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jeudi, juin 30, 2011

264 - Boualem SANSAL nous montre la Rue Darwin



Ferai-je le malin comme je l'ai lu, ferai je, disais-je, le malin en vous disant (bis) que je suis au regret de supprimer les commentaires que j'avais initialement postés ici-même et concernant le futur roman de Boualem Sansal à paraître le 15 septembre à la demande de....  ?
Non je ne le ferai pas.


Autrement rien de neuf. Attendons pour voir. Demain il fera jour.

mercredi, juin 22, 2011

263 - Boualem Sansal: Prix de la paix des libraires allemands

La décision a été rendue publique jeudi 9 juin: 
c'est l'écrivain algérien et francophone Boualem Sansal qui recevra le prix de la paix des libraires allemands lors de la Foire du Livre de Francfort, le 16 octobre prochain. On salue en lui l'audace de la critique, le refus des tabous et les efforts en faveur d'une meilleure compréhension entre les peuples. Un choix très politique, à l'heure du "printemps arabe" et de l'impasse du processus de paix israélo-palestinien.

L'Organisation des libraires allemands n'a pas voulu s'en cacher: le prix de la paix – doté de 25 000 euros et qui sera remis le 16 octobre prochain à l'écrivain algérien Boualem Sansal - a une connotation bien politique. Il doit "lancer un signe en faveur du mouvement démocratique en Afrique du Nord", a déclaré le porte-parole de l'Organisation jeudi 9 juin. L'écrivain algérien, qui a rédigé en français cinq romans et deux essais, peut en effet apparaître à bien des égards comme un guide sur la voie des révolutions arabes et, au-delà de cette sphère géographique, comme le chantre d'une réconciliation entre les peuples.

Le premier roman de B. Sansal, un policier de 400 pages, mûri pendant les années de guerre civile
L'audace de la critique
Les relations opaques entre le gouvernement, l'armée et les services secrets algériens, l'attentisme des puissances occidentales, la cupidité des investisseurs étrangers, les manœuvres des islamistes, des hauts-gradés et des piliers du "pouvoir" algérien: personne n'est épargné par la critique tantôt froide, tantôt acerbe et violente de Boualem Sansal. Celle-ci se fait d'autant plus virulente que l'écrivain tarde à se consacrer à l'écriture.
Né en 1949 dans un village de montagne du Nord de l'Algérie, le jeune Boualem se lance dans des études d'ingénieur à Alger et Paris. Docteur en économie, il est tour à tour enseignant, consultant, chef d'entreprise et haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie algérien. L'économiste songe à prendre la plume au moment de la guerre civile algérienne. Il ne le fera finalement qu'en 1999, avec son premier roman, Le Serment des Barbares, paru à Paris et aussitôt récompensé par le prix du premier roman et le prix des Tropiques.
Ecrire en dépit des menaces
Dès lors, les menaces pèsent sur l'écrivain. Boualem Sansal est peu à peu mis à l'écart, il perd son poste en 2003 mais refuse toutefois de céder aux intimidations et de quitter l'Algérie, comme l'ont fait nombre de ses amis et d'intellectuels hostiles au pouvoir de Bouteflika. Et lorsque Gallimard lui propose d'utiliser un pseudonyme, Boualem Sansal refuse net: "De l'extérieur, on ne peut pas faire une critique sérieuse" rétorque-t-il à son éditeur.
Bien que placé à l'index, Sansal ne renonce pas à l'écriture. Suivront quatre romans et deux essais. Parmi eux,Poste restante, une lettre ouverte à ses compatriotes, et Le village de l'Allemand, qui illustre la volonté de l'écrivain de dépasser tout type de tabou.
C'est dans l'église Saint Paul de Francfort que B. Sansal recevra son prix, doté de 25 000 euros, le 16 octobre prochain
Briser les tabous
Boualem Sansal y met en scène deux jeunes Français d'origine algérienne, habitant en banlieue parisienne. Après la mort de leurs parents, les deux frères découvrent que leur père, mort en héros de la guerre de libération nationale, servait autrefois dans les milices SS et avait travaillé aux camps de Buchenwald et Dachau… Un roman basé sur une histoire vraie, qui met à mal les clichés véhiculés avec la guerre d'Algérie (1954-1962) et brise enfin le silence qui entoure la Shoah en Algérie. Voir un écrivain arabe évoquer ouvertement le génocide du peuple juif pendant la Seconde Guerre mondiale justifie d'emblée le prix de la paix que lui attribue aujourd'hui l'Organisation des libraires allemands, heureux de pouvoir saluer en Boualem Sansal "un romancier passionnant, qui travaille avec beaucoup d'esprit et de sensibilité à la rencontre des cultures, dans le respect et la compréhension mutuelle entre les peuples".
Dorothée Bellamy

Le 09/06/2011

in: http://www.lagazettedeberlin.de/6657.html

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Littérature / Algérie / Allemagne -  Article publié le : vendredi 10 juin 2011 - Dernière modification le : vendredi 10 juin 2011
L’écrivain algérien Boualem Sansal va recevoir le Prix de la paix des libraires allemands
Boualem Sansal recevra le prestigieux Prix de la paix des libraires allemands en 2011.
Getty Images/Ulf AndersenPar Siegfried Forster
Après l’Algérienne Assia Djebar en 2000, c’est à nouveau un écrivain algérien qui recevra le prestigieux Prix de la paix des libraires allemands, doté de 25 000 euros, a déclaré l’Organisation des libraires allemands ce jeudi 9 juin 2011.
En récompensant cet intellectuel qui « critique ouvertement la situation politique et sociale » en Algérie, l'Organisation des libraires allemands entend apporter son soutien au mouvement pour la démocratie en Afrique du Nord, a déclaré son président, Gottfried Honnefelder, à Berlin.
Dans une première réaction après sa nomination, Boualem Sansal a déclaré : « Je n’y croyais pas. J’ai cru que c’était une blague ». Dans une interview à Boersenblatt.de, la revue de l’Organisation des libraires allemands, Sansal a dédié son prix aux révolutions dans les pays arabes. « Le prix arrive à point nommé. Les gens dans les pays arabes luttent pour la liberté – et la paix est pour eux la liberté. »
Boualem Sansal est né en 1949 à Alger. Il a fait des études d’ingénieur en Algérie et en France et obtenu un doctorat d’économie. Son premier roman publié en 1999, Serment des barbares, dépeint la difficile réalité algérienne. Aujourd’hui âgé de 61 ans, l’écrivain est connu pour son engagement politique et citoyen.
La Shoah racontée au public arabe
Sansal compte parmi les rares écrivains algériens connus et censurés qui ont choisi de rester vivre et travailler en Algérie. Après avoir été haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie, il a été licencié en 2003 à cause de ses critiques contre le pouvoir en place. Après la sortie de son livre Poste restante il a été menacé et insulté.
Dans son roman Le Village de l’Allemand, il raconte la Shoah au public arabe, basé sur l’histoire réelle d’un Allemand devenu héros de la révolution algérienne et assassiné par les islamistes du GIA. Publié en 2008, ce livre a été également censuré en Algérie. Selon ses propres dires, son leitmotiv restera : « Je fais de la littérature, pas la guerre ». Le Prix de la paix des libraires allemands lui sera remis le 16 octobre 2011 à la Foire du livre de Francfort.


in:
http://www.rfi.fr/europe/20110609-ecrivain-algerien-boualem-sansal-va-recevoir-le-prix-paix-libraires-allemands


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Litterature : Les libraires allemands distinguent Boualem Sansal


Boualem Sansal a obtenu le prix de la Paix des libraires allemands. C’est le deuxième écrivain algérien à l’obtenir  depuis Assia Djebar en 2000. Le président de l'Organisation des libraires allemands Gottfried Honnefelder a déclaré que cette distinction récompensait un intellectuel qui « critique ouvertement la situation politique et sociale » en Algérie. le prix entend ainsi apporter son soutien au mouvement pour la démocratie en Afrique du Nord.


Dans une interview à Boersenblatt, la revue de l’Organisation des libraires allemands, l’écrivain Sansal a d’ailleurs dédié son prix aux révolutions dans les pays arabes. « Le prix arrive à point nommé. Les gens dans les pays arabes luttent pour la liberté – et la paix est pour eux la liberté. »


Boualem Sansal est né en 1949 à Alger. Il a fait des études d’ingénieur en Algérie et en France et obtenu un doctorat d’économie. Son premier roman publié en 1999, Le serment des barbares, dépeint la difficile réalité algérienne. Son dernier roman n’est certainement pas étranger à la remise de ce prix en Allemagne.


En effet, dans Le Village de l’Allemand (2008- Paris, Gallimard), il raconte le massacre dans les camps de concentration nazis où ont notamment  péri des milliers de juifs. L’histoire est basée sur l’histoire réelle d’un Allemand devenu héros de la révolution algérienne et assassiné par les terroristes islamistes du GIA dans les années 90. Le Prix de la paix des libraires allemands lui sera remis le 16 octobre à la Foire du livre de Francfort.


Walid Mebarek


In: El Watan 10 juin 2011
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Voici les trois mots de l'APS:
APS : Algérie Presse Service
L’Algérien Boualem Sansal reçoit le "prix de la paix" des libraires allemands
Allemagne-Algérie-littérature /
Allemagne-Algérie-littérature
L’Algérien Boualem Sansal reçoit le "prix de la paix" des libraires allemands
BERLIN - L’écrivain algérien Boualem Sansal recevra cette année le prix de la paix décerné par les libraires allemands, a annoncé jeudi cette organisation à Berlin.


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A LA MEMOIRE DE MOHAMED BOUAZIZI

Par BOUALEM SANSAL

"Cher frère,
Je t'écris ces quelques lignes pour te faire savoir que nous allons plutôt bien mais ça dépend des jours, parfois le vent tourne, il pleut du plomb, la vie nous échappe par tous les pores. A vrai dire, je ne sais trop où on en est, quand on est dans la guerre jusqu'au cou, c'est à la fin qu'on voit s'il faut faire la fête ou porter le deuil. Et là, vient la question cruciale : faut-il suivre ou précéder les autres ; les conséquences ne sont pas les mêmes, une victoire peut tourner court et il est des défaites qui sont le début de vraies grandes victoires. A ce jeu de la mort surprise, il y a le temps d'avant et il y a le temps d'après, mais il y a un seul instant, extraordinairement fugace, pour se décider.
Regarde ces pauvres Yéménites qui se sont réjouis du départ en civière de leur misérable Saleh. Ils se sont dit : il est mort, nous allons enfin vivre. Mais le monstre est revenu à la vie, fou de colère, il sera sans pitié. Les Occidentaux hésitent à le lâcher. Pas de relève à l'horizon, il n'y a que des caciques à l'affût, des djihadistes en embuscade et des tribus armées jusqu'aux dents, on ne fait pas une démocratie avec ça.
Pareil ailleurs, les gens ne savent sur quel pied danser, Kadhafi désespère l'humanité, il refuse de mourir, Boutef désespère Dieu, il refuse de faire sa dernière prière, et que dire de l'Assad, il désespère la Mort, il tue plus vite qu'elle. Qu'il est long le "printemps arabe" et que les jours sont incertains !
Je ne dis rien sur la Tunisie, cher Mohamed, tu es le dernier que je voudrais vexer. Mais tu le sais, les caciques dans ton pays sont comme ça, increvables, malins comme des singes, doucereux comme des assureurs, ils te promettent d'une main ce qu'ils sont en train de t'enlever de l'autre. Ils le tiennent des Phéniciens qui étaient si rusés et si âpres qu'on se demande comment ils ont disparu, si vraiment ils ont disparu.
Bourguiba le grand Suffète n'était que sourires et belles manières, il déshabillait les gens par enchantement. Ce qu'il leur donnait n'était en vérité que choses leur appartenant en propre. Que la femme ait ses droits, quoi de plus naturel. C'est ce qu'il a réussi à faire, donner à la Tunisienne ce qu'elle tenait de Dieu et d'elle-même, la beauté, l'intelligence et la liberté. En Tunisie, on dit "Bourguiba nous a donné...", c'est une erreur, de ces erreurs qui mènent aux dictatures. Si quelqu'un te donne, un autre peut te le reprendre. Le Bourguiba a gardé le pouvoir trente années, autant que le Moubarak et le Saleh, et c'est un Ben Ali, sa créature, qui lui a succédé.
Il est temps d'ouvrir les yeux, il n'y a de liberté que celle qu'on se donne soi-même. Si le successeur de Ben Ali promet la liberté et la démocratie, il faut le chasser, c'est un dictateur. Les Tunisiens ont mieux à faire, n'est-ce pas, que de lui expliquer qu'ils se les sont données eux-mêmes, la liberté et la démocratie, et qu'ils attendent de lui une gestion saine du budget de l'Etat, le reste ne le concerne pas. Donc, pas de discours, pas de religion, pas de trémolos, des actes, point ! Et gare aux notables, ce sont des voleurs de révolutions.
Les autres bandits de la confrérie, les Bouteflika, les Moubarak, les Ben Ali, les Assad et consorts, avaient bien tenté d'imiter Bourguiba, mais n'est pas Bourguiba qui veut, ils revinrent vite à leur vraie nature : le meurtre, la torture, le vol.
Jésus a dit quelque chose comme ça : Celui qui fait le vin n'est pas celui qui le boit. Toi, Mohamed, noble et courageux rejeton de Sidi Bouzid, tu as délivré l'étincelle, ta tâche est terminée, il nous revient de finir le travail. Et, croix de bois, croix de fer, nous le ferons, nos enfants vivront dans la paix que nous leur préparons.
Mais voyons le fond. Celui qui ne sait où aller, peut-il trouver le chemin ? Chasser le dictateur, est-ce la fin ? De ta place, bienheureux Mohamed, tout près de Dieu, tu le sais, les chemins ne mènent pas tous à Rome, chasser le tyran ne donne pas la liberté. Les prisonniers aiment quitter une prison pour une autre, histoire de changer d'air et de gagner un petit quelque chose au passage. Et là, tu vois, j'ai peur pour nos révolutionnaires, ils manquent de perspective. En Algérie, en 1988-1989, nous avons chassé le dictateur Chadli, qui n'était pas le pire des bandits, et qu'avons-nous fait après, nous nous sommes jetés dans les bras des islamistes, nous nous sommes adonnés à corps perdus au trabendo, cette petite contrebande cancérigène, et, petits ruisseaux faisant les grandes rivières, nous avons fabriqué des trafiquants planétaires. Est-ce tout ? Que non, que non, nous avons abandonné nos enfants, ils sont allés nourrir les poissons en mer ou se sont perdus dans les cloaques de l'émigration clandestine, sur une promesse de vie stérile et courte. Et tout fiers, nous nous sommes acoquinés à un Bouteflika, le pire des bandits sur terre.
Cher Mohamed, si tu pouvais revenir, dis-leur que tu ne t'es pas immolé pour ça, tu voulais que la dictature et ses ombres, toutes ses ombres, le clanisme et le népotisme comme des camisoles de force, le racisme d'Etat et l'antisémitisme comme seul regard sur le monde, l'islamisme ou l'exil comme seules espérances, que toutes ces choses mortifères disparaissent de notre chemin et cèdent la place à la vie propre, tranquille, chaleureuse, amicale.
Cher Mohamed, cher héros, il n'est pas donné à la même personne d'allumer le feu et de cuire la soupe, mais il est juste que tous y trempent leur pain. Il nous faut nous libérer de nos maux mais aussi soigner les mesquins, les détraqués, les imams fous, les trafiquants. Sinon, on remplacera une élite ignare et corrompue par une élite jargonneuse tout aussi profiteuse, vivant pour l'essentiel en Occident où la démocratie locale les accepte mal, car telle est la démocratie, elle ne reconnaît que les siens, ceux qui se sont battus pour elle. J'ai l'impression que les choses se passent ainsi dans ce monde arabe qui tente de se réveiller de plusieurs siècles de rêvasseries et de despotisme, mais c'est vrai que dans le fracas et la fumée des répressions, on distingue mal le vrai du faux. L'urgent est impérieux, il empêche de voir loin.
C'est cela que je voulais te dire, cher Mohamed. Si tu pouvais te manifester pour nous éclairer, ce serait bien. Là-haut, vous savez l'avenir du monde."

Boualem Sansal

in:
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/06/14/boualem-sansal-romancier-algerien-a-mohamed-bouazizi_1535844_3212.html
Boualem Sansal, romancier algérien : "A Mohamed Bouazizi"    Article paru dans l'édition du 15.06.11




mercredi, juin 15, 2011

261 - Auto-fiction


3e rencontre algéro-europénnne des écrivains
L’autofiction dans la littérature contemporaine

La troisième édition de la Rencontre algéro-europénne des écrivains se déroulera le 13  de ce  mois à l’hôtel  El Djazaïr, à Alger, et regroupera treize écrivains algériens et européens.
Organisée par la délégation de l’Union européenne en Algérie, cette rencontre est placée cette année sous le thème : «L’autofiction dans la littérature contemporaine». Lors d’un point de presse, animé hier matin au siège de la délégation de l’Union européenne, la chef de la délégation de la Commission européenne en Algérie, Laura Baeza, est revenue sur les grandes lignes de cette rencontre.
Une rencontre qui regroupe treize écrivains, dont six Algériens,  une Finlandaise, un Hongrois, une Suédoise, un Espagnol, une Autrichienne, un Roumain, un Grec et un Belge. «Cette année encore, dira la conférencière, la délégation, avec le concours des services culturels des Etats membres, a décidé de regrouper des écrivains des deux rives de la Méditerranée pour un dialogue culturel et un échange d’expériences dans le domaine de l’écriture. Un espace qui nous permet de mieux connaître ces ciseleurs du verbe qui, à chaque fois, nous gratifient de romans fabuleux où certaines réalités sont très présentes… Pour la troisième année consécutive, des écrivains algériens et européens de renom se retrouveront pour débattre d’un thème qui, à mon sens, trouve toute sa place sur la scène littéraire.»
Ecrire avec les deux mains
Cette rencontre se déclinera sous la forme de deux ateliers conférences : «Le roman personnel et le récit de fiction, quelle place pour l’autobiographie et le Moi imaginaire ? Les frontières du fictif face à la réalité». Selon la conférencière, le thème a été choisi de par la place qu’occupe l’autofiction dans la littérature contemporaine. «L’autofiction s’est imposée au lecteur comme forme littéraire qui met en avant la vie de l’écrivain. A la lisière de l’autobiographie et du roman de fiction, des écrivains puisent dans leur quotidien pour nous livrer des histoires complexes où le Moi trouve toute sa place. Entre le réel et l’imaginaire, ce genre d’écriture nous fait voyager et partager des moments forts de la vie des auteurs.» Tout au long de cette journée, des écrivains algériens de talent se succéderont pour animer des conférences à thème intéressant.
En effet, Anouar Benmalek, Noureddine Saâdi, Fatima Bakhai, Amine Zaoui, Yamilé Haraoui-Ghebalou et Hamid Grine sont les noms conviés pour cette troisième conférence. A titre d’illustration, Amine Zaoui présentera une communication intitulée «Ecrire avec les deux  mains». Pour sa part, Nourreddine Saâdi axera son discours sur «L’auto-machin, comme disait Aragon». Quant à l’universitaire Yamilé Ghebalou Haraoui, il développera la problématique des traversées fictionnelles et l’inventivité autobiographique dans quelques œuvres contemporaines françaises et francophones. Hamid Grine proposera une communication portant sur le vécu comme  matériau de romans, tandis que Fatima Bekhai lèvera le voile, un tant soit peu, sur les mille et une astuces pour se dire sans se révéler. Les écrivains européens proposeront, à l’image de leurs confrères algériens, des communications pointues.
La Suédoise, Agneta Pleijel, s’intéressera à l’autofiction : les moyens d’écrire l’histoire en combinant les vrais faits et l’imagination. Le Grec, Petros Markaris, donnera un éclairage sur la ville : le lieu réel et imaginaire dans le roman polar. L’Autrichienne, Doris Gertraud Eibi, renseignera sur «Le Moi au présent et l’histoire».

Nacima Chabani

In El Watan 12 juin 2011Pour le romancier Amin Zaoui, il est difficile d’écrire «le Je» dans «tous ses états» dans le monde arabe et musulman.
La frontière entre l’autobiographie et la fiction est souvent mince. Le critique littéraire et romancier français, Serge Doubrovsky, a inventé un concept qui réunit les deux : l’autofiction. Ce genre littéraire, qui continue à diviser les académiciens, a fait l’objet, hier, à l’hôtel El Djazaïr à Alger, d’un débat organisé par la Délégation de l’Union européenne (UE) et des services culturels des ambassades des Etats membres. Une quinzaine d’écrivains et de chercheurs algériens et européens sont intervenus sur le thème de «L’autofiction dans la littérature contemporaine». «Un thème qui trouve sa place dans le cadre du dialogue interculturel. L’autofiction est à la lisière de l’autobiographie et de la fiction. Les écrivains puisent dans le quotidien pour nous livrer des histoires complexes. Entre le réel et l’imaginaire, ce genre d’écriture fait voyager», a estimé Laura Baeza, chef de la délégation de l’UE en Algérie. Elle s’est félicitée de la tenue pour la troisième année consécutive de cette rencontre culturelle.
Le romancier algérien, Anouar Benmalek, a d’emblée relevé qu’il est toujours difficile pour un écrivain d’expliquer «le pourquoi du comment» de la création. Comme il est compliqué d’expliquer l’acte de respiration. «Ai-je une gueule d’autofictionnaire ?» s’est-il interrogé malicieusement. Il a reconnu avoir emprunté des choses à sa vie réelle dans ses différents romans, mais il refuse la littérature du nombril. Anouar Benmalek, qui a analysé les notions du mensonge et de la vérité dans l’écriture, a annoncé la sortie d’un récit personnel dans lequel il revient sur le décès de sa mère, Tu ne mourras plus demain, à paraître au début de l’automne. La dramaturge et romancière finlandaise, Riikka Al-Harja a, pour sa part, tenté d’expliquer la notion de l’autobiographie et est revenue sur la nécessité de connaître la part de la vérité et de l’irréel dans l’écriture.
«Il m’est arrivé de jouer dans les pièces de théâtre dont j’ai écrit le texte. Dans la dernière pièce, j’ai interprété le rôle de l’écrivain, c’est-à-dire moi-même. J’ai expliqué cela au public sur scène», a souligné cette diplômée de l’Ecole supérieure de l’art dramatique de Helsinki. L’universitaire et romancière algérienne, Yamilé Haraoui Ghebalou, a pris comme exemples l’écriture des Algériens Maïssa Bey (L’une et l’autre) et El Mahdi Acherchour (Le Moineau) et des Français Philippe Claudel (Le rapport de Brodeck) et Pierre Michon (Vies miniscules) pour illustrer son propos sur la frontière entre la réalité et l’imaginaire. «L’écrivain doit-il s’imposer des limites pour s’adapter aux normes esthétiques de l’époque ? Ou alors, doit-il le faire librement et à ce moment-là sa vie s’invitra dans la fiction ?» s’est-elle demandée.
La poétesse et romancière suédoise, Agneta Pleijel, a, de son côté, observé que l’autofiction est d’abord un débat académique francophone. «La vérité n’est pas à la surface. Il appartient au lecteur de la trouver», a-t-elle dit. Agneta Pleijel, qui a publié une trilogie romanesque sur sa propre famille, a estimé que le silence demeure le grand thème de la littérature. «Je viens d’une région où l’on vit encore dans la fiction, alors que vous vous vivez dans le réel, dans ce combat pour la liberté et pour les droits», a-t-elle avoué. Marqué par la mort de son père, l’auteur espagnol, Marcos Giralt Torrente, a écrit  Tiempo de vida (Temps d’une vie), salué par la critique comme l’un des dix meilleurs livres publiés en Espagne en 2010.
«J’ai écrit sur la vie de mon père avec une matière vivante. Je ne voulais pas reproduire une photo figée de lui et de la famille», a-t-il dit. Il a prévenu contre «la confusion» qui peut être entretenue entre la réalité et la fiction. «On doit donner des pistes au lecteur pour qu’il fasse la distinction. Même dans la fiction, les faits doivent avoir une cohérence pour être compréhensibles», a ajouté ce critique littéraire du quotidien El Païs. Balzac et Stendhal ont, d’une certaine manière, amené Hamid Grine à l’écriture. L’auteur du Café de Gide a confié comment il écrivait, encore jeune, les moments de sa vie, y compris la découverte des sursauts amoureux, dans un cahier à spirale. «Il me fallait ce mixeur créatif, cette moulinette, pour arriver à la littérature. L’écrivain n’est pas un marionnettiste. C’est un acteur, un compositeur et un réalisateur. Il doit jouer le rôle de chaque personnage», a-t-il souligné.
Sans concession aucune, Amin Zaoui, qui a modéré les débats aussi, a fait une critique acide de la démarche littérature algérienne et maghrébine. Une littérature incapable, à ses yeux, de parler de l’amour tel qu’il est. Ecrire le «Je» «dans tous ses états, tous ses éclats», est, selon lui, difficile dans ce monde «complexe» et «obscurci» appelé monde arabo-musulman. «Un monde qui vit dans une culture dominée par l’hypocrisie. Depuis l’enfance, nous vivons dans le non-dit, dans le non-vu, dans le non- entendu. Et nous, nous continuons à vivre cette situation aberrante et insensée. Dans une société schizophrène, toute œuvre qui veut s’inscrire dans l’autobiographie subit une double condamnation.
L’autocensure viole l’imaginaire et frappe le texte de silence. La censure institutionnelle, aveugle, encercle les textes littéraires  politiquement, religieusement et socialement», a relevé l’auteur de La Soumission. Il a cité l’exemple de l’interdit qui a frappé l’œuvre majeure du romancier marocain Mohamed Choukri, Le pain nu et son propre roman, Le hennissement du corps. D’après lui, la langue arabe est prise en otage par le conservatisme et instrumentalisée par le religieux.
Dans l’après-midi, les débats s’étaient concentrés sur la thématique «Le Moi imaginaire, les frontières du fictif face à la réalité», avec la participation du Grec Petros Markaris, l’Autrichienne Doris Gertraud Eibl, le Roumain Adrian Alui Gheorghe, le Belge Jean
françois Dauven, et les Algériens Fatima Bekhaï et Noureddine Saâdi.
Fayçal Métaoui
In El Watan mardi 14 juin 2011
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jeudi, juin 09, 2011

260 - JORGE SEMPRUN EST MORT




Semprun, à partir de la 15° minute et 30 secondes (sur PUBLIC SENAT avec JM COLOMBANI):

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Jorge SEMPRUN. L'écriture et une vie:
 

C'est l'un des plus grands témoins du XXe siècle qui s'est éteint ce 7 juin. Partisan, déporté, fils de Républicains résistant à Franco, scénariste de près d'une quinzaine de films, dont L'aveu de Costa-Gavras, homme politique et ministre de la Culture espagnol (PSOE) et bien sûr écrivain. Prix Fémina en 1969 pour "La deuxième mort de Ramon Mercader" et Ulysse en 2004 pour l'ensemble de son oeuvre et élu à l'Académie Goncourt en 1996.  

In: http://www.franceculture.com/
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rue89.

Lorsque j'ai sonné à l'interphone de Jorge Semprun, un jour de janvier dernier, il m'a répondu qu'il venait m'ouvrir mais que je devais être patient. De longues minutes ont passé avant que la lourde porte de cet immeuble ancien du VIIe arrondissement de Paris ne s'ouvre, et que je comprenne. Jorge Semprun souffrait atrocement du dos, et c'est quasiment cassé en deux qu'il se déplaçait, en attendant une opération chirurgicale dont il espérait le salut.

Malgré la souffrance, il avait accepté de me recevoir, assumant dignement son rôle de co-parrain du festival « Un état du monde et du cinéma », dont Rue89 était partenaire au Forum des images de la ville de Paris.

J'avais espéré réunir les deux co-parrains, le cinéaste palestinien Elia Suleiman, et Jorge Semprun, pour confronter leurs deux mémoires chargées. Mais j'avais dû les voir séparément, l'écrivain espagnol me donnant rendez-vous chez lui pour ne pas rajouter à ses douleurs.

Une conversation avec Jorge Semprun – car ce fut une conversation plus qu'une interview en raison de sa souffrance – emportait avec elle toute l'histoire du XXe siècle, l'histoire du cinéma et de la littérature, des considérations politiques récentes ou lointaines, et quelques souvenirs personnels parfois piquants.

Cet homme a tout connu, la Résistance en France, le camp de Buchenwald, l'engagement et la rupture avec le communisme, un parcours reconnu dans la littérature et le cinéma, et même une participation active aux années de construction de la démocratie dans son pays, l'Espagne, en tant que ministre de la Culture du gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez dans les années 80.
Amnésie et amnistie

Sa mémoire était celle du siècle, celle de l'Espagne d'abord, où s'est joué le premier round de la Seconde Guerre mondiale. Vivant à Paris, il était très attentif aux débats politiques dans son pays natal, et se félicitait du réveil d'une mémoire volontairement enfouie à la mort de Franco, prix à payer pour une transition démocratique très particulière :

    « Il y a eu amnistie et amnésie. L'amnistie, c'est évident, ça passe par la loi, mais l'amnésie, ça ne se légifère pas. On ne peut pas dire, comme dans l'Edit de Nantes : “Il est interdit de rappeler les troubles du passé”… Ça a trop duré en Espagne, et c'est un signe de bonne santé démocratique qu'on puisse aujourd'hui se permettre le luxe de retrouver la mémoire. »

Jorge Semprun avait justement présenté au festival un documentaire qu'il avait conseillé et dans lequel il figurait, intitulé « Les Chemins de la mémoire », de José-Luis Péñafuerte
Un débat multiple et douloureux dont notre correspondante, Elodie Cuzin, sur son blog Ibère Espace, rend compte régulièrement. C'était le cas i y a quelques jours avec cette polémique autour d'une nouvelle biographie de Franco.

Mais Jorge Semprun connaissait suffisamment son histoire, l'ayant vécue dans sa chair, pour savoir qu'il fallait que tout sorte :

    « Il ne faut pas seulement rappeler les victimes du franquisme, mais il faut aussi rappeler les victimes de la République, le clergé tué par des Républicains, et les victimes du stalinisme.

    Le processus de mémoire est un processus de masse, profond, il n'y a pas d'équilibre qui puisse être trouvé une fois pour toutes. L'important, c'est qu'il est en marche. »

Il m'avait interrogé sur la Chine, qu'il connaissait mal, et qui le fascinait par sa tentative de faire glisser « sous le tapis » tout ce qui gênait dans son histoire :

    « Peut-on maîtriser le processus de croissance que connaît la Chine sans évoquer à un moment ou à un autre le passé ? Il y aura un jour un film ou un roman qui ouvrira les vannes… »

Le cinéma au service de l'histoire

Jorge Semprun a beaucoup fait, dans sa vie, pour alimenter le fleuve de la mémoire. Dans ses livres, mais aussi, on l'a parfois oublié, dans des scénarios qui ont marqué. Il a ainsi travaillé avec le réalisateur grec Costa-Gavras, un autre exilé d'une dictature européenne réfugié à Paris, pour produire trois films majeurs : « Z », « L'Aveu », et « Section spéciale » :

    « Z », consacré à la dictature des colonels grecs, fut le premier, acte fondateur d'une série très politique, reflet de son époque. Le film, avec Jean-Louis Trintignant, reçut l'oscar du meilleur film étranger en 1970 ;
    « L'Aveu », basé sur les mémoires d'Artur London, un ancien responsable politique de Tchécoslovaquie communiste, purgé et soumis à la question avec les méthodes staliniennes. Avec Yves Montand dans le rôle d'Artur London, le film, sorti en 1970, à une époque où le PCF était encore le parti dominant de la gauche, à l'époque du « bilan globalement positif » de Georges Marchais, fit polémique. Il s'en amusait encore, avec le recul de l'histoire :

    « Les dirigeants communistes nous faisaient la guerre car nous nous en prenions à l'idée même du communisme. » ;

    le troisième film de cette collaboration entre Semprun et Costa-Gavras fut « Section spéciale », en 1975, consacré à un tribunal exceptionnel créé par le gouvernement de Vichy pour juger les résistants. Le film, racontait Jorge Semprun, a été mal reçu :

    « On nous a dit, à Costa-Gavras et moi, “De quoi ils se mêlent ces métèques ? ”. »

En janvier dernier, Jorge Semprun se désolait qu'on ne puisse « plus faire de films politiques » aujourd'hui :

    « Mai 68 a créé un public pour des films politiques. Il y a un vocabulaire, des phrases qu'on n'emploierait plus de nos jours. Aujourd'hui, on ferait un film sur un couple de 25 ans, apolitique… »

Pas de nostalgie, juste le constat du passage du temps, du changement d'époque dans laquelle il avait le sentiment d'avoir de moins en moins sa place. C'était en janvier dernier. Jorge Semprun s'est éteint mardi à Paris à l'age de 87 ans. Mais son œuvre immense lui survit.

Quelques jours après notre conversation, Jorge Semprun, visiblement fatigué, participait à la cérémonie d'ouverture du festival « Un état du monde et du cinéma », en compagnie d'Elia Suleiman et de Laurence Herszberg, la directrice du Forum des images. A voir, pour mémoire.


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In: http://www.rue89.com/2011/06/08/jorge-semprun-conversation-autour-de-la-memoire-du-siecle-208404
Témoignage - Jorge Semprun : conversation autour de la mémoire du siècle
Par Pierre Haski | Rue89 | 08/06/2011 | 14H59


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Jorge Semprun : Voyageur de l’humain
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Fidèle à ses engagements et à ses passions humanistes, indépendant d’esprit, Semprún s’est toujours porté au-devant des causes qui le touchaient. Il avait connu l’Algérie probablement lors du tournage du film Z, de Costa Gavras en 1969. Depuis, une belle idylle avec l’Algérie et les Algériens.

Prolongeant son soutien à l’indépendance de l’Algérie, certains de ses scénarios sont d’ailleurs liés, de différentes manières, à la guerre de Libération nationale, comme Objectif 500 millions (1966), de Pierre Schoendoerffer, ou Ah, c’était ça la vie ! (2010) de Frank Apprenderis. Il était revenu à Alger en 2001, pour y préparer l’adaptation au cinéma du roman de Boualem Sansal, Le Serment des barbares, projet qui n’a finalement pas vu le jour. A plusieurs reprises, durant la décennie noire de l’Algérie, il a exprimé clairement sa solidarité et son soutien au peuple algérien, dénonçant les assassinats d’intellectuels, d’artistes et de journalistes, dans un élan d’indignation (un mot qui résonne aujourd’hui à Madrid) qu’il a toujours conservé pour la défense des victimes de toutes sortes et des démunis de la terre.

Voyageur, il l’était assurément de multiples manières. Mais dans l’humain d’abord. Dans une interview de décembre 2008 acccordée à la revue Ulysse, il affirmait : «Le voyage pour moi est une expérience vitale. En réalité, j’ose même dire que toute ma vie est un voyage». Et, mardi dernier, tandis qu’il accomplissait à Paris son ultime voyage, à l’âge de 87 ans, Jorge Semprún – s’il est vrai que l’on voit défiler toute sa vie au point de l’agonie –, a dû passer en revue l’immense voyage que fut effectivement sa vie : voyage à travers les espaces et le temps, voyage entre les classes sociales, voyage entre les grands moments de l’histoire, voyage dans le monde des idées, voyage encore entre la littérature, le cinéma, le théâtre, la poésie et la politique…

Né le 10 décembre 1923 à Madrid, dans une grande famille castillane, Jorge Semprún Maura (le Maure ?), appartenait à une grande famille castillane, attachée aux valeurs de la tradition catholique tout en étant d’une ouverture remarquable. Sa mère était la fille d’Antonio Maura, qui fut par deux fois Premier ministre (1903 et 1907) et son père, José Maria Semprún, avocat et professeur de droit, qui avait été gouverneur des provinces de Tolède et de Santander, fut parmi les rares hommes de son rang à demeurer fidèle au gouvernement du Front populaire en 1936. Durant cette période, qui allait entraîner l’Espagne dans une guerre civile meurtrière, et considérée comme le laboratoire de la Seconde Guerre mondiale, la mère de Jorge brandissait de son balcon luxueux le drapeau rouge du Front ! Avec de tels parents, Semprún a bénéficié, dès son jeune âge, à la fois d’une solide instruction et éducation et d’un esprit non-conformiste.                  

Avec la guerre, la famille nombreuse (sept enfants) s’installe aux Pays-Bas, où le père représente la République espagnole. 
n deux ans, Jorge apprend à la perfection le néérlandais, se préparant déjà à devenir le grand polyglotte qu’il fut. Suit l’exil en France et il entre au prestigieux lycée Henri IV de Paris, brillant élève qui obtient le 2e prix de philosophie au concours national, décroche haut la main son baccalauréat et entre à la Sorbonne pour y étudier la philosophie. A 17 ans, il est déjà habité par la politique et participe à divers manifestations et activités antifascistes. Avec l’occupation allemande, il entre dans la résistance dans le fameux réseau FTP-MOI (Francs tireurs et partisans - Main d’œuvre ouvrière immigrée) et adhère au Parti communiste espagnol en 1942.
Du fait de son engagement, de ses connaissances linguistiques et autres, il est affecté au réseau Buckmaster qui était en liaison directe avec les services secrets britanniques.

Dans les maquis de l’Yonne, il participe aux télécommunications avec Londres, aux parachutages d’armes et à leur distribution aux résistants. Mais, en octobre 1943, il est arrêté par la Gestapo et déporté au camp de concentration de Buckenwald (près de Weimar en Allemagne), expérience terrible qui le traumatisera, au point qu’il s’imposera vingt ans après sa libération un silence, mais qui déterminera profondément ses engagements futurs ainsi que son écriture littéraire centrée sur cette période. Quand en 1992, soit quarante ans plus tard, il revient pour la première fois à Buckenwald, il fait une découverte surprenante. Dans les archives du camp, il découvre sa fiche où figure comme profession, celle de plâtrier. Le déporté communiste, qui avait rédigé ce document sous la garde des SS, avait inscrit «stuckarbeiter» au lieu de «student» comme déclaré, lui sauvant certainement la vie, car l’administration du camp veillait à conserver la main-d’œuvre qualifiée !

Peu avant l’arrivée des troupes alliées, en avril 1945, Semprún participe au soulèvement des déportés. A la fin du mois, il arrive à Paris et, sans doute emporté par son enthousiasme, chute du train. En convalescence chez sa sœur en Suisse, il commence à rédiger ses mémoires de la déportation, mais ce travail le trouble durement et il décide alors d’entrer dans ce qu’il appellera «l’amnésie volontaire». Il reprend ses activités au sein du PCE, devenant un membre influent chargé, notamment, du travail clandestin en Espagne et des relations avec les intellectuels. De 1953 à 1962, il fait de nombreux séjours clandestins dans son pays, recherché par la police de Franco. Mais, il est de plus en plus en désaccord avec la ligne du parti et la découverte de l’utilisation du camp de Buckenwald par le KGB l’écœure profondément.

En 1964, il est exclu du parti, ce qui lui permet d’entamer sa carrière littéraire. Il écrit plus de vingt ouvrages, entre romans, récits et essais et participe à plusieurs publications collectives. Son passage dans les locaux de la Gestapo, sa déportation, son activité partisane et sa vie d’exilé en France constituent la source principale, mais non exclusive, de ses écrits. Il a reçu de nombreuses distinctions : le prix Formentor (1963), le prix Femina (1969), le Prix des éditeurs et libraires allemands (1994), le Prix littéraire des droits de l’homme et celui de la ville de Weimar (1995), le prix italien Nonino (1999), le prix Ulysse pour l’ensemble de son œuvre (2004)… En 1996, il est élu à l’académie Goncourt et l’Académie française a voulu aussi l’intégrer, sauf qu’il ne s’était pas naturalisé français.

Dramaturge, on lui doit plusieurs pièces de théâtre, mais c’est surtout en tant que scénariste de cinéma qu’il s’est illustré à travers près de 20 films, dont plusieurs avec Costa-Gavras (Z,  L’Aveu, Section spéciale). Il faut signaler ici un épisode particulier de la vie de Jorge Semprún, le seul où il accepta d’occuper des fonctions politiques. En 1988, en effet, le chef du gouvernement espagnol, le socialiste Felipe Gonzalès, lui propose d’intégrer son équipe en tant que ministre de la Culture. Après quelques hésitations et interrogations, Semprún accepte la proposition. En désaccord avec des proches de Gonzalès, car trop indépendant pour se fondre dans le moule, il va jusqu’à critiquer certains membres du gouvernement et doit quitter ses fonctions en 1991. Il tirera de cette expérience un ouvrage, Federico Sanchez vous salue bien (1992), utilisant le pseudonyme de sa période de communiste clandestin. T

rès lucide, il déclara plus tard, citant André Malraux, ministre de la Culture du général de Gaulle, qu’un ministre de la Culture devait disposer de temps et de budget. Il ajoutait : «Je n’ai eu ni l’un ni l’autre, le bilan personnel est positif, mais le bilan ministériel est, disons, plutôt nul». Lucide mais sévère avec lui-même, car la culture espagnole sous son autorité a glané quelques avancées, au moins initiatrices d’un renouveau. Autre dimension de Semprún, celle de l’Européen affirmé et convaincu. Fils de diplomate ayant vécu en plusieurs lieux du continent, ayant vécu directement deux tragédies européennes, la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale, polyglotte et érudit, il a souvent été considéré comme un modèle d’européanité. Il a d’ailleurs écrit, avec l’ancien Premier ministre français, Dominique de Villepin, L’Homme européen (2005).

Avec ses ouvrages, lui qui s’était fermé à ses souvenirs, a repris le fil de sa mémoire, soulignant même l’importance vitale de celle-ci, mais gardant un regard critique sur ses excès. Ainsi, écrit-il : «Il y a l'absence de mémoire et la mémoire exaspérée à laquelle on ne peut pas toucher sans être accusé de révisionnisme. La mémoire de l'extermination des juifs, en Europe, ne s'est pas manifestée avant les années 60. Par culpabilité des rescapés et incrédulité des autres. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Avec le risque, non de bloquer l'avenir mais de rendre plus difficile l'audace pour aborder le présent. Je n'aime pas le mot Shoah, un mot hébreu, un peu mystérieux qui ajoute à la sacralisation de la mémoire. Alors que, pour être partagée par tout le monde, cette mémoire doit être laïque, uniquement historique et donc susceptible d'être étudiée de manière rationnelle.»

En 1989, alors que l’université de Tel-Aviv lui décerne un Doctorat Honoris Causa, il fait grincer bien des dents en proclamant le droit des Palestiniens à leur terre, déclarant : «Les citoyens d’Israël n’ont pas survécu à une telle guerre d’extermination pour se retrancher derrière leur raison d’être, pour demeurer immobiles en son sein. Ils ont survécu pour inventer une solution à ce qui semble ne pas en avoir. (…) Et sans doute qu’en cela, ils pourront être aidés par l’exemple lointain mais perdurable, qui nous est cher, de Rabbi Moshé Ben Maimon, Maïmonide, le Sefardi, qui fut forcé de fuir l’Espagne à cause de l’intégrisme des Almohades, qui trouva refuge au Caire, qui écrivit parfois en arabe et parfois en hébreu, qui fut un défenseur du dialogue entre toutes les cultures et l’ennemi de toutes les intolérances, qui fut un Maître pour les gens perplexes et un exemple de lucidité, et qui dort du sommeil des Justes à Tibériade, en cette terre d’Israël et de Palestine, la patrie des uns aussi bien que des autres.»

Attaché à la mémoire de l’horreur nazie, il l’inscrivait dans un humanisme par définition ouvert. Mais son engagement, né des tortures de sa chair et de son esprit, lui a valu pourtant d’être taxé parfois d’antisémite ! Ainsi, le 31 janvier de cette année, au Mémorial de Caen, quant un jeune avocat de 24 ans, Mahmoud Arqan, remporta le concours de plaidoiries pour les droits de l’homme en défendant en arabe une palestinienne qui, bloquée à un check-point de l’armée israélienne, perdit son bébé, c’est Jorge Semprun qui reçut après une volée d’accusations et d’insultes en tant que président du jury !                                

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Citationd de Jorge Semprun

• On peut toujours tout dire, en somme. L'ineffable dont on nous rebattra les oreilles n'est qu'alibi. Ou signe de paresse. • On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l'amour le plus fou, la plus terrible cruauté. On peut nommer le mal, son goût de pavot, ses bonheurs délétères. On peut dire Dieu et ce n'est pas peu dire. On peut dire la rose et la rosée, l'espace d'un matin. On peut dire la tendresse, l'océan tutélaire de la bonté. On peut dire l'avenir, les poètes s'y aventurent les yeux fermés, la bouche fertile.

•La vie n'est pas parfaite on le sait, elle peut être un chemin de perfection.

•Sans doute la mort est-elle l’épuisement de tout désir, y compris celui de mourir.

• Je suis emprisonné parce que je suis un homme libre, parce que je me suis vu dans la nécessité d'exercer ma liberté, que j'ai assumé cette liberté.

• Mais oui, je me rends compte. Je ne fais que ça, me rendre compte et en rendre compte.

• Mon regard ne découvre pas ce paysage, il est mis à jour par ce paysage. C'est la lumière de ce paysage qui invente mon regard.

• Mais ce qui pèse le plus dans ta vie, ce sont certains êtres que tu as connus. Les livres, la musique, c'est différent. Pour enrichissants qu'ils soient, ils ne sont jamais que des moyens d'accéder aux êtres.

• Il n'y a rien de pire que la transparence absolue de la vie privée, où chacun devient le big brother de l'autre.

• Il n'y a guère d'activité historique, d'engagement en somme, sans une certaine décision pour une cause imparfaite, car nous n'avons pas à choisir entre des principes et des idéologies abstraites, mais entre des forces et des mouvements réels qui, du passé et du présent, conduisent à la région des possibilités de l'avenir.

• Plus je me remémore, plus le vécu d’autrefois s’enrichit et se diversifie, comme si la mémoire ne s’épuisait pas.

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In:El Watan samedi- Ameziane Farhani
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dimanche, juin 05, 2011

259 - Sanremo et retour

258 - Une librairie ambulante à Alger.


Les éditions Dar El Hikma aiment les défis. La preuve ! Après avoir lancé, il y a deux mois, son café littéraire, elles ont étrenné, hier matin, à Alger, une librairie ambulante éponyme. Une initiative livresque et louable de proximité à saluer

Les éditions Dar El Hikma, à l’initiative et sous les auspices de son directeur, Ahmed Madi, ont  inauguré une librairie ambulante-ce n’est pas une bibliothèque ambulante à  destination des citoyens de régions reculées, des zones éparses et enclavées par opposition à la capitale. Et ce, pour  faire parvenir le livre et « démocratiser » la lecture. Et par conséquent, créer une activité pédagogique et voire didactique et un prolongement extrascolaire. Ainsi, la première halte livresque de la librairie ambulante Dar El Hikma a été observée hier après-midi, à titre symbolique, à la ville de Boumerdès, puis se dirigera vers  Dellys et Bordj Ménail.




 




LE DOUAR SE « LIVRE »

«Depuis l’installation de Dar El Hikma et après avoir ouvert le café littéraire Dar El Hikma pour les auteurs, les éditeurs et autres amis du livre algériens, je me suis dit : pourquoi ne pas fournir  et livrer le livre en temps réel aux lecteurs du pays. Distribuer le livre. Et comme vous le savez, hormis Alger, le livre n’est même pas distribué à Blida. Il ne faut pas blâmer l’Algérien de ne pas lire. Le soutien de l’Etat au livre depuis quelques années aidant, il faudrait que les éditeurs s’investissent dans ce créneau. Il est temps ! En Algérie, il n’existe que 150 librairies pour une population de 37 millions. Certes, le coût de la librairie ambulante est onéreux .C’est un sacrifice. Mais il est au profit du lecteur des régions enclavées. Dar El Hikma ramène le livre au douar (dechra, hameau). J’espère que l’Etat va continuer à aider et à soutenir les éditeurs s’inscrivant dans cette démarche (librairie ambulante)… »,  indiquera Ahmed Madi, directeur de Dar El Hikma.


In: El Watan dimanche 05 juin 2011
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