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jeudi, décembre 30, 2010

229- Tristes fresques de Taghit


Jeudi 30 décembre

13 heures 30 : Sortie de Taghit en direction de la Zaouia Tehtania. Rares sont les taxis qui veulent y mener.


A cause de l’état, mauvais, de la route. Le soleil est beau, mais la température elle, est fraîche. Le jeune gardien des chambres du Ksar, Ayy… m’a informé ce matin qu’hier Z. est passé tard le soir.

Il m’a laissé un message « A ce soir au Bordj… » ainsi que les coordonnées téléphoniques de notre ami journaliste E.I. Je le contacte. Au centre de Taghit nous prenons un thé et échangeons sur tout mais surtout sur la presse algérienne. Pas joli.
J’arrive à la Zaoui Tehtania donc : « El hajar ? l’hih ! » (les pierres ? là-bas !) nous dit le vendeur isolé de thé et de bijoux. « Les pierres » ! Mon Dieu. Quelle tristesse de nommer ainsi ces chefs- d’œuvre du néolithique ( combien ? 7 ou 10 mille ans ?) parvenus sans grande casse jusqu’à nous aujourd’hui. Sans grande casse n’était la main de l’homme, ce misérable. Quelle tristesse que de voir ces traces millénaires souillées par l’homme (certains écrivent leur nom par-dessus, d’autres écrivent des messages…) Photos.

15h30 : Je suis assis au bas de la falaise, non loin du sympathique marchand de thé et de souvenirs. J’attends le minibus de l’aller pour un retour sur Taghit. Cette histoire de fresques abîmée est d’une grande tristesse. Comment oser souiller son passé. Souiller ses ancêtres, ces chasseurs,
qui vivaient là dans un environnement très riche (et désert aujourd’hui) et qui ont souhaité converser avec nous par de magnifiques dessins. Cette histoire est triste et scandaleuse. Aucun gardien, aucune protection. L’état de cette inestimable richesse reflète le niveau de conscience de nos responsables. Pas beau. L’inculture est érigée en flambeau. Leur incurie est totale.

Z. me donne rendez-vous directement au Bordj. J’y retrouve E. I. et son entourage. Beaucoup de monde.
Des musiciens au repos discutent de la soirée de demain. Leur leader, Amazigh se joint à notre discussion. Demain il chante au stade de Taghit. Thé et cacahuètes au salon du Bordj. Je lui demande s’ils ont installé le chapiteau « il n’y aura pas de chapiteau. Ce sera en plein air. »



mardi, décembre 28, 2010

228- TAGHIT à deux doigts de 2011

Mercredi 22 décembre 2011

Le commandant de bord de l’appareil d’Air Algérie est un ami d’enfance (A.L. !) Lorsque l’hôtesse nous informa que le commandant A.L. nous souhaitait la bienvenue un frisson parcouru mon échine. Une fort agréable surprise. A vrai dire je savais depuis longtemps qu’il avait dans les années 80 travaillé pour cette compagnie, mais je me suis plusieurs fois demandé ce qu’il était devenu, s’il y était encore… Lorsque les roues de l’appareil ont touché lé tarmac, des applaudissements ont fusé d’un peu partout de la carlingue. Z. m’attendait. Nous allons à l’est d’Oran.

Jeudi : change à la BNP (taux officiel : 10 dinars contre 9 euros)

Sur le haut de l’avenue Emir Abdelkader, à l’angle du boulevard Mira, un bouquiniste attend patiemment le client. Il est installé dans une voiture sans âge, en stationnement sur le trottoir. Il ne m’entend pas, ne me voit pas arriver. Il a les yeux plongés dans une revue coquine. Je lui achète une bande dessinée qui me renvoie à mes 10-12 ans et à A.L. justement, mon ami d’enfance pilote : Rodéo (Ted Cassidi) (15.000). J’ai hésité mais finalement pas pris le Zambla, un triple album.

Un vent infernal souffle. Je me renseigne à la gare sur les possibilité de descendre en train à Béchar. Et sur la sécurité. « Bien sûr qu’il y a la sécurité, une compagnie de gendarmes vous accompagne jusqu’à destination ».

Retour en ville. Des gamins jouent au football sur le trottoir (ex bd Marceau ?) Pour ne pas être dérangés ils ont renversé un banc de café. Il leur sert en même temps de buts. Le vent inouï me poursuit jusqu’à la place Kargantha. La Cathédrale abrite une exposition de livres. Essentiellement des livres en arabe. Le « Dérida à Alger » (en français) est à 690 da. L’autre espace, laissé libre est celui de la cathédrale, ou plutôt l’espace de la bibliothèque car la cathédrale, il y a longtemps qu’elle n’est plus utilisée pour ses fins initiales même si l’hôtel, les sièges, prie-dieu et autres vierges sont encore intacts (mais sales). Quelques étudiants sont plongés sur leurs livres et cahiers.


A l’extérieur, à l’angle gauche de l’esplanade de la cathédrale je ne trouve pas « le bouquiniste de la cathédrale ». Un voisin du bouquiniste, un vieux vendeur de cacahuètes me dit que si le bouquiniste n’est pas venu c’est parce qu’il vente, « demain il sera là ».

Rue Ben M’hidi un imposant camion de police aux gyrophares en action, accroche l’arrière d’une petite voiture. Il continue sa route sans se soucier du véhicule endommagé. Mais sa conductrice, folle de rage, ne l’entend pas ainsi. Elle baisse la vitre, lance quelques mots (probablement gros) et fonce pour rattraper le camion voyou au volant de l’imposant camion de police.

La rue Ben M’hidi m’insupporte. Elle est étroite et la circulation y est infernale. Je bifurque vers le front de mer en passant par la rue des sœurs Benslimane ( rue où se trouve la maternité du même nom). Un taxi ralentit devant mon bras levé « Haï Sabah ? » « La cheminée d’Oran » est toujours aussi majestueuse, haute comme une fierté. Dans le taxi il y a aussi deux jeunes gens, l’un d’eux est à droite du chauffeur. Le silence nous accompagne pendant de longs moments. Mon voisin écoute de la musique en utilisant son portable, discrètement, l’oreillette coincée dans l’oreille. Celui de devant a relevé son capuchon sur la tête. Au niveau du lycée Lotfi il reçoit un coup de téléphone auquel il répond sans gêne, mais sans plus. Il détaille ses problèmes. Lorsque les deux jeunes descendent aux HLM de Gambetta, le chauffeur me demande de passer devant puis entame une critique en règle et au Karcher contre les deux jeunes gens, sans distinction alors qu’il ne les connaît ni d’Eve ni d’Adam. Je l’oublie contre 100 dinars. Avec la mini Chevrolet de Z. je monte au camp 5. Avec R. nous regardons (il y a mieux à faire) la finale de la coupe d’Afrique du Nord entre le MCA et le Club africain de Tunis. A l’aller MCA 2 CA 1. Je quitte R. alors que le match est nul. Finalement c’est Tunis qui se qualifie.

24 décembre

A Mostaganem avec R. Nous y rencontrons H. Nous nous retrouvons au Pénalty. Jusqu’à la fermeture, à midi.

R. est défaitiste. Il se laisse couler dans le temps. Retour chez lui. Sur la chaîne LCP un beau film de Ken Loch « Bread and roses » (je l’ai déjà vu il y a quelques semaines) : des immigrants mexicains pénètrent clandestinement aux USA. Le travail y est dur. Le personnage principale est une femme (Pilar Padilla, formidable), elle est femme de ménage, elle se révolte contre les conditions de travail. Le film est suivi d’un débat.

Samedi matin

Il n’y a rien chez notre bouquiniste de la Cathédrale. Internet : 20 minutes, mails… (25 da). Il pleut.

Un verre au Titanic (devant l’ancienne station de taxi et l’ex restaurant bar Le Grec), c’est cher comparativement aux autres établissements (200 da), mais c’est un très joli lieu.

Lundi 27

Au Vendôme. J’attends Br H.Le Quotidien d’Oran titre en une : « Khalida Toumi- Suzanne Nedjmed : tirs croisés autour d’un festival, p 4 », mais aussi en tête : « 5% des consommateurs de drogue sont des femmes, p 4 ». El Watan quant à lui titre en une : « Pouruoi la valeur du dinarest si insignifiante ? », mais aussi : « l’inquiétude des agences de voyages ». Voilà mon ami Br H. On refait le monde à venir et passé (la Cinémathèque, le cinéclub, les années 70, Kheira Ezziraïya, la PM, les copains communs…) mais aussi le monde d’aujourd’hui, notamment algérien. Pas beau.

Je prends le train à 18 h 30 pour le sud.




Mardi 28 décembre 2010
Je suis dans le désert depuis quelques jours. 17 heures 30 : une fébrilité à sa mesure anime la petite oasis de Taghit. Beaucoup de gens du nord du pays, quelques étrangers. Je ne remercierai jamais assez mon ami Brahim H.S. qui m’a donné quelques bonnes adresses.

Il fait beau et même chaud. Je me dépêche car le taxi jamaï en direction de Béchar ne m'attendra pas. Demain j'aurai une petite chambre au Ksar (« 1500 la nuit »). « Reviens avec une torche me conseille Z. mon premier contact à Taghit.
A Béchar je rejoins ma chambre au premier étage de l’hôtel « El Maghreb el arabi » derrière la gare. « 1500 » aussi mais de meilleur confort qu’à Taghit où la pièce est nue hormis un matelas posé à même le sol, un oreiller et une couverture. C’est qu’à Taghit il n’y a pas d’autre choix. Le Bordj est complet et l’hôtel d’Etat est en réfection (en pleine saison touristique, cela n’étonne pas dans le Bled). Bref je suis à Béchar le soir. El Watan titre sur les émeutes en Tunisie « Chômage, cherté de la vie, sentiment d’abandon : Des émeutes ébranlent la Tunisie. » Le Quotidien d’Oran est moins pessimiste… « Avec effet rétroactif depuis janvier 2008 : les salaires des policiers augmentent de 50% »

29 décembre. Chaîne 3 : L’invité de Selma Hachemi, Mustapha Khiati parle de la drogue : « arrêtons de parler de chiffres [300.000 jeunes se droguent], agissons ». Au café qui se trouve à gauche de l’hôtel je prends un café-crème et deux croissants (« 6000 » c'est-à-dire 60 dinars soit 0, 60 centimes d’euros). Je croise une des trois personnes qui ont fait le voyage Oran-Béchar avec moi dans le même compartiment (A/R 1° classe couchette 2330 DA). A la gare je me fais confirmer qu’il y a bien un train le 1° janvier (férié). L’employée du Crédit populaire de la « place du chameau » ne comprend pas que je fasse le change d’euros en banque et non au marché noir « dehors il est à 12, ici à 10 ».
En face de la banque, de l’autre côté de la place, un restaurant populaire. Je prends quatre brochettes et une limonade. « Achra lef ». Je m’aperçois plus tard que le patron a oublié d’encaisser la limonade.
A la place des taxis pour le sud du sud, Tagit, Abadla, Tabelbala, Béni Abbès, Kerzaz… s’ennivrent de l’effervescence. Nombreux sont les voyageurs qui se destinent pour Taghit. Les taxis, véhicules de tourisme (jaunes), c'est-à-dire généralement ceux qui chargent trois ou sept personnes (les 505 break) exigent 250 voire 300 DA, les taxis jamaï (en commun), les fameux Toyota Coaster, demandent 80 DA. Mais ils sont moins nombreux. Je trouve un « petit taxi » jaune qui cherche un passager et un seul, « 15000 » je lui propose. Il accepte après discussion.
18h 20. Je suis sur la crête de la plus haute dune du monde (150 mètres ?) de Taghit.





J’ai mis près d’une demie heure pour l’escalader (attention au souffle si vous n’avez plus vingt ans). Superbe coucher de soleil.

Je ne peux décrire justement les sensations qui nous étreignent. Merveilleux. De là-bas au loin, du village nous arrivent les bruits de karkabou et derbouka. Plus d’une centaine d’hommes et de femmes traversent les rues du village en dansant. Un mariage local hautement coloré.
Il fait presque nuit maintenant. Au loin, les dernières lueurs du soleil peinent encore. Dans dix minutes elles auront disparu.
Le soir, dans le Ksar, malgré la lumière de ma torche chinoise, je pose maladroitement un pied sur une pierre glissante. Je me tords de douleur. De la torche il ne reste que des morceaux épars.
Avec peine je rejoins le Cyber non café du centre.








dimanche, novembre 28, 2010

227- Hommage aux Chibanis à Salon de Provence

L’association SALON-DJEZAIR a organisé hier samedi à 18 heures une rencontre autour de « Présence invisible » un recueil de photos de Chibanis prises par Kamar Idir accompagnées de textes écrits par Dominique Carpentier. Après la présentation de l’association SALON-DJEZAIR par sa présidente Keltoum Staali, la parole est donnée à Dominique Carpentier qui détaillera dans le menu la lutte dans le centre de Marseille des vieux travailleurs maghrébins pour recouvrer leur dignité. Kamar Idir « ne travaille pas ‘sur’ les Chibanis. Il discute avec eux, les regarde, les écoute, les entend et les fait entendre. ‘Les Chibanis ne me parlent pas, ils me racontent’. Pas un jour ne se passe sans qu’il ait une pensée pour eux, pas une semaine sans un mot pour eux, dans l’émission qu’il anime le jeudi après-midi sur Radio Galère. De la Présence invisible de ces ‘cheveux blancs’ côtoyés sans être remarqués »

Un pot amical est offert à la suite de la rencontre. L’association SALON-DJEZAIR envisage de se rapprocher du foyer d’immigrés (Adoma) de Salon de Provence pour leur faire bénéficier de l’exposition, même si quelques-uns de ces résidents ont promis de se rendre à la librairie Le grenier d’abondance pour voir l’exposition photos où elle se trouve jusqu’au 11 décembre.












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Le site de l’association ARTRIBALLES

http://www.artriballes.com/?page_id=87

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http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article109

Kamar Idir respire l’art de la mémoire

Publié le 27 mars 2008, mise à jour le 2 avril 2008 par Anne Auréli

Alger, Marseille, Arabie Saoudite, Koweït City,… Il a vu les hommes et la terre trembler face à l’inhumanité. A bientôt 50 ans, l’artiste-journaliste-photographe « franco-algérien » agrafe toujours l’histoire des migrations aux souvenirs des Marseillais. Et, à travers son association Artriballes, tente d’insuffler aux plus jeunes son goût de la tolérance et de l’équité. Nous lui avons tiré le portrait…

Quand on se plonge dans la vie de Kamar Idir, on se doit de plonger dans le passé croisé de l’Algérie et de la France. Dans l’histoire de l’entre-deux rives, de vies distendues, déchirées, traversées par la Méditerranée. Car, observateur affranchi, il en est le témoin exceptionnel.

C’est dans son atelier du Domaine Ventre, dans les entrailles de la rue d’Aubagne à Marseille, qu’une discussion apaisée s’engage avec ce peintre, sculpteur, photographe, qui eut gratté la plume sur le papier, et grave encore les sons de la mémoire sur son MD [1].

Proches et loin de la rumeur du centre-ville, où je l’ai rencontré il y a plus de deux ans. Je travaillais alors sur les problèmes administratifs subis par les Chibanis, ces migrants du Maghreb vieillis là, au destin ingrat, après des années de labeur.

Lui, en bleu de travail, bonnet vissé sur ses longues boucles noires et chèche noué en écharpe, ne travaille pas « sur » les Chibanis. Il discute avec eux, les regarde, les écoute, les entend et les fait entendre. « Les Chibanis ne me parlent pas, ils me racontent ». Pas un jour ne se passe sans qu’il ait une pensée pour eux, pas une semaine sans un mot pour eux, dans l’émission qu’il anime le jeudi après-midi sur Radio Galère. De la Présence invisible de ces « cheveux blancs » côtoyés sans être remarqués, il a tiré en 2005 une exposition. Photos en noir et blanc de gens mis au banc [2].

Esthétique anti-conventionnelle

Focalisé sur l’autre, Kamar conte à merveille la vie des autres. Cependant lorsqu’il s’agit de se raconter lui, le message devient presque subliminal. De l’art de lire entre les lignes, entre les droites imparfaitement parallèles d’une vie alambiquée.

Fin 58, en pleine guerre, il pousse son premier cri dans la Casbah d’Alger. Quatre ans plus tard, l’indépendance est proclamée. Jeunesse passée entre la capitale algérienne et la Kabylie, du côté du village de Timerzouga où se trouve une partie de sa vaste, « incroyable et ouverte » famille. Une région qui constitue une « réserve naturelle » d’artistes, plaisante-t-il.

L’autodidacte, qui a tôt « fuit » son rôle d’écolier, n’a pourtant jamais cessé d’apprendre. Il est le seul de sa fratrie que le patriarche n’envoie pas étudier à l’étranger. Tandis que ses frères planchent en URSS, en Hongrie, ou aux Etats-Unis, il entame une formation d’ébéniste, dispensée par des professeurs allemands. Inachevée. « Je ne pouvais pas rester enfermé, j’avais besoin d’aller à la rencontre des gens, d’être libre ». Il enchaîne stages et petits boulots et devient reporter pour différents titres de la presse algéroise. En 1986, il entre aux Beaux-arts. Encore des études qu’il ne validera pas, mais qui constitueront un tremplin. Toutefois, ce lieu de vie du monde artistique l’accapare, et durant plusieurs années, il en hante les couloirs. De son passage dans la prestigieuse école, il conserve un penchant pour l’esthétique. Et l’une de ses passions : la photo.

Une guerre, des guerres

À la suite des émeutes de la jeunesse algérienne, à l’automne 88, le fan de cinéma documentaire participe à la fondation, avec Chafik Abdi et Fathi le caricaturiste, du premier quotidien émancipé du pouvoir. Le Jeune Indépendant est en kiosque en mars 90. Dans un récent entretien – retranscrit par Gilles Suzanne, docteur-chercheur en sciences sociales – Kamar définit son activité de l’époque ainsi : « se déplacer dans le pays à la rencontre des femmes villageoises, des populations rurales, des jeunes banlieusards… Pour mettre en débat les enjeux politiques, sociaux et économiques qui traversaient l’Algérie ». Un peu plus tard, tandis que la tension monte, il co-crée l’agence photo Mirage, dans l’optique constant de fournir une information pertinente, déliée de toute censure. La première Guerre du Golfe éclate. Il est l’un des seuls journalistes algériens à partir couvrir le conflit en free lance. Sans papiers ni autorisations, dans une semi inconscience, juste « parce qu’il fallait le faire ».

Puis la situation dans son pays prend vite un tour insupportable, nauséabond même. « Nous sentions l’odeur de la mort rôder », glisse Kamar sans être sûr que je puisse comprendre, ou ne serait-ce qu’imaginer un drame que je n’ai pas vécu. En 94, les massacres. S’il n’est pas directement menacé, le journaliste voit des confrères mourir ou disparaître, quand ils ne sont pas arrêtés [3] . Un ami photographe tout juste rentré d’Espagne, le directeur des Beaux-arts et son fils… Aussi bien critique envers les fondamentalistes qu’envers le pouvoir et l’armée, Kamar dérange potentiellement. Apeurée, la famille Idir le presse de partir. Ce qu’il fait, avec Fathi.

« Aujourd’hui, mon combat, il est là »

Le Berbère, dont sa « religion est dans [sa] tête », débarque sur le Vieux continent, et transite à Milan, en Italie. Grâce à ses relations, il y travaille durant six mois. Il aurait pu choisir la Suisse, et obtenir le statut de réfugié politique que lui offrait le premier conseiller de l’ambassadeur helvète en place à Alger. Le photographe dédaigne ce pont d’or. En France, à peine arrivé, de grandes agences telle Gamma lui proposent de fixer sur pellicule les événements qui ébranlent l’Algérie. Il refuse tout net. Et entame une longue tournée qui le mènera un peu partout en Europe, enchaînant conférences et expositions.

Enfin, Kamar Idir se fixe à Marseille, où il découvre « un autre combat », pour « la communauté maghrébine en général et la communauté algérienne en particulier ». Car du fait de l’histoire, « il reste comme une tache noire sur les relations entre nos deux pays », dont on n’arrive pas à parler, qu’on n’essaie pas de dépasser.

L’image d’une France prospère, véhiculée au bled par l’un de ses oncles exilés et idéalisée, prend rapidement du plomb dans l’aile. Son oncle bûche en fait dans la mine et dort dans un foyer Sonacotra. « Les vieux, le logement, les enfants dans des écoles ghettoïsées… Je trouvais qu’il y avait des injustices, un mal-vivre, un racisme fin, un manque d’espace. Je me suis demandé ‘Pourquoi accepter de vivre dans de telles conditions ?’ ». Kamar veut comprendre : « de qui, de quoi ont-ils peur ? ». Il se met à lire, à étudier l’histoire depuis l’Empire ottoman jusqu’à la colonisation et ses conséquences.

Son émission radio consacrée à l’Algérie (virulente, elle a été suspendue un temps, après qu’une pétition a circulé. Il faut dire qu’il avait « dépassé les limites ») devient le porte-voix des plus démunis, des plus à la marge. Radio Galère… Sa « secte », comme il l’appelle. Beaucoup de ses amis sont « rouges ». L’extrême gauche ne l’a somme toute « pas endoctriné » : « j’ai lu Trotsky, j’ai lu Marx. Mais je ne suis pas d’accord ».

Avec Dominique, sa femme, il crée l’association Artriballes. Il y offre des ateliers d’arts plastiques aux enfants du quartier et d’ailleurs. Elle y donne des cours de trapèze aérien. Objectif : « leur transmettre la connaissance de leur histoire et de leur société ». Avec des mômes de Félix Pyat, Kamar conçoit des poupées Aghandja [4] articulées. Avec d’autres encore, des caravanes, des roulottes en matériaux de récup’, sur le thème du nomadisme. Engagé dans la lutte pour le droit de tous de disposer d’un logement digne, il a à ce titre suivi les Gitans de la Renaude, dans les quartiers nord. « Aujourd’hui, on nous parle de vivre ensemble, de métissage, pourtant dans certains quartiers on ne peut parler que de ghettos ».

Le bateau… Mon pays

Mais sa rage, sa plus grande rage, reste le sort dévolu aux Chibanis. En recueillant leur témoignage, en le diffusant, en immortalisant leur image, Kamar espère se faire « l’écho d’une histoire commune » en passe de sombrer dans l’oubli. « Je les laisse venir à moi », dit-il. « Parfois ils sont de bonne ou de mauvaise humeur, alors je prends le temps, je ne déclenche pas, je n’enregistre pas ». Il leur pose simplement les mêmes questions existentielles que lui-même s’est posé : « D’où viens-je ? Où vais-je ? ». « D’où venez-vous, où allez vous ? ».

Le photographe préserve l’intimité des Chibanis. N’a, sauf une fois, « jamais pénétré dans les chambres insalubres, pour un cliché ». Kamar préfère « faire parler » l’image, sentir dans sa composition « une atmosphère, un échange ».

« Chamboulé, cassé » par ce qu’il voit, ce qu’il entend, Kamar en néglige parfois de dormir la nuit. Passe des heures à dresser l’oreille pour capter un reportage de France Culture, ou d’Inter. « Les vieux, ils ne comprennent pas que la main-d’œuvre, ça part de son pays et ça y revient. C’est comme ça ». Nulle part chez eux, à part sur le bateau.

Et toi, Kamar, tu y retournes au « pays » ? De loin en loin, « de temps en temps ». Il ramène toujours quelque chose à ses sœurs, prend des nouvelles régulièrement de la famille. Se réinstaller en Algérie ? « Je vis ici. Je ne fais en aucun cas marche arrière ».

« Impossible » de lui coller lieu ou étiquette. Libre, Kamar Idir. L’homme presque demi centenaire, à qui quinze ans de moins iraient très bien, l’humble et « jeune indépendant » de l’art a encore bien des combats à mener.

[1] Mini Disc enregistreur

[2] On doit à Kamar Idir plusieurs expositions dont « Marseille-Alger, Alger-Marseille », ou encore « Présence Invisible ». Un recueil de photos qu’accompagneront des témoignages de Chibanis devrait bientôt voir le jour.

[3] « 57 journalistes ont été assassinés entre 1993 et 1996. Une quarantaine d’autres employés des médias ont également trouvé la mort au cours de ces années noires », selon un rapport de Reporters Sans Frontières, datant de 2003.

[4] Poupées en forme de louche en bois, vêtues d’habits traditionnels berbères, utilisées lors de rites agraires ancestraux.

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http://www.rougemidi.org/spip.php?article3600

22.12.2008

Où l’on reparle, grâce à un livre beau par ses photos et touchant par ses témoignages, de la lutte des chibanis de Marseille.

Depuis la fin du XIXe siècle, les entrepreneurs français sont venus faire leur marché dans les colonies. L’esclavage est depuis longtemps aboli et c’est pourtant sur des critères physiques qu’ils iront chercher ces travailleurs de l’autre côté de la Méditerranée.

Dans les années 50 et 60, le besoin de main d’œuvre est tel que des centaines de milliers de travailleurs débarquent en France (il y aura 1,4 millions de régularisation entre 1958 et 1974). Après 30 ou 40 ans de labeur, ces damnés du “miracle économique” sont vieux, fatigués et présentent souvent des pathologies liées à leurs activités professionnelles.

Ils sont pourtant devenus indésirables, parce qu’“inutiles”.

À travers de multiples témoignages, ils racontent leur venue en France, leurs années de travail, leurs conditions de vie, mais aussi leurs joies, la musique qu’ils aiment et leur rapport au pays d’origine.

Kamar Idir, lui même ayant fui l’Algérie de la “casquette et de la barbichette”, est photographe. Il a couvert la guerre du Golfe, pas celle de Bush junior, mais celle de son père et de François Mitterrand, en 1991… Il a aussi réalisé de nombreux reportages en Algérie, jusqu’à l’assassinat de ses proches. À Marseille depuis 1994, il déchante quant au sort réservé aux travailleurs immigrés. C’est presque par hasard qu’il découvre le bidonville de la rue des Petites Maries, en plein cœur de Marseille, dans le quartier Belsunce.

Les cabanes sont habitées par de vieux travailleurs, tous issus du même village : Bouzeguène. Cette découverte se fait alors que le quartier est en pleine réhabilitation et que le relogement des habitants n’est assuré que grâce à leur résistance. Une association est créée : “Un centre ville pour tous”, alors que le “comité chômeurs CGT” poursuit, par d’autres moyens, sa lutte contre les expulsions. Kamar, lui-même Kabyle, se lie très rapidement avec les anciens qu’il photographie et dont il enregistre les témoignages. En 2005, alors que Nicolas Sarkozy est ministre des Finances, 4 000 “chibanis” se voient privés de leurs feuilles d’imposition, et par conséquent de leurs droits à toucher le minimum vieillesse et à pouvoir bénéficier d’une couverture médicale. Sous le prétexte de lutter contre la sur occupation frauduleuse des hôtels meublés, cette mesure donne un sacré coup de pouce à l’opération “nettoyage” de Jean-Claude Gaudin.

Mais, là aussi, la résistance s’organise et aux côtés de “centre ville pour tous”, une autre association prend la défense des anciens, spoliés de leurs droits : “Le Rouet à cœur ouvert”. Le quartier du Rouet est lui aussi livré aux promoteurs, placé en “zone d’activité concertée”. En fait, il s’agit de raser des rues entières du dernier îlot populaire de l’arrondissement, pour construire des immeubles de luxe vendus à plus de 4 000 € le m2. Avant l’action des pelleteuses, Kamar rencontre les habitants des hôtels meublés de la rue Alcazar et ceux de la rue du Rouet, vivant dans d’anciens poulaillers. Tous sont originaires du Maghreb (Algérie et Tunisie)), et la plupart anciens travailleurs du bâtiment.

Dominique Carpentier, journaliste pour quelques titres de la presse locale, est aussi militant du comité chômeurs CGT, et principalement mobilisé sur les questions du logement. Il rencontre Kamar au cours d’une manifestation où il découvre son travail photographique. De cette rencontre naîtra le désir de faire un livre pour raconter en texte et en images la lutte des “chibanis”. Ils suivront alors ensemble les anciens, jusqu’à ce que des solutions de relogement leur soient proposées. Décryptage des bandes son et choix des photos constitueront alors leur travail jusqu’à la réalisation du livre : “Présence invisible”. Mais cette publication n’est qu’une étape pour redonner vie et dignité à ces “oubliés”, chassés des mémoires après avoir construit les principales infrastructures de la ville. Elle doit être l’occasion d’organiser conférences et débats, mais aussi de poursuivre la lutte contre la chasse faite aux pauvres dans une ville restée populaire…

Présence invisible - Photographies de Kamar Idir, textes de Dominique Carpentier

Éditions Artriballes 92 pages - 18 €

vendredi, novembre 26, 2010

226 - Camus: rencontre avec Virgil Tanase

La Chute d’Albert Camus est une des pièces maîtresses figurant au programme du théâtre de la Colonne de Miramas (Bouches du Rhône). A cette occasion, la médiathèque de la ville a invité monsieur Virgil Tanase pour animer une rencontre autour de Camus hier vendredi. J’y suis allé. Nous étions environ 120 personnes installées dans la salle des spectacles. Tanase est écrivain et metteur en scène.

Il reprend l’intervention de Camus à Stockholm au lendemain du prix Nobel de la paix dont une partie, à propos de « la guerre d’Algérie » (la révolution algérienne), du choix de sa mère plutôt que la justice révolutionnaire (« la justice du terrorisme »), a été tronquée. « Quarante après (5O ?) dit sa fille Catherine (selon Tanase), nous avons du mal à nous défaire de cette phrase » et la presse continue toujours à reprocher à Camus son attitude vis-à-vis de la guerre d’Algérie. Camus a souffert d’une image déformée pour l’éloigner de nous. Tanase implicitement accuse le journal Le Monde. Tanase dans son longue intervention dense mais désordonnée (sur l’homme, pas sur son œuvre), portera d’autres accusations, parfois sans précaution oratoire et des raccourcis intellectuellement pas très honnêtes. Contre Sartre donc « terroriste intellectuel » qui s’est tu pendant les crimes staliniens, lorsqu’on le lui reproche il répond : « Je savais les crimes staliniens mais je n’avais pas résolu mon problème oedipien evec le communisme », contre Simone de Beauvoir « elle a travaillé à la Radio Vichy, elle trouvait après la révolution culturelle que Mao Zedong est un homme charmant et doux », contre Gide, le maître à penser qui écrit « retour d’Urss », c’est qu’on n’a pas voulu savoir.

Je reviens sur la position de Camus par rapport à la guerre d’indépendance algérienne (la fameuse phrase où il dit qu’il choisit sa mère à « cette justice-là » du FLN, en demandant à Tanase qu’elle fut l’attitude de Combat et particulièrement de Camus lorsque des bombardements alliés sur des villes comme Saint-Malo, Brest ou Le Havre ont fait des milliers de tués, civils français (rappelons que les bombardements alliés visaient l’ennemi nazi et le potentiel industriel passé entre ses mains). Il évite la question en répondant sur l’attitude qu’a eu Camus lors du bombardement de Hiroshima.

dimanche, novembre 07, 2010

225- Djilali de Raïna Raï


Raina Rai ( Ya zina ) à la Villette Paris 1986 Vidéo de ZDIGZDANGO in Net

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Nous venons d’apprendre que Djilali RAZKALLAH a décédé hier, après une longue et pénible maladie.
Djilali Razkallah, chanteur emblématique du groupe Raïna Raï, puis Amarna, avait « cassé la baraque » comme on dit, en ces années 70 et 80, quand le Raï devint une musique du monde.
Djilali et son groupe allaient prendre des chemins de traverse, et au lieu de chanter le raï ambiant, parvinrent à exhumer et à mettre au goût du jour, le patrimoine de l’Ouest algérien, celui du « Chi3r el melhoune », avec des arrangements qui révolutionnèrent ce mode musical.
Djilali est tombé gravement malade depuis des mois. De Sidi Bel Abbès où il résidait avec sa famille, de véritables appels à l’aide furent lancés par ses proches et ses amis. Mais sans aucun écho, puisque Djilali fut livré à son propre sort. Ses derniers moments furent emplis d’amertume. Le besoin, la douleur physique et l’ingratitude des hommes l’accompagnèrent jusqu’à sa mort. Sa famille fut durement éprouvée par cet abandon, et ne put rien faire pour lui que de pleurer de rage, sur youtube et ailleurs.
Et ainsi, comme tous nos autres artistes qui l’ont précédé dans cette situation, Djilali est mort dans le dénuement et l’oubli, au moment où des parvenus grossiers vont soigner leurs hémorroïdes à l’hôpital américain de Paris.
J’ai connu Djilali, je l’ai vu évoluer à Sidi Bel Abbes, où il était adulé. Je le voyais souvent dans la rue, au milieu de ses frères algériens, un sourire éclatant aux lèvres. Il était jeune, il était beau.
Quelle est donc cette malédiction qui meurtrit ainsi les plus attachants d’entre-nous, pendant que les beggaras beuglent leur morgue.
Comment pouvons nous permettre ainsi, que nos artistes meurent dans l’indigence et le désarroi ? J’ai la rage.
Quelle honte!
D.B in http://www.lequotidienalgerie.org/2010/11/06/razkallah-djilali-est-mort/
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Raïna Raï, (arabe : راينا راي) est un célèbre groupe algérien de la musique Raï. Originaire de la ville de Sidi Bel-Abbès, leur style de musique qui mêle raï traditionnel et rock a trouvé un public large conquis dès les premiers tubes sortis
Le groupe a été créé en décembre 1980 à Paris, lancé par des anciens chanteurs des groupes les Aigles noirs et Les Basiles sous l’impulsion d’un musicien de Sidi Bel-Abbès établi en France, en l’occurrence Tarik Chikhi.
Le groupe fait son apparition, à l'occasion d'un concert de soutien à la première radio de l'immigration "Radio Soleil".
Ses membres fondateurs sont : Tarik Naïmi Chikhi, Kaddour Bouchentouf, Lotfi Attar et Hachemi Djellouli.
Ses membres : Kada Guebbache : Interprétation & Bass Guitare Hachemi Djellouli : Percussions Lotfi Attar : Guitare Abderahmane Dendane : Saxophone Djilali Rezkallah : Interprétation & Karkabou (décédé le 06 novembre 2010) Amine Nouaoui : Interprétation Amine Dahane : Clavier Samir Mrabet : Clavier
Ses albums :
Raina Rai, 1982, Sadi Disques.
Hagda, 1983, auto-production (HTK Productions) dont deux titres furent utilisés dans la bande originale du film Tchao Pantin de Claude Berri avec Coluche.
Rana Hna, 1985, Edition Rachid & Fethi.
Mama, 1988, Edition Rachid & Fethi.
Zaama, 1993, Musidisc.
Bye Bye, 2001, Lazer Production
In : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ra%C3%AFna_Ra%C3%AF#Membres



Raina Rai - Ya zina de DJELSSADZ in Net
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224- Poésie à Salon

Nous sommes une quarantaine de personnes venues écouter des poèmes de Keltoum Staali à la librairie Le Grenier d’abondance à Salon de Provence, poèmes clamés, chantés par la comédienne Aïni Iften en présence de l’auteur. Les poèmes sont extraits de son dernier recueil « Identité majeure » (Editions de l’Atlantique collection Phoibos)
En quatrième de couverture Silvaine Arabo écrit : « Keltoum S
taali signe un recueil dont la première marque est l’authenticité. Aucune fioriture, ici, ni pose poétique, seulement des accents de vérité ; l’auteure tente, à travers le prisme des mots, de retrouver une « identité majeure », ce qui la conduit très naturellement à fonder une sorte d’identité universelle dans laquelle chacun de nous peut se reconnaître. Dans la fécondité et l’originalité de ses images, elle construit peu à peu une trame qui, partie de l’expérience in vivo, nous achemine vers le Mythe. »






Extraits :

Sidi Abderrahmane

Ville-mémoire au cœur blanc
Echappée d’amnésie

Les exils luxuriants des clochards s’écrivent

O ma mère
J’ai fait trois fois le tour du divin catafalque
Suivi mes autres mères au regard tout-puissant
Comme le tien
La même supplique conduisait mes pas

Pensée d’enfant que la distance pacifie
La distance et la mer

Je suis si près de qui tu es dans ces lieux intérieurs

Sous le drap vert qui sent la sueur
Mon front emprunte au voyage
La pureté des rives faciles de la foi

Etrangère
J’ai traduit les ondes sacrées
D’un ventre frappé d’interdit

Ignorante
croisé cette nature qui déambule en rêve – mais dans quelle langue –
Rue après rue
Escaliers interminables
crochetés d’azur

Dans la casbah matinale j’ai chancelé de lumière
pris en plein visage la crue violence du soleil
Mes yeux n’ont pas suffit pour tant d’éclat

une vieille sorcière m’a souri en
français

Bienvenue pour une pièce

Dans les venelles soustraites aux envieux
le raffinement ottoman s’accommode des ordure

Les ciels lisses n’ont pas changé la place de mon rêve
ce fondu au bleu qui endort la mer et laisse passer les années
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samedi, octobre 23, 2010

223- rencontre euromaghrébine des femmes écrivaines

La deuxième rencontre euromaghrébine des femmes écrivaines se tient les 18 et 19 octobre à l’auditorium
de l’Institut national supérieur de musique d’Alger.

Entrant dans le cadre de la coopération entre le ministère de la Culture algérien et la délégation de l’Union européenne à Alger, avec le concours de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et des services culturels des ambassades des Etats membres de l’UE à Alger, cette rencontre littéraire compte la participation de quatorze femmes écrivaines algériennes, marocaines, tunisiennes et européennes. C’est sous le thème «Récit, fiction et poésie comme contribution des femmes à la pensée» que ces écrivaines échangent leurs expériences et points de vue au sein de trois ateliers-conférences consacrés à chacun des genres retenus : «Le récit de vie comme expression de la réalité», «La fiction comme expression de rêve et de changement» et «La poésie comme espace de liberté».

Dans son discours inaugural prononcé hier matin à l’INSM, Laura Baeza, ambassadeur, chef de la délégation de l’Union européenne en Algérie, a soutenu que «l’écriture constitue un des domaines où les femmes ont su imposer leur style et leur signature, avec comme particularité une sensibilité débordante. S’il est historiquement établi que les femmes sont les initiatrices d’une écriture romanesque, l’écriture au féminin se conjugue aujourd’hui sur tous les tons. Des femmes de différents pays, de différentes cultures et traditions viendront enrichir ce dialogue interculturel qui se veut un moyen de rapprochement entre intellectuels, de part et d’autre de l’espace commun qui nous unit, la Méditerranée».

La matinée d’hier a été caractérisée par le passage de six auteurs qui, à tour de rôle, ont débattu sur «Le récit de vie comme expression de la réalité». Dans sa communication intitulée «Revivre en écriture», l’universitaire oranaise Fatima Bekhai a indiqué que le monde est saturé d’informations et d’images souvent partielles, de clichés réducteurs. La littérature permet d’avoir une autre approche de l’autre. La connaissance réduit l’appréhension. «Au XIIe siècle, confie-t-elle, Ibn Rochd s’inquiétait déjà de la condition des femmes. A l’époque, la culture était strictement conjuguée au masculin alors que des voix de femmes existaient.»

Les sociétés ont évolué. Les conteuses étaient recherchées et respectées. «Les poétesses de grand talent qui ont contribué à la pensée, si on les admirait, on ne souhaitait pas le déploiement de leur don hors des murs de la maison. C’était une manière insidieuse et détournée de distiller toute création féminine. Cela a permis aux femmes de construire l’imaginaire.» Pour la conférencière, les femmes ne se contentent plus de raconter, mais elles écrivent et se font éditer. Le phénomène a commencé après la Seconde guerre mondiale quand la gent féminine a eu accès à l’éducation.

«En Algérie, dit-elle, avant la colonisation, la majorité des femmes n’était pas analphabètes. Peut-être que certaines ont écrit des choses et que les hommes se les sont appropriées. Les femmes ont eu accès à l’espace public. En effet, après l’indépendance, elles ont investi tous les créneaux, notamment la littérature. Aujourd’hui, elles dévoilent ce qui était chuchoté par le passé. Elles revivent à travers l’écriture. Ce sont des bâtisseuses de mots.»

Absente de la rencontre, la communication de l’Autrichienne Anna Kim a été lue aux présents. Partant du personnage central d’un grand classique autrichien, incarcéré pendant la guerre, Anna Kim estime qu’une personne disparue est représentée par une photo. Son passé est occulté. Après avoir terminé un de ses romans axé sur les conséquences de la guerre, les mots qu’elle a utilisés alors avaient un sens différent. Anna Kim a reflété le sens des mots. «Plus les mots sont forts, plus ils ont un lien avec la fidélité», argue-t-elle.
Dans son intervention «Que font les femmes des histoires de vie ?» la sociologue Fatima Oussedik a soutenu que le travail d’écriture n’est jamais solitaire.

L’écrivaine tchèque Tereza Bouckova a, dans sa communication «Une raison à soi», fait une réflexion sur son œuvre 82 ans après le récit Une Chambre à soi de Virginia Woolf, fait le parallèle entre sa vie privée et le roman de Virginie Woolf. Selon elle, ce qui se passait dans les années 1928 s’applique de nos jours. Il est impératif de ne pas renier les valeurs. L’écriture de V. Woolf est fragmentée ; elle replace les choses dans son contexte. En partant de sa vie d’écrivaine, Tereza le le voile sur sa vie de mère. Une vie de mère qu’elle ne regrette point, même si V. Woolf soutient que les meilleures auteures n’ont jamais eu d’enfant.

La conférencière a dénoncé les difficultés d’écrire sans subir les pressions des hommes. Selon elle, si Virginia Woolf disait que les femmes qui ont écrit de beaux livres n’ont pas eu d’enfant, Tereza Bouchova dira alors : «Moi j’ai eu trois enfants.» Le roman doit être accordée au corps.Il est à noter que la journée d’aujourd’hui s’annonce des plus riches. Plusieurs communications sont attendues, dont «Forces et périls de l’autofiction» de la Tusinienne Azza Fillali, «Expressions au féminin» de l’Algérienne Zineb Laouedj, «Faits divers» de la Belge Françoise Lalande et «Récit de vie aux prises de l’écriture» de la Marocaine Rachida Madani.

Nacima Chabani
in: El Watan internet 19 octobre 2010
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Téréza Bouckova est une self-made-woman. Elle est auteure, nouvelliste et scénariste tchèque. Elle a été censurée dans les années 1980, car dissidente, affranchie et réfractaire au pouvoir de l’époque




- Vous venez de participer aux 2es Rencontres euromaghrébines des femmes écrivaines à Alger…


Oui, cette rencontre est une première pour moi.



- Une expérience, un échange…


Oui, j’ai participé au thème portant sur le récit de vie. Donc, sur la réalité de la vie. Je crois que les auteures algériennes ont énormément besoin d’espaces pour le dialogue afin qu’elles puissent s’exprimer et justement trouver leurs réalités à elles. Donc, c’était beaucoup plus un dialogue interalgérien qu’euroalgérien ou encore euromaghrébin. C’était plus un dialogue qui relevait de la réalité algérienne. Mais c’était très intéressant pour moi de déclencher ce dialogue.


- Les écrivaines européennes et maghrébines ont-elles les mêmes attentes et autres causes de femmes dans la société ?


Cela fait toujours partie d’un débat ou une discussion sur la littérature féminine. Mais, ici, probablement, la possibilité d’expression est une grande distance entre les hommes et les femmes. Mais, en même temps, quand il y a une discussion comme cela, je crois qu’il faut apprécier la littérature et distinguer la bonne de la mauvaise. Et ne pas faire de distinction entre une littérature féminine et masculine. Mais plutôt la qualité des œuvres sans se soucier du genre.


- Existe-t-il des disparités et autres parité homme-femme dans la littérature ?


Il n’y a pas de discrimination. Mais le destin d’une femme est bien évidemment un peu plus différent que celui d’un homme. Et ma contribution aussi était dans le sens que si une femme se décide de fonder une famille, cela paraît aisé. Mais la possibilité de s’imposer dans la littérature et dans n’importe quel autre domaine est beaucoup plus difficile que pour un homme.

- Etes-vous féministe ?


Il y a certains qui le disent à mon sujet. Mais je ne me sens pas du tout comme cela.


- Vous avez été rebelle et dissidente par rapport à l’establishment et l’unicité de pensée en Tchécoslovaquie…


La femme n’était pas l’héroïne principale. Dans la plupart des cas, c’était des hommes, des héros combattant pour la liberté. Et à leurs côtés, il n’y avait pas de femmes braves. Alors qu’elles comprimaient une pression intérieure et autre fardeau de la famille, l’éducation des enfants… Si les femmes n’étaient pas suffisamment fortes, les hommes n’auraient pas pu tenir. Donc, c’était cela le rôle des femmes dans le mouvement dissident et la révolte contre l’establishment.


- Vous avez un regard cursif sans concession. Vous avez même critiqué le président Vaclav Havel…


(Rires). Je pense qu’il est important d’accepter qu’un homme, en général, a aussi des points faibles. Les héros sont quelquefois aussi faibles. Ce ne sont pas toujours des personnages forts.


- Mais tout le monde adore Vaclav Havel…


(Rires). Moi aussi je l’aime et je l’adore. Mais je crois qu’il faut aussi dire que c’est quelqu’un qui a des faiblesses. Et c’est tout à fait normal de les avoir. Et s’il le faut, on doit en parler.


- Vous avez été victime de censure…

J’ai été interdite de publication.


- Qu’est-ce que vous dérangiez ?


Juste ma personnalité, en fait. Peu importe ce que j’écrivais. Parce que j’avais un nom, mes parents et une sorte d’attitude hostile au pouvoir. Cela dérangeait. D’emblée, j’étais éliminée de pouvoir créer ou écrire. Si j’étais magnanime avec le régime, on m’aurait laissé publier mes livres.


- Dans votre trame littéraire, vous déclinez une antinomie alpha vs oméga. C’est le ying et le yang…


(Rires et soupir). C’est une certaine image de la réalité. Une vision de la vie des deux côtés. J’ai toujours aimé voir cette ambivalence. Il n’y a pas que des hommes parfaits, fins…Chacun d’entre nous a cette dualité. Ce qui est intéressant, c’est de voir toujours ces deux côtés et de faire une sorte d’équilibre entre le bon et le mauvais. C’est-à-dire qu’il ne faut pas voir que les vertus, la bravoure, le courage. Mais aussi le côté obscur.


- Vous avez une écriture autobiographique, narrative et parfois satirique…


Parce que je fais partie des auteurs qui expriment ce qu’ils ont vécu. Si les gens pensent tout ce que j’ai écrit, est la vérité générale… Bien évidemment, j’adapte à mon objectif littéraire et scénariste le récit et l’autobiographique.



- Justement, vous êtes aussi scénariste…


Oui, j’ai écrit deux scénarios. Pour un roman, il faut très probablement que du talent. Et pour un scénario, il faudrait le métier.



- Vous avez une actualité…


Je viens de publier un livre de feuilletons. Une sorte de littérature journalistique.
K. Smail
in: El Watan Iternet 21 octobre 2010

lundi, octobre 04, 2010

222- Le 23° destival du livre de MOUANS-SARTOUX


Vendredi 01 octobre
11 heures 30. Je suis dans la grande salle des Beaux livres qui ressemble plus à un chapiteau. On vient de me remettre ma carte d’entrée. Dj. vient de m’appeler pour m’inviter ce soir à l’anniversaire de Fl. CP à répondu à mon message Facebook. Elle m’invite à passer chez elle. Près de moi, sur l’estrade, des élèves se voient attribuer des prix en présence de monsieur Aschéri maire de Mouans-Sartoux.
Midi. Maïssa Bey me fait signe. Elle me présente madame Marie-Louise Gourdon (commissaire du festival, adjointe à la culture et conseillère générale des Alpes maritimes),. deux filles qui furent agressées à Hassi Messaoud. Avec l’aide de Nadia Kaci une jeune comédienne elles ont écrit un livre sur leur vécu « laissées pour mortes » Voici ce qui est écrit en quatrième de couverture : « Le 13 juillet 2001, à Hassi Messaoud, ville pétrolifère du Sud de l’Algérie, à la suite d’un prêche virulent de l’imam, près de 500 hommes agressent et torturent plus d'une centaine de femmes au cours d’une expédition punitive.


L’humiliation publique, le mépris de la famille et la peur des représailles succèdent à cette nuit de cauchemar que la plupart des victimes choisissent d’oublier. Mais certaines refusent de se résigner et exigent la condamnation des coupables — Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura se sont battues jusqu’au procès. De leur enfance au sein de familles patriarcales à la naissance de leurs enfants, en passant par leurs mariages, répudiations et divorces, elles relatent la difficulté de vivre hors du joug des hommes dans une société qui connaît de terribles bouleversements. »

Je discute longuement avec Rahmouna,
Fatiha (venu avec son fils) semble plus réservée. Je lui donne mon avis sur les récupérations politiques qui ont été faites en Algérie (en falsifiant les faits), Maissa ajoute « elles le sont encore cette fois-ci ». A l’époque ont avait accusé les islamistes d’avoir fomenté l’agression (dans une affaire similaire, en 1989, il en a été de même. Rabha Attaf a démonté la mécanique In : L'Algérie en contrechamps, Peuples Méditerranéens, janvier-juin 1995 L’affaire de Ouargla, mythe fondateur du discours de l’éradication.) [Cf plus bas l'article de El Watan]
En me dirigeant vers le « chapiteau » principal je croise monsieur le maire. Je le félicite pour ces formidables moments de rencontres et d’échanges. Sur la centaine de stands, l’un est tenu par un ancien de Révolution africaine (FLN) et de Saout Echaab (communiste), un admirateur de Ceausescu qui ne le revendique plus, cf. Révolution .Africaine du. 07/07/89 par exemple : Lazhari Labter.
Je regrette de ne pas avoir pris plusieurs exemplaires de L’Amer Jasmin… Mouans Sartoux est une belle ville mais curieuse, après avoir tant marché on aspire à une boisson fraîche (ou pas). Dans tous les villages de France vous trouverez un bar tous les dix mètres, sauf ici ! Des brasseries, des restaurants, des pizzaïolas, des kébabs, des sandwicheries, oui, mais point de bar.








Le seul, l’unique dans le centre est le Café de la paix. Je retourne au Camping-car, sur le chemin, au Petit Casino j’achète un Gaillac (3.80). Le véhicule est garé à une cinquantaine de mètre du centre, à l’intérieur d’un ensemble d’immeubles bas. France-Culture. Je prends une part de Pizza au chèvre qui me reste (achetée et partiellement consommée hier à Aiguilles, 8.50). En Amérique centrale le président équatorien Raphael Correa est sorti sain et sauf de la tentative de putsch. Je repars dans l’espace principal où je revois M. Bey dans le stand des éditions de l’Aube. Elle m’interroge sur son livre « Puisque mon cœur est mort ». Je lui dis que je l’ai acheté mais délibérément pas lu » « Parce que difficile ? » « Non, parce que j’écris un roman don le contenu est plus ou moins similaire, ton roman je le lirai une fois que j’aurai achevé le mien. »
J’appelle CP. Nous sommes contents tous deux de nous retrouver après une absence de plus de dix ans. CP je l’ai connue à Varsovie, en 1974. Nous sommes devenus et restés amis depuis. Nous sommes convenus de se retrouver à la gare Saint Augustin (Nice).
Nadia Kaci est au café littéraire ainsi que Catherine Cabrol. Toutes deux traitent de la maltraitance des femmes dans tous les pays. L’Algérie pour ce qui est de Nadia Kaci, précisément Hassi Messaoud. Elle déclare « les femmes sont désignées comme bouc-émissaires, de façon à ce qu’elles épongent la colère du peuple face à l’oppression. Les femmes sont ciblées par des lois qui légitiment l’injustice. » (cf Le journal du festival n° 18 du 02 octobre). Dans mon intervention je rappelle que c’est bien l’état algérien qui, par ses différentes législations et ses comportements, fit le lit de l’intégrisme (article 2 de la Constitution algérienne, arrachages de centaines d’hectares de vigne sous Boumedienne, revue officielle religieuse El Assala, prêches officiels dans les mosquées durant près de 30 ans) sans bien sûr occulter la responsabilité des islamistes et de la société algérienne conservatrice.)

Dans un stand, mon ami Jean-Marc dédicace à tour de bras. Je lui achète « Nouvelles penchées » qu’il me dédicace (ed Les enfants rouges), un recueil de récits graphiques.
J’arrive à Nice St Augustin à 18H45 après une heure de voyage. Arrêt à toutes les stations. CP me présente son ami M. agréable soirée. Très belle vue sur la Méditerranée.









Samedi 2 : Il a fait très chaud cette nuit. Quelques nuages ce matin. Se disperseront. Leur voyage en Europe de l’Est, les miens…
Je les quitte à midi (à 33 secondes près je ratais le TER, problèmes avec le distributeur de billets…). Trois œufs au plat dans le camping-car puis direction la salle Léo Lagrange. Archicomble. Plus de 300 personnes. Je suis moi-même assis à même le sol, devant le premier rang. Lorsqu’elle apparaît, un tonnerre d’applaudissements l’accueille, des hourras fusent de la salle., c’est Florence Aubenas.



Elle parle avec un brin d’humour de l’expérience qu’elle a vécue à Caen et qui a donnée son livre « Le quai de Ouistreham » (ed de l’Olivier). Un témoignage fort pour la défense des « petites gens » C’est une magnifique communicatrice. Depuis son accueil à l’agence pour l’emploi comme « femme larguée par son mari » « comme tout le monde » lui rétorque la conseillère qui la première tombe dans les filets, jusqu’à ces « petites gens » majoritairement des femmes qui dans un laps de temps précis doivent nettoyer les ferries. Pour rechercher une emploi mieux vaut être riche avant d’être pauvre : il faut être équipé pour répondre à des offres, ou bien recevoir… être véhiculé, avoir le net, un téléphone portable… Lorsqu’un spectateur ose évoquer la prise d’otage dont elle a été l’objet en Irak, elle préfère évoquer les otages journalistes de F3 actuellement en Afghanistan. Applaudissements soutenus. Je monte sur l’estrade la remercier et évoquer l’Algérie, 1999… « la rue Myrha oui bien sûr ! »
Au micro on informe de l’arrivée de Wassila Tamzali. De nouveau je rencontre les filles de Hassi Messaoud. Je m’aperçois que j’ai oublié mon magnétophone. Je n’ai plus la même force, le même enthousiasme qu’il y a quelques années. Quelles préoccupations me « malmènent » ainsi ? Qui interviewer. Malika Mokeddem la hautaine s’ennuie. Personne à qui dédicacer ses livres.
16 heures. De nouveau, Léo Lagrange. De nouveau archicomble. « Contre la crise, l’économie sous contrôle ? » avec notamment Suzan George (Attac). Je n’ai pas aperçu Alain Touraine (je suis au dernier rang). 16H15 : « Laissées pour mortes » avec Nadia Kaci, Rahmouna Salah, Fatiha Maamoura (et son fils derrière moi) ainsi que le modérateur (journaliste au Courrier de l’Atlas). Je suis au premier rang de La Strada1. L’accent est mis sur la société conservatrice, sur le prêche de l’imam, la misogynie… mais aussi le Code de la famille de 1984 revisité en 2005. Lorsque Kaci quitte le plateau (autre obligation ?) c’est Maissa Bey qui prend la relève. « Ce livre n’est qu’une partie de notre vécu, un autre est en préparation ». Grande émotion lorsque Rahmouna évoque son frère. Celui-ci a cru les journaux qui l’indexaient comme prostituée (El-Khabar notamment), il a quitté la maison familiale. Lorsqu’il fut victime d’un accident de voiture Rahmouna s’est déplacée à l’hôpital pour qu’il apprenne la vérité. Mais il est décédé avec la certitude qu’elle était prostituée.
Maissa est venue me voir en fin de séance pour me dire combien elle regrette la mauvaise organisation « comment à la fois traduire ce que disent les filles de Hassi Messaoud et intervenir soi même ? ». Il manquait en effet un traducteur pour soulager Nadia Kaci. Devant le cinéma La Strada il y a foule pour l’achat et dédicace du livre « Laissées pour mortes » (ed Milo). Les deux femmes vivent des retombées du livres… sans quoi…
Au café littéraire Hanane El Cheikh (présidente du festival) est tout sourire. [ http://mondalire.pagesperso-orange.fr/hanan.htm: Depuis plus d'une vingtaine d'années, la voix ironique et chaude de Hanan el-Cheikh, romancière arabe de grand talent, s'élève pour dévoiler la duplicité d'une société crispée sur son image de rigueur morale pendant qu'elle se livre hystériquement à la transgression des tabous. Née en 1945 dans la communauté chiite du Sud-Liban, Hanan el-Cheikh vit à Londres depuis la guerre civile libanaise, après avoir étudié au Caire et séjourné dans les pays du Golfe. Elle a publié 5 romans et deux recueils de nouvelles. Son oeuvre est traduite en plusieurs langues. Sont déjà parus en France : "Histoire de Zahra" (1999), "Femmes de sable et de myrrhe" (1995), "Poste restante Beyrouth (1995) et "Le cimetière des rêves" (2002). "Londres mon amour. " et Toute une histoire chez Actes Sud ]. Je quitte pour aller respirer à l’extérieur. Légèrement frisquet. A 18h35 sur France Info on apprend que l’OLP réuni à Ramallah réaffirme l’arrêt des négociations avec Israël tant que les colonies continuent. Il y a cinq minutes j’ai appelé M. à Bobigny. Tout va bien dit-il. « El H. est à Arzew. Il veut pêcher mais n’a pas de pied à terre… » Je pense à DJ. IL ne répond pas. Je voulais lui soumettre l’idée de réaliser un reportage sur les femmes violentées à Hassi Messaoud. Reprendre toute l'affaire depuis le début.
Je prends un verre et repars au « chapiteau » principal. Je dis à N. Kaci que cela pourrait bien faire l’objet d’un docu télévisé. Je pense à DJ. que je n’ai pu avoir il y a quinze minutes, pour ces mêmes raisons. Je veux dire que j’ai l’intention de lui en dire un brin. Kaci me demande alors de contacter l’attachée de presse. Sophie B.
Je suis au café littéraire. Devant l’estrade. C’est en direct sur F3. Après le soir3 arrive sur l’estrade toute la pléiade des invités, appelés chacun par son nom au micro par M.L Gourdon : Guy Bedos, Sabati James, Susan George, Hirsch, Kaci, Rahmouna, Fatiha, Hanane El Cheikh, monsieur le Maire qui se félicité qu’en cette journée de grève nationale, sa ville s’est mobilisée… Puis. Puis… arrive discrètement sur ma droite un gus armé d’un bel appareil photo. Il fait du coude, hésite, met un pied sur l’estrade, puis hésite encore. Il met l’autre pied. Il prend une photo, une deuxième, réajuste son appareil, regarde à droite puis à gauche. Puis devant. Prend une troisième photo. Il s’est créé un espace. Il ne prend plus de photos. Il est parmi les invités. Il s’est invité. Il a réussi son mensonge. Sans scrupule aucun. J’ai honte pour lui. C’est L. Labter. Le maire Aschiéri nous invite à la collation : jus et tapenade. Rendez-vous est donné au parc du château pour voir et entendre jouer L’Orchestre régional de Cannes-Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Je choisi un petit restaurant d’une voie en retrait. Pas mal de monde. Puis rejoins le parc. J’y rencontre Jean Marc. Pour finir la soirée je me dirige à La Strada2 voir « Viva Laldjérie » de Nadir Moknèche avec Nadia Kaci et une actrice qui s’est une petite place au soleil ici. Je l’ai connue à Oran (au Casino de Canastel), il y a de cela une vingtaine d’années… Le film n’est pas terrible. Une histoire de prostituées, de cabarets, de liberté… Un mélange pas réussi.
Dimanche 3
Au café littéraire Malika Mokeddem vente son « Je dois tout à ton oubli », les mêmes rengaines, l’Algérie, machisme, la tradition, la femme récluse… tout ce qu’aiment les éditeurs français. A propos de l’Algérie justement, j’assiste au débat à La Strada2 : « Algérie, peut-on guérir de son histoire ? » avec Wassila Tamzali, Fatima-Besnaci-Lancou, Pierre Joxe, Lazhari Labter et Maissa Bey qui n’était pas prévue. Il y a quelque chose d’insoutenable dans cette tentative récurrente à mettre sur les mêmes plans (parfois avec intelligence hélas, comme ce soir de la part surtout de Besnaci), l’état colonial français et les colonisés algériens. Mettre sur le même plan Aussasseres et Amirouche… Il y a de la vulgarité dans l’air. On met tout les harkis dans le même sac « ils n’ont pas choisi ! » Trop facile et inexact lorsqu’on les voit parader le 14 juillet aujourd’hui encore, fiers de leur passé dans l’armée meurtrière. Même Maissa Bey s’est laissée emporter par un inadmissible « dans cette guerre on ne peut voir qui était victime, qui était bourreau ». Wassila évoque l’assassinat de son père par une jeune recrue du FLN. « La grande douleur des harkis, dit Besnaci est d’être rejetés par les algériens ». L’intervention de Labter est plus acceptable, les massacres à l’Est du pays et la prise de Laghouat en 1852. Même s’il a tenté un parallèle outrancier avec les attentats des années 90, même s’il s’est attardé sur son stand « venez voir, vous y trouverez le dernier ouvrage « le huitième homme de Tiberhine ». Joxe a évoqué les « enfumades » de Bugeaud « Il faut que les français regardent la partie sombre du passé colonial français ». Un vieux monsieur au fond de la salle (200 personnes ?) insiste pour prendre la parole « en tant qu’historien », l’animateur lui demande de patienter, et qu’il aura « la parole en tant qu’historien ». On rit. Ce vieux monsieur c’est le professeur André Nouschi (88 ans),

le natif de Constantine, l’historien de renom qui met les points sur les i « au cœur du colonialisme il y a la négation de l’autre ». « Il est triste de constater que les positions de François Caron ( ??) (un historien colonialiste) sont reprises aujourd’hui avec la création de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, avec le soutien de nombreux politiques. Il est très chaleureusement applaudi. A la fin du débat plusieurs personnes ont regretté qu’il ne fut pas parmi les invité. « C’est lui qui aurait dû être sur l’estrade » A l’extérieur je me présente à Tamzali « les années 90, Alger, le FFS… »

Nous étions dans la même galère (bateau) Elle me dit qu’elle se trouve bien aujourd’hui dans la périphérie, en « réintégrant le groupe de ceux qui n’ont aucun pouvoir, les chercheurs, les universitaires… » En allant au camping-car je rencontre Martin Hirsch.










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El Watan Dimanche 12 décembre 2010

L’ouvrage Laissées pour mortes, le lynchage des femmes de Hassi Messaoud
Prix des Nouveaux droits de l’homme

Ce prix, attribué par l’ONG les Nouveaux droits de l’homme, est «une distinction du sang, celui que nous avons versé du fait du fanatisme et de l’intolérance», nous a déclaré Rahmouna qui, avec Fatiha, ont témoigné dans le livre écrit par Nadia Kaci, Laissées pour mortes, le lynchage des femmes de Hassi Messaoud (éditions Max Milo, 2010).

Paris (France)
De notre bureau


Le 27e prix littéraire annuel des Nouveaux droits de l’homme – une ONG membre de la Commission française consultative des droits de l’homme avec statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies – a été décerné lundi soir, lors d’une cérémonie au ministère de la Culture, à Laissées pour mortes, le lynchage des femmes de Hassi Messaoud de Nadia Kaci. En l’absence du ministre, Frédéric Mitterand, en déplacement en Inde avec le président Sarkozy, c’est son directeur de cabinet qui a remis la distinction à l’auteure du livre et aux deux principales victimes-témoins. Ce prix a déjà été attribué au biologiste Jacques Testard, aux écrivains Amadou Kourouma et Ismaël Kadaré, à Geneviève Antonioz-de Gaulle, à Eric Orsenna et, l’an dernier, à René Guitton pour Ces Chrétiens qu’on assassine.

A souligner que l’artiste Nassima a, par sa présence à cette manifestation, exprimé son soutien aux femmes victimes de violences. C’est en pleurs que Rahmouna et Fatiha ont accueilli cette preuve matérielle que le drame qu’elles ont subi n’est pas «une affabulation» ni «un mensonge» mais «une reconnaissance». «Nous avons sacrifié nos vies, nos enfants, pour parler», souligne Rahmouna. Et Fatiha d’enchaîner : «Nous n’avons pas l’intention de nous taire.» «Nous sommes émues parce que pour Rahmouna et Fatiha, témoigner a été un chemin long et douloureux. Elles ont été peu reconnues et soutenues par rapport à ce qu’elles ont enduré», intervient Nadia Kaci.

«Au début de ma réflexion, je pensais que c’était de l’indifférence vis-à-vis des femmes, aujourd’hui je constate que c’est une volonté politique d’orienter la violence vers les femmes, cette violence est, pour les hommes, un exutoire à leurs frustrations et à leur malvie.» «Ce livre est une alerte.» «On a été accusées d’être des menteuses, des manipulatrices.» «Aujourd’hui, c’est une reconnaissance.» Bravant les tabous et les interdits, Rahmouna et Fatiha ont témoigné publiquement du lynchage dont, avec une quarantaine d’autres femmes, elles ont été victimes dans la nuit du 12 au 13 juillet 2001, dans le bidonville d’El Haïcha, à Hassi Messaoud où elles vivaient, à la suite d’un prêche virulent d’un imam intégriste. Ces femmes, que l’imam a désignées comme «prostituées» parce que vivant seules sont, cette nuit-là, la proie d’hommes déchaînés.

Rahmouna, mère de famille divorcée, était femme de ménage et cuisinière. Fatiha avait elle aussi un emploi modeste. Elles avaient quitté leur région natale, comme d’autres femmes, à la recherche d’un travail pour subvenir aux besoins de leurs familles et pour échapper au terrorisme. Comédienne et femme engagée, Nadia Kaci a suivi leur combat et a publié en France leur témoignage en leur prêtant sa plume Ce drame a également été rendu public par la presse algérienne. El Watan, par les enquêtes, reportages et comptes-rendus de Salima Tlemçani, l’a suivi de près. «Au viol et à la torture devait s’ajouter, pour ces femmes, le calvaire d’être rejetées par leurs familles et condamnées par l’opinion publique.» «Chaque fois qu’on veut rabaisser, humilier ou nuire à une femme, on la traite de prostituée», nous affirmait Nadia Kaci dans un entretien à la sortie du livre (El Watan du 8 mars 2010, ndlr).

A l’issue d’un procès, en 2004, trois hommes sont condamnés à des peines de prison – huit, six et trois ans respectivement – tandis que six autres sont acquittés. Vingt condamnations à vingt ans, quatre à dix ans et une à cinq ans l’ont été par contumace. Ces coupables-là courent toujours. Le drame d’El Haïcha montre combien la condition des femmes, en Algérie, est précaire, voire sans protection réelle et efficiente. Le nombre d’agressions dont elles sont quotidiennement l’objet est en augmentation. Sans que cela suscite l’indignation de la collectivité nationale ni celle des pouvoirs publics.

Le code de la famille qui fait de la femme une mineure à vie et qui peut être répudiée à n’importe quel moment est, à cet égard, dévastateur tant il fragilise les femmes et leurs enfants et, par extension, la société dans son ensemble. La sonnette d’alarme n’a-t-elle pas été tirée maintes fois par des spécialistes et des professionnels avérés ? L’autisme des gouvernants n’est pas moins dévastateur.

Nadjia Bouzeghrane
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