’est pour cela que des penseurs, tel le Kényan Ngugi wa Thiong'o, parlent de “la décolonisation des esprits”. L’exemple du roman de Daoud et la polémique qu’il a suscitée nous paraît très révélateur dans ce sens. Le roman est certes un chef-d’œuvre avant qu’il soit nommé au Goncourt, mais ce n’est qu’après sa nomination, des mois après sa publication en Algérie, qu’on l’a reconnu dans son propre pays comme bonne littérature. Cela nous informe sur l’emprise persistante de l’expérience coloniale sur l’inconscient collectif de l’Algérien. Fanon a bien expliqué le phénomène dans Peau noire, masques blancs. Ce n’est qu’après sa nomination aussi qu’il a été rejeté par les siens comme roman néocoloniale ou encore comme remake du fils indigne (voir la contribution signée L. B. Benmansour, El Watan 22/11/2014 et une autre parue dans Reporters, signée Abdellali Merdaci, le 08/11/2014). La première contribution avance que Daoud s’en est “pris aux Algériens dans un règlement de compte impitoyable et sans détour” ou encore “une œuvre qui a foulé aux pieds l’honneur et la foi simple des pauvres gens des cités des grandes villes d’Algérie”. L’auteure de la contribution a même vu en Camus “un vrai patriote… ce qui est tout à son honneur”, contrairement à Daoud dont elle pense qu’il “n’est pas grand homme qui veut”. Ecrit naïf dicté par un background très faible en critique littéraire ou plutôt fruit d’une idéologie bien consciente ? Difficile de le dire tant la forfaiture est grande ! La deuxième réflexion voit dans le roman de Daoud un exemple d’une “aventure littéraire néocoloniale contre l’idée de littérature nationale algérienne, désormais recluse”. L’auteur de cette contribution prend aussi le fait que Daoud ait écrit en français et qu’il soit sélectionné au prix Goncourt pour un exemple d’un “impérialisme culturel déguisé” ou encore “un choix pour nourrir une carrière littéraire en France”. Cette réflexion est peut-être bien intentionnée mais elle nous rappelle une certaine attaque éhontée de Tahar Ouettar contre Djaout qui a qualifié la mort de ce dernier “de perte pour la France”. Cette contribution montre aussi comment l’auteur s’est pris hâtivement à l’œuvre de Daoud sans prendre un peu de temps pour revoir ce qu’est une littérature nationale ou encore le débat postcolonial sur l’écriture dans la langue du colonisateur.
Ajouté à cela une attaque haineuse, rétrograde et barbare d’un certain imam machin qui, à notre sens, souffrirait de troubles histrioniques de personnalité. Car il a attendu la polémique sur le roman de Daoud pour faire sa fatwa. Chose qui montre sa propension maladive à se faire connaître. Si son intention était de défendre l’islam, il aurait attaqué avant Daoud, Boudjedra et son dernier chef-d’œuvre Printemps, qui est bien plus virulent dans sa dimension séculière. N’a-t-il pas affirmé que “la charia comme constitution universelle qui gérera la vie c’est leur délire à eux…” p47. Ou peut-être Amin Zaoui et sa littérature libertine, séculière et succulente, frisant parfois l’obscénité, ou encore Lounis Aït Menguellet pour sa philosophie existentialiste (voir ma contribution “Nietzsche, Heidegger, Lounis Aït Menguellet ou la dette ontologique”, Liberté 25/5/2014).
Meursault entre discours colonialiste et writing back postcolonial
Tout d’abord, le mot “postcolonial” ne doit pas être compris dans les limites temporelles du préfix “post”. La postcolonialité n’a rien à voir avec la fin du colonialisme, car le colonialisme n’est jamais fini. Est postcoloniale toute œuvre qui traite du traumatisme culturel qui est le résultat de l’expérience coloniale. La littérature postcoloniale est souvent aperçue comme projet de réécriture de l’histoire. C’est une démarche critique qui vise à réhabiliter le colonisé et sa culture en transposant l’échelle de valeurs colonialiste. Achille Mbembe pense que la pensée postcoloniale “déconstruit, comme le fait Edward Saïd dans Orientalisme, la prose coloniale, c’est-à-dire le montage mental, les représentations et formes symboliques ayant servi d’infrastructure au projet impérial. Elle démasque également la puissance de falsification de cette prose – en un mot la réserve de mensonge et le poids des fonctions de fabulation sans lesquels le colonialisme en tant que configuration historique de pouvoir eût échoué”. La théorie postcoloniale est ainsi plus que pertinente pour répondre à ces trois questions : pourquoi le roman de Daoud a reçu autant d’attaques de la part des siens ? Est-ce que Daoud est vraiment un fils indigne qui veut dénigrer la culture des siens pour le plaisir de le faire ou plutôt un fils prodige de l’Algérie ? Un écrivain talentueux et jaloux pour son pays et son histoire, un iconoclaste conscient qui ne veut rien de plus que de voir une Algérie séculière et moderne qui répond aux exigences du XXIe siècle ?
L’Etranger de Camus est souvent cité comme un des meilleurs romans du XXe siècle, chef-d’œuvre de la littérature de l’absurde, représentation artistique extraordinaire de la philosophie existentialiste et autres... Peu est connu, toutefois, sur le roman comme modèle vivide du discours colonialiste français. Si on se réfère à la théorie postcoloniale, qui est un domaine d’étude tout à fait anglophone, L’Etranger d’Albert Camus peut être, en effet, perçu comme un très bon exemple du discours colonialiste français. En effet, Edward Saïd voit dans son œuvre Culture and Imperialism le roman de Camus comme un bon archétype de la littérature colonialiste. Il affirme que, à travers ce roman, “Camus joue un rôle particulièrement important dans les sinistres sursauts colonialistes qui accompagnent l’enfantement douloureux de la décolonisation française du XXe siècle. C’est une figure impérialiste très tardive : non seulement il a survécu à l’apogée de l’empire, mais il survit comme auteur ‘’universaliste’’, qui plonge ses racines dans un colonialisme à présent oublié”. Il pense, par exemple, que “le procès de Meursault [dans L’Etranger] constitue une justification furtive ou inconsciente de la domination française, ou une tentative idéologique de l’enjoliver. Mais chercher à établir une continuité entre l’auteur Camus, pris individuellement, et le colonialisme français en Algérie, c’est d’abord nous demander si ses textes sont liés à des récits français antérieurs ouvertement impérialistes”.
Bien que quelques critiques, comme le philosophe Michel Onfray dans son livre L’ordre libertaire : La vie philosophique d’Albert Camus, aient essayé de réfuter l’attitude colonialiste de l’œuvre de Camus, en affirmant qu’il s’agit d’une légende fabriquée de toutes pièces par Sartre et les siens, l’œuvre de Camus, notamment L’Etranger, en dit le contraire. Meursault, le héros de L’Etranger, est apparemment un philosophe de l’absurde, et vue que l’absurde implique nécessairement un monde insensé, alors il tue une personne sans raison ou peut-être à cause de la chaleur ! N’est-il pas quand même curieux le choix de la victime ?
B. L.
(*) Enseignant chercheur,
université Mouloud-Mammeri, Tizi-Ouzou
Lahouari Addi : Colonial mythologies: Algeria in the french imagination
-Bill Ashcroft et al, The Empire Writes Back
-Boudjedra Rachid : Printemps
-Boukhalfa Laouari : Nietzsche, Heidegger, Lounis Aït Menguellet ou la dette ontologique.
-Benammeur Benmensour Leila : Meursault, contre enquête ou le remake du fils indigne.
-Albert Camus : L’étranger
-Discours de Suède
-La peste
-Kamel Daoud : Meursault, Contre enquête
-Alexis de Tocqueville : Travail sur l’Algérie in Œuvres complètes
-Fanon Frantz : Peau noire masques blancs
-Abdellali Merdaci, La selection de Kamel Daoud au Goncourt une illusion néocoloniale.
-Achille Mbembe : Qu'est-ce que la pensée postcoloniale ? (Entretien)
-Michel Onfray : L’Ordre Libertaire: la vie philosophique d’Albert Camus
-Edward Saïd : Culture and Imperialism
______________________
23 DECEMBRE
2014
IN :
PALESTINE SOLIDARITE
ET
LE QUOTIDIEN D ALGERIE
25 DECEMBRE
2014
ALGERIE NETWORK
Abdellali Merdaci*
Une insensée et ruineuse
campagne de promotion
Que l’appel d’un
imam déjanté aux tribunaux de la République pour juger et infliger une lourde
sentence de mort à un écrivain perçu comme blasphémateur envers l’Islam,
religion de la majorité des Algériens, soit un fait inhabituel dans notre
histoire littéraire, il ne devrait pas moins inviter à réfléchir à ce qui
apparaît comme une violente et insupportable campagne de promotion dans les
médias français d’un livre et de son auteur aux effets détonants et
imprévisibles en Algérie.
Kamel Daoud
appartient à cette terrible catégorie d’écrivains qui poussent leur carrière
sur les flots de scandales et d’imprécations constamment renouvelés. Il aurait pu laisser sa première œuvre
minimaliste aller vers les lecteurs et s’inscrire dans la durée, la seule
sanction respectable de la littérature, mais rien ne semble le préoccuper que
de la pousser au gré de provocations répétées, qui le maintiennent sous une
brûlante lumière. Voilà un chroniqueur-écrivain en mal avec la syntaxe,
soucieux d’un management de choc de ses maigres débuts dans la littérature,
propre à la société numérique, utilisant insidieusement ses infinies
ressources.
Le récit qui l’a
fait connaître en France Meursault, contre-enquête (Alger-Arles,
Barzakh-Actes Sud, 2013-2014) est une œuvre à la fois mimétique et de
circonstance, commencée – selon ses déclarations – en 2010 dans la foulée du
cinquantième anniversaire de la disparition de l’écrivain colonial Albert Camus
(1913-1960), publiée, la première fois, en Algérie, en marge du centenaire de
sa naissance. Jamais une œuvre de seconde main, comme c’est le cas pour Meursault,
contre-enquête, cousue dans les mots étroits de la sordide mise en abymes
de L’Étranger, en en restituant dès l’incipit les topoï, n’aurait
connu un tel succès en France, sans l’activisme de mauvais aloi de son auteur.
Le « Meursault » de Daoud n’est pas le fruit de son imaginaire
comme l’Ulysse (1922) de James Joyce (1882-1941) l’a été dans une
transcription actuelle d’un mythe consomptif de l’humanité.
Plusieurs
centaines d’adaptations originales et de dialogue avec des œuvres classiques
peuvent être citées, ici, mais ce n’est pas le lieu d’un tel débat. Je m’en
tiendrais aux exemples récents nés de la confrontation à Camus et à son œuvre.
Sur le thème strictement « camusien » trois écrivains Hamid Grine (Camus
dans le narguilé, Paris, Après la lune, 2011), Salim Bachi (Le Dernier
été d’un jeune homme, Paris-Alger, Flammarion-Barzakh, 2013) et Salah
Guemriche (Aujourd’hui, Meursault est mort, édition numérique, Amazon,
2013) ont proposé des récits d’une qualité littéraire supérieure àMersault,
contre-enquête, édités en France, sans grand retentissement. Il ne leur est
jamais paru légitime de faire reconnaître leur œuvre et leur art dans un délire
querelleur sur l’Algérie, qui fait toujours recette dans l’ancienne puissance
coloniale.
Kamel Daoud
prolonge, au service de son œuvre, cette détestable mise en scène de
l’écrivain-trublion, courue, depuis les années 1950, par quelques écrivains
algériens qui ont vite assimilé que leur réussite littéraire se mesure, en
France et en Occident, à l’aune d’un acharnement douteux dans leurs académies
et dans leurs médias contre leur pays et son système politique. Les champs
littéraire et médiatique français ne pouvaient pas ignorer un censeur aussi
débridé et échevelé que le chroniqueur oranais qui a exercé son humeur délétère
sur le président de son pays, les Palestiniens et l’Islam, sujets, il est vrai,
houleux. En conséquence, l’écrivain a été adoubé pour la course aux prix
littéraires nationaux français et la question du mérite de son œuvre, qui réécrit
à contre-sens L’Étranger, sans une réelle créativité littéraire, n’a
jamais été posée.
Trois cibles,
remarquablement exploitées, ont porté sur le pavois médiatique et littéraire
parisien le chroniqueur-écrivain.
1) Le président de
la République-candidat. La campagne
électorale pour l’élection présidentielle du printemps 2014 révèle un
chroniqueur vibrionnant dont les saillies lui valent un brevet d’impertinence
auprès de la presse parisienne, attribué par une critique littéraire du
« Point ».
En vérité, Kamel
Daoud n’a jamais excellé dans le débat d’idées pourtant coutumier au
« Quotidien d’Oran » qui l’emploie.
Contre le
candidat, président-sortant, il s’attache plus à la caricature qu’à l’analyse
des faits : plutôt qu’à une politique décriée, il a choisi de s’attaquer à
l’homme et à sa chaise roulante. Cette démarche irrévérencieuse,
enveloppée dans un discours de la dérision, plutôt dérisoire, ressassé et
lassant, envers la personne et la fonction présidentielle ne peut être tenue
pour une charte éditoriale éthique ; elle n’est ni vertueuse ni courageuse
parce qu’elle est tolérée, peut être même étrangement consentie par le système
ombreux et ses maréchaussées.
Dans
l’effervescence d’une campagne électorale présidentielle funambulesque, le
chroniqueur ne s’autorisait que d’une vacuité du champ politique algérien pour
apparaître dans les salles de rédactions parisiennes comme une sorte d’héraut,
bataillant contre un système politique abhorré.
2) La Palestine. Le mot « solidarité » (précisément
envers les victimes des bombes israéliennes à Ghaza) étrangle le chroniqueur.
Cette connivence avec le sionisme éclate au cœur d’un été meurtri et la presse
parisienne salue cette distance calculée, accablant ceux qui expirent dans
l’effroi du feu et de la grenaille.
L’indifférence,
brutalement réaffirmée, envers le malheur des Palestiniens, suscite pour le
chroniqueur une saisissante empathie des médias parisiens. Leurs colonnes et
leurs plateaux lui sont, dès lors, ouverts pour accueillir les positions
inaccoutumées, toujours surprenantes, d’un Algérien qui ne condamne pas le
sionisme et qui le comprend, même à demi-mot.
3) L’islam.
À la télévision, chez Ruquier (« On n’est pas couché », France 2) et
à la radio chez Finkielkrault (« Répliques », France culture), Daoud,
le vent en poupe, excitant sa transformation d’islamiste en contempteur de la
foi, passant d’un extrême à l’autre, déverse sa haine de l’Islam, sans aucun
respect pour ses compatriotes musulmans.
Là, encore, le
trait est grossi, volontairement caricatural. Car est-il seulement envisageable
de s’attaquer, dans une opération de promotion sauvage, à une grande
civilisation universelle, humaniste et éclairée, et à ses fondements religieux,
dans l’intention de faire mousser un court et pitoyable exercice de style, qui
ne vaut pas tripette, tout en cautionnant une cabale glauque contre l’Islam
dans une France, politiquement et
culturellement déchue et acculée, dont un des cadors médiatiques veut
« déporter », le terme est troublant, cinq millions de musulmans ?
La seule réaction,
abondamment commentée, aux propos incendiaires de l’écrivain-chroniqueur sur
l’Islam est venue d’un remuant imam de banlieue qui est son double, friand
d’Internet et de réseaux sociaux.
Curieuse gémellité
qui s’habille de mythologie si elle ne tourne à la piètre comédie de
boulevard ? Les proclamations télévisées de l’imam Abdelfatah Hamadache, qui
sont la marque d’une inamendable casuistique bédouine, ne s’adressent pas à des
spadassins barbus, tapis dans leurs sous-bois, pour les inciter, comme jadis, à
tuer l’auteur deMeursault, contre-enquête. Fait fondamentalement nouveau
qui n’a pas été relevé, le télé-imam assigne cette mise à mort à l’institution
judiciaire dans une télévision privée qui émet avec l’accord tacite de l’État.
Du sombre minbar
d’une mosquée des tréfonds du pays aux sunlights des plateaux de télévision, il
y a un changement de lieu d’énonciation, qui marque une évolution notable de la
communication intégriste islamiste et de la diffusion de ses décrets moyenâgeux.
On s’y
tromperait : l’imam geek recourt à la justice et à ses appareils
contre celui qu’il considère comme un apostat injuriant l’Islam, ce qui est
paradoxalement dans la forme (au-delà des motivations profondes de la saisine)
une valeur citoyenne et constitutionnelle. Habile adaptation, en vérité, aux
mutations sociopolitiques présentes d’un discours salafiste exterminateur qui,
lui, ne change pas et reste dans ses principes condamnable.
Cependant
l’écrivain-chroniqueur et l’imam constituent dans leur singulier face-à-face
l’envers et l’avers d’une même histoire tragique. Qui oubliera en Algérie
l’heure des fetwa mortifères, leurs cortèges de deuils irrépressibles et de
douleurs rémanentes ? Kamel Daoud était du côté de ceux qui décrétaient
dans les années 1990 des mises à mort, autant solennelles que radicales, contre
des artistes, intellectuels et syndicalistes, des membres des services de
sécurité de l’État et des Algériens de toutes croyances et conditions.
Et, il doit s’en
souvenir, car il a été intimement et émotionnellement proche de cette horde
barbare qui a emporté des milliers de vies, condamnées pour des convictions
républicaines qui n’étaient pas les siennes, ni celle de l’imam Hamadache qui
appelle, aujourd’hui, contre lui les foudres funestes et vengeresses de la
justice.
Après avoir, en
maintes occasions, proféré des discours clivants, qui heurtent les Algériens au
motif affligeant de vendre son récit et son image sarcastique de trouble-fête,
Kamel Daoud entend tirer tout le profit de la menaçante riposte de l’imam et de
sa providentielle fetwa.
À l’évidence, la
sortie d’Abdelfatah Hamadache a été rendue possible par ses propos iconoclastes
sur l’Islam et il n’a pas tardé à l’instrumentaliser. Elle lui permet
d’entretenir une posture victimaire à la Salman Rushdie, sans en avoir ni le
talent ni l’œuvre, dans une bouffonnerie de promotion médiatique qui tourne à
l’inconvenant outrage, encouragée par le philosophe-guerrier français
(fomentateur de « printemps arabe ») Bernard-Henri Lévy et une cohorte
de lobbyistes sionistes parisiens.
Peut-on aussi
s’inquiéter de l’agitation éhontée de ceux qui se dressent dans la presse
francophone algéroise, en rangs serrés, comme les soldats d’une ambition
égotiste d’auteur, le soutiennent en imparables et prétentieux donneurs de
leçons, qui attentent à la liberté d’expression en désignant à la vindicte,
dans la semblable rhétorique insinuante de l’imam banlieusard, ceux qui ne
pensent pas comme eux ?
Jamais débat n’a
été aussi vicié, souillé par un terrorisme intellectuel de salonards repus et
de folliculaires embusqués, au service d’un auteur qui n’a encore rien prouvé,
qui n’a pas pris le temps de forger une vraie œuvre littéraire, qui ne peut se
prévaloir que d’une indécente rage de gloire, qui est prêt à tout raser sur son
chemin pour y parvenir.
Abdellali Merdaci
Écrivain-universitaire.
Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage paru : Une
histoire littéraire déviée. La réception critique de la littérature algérienne
de langue française d’avant 1950, Constantine, Médersa, 2014.
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26 DECEMBRE
2014
IDEM
Jamouli Ouzidane
La presse est une école d’abrutissement parce
qu’elle dispense de penser. Flaubert
Intellectuels : ils sont plutôt le
déchet de la société, le déchet au sens strict, c’est-à-dire ce qui ne sert à
rien, à moins qu’on ne les récupère.». Roland Barthes, Le Grain de la voix
(1981)
La politique est partout. On ne peut lui échapper
en se réfugiant dans le royaume de l’art pour l’art et de la pensée pure
pas plus d’ailleurs que dans celui de l’objectivité désintéressée ou de
la théorie transcendantale. Les intellectuels sont de leur temps, dans le
troupeau des hommes menés par la politique de représentation de masse
qu’incarne l’industrie de l’information ou des médias ; ils ne peuvent lui
résister qu’en contestant les images, les comptes rendus officiels ainsi que
les justifications émanant du pouvoir et mises en circulation par des médias de
plus en plus puissants (Edward W. Said, Des intellectuels et du pouvoir, Seuil,
Paris, 1996.)
1. Les faits : levée de boucliers planétaire
contre un diable qui menace un divin
un obscurantiste barbu aurait menacé de mort
un journaliste (en réalité, il demande à l’État et non aux islamistes de le
juger de mort pour avoir touché l’Islam) et on demande à la terre entière de se
solidariser. Jamais dans notre histoire post-coloniale algérienne une
« menace » n’aurait reçu autant de promotions internationales surtout
après le silence nano cosmologique francophile durant notre décennie noire !!!.
On nous demande à nous et à tous les algériens de nous solidariser avec la
belle contre la bête !
On aurait aimé avoir un sujet plus utile pour
notre société mais malheureusement le Tsunami médiatique nous pousse à nous
exprimer malgré nous, malgré l’hystérie collective de support à KD et malgré
les excès de réactions haineuses dans les réseaux sociaux. La pensée a besoin
de calme pour démonter la mécanique derrière cette « affaire » qui
déborde.
Nous ne citerons pas les centaines de
solidarités nationales et internationales pour KD. Il reste juste notre
président Boutef et le pape qui n’ont pas osé condamner les propos
obscurantistes du barbare contre la victime KD qui représenterait la modernité,
la science, l’humanisme, la propulsion de l’Algérie dans la modernité futuriste
de 2014 …
Nous pensons qu’être pour ou contre KD nous
dispense de réfléchir. On voudrait savoir les vrais raisons derrière cette
histoire qui n’est pas aussi banale que cela juste par sa promotion
internationale.
En premier lieu, soyons clairs : Bien
sûr qu’il faut combattre l’islamisme, et condamner donc sans aucune équivoque
cet islamiste et ses menaces stupides au nom de l’islam.Toute ma sympathie et
support a KD en tant que personne.
Toutefois, on ne doit pas se laisser leurrer
stupidement par ceux qui combattent l’islam voilé en toute conscience ou
inconscience sous un combat soi-disant contre l’islamisme, le voile, les droits
de la femme, la démocratie, la liberté de pensée, l’intelligence… qui
rejoint l’agenda de la croisade internationale contre l’Islam !
Donc une solidarité avec la personne de Kd
qui a la liberté de s’exprimer sans être solidaire avec ses expressions
polémiques qui lui ramènent de l’audimat médiatique populiste, mais ne ramènent
rien ni aux problèmes journaliers des Algériens et encore moins au renouveau de
la pensée algérienne ou humaine !
Avant, mettons les points sur les
« i » :
– Ceci n’est pas une « fetwa » car
c’est pas un juriste ou imam reconnu qui l’a fait qui sort d’el Azhar, la
Zeitouna ou de la Mosquée Émir Abdelkader mais un ignorant comme il en
existe des milliers dans toute la planète. Donc, normalement un
non-événement ou un fait divers ou de justice entre deux personnes. Alors,
pourquoi lui donner de l’importance internationale et l’utiliser si on voulait
pas faire de la récup ?
– Ce qu’on reproche aux deux camps est
que ni l’un et ni l’autre n’est représentative de l’islam ou du mouvement de la
modernité en occident tel qu’on l’entend par la renaissance, l’humanisme, le
siècle des lumières kantiens et les révolutions (Marxiste ou Française) et
leurs courants de pensées.
Nous avons affaire ici à des caricatures de
l’islam et de la modernité. Il est difficile d’avoir alors un débat
d’idée quand il n’y’en a aucun que celui de la victimisation et de la
diabolisation l’un de l’autre. On oublie que la laideur de l’autre ne nous rend
pas plus beau ou plus intellgent et que c’est tellement facile de maudire
l’obscurité !
Cette réduction et médiatisation impudique de
diabolisation et de divinisation est pathétique si on veut avoir un esprit
critique au-delà des personnes. Discuter de l’objet et jamais juger du sujet en
commençant déjà a se poser une question de fond :
que cachent en réalité ces solidarités
nationales et internationales qui débordent leur juste valeur. Des
solidarités bien douteuses !
lire : Le
lobby sioniste français parraine une pétition en faveur de Kamel Daoud pour fragiliser
l’Algérie
2. Sublime Déviation Médiatique Islamophobe
Notre subconscient collectif réagit à
une sublimation réductrice médiatique qui nous solidarise à KD. On pense
:
– aux barbaries des islamistes dans le
Moyen-Orient
– aux barbaries en Algérie et les 200.000
morts attribués aux barbus et les assassinats des intellectuels et journalistes
algériens laïques
alors que la réalité a complètement
changé : KD et tout algérien, se promène en Algérie sans absolument
aucune peur. Nous ne sommes pas à Homs et cet islamiste officiel qui se parade
dans les TV nationales n’est pas le chef sanguinaire de Daech !
Pendant ce temps, diversion nationale sur des
sujets stratégiques pour l’avenir de millions d’Algériens
– la constitution, capitale pour notre
avenir, est passée inaperçue et n’a pas été débattue dans la sphère officielle,
publique et surtout médiatique.
– augmentations des salaires des députés pour
justement voter la constitution passée sous silence médiatique alors que le
pétrole a chuté à 60 $ et bientôt 40 $ et que le gouvernement à révisé le
budget 2015, arrêter les emplois, geler les salaires, faire des augmentations…
– l’exploration du gaz de schiste, une
catastrophe pour l’Algérie, a commencé au Sud par les Français et autres qui
eux l’ont interdit chez eux par un vote parlementaire ! etc …
Continuation de la haine islamophobe
médiatique francophile
L’apparition de la liste de support des
Français sionistes comme BHL est une preuve qu’ils ont vu une magnifique
occasion à leur agenda islamophobe pour diviser la société algérienne sur
ce sujet en deux camps ; islam et laïques !
Le même sujet de la décennie noire et celui
qui peut potentiellement emmener à la guerre civile. BHL voit toujours juste,
bien et loin !!! On voit un débordement de haine contre les islamistes,
mais en réalité l’islam … magnifique occasion du retour des activistes laïques
qu’on revoit après leur éclipse depuis la fin des élections présidentielles !
Alors, est-ce-une bonne occasion de promotion
personnelle qui rejoint les objectifs des laïcs francophiles islamophobes
zémouriens d’outre-mer comme BHL qui s’est manifesté ? KD serait t-il conscient
ou inconscient de cette utilisation médiatique ?
- La machine de guerre médiatique des prix et
récompenses francophiles ;
Les prix littéraire prestigieux du Goncourt
jusqu’au prix Nobel de la littérature sont des prix politiques pour encourager
la vision moderniste occidentale de la planète. Tout le monde le sait !
Pourquoi les prix ne sont pas décernés aux
penseurs authentiquement algériens ou africains qui sont dans la pensée loin
des polémiques. Où sont les idées des Mohamed Akroum, Mouloud Mammeri, ou
Nabhani Koribaa ? Ou est l’esprit d’Ibn Badis sans être islamiste, de Malek
Benabi et de toutes celles et ceux qui vont à la modernité technologique et
scientifique en gardant leurs sources authentiques ; fières et
dignes de ce million de chahids qui nous ont donné cette indépendance et liberté
… décapités avec le nom Allahou Akbar et non de Voltaire sous la guillotine
francophile qui renie son génocide algérien et nous donne des leçons
d’humanisme !
3. Les laïques « intellectuels »
francophiles et la Palestine !
KD a fait un pamphlet avec un titre polémique
médiatique qui attire l’audimat : Ce
pourquoi je ne suis pas « solidaire » de la Palestine avec des arguments qui ressemblent
malheureusement à tout ce nouveau courant zémourien (d’Éric e Zemmour) de
l’hexagone francophile qui lui utilise des arguments distordus, fourbes, et
manichéens.
Les zémouriens sont une nouvelle
école francophile qui sèment la confusion, l’incohérence, et
l’équivoque. Leurs analyses sont dépourvues de toute précision, harmonie
ou inspiration. Ils utilisent de la prestidigitation intellectuelle digne des
sophistes de la Grèce antique ; l’analogie et la rhétorique ! Leurs
techniques sont connues : jactance, grandiloquence, emphase, enflure, etc.
En réalité, il n’y ’ a que papotage, ravaudage, rafistolages,
etc. Leur outils : lyrisme discursif ; analogies purement
verbales, généralisation d’exemples particuliers, conclusions sur des
causalités sans preuve suffisante, utilisation des sens obscurs et des
métaphores, abus des évidences, réduction abusive du complexe à l’unité,
manquent de rigueur, de clarté et de vivacité.
Tout cette faune zémourienne bénéficie de la
gigantesque machine de guerre propagande internationale et des journalistes
algériens sont devenus des sous produits avec ces visages musulmans qui pissent
sur l’Islam, et reçoivent comme récompense bien sur un visa et surtout du
travail sous ordonnance avec des promotions dans les médias avec comme
aboutissement la consécration de starlette ; prix littéraires, prix de courage
intellectuel contre l’obscurantisme…
L’exemple de Sansal est édifiant avec ces
pamphlets contre l’islamisme qu »il confond avec l’islam, ses visites de
soutien à Israël et son discours au CRIF !
Il est indispensable pour KD de se dissocier
de ce courant récupérateur qui peut lui ramener de la visibilité mais au
détriment de la division des algériens encore plus. à mois qu’il en est
conscient et en a fait un fond de commerce car on le sait la diabolisation de
l’islam en s’attaquant à l’islamisme marche bien …
La perception de laïque doit faire face à un
juste milieu qui rassemble les algériens et les éloignent de la récupération
quand on a déjà vu avec le mouvement Baraket disparut depuis dans l’anonymat
mais qui tente un retour avec un appui massive des ses activistes pour KD ;
leur nouveau porte drapeau !
Dans le temps de l’euphorie médiatique
internationale de Baraket, nous les avons déjà conseillé de faire attention à
la récupération ; c’est à dire leur utilisation pour contrer Boutef et
après l’oublie. Ce qui était reproché à Baraket ; D’être une coquille
vide et faire du bruit dans la rue. Cela ne suffit pas si l’on n’a pas derrière
un mouvement intellectuel. Le même reproche à KD : une coquille vide pour faire
du bruit médiatique qui divertit du vrai enjeux géostatistique nationale et
internationale dernière. Il ne faut pas être un prix Nobel pour savoir que
l’islamisme est une tare mais il faut être un Rumi pour découvrir les
splendeurs de l’islam !!!
Les zémouriens ont un Cheval de Troie
qui est leur cheval bataille ; la laïcité, la démocratie, et la liberté
d’expression dans un fourre-tout de modernisme contre l’islamisme, de Kabyles
contre les Arabes, de francophones contre les arabophones. Ils sont toujours
dans l’opposition à tout ce qui bouge ; détruire les acquis qui restent encore
de l’Algérie en confondant pouvoir et état mais aucun génie pour reconstruire
cette Algérie.
Aucune initiative pour voir comment aider
pratiquement la Palestine meurtrie en organisant des marches, des pétitions,
des donations de médicaments, décréter le jihad laïque humaniste ou juste des
articles de sensibilisation pour l’international, ou autre … Séparer la
Palestine du contexte arabo -musulmane pour devenir humaniste
mondialiste ; Où sont passés le millénaire de la Palestine et les 1400 ans
de règne musulman humaniste et savant ? Où sont passées les croisades, les
colonisations et la création même d’Israël sur la terre de Palestine ?
Être amnésique ou sublimé par la fausse
modernité pour renier son histoire et ses valeurs millénaires ? Être
amnésique de l’histoire, ne pas faire la différence entre prédateurs et proies
et ne pas savoir dans quels camps ils sont est une inconscience !
4. Les Nouveaux « intellectuels »
algériens ; des idiots bien utiles
Le courant zémourien est bien présent dans la
scène médiatique algérienne c’est a KD de se dissocier de ce courant sans
aucune ambiguïté !
Ce courant est composé d’idiots inutiles qui
pensent sauver les citoyens algériens qu’ils pensent être des idiots inutiles.
Expliquons les idées sans s’attacher aux personnes …
L’idiot inutile zémourien croit avoir
découvert le code social comme un code génétique. Il se croit assez intelligent
et investi de la mission divine pour le livrer aux idiots utiles ; nous autres,
vous et moi ! Comme un messie, il désire nous sauver de nous-mêmes ! Ce
nouveau Zarathoustra qui n’est pas allé dans les bois des décennies pour
méditer les radiations de Hawking, la décadence des Romains, ou les
fossiles du Neandertal, qui n’a pas attendu ses cinquante ans pour la venue de
Gabriel lui délivrer dans sa grotte mystique des versets pour les idiots utiles
que nous sommes.
L’idiot zémourien montre aux gens le soleil
de l’empire capitaliste et leur dit ; n’avez pas enfin vu que c’est le
soleil bande d’idiots… vous les Arabes inutiles oubliant qu’il est lui-même un
arabe, un kabyle ou un musulman qu’importe !
Oui ! on a vu tout cela, mais ou est l’apport
des zémouriens dans tout cela chez eux ou chez nous ??? Quel est donc
leur apport à l’humanité, la science, l’histoire … allez jazez ! Où
sont les étudiants qu’ils ont formés et qui illuminent notre obscurité
????? Où sont leurs cours magistraux pour nous illuminer ???? Que
savent faire leurs paroles cria, la foule ; peut-elle fondre le
métal, tourner les machines, guider nos voitures, tourner en l’air un cerf
volant !
Au nom de l’intelligence qu’ils chantent,
nous ne voulons plus des mots, nous voulons un minimum d’équations, de
sciences, de technologies, d’engagements communautaires pour l’éducation, la
pauvreté, les malades, l’écologie et l’environnement. Nous idiots utiles,
nous exigeons que toute personne qui est convaincue d’avoir raison, et pire
d’être la raison, d’être moderne et assimilé, non pas de savoir
discourir, mais de savoir faire. Il faut que la bouche se referme et que
vos mains travaillent !
leurs évidences ne se justifient que
dans la raison d’un idiot qui critique un imbécile. Les deux sont rassurés que
l’autre soit plus con ou qu’on soit moins con. C’est ainsi que nous nous
amusons tous à rigoler sur les cons. Ils nous rassurent tellement qu’il y’ a
pire que nous.
Quelle facilité de prendre
DES islamistes et de généraliser et insinuer ; LES musulmans sont
des idiots…, de prendre DES Arabes et de généraliser et d’insinuer
LES Arabes. Il faut avoir un minimum de savoir d’un collégien en
statistique pour savoir qu’aucun modèle probabiliste ne peut être justifié
quand un échantillon est moins de 1% de la population ….
Nous voulons une idée qui critique une autre
idée ! et que ce combat se fasse non pas dans les cafés et les blogs et
les réseaux sociaux , mais dans l’arène universitaire devant des membres de
jury qui lui donneront la caution de penser et de parler ! que le con inutile
publie dans des revues, qu’il invente des pilules pour nous transmuter en
éclairés ou des clous pour clouer nos neurones dans le silence de la
pensée !
Le roman n’est pas la réalité et les médias
ne peuvent se substituer à la réalité sociale. Elle ne peuvent prendre la place
des bibliothèques de savoir et des amphis universitaires ! Nous avons
remplacé nos universitaires par des journalistes en confondant la liberté de
penser (en réalité de s’exprimer) réductrice avec la pensée profonde.
On recycle bien les déchets dans ce Nouveau
Monde du développent durable, mais en fin de course, on ne peut rentrer dans
l’histoire par effraction, on en sort par réfraction ! et puis il y’a la
concurrence zémourienne plagiaire de surenchère ; qui pissera plus loin sur nos
constantes identitaires : Islam, Arabité et Amazighité.
L’islamisme n’est que l’image asymétrique du
laïc ? les deux vivent l’un de l’autre et ne forment qu’une seule entité
primaire ; Notre ignorance de rejoindre la vraie modernité ; les sociétés
futurs de savoir synergique, de transhumanisme et de convergence
cognitive !
Oui nous luttons nous aussi contre
l’islamisme mais en combattant les voiles qui se cachent dans ce combat
pour nous divertir de notre vrai combat ; celui de l’éducation,
l’économie, la santé, les technologie et la vraie modernité laïque qui a fait
l’occident et le monde musulman : les sciences contre l’ignorance scientifique
!
Où sont passés nos intellectuels,
nos universitaires et nos penseurs algériens qui doivent
investir l’arène médiatique au lieu de laisser le vide aux
journalistes pour le remplir de vacuité au lieu de faire leur vrai travail ;
donner juste les faits des événements dans le terrain !
On ne construit pas une société de savoir qui
survit le prochain millénaire avec ces inepties médiatiques qui nous
divertissent et qui nous font perdre encore du temps précieux comme si un demi
siècle d’indépendance perdue ne suffisait pas !
Pendant ce temps, le reste de l’humanité
Moderne investit l’espace par le débat des idées, imaginaires et projets
potentiels et ingénieux pour donner plus de dignité à leur communauté de
destin.
Pendant ce temps, nous sommes réduits à des
querelles de cloché qui nous divisent plus dans l’abject et nous
divertissent de notre sens et raison existentielle communautaire dans
ce magnifique pays que nous avons trahis en ne voyant pas les vrais
enjeux et les défis géostratégiques qui nous attendent de nos prédateurs, nous
génération de la honte qui n’a pas été à la hauteur du sang sacrifié pour notre
liberté de faire de ce pays un miracle asiatique par manque de vrais
élites intellectuelles authentiquement algériennes et fidèles
non pas aux cendres du passé mais à l’esprit de notre passé qui
nous insuffle sa gratitude, sa dignité, et même son
génie.
Nous avons perdu du temps fou à nous
chamailler dans des stupidités égotistes importées d’ailleurs ; laïcité
occidentale et islamisme saoudite qui ont infecté notre cervelle. Nous
avons perdu l’esprit communautaire de nos ancêtres grâce à qui ils avaient
survécu pire situation que nous. Il nous faut une catastrophe pour revenir à
cet esprit qui seul peut nous sauver des périls qui nous guettent non pas en
tant que nation mais communauté de destin historique ; une seule langue, une
seule religion, une seule histoire quelque soit notre diversité.
La vérité n’est pas dans la victimisation. La
victime n’a pas toujours raison. On n’a pas raison parce que seulement l’autre
a tort, on n’est pas beau parce que l’autre est laid, et on n’est pas civilisé
parce que l’autre est barbare.
On est diable lorsqu’on pense être dieu. Pour
etre divin, il faut avant créer un univers !
La question qui tue ; est-on capable de faire
un grand débat d’idée sur l’islam et la modernité par des gens du savoir qui
vont nous éclairer et non pas des querelles de clochers médiatiques entre fans
et fanatiques. Sans ce débat public, l’islamisme et la laïcité seront alors la
lèpre et le choléra qui emmèneront l’Algérie au chaos cette fois-ci avec
l’intervention des occidentaux dans leur plan du printemps arabe ou l’Algérie
reste la prochaine cible !
Pour un vrai patriote, ce qui compte n’est
pas sa petite personne mais l’avenir de son pays et ses 40 millions d’Algériens
!
__________
29 DECEMBRE
2014
ALGERIE NETWORK
Par Mokhbi Abdelouahab
« Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
», Nicolas Boileau, extrait de l’art poétique
J’entendais me tenir étranger à la
contre-enquête sur Meursault. A peine, avais-je été attentif aux turbulences
générées par l’exhumation du dossier de l’arabe assassiné par, je ne sais,
Camus ou par son personnage. Rarement le cadavre d’un anonyme sans nom,
histoire, une sorte de sans-papiers sur la terre de ses ancêtres, ne fut autant
disséqué ni rendu aussi célèbre. Le Livre de Kamel Daoud n’a pas suscité
d’engouement débordant.
Une expertise d’un homme dont l’art d’écrire
n’est plus à mettre en exergue, Rachid Boudjedra, et qui n’a pas la langue dans
sa poche puisque il n’avait pas tergiversé pour traiter Rachid Mimouni – de son
vivant, évidemment- d’ « écriveur de discours », est venu rassurer ceux qui ne
se sont pas précipités pour encenser ce gars bien de chez nous et qui a réussi
là-bas chez eux ! : « Il n’y a rien dans
ce livre »; il enfonce le clou en précisant
qu’il s’agit d’« un livre médiocre,
sans construction ni philosophie »
; « Toute cette affaire est une histoire de
complexe ». On a envie de le croire. D’autant
que l’auteur lui-même souligne qu’il ne s’agit pas d’un essai (sur Camus) ;
comprenez que c’est un roman.
Cependant pour Alain Vircondelet, écrivain et
universitaire, chez Finkielkraut sur France-Culture, « le roman est dans les cinq dernières pages. » C’est maigre ! Exit donc ces éloges émis
sur le net par ceux qui entendaient s’approprier le succès du chroniqueur à
moindre frais ! Ceux qui, comme moi, furent contraints de faire prévaloir leur
droit à se taire pour échapper à l’accusation de jaloux en osant critiquer
l’outrecuidance du jeune premier furent soulagés par ces avis autorisés.
La Manne
Et alors que l’on se réjouissait sous cape de
voir cette affaire sombrer dans l’oubli, voilà qu’un autre ténébreux arabe,
autoproclamé leader salafiste, s’autorise à souffler sur les braises pour
sauver la contre-enquête d’une fatale hypothermie. Se prenant pour une
juridiction à lui tout seul, il délivre une fatwa providentielle incitant au
meurtre du chroniqueur. Intolérable.
La déception de la non-consécration par le
prix Goncourt 2014 à peine dissipée et voilà que la stupidité vient pallier la
décision du jury parisien. L’«’affaire » est maintenu à flot dans l’actualité. La
controverse suscitée par les déclarations de l’auteur de Meursault,
contre-enquête chez Pierre Elkabbach, Laurent Ruqier et autre Alain
Finkielkraut, est tuée – excusez, la mort est omniprésente ici, – dans l’œuf
sous l’avalanche de condamnations et d’indignations qui renchérissent les unes
sur les autres dans le registre de la vertu, mais qui restent cependant
incontestablement légitimes.
Les soutiens dithyrambiques sont
ragaillardis. Bernard Henri Levy saisit l’opportunité au vol pour ramener sa
fraise. Et l’autre qui entonne « nous sommes tous des Kamel Daoud ». J’ai envie
de lui répondre : « Kamel Daoud toi-même !». Il faut savoir raison garder. Si
indubitablement l’urgence est au débat, il conviendrait d’avoir présent à
l’esprit que la condamnation sans équivoque de l’appel au meurtre ne vaut pas
caution pour les propos souvent outranciers du chroniqueur.
Camus, algérien malgré lui
Entre la plaidoirie pour l’Algérianité
post-mortem de Camus et la revendication pour lui-même de cette même identité
en prenant bien soin de la tronquer de l’arabité et sur le contenu de laquelle
il fait preuve d’une loquacité qui n’est pas à la hauteur de sa plume, je
subodore chez lui le désir d’être agréable à Camus et surtout à sa « mère ».
À l’inverse, Salah Guermiche, auteur du livre
Aujourd’hui Meursault est mort, Rendez-vous avec Albert Camus (juin 2013),
revisite Camus avec beaucoup d’honnêteté intellectuelle, de circonspection et
de respect mais sans le sacraliser ou lui accorder d’immunité particulière.
Comme Edward Saïd, il refuse de voir dans Meursault « une parabole de la condition humaine ». A ses yeux, gommer l’identité du
personnage de l’Arabe c’est confirmer « la
primauté coloniale par l’inégalité de traitement des protagonistes », nous apprend Emmanuelle Caminade
présentant l’auteur.
Camus, aussi sensible qu’il ait pu l’être à
la misère du peuple algérien et aux injustices qu’il subissait, avait
clairement choisi son camp. Plus que de ne pas remettre en cause l’ordre
colonial, il a fait chorus avec ses suppôts. A Stockholm il se positionne
contre le combat du peuple algérien pour son indépendance et avec les moyens
qu’il s’est donné, à son corps défendant, la lutte armée ; « Je dois condamner aussi un terrorisme qui
s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut
frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère
avant la justice. ». Il ajoute
dédouanant la soldatesque coloniale pour ses crimes et exactions : « c’est ma conviction la plus sincère, aucun
gouvernement au monde ayant à traiter le problème algérien ne le ferait avec
des fautes aussi relativement minimes que celles du gouvernement français. ».
Ce n’est pas Massu qui parle mais bien le
récipiendaire du prix Nobel.
Nous sommes en décembre 1957, Hubert
Beuve-Méry, le célébrissime journaliste et fondateur du journal Le Monde aurait
eu ce commentaire « Je savais qu’il dirait une connerie ». C’est
aussi vain de se tortiller pour chier droit que de se fouler les neurones à
chercher des fondements nobles à la posture de Camus vis-à-vis de l’une des
guerres de libération les plus emblématiques du 20ième siècle.
C’est cette connerie que Kamel Daoud exploite
pour pleurnicher sur une « Algérie
française » que son ami journaliste français et
proche de Camus, Jean Daniel, l’a sans doute encouragé à mener. C’est lui qui a
signé le soutien fermement ficelé et le plus parlant, déposé sur le site
biblioobs.nouvelobs.com : « je connais
Kamel Daoud, pour avoir partagé un repas avec lui et pour l’avoir entendu
commenter nos proximités. Il m’a estimé digne de juger sa fidélité à Camus et
j’en suis très fier. Bref, nous ne voulons pas que l’on touche à Kamel Daoud.». Notez le passage du pronom je à celui de
nous. Je ne suis presque plus inquiet pour le chroniqueur !
Le paradoxe dans cette « affaire
» est que la polémique ne se soit pas nouée autour de la critique du contenu du
livre, travail de commande – de l’aveu même de l’auteur-. Les remous
médiatiques furent pour l’essentiel provoqués par le discours développé de
manière décousue et truffée de sentences à l’emporte-pièce, le plus souvent
choquantes et pour le moins hasardeuses. A l’évidence, il est allé au charbon
pour étayer les chances d’une probable consécration parisienne.
Il y a entre l’ambition de l’auteur et ceux
qui l’ont fait rêver sur un miroir aux alouettes, un accord tacite ; se
conformer à une vision camusienne d’une Algérie peuplée presque de spectres d’
« arabes ». Le mot revient, pas moins de vingt-cinq fois dans le livre de Camus
pour désigner une source de menace tantôt « adossés à la devanture du bureau de
tabac », tantôt « couchés, dans leurs bleus de chauffe graisseux ». Réifiés par
Camus, ils obtiennent sinon une identité du moins le statut d’indus-occupants
chez Kamel Daoud. La contre-enquête sur le meurtre de Meursault se transmute
sur les plateaux de télé en procès de l’arabe, malade de son Islam.
Patte blanche au pied-noirs
Kamel Daoud chroniqueur aguerri sait
qu’écrire des bêtises que ne lirons que ceux qui sont en phase avec vous et les
dire dans des espaces ou le public ne vous est pas forcement acquis sont deux
modes de communications différents.
Le chroniqueur devenu subitement
écrivain ne va de main morte, encore moins avec le dos de la louche.
Il commence, dès le 2 septembre sur l’écho
d’Oran, à déverser son fiel sur cette « Algérie
incroyablement sale », s’interrogeant
« pourquoi les Algériens, en majorité
sont–ils sales ?». Non que ces
problèmes de salubrité publique n’aient pas une certaine réalité et seraient
donc tabous mais Kamel Daoud les enfourche pour regretter que cette terre ait
pu valoir tant de sang.
Le chroniqueur ne se contente pas de
revisiter l’œuvre de Camus, comme le laisserait supposer le titre de son
travail littéraire; il se fait le chantre de la néo-colonisation; Il invective
les historiens anticolonialistes les plus respectés. Ce qui lui servira de
raccourcis pour émettre sa première fatwa, à savoir que cette terre d’Algérie
n’aurait jamais dû échoir à ses libérateurs mais doit être restituée à ceux qui
la mériterait le plus. Aux pieds-noirs,
évidemment, à qui il montre de façon bien ostentatoire patte-blanche. Il
pérore, dénigrant la lutte de libération, qui fût incapable d’enfanter un
Mandela qui aurait eu le charisme de dissuader
ces Algériens de prendre volontairement le navire. Il fait feu de tout bois
pour réhabiliter « l’Algérie
française ». Bref,
on est pas loin du Zemmour pour qui
l’Algérie serait une invention coloniale et aurait dû garder ce statut.
Ahurissant, lamentable !
L’Algérien, arabe sous l’emprise de l’islam
Les musulmans en prennent plein la poire ! Le
vendredi est, assure-t-il à Alain Finkelkraut, le symbole de la défaite
spirituelle du monde dit arabe. C’est le jour qu’il abhorre le plus, « Jour détestable, symbole d’oisiveté et de
paresse spirituelle, avec ces minarets hideux et les muezzins qui vocifèrent. ».
Il fait la leçon de l’hygiène qui ne
consisterait donc pas à se laver leurs pieds dans les mosquées. Oublieux que la
zakat est un fondement du credo musulman qui impulse une entraide sociale
d’envergure, même si son efficience liée à sa collecte et à sa redistribution
est discutée et discutable, il leur reproche de ne pas faire de « l’Abbe pierre
un métier de musulman ».
Amalgamant le fait que la foi du musulman
soit fondée sur le credo d’un Dieu omniscient et omnipotent unique et la notion
de pensée dogmatique figée, les musulmans ne seraient pas plus que de serviles
pantins d’une pensée unique. Alors même, que cette pensée islamique s’articule
autour de quatre écoles, chacune respectueuse des trois autres et qui
coexistent de façon admirablement harmonieuse.
Les divergences entre érudits sont perçues
comme une mansuétude divine entre les adeptes de cette religion. Eva de Vitray
de Meyrovitch, qui a fait découvrir Roumi, disait son incompréhension de voir
en occident, des philosophes de rang magistral et être ignorant de la pensée
islamique !
Kamel Daoud s’enorgueillit de prolonger le
mythe de Sisyphe de Camus pour s’acharner à tuer Dieu. Sa liberté, c’est le
combat de sa vie, dit-il, -depuis qu’à dix-sept ans il s’est extirpé de la
religion- consisterait-elle à sauter dans le jardin des autres pour piétiner
leurs plates-bandes ? Il déblatère sur la foi des musulmans pour les froisser,
voire les blesser collectivement alors même que son sujet est censé se
polariser sur le meurtre sans motif de l’arabe sans identité froidement achevé
par Meursault qui crible le corps inanimé de quatre balles. Pour le moins, il
aurait pu se risquer à diagnostiquer une sorte de haine tranquille.
Kamel Daoud, une imposture intellectuelle
Trouver un job pour le bon arabe est une
chose que l’on sait faire admirablement à Paris. Kamel Daoud postule-t-il ? Il dénonce le soutien des Algériens aux
palestiniens, il serait de nature tribale. Ils
mériteraient ce qui leur arrive car ils se trahissent les uns les autres.
Abderrahmane Semmar résume bien la religion de Kamel Daoud sur la question
palestinienne : « La Palestine est
ce pays qui sert à dire que les Israéliens sont mauvais par nature, pour faire
oublier que les « arabes » sont pires.»
En défrayant la chronique ainsi, Kamel Daoud
a donné entière satisfaction à ses amis qui lui ont commandité le boulot. Comme
pour la terre algérienne, la Palestine ne saurait être entre de meilleures
mains que celles de ses usurpateurs. Ce lâchage de la lutte du peuple ou cet
engagement en faveur de la légitimation de la mainmise du sionisme sur la terre
d’un peuple exilé ou emmuré dans des territoires, fait office de cerise sur le
gâteau. Le jury du Goncourt a du se raviser d’accorder la consécration ;
pourquoi payer plus cher une compromission largement acquise.
Kamel Daoud, Boualem Sansal mêmes ressorts
Le parcours bien balisé de Boualem Sansal, débute par l’insulte faite au combat du peuple algérien le réduisant à «
terrorisme et diplomatie », emprunte la voie de l’antislamisme primaire,
haineux et grossier et passe par l’abandon de tout sentiment de compassion
vis-à-vis des souffrances du peuple palestinien. Il décrète mordicus qu’ « il n’y a pas de fait colonial israélien » pour ensuite aller se sanctifier devant le
mur des lamentations. Son adhésion aux thèses sionistes est sans retenue.
La lettre ouverte que lui avait adressé
l’écrivain algérien Salah Guemriche, en 2012 pour le dissuader de s’enliser
dans ce révisionnisme abject nous fait deviner un Sansal sourd à tout argument
même ceux émanant de citoyens israéliens courageux. Face à l’évidence, force
est d’admettre que le zèle, chez ce natif de Théniet-el-Had, est là, reste la
conversion.
Aux dernières nouvelles, Il s’est présenté
avec sa gamelle pour prendre sa soupe au fameux diner du Crif. Il assume
joyeusement son allégeance ; « Je suis
allé à Jérusalem… et j’en suis revenu riche et heureux ».
Kamel Daoud cherche-t-il à devenir l’émule de
Sansal ? Il est dans son sillage. Ils exploitent tout deux le filon du
reniement en toute indécence et à l’abri de tout contradicteur, ils dénigrent
les musulmans à tous bout de page. L’un et l’autre sont inconsolables que les
français aient quitté cette terre d’Algérie qu’ils chérissaient tant.
S’agissant du bon usage du français, on est loin de la conscience de Kateb
Yacine pour les risques d’aliénation inhérente à la francophonie et qui
déclarait en 1966 : « j’écris en
français pour dire aux français que je ne suis pas français ». Même si l’obsession de se disculper
d’être « arabe et musulman » comme pourrait le laisser supposer le teint basané
et les cheveux frisés est présente chez les trois et chez bien d’autres qui
caressent l’espoir de décrocher le sésame d’une reconnaissance parisienne à
faire jaunir de jalousie des gens aigris comme nous autres citoyens lambda. Du
moins, c’est ce pensent beaucoup d’imbéciles !
Amour, liberté et sens de la responsabilité
Plongé dans cette contre-enquête un peu
malgré moi, je constate, tout de même, qu’elle a mené Kamel Daoud à se pavaner
sous les sunlights parisiens ; moi je continue comme Camus à vivre » comme je peux…dans un pays
malheureux » où les gens se haïssent si
cordialement que les uns ont toujours de bonnes raisons d’attenter aux libertés
des autres. Ils mettent tellement de cœur à saper les chemins qui montent vers
le bonheur qu’ils paraissent pitoyables.
Cette propension à ostraciser l’autre, voire
à le supprimer avec une désarmante bonne foi en mettant en avant qui l’amour de
la terre qui l’amour du ciel que visiblement tous nous avons beaucoup de cœur
mais peut-être pas toute notre tête. Nos certitudes sont effrayantes ; le doute
qu’ Edgar Morin ( Amour, poésie, sagesse.) puisse avoir raison de soutenir que
« … la beauté de l’amour, c’est l’interpénétration de la vérité de l’autre
en soi, de celle de soi en l’autre, c’est de trouver sa vérité à travers
l’altérité. » ne nous effleure pas l’esprit. C’est pourtant là, la
quintessence de l’enseignement du prophète ; Ceux qui s’égosillent à nous en
faire la leçon et à débiter des jugements sous forme de couperets oublient que
ceux qu’ils condamnent si définitivement sont faits à leur propre reflet.
D’autres se complaisent et s’avachissent dans l’outrance.
N’est-ce pas que Kamel Daoud est si peu
Algérien en piétinant les fondements de l’identité algérienne auxquels le
peuple, j’entends ici la majorité écrasante de la population est viscéralement
attachée à la définition magistrale érigée par Abdelhamid ben badis comme un
rempart inexpugnable devant l’entreprise d’acculturation et de déracinement par
la colonisation française.
C’est cet attachement indéfectible qui fait
que malgré sa posture de rebelle, Daoud Kamel est perçu comme un néo-harki.
Comment comprendre puis admettre qu’il fustige le peuple qu’il dit aux
trois-quarts « ignare, insouciant
de la terre à transmettre, sale, incivique et intolérant » pour revendiquer pour Camus et les siens
cette terre généreuse et son ciel bleu ?
C’est un révisionnisme honteux. Meursault a déteint sur Kamel Daoud qui «
refuse de mentir » mais à force d’excès, il en arrivera fatalement à devenir
étranger à cette Algérie, multiple, belle et accueillante que nous appelons,
tous, de nos vœux. Pour cela, il est impératif que chacun retrouve l’estime de
soi, basta l’auto-flagellation, et de s’aimer davantage. Indubitablement
« Il n’y a pas d’amour sans liberté. » Mais cette liberté n’impose
pas de s’exprimer par la négation des attributs de l’autre mais par
l’affirmation de ce que l’on est ! Cette liberté a pour corollaire le sens de
la responsabilité !
À l’instar de Salah Guermiche, on devrait
être tous suffisamment jaloux de notre propre liberté, pour veiller à ne jamais
contester celle des autres. Cela rend inutile de jouer les héros en se taillant
la stature du réfractaire politiquement correct en s’obligeant à toutes sortes
de transgression. Le cas échéant, les limites seront vite franchies et il n’y
aura plus de bornes pour éviter l’irréparable.
Je voudrais pour terminer rassurer Kamel
Daoud. Ma foi n’est pas une constante nationale. Je n’ai pas d’inquiétude
particulière qu’il puisse l’ébranler avec ses élucubrations intellectuelles.
Pour répondre à l’injonction du prophète de
la renouveler avec constance, je la remets volontiers en jeu chaque jour. « L’absurdité est surtout le divorce de l’homme
et du monde » c’est du Camus et ça me convient.
Les contrariétés telles qu’il peut m’en poser m’aident à la polir et la
raffermir.
Mon dernier mot ? Sale et méchant, je ne
désespère pas d’être agréable à Dieu un jour ; heureux, je le serais alors, car
IL m’aura préservé du travers suicidaire d’être renégat et arrogant !
Chacun sa vérité mais paradoxalement nous pourrions
nous rejoindre autour de cette pensée pénétrante de l’Imam Ali qui se désolait
que « la masse des détracteurs d’une vérité grossit proportionnellement à
l’intensité de sa la clarté ». D’ici là, toute rancune serait puéril !
Maître de conférences, université de
Mostaganem
29 DECEMBRE
2014
IDEM
Le Pr. Merdaci : Droit de réponse ; La
littérature nationale algérienne comme horizon
Le Pr.
Merdaci
Mis en cause
nommément dans une contribution publiée dans l’édition de Liberté du jeudi 26 décembre 2014 sous le titre « Meursault,
contre-enquête ou la revanche postcoloniale du fils prodige », reprenant des éléments de mon article sur
« La sélection-disqualification de Kamel Daoud aux prix Goncourt et
Renaudot 2014. Une illusion néocoloniale » (Reporters [Alger], 8
novembre 2014), je m’adresse à ses lecteurs pour répondre aux incriminations à la limite de la
malveillance et du dénigrement de l’auteur de contrevérités, empêtré dans ses définitions du
colonialisme et du néocolonialisme, qui ne s’autorise que d’une lecture
sommaire de mes positions critiques et de théories postcoloniales qu’il a mal
digérées, afin d’instruire à mon encontre un
procès d’intention. Je m’en tiens à
trois aspects de cette philippique :
1) Sur la question
de la langue française. Le contributeur
de Liberté (qui ne connaît ni mon parcours universitaire ni mes travaux)
écrit, dans une affirmation accusatrice, que « l’auteur de cette
contribution prend […] le fait que Kamel Daoud ait écrit en français »
sans mesurer le ridicule de cette imputation. Professeur de langue et
littérature françaises et de théorie littéraire à l’Université, j’ai publié
quinze ouvrages et plus d’une centaine d’articles de revues et de journaux sur
la littérature algérienne de langue française, qui est l’objet de mes
recherches, mais aussi sur la littérature française du XXe siècle,
notamment sur Louis-Ferdinand Céline ; j’ai accompagné, pendant plusieurs
années, mes étudiants dans l’étude de la modernité littéraire française,
notamment à travers la lecture des œuvres de Michel Butor et de Patrick
Modiano. Cette littérature française reste attachante ; elle a exprimé et
continue à exprimer la permanence et le renouvellement de l’idée littéraire en
Europe.
Le signataire de
cette contribution, pour mieux forcer le trait d’une relation conflictuelle à
la langue française, me compare à l’écrivain Tahar Ouettar, campé en
croquemitaine, dont il déterre la dépouille et injurie la mémoire. Sur son lit
de mort, l’auteur d’El Zilzel (Le Séisme, Alger, SNED, 1977),
remarquable roman en langue arabe de la littérature algérienne, a manifesté son
amitié pour la France et sa considération pour sa littérature. Il est, certes,
intervenu véhémentement, en 1992, dans un rencontre franco-algérienne sur les
Accords d’Évian.
Commentant la
publication, en marge du colloque, d’une anthologie franco-algérienne (Trente
ans après. Nouvelles de la guerre d’Algérie, Paris, Le Monde Éditions,
1992), dirigée par le journaliste du « Monde » Daniel
Zimmermann et l’écrivain-journaliste algérien Tahar Djaout, Tahar Ouettar
pouvait s’étonner, à bon droit, que la littérature algérienne de langue arabe
ne soit pas invitée dans ce panorama littéraire célébrant deux pays, au-delà de
ce qu’a pu être leur longue et violente histoire commune. Que ses propos ait
été ressentis comme polémiques et dénaturés dans les plus sombres recoins d’une
francophilie algérienne malheureuse, avec le temps qui passe et n’arrange rien,
dans une transcription caricaturale et abusive, ne sert pas la vérité.
Ceci dit –
convient-il de le répéter ? –, j’ai relevé dans l’article incriminé que
l’auteur Kamel Daoud utilise un ersatz de langue française, une spécificité
locale du français, historiquement datée, qui devrait intéresser les chercheurs
en littérature et en sociolinguistique. Dois-je donc accepter, pour cela, une
insoutenable assignation à une imaginaire censure de l’écriture en langue
française en Algérie ? C’est un exemple de propos comminatoires qui
épousent, souvent, une ferveur imbécile.
2) Sur les
aspects institutionnels de la littérature algérienne. Algérien et fier de l’être, je reste fidèle
au combat de mes aînés contre le colonialisme français, inhumain et
exterminateur, que rien ne saurait excuser, qui ne peut être oublié ; ce
combat pour la dignité et la liberté des Algériens, sortant de la gangue de
l’Indigénat, éclaire et aiguise une pensée critique de chercheur universitaire
et d’écrivain. Comment ne pas être vigilant face à un néo-colonialisme ambiant,
propre aux champs médiatique et littéraire français lorsqu’il s’agit de la
littérature algérienne, plus précisément de langue française ?
Je renvoie les
lecteurs de Liberté à mon ouvrage Engagements.
Une critique au quotidien
(Constantine, Médersa, 2013) dans lequel j’explique mes positions sur la
propension du champ littéraire français à vouloir assimiler les littératures de
langue française des anciennes colonies, leurs œuvres et leurs auteurs, comme
une périphérie de la littérature française, projetée comme le lieu matriciel de
ces littératures étrangères Cet impérialisme culturel français, dont le
« Manifeste pour une littérature-monde en français » (diffusé en
2007) est l’illustration, existe et il est condamnable. Il y a une littérature
algérienne de langue française, avec ses auteurs et ses œuvres, qui n’a d’autre
prétention que d’être algérienne, qui ne recherche pas et qui se défie d’être
une littérature de « second collège », qui ne veut et ne peut
être phagocyté par la littérature française comme le sont les
littératures suisse et belge de langue française qui ont abdiqué leur identité
nationale.
Ce n’est pas la
liberté d’écrivains algériens (parfaitement assimilables comme au temps de la
colonie) de faire explicitement une carrière française dans un « second
collège » d’Arabes de service, exhibés comme dans les zoos humains
d’antan, qui est discutée dans mes travaux et opinions publiques, mais leur
ambigüité, à se proclamer écrivains dans deux pays dans le seul but d’en tirer,
contre toute éthique, des profits personnels.
Combien
d’écrivains, comme Anouar Benmalek, ont témoigné
d’un inébranlable cynisme sur cette question d’appartenance en demandant
volontairement la nationalité française et en se proclamant « écrivain
français d’origine algérienne »
en quatrième de couverture de leurs œuvres tout en courant régulièrement les
festivités littéraires algériennes ? Il n’y a pas de littérature
franco-algérienne et la littérature algérienne se grandira de ne reconnaître
que les écrivains qui se réclament d’elle et celle de la France gagnerait à ne
plus vouloir naturaliser, dans de factices consécrations et intégrations sans
lendemain, tous les écrivains algériens qui sollicitent son édition.
Kamel Daoud, auteur d’un récit mimétique qui doit tout à Camus, qui n’a encore
rien construit littérairement qui relève de sont art, donnant aux médias
parisiens les gages attendus sur l’Algérie et son pouvoir, la Palestine,
l’islam et le monde arabo-musulman,
a admis d’être assimilé à la littérature française en s’impliquant
dans une compétition littéraire franco-française, dans une illusion
néocoloniale. Il est toujours obnubilé par le chant de sirènes des académies
littéraires du Goncourt et du Renaudot qui n’ont rien décerné, à lui comme à
des dizaines de romanciers algériens, depuis les années 1950, dont il poursuit
la quête vaine. Il a pu stigmatiser, récemment, le projet d’un Grand prix
national de littérature en Algérie. Il
est clair que les attitudes de ces écrivains fragilisent, dans notre pays,
l’idée d’une littérature nationale.
3) Sur la
« littérature nationale ».
Comme je le rappelle dans l’article cité par le contributeur de Liberté,
« le seul combat, qui soit nécessaire aujourd’hui, c’est de défendre – en
Algérie – une littérature nationale dans toutes ses langues sans distinction,
libre et autonome, à l’instar de celles de la France et d’autres pays du
monde. » Il est certainement difficile de porter et d’approfondir le débat
intellectuel autour d’une « littérature nationale », à partir de
l’Université algérienne.
Dans le domaine de
la littérature algérienne de langue française, le concept semble effaroucher
des cercles d’enseignants-chercheurs définitivement acquis aux thèses de
Mostefa Lacheraf (reprises par le Père Jean Déjeux) sur une littérature
algérienne née spontanément au début des années 1950 et qualitativement
inséparable de l’édition française. Daoud en est, en 2014, l’exemple. Longtemps
ignoré en Algérie après sa publication par l’éditeur algérois Barzakh, son
récit a été accueilli par la foule immonde et moutonnière de laudateurs qui, le
plus souvent, ne l’ont pas lu, après avoir reçu l’estampille française.
Cette réflexion
sur la littérature nationale algérienne de langue française, je la nourris dans
mes travaux universitaires et mes interventions publiques, depuis les années
1980, sans aucune discrimination relativement à son inscription dans le
temps, aux positions idéologiques et aux postures politiques de ses auteurs
pendant la colonisation française.
Je me suis ainsi
préoccupé ces dernières années, en en construisant les bases théoriques, à proposer
un discours historique unifiant sur cette littérature et à en remembrer le
cours de l’histoire, en publiant ses textes fondateurs, notamment ceux d’Omar
Samar, le tout premier romancier algérien de langue française, écrivant vers la
fin du XIXe siècle, et la toute première synthèse sur l’écriture de
langue française des Algériens pendant la période coloniale (Auteurs
algériens de langue française de la période coloniale. Dictionnaire
biographique, Paris-Alger, L’Harmattan-Chihab Éditions, 2010).
C’est au nom de la
reconnaissance d’une algérianité qui leur fut âprement discutée par une
critique littéraire, qui s’est développée dans la proximité de la guerre
d’indépendance et de ses attentes nationales, que j’ai introduit dans le champ
des études littéraires algériennes les écrivains d’avant 1950, mais aussi les
chercheurs universitaires qui, à la suite d’Abdelkader Djeghloul, Ahmed Lanasri
et Hadj Miliani, ont reconnu dans leurs écrits le cheminement d’une pensée
indigène encore dominée et son inconfortable expression littéraire ; c’est
aussi dans la fidélité à ce principe que j’ai pris, en 2011, au moment où
l’Université algérienne et ses bien-pensant patentés se taisaient honteusement,
la défense de
Mouloud Mammeri dont l’algérianité de l’homme, de l’écrivain et de l’œuvre
était cruellement contestée par l’écrivain et critique Tahar Benaïcha (Cf.
« Un troublant déni d’algérianité. Mouloud Mammeri ou la seconde mort du
Juste », Le Soir d’Algérie [Alger], 25 mai 2011).
Je reste dans ce
combat, plus que jamais indispensable, pour consolider l’unité de la
littérature algérienne et une indépendance culturelle, toujours menacée. Je ne
crois pas qu’un débat sincère sur cette littérature puisse se baser sur des
propos réducteurs, des attaques perfides et des sommations outrancières.
Kamel Daoud, son
choix assumé d’une posture néocoloniale et son succès de scandale ne
représentent qu’un épiphénomène passager, il importe, aujourd’hui, de croire à
une littérature algérienne autonome et de la rendre possible.
C’est avec le
concours des écrivains, des éditeurs, des critiques, des chercheurs
universitaires, mais surtout des lecteurs, que cette littérature des Algériens,
riche de toutes ses langues, pourra forger son destin de littérature nationale,
qui produira dans son pays ses grands auteurs et ses œuvres sublimes, loin des
agressions d’un impérialisme culturel français toujours présent, mais aussi
d’étroites surenchères sur ses langues d’usage. Cette littérature nationale
algérienne, qui atteindra la maturité, sera d’abord reconnue dans son pays
avant de l’être dans le vaste monde dans un échange égal et respectueux avec
toutes les cultures littéraires.
*Écrivain-universitaire.
Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage paru : Une
histoire littéraire déviée. La réception critique de la littérature algérienne
de langue française d’avant 1950, Constantine, Médersa, 2014.
________________________
23 DECEMBRE 2014
-->
Opinion
Pourquoi je ne suis pas «
solidaire » de Kamel Daoud ?
M. Yefsah
Mardi 23 décembre 2014
« Non, le chroniqueur n'est pas "solidaire" de
la Palestine » (Quotidien d'Oran du 12 juillet 2014). C'est la première
phrase de la chronique de Kamel Daoud en plein massacre de la population de
Gaza par l'armée israélienne. Ici, non plus, le « chroniqueur » n'est
pas « solidaire » de Kamel Daoud. Ce dernier a épilogué sur la
solidarité au moment même où les enfants de Gaza se faisaient déchiqueter par
des bombes dans des écoles-refuges, les habitations détruites, des familles
déchirées et des vies arrachées avec barbarie. Sa révolte était focalisée sur
les musulmans et pas sur ceux qui collaient le sang des Palestiniens. Daoud
ergotait sur le Hamas et toute honte bue sur « l'humanité » d’Israël
qui présentait ses condoléances aux familles victimes de ses bombes. Quel
cynisme ! Il ose d'ailleurs insinuer que les solidaires avec la Palestine
étaient « amateurs des lapidations », oubliant l'indignation qui
s'était exprimée partout dans le monde.
Le « chroniqueur » ici ne peut pas non plus parapher son nom sur
une pétition signée par un Bernard-Henri Lévy, personnage sulfureux, soutien
inconditionnel d'Israël, promoteur des guerres impérialistes et qui ne peut
rien envier au salafiste Abdelfattah Zeraoui Hamadache. Pour être plus précis,
ce dernier a appelé l'Etat algérien à appliquer la charia, du moins son
interprétation, sur Daoud en le condamnant à mort. Il est plus dans une
revendication politique que dans une « fatwa », contrairement à ce
qui se raconte et chose qu'il confirme lui-même ultérieurement. Le sot
Hamadache est dans son rôle. Mais l'indignation semble plutôt surprenante de la
part de ceux qui dînent ou serrent la main des anciens terroristes et qui
viennent faire la morale aux Algériens de la solidarité
« obligatoire » à manifester à Daoud.
Ce dernier glose aujourd'hui sur le sens de la haine, quand ses chroniques
sont une dynamite d'animosité, d'aversion et d'hostilité envers les Arabes
qu'il infantilise, des musulmans qu'il fanatise, des Chinois qu'il moque, des
classes populaires qu'il exècre, de l'Algérie qu'il triture... Daoud confond la
critique – droit que personne ne doit lui enlever – et l'insulte. Il a d'ailleurs
une chronique journalière où il peut exprimer ce qu'il veut. Mais il a attendu
d'être en France pour tenir un discours conventionnel et des poncifs sur
l'islam, alors que les musulmans sont en premier victimes de l'intégrisme.
Cette même haine constitue le fût de son récit, Meursault,
contre-enquête, où il a imaginé le personnage de l'Arabe, du roman L’Étranger d'Albert
Camus, vengé par son frère, poussé par une mère malveillante,
pathétique, castratrice. Symboliquement, c'est l'Algérie qui cherche à se
venger de la France, plus d'un demi-siècle après son indépendance ! On
comprend facilement l'accueil réservé à ce récit mineur. Hamadache et Daoud ont
un point en commun : des haines et des frustrations, la matrice
idéologique de la droite fascisante, mais chacun à sa sémantique. Ils sont des
professionnels de la lapidation avec des mots.
M. Yefsah
In : http://www.palestine-solidarite.org/analyses.
31 DECEMBRE
2014
Page facebook de Kamel Daoud
Meursault, contre-enquête
22
h ·
MERCI ET MEILLEURS VOEUX !Des remerciements suffiront-ils jamais ? J’ai une dette très grande aujourd’hui. Envers ceux qui ont placé de l’espoir en moi, qui m’ont soutenu face à de détestables adversités, qui se sont rassemblés dans des villes algériennes, qui ont écrit, plaidé, expliqué, défendu, protesté et réclamé la justice. Non pas que ma personne soit importante ou que je sois symbole ou leader ou figure, mais parce qu’il ne s’agissait pas de moi. Mais de nous tous, des autres, de nos enfants à venir.
Quel pays voulons-nous ? Voulons-nous un pays ?
Quand un homme appelle à la mort d’un Algérien sous prétexte d’un dogme mal compris, d’une religion prise en otage ou de Dieu, et que cela soit suivi de silence, soit qualifié de « simple préjudice », ou banalisé comme un fait divers, c’est qu’il y a un choix dangereux. On choisi alors, sans le vouloir ou parce qu’on ne l’a pas défendu, un pays, une démocratie, un république ; ou bien un califat, un émirat.
La question n’est pas alors si on est pour ou contre Kamel Daoud, mais si on veut un pays ou une ruine. Une réconciliation bâtie sur la justice et non pas sur la compromission. Car ce qui est aussi en jeu, c’est le solde de tout compte interdit des années 90, la primauté de la justice sur la réconciliation et la nécessité de redéfinir la Réconciliation comme un pas en avant vers la paix et non comme une transaction.
Je l’ai compris à la lente réaction de l’Etat, malgré l’immense bonne volonté de certains responsables que je ne peux citer mais dont je témoigne de l’engagement et de la solidarité discrète.
Merci donc à ceux qui ont compris, ceux qui ont défendu le principe de liberté et de création en Algérie, honneur de notre pays, fortune de nos ancêtres, rêve de nos martyrs aux plus sombres heures du sacrifice.
J’ai compris donc qu’il s’agit de deux projets : le désir de vivre ou le désir de mourir. Dans les rangs de ceux qui m’ont envoyé des messages de soutien, il y avait des islamistes, des salafistes même, des laïcs, des démocrates, des progressistes, des arabophones et des francophones et des gens humbles croisés dans les marchés et les rues. Mus par le désir de vivre mais aussi respectueux de cette valeur suprême dans notre histoire : la liberté.
Cette affaire a basculé, très vite, dans l’hystérie : moi l’enfant de village, humble et effacé, auteur d’un livre qui se vend dans le monde et qui défend l’image d’un pays malmené, a été chargé de trop de maux et d’espoir : on a dit de moi que j’étais harki, leader, sioniste, francophile, écrivain de commande, traître, exilé, vendu, que j’avais la double nationalité… je suis accusé de tous les maux et malaises de l’Algérie ! Depuis sa naissance !
Révélation sur le mal d’être Algérien, la douleur d’être Algérien, la passion d’être Algérien. La réalité est que les grandes questions qui font mal aux racines et aux récoltes n’ont pas été tranchées : l’arabité, le rapport à la France, la langue, la religion, l’identité.
J’ai osé, dans ma lente et cohérente construction, apporter mes réponses, à moi-même d’abord ; et mes réponses je les défends car elles sont le fruit de ma vie.
Oui je l’affirme : l’arabité m’appartient, je ne lui appartiens pas. C’est un héritage, pas une camisole.
L’Islam est un choix, pas une contrainte.
L’algérien est mon identité, ma nationalité, ma naissance et le lieu de ma mort.
La France est un pays que j’admire mais qui ne colonise pas mon esprit : je rêve du monde, pas de la France.
Dieu est ma quête et ma question. Il y faut une vie comme réponse, pas une fatwa.
Celui qui ne meurt pas à ma place n’a pas le droit de vivre à ma place.
Ce qui me lie à Dieu ne concerne personne.
Le pays est mien, je le partage mais je ne le cède pas.
J’aime mes racines mais je leur préfère les récoltes.
Je suis libre. Mes ancêtres se sont battus pour ma liberté et donc je ne la cède pas à la première menace.
Ceux qui m’ont envoyé ce message ténébreux pour me faire peur et me pousser à l’exil doivent comprendre : je ne suis pas un homme courageux, mais je suis un homme tenace et patient. Comme mes ancêtres. On peut me tuer, mais j’aurais été libre avant de mourir. Insolemment.
Mon Père est mort fier de moi. Mes enfants et mes petits-enfants le seront aussi. Je le promets.
Et surtout, je veux le dire et l’écrire : vivre est une fête qui ne me sera pas gâchée.
L’espoir est permis chez nous.
Les vœux sont la seule prière commune à tous les peuples. Meilleurs vœux alors pour l’année nouvelle.
Oran, le 31 décembre 2014.
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SOURCES DE TOUS CES ARTICLES:
mediapart.fr
lexpressiondz.com
Leïla Benammar Benmansour
In El Watan
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