(suite)
Le lendemain mardi 19 juillet ils se réveillent tôt. Ils eurent froid
malgré les couvertures. Le ciel dégagé promet une belle journée. Pour se
réchauffer, Omar fredonne sous la douche dans son imparfait anglais « I’ve lived/ A life that’s full / I’ve
traveled each / and every highway / And more / Much more than this / I did it
my way… » Aussitôt pris le petit déjeuner ils ne s’attardent pas, ne
retournent pas vers les quais. Ils font le plein de carburant, « diésel,
dit Omar, thank you so », puis ils reprennent directement la Klondike
Highway, vers le Canada, précisément en direction de Whitehorse. Le vent est
tombé, mais le ciel se charge. Une pluie fine ruisselle. Le froid s’intensifie,
vif, mordant jusqu’aux lobes des oreilles. La température peine à six degrés.
Tout au long de la route, de grandes crevasses sont gorgées d’eau. On n’y voit
rien et le brouillard est épais. À Carcross la pluie est plus abondante. Ils ne
s’y arrêtent pas. Après cent quatre-vingts kilomètres de bons et de mauvais
tronçons de route, Véro et Omar atteignent Whitehorse en début d’après-midi,
elle aussi sous la pluie. Le ciel dégagé du matin n’aura tenu qu’une ou deux
heures. Depuis Yellowknife ils ont parcouru plus de deux mille deux cent
cinquante kilomètres. Ils déjeunent dans le Westfalia, à l’intérieur du parc
qui jouxte la Yukon river.
La première action qu’ils entreprennent à Whitehorse est de rendre visite
aux animatrices de l’Association franco-yukonaise avec lesquelles ils avaient
été en lien peu avant de quitter Marseille pour l’aventure. Ils échangent
longuement avec Céline Lavoie et Carrie Wong, notamment à propos de la route qui
relie Dawson et Inuvik. Elles leur donnent de nombreux conseils ainsi que
des adresses et des noms de personnes à contacter comme Cécile Girard, une de
leurs collègues qui se trouve chez les Inuits à Tuktoyaktuk pour participer au
Festival des arts premiers, celui-là même évoqué lors de la soirée au Mackenzie
Lounge à Yellowknife. Elles leur parlent de Thérèse Caron une sculptrice
sur pierre qui réside à Inuvik durant la semaine et à Tuk les samedis et
dimanches. Elles insistent, « A Tuk rendez visite de notre part à Derek
Taylor, c’est un ami inuk et un artiste reconnu ». Quant à la mosquée,
Céline et Carrie confirment sa construction, son remorquage et sa mise sur
barge jusqu’à Inuvik. Cette information, après qu’ils eurent fait face à tant
de points d’interrogation dès lors qu’ils prononçaient le mot mosquée, ravit
Omar et Véro.
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« Inuvik est une ville de moins de quatre
mille habitants à majorité inuite, qui se trouve à l’extrême nord des TNO, au
nord du cercle polaire : 68°21’ nord, 133°43’ ouest, dans l’embouchure du
fleuve Mackenzie. Il y a bien une petite communauté musulmane dans Inuvik. Elle
regroupe moins de cent personnes. Pour prier, ses membres se rassemblaient dans
une vieille caravane de vingt mètres carrés. Les musulmans d’Inuvik ont acheté
un terrain dans un quartier de la ville, mais n’ayant pas les moyens
nécessaires pour la construction d’une mosquée ils ont fait appel à la
générosité d’associations » confirme Céline. « Nous
savons cela, car nous avons été nous-mêmes contactés depuis le début par
l’Association des musulmans d’Inuvik, il y a de cela deux ans » dit
Carrie. Céline ouvre un magazine local qui relate l’expédition de la mosquée.
L’article est agrémenté de photos montrant le bâtiment sur une semi-remorque
pour certaines, sur une barge pour d’autres. D’autres photos montrent la
mosquée le jour de son inauguration. Ce
texte et les photos, mais aussi la perspective de fouler personnellement les
tapis de la mosquée d’Inuvik, soulagent et remplissent de joie les Marseillais.
Ils sont sur le point de quitter l’Association franco-yukonaise
lorsque Carrie les invite à prendre un verre vers 18 h 30 au Jarvis. Elle
leur montre sur la carte l’emplacement du pub et leur donne des prospectus et
des tuyaux sur ce qui pourrait les intéresser à Whitehorse.
Véro et Omar font un tour dans la ville malgré la pluie qui ne veut
cesser. Ils reviennent vers la rivière Yukon, se prennent en photo devant le
Klondike, fameux bateau à vapeur
qui emmenait les aventuriers de tous bords à
Dawson City pendant la période de la ruée vers l’or. Ils découvrent d’autres
lieux que leur ont suggérés Céline et Carrie comme le Mac Bride Museum ou le
petit train aux couleurs criardes jaune fleur de soufre et blanc albâtre. Le
grand parc ouvert qui longe la Yukon river
est peuplé d’animaux tels que
chèvres de montagne, caribous, ours… À ce propos, ils n’eurent pas –
heureusement – à utiliser le vaporisateur chasse-ours que leur avait vivement
conseillé Karin. « Prenez le Bear guard on ne sait jamais » leur
avait-elle dit. Des points de vue aménagés permettent d’apprécier l’étendue et
la beauté de l’espace environnant. Un buste figurant Jack London porte une
inscription qui commence ainsi : « In
the summer of 1897, at the age of 21, Jack London camped in the Whitehorse area
after running miles canyon and the Whitehorse rapids… » Plus loin une
autre sculpture. Comme la précédente, elle reste indifférente face au caprice
du temps. C’est celle d’Angela Sidney Ch’ooneté Mastoow, « respected and much loved Tagish eider of the Delsheetaan Nation.
» À deux pas derrière, un immense totem est dédié aux Premières nations,
aux Indiens Tagish représentés ici par Angela Sidney.
En fin de journée ils prennent quelques verres, avec Céline et Carrie qui
les rejoignent, au Jarvis Street Saloon. Sur scène un groupe de folk achève sa
première chanson. L’endroit est vaste et très agréable. Judicieusement décoré.
Un avion-taxi biplace, bleu et blanc, est suspendu au plafond (est-il fait de
carton pâte ?) Son aspect est attrayant. C’est un Globe Swift. Sur la
carlingue il est écrit « ZOD ».
À l’arrière « GC-1B ». Sur
le mur des affiches géantes représentent des trappeurs, King of the royal
mounted, qui renvoient Omar à son adolescence peuplée de Kit Karson, de Blek le
roc, de Davy Crockett… dont les histoires de guerre et de justiciers qui le
captivaient et remplissaient de joie, parfois d’inquiétude, étaient
grossièrement mensongères, mais Omar ne le savait pas. Céline et Carrie ne
s’attardent pas plus d’une heure. Elles quittent les Marseillais en s’excusant.
Eux-mêmes ne tardent pas après le départ de leurs amies. Ils dînent chez
Antoinette’s, un restaurant africain à quelques pâtés de maisons, où l’accueil
est chaleureux et le reste excellent. Il plut toute la journée. Dans le
camping-car le clapotis incessant de la pluie les accompagne jusque tard dans
leur sommeil.
Le lendemain matin Véro et Omar déposent leur Westfalia dans le parking
de l’agence de location Budget et retirent le Volkswagen Touran qu’ils avaient
réservé depuis Yellowknife. Le Touran est plus à même de traverser la fameuse
Dempster
Highway, l’« autoroute » du Grand Nord, jusqu’à Inuvik. Omar
prend soin d’apprivoiser le levier de vitesses de la boîte automatique. Son
utilisation est simple, mais il faut s’y habituer et éviter par exemple de
chercher à enfoncer la pédale d’embrayage, car il n’y en a pas. Ils
transbordent ensuite leurs affaires – y compris les trois jerrycans pleins, ils
seront nécessaires sur la Dempster – du premier véhicule vers le second et, peu
avant 11 heures, prennent la Klondike Highway en direction de Dawson.(à suivre)
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