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lundi, mars 27, 2006

20- Le Salon du livre de Paris honore la francophonie.

Trois articles ci-devant:
Le 1° me revient, il concerne la francophonie,
Le 2° est écrit par Sansal, « Homme simple cherche événement heureux" (Boualem Sansal)
Le 3° est un article de Pierre Lepape à propos du "Serment des barbares"

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LA MARSEILLAISE (France)

Edition du Dimanche 25 mars 2006 dernière page (p 48)

Le Salon du livre de Paris honore la francophonie
La 26° édition du Salon du livre de Paris - 17 au 22 mars 2006 - a innové. Habituellement chaque année c’est un pays qui est à l'honneur. Cette année c'est la langue française, "langue de partage", qu'elle soit maternelle ou seconde qui est célébrée.

Le Salon du livre a inauguré à cette occasion "les francofffonies ! le festival francophone en France", un événement qui s'étendra jusqu'au mois d'octobre 2006, date de naissance de Léopold Sédar Senghor un des maîtres de la littérature francophone dont on fêtera alors le centenaire de naissance.

Plus de 50 pays dans le monde sont membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) dont 30 en Afrique ; une dizaine d'autres, essentiellement des pays de l'ancienne Europe communiste sont observateurs.

Avec 16 millions de personnes qui parlent le français, l'Algérie est le pays qui compte la plus importante population francophone au monde (après la France). Le pays n'est cependant ni membre ni observateur de l'OIF.

Durant ce salon, une quarantaine d'écrivains francophones ont participé à la fête du livre en animant des débats littéraires, des conférences ou en dédicaçant leurs ouvrages. La moitié de ces auteurs sont venus de pays d'Afrique, d'autres d'Europe du Moyen Orient du Québec, des Caraïbes… Outre les auteurs francophones, des écrivains français dont la langue première n'est pas le français comme le Martiniquais Raphaël Confiant ou le Réunionnais Jean-Jacques Martial ont de même participé aux différents débats et rencontres. De nombreux thèmes furent développés comme la francophonie au féminin, Senghor aujourd'hui, la notion du bien et du mal dans la littérature…

La plupart des auteurs entendus, s’accordent à dire – avec des nuances – que la discrimination entre les littératures d’expression française n’est qu’artificielle, géographique. La question de la relation qu'un auteur entretient avec la langue française a entraîné des débats très intéressants, parfois vifs et passionnés.

Un lien, mais pas total

Pour Raphaël Confiant "Il faut distinguer la francophonie institutionnelle, ses grands colloques ses grandes messes et la pratique d’une langue que j’aime beaucoup mais qui n’est pas ma langue première. La langue est un lien mais ce lien n'est pas total. Le souci premier qui est le mien et qui ne m'abandonnera jamais c'est qu'il ne faut pas que la langue française, cette belle maîtresse que j'aime, efface ce que je suis. Je suis un descendant d'esclave, je ne peux l'oublier. Je serai libre lorsque j'aurai inventorié l'Histoire et la littérature de mon peuple". Pour Dany Laferrière, " un auteur quel qu'il soit est libre dans le choix de ses thèmes, de son style. Tout écrivain porte en lui un petit carré à l'intérieur duquel il joue, il jouit. La question de la littérature se pose quelle que soit la situation de l'écrivain ".

Ecrivains d’abord

Dans l’entretien qu'ils nous ont accordé les jeunes auteurs Noëlle Revaz (Suisse) et Guillaume Vigneault (Québec) ne comprennent pas : "Ma première surprise c'est qu'on parle beaucoup ici de littérature française et francophone et pour moi c'est comme de dire ‘‘il y a les oranges et puis il y a les fruits’’. Je ne comprends pas cette distinction. Je crois qu'on est des écrivains de langue française. Etre écrivain c'est par définition s'extirper dans une bonne mesure des déterminants géographiques, historiques, politiques qui nous entourent, donc avant d'être des écrivains Québécois, Marocains ou Suisses, on est d'abord des écrivains. Cette distinction entre un centre et une périphérie paraît quelque peu factice d'autant plus que si on regarde le nombre de locuteurs francophones il n'y a pas une majorité absolue en France, loin de là".(G.Vigneault)
"Le choix de la langue française ne m'a pas été donné, je suis née avec. Je fais ce que je peux avec la langue qui est la mienne. Parfois j'utilise le patois pour mieux exprimer une idée… Chaque langue a sa propre beauté. Les langues peuvent se retrouver sur l'esthétique. Je ne comprends pas ces distinctions de nationalité, elles me semblent vaines. Je crois très fort en l'individualité de chaque écrivain, on a chacun un univers et un monde…" (Noëlle Revaz ).
Ahmed Hanifi
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Souvenir : Un écrivain revient sur un événement ou un phénomène historique qui l’a marqué. Boualem Sansal et le Mondial 1998.

« Homme simple cherche événement heureux" (Boualem Sansal)

Algérien francophone, Boualem Sansal, né en 1949, vit à Boumerdès près d'Alger. Ingénieur de formation, docteur en économie, tour à tour enseignant à l'université, chef d'entreprise, puis haut fonctionnaire, Boualem Sansal entre en littérature grâce à son amitié avec l'écrivain Rachid Mimouni, qui l'incite à écrire. En 1999, Gallimard publie son premier roman, Le Serment des barbares , salué par la critique. En 2003, il est limogé de son poste en raison de ses prises de position critiques sur l'arabisation de l'enseignement et l'islamisation de l'Algérie. Il est l'auteur de L'Enfant fou de l'arbre creux et Dis-moi le paradis(tous deux en 2000 chez Gallimard).
On aimerait ne voir que des événements heureux et de bonnes gens aller leur chemin sans s'effrayer du lendemain. Las ! Le mal est partout, on se torture et les événements heureux ne disent plus que les orages à venir. La guérison d'un malade, la libération d'un otage, la mort d'un dictateur, le ban d'une union, laissent voir le pire, la rechute, de nouvelles souffrances, des divorces déchirants, des rapts plus ignobles, des tyrans autrement sanguinaires, des guerres civiles à n'en plus finir.
Souhaiter l'un revient à accepter la fatalité de l'autre, l'idée est insupportable.
L'actualité le dit : la vie ne connaît que le malheur, ce tsunami cosmique qui vient de loin, qui va loin et qui, à mesure que la vitesse croît, nous rapproche de tragédies colossales. Combien en avons-nous enregistré depuis seulement l'invention du cinéma ? Il est passé sur les dinosaures, les êtres les plus accomplis et les plus heureux que la Terre ait portés, car n'ayant pas connu l'homme, et un jour, dans un mois, un millénaire, un astéroïde géant viendra percuter notre radeau, la Terre, et le réduire en plasma brûlant. Un flash apocalyptique brillera dans l'Univers et tout partira à l'égout, dans un trou noir de l'espace, sous forme de poussière et de petits objets, peut-être nos dents ou les billes de nos stylos.
N'empêche, je cherche un événement heureux, je me sens plein d'optimisme. Quelque chose qui soit vu comme tel par mes amis, mes voisins, rien n'est plus doux qu'un bonheur partagé, fût-il illusoire. "Voyez au drugstore du coin, on trouve de tout, pourquoi pas des événements heureux !" On vend de l'actualité dans les drugstores ? "Le studio, monsieur, ça s'appelle un studio de télé ! " Le préposé avait des paupières lourdes, il dardait sur moi un regard perçant, chargé de sous-entendus et de réticences, comme s'il était le dépositaire de tous les mystères de l'Univers et que je venais lui dérober son secret. "Que cherchez-vous exactement, monsieur ? " Je veux revivre des événements heureux, mais en direct, dans une vraie implication ! "Les tristes ne sont pas mal aussi ?" J'en vis dix par jour, et du mortel, je veux du positif ! "Et quoi donc ? " Je... je ne sais pas... je pense, par exemple, au Mondial 98, à ce fabuleux Onze de France qui, avec sa verve et son tricot métissé sur fond bleu, a fait vibrer l'Hexagone comme un séisme de 9 et tout l'ex-empire, du levant au couchant en passant par le Midi. Etrange réminiscence. Ou peut-être appropriation symbolique par joueurs interposés.
Comme vous dites, je viens d'Alger, le nouveau centre du monde. Mein Got, c'est arrivé quand ? Son raïs l'a décidé tantôt pour marquer son passage sur terre. C'est là que j'habite et, pour mon malheur, j'ai encore ma vieille antenne-rateau fichée au garde-à-vous face à l'émetteur d'Alger. Je ne vous dis pas, j'ai la tête pleine de tristesse, de sang, de larmes, de cris, de barbes miteuses, de blabla de barbons calamiteux, de propos de foutriquets, de non-événements, de dates fétiches sans objet, je souffre de voir au quotidien tant de malheurs et de morgue, vous comprenez que j'ai besoin de revisiter des événements heureux pour me remonter le moral. Je ne supporte plus ce gris de rat crevé, je veux des couleurs, de la musique et des communions osées. Du foot je ne savais rien, quand j'en voyais à l'écran je zappais des deux mains et là, durant ce Mondial, miracle, un mois durant, branché que j'étais sur Hot Bird, j'ai séché le travail, j'ai veillé comme un drogué et, moi, si réservé, guindé même, couche-tôt et tout, j'ai hurlé, chanté et dansé avec tous les mordus et les éclopés du quartier et j'ai connu le bonheur invraisemblable de courir nu dans le vent en pleine nuit.
Je le dis franchement, j'étais heureux à en être marteau. Je veux revivre la passion. Nous avons ça, cent balles le DVD. Vous m'en mettrez dix, mes amis m'en voudront de les avoir oubliés, leur vie est un calvaire inextricable.
Je pense aussi à la chute de Saddam et au formidable bonheur des enfants de Bagdad que cet ogre moyenâgeux tenait enchaînés dans ses souterrains humides. J'aurais tant aimé être avec eux en cet instant magique, leur souffler deux trois trucs à l'oreille et les prévenir de ceci : les guerres que l'on ne fait pas soi-même ne libèrent d'aucune manière. Nous l'avons, cent balles ! Vous m'en mettrez un, il faut bien l'emballer, Saddam était l'idole des copains.
Quoi d'autre, monsieur ? Oh, c'est bien assez pour me laver le cerveau et renouer avec l'optimisme ! Trop de bonheur me ferait baisser la garde, je serais assassiné avant peu.
Bien calfeutré, j'essaie de revivre le tout avec le plus de bonheur possible, mais ma joie se gâche vite, je me pose des questions : Que fait Zizou, où est Petit et ce Karembeu à quoi s'occupe-t-il, pourquoi le Barthez qui se gardait si bien est-il tombé si bas dans la violence de quartier mâtinée de racisme scolaire ? Dans quel village, de quel canton, le Onze de France joue-t-il en 2005 ? Et d'ailleurs, où va la France ainsi couverte d'une atmosphère brumeuse et mélancolique de Toussaint ? Oui, son avenir m'intéresse et il y a mille raisons à cela ! Et puis mieux vaut avoir des voisins riches et bien organisés que des voisins dans le besoin et brouillons, il y a contagion et contagion. Avant qu'elle ne se coupât les jarrets, ce 29 mai, j'aurais voulu lui dire : qui préfère l'immobilisme au bond en avant avec ses rêves et ses errements, est une personne périmée, une personne qui ne peut plus aimer. Le risque zéro, la protection comme la chape de béton, la Constitution comme le sapin sur-mesure, le chez-soi entre soi, on les trouve au cimetière. On a le temps. Vivons un peu ! Le sait-on : en simplement deux élections erronées, 1999 et 2004, l'Algérie s'est fermé l'avenir, la gérontocratie criarde béquillant sur l'islamisme et le bazar est installé pour de bon.
Bon, ce sont là des dates et des magouilles à effacer, nous ne sommes pas à une guerre près. Ah, ce pauvre Irak, il s'enfonce, malgré les élections, la démocratie, le pétrole de l'Oncle Sam, la bénédiction d'Allah, les voeux pieux de l'UE, il va comme nous, les pays arabes, toujours malades de nos vieilles maladies, toujours plus éloignés du monde, indigents, indigestes et si durs avec la vie ! Est-on au moins sûr que la mort de tous les Irakiens apportera la paix à ce pays ? Et la fin de Bush, elle serait le début de quoi pour l'humanité ? Je refuse de penser à la désaffection intolérable de ces foules qui, hier encore, hurlaient si fort leur bonheur. On était bien content d'être les champions du monde, la star de l'Europe, applaudis, mitraillés, portés en triomphe, et voilà que, drapés d'un je ne sais quoi qui se voulait ou qui se voudrait gaullien, on crie non, c'est-à-dire OUI, trois fois oui, à la relégation, au repli, à la morne solitude de ces villages entêtés qui se meurent pauvrement autour de leur clocher, leur minaret, leur statue moussue, leur cimetière avec son arbre centenaire et n'ayant pour boute-en-train que le vieux cheminot édenté qui raconte en boucle sa première grève durant la première guerre mondiale. Qu'ils meurent à la fin, est-ce mon affaire ? Un pays qui se dit exceptionnel, et qui l'est à l'excès, mérite-t-il une fin si commune ? Et cette idée de vouloir additionner les non des autres pour s'affirmer, c'est quoi ? Si la Pologne vote non, ce sera un non au non français pas un oui à son non ! Et voici que, rendus fous par la peur, la sale peur, nous nous mettons tous à trembler devant la vieille Chine communiste, capitaliste, et hégémonique. Le DVD est placé au rayon "Cauchemar XXX" du drugstore. Ce n'est pas sa place, bon sang ! Que les Chinetoques mangent enfin à leur faim, s'habillent propre sur eux, ont des Qu-Qu (prononcer tchou-tchou, s'il vous plaît) au lieu des pousse-
pousse d'antan, gagnent des devises en exportant des tee-shirts plutôt que de l'opium ou des matières fissiles, dérangent nos experts en marketing de la peur. Tout de même, c'est un événement heureux, le sauvetage d'un milliard d'êtres humains de la famine communiste ! Ou alors c'est quoi la solidarité humaine ? Et si on y pense, qui nous oblige à porter des tee-shirts ? Mettez-m'en dix, de ce DVD, les copains ont besoin de voir du pays qui bouge.
Le Onze de France n'est plus, l'Irak n'amuse plus Bush et, dans sa prison aseptisée, Saddam se rit de l'Amérique. Quant au rusé Bouteflika, qui, lui, va réussir à 106 % son référendum sur l'union avec les GIA and Co et s'arracher un mandat à vie, il se rit de son ami Chirac et lui envoie dire par son vieux groom du new FLN : "La France colonialiste, bannie de l'Europe, n'a pas assez balayé devant sa porte pour venir me suggérer de réfréner mes ardeurs, j'emprisonne qui je veux, je torture qui je veux, j'enfume qui je veux, mes journalistes, mes lycéens, mes valets de pied, mes indigènes, tout est à moi !" Adieu, le traité d'amitié ! Bush se fout de ça et du reste. Condoleezza est bien mignonne et très alerte, elle court, elle court, mais qu'est-ce que ça change ? L'Irak se dépeuple, l'Algérie s'étouffe dans le sable, la France souffre de sa solitude, et l'Amérique profonde qui ne sait rien de tout ça commence à connaître de drôles de migraines : on lui parle de torture, de charniers, de dossiers secrets, on l'abreuve de révélations, on la traite de nazie, elle doit battre sa coulpe.
Il en coûte tant de se laver des péchés de ses führers.
"A part le Mondial 98 et la mort des dictateurs arabes, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?" La vie n'est pas que ça, l'actualité ! Mettez-moi quelques dessins animés pour mes petites nièces et l'intégrale des Feux de l'amour pour maman.
LE MONDE DES LIVRES | 14.07.05

In : www.jeguel25.free.fr
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Bienvenue chez les écrivains
Le feuilleton de Pierre Lepape
In Le Monde du 29/09/2000
Boualem Sansal et Raymond Bozier ont en commun d'avoir obtenu l'un et l'autre le Prix du premier roman ; Sansal l'an dernier avec Le Serment des barbares, Bozier en 1997 grâce à Lieu-dit(1). Pour avoir été distingués d'entrée de jeu, voilà deux auteurs soumis à l'éprouvante nécessité de confirmer tout le bien qu'on a dit d'eux. On les attend sous la toise, réglée sur l'excellent souvenir qu'ils nous avaient laissé. L'épreuve du deuxième roman est souvent cruelle, comme un combat qu'on livre avec soi-même. Beaucoup d'auteurs prometteurs n'en sont pas revenus, ou amoindris, promis aux rôles subalternes jusqu'à leur dernière ligne. Sansal et Bozier s'en tirent mieux qu'honorablement. On peut désormais attendre la suite en toute confiance. Bienvenue chez les écrivains.
Pour être à mille lieues du roman à thèse, Le Serment des barbares n'en développait pas moins une idée forte : les malheurs présents de l'Algérie doivent être recherchés dans la falsification de sa mémoire. Il est impossible de construire un avenir commun qui tienne debout en s'inventant un passé gangrené de mensonges. Et Sansal attaquait de front la vache sacrée, le grand tabou, le mensonge fondateur : la guerre d'indépendance présentée comme le récit sans faille de la lutte héroïque du Bien contre le Mal, de la Lumière contre l'Obscurité des exploités contre les exploiteurs, des martyrs combattants contre les traîtres, de la révolution contre la sclérose.
L’Enfant fou de l'arbre creux reprend ce même thème de la mémoire offusquée. Dans un bagne algérien, à Lambèse, aux confins du désert, croupissent des dizaines de prisonniers. Parmi eux, deux condamnés à mort. Un Français, Pierre Chaumet, et un jeune Algérien, Farid. Pierre a trente-sept ans. Il est né à Vialar, un village du Sud, désormais rebaptisé Tissemsilt. Quelques mois plus tard, il est arrivé en France, à Avallon, où il a vécu dans la langueur des gens sans histoire et sans passion. Etudes, famille, carrière. Puis il a découvert qu'il avait été adopté, que sa vraie mère, algérienne, l'avait abandonné à sa naissance ; et il a décidé de retourner là-bas pour retrouver quelques traces de ses véritables origines. Profitant d'un voyage organisé au profit, si l'on ose dire, d'un groupe d'industriels français en quête d'investissements mirifiques, Pierre abandonne la caravane officielle et s'échappe à Tissemsilt. Là, il commence à interroger les gens du pays sur son passé, et donc sur le leur. Sans le vouloir, sans le savoir, il réveille les fantômes, il déchire les voiles épais de l'Histoire telle qu'on la raconte depuis l'indépendance. Il fait se souvenir de choses qu'il faut avoir oubliées. Pour lui faire payer ce crime, on en invente un autre, un meurtre, qui le conduit tout droit dans cette prison perdue et dans le quartier des condamnés à mort.
L'odyssée de Farid est plus atrocement banale ; c'est celle de milliers de jeunes Algériens d'aujourd'hui. Une vie sans espoir sur une terre transformée en royaume des ombres, la corruption généralisée, le mensonge à tous les niveaux, la faillite morale, la décrépitude économique, la tyrannie politique. Et, comme une dernière lueur, la possibilité de la révolte contre le cours mortel des choses : les discours des islamistes, les armes, la violence, le mirage d'une révolution qui en soit, cette fois, vraiment une. Et de nouveau la manipulation, le mensonge, l'exploitation cynique, cupide et terrifiante du désespoir. On ne sait même pas si Farid est condamné à mourir pour avoir participé aux crimes des barbus ou pour avoir refusé de continuer à le faire. La vérité n'a plus de visage.
Entre les deux hommes, les deux cultures, entre la recherche interdite d'un passé et celle, également censurée, d'un avenir, un dialogue se noue. Au fond de leur trou, les deux prisonniers font l'expérience de leur solidarité historique : ils sont les victimes expiatoires d'un seul et même mensonge, d'une mystification entretenue depuis près de cinquante ans, celle de la grande révolution algérienne démocratique et populaire effaçant victorieusement toutes les traces de son passé colonisé. Autant de leurres que de mots dans l'énoncé.
Aucun écrivain algérien n'a poussé le fer aussi loin dans la plaie. C'est qu'il ne s'agit pas ici d'ajouter des lamentations au concert ni des plaidoyers au procès. Sansal ne lance pas un centième appel de détresse à la communauté internationale et à la sensibilité humanitaire, lesquelles ne pourront fournir, au mieux, qu'un peu de peinture pour rafraîchir les cellules de la prison. Il écrit pour faire éclater la vérité. Même s'il doit suggérer pour cela des choses insupportables : que les Algériens, peut-être, étaient plus prospères, plus heureux, plus dignes, plus libres, plus eux-mêmes lorsqu'ils vivaient près de la France. Il faut de la dynamite pour ébranler ce mur-là.
Il faut aussi que la langue s'en mêle. Sansal n'utilise pas la langue française, il se l'incorpore. Quand tant de jeunes écrivains bien de chez nous s'échinent à faire moderne en écrivant des romans qu'on dirait traduits de l'américain, Boualem Sansal retrouve la verdeur acide d'un français de printemps, vigoureux, inventif, peu soucieux des bonnes manières et des cadences modérées. Les images fusent, s'emboîtent, se nourrissent de leur propre humus, au risque, parfois, d'un peu d'obscurité, d'une ligne trop brisée. Il y a des rires, des truculentes, des farces énormes, des scènes de grotesque comme celles - qui se répondent - de la réception des industriels français à Alger et de la visite du bagne de Lambèse par une délégation européenne des droits de l'homme. Sansal se méfie des émotions lorsqu'elles ne s'accompagnent pas d'ironie ; elles ont été trop souvent l'arme favorite des tyrans.

In : www.jeguel25.free.fr
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