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mercredi, janvier 07, 2015

465_ Houellebecq ou Céline ressuscité


Les Arabes, les musulmans et l’Islam chez « l’irresponsable » revendiqué qu’est

Houellebecq, le nouveau Céline - il revendique son accoutrement, tente de lui ressembler physiquement-
sauf que Céline assumait sa « responsabilité ». Il n’esquivait pas. Il ne biaisait pas.



L’accueil médiatique est (sauf 2 ou 3 exceptions) très favorable, et même enthousiaste (il vous faut écouter Trapenard ! et Finkelkraut, France-Inter et France- culture et sur Canal…)

Si j’ai une seule question à poser aux journalistes enthousiastes, ce serait celle-ci : « Si Céline était encore en vie, et s’il avait commis un tel ouvrage, avec comme cible non l’Islam et les musulmans, mais la Thora, Ezzabour et les Juifs, ces journalistes seraient-ils aussi enthousiastes ? »




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Voici quelques extraits du roman de Houellebecq, "Soumission" (Islam), reçu ce matin même:  »


Devant la porte de ma salle de cours - j'avais prévu ce jour-là de parler de Jean Lorrain - trois types d'une vingtaine d'années, deux Arabes et un Noir, bloquaient l'entrée, aujourd'hui ils n'étaient pas armés et avaient l’air plutôt calmes, il n'y avait rien de menaçant dans leur attitude, il n'empêche qu'ils obligeaient à traverser leur groupe pour entrer dans la salle, il me fallait intervenir. Je m'arrêtai en face d'eux : ils devaient certainement avoir pour consigne d'éviter les provocations, de traiter avec respect les enseignants de la fac, enfin je l'espérais (33_34).

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Là encore ce n'était qu'un bruit, difficilement vérifiable, mais le fait est que l'Union des étudiants juifs de France n'était plus représentée, depuis la dernière rentrée, sur aucun campus de la région parisienne, alors que la section jeunesse de la Fraternité musulmane avait, un peu partout, multiplié

ses antennes. (34)

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Sur le modèle des partis musulmans à l'oeuvre dans les pays arabes, modèle d'ailleurs antérieurement utilisé en France par le Parti communiste, l'action

politique proprement dite était relayée par un réseau dense de mouvements de jeunesse, d'établissements culturels et d'associations caritatives. (51_52)

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Une première tentative d'islam politique, le Parti des musulmans de France, avait avorté rapidement en raison de l'antisémitisme embarrassant de son leader, qui l'avait même conduit à nouer des liens avec l'extrême-droite. (51)



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Tirant les leçons de cet échec, la Fraternité musulmane avait veillé à conserver

un positionnement modéré, ne soutenait la cause palestinienne qu'avec modération, et maintenait des relations cordiales avec les autorités religieuses juives. Sur le modèle des partis musulmans à l'oeuvre dans les pays arabes, modèle d'ailleurs antérieurement utilisé en France par le Parti communiste, l'action politique proprement dite était relayée par un réseau. (52)

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Les sympathisants de gauche, malgré des appels répétés, sur 'un ton de plus en plus comminatoire, par leurs quotidiens et hebdomadaires de référence, demeuraient réticents à reporter leurs suffrages sur un candidat musulman; les sympathisants de droite, de plus en plus nombreux, semblaient, malgré les proclamations très fermes de leurs dirigeants, prêts à franchir la barrière, et à voter au second tour pour la candidate « nationale » (53)

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Pendant plusieurs années, et sans doute même plusieurs dizaines d'années, Le Monde, ainsi plus généralement que tous les journaux de centre-gauche, c'est-à-dire en réalité tous les journaux, avaient régulièrement dénoncé les « Cassandres » qui prévoyaient une guerre civile entre les immigrés musulmans et les populations autochtones d'Europe occidentale. (55)

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En cas de conflit ethnique je serais, mécaniquement, rangé dans le camp des Blancs, et pour la première fois, en sortant faire mes courses, je rendis grâce aux Chinois d'avoir su depuis les origines du quartier éviter toute installation de Noirs ou d'Arabes - et d'ailleurs plus généralement toute installation de non-Chinois, à l'exception de quelques Vietnamiens. (73)

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L'hypothèse était tellement renversante qu'on sentait que les commentateurs qui se succédaient à toute allure sur le plateau- et jusqu'à David Pujadas, pourtant

peu suspect de complaisance envers l'islam, et réputé proche de Manuel Valls- en avaient secrètement envie. (76)



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- Eh bien, pour la Fraternité musulmane, chaque enfant français doit avoir la possibilité de bénéficier, du début à la fin de sa scolarité, d'un enseignement islamique. Et l'enseignement islamique est, à tous points de vue, très différent de l'enseignement laïc. (82)



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- Très ancien. Et son nom de Martel ne lui a pas été donné par hasard... Tout le monde sait que Charles Martel a battu les Arabes à Poitiers en 732, donnant un coup d'arrêt à l'expansion musulmane vers le Nord. C'est en effet une bataille décisive, qui marque le vrai début de la chrétienté médiévale ; mais les choses n'ont pas été aussi nettes, les envahisseurs ne se sont pas repliés immédiatement, et Charles Martel a continué de guerroyer contre eux pendant quelques années en Aquitaine. En 743 il a remporté une nouvelle victoire près d'ici, et a décidé en remerciement d'édifier une église ; elle portait son blason, trois marteaux entrecroisés. (148)

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Il nous a fallu des années pour nous convaincre que si Ben Abbes avait bel et bien un projet, et même un projet extrêmement ambitieux, celui-ci n'avait rien à voir avec le fondamentalisme islamique. L’idée s'est répandue dans les cercles de l'ultra-droite que lorsque les musulmans arriveraient au pouvoir les chrétiens seraient nécessairement réduits à un statut de dhimmis, de citoyens de seconde zone. La dhimmitude fait en effet partie des principes généraux de l'islam ; mais, dans la pratique, le statut de dhimmi est extrêmement flexible. L’Islam a une extension géographique énorme; la manière dont il se pratique en Arabie saoudite n'a rien à voir avec ce qu'on rencontre en Indonésie, ou au Maroc. (155-156)

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Il ne fait en un sens que reprendre l'ambition de De Gaulle, celle d'une grande politique arabe de la France, et je vous assure qu'il ne manque pas d'alliés, y compris d'ailleurs dans les monarchies du Golfe, dont l'alignement sur les positions américaines les oblige à avaler pas mal de couleuvres, les place en permanence en porte-à-faux avec les opinions arabes, et qui commencent à se dire. qu'un allié comme l'Europe, moins organiquement ~lié à Israël, pourrait constituer un bien meilleur choix ... » (158_159)



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Ce serait un débat d'un type nouveau, très différent de ceux qu'avait connus la France au cours des dernières décennies, ressemblant davantage à celui qui existait dans la plupart des pays arabes ; mais ce serait, quand même, une espèce de débat. (201)

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Je trouvai une place isolée, sans vis-à-vis, et dans le sens de la marche. De l'autre côté du couloir, un homme d'affaires arabe d'une cinquantaine d'années, vêtu d'une longue djellaba blanche et d'un keffieh également blanc, qui devait venir de Bordeaux, avait étalé plusieurs dossiers à côté de son ordinateur sur les tablettes à sa disposition. (225)

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Avec de grands éclats de rire, les deux jeunes filles arabes s'étaient plongées dans le jeu des sept erreurs de Picsou Magazine. Levant les yeux de son tableur, l'homme d'affaires leur adressa un sourire de reproche douloureux. Elles lui sourirent en retour, continuèrent sur le mode du chuchotement excité. Il s'empara à nouveau de son portable et s'engagea dans une nouvelle conversation, tout aussi longue et confidentielle que la première. En régime islamique, les femmes - enfin, celles qui étaient suffisamment jolies pour éveiller le désir d'un époux riche- avaient au fond la possibilité de rester des enfants pratiquement toute leur vie. (226)

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La réception débutait à dix-huit heures, et elle avait lieu au dernier étage de l'Institut du monde arabe, privatisé pour l'occasion. J'étais un peu inquiet en remettant mon carton à l'entrée : qui allais-je bien pouvoir rencontrer ? Des Saoudiens sans nul doute, le carton garantissait la présence d'un prince saoudien

dont j'avais parfaitement reconnu le nom, c'était le principal bailleur de fonds de la nouvelle université Paris-Sorbonne. (234)



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Immédiatement après j'aperçus Lacoue, au milieu d'un groupe plus dense qui s'était réfugié dans un coin de la salle, composé à part lui d'une dizaine d'Arabes et de deux autres Français. (235)

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Je dus avoir un mouvement de surprise visible, parce qu'il s'interrompit et me considéra avec un demi-sourire. Au même instant, on frappa à la porte. Il répondit en arabe, et Malika refit son apparition, portant un nouveau plateau avec une cafetière, deux tasses et une assiette de baklavas aux pistaches et de briouats (254)

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Je ne conseille en général pas aux gens qui souhaitent approcher l'islam de commencer par la lecture du Coran, à moins bien entendu qu'ils ne souhaitent faire l'effort d'apprendre l'arabe, et de se plonger dans le texte originel. (261)

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Dans un café proche de l'Institut du monde arabe, je relus ma quarantaine de feuillets. Il y avait des détails de ponctuation à revoir, quelques références

à préciser, mais, quand même, il n'y avait aucun doute: c'était ce que j'avais fait de mieux ; et c'était, aussi, le meilleur texte jamais écrit sur Huysmans. (282)

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Je connaissais maintenant le menu par coeur, et je commandai avec autorité mon assiette. L'assistance était composée de l'habituel mélange d'universitaires français et de dignitaires arabes ; mais il y avait cette fois beaucoup de Français, j'avais l'impression que tous les enseignants étaient venus. (287)



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Vous allez me dire que je suis obsédé par Ben Abbes, mais Richelieu lui aussi

m'y ramène : parce que Ben Abbes s'apprête, comme Richelieu, à rendre d'immenses services à la langue française.



Etc. etc.
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L'article qui suit de Christine Angot (que j'ajoute ce matin de vendredi 16, oui 16 janvier) est d'une grande pertinence. ou la réponse par la littérature:

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C’est pas le moment de chroniquer Houellebecq par Christine Angot.


Quand on m’a proposé, fin décembre, d’écrire sur Houellebecq, je n’ai pas voulu. Je n’avais pas envie de m’intéresser à lui, il ne s’intéresse pas au réel, qui est caché, invisible, enfoui, mais à la réalité visible, qu’il interprète, en fonction de sa mélancolie et en faisant appel à nos pulsions morbides, et ça je n’aime pas. Au lendemain des attentats, je me suis dit, tant pis, je vais dire ce que je pense. Je sais que ce n’est pas le moment de chroniquer Houellebecq. Mais je sais aussi que tout le monde y pense. Tout le monde a remarqué le carambolage des dates. Et quelque chose d’autre, de bizarre. Pas la question de l’islamophobie ou -philie. Je peux même comprendre qu’il ait envie de suivre les opinions mortifères générales, qui se situent à la crête des vagues, et qui permettent d’ignorer les fonds. Il observe les opinions, les synthétise, les interprète, et offre sa vision aux lecteurs qui la confrontent à la leur. Les articles ont commencé à pleuvoir. Positifs ou négatifs, ils avaient un point commun, les négatifs parlaient de ratage mais s’accordaient sur : c’est un grand écrivain. Un grand écrivain ne se contente pas du symptôme. Il part de la réalité visible, mais elle ne le satisfait pas. Après avoir creusé il tombe sur du vide, derrière une opinion il y a une autre opinion, un fantasme de plus, qu’on peut romancer, à partir des subdivisions sociales et mentales, forgées par les réseaux, les chiffres, avec comme seule conclusion possible vanité des vanités tout est vanité, ou je m’en lave les mains. Le grand écrivain se dit : ” Il doit y avoir quelque chose derrière il faut encore creuser, ou attendre, il doit y avoir un réel caché. ” Houellebecq, lui, à partir du moment où il arrive à définir des types sociaux qu’il réduit à leur physique et à leur discours ça lui suffit, il les promène dans son dispositif comme des Playmobil, et c’est tout, le ” bon vieil épicier tunisien de quartier “. Bon. Vieil. Epicier. Tunisien. De quartier. Vous croyez qu’il y a une seule personne qui corresponde à ce portrait ?

Dans ses livres, on est tous réduits à ça, à des choses. Ou à des animaux. A de la statistique sociologique. Mais on n’est pas obligé de s’y soumettre. On peut ne pas croire à cette religion-là. Un grand écrivain, après s’être aperçu que l’observation ne l’amenait que là, se dit qu’il va tout abandonner parce que c’est trop compliqué. Ensuite, il se relève. Il se demande ce qu’il y a derrière. Ce qu’il y a derrière la réalité visible c’est le réel. Et le réel c’est nous. Mais c’est le nous qu’on ne voit pas. Qui ne se trouve ni dans le miroir, ni sur l’écran, ni sur les réseaux sociaux, et pourtant c’est nous.

La réalité visible peut alimenter des fresques sociales ou des autofictions, la division n’est pas là, ce n’est pas un territoire qu’on se partage, c’est en profondeur que ça se passe. L’image n’est pas celle d’une surface, d’une carte et d’un territoire, ni de la surface plane d’un miroir où on se voit, mais d’un puits à sec sous la surface, dans lequel on s’obstine quand même à envoyer des seaux pour essayer de remonter quelque chose. Le sentiment que l’être a de son humanité. Voilà. Ce sentiment n’est pas dans le seau. Mais dans le fait de ne rien trouver et de ne pas s’y résoudre. De chercher encore. Et de finir par trouver un mini-indice qui n’était pas visible. Ça, Houellebecq ne le fait jamais. Non seulement il ne le fait jamais, mais il le détruit, il le raille. Il raille Mai 68, l’humanisme, l’antiracisme, la psychanalyse, les universitaires, ceux qui essayent de trouver quelque chose derrière la réalité, ceux qui se disent que l’humain ça doit exister, et pas besoin d’avoir recours à Dieu pour ça.

Si ” la religion la plus con c’est quand même l’islam “, comme il le disait en  2001, pourquoi la mettre au pouvoir ? Si DSK est un cochon, pourquoi en être amoureuse ? Pour montrer qu’on a bien réfléchi. Houellebecq ne fait pas de différences fondamentales entre chien et humain, animalité et humanité, regard morne de l’animal et regard de souffrance de l’humain. L’humain n’a rien de spécial. Les droits de l’homme pourraient être les droits du chien. Tout cela, selon un raisonnement qui se présente comme imparable, calme, et surtout : intelligent. Mais d’une intelligence qui se trouverait au-dessus de l’intelligence. Trissotin avait ce type d’intelligence. Bouvart et Pécuchet ne s’énervaient jamais. Ils avaient une capacité à discuter calmement. Et les médecins de Molière parlaient doctement. Le dialogue par article et livre interposés entre Carrère et Houellebecq est un modèle du genre. ” Houiii très cher, on est un peu troublé, certes, au début, de ne plus voir de femmes en jupe, ni bientôt dans l’espace public, mais la France, houii houii, retrouve un optimisme qu’elle n’avait plus connu depuis les “trente glorieuses”. Houi houi c’est moi qui vous le dis, moi qui ai fait un livre sur la montée du christianisme religion orientale au départ, houi houi, appbsolument, appbsolument, houii. ” Qu’il défende Houellebecq est normal, il fait à peu près la même chose en moins réussi, pour lui c’est une sorte de maître. Ils ne se soumettent pas à la littérature mais à la pente.

La veille des attentats, Pujadas sur France 2 : ” Mais quand même, Michel Houellebecq, vous, que pensez-vous de votre narrateur, vous êtes d’accord avec lui ? “ Réponse sur un ton aussi docte que désabusé : je ne sais pas, on ne sait pas, quand on écrit, on ne sait pas. On ne juge pas.

Comment ça on ne juge pas ? Comment ça on suspend le jugement ? Comment ça le roman c’est la suspension du jugement moral ? On le suspend à l’égard du roman, mais on est capable d’en juger les personnages. Quand on a fini le livre, quand on est sorti de la fiction et qu’on est revenu sur terre. Bien sûr que, comme un dessin satirique, un roman même plus ou moins cynique ne se juge pas sur le plan moral, et que s’il avait ce livre à faire il a eu raison de le faire. Mais l’auteur sait, aussi bien que le dessinateur, ce qu’il pense de ses personnages. Houellebecq : ” Je ne sais pas, on ne sait plus, quand on fait un roman on ne sait pas. “ Bien sûr que si on sait. C’est même tout l’intérêt. Comprendre. Faire comprendre. Sentir, faire sentir. Et pouvoir juger quand même.

Quand j’ai écrit Une semaine de vacances – Flammarion, 2012 – , je comprenais ce qui excitait le personnage masculin regardant sa fille candide de 13 ans nue devant lui, qu’il ait envie de l’humilier, je comprenais son plaisir, je l’écrivais, je le ressentais puisque je voulais le faire ressentir, ce plaisir d’humilier cette conne qui croit à la vie et à l’avenir, mais je trouvais ce personnage dégueulasse. Je savais quoi penser de lui, et de la société patriarcale qui rendait possible le viol par son père de cette jeune fille. Si chaque fois qu’on comprend quelque chose, on suspend le jugement, ça va devenir intenable. Comprendre, et, juger, il faut les deux en même temps.

La littérature travaille, sans passer par l’opinion, le rapport entre le réel et la pensée, la perception que chacun peut ressentir intimement du fait d’être un humain. Le but, à travers la littérature, n’est pas de nier l’humain ni de l’humilier. Le roman c’est la suspension du mépris. La société a des pulsions mortifères qui l’ont conduite à porter aux nues Marine Le Pen, Zemmour et Houellebecq, dans une suite logique, MLP, l’action, Z, le raisonnement, H, la rêverie, ça ne nous oblige pas à faire le même choix. On peut reconnaître que le discours est bien prononcé, MLP, bien envoyé, Z, bien écrit, H, mais s’apercevoir qu’il est blessant et le refuser. C’est dur de soulever la chappe. Il faut d’abord admettre qu’on est blessé. Déjà, ça, on n’aime pas. Quand je lis un livre de Houellebecq, je ne me sens ni mal à l’aise, ni influencée, ni choquée, ni sur un terrain glissant, je ne glisse pas, je suis blessée. Quelque chose me blesse, me fait mal. Ça ne me heurte pas, ça me blesse. Ça m’humilie. Quand je lis que le narrateur s’interroge sur une relation possible avec une collègue universitaire de son âge et se dit : ” Que pourrait-il s’en suivre ? Panne érectile d’un côté, sécheresse vaginale de l’autre ; il valait mieux éviter ça “, ça me blesse. Je lis ça et je me considère comme une femme ménopausée, c’est tout. Ou comme le bon vieil épicier tunisien de quartier. Je pourrais me dire ” H  fait l’impasse sur l’essentiel “, mais non, je me sens ravalée à rien. A un tissu creux, desséché, sommé d’être fasciné par sa mort prochaine. Quand j’ai lu Les Cent Vingt Journéesde Sodome, c’était dur, violent, difficile, mais je n’ai jamais senti que Sade cherchait à m’humilier. La description du système était sans complaisance, la lectrice que j’étais ne se sentait pas trahie par Sade, il ne me parlait pas comme à une chose, ou à un numéro. Avec H j’ai l’impression d’être un bout de chair affaissée, une merde. J’ai l’impression que je ne suis pas quelqu’un.

Soumission est un roman, un simple roman, mais c’est un roman qui salit celui qui le lit. Ce n’est pas un tract mais un graffiti : Merde à celui qui le lira.

Le narrateur remarque que chaque fois qu’il entreprend une relation avec une femme, celle-ci finit toujours par lui dire que ça s’arrête parce qu’elle a ” rencontré quelqu’un “, et il s’interroge : ” Et moi, je n’étais pas quelqu’un ? ” H  veut nous mettre à nous aussi cette idée dans la tête. Que peut-être on n’est pas quelqu’un. Puisque l’humanisme le fait vomir.

H  se trompe. Non, il n’y a pas de retour du religieux, c’est la fin au contraire, et c’est bien pourquoi ils veulent nous tuer. Non, les femmes ne rentreront pas à la maison, et c’est bien pourquoi il parle de notre ” sécheresse vaginale “ passé un certain âge et de l’affaissement de nos chairs. Non l’être humain n’est pas un produit, et c’est bien pourquoi il tient à le calibrer.

Céline n’aurait pas été Céline s’il n’avait fait que ses pamphlets, avec ses points de suspension. Dans ses grands romans il n’y a pas la moindre petitesse. Ses personnages sont tous quelqu’un.

Les attentats des 7, 8, 9  janvier sont une autre façon de dénier l’humanité à des gens. En subordonnant la notion d’humanité au respect du droit des prophètes sur leur image. En contrant l’idée qu’on se faisait de la communauté humaine. Groupe constitué d’êtres humains dont chacun est unique. En nous prenant en otages pour nous assigner à des communautés réduites. On n’arrive plus à être unique depuis que ça s’est passé. On n’arrive plus à dire qui on est. Des chiens, des humains, des Tunisiens, des policiers, des juifs, des femmes, des Arabes, on dresse des listes.

D’après le narrateur de Soumission, la littérature, art majeur de l’Occident, est en train de mourir. Il n’explique pas pourquoi. Houellebecq non plus. Ils le décrètent. Sous couvert de neutralité normcore, il dit dans son roman que si on fait barrage au Front national les Arabes vont diriger la France. Il serait allé au bout d’une peur et c’est ça qui serait génial. Une peur c’est creux, comme un fantasme, le travail de la littérature c’est de les détricoter. La littérature ne mourra pas, parce qu’elle est le lieu où la notion d’humanité, cette chose invisible, devient sensible, en même temps que l’insoumission qui en découle. C’est ça qu’on vient chercher dans un livre, le sentiment, réciproque, que quelqu’un qui n’a rien à voir avec soi est son frère humain.

Christine Angot

www.lemonde.fr/livres/article/2015/01/14


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Killofer


 
En reprenant la vieille thèse réactionnaire de la solitude d’un individu sans idéal, le dernier ouvrage de Houellebecq est éminemment politique.



Houellebecq est un écrivain, un vrai. Le récit est fort, tissé d’une ironie perverse qui rend indécidable l’intention de l’auteur, dont on ne sait s’il approuve ou s’il redoute ce qu’il décrit, avec ce style faussement plat qui transpose en littérature la langue triviale d’aujourd’hui.

Alors d’où vient le sentiment de malaise qu’on éprouve en refermant le livre ? D’une remarque fort simple : la parution de Soumission n’est pas seulement un événement littéraire qu’on devrait juger selon les seuls critères esthétiques. Volens nolens, le roman a une résonance politique évidente. Une fois retombé le brouillage médiatique, il restera comme une date dans l’histoire des idées, qui marquera l’irruption - ou le retour- des thèses de l’extrême droite dans la haute littérature. Quelles que soient les contorsions intellectuelles qu’on utilisera pour la défendre, la fable de Houellebecq jouera un rôle dans la cité : elle adoube les idées du Front national, ou bien celles d’Eric Zemmour, au cœur de l’élite intellectuelle. Signée d’une idole de la critique, elle leur donne la reconnaissance qui leur manquait dans le quadrilatère royal de l’édition française. En un mot, elle permet de chauffer la place de Marine Le Pen au café de Flore.

Modération. Reprenons l’argument de Soumission : à la fin du deuxième mandat de François Hollande, les partis de gouvernement font barrage au Front national en s’alliant avec la «Fraternité musulmane», parti islamiste qu’on devine proche des Frères musulmans. Marine Le Pen a beau en appeler aux valeurs laïques et républicaines (!) Mohamed Ben Abbes, une sorte de Morsi à la française, devient président de la République. Le parti islamiste montre patte blanche, laisse les ministères régaliens à ses alliés et se contente de réclamer celui de l’Education. Il respecte les libertés publiques et tient un discours de modération. Il se soucie surtout du relèvement de l’économie et du rayonnement de la France, qui négocie l’élargissement de l’Europe aux pays musulmans. En retour, la Fraternité prend le contrôle du savoir en islamisant l’université ; elle met fin à l’égalité homme-femme en favorisant le retour de la femme au foyer, la polygamie et le port généralisé du voile islamique.

Le héros de cette histoire édifiante est un universitaire spécialiste de Huysmans, mélancolique à souhait, aux amours tristes ou tarifées. Ecarté de l’université, il se convertit à l’islam, pour retrouver son poste mais aussi parce qu’il trouve commode de se marier avec deux ou trois femmes jeunes et obéissantes.

Elucubrations. C’est une fable politique, bien entendu, un conte moderne qui joue des peurs françaises avec subtilité. Mais c’est aussi la description précise, réaliste, minutieuse d’un avenir hypothétique et inquiétant où l’islam, religion simple et attirante, conquiert sans violence la prédominance dans le vieux pays républicain comme dans l’Union européenne. Ainsi les thèses les plus abracadabrantes de la Britannique Bat Ye’or (citée dans le livre), vedette d’Internet et de l’extrême droite, qui prédit la transformation de l’Europe en une «Eurabia» livrée aux musulmans par un accord entre démocrates naïfs et dirigeants islamiques, ou bien les prophéties d’un Renaud Camus, qui dénonce le «grand remplacement» des chrétiens du Vieux Continent par une population musulmane jeune et conquérante, ou encore les élucubrations machistes d’Eric Zemmour, qui a diagnostiqué bien avant Houellebecq les méfaits supposés du féminisme sur l’homme occidental, reçoivent une consécration dans le noble monde des lettres.

Ainsi, les musulmans de France, pour la plupart démunis et sans influence, qui cherchent surtout à trouver une place au soleil, discriminés plus qu’à leur tour, sont désignés par un écrivain reconnu comme des ennemis de la République. Merci pour eux…

Les sectateurs de Houellebecq crieront au sacrilège. «Vous n’avez rien compris, c’est de la littérature», diront-ils d’un air hautain ou apitoyé. Comme si cet argument fermait la discussion, comme si la littérature était une activité éthérée, sans rapport avec la réalité sociale, un pur formalisme dont discuteraient une poignée de spécialistes autour d’une tasse de thé vert, confortablement installés dans leur tour d’ivoire. Alors que les bons romans sont toujours dans la vie, qu’ils parlent aux hommes et aux femmes de leur existence lamentable ou admirable, qu’ils sont presque toujours, à dessein ou par la force même de leur évocation, des prises de position. Zola, Hugo, Tolstoï, Dostoïevski, Barrès, Malraux, Camus, Soljenitsyne, de purs littérateurs, des stylistes désincarnés, dont on ne saurait discuter les idées ? Allons ! C’est pur sophisme, dont usent les critiques inconséquents pour justifier qu’ils portent au pinacle un écrivain situé désormais à l’opposé des valeurs défendues depuis toujours par leurs journaux.

Il est permis de reconnaître à un auteur la qualité d’écrivain et de combattre ses idées, comme on le fait pour Céline, Morand ou Chardonne. Les critiques de droite ne s’y trompent pas, d’ailleurs. Nul recours au second degré dans leurs interprétations du livre. Alain Finkielkraut juge que Houellebecq décrit «un avenir qui n’est pas certain mais qui est plausible». Les journalistes, ajoute-t-il, dénoncent «nos peurs irrationnelles et le fantasme de l’immigration de peuplement. Dans ces conditions, c’est à la littérature, ou du moins aux écrivains courageux, que le réel revient en héritage». Autrement dit, Libération et quelques autres ont grand tort quand ils réfutent les thèses de l’extrême droite sur l’immigration. C’est Houellebecq qui dit la vérité.

Même son de cloche dans le Point. Jérôme Béglé voit dans Soumission un réquisitoire contre «l’aveuglement, le silence, la passivité et finalement la complicité des médias et des intellectuels de centre gauche dans l’accession au pouvoir de la Fraternité musulmane». Ses défenseurs de gauche liront avec peine que Houellebecq a lui-même mangé le morceau, interrogé en 2011 par la chaîne de télé israélienne Guysen TV : «Il y a quand même un surcroît revendicatif de la part des musulmans depuis quelques années, on ne peut pas le nier […]. Ils réclament le port du voile intégral […]. La mentalité de collaboration avec une puissance dangereuse, en l’occurrence le fondamentalisme islamique, la tendance à la collaboration, elle est dominante en France, c’est quelque chose qui se retrouve dans beaucoup de milieux.» N’est-ce pas le pitch de Soumission ?

Désabusé. Houellebecq décrit une démocratie désincarnée, décadente, où tout progressiste est ridicule, où la gauche est complice des pires dérives fondamentalistes, où l’émancipation de la femme n’a d’autre effet que de rendre la vie des mâles plus difficile, où l’individu sans repères et sans racines se retrouve abandonné à des plaisirs médiocres pour trouver finalement refuge dans l’islam, comme Huysmans, désabusé, à l’image de son héros, Des Esseintes, trouve la paix dans le catholicisme. Vieille thèse réactionnaire dont on connaît la réponse. En dissolvant la singularité des cultures, en renversant les principes traditionnels, la philosophie des droits de l’homme mène à l’ère du vide, à la solitude d’un individu sans idéal et sans héritage, à la mélancolie d’une humanité abandonnée à elle-même. Voyez Burke il y a plus de deux siècles, voyez de Maistre, Barrès, Maurras ou, aujourd’hui, Muray et Finkielkraut. Décevante, la démocratie ? Oui. Comme la liberté. Elle débouche souvent sur l’incertitude et l’angoisse. Mais on meurt pour elle.


Laurent JOFFRIN
In: Libération 02 Janvier 2015 





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Lire aussi:

 http://blogs.mediapart.fr/blog/sylvain-bourmeau/020115/un-suicide-litteraire-francais


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2 commentaires:

  1. Bonjour,
    J'ai beaucoup aimé le texte de C. Angot qui est passionnant. Par contre je ne vois pas trop à quoi servent ici les phrases de Houebellecq sachant qu'elles sont sorties de leur contexte ? Et je ne vois pas où ces phrases posent problème (on dirait que vous avez repris toutes les phrases où il y a le mot "arabe", jusqu''à même "l'institut du monde arabe". Je ne vois pas non plus le rapport avec les textes de Céline qui sont ouvertement antisémite.
    J'aurais préféré une critique plus construite. Là c'est difficile de comprendre votre colère. Pour infos j'ai lu aussi un texte très intéressant dans Libé de Philippe Lançon. Marie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Marie,
      Merci pour votre commentaire. Les extraits du roman de Houellebecq que j’ai proposés ne sont que ce qu’ils sont, à savoir des extraits ainsi que je l’ai indiqué.
      Quant au rapport à Céline, il existe bel et bien. Personnellement je considère que ce que dit Houellebecq et ce qu’il écrit par rapport aux musulmans et à l’Islam relève parfois (souvent ?) du racisme (d’où Céline) et précisément de l’islamophobie. Il vogue aux côtés des nauséabonds Renaud Camus, Richard Millet, Eric Zemmour, avec beaucoup plus subtilités. (« Je ne suis pas un intellectuel. Je ne prends pas parti, je ne défends aucun régime. Je dénie toute responsabilité, je revendique l'irresponsabilité… » in ‘Le Point’ et autres.)
      J’ai ajouté ce jour même (vendredi 23 janvier) un texte pertinent de Laurent Joffrin ainsi qu’une illustration dont les sous-entendus (saucisson et pinard…) disent tout. Ainsi qu'un lien vers Médiapart (blog de Sylvain Bourneau).
      Merci encore.
      A. H.

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