(Suite)
À Fort-Nelson ils sont accueillis par un ciel très chargé et une
température bien basse pour la saison : dix degrés. La pluie fine qui
tombe tiendra plusieurs heures. Fort Nelson n’est pas ce qu’on appelle une
ville ou un village des Premières nations, autrement dit, ce n’est pas une
ville autochtone, indienne. La majorité de la population est blanche et les
habitations individuelles, mais aussi les immeubles de deux, trois, voire
quatre étages comme l’hôtel de la chaîne Super 8, sont nombreux. Les deux
compagnons apprécient les grilled chicken sandwiches et les cafés du bien nommé
Fort-Nelson café, mais ils ne s’attardent pas. Ils reprennent la route après
avoir fait le plein de Diésel. Dans cette région, bien qu’on soit loin des
forêts denses du sud tempéré, la végétation est plus abondante que dans les TNO
et la cime des arbres plus haute. On trouve beaucoup de trembles et de sapins aux couleurs
vives. Au bout d’une centaine de
kilomètres, sur l’Alaska Highway dorénavant, les paysages se font encore plus
beaux. Omar et Véro ont le sentiment d’être plongés dans des décors de cinéma
avec cette différence que dans le Grand Nord on les respire – les décors, les
paysages – à pleins poumons, sans artifice et en pleine lumière. La température
est plus douce. Ils ont l’impression que la chaîne des Rocheuses est posée là, le
long de la Highway. Ce n’est évidemment qu’une illusion. Dommage que le ciel se
couvre. Ils n’aperçoivent pas les sommets des montagnes et la circulation est
toujours faible. La vitesse maximum autorisée, lorsque la route est bonne comme
sur cette Alaska Highway, est de cent kilomètres à l’heure et tous les
automobilistes respectent scrupuleusement les panneaux d’indication routiers,
plus encore dans les villes et villages. Les Marseillais, qui sont habitués à
d’autres vitesses, à d’autres types de conduites, eurent quelques difficultés à
s’adapter.
Lors des nombreux échanges qu’ils eurent à Yellowknife, on leur avait
recommandé fortement de s’arrêter à Liard River Hots Springs. Ils se
souviennent des paroles de Jean-Pierre, « surtout ne manquez pas les
bains. » Ils y arrivent alors que la nuit envoie ses premiers signes, même
s’ils sont insignifiants.
Liard River Hots Springs est un endroit qui comprend
un terrain de camping, mais surtout des thermes aménagés en pleine forêt. Les
bains sont plus ou moins chauds selon qu’on choisit l’un ou l’autre des trois
bassins. Leurs sens sont exaltés par cet environnement vert, par tant de beauté
naturelle, généreuse et éclatante. C’est magnifique et le corps trempé dans de
l'eau à quarante degrés en sort revigoré et prêt à toutes les extravagances si
tant est que les Marseillais en aient les moyens. Dans le lounge qui fait face
aux thermes, ils s’offrent deux succulents fishs and ships. Ils décident de
passer la nuit au sein même du camping. Le matin du dimanche, ils prennent de
nouveau un bain très chaud avant de continuer, toujours vers l’ouest. Peu avant
d’arriver à Watson Lake, ils assistent en contrebas de la route, à la lisière
de la forêt, à un combat initiatique et fraternel de plusieurs minutes entre
deux oursons. Ils virent aussi un caribou, des chèvres de montagnes, des bisons
et des chevaux sauvages ou semi-sauvages. Watson Lake est
village qui se caractérise par des centaines de poteaux (ou totems)
sur
lesquels sont accrochées d’innombrables objets comme des chaussures, des
chapeaux, des colliers, mais surtout par sa Sign Post Forest, une forêt de
plaques de toutes sortes, plus de soixante-dix mille dit-on, sur
lesquelles on peut lire des noms de villes, des numéros de plaques
minéralogiques, des mots doux… Ils s’y arrêtent pour prendre un café dans la
station et inscrire leur nom sur un bout de carton d’emballage qu’ils prennent
soin de protéger avec un plastique transparent avant de le pendre à un poteau. Ils
écrivent au feutre indélébile bleu « Véro
H. & Omar Ch. from Marseille ». Ils ajoutent en rouge leur adresse
électronique et la date. L’après-midi est largement entamé. Ils font le plein
d’essence et reprennent la direction des États-Unis. À Rancheria Falls, ils
font une halte pour admirer ses cascades. Une plateforme en bois est suspendue
sur Rancheria river.
Pour la traverser la il n’y a pas d’autre possibilité que
celle d’emprunter le pont. Sur un grand panneau, on peut lire : « The boardwalk takes you through a
dense stand of black and white spruce. This forest is a good example of the
boreal or northern forest that extends cross Canada… » Véro prend des
photos des deux côtés de la rivière. Le crépuscule les rattrape à Teslin. Ils
poussent jusqu’à Carcross, au nord du soixantième parallèle donc. Tout autour
d’eux ils aperçoivent les formes de nombreuses dunes. A l’époque glaciaire, de
grands lacs recouvraient les lieux. Aujourd’hui seul le sable témoigne de cette
période lointaine. Il forme sur trois kilomètres carrés « le plus petit
désert du monde ». C’est à
proximité des dunes qu’ils campent pour le reste de la nuit.
Le lendemain, ils entreprennent une marche d’une bonne heure derrière les
montagnes de sable jusqu’au pied des monts. Lorsqu’ils reprennent la route pour
Skagway, le soleil est haut et les touristes de plus en plus nombreux. On leur a
tellement vanté cette ville, « la perle du doigt de l’Alaska » pour
sa beauté qu’ils décident de s’y rendre. Le passage à la frontière n’est pas
difficile. Il y a peu de monde, l’accueil est sympathique et les formalités
sont simplifiées, mais pas assez. Il y a ces formulaires et les questions – qui
n’ont rien à envier à celles des fonctionnaires canadiens – aussi fantasques,
absolument ridicules ou inacceptables : « avez-vous eu un refus de visa », « avez-vous été un
criminel », « êtes-vous atteint d’une maladie
psychologique ? », « Do you seek to engage in terrorist
activities while in the United States or have you ever engaged in terrorist
activities ?… »
Skagway est un très joli village qui fourmille de touristes en été. Il
ressemble beaucoup aux villes du Far West telles qu’on les a gravées dans sa
mémoire, telles qu’on les voit dans les films de cowboys, avec ses cabarets,
ses saloons, sa banque d’Alaska. Plusieurs bâtiments très anciens, dont la date
d’édification, « built 1897 »
par exemple, figure sur leur pignon. Skagway fut longtemps la principale porte
d’entrée de la région aurifère de Dawson. Elle est protégée par de majestueuses
montagnes enneigées toute l’année, son fjord donnant sur Juneau et l’Océan
pacifique. Il fait frais et le vent accentue le froid ressenti. On dit ici
« wind chill factor. » La ville héberge moins de neuf cents
habitants. Dans la minuscule gare maritime, d’immenses photos bicolores couvrent
une grande partie des murs. On y voit des traîneaux de chiens, des chercheurs
d’or et Mrs Harriet Pullen, une pionnière de Skagway. Dans son édition du
samedi 11 juillet 1897 le Seattle Post Intelligencer, titre : « Latest news from the Klondike ».
Quelques personnes attendent, ou n’attendent pas le ferry annoncé provenant de
Juneau, le Sylver Shadow. Les deux complices font le tour du village qu’ils
bouclent en vingt minutes. Ils prennent deux « Delas Frères Merlot »
au Red Onion Saloon et plus tard des verres et des fishs and ships au Skagway
brewing. Les deux établissements se situent sur la principale artère, la
Broadway Street, riche en commerces de toutes sortes. Les routes sont bitumées
et les trottoirs recouverts de lattes de bois. Le pub est bondé. La plupart des
clients sont des Américains venus d’autres régions, essentiellement par
paquebots. Les serveurs, bien que débordés, trouvent toujours le bon moment
pour échanger avec les consommateurs. Notamment Laurent le francophone, un Québécois
de Montréal. La question sur la mosquée d’Inuvik lui paraît tellement
incroyable qu’il rit bruyamment pour manifester son grand étonnement. Il dit
« tsais cette histoire me semble strange tu m’écoutes-tu et c’peut faire
jaser non ? » et il rit de nouveau, en posant le contenu de son
plateau. Il réussit à agacer les Marseillais qui préfèrent changer de sujet.
Ils quittent Skagway brewing pour se rendre directement au camping Garden City où
ils avaient, dès leur arrivée dans le village, installé le Westfalia. Ce lieu
n’a de camping que le nom, avec le strict minimum. Du gazon, deux fontaines,
quelques douches plutôt insalubres.
(à suivre)
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