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jeudi, mai 31, 2012

326 - Boualem Sansal reçoit le prix Roman-News



La récompense attribuée à un livre placé au coeur de l'actualité couronne Rue Darwin (Gallimard), dont les héros sont des Algériens déchirés entre leur patrie et la France.

Le prix du Roman-news, créé en 2011 par le magazine Stiletto et Publicis Drugstore pour récompenser une oeuvre de fiction en français qui s'inspire de l'actualité et la traite comme un roman, a été attribué à l’écrivain algérien Boualem Sansal pour son roman Rue Darwin, paru en août dernier chez Gallimard.

Dans cet ouvrage, Boualem Sansal raconte l’histoire de Yazid, élevé par sa toute-puissante grand-mère maquerelle avant de retourner chez sa génitrice, rue Darwin, à Alger, jusqu'à la guerre d'indépendance. Il est ensuite forcé d'émigrer à l'étranger. A la mort de sa mère, il retourne à Alger et se remémore son enfance.

L'écrivain, connu pour son combat pour la liberté de parole, de culture et de religion dans son pays, a obtenu en octobre le prix de la Paix de la Foire du livre de Francfort. Son précédent roman, Le village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller, a été récompensé par le Grand prix RTL-Lire, le Grand prix SGDL du roman et le Grand prix de la francophonie 2008. Plusieurs de ses ouvrages sont interdits dans son pays.

Boualem Sansal, qui vit à Boumerdès, près d'Alger, vient d'effectuer un voyage en Israël. Il y participait au Festival international des écrivains de Jérusalem, suscitant de nombreuses critiques dans le monde arabe, rappellent les organisateurs.

In : http://www.livreshebdo.fr


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L'écrivain Boualem Sansal a reçu hier le Prix du Roman-News 2012 pour son roman Rue Darwin (Gallimard). Les jurés ont récompensé un ouvrage inspiré de la vie de son auteur, mais qui s'inscrit, comme le veulent les préceptes du Roman-News, dans une vision à plus grande échelle de l'histoire contemporaine de l'Algérie.
C'est au coeur d'un Publicis Drugstore fourmillant d'agitation et de lecteurs que les jurés du prix du Roman-News ont dévoilé le nom du lauréat, l'auteur de Rue Darwin, paru en août dernier chez Gallimard. Boualem Sansal a ensuite reçu un chèque d'un montant de 3000 €, la dotation de la récompense.
En recevant son prix, Boualem Sansal a lâché, sourire aux lèvres : « À ce tarif, préparez-vous pour un Rue Darwin 2, 3, 4... »
 

Par Antoine Oury, le mercredi 30 mai 2012
In : http://www.actualitte.com/
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Lisez ce long article qui suit de A. Merdaci, il se veut une analyse objective, mais qui ne l’est nullement. L’amalgame, le jugement de valeurs se le disputent à l’invective à la mauvaise foi et au pédantisme (m’as-tu vu). Avec une confusion évidente entre littérature, fiction donc en l'occurrence et le compte-rendu journalistique, il ne reconnait pas à l'auteur de pouvoir (en bon écrivain) utiliser une situation "réelle" pour laisser cours à l'imaginaire. Je me demande s’il ne s’agit pas là (encore) d’un libelle…. Entre parenthèses j'ai donné quelques remarques: AH.
 A. Hanifi


Contribution : LE PRINTEMPS ISRAÉLIEN DE BOUALEM SANSAL
Posture et imposture littéraires


Par Abdellali Merdaci


La récente tournée israélienne de Boualem Sansal (Walid Mebarek, 2012) pose explicitement la question irrésolue de la projection de l’écrivain dans un plan de carrière qui échappe aux déterminations politiques et sociétales de son milieu d’origine.
La littérature de Sansal — plus spécialement son engagement dans la vie littéraire — n’a objectivement plus aucun rapport avec le pays qui lui fournit ses thèmes (AH : Les thèmes sont universels). L’Algérie n’est plus pour lui qu’un prétexte à s’ériger — aux yeux de l’Occident, dont il sollicite véhémentement la validation et la consécration de son art — en censeur et imprécateur dans le glacis politico-idéologique d’un pouvoir de «généraux» et d’Islamistes». (AH : pourquoi ces guillemets ?)
Dès son entrée en littérature avec la publication par Gallimard d’un premier roman Le Serment des barbares (1999 ; toutes les œuvres citées ici sont publiées, à Paris, par cet éditeur), Sansal est confronté à la structuration d’une identité littéraire ; il délibère ainsi d’une «posture» au sens que lui donne Jérôme Meizoz (2011) : «La posture est constitutive de toute apparition sur la scène littéraire.» Ingénieur de formation, féru de culture technicienne, plus soucieux de mécanique des turboréacteurs que de métaphore filée et de prosopopée, (AH : manifestement il ne l’a pas lu !) longtemps étranger à la littérature, dont on peut supposer qu’il n’a jamais été un grand lecteur, (AH : Sansal répète qu’il a beaucoup lu) mais parfaitement instruit des itinéraires (AH : il y a là un jugement de valeur) des auteurs historiques de la littérature algérienne de langue française des années 1950-1980, Sansal va plus s’attacher à l’effrénée proclamation de la «figure de l’auteur» (Maurice Couturier, 1995) et aux «digressions d’auteur» (David Lodge, 2009), textuelles et paratextuelles, qu’à la persévérante construction d’une œuvre. Aura-t-il ainsi, assez tôt, assimilé l’usage des médias d’Occident et la faculté de persuasion qu’ils peuvent générer au-delà des limites de l’œuvre écrite ? Dans le champ littéraire algérien actuel, où les trajectoires d’auteurs producteurs d’opinions se cantonnent à l’exercice (toujours lisse) d’une «transgression contrôlée», Sansal compose l’inconfortable position de «l’hérétique», celui qui se dresse en dehors de la «règle du jeu» (Pierre Bourdieu, 2012). La recherche de «coups» médiatiques prend-elle, en conséquence, le- dessus sur l’œuvre ? L’écrivain rassemble consciencieusement, hors de ses romans, mais dans le semblable registre de dénonciation d’une Algérie ruineuse, les éléments d’un redoutable Livre blanc éparpillés dans les journaux, radios et télévisions de France (AH : parce qu’en Algérie la presse n’est pas libre et ça tu ne le mentionne pas). Souvent, il a énoncé un simple constat : le système et l’islamisme brûlent l’Algérie par les deux bouts, vite majoré, depuis 2008, d’une déroutante mise en cause du nazisme et de l’antisémitisme dans la sphère de l’Etat. Mais ce message, à l’usage des seuls Occidentaux, est-il crédible ? Sansal ne parle jamais à Alger. S’il soutient ne pouvoir le faire dans la presse et l’audiovisuel gouvernementaux, comment douter qu’il ne recevrait pas l’accueil de la presse privée, (AH : mauvaise fois. Tu sais qu’on ne lui ouvre pas les portes) sans distinction d’opinion et de ligne éditoriale, pour interpeller les Algériens et les convaincre du bien-fondé de ses accusations contre le système ? Le voyage d’Israël, qui corrobore un processus réfléchi dans la formation d’une figure d’auteur rebelle au pouvoir d’Alger, constitue un nouvel épisode, le plus détonant, dans une démarche d’écrivain, âprement tendue vers une reconnaissance et une attribution de légitimité par le champ littéraire germanopratin. Dans ses formes comme dans ses desseins, cette démarche — dont il faut interroger les fondements intellectuels — reste discutable.
L’invention de l’hérétique
Le capital symbolique personnel dont dispose Sansal, au début de sa carrière d’écrivain, est relativement pauvre. Pour sa visibilité, il ne pouvait se réclamer que du «voisinage de palier» du romancier Rachid Mimouni (1945-1995), qui fut, comme lui, diplômé dans les sciences et techniques. Il fait du projet tardif d’écrire un moment de son histoire personnelle, en recherchant — avec conviction — de nécessaires ruptures au plan littéraire et politique. Contrairement à bon nombre d’écrivains algériens qui, forts d’un premier succès parisien, traversent la Méditerranée et sollicitent comme un dû nationalité et résidence françaises, Sansal demeure un Algérien de Boudouaou, dans la banlieue d’Alger. Cela aurait été certainement un grand mérite, si l’écrivain contribuait à l’animation des espaces politique et littéraire nationaux. Son récit de vie, Sansal l’a voulu comme un roman. Dans l’anamnèse du petit Boualem (Marianne Payot, 2011), il y a cette indélébile fantasmagorie de récitants du Saint Livre autour de la dépouille de son père, décédé dans un accident de voiture. Il avait cinq ans. Ce premier contact traumatique avec la religion infère-t-il, plus tard, toutes les incertitudes d’être dans le monde à l’âge adulte ? Lorsqu’au début des années 1990 émergent dans la société de funambulesques tueurs aux gestes sanglants et rituels, aux crimes licités par les maîtres de la fatwa, les songes de l’enfance et les voix rêches des récitants resurgissent dans la mitraille de saisons à la fois troubles et coupables. Le Serment des barbares explose dans une écriture, sèche et hachée, pour conjurer les peurs de l’époque. Dans un pays en crise, qui conjugue au futur ses angoisses de mort et de finitude, Sansal confie son manuscrit à la poste qui le fera parvenir à l’adresse parisienne de l’éditeur Gallimard. Le manuscrit échoue sur le bureau de Jean-Marie Laclavetine, romancier et éditeur, qui l’inscrit au catalogue de la rentrée littéraire de l’automne 1999. Inimaginable naissance d’un auteur ? L’ingénieur Sansal a cinquante ans : il ne laissera personne dire que c’est le plus bel âge de la vie pour entamer une carrière littéraire. Hors de l’enthousiasme admiratif de la presse algérienne, la réception critique du Serment des barbaresdans les médias français mettra davantage l’accent sur l’audace du thème traité — dans un pays où la nuisance des groupes islamiques armés s’étalait chaque aube en chiffres cramoisis à la «une» des quotidiens — que sur ses potentialités d’écrivain. (AH : à vérifier) C’est de cette période, fondatrice et triomphante, que datent les premiers choix — politiques — de Sansal. Rejoint-t-il le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et son président, le docteur Saïd Sadi, illustre homme politique, mais aussi avec Rachid Alliche (1953-2008), un des pionniers de la littérature moderne en langue kabyle ? Ce compagnonnage se nourrit moins de lectures romanesques que de valeurs politiques dissidentes. L’écrivain, flatté à Paris, engage un autre choix tout autant décisif : il guigne une carrière française et il estime en avoir les moyens. Il s’éloigne, peu à peu, de son pays ; d’un abord rude envers ses concitoyens, peu coutumier des salons de la capitale, il marque, dans le bouillonnant Alger des années 2000, une distance à l’égard de la presse d’Etat et de la presse privée, affichant envers elles une inextinguible morgue. Assure-t-il, exceptionnellement, à la demande de l’équipe d’Edif 2000, diffuseur de Gallimard en Algérie, de rapides signatures de ses ouvrages dans les campus universitaires en dehors d’Alger ? En général, réservé envers lecteurs et critiques, il n’exprime pas d’empathie. Ce mutisme, à intérieur du pays, est contrebalancé par une expansive loquacité et une douce aménité à l’extérieur, dans les pays d’Occident. Dans une carrière littéraire, la veine prometteuse des débuts ne permet pas de préjuger de la survenue d’insuccès et d’infortunes. Les trois romans qui suivent Le Serment des barbares ; L’Enfant fou de l’arbre creux, 2000 ; Dis-moi le paradis, 2003 ; Harraga, 2005) rencontrent, en France, une faible audience. Menacé d’oubli, Sansal ranime utilement dans les médias occidentaux la figure de l’opposant tourmenté par le pouvoir d’Alger. S’il n’apporte rien de nouveau au travail littéraire, notamment au genre romanesque qu’il adopte, il querelle – dans des excès de langage soulignés – le pouvoir algérien, qui, en d’autres temps, l’avait coopté à de hautes fonctions de l’Etat. Il a, certes, comme des milliers de cadres algériens, enduré les vexations du pouvoir qui ne connaît qu’une seule règle : être avec ou contre lui. Comment nier cette avalanche de brimades qui s’abattent sur l’homme dans le mépris et l’arrogance d’un personnel politique infatué, qui mobilise contre lui toutes ses ressources de nuisance ? Au lendemain de la parution de son troisième roman ( Dis-moi le paradis), il est limogé de son poste de directeur central au ministère de l’Energie. Dans un entretien avec le journaliste français Renaud de Rochebrune (2011), il égrène les avanies répétées que lui font subir – sur injonction – les administrations du gouvernement. Comment admettre que ce spécialiste du turbo, qui ajoute à sa panoplie les compétences de docteur en gestion, habilement immergé dans les arcanes de l’industrie nationale, aux premières lignes de forges de l’industrie lourde, sous Boumediène, et légère, comme il se devait, sous Chadli, soit refusé par l’université algérienne, au moment où celle-ci fait appel à des licenciés, fraîchement diplômés, bassement analphabètes, pour assurer des séminaires et des encadrements de mémoires de fin d’études et même à un étudiant en cycle de licence – dans une faculté de l’Est – pour des conférences doctorales ? Convient-il aussi de rappeler, pour mémoire, des turpitudes littéraires largement connues ? Lorsqu’ils ne sont pas carrément interdits de diffusion, par oukase ministériel, comme cela a été le cas de l’essai Poste restante : Alger (2006), ses ouvrages ne sont pas disponibles en librairie. Autour de lui, et principalement à Boudouaou, la traque policière serait omniprésente. Cette quarantaine persécutoire, décrétée et exécutée à tous les étages de décision du pouvoir algérien, s’explique-t-elle par le seul contenu sulfureux de ses romans ? Sansal, dont le nom est systématiquement rayé de la liste (colligée par la ministre de la Culture) des invités au Salon international du livre d’Alger où ses œuvres ne sont pas exposées, devait-il aussi apparaître, par l’effet d’une rumeur persistante, comme une sorte d’écrivain maudit, un «génie malheureux» (Pascal Brissette), proscrit dans son pays ? A défaut de l’avoir créé, le système aura ainsi reconnu son hérétique.
En 2007, alors que sa carrière d’écrivain est au creux de la vague  (AH : C’est vite expédié) et ne sera relancée qu’avec son cinquième opus Le Village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller(2008), Sansal fait partie des quarante-quatre signataires du Manifeste sur la littérature-monde en français, initié par Michel Le Bris (Michel Le Bris, Jean Rouaud, 2007). Il révèle une insurmontable contradiction : écrivain algérien, autant par ses thèmes que par sa résidence en Algérie, il se projette exclusivement dans une bruyante carrière littéraire française. Son image d’écrivain se profile, en France, préférentiellement dans la chronique étroite des exactions et des brimades du pouvoir d’Alger plutôt que dans les aptitudes et la profondeur de son travail d’écrivain. Il aurait pourtant été essentiel pour lui de circonscrire le temps de l’œuvre et d’en favoriser une perception algérienne comme a su le faire Rachid Boudjedra, son contre-modèle dynamique. Et surtout de forger une dimension morale de l’écrivain qui ne peut s’autoriser que de son œuvre. Lorsque l’écrivain français André Gide, de retour du Tchad et de la défunte URSS, pointait les malheurs du colonialisme et du stalinisme, il était accrédité par la seule vigueur d’une œuvre française devenue universelle. Partout, dans ses déclarations, l’opposant politique Sansal a prévalu sur l’écrivain. (AH : Vrai mais ce sont les jornalistes qui  ont enfermé dans ce débat) On serait en mal de trouver dans la presse étrangère un entretien de Sansal qui évoque sa sensibilité de romancier, son rapport à la littérature de son pays et au-delà à la littérature mondiale. Le modèle de communication égophorique dont il s’inspire, qui fonde sa pratique littéraire et médiatique est celui du Sulman Rushdie des Versets sataniques (1988). Un soupçon de talent et beaucoup de scandale dans une fiévreuse alchimie. Il n’est pas assuré que ce mélange enfante de grands écrivains. Né à la littérature au début du règne d’Abdelaziz Bouteflika, Sansal est-il à la mesure d’une attitude, éminemment hugolienne, en se faisant le turbulent contestataire du pouvoir d’Alger et de son président aux trois mandats ? La partie était belle pour lui qui bataillait vent debout contre une société politique archaïque, issue de la guerre d’indépendance, fermée et inamendable, qui entrave l’avènement de la démocratie et de la justice. Mais ce qui rend inopérante sa critique du système, c’est qu’elle exclut toute sommation des faits : l’essayiste de Poste restante : Alger ne saura forger le ton juste pour cingler les palinodies du régime. Se posant volontiers comme victime du système en place à Alger, en raison même de ce que dit son œuvre (que ne lisent que de rares lecteurs professionnels), se montre-t-il particulièrement résilient ? Face à la violence aveugle du système, il lui retourne une violence sans nuances et une fixation paranoïde. Qui aboutissent vite au dérapage sur le «nazisme» et les «camps».
Une surenchère politicienne sur le nazisme et le vécu des juifs


Il est patent que l’invitation d’Israël concerne principalement l’auteur du Village de l’Allemand. Ce roman, qui sort des ornières de l’histoire, de la Seconde Guerre mondiale à la guerre d’Algérie (1939- 1962) et à la période actuelle de terrorisme islamiste (commencée en 1992), est le plus contrefait de Boualem Sansal. Il y campe Hans Schiller, un ancien nazi, qui rejoint — dans les années 1950 — les maquis de l’ALN et s’installe définitivement dans le pays à l’indépendance, faisant prospérer dans une rigueur toute germanique un village reculé de l’hinterland où il sera – sur le tard — massacré par des islamistes ; il reviendra, dans un journal à quatre mains, à ses deux fils Rachel et Malric, nés en Algérie et élevés en France, de retranscrire dans le présent les apories du passé, entre autres le nazisme, pour les entrecroiser dans les désastres d’un présent sacrément islamiste. Le romancier, qui a souvent déclaré écrire et charpenter ses œuvres à l’appui d’une vaste documentation, a été dans le déni de l’histoire de l’Algérie combattante et de la congruence des faits. En l’absence de statistiques sur les forces en présence sur le terrain des affrontements militaires de la guerre d’indépendance, il est possible de relever le recrutement d’anciens soldats nazis dans la seule Légion étrangère, troupe de baroudeurs mercenaires de l’armée française. Le seul nazi avoué dans les rangs de l’ALN était Saïd Mohammedi (1912-1994), engagé à Berlin dans la Wehrmacht, en 1941, officier de la Deutsche Arabische Legione, de 1942 à 1944, titulaire de plusieurs médailles du Reich, organisateur pendant la guerre d’Algérie de la tuerie, le 27 mai 1957, à la mechta Kasba, douar Beni Ilmène (Melouza), de 301 habitants de sexe masculin, soupçonnés de soutien au MNA, parti de Messali Hadj. (AH : ci dessus 15 lignes inutiles)
 Ce que le discours d’idée, qui déborde la fiction chez Sansal, veut fortement assimiler par une rhétorique de la contiguïté, c’est le rapprochement entre le nazisme et les combattants de l’ALN (AH : faux) qui accueillent Schiller, entre l’islamisme et le système. Dans Le Village de l’Allemand, le fascisme habille de vert de gris Alger tandis que les banlieues de France, terreau d’un islam mortifère, sont rabaissées en camps de concentration. Les raccourcis du romancier, qui a une connaissance médiocre (AH : jugement de valeurs) de l’histoire, sont aussi tragiques que dangereux. Évoque-t-il ainsi des situations extrêmes qu’il n’a jamais vécues en Algérie (AH : faut-il vivre les situations pour en parler ?) , qui ne peuvent en rien correspondre à ce qu’ont été le nazisme et ses camps de la mort en Europe centrale et le totalitarisme stalinien dans l’ancienne Union soviétique ? Le terrorisme islamiste et ses dizaines de milliers de victimes, recensées depuis les années 1990, justifient-ils des appréciations cataclysmiques sur la nature de l’État algérien ? Sansal n’en a cure : il est dans la perversité sémantique(AH : ben voyon, répétons donc : « perversité sémantique » bravo)  lorsqu’il restitue à ses interlocuteurs occidentaux une Algérie «prison à ciel ouvert» et «camp de concentration» (Grégoire Leménager, 2008). Assurément, la plus conforme à leur lisibilité. Comme il ne suffisait pas à Sansal, pour la promotion de son roman en France, de «taper» sur la camarilla de généraux d’Alger et sur le système, de guider le cours des fleuves de sang qu’irrigue, jusqu’aux cités françaises, l’islamisme, il lui a fallu aussi en rajouter dans une surenchère sur le vécu juif, plus précisément sur le thème sensible de la Shoah : «La Shoah était totalement passée sous silence en Algérie, sinon présentée comme une sordide invention des juifs», assène t- il dans une sorte de bilan du Village de l’Allemand (Leménager, 2008). Sansal, qui serait bien embarrassé de réunir une bibliographie du négationnisme en Algérie, aurait (presque) souhaité que l’extermination des juifs dans les chambres à gaz nazies ait ses contempteurs et qu’elle suscite des émules de Robert Faurisson. Mensonge ? Sansal connaît sûrement les travaux académiques d’Ismaël Sélim Khaznadar, qui est comme lui, et Malek Chebel, à titre personnel, membre du projet Aladin de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, «programme éducatif visant à lutter contre le négationnisme de la Shoah dans le monde arabo-musulman». Le philosophe et mathématicien Ismaël Sélim Khaznadar (2005), professeur à l’Université Mentouri de Constantine, qui a bénéficié d’un financement de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, présidée par Simone Veil et animée par Serge Klarsfeld, pour un séjour de recherche à Auschwitz (Pologne), a publié – en partie – ses travaux dans le revue Naqd(Alger) de l’historien Daho Djerbal. Il y a donc, en Algérie, dans le champ académique, bien avant la publication du Village de l’Allemand, une réflexion libre sur la Shoah qui rend l’incrimination du pouvoir algérien sur cette question simplement polémique. L’historien anglais Tony Judt (1948-2010), petit-fils de rabbins lituaniens, qui a longtemps milité en Israël pour le sionisme et qui en était revenu, prévenait contre la possible instrumentalisation du phénomène de la Shoah (2008). Est-il inapproprié de s’attarder sur les intentions d’auteur – subites — de Sansal s’emparant de la question juive et de la Shoah ? Avec la même conviction, l’auteur du Village de l’Allemand déroule son expertise — qui fait mouche — pour le lecteur occidental qui méconnaît la réalité politique de l’Algérie : «En avançant dans mes recherches sur l'Allemagne nazie et la Shoah, j'avais de plus en plus le sentiment d'une similitude entre le nazisme et l'ordre qui prévaut en Algérie et dans beaucoup de pays musulmans et arabes. On retrouve les mêmes ingrédients et on sait combien ils sont puissants. En Allemagne, ils ont réussi à faire d'un peuple cultivé une secte bornée au service de l'extermination ; en Algérie, ils ont conduit à une guerre civile qui a atteint les sommets de l'horreur, et encore nous ne savons pas tout. Les ingrédients sont les mêmes ici et là : parti unique, militarisation du pays, lavage de cerveau, falsification de l'histoire, exaltation de la race, vision manichéenne du monde, tendance à la victimisation, affirmation constante de l'existence d'un complot contre la nation (Israël, l'Amérique et la France sont tour à tour sollicités par le pouvoir algérien quand il est aux abois, et parfois, le voisin marocain), xénophobie, racisme et antisémitisme érigés en dogmes, culte du héros et du martyr, glorification du Guide suprême, omniprésence de la police et de ses indics, discours enflammés, organisations de masses disciplinées, grands rassemblements, matraquage religieux, propagande incessante, généralisation d'une langue de bois mortelle pour la pensée, projets pharaoniques qui exaltent le sentiment de puissance (ex : la 3e plus grande mosquée du monde que Bouteflika va construire à Alger alors que le pays compte déjà plus de minarets que d'écoles), agression verbale contre les autres pays à propos de tout et de rien, vieux mythes remis à la mode du jour...» (Leménager, 2008). (AH : faut-il que la littérature suive au pas le référent ? que devient l’imaginaire alors ?) Affirmations extrêmes et rapiéçage d’une inusable nomenclature de preuves à charge contre un pouvoir dément ? Dans cet écheveau, l’écrivain devrait surtout convaincre de la comparaison extrême entre le nazisme et «l’ordre qui prévaut en Algérie» et d’imputations invérifiables, comme celle de «l’exaltation de la race». À l’évidence, un tableau de peste, et peut (AH : ?) en importe la couleur. En lisant Sansal, on n’a jamais le sentiment de vivre dans le même pays que lui : «xénophobie», «racisme», «antisémitisme», «culte du héros et du martyr», «glorification du Guide suprême» (AH : et pour cause c’est de la ittérature) : irrattrapables vices de l’enfance politique du tiers-monde réunis dans un même pays. Cette représentation fantasmée de l’Algérie, rabattue à l’envi dans les médias d’Occident, l’auteur ne cesse de rappeler qu’elle s’énonce depuis Boudouaou, Algérie. Un pays où se propagent d’aussi intempestifs et ineptes propos – le lien asserté avec le nazisme est indéfendable, grossier et tapageur — ne peut être qu’un pays de liberté. En Algérie, dans un passé si proche, les écrivains ne manquaient pas de critiquer vertement les gouvernants et de défier la culture légitime de l’État. Omar Mokhtar Chaalal (2004) rapporte comment Kateb Yacine avait morigéné le ministre de la Culture, Ahmed Taleb El Ibrahimi, qui prononçait une docte conférence, empreinte de solennité, dans la salle du Théâtre national, square Port-Saïd. Le ministre va se plaindre au président Boumediene pour lui demander de faire un sort à l’impudent chahuteur. Le président convoque Mohamed- Saïd Mazouzi, ministre du Travail et des Affaires sociales, qui avait grandement contribué à la création par l’auteur du Cercle des représailles de l’Action culturelle des travailleurs et lui tient ce discours : «J’ai eu vent de ce qui s’est passé entre Kateb et Taleb, alors il faut dire à Kateb d’écrire, de ne pas parler, parce qu’il ne sait pas parler !» (AH : cette immixion du poitique dans l’art est insupportable) Kateb avait bien ri de cette répartie du président et l’avait reçue comme un hommage à son métier d’écrivain. Aujourd’hui, les rapports entre le pouvoir et les intellectuels ont-ils changé pour plonger dans la sombre déréliction ? Sansal n’est pas dans cet échange critique et loyal avec ses adversaires politiques (réincarnés en ennemis mythiques). L’insidieuse thématique nazie qu’il oppose à l’Algérie et à l’État algérien renforce-t-elle un style de «terre brûlée» ? Dans sa guerre au système, il tisonne ses mots de feu et de cendres et d’horribles souvenances d’un monde déchu.
Le paquetage du voyageur d’Israël
La seule force qui entraîne Sansal, qui écrase tout et agrée toutes sortes de subterfuges, c’est la gloire littéraire. Il est tout entier dans cet affairement où il ne néglige aucune ressource, à l’aune d’une furieuse appétence de lauriers. L’écrivain ambitieux a compris que pour monter au pinacle, il n’en finira pas de claquer les verges sur Alger, ses généraux, ses spadassins barbus, et sur tout ce qui, par hypothèse, dérange la communauté juive et bientôt l’État hébreu. Quitte à faire, par effet de rétroaction, depuis Paris, un agent stipendié du système ou un antisémite avéré tout critique de sa démarche.
Auteur, entre 1998 et 2011, de six romans, Boualem Sansal a reçu des récompenses de second et troisième rangs (AH : C’est pas très honnete. Récompense quand même. Qui l’égale au Maghreb ?) pour quatre d’entre eux ( Le Serment des barbares, 1999, Prix du premier roman, Prix Tropiques ; L'Enfant fou de l'arbre creux, 2000, Prix Michel Dard ; Le Village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller, 2008, Grand prix RTL-Lire 2008, Grand Prix de la francophonie 2008, prix Nessim Habif de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ; Rue Darwin,2011, prix de la Paix des libraires allemands). Il a conscience que de maigres accessits comme le prix des lecteurs de RTL ou une médaille de la société des gens de lettres ne sanctifient pas le succès et la fortune d’un écrivain. Est-ce seulement cela la raison d’une hyperactivité pour enraciner les étais d’une improbable carrière littéraire en France ? En 2011, le prix de la Paix des libraires allemands — relativement coté, dont il serait, toutefois, prudent de lire l’exposé des motifs qui lui a valu leur attention unanime — apporte une première réponse et justifie cette fringale de reconnaissance jamais apaisée. Après une partie de sa carrière passée à confondre le pouvoir d’Alger et ses collusions avec la doctrine nazie et à pourfendre l’islamisme, pour se résoudre, last but not least, à réformer l’islam (pour le «libérer, décoloniser, socialiser», Marianne Payot, 2011), Sansal a désormais le bon usage du filon juif, et son séjour en Israël est le point d’orgue dans la maturation d’une posture d’écrivain «opposant» et «philosémite», comme si le discours algérien était fondamentalement mû par l’antisémitisme. Il ne s’agit pas ici de discuter sa liberté – et celle de tout Algérien — de circulation, la question qui se pose est celle de sa légitimité d’auteur confabulant sur l’Algérie, très contestable et à bon droit contestée. Sansal a conçu une œuvre et son fuligineux discours d’escorte pour des lectorats étrangers, selon un horizon d’attente bien entendu, en dehors de toute présence active, concrètement observable, dans son propre pays. L’incohérence de cette position entache nécessairement son discours et son appréciation politique de l’Algérie des dernières décennies, sujet unique de ses œuvres. Autant le discours sur Israël de ses interlocuteurs à Tel-Aviv et à Jérusalem, les romanciers Amos Oz, David Grossman (qui sont depuis plusieurs années distribués en Algérie et lus par les Algériens) et Avraham B. Yehoshua, intègre le champ d’une histoire de violences répétées et en reproduit la fragmentation dans des œuvres littéraires, célébrées au premier plan par les lecteurs israéliens, autant celui de Sansal sur l’Algérie, défini par la surcharge rhétorique sur le système de pouvoir algérien et l’islamisme, réunis dans la même détestation, et l’antisémitisme qui, semble-t-il, devrait caractériser tous les Arabes, fonctionne à vide. Pour diverses raisons :
1 - Répondant au cahier des charges de l’édition française et aux desideratas du «lecteur moyen français», s’empêtrant dans la qualification, autrefois épinglée par Malek Haddad, d’«Arabe de service », Sansal n’écrit pas pour les Algériens (AH : Il écrit pour son lecteur !). Ce qu’établirait subséquemment une analyse du «lecteur implicite» (Wayne C. Booth, Wolfgang Iser) dans ses textes et de la figure du narrataire.
2° - Son face-à-face avec le pouvoir algérien – qui dans les faits n’est qu’une vue de l’esprit – s’enferme dans le pathétique. Il en vient même à utiliser à son endroit, comme dans un raptus, le discours de l’extermination : «On a vu alors que les dictatures sont extrêmement puissantes parce qu’une dictature, ça n’est pas un homme, mais un système très enraciné, et qu’il est très difficile de désherber : même en utilisant les désherbants les plus puissants, trois mois après tout repousse.» (Grégoire Leménager, 2011). Curieux ces «désherbants puissants» que ne désavoueraient pas les spécialistes de la «solution finale» ? (AH : Il fait l’amalgame entre la litterature et le « réel »)




3° - A Jérusalem et à Tel-Aviv, que pèse Boualem Sansal, qui court derrière le grand œuvre, qui a répudié la littérature (faut) pour les clameurs du scandale, face à ses interlocuteurs israéliens ? Faut-il croire que son dialogue, sur les plans politique et littéraire, avec des écrivains israéliens plus pénétrés de leur métier, bien enracinés dans leur pays, plus exigeants dans leur rapport aux situations politiques de leur pays et du Moyen-Orient, sincères partisans de la paix avec les Palestiniens, qui sont l’honneur de la littérature de leur pays, qui s’adressent aux Israéliens en Israël, se satisfera des seules pétitions de principe – qu’il livre habituellement aux médias occidentaux — sur le nazisme, l’antisémitisme et les Dioscures (AH : Merci ! atchum n’en jetez plus !) algériens, le système et l’islamisme meurtrier, qui en seraient les pendants ? En somme, voici ce qui garnit chichement le paquetage du présomptueux voyageur d’Israël : une œuvre littéraire accordée aux circonstances, vouée aux critères publicitaires de l’autopromotion, une écriture désocialisée, sans assise ni dans la société algérienne d’origine ni dans la société française à laquelle elle est destinée, et un argumentaire politique parsemé de vœux pieux et de contre-vérités. Sur l’Algérie, Sansal a coutume de présenter les faits dans le canevas d’une «rétrodiction» (Paul Veyne), jouant sur l’ambivalence d’événements du passé et sur leur insertion dans le présent et dans l’avenir. Il lui suffit ainsi de penser comme probable la relation dans le passé des Algériens au nazisme, à l’antisémitisme, à l’islamisme, pour qu’elle devienne vraie dans leur présent ou qu’elle trouve confirmation dans leur avenir. Cependant, l’histoire enseigne qu’à quelques exceptions notables (Abdellali Merdaci, 2008), l’Algérie et les Algériens ne sont pas des zélateurs du nazisme, cela est connu depuis les positions de Messali Hadj et du PPA sur cette doctrine pendant la Seconde Guerre mondiale ; ni les fourriers de l’antisémitisme : ce sont les populations, les élites indigènes et leurs partis, toutes sensibilités confondues, qui se sont solidarisés avec les juifs d’Algérie lorsqu’ils perdaient leur statut de Français et étaient mis au banc de la société coloniale par l’Etat français de Vichy. (AH : que devient la très populaire expression « ihoudi hachek » ? )  En mai 1922 déjà, dans cette société coloniale qui les a divisés, La Voix des Humbles, organe des instituteurs algériens d’origine indigène, relevait dans son éditorial- programme : «On ne saurait donc trop blâmer ceux qui manifestent le mépris de l’Arabe et du juif et qui provoquent de regrettables actes de vengeance.» (Abdellali Merdaci, 2007). Les Algériens ont été, par dizaines de milliers, les premières victimes dans le monde de l’émergence d’un islamisme délétère, qui continue à menacer leur nation et leur unité.
Des attentes de consécration
Sansal ne peut être, pour l’Algérie, le Vassili Grossman (1905- 1964) de Vie et destin, ouvrage longtemps interdit en Union soviétique, dont la version intégrale est publiée en Europe en 2005. Si le parallèle entrepris par l’écrivain ukrainien entre le nazisme et le stalinisme, leurs charrois ( AH : eh comment !)  de morts, leurs camps d’extermination et leurs goulags, correspond à des histoires qui révulsent l’humanité, comment le rendre objectif pour l’Algérie ? La stratégie de communication de Sansal repose sur la décomposition du langage, sur l’évitement des procédures de véridiction (AH: Waouh!) des mots, sur l’effondrement du sens. Même si formellement, rien ne rattache, depuis sa création en 1962, l’Etat algérien, ses textes fondamentaux et ses pratiques au nazisme et à l’antisémitisme, à leurs milices fascistes, à leurs camps, la charge destructrice de ces mots est prescrite par l’écrivain dans l’image fantasmée de l’Algérie qu’il construit et qu’il fait valoir à l’étranger. Dans le pays indépendant, qui croit à sa littérature nationale, l’auteur du Village de l’Allemand, plus préoccupé par Paris, Francfort et désormais Tel-Aviv, pense, écrit et vit la littérature dans une conscience typiquement française (AH : c’est idiot) . Cette forme d’aliénation néocoloniale oriente les conduites du romancier en en agrégeant les effets de réclame – nombreux, disparates et cumulatifs. Débite-t-il à l’envi «nazisme» et «camps» algériens, s’accrochant désespérément à un succès de scandale ? Tôt – ou tard –, cette opération de démolition par la fiction (AH : donc tu reconnais que ce n est que littérature et c’est à partir de cela que tu le voues aux gémonies ?)  (et par les déclarations médiatiques qui la supportent) du monde réel algérien sera payante. Le voyage d’Israël confortera – à court terme – les attentes de consécration de l’écrivain dans le champ littéraire germanopratin, au bénéfice d’une posture littéraire rageusement hérétique, mais en définitive bien factice, parce que Sansal qui vitupère à Paris n’existe pas à Alger. Cette posture littéraire, si elle amplifie une œuvre et une carrière – tournées vers l’étranger —, reste sans lendemain ; elle confinerait, à terme, à l’extraordinaire imposture littéraire, au demeurant très borgésienne, d’un écrivain fictif. Il n’y a pas chez Sansal une assignation au champ littéraire algérien, à ses compétitions et à ses enjeux de captation de légitimité et de pouvoir symbolique. Pour faire entendre la voix (littéraire et politique) de l’Algérie en Israël ou partout ailleurs dans le monde, il aurait fallu que Boualem Sansal n’excipe pas seulement d’une adresse en Algérie, comme il se plaît à le marteler, mais aussi qu’il y trouve un lieu d’expression cardinal dans la complexe maturation de sa littérature nationale, loin des foucades et des incantations. L’exploitation carriériste par Sansal du vécu juif, le tropisme israélien, la solidarité envers l’État d’Israël et le sionisme qui en découlent, accentués depuis la publication du Village de l’Allemand, doivent au plan de carrière et à ses indémontables crescendos réglés aux impulsions de Paris, aux accommodements d’une pose devant la gloire et à ce qui demeure un périlleux ego. L’écrivain, plus que l’homme, qui a fait le choix de la fortune de l’oppresseur contre la souffrance de l’opprimé, devra l’assumer face au silence blessé des enfants de Palestine, aux plaies toujours vives et aux décombres de Ghaza aux tombes ouvertes.
A.    M.


In : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/05/28/
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J'ai trouvé ce mot ce matin de dimanche 17 juin. Pas mal.
Abdellali Merdaci et Boualem Sansal. Et moi?!!!!
 

Je ne suis pour l'instant, ni pour, ni contre Boualem Sansal, ni simplement contre Boualem Titiche...

Mais à lire Notre grand critique Abdellali Merdaci, j'avoue, à certains moments, de sa longue fatigante diatribe, à peine je sentais être sur le point de comprendre, qu'il fait virer son char dans une zone de brouillard, d'obscurité, d'opacité totale. Notre ami Merdaci, à force de vouloir dire beaucoup de choses en même temps et d'une plus belle manière que l'auteur qu'il s'est décidé à critiquer librement , on a l'impression de tomber dans le flou, parfois méme dans l'incompréhension  voire carrément dans le  non savoir.  Et comme dirait El Kindi :" rien ne vient de l'être de non être"

 les arguments de notre ami Merdaci  restent , à mon avis , de simples allusions à des faits qu'il ne décrit pas clairement suffisamment pour que nous ayons raison de lui donner raison. Hélas, il ne met pas à notre disposition les arguments nécessaires pour ce faire. En effet il ne suffit pas de Nous dire que Mohamedi Said était un soldat SS, pour  nous convaincre qu'il est responsable de la tuerie de Melouza. Ce qui netre  [AH: ?] autres coups de pub colonialistes a pour but et effet de réduire l'éclat des autres massacres y compris celui du Nord Constantinois et de Kerrata! Ce que Merdaci omet , peut être sciemment de nous dire, c'est que le FLN était bel et bien en guerre contre le MNA de Hadj Messali. Que les milices  MNA ont fait autant sinon plus pour ce qui est de FLN les rapports de la DST en France sont là du reste pour étayer les milles et un massacres bilatéraux. c'est dire que l'adage " à la guerre comme à la guerre" a été scrupuleusement respecté de ce coté par les deux antagonistes.

En tous cas, il y a une règle mathématique en algèbre qui dit " l'ami de mon ennemi est mon ennemi" ce ci est valable pour les guerres, malheureusement, je dirais..

Une question me taraude l'esprit  cependant  : Merdaci ne nous dit pas ce qu'il aurait pu lui-même fait dans ce cas d'espèces.

Enfin pour terminer, Si Abdellali pouvait bien dire les choses plus simplement pour se faire mieux comprendre et attirer vers lui des pour au lieu des contre j'avoue après avoir lu Merdaci, je ne peux que désapprouver son style d'abord, ensuite ce qu'il a essayé de vehiculer à travers son style. trop de non dits! trop de non dits! cher ami. est ce la langue de bois qui vous traque en 2012? car , Merdaci , n'a rien fait d'autre que nous montrer qu'il est vraiment pédant. Accordons tout de même à l'auteur de cette critique virulente cette circonstance atténuante. Le reste, nous pouvons le lire à tête reposée dans les manuels d'histoire.

Je suis cet enfant de 6 ans victime du colonialisme inique, il y a  exactement 57 ans. je ressemble à cet enfant palestinien de l'année 2012.  Sur ce point je puis vous dire que je ne peux soutenir le sionisme génocidaire! le reste , je laisse Merdaci disserter à sa guise sur les idées de Sansal, de Mimouni , Malek Bennabi , Said Sadi, Yaha Abdelhafid, si Hadj Mohand Abdenour... cela ne me fait ni chaud ni froid. En tous cas ça n'ébranle pas mes convictions personnelles.

Sans rancune et démocratiquement qui que vous soyez

28.05.2012



Ici: http://iferhounen.blogs.nouvelobs.com


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J'ai ajouté ce qui suit ce dim 10 juin 2012:

Boualem Sansal : «Décoloniser l'Histoire»
02 juin 2012 | Par Antoine Perraud
Un saut en Israël, cinq jours en mai (du 13 au 17), à propos desquels il s'explique avec une ingénuité provocante, et voilà le romancier Boualem Sansal, citoyen algérien, désigné à la vindicte. Les temps ont changé depuis bientôt vingt ans : Boualem Sansal ne subira pas, faut-il espérer, le sort de l'écrivain Tahar Djaout (1954-1993), liquidé de deux balles dans la tête à Baïnem, une cité populaire de la banlieue ouest d'Alger.

Cependant les arguments – ou plutôt les injures – s'affûtent à l'encontre du romancier né en 1949, qui revivifia le français, à la Rabelais, avec son premier roman, arrivé par la poste chez Gallimard : Le Serment des barbares (1999). Une déclaration de guerre iconoclaste, libre, tragique et joyeuse aux islamistes, mais aussi aux caciques du régime algérien. Boualem Sansal, avec Le Village de l'Allemand (2008), osait ensuite aborder l'angle mort que constitue trop souvent, en terre arabe, la destruction des juifs d'Europe par les nazis.
 
Menacé de prison pour avoir accepté l'invitation du Festival international de littérature de Jérusalem – où il rencontra David Grossman, comme lui lauréat du Prix pour la paix des libraires allemands –, Boualem Sansal est traîné dans la boue par une presse algérienne haineuse, aux ordres, cadenassée politiquement et mentalement.
Il faut lire ne serait-ce qu'un article tâchant de délégitimer Sansal. Jetez un œil sur celui d'Abdellali Merdaci. On y trouve la technique des plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants dans toute dictature. Merdaci (linguiste de l'université de Constantine) fait feu de tout bois en plaquant du sous-Bourdieu sur-interprété, avec une approche symptomatique : ôter toute racine algérienne à Sansal pour l'opposer aux écrivains israéliens, enracinés. Sa diatribe ressasse un complexe de décolonisé – requis par son tête-à-tête étouffant, rageur, vain et mystifié avec l'ancien maître –, dont a su s'affranchir, pour sa part, Boualem Sansal.
Celui-ci est un écrivain “postcolonial” (Mediapart reviendra prochainement sur cette notion), comme l'est Salman Rushdie pour la langue anglaise. Le dénigrement bête et méchant dont Sansal s'avère l'objet en Algérie – où sa prose est interdite –, trouve parfois quelques relais malavisés en France. Romancier ostracisé en son pays, il serait, selon une propagande perverse, un être gâté par l'Occident et perdu pour l'Orient, où il se vautrerait dans le confort de l'hérésie ! Ce discours est tenu par ceux qui n'ont souvent jamais mis le nez dans son œuvre.
Nous qui le lisons et le prisons, nous choisissons de lui donner la parole, sans la boire pour autant : certains de ses propos méritent discussion – notamment, dans la vidéo ci-dessous, sur la (non) situation coloniale en Israël…
 
MEDIAPART : Que faire de l'épreuve coloniale ?
BOUALEM SANSAL : Il faut chercher à féconder les expériences. Et ce fut bien une expérience, au-delà des violences, des souffrances et des injustices, que cette rencontre entre deux mondes : l'Orient et l'Occident. La confrontation n'a pas seulement été militaire, mais culturelle et symbolique. Cela est donc à explorer, à considérer avec intelligence. Sortons enfin d'une histoire pour entrer dans une autre...

L'Algérie s'en sort-elle ?
Quand je regarde la télévision algérienne, j'ai l'impression que le temps s'est effacé. Ce que je vois, je l'ai déjà vu dans les années 1980, 1970 et 1960 : ce sont les mêmes personnes, les mêmes mots, la même vision du monde. C'est terrifiant. On a fait une guerre, qu'on idéalise en parlant d'un ou deux millions de martyrs : pour arriver à ça ?...

Pourquoi une telle grisaille régressive ?
Nous avons un problème avec nous-mêmes, avec notre ying et notre yang, notre part orientale et notre part occidentale, notre désir de nous ancrer dans “l'authenticité” (avec toute sa construction artificielle) et notre projection dans un avenir fantasmé, qui n'est donc pas construit à partir du présent.
Nous sommes dans un piège spatio-temporel, comme dans un film de science-fiction. Cela rend fou de se cogner ainsi la tête contre des murs mentaux, j'en ai l'illustration dans les conversations que je surprends autour de moi en Algérie. Le gouvernement et les médiateurs sociaux imposent la doxa. Je les ai appelés, dans mon essai Poste restante : Alger, lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes (2006), les “GAT”, les “gardiens autoproclamés du temple”. Il en surgit un dans chaque famille, qui entretient la schizophrénie en procédant à un tri permanent entre le bien (nous !) et le mal (l'Occident).
Dans ma génération, parce que nous avons vécu à cheval sur les deux univers, il y a du recul : la guerre nous apparaît désormais comme une étape dans un processus historique.
« En Algérie, il n'y a aucune autonomie possible »
Vous ne vous sentez pas assigné à résidence, enraciné dans “la guerre de Libération nationale” ?
Les racines (arabo-musulmanes et que sais-je encore ?) sont convoquées à tout bout de champ, en Algérie. Nous avons eu notre retour à la terre, aux origines, à tout ce que vous voulez. Nous étions au milieu des années 1970. C'était la “Charte nationale”. Après le bricolage de l'indépendance, nous étions censés entrer dans une phase de définition. Les uns cherchaient dans l'univers religieux, d'autres dans le marxisme-léninisme, quelques-uns dans les valeurs quasiment judéo-chrétiennes de l'Occident.
La discussion fut officiellement ouverte. Folie totale trois mois durant : l'Algérie était un asile. Il y eut des réunions dans les salles de cinéma, les entreprises, les ministères, les mairies, les stades... Cela donna d'abord un discours en forme d'allégeance au pouvoir : nous voulons le vrai socialisme, nous n'y sommes pas encore, faisons tout pour l'atteindre, etc, que la télévision relayait nuit et jour, avec des multiplex insensés : « Oran, où en êtes-vous de la Charte nationale ? »...
Les revendications sont vite devenues identitaires (Kabylie, berbérité...), religieuses, puis il y eut une articulation aussi complexe qu'hystérique avec le Moyen-Orient, consistant à vouer Israël aux gémonies (il y avait eu la guerre des Six Jours puis celle du Kippour). Pour finir, à défaut de savoir qui nous étions, nous en sommes venus à proclamer ce que nous ne voulions pas être : la pâle copie de l'Occident tels ces francophones aliénés, etc. Si bien que les revendications verticales, à l'endroit du pouvoir, sont devenues des confrontations horizontales : Arabes contre Berbères, religieux contre laïcs...
La cacophonie a duré le temps que des experts inféodés rédigent, dans le secret d'un cabinet, autour d'Abdellatif Rahal et de quelques autres piliers du régime, cette Charte nationale aussitôt devenue la « Tarte nationale » pour le peuple, néanmoins obligé de l'adopter par référendum. Nous étions censés savoir qui nous sommes, d'où nous venons et où nous allons ! Et nous en sommes toujours là...

Trente-cinq ans plus tard, dans une France déboussolée, Nicolas Sarkozy tentait de lancer un pseudo débat sur la prétendue identité nationale…
Oui, mais malgré sa méfiance voire son aversion des corps intermédiaires, le président Sarkozy a dû faire face à une société civile vivace et organisée. En Algérie, il n'y a aucune autonomie possible : chacun dépend du régime qui lui donne du travail, le loge, le soigne, après l'avoir formé.
Le moindre écart de conduite et de langage vous conduisait à une voie de garage ; la moindre critique vous faisait disparaître de la circulation.

Vous qui avez tout de même travaillé dans un ministère, comment avez-vous tiré votre épingle du jeu ?
La société civile se divise entre ceux qui se mettent en avant, entrent dans toute organisation (syndicat étatique, cellule du parti dans l'entreprise…) en participant donc à cette comédie, et ceux qui se mettent en retrait. Qui vivent alors misérablement, dans leur vieil appartement, chez leurs parents.

Ce ne fut pas votre cas…
La solution consistait à quitter Alger. J'ai donc accepté un emploi à Boumerdès, où je vis toujours. On mettait trois heures pour atteindre ce petit port de pêche auquel ne menait aucune route carrossable, à 45 km de la capitale. On met aujourd'hui le même temps malgré deux autoroutes, à la fois embouteillées tant les voitures se sont multipliées mais surtout filtrées par des barrages militaires tous les cinq kilomètres.
À Boumerdès (anciennement Rocher noir, où de Gaulle avait fait construire une sorte de Camp David pour héberger des négociations secrètes algéro-françaises, qu'allait finalement plastiquer l'OAS), à Boumerdès, à partir de 1963, divers instituts universitaires devaient voir le jour grâce à l'aide étrangère : les hydrocarbures et la chimie sous l'égide des Soviétiques, le génie mécanique grâce aux Arts-et-métiers de Paris, l'électronique pilotée par une université américaine, le management avec HEC Montréal… J'ai débarqué dans ce Trifouilly-les-Oies internationaliste et on m'a alloué un petit chalet sur le campus, que j'ai gardé depuis.

Vous avez été haut fonctionnaire au ministère de l'industrie sans aucun problème ?
J'ai d'abord été enseignant en management dans mon petit trou de Boumerdès. J'étais marié à une Tchèque, nous observions la politique sans nous y mêler. L'Algérie vivait au rythme des réunions du comité central du parti, qui aboutissaient à de vagues résolutions produisant des commentaires kilométriques. C'était désespérant. On attendait, alors qu'il n'y avait rien à attendre.
Les années passant, j'ai fini effectivement par travailler dans un ministère à Alger, jusqu'à mon limogeage, en 2003 ; une fois que des articles dérangeants qui m'étaient consacrés parvinrent jusqu'au cerveau des autorités…

Quid des colonisations intérieures, qui perdurent malgré la décolonisation officielle ?
Albert Memmi, qui a 91 ans et qui vit à Paris un peu oublié, a déjà tout dit, de manière approfondie, dans son Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur (1957). La France a été destituée par l'Histoire pour se retrouver réduite au niveau d'un État, alors qu'elle avait développé une mentalité impériale. Elle tente aujourd'hui, à coup de milliards, de freiner l'inexorable reflux mondial de sa langue jadis conquérante. Cette France, qui avait pour vocation d'offrir du sens au monde et de se propager, s'est donc repliée sur la défense d'un territoire de plus en plus étroit. Pour ne pas finir totalement frileuse, elle s'est cherchée dans l'Europe un nouvel espace symbolique, qui ferait office de nid protecteur.

Est-ce le même mouvement de la part d'une Algérie qui se nicherait dans l'ensemble arabo-musulman, pour ne pas se retrouver nue ?
Nous avions hérité de la culture et de la vision impériales de la France. Nous en remontrions, dans une position dominante, à nos voisins. Dis-moi quel est ton colonisateur, je te dirai qui tu es, raillions-nous à l'adresse des Libyens, qui avaient subi la faiblarde tutelle des Italiens. Nous méprisions les protectorats tunisien ou marocain, nous qui étions parvenus à constituer trois départements français : nous étions l'enfant chéri de la France – comme celle-ci était la fille aînée de l'Église !

Qu'en sont venus à souhaiter aujourd'hui les Algériens éclairés ?
Nous sommes au début d'une démarche qui pourrait se résumer ainsi : décoloniser l'Histoire. Le monde s'est ouvert brutalement et l'air s'engouffre dans les maisons les plus poussiéreuses. Or nos intérieurs sentent encore le renfermé, tant l'Histoire est fermée : l'Histoire que nous portons en nous, l'Histoire qui nous fut racontée, l'Histoire prise en main par des ordres dominants, l'Histoire écrite une fois pour toute, intangible, intouchable. Dire un mot sur l'islam vous rend islamophobe, s'exprimer sur Israël fera de vous un antisémite. L'écriture de l'Histoire a produit des chaînes. En Algérie, nous subissons des chaînes qui datent de quatorze siècles : à la limite, nous pourrions nous inventer nos propres chaînes, non ?
Comment faire passer de l'air dans l'Histoire, dont nous avons fait un ciment, qui donne son sens aux notions d'identité, de hiérarchie, à tous ces principes qui permettent à un État de fonctionner ? Nous cherchons le bon souffle…1

(reprise de l’article de Médiapart , ‘Boualem Sansal : «Décoloniser l'Histoire» du 02 juin 2012 par Antoine Perraud’ auquel je n’ai pu accéder directement)
In : http://forumdesdemocrates.over-blog.com
Regards                    
Médiapart veut «décoloniser l'Histoire»
Il y a eu deux grands types de réactions à la visite de l'écrivain Boualem Sansal en Israël. Elles sont dialectiquement liées. Les premières, très nombreuses, ont chevauché, en considération de sa nationalité algérienne, le «courage» et «l'engagement» du visiteur rapportés à l'antisémitisme à la lâcheté ou à la servilité, présupposés, de ses compatriotes. Ces réactions furent essentiellement pro sionistes. Les secondes rarissimes ont fusé en tant que réponse à l'insulte qui est faite aux femmes et aux hommes, y compris Israéliens, qui s'opposent au sionisme et à tout ce qui nie son abjection. Pour le vérifier, il n'y a qu'à relire ce qui a été écrit et à constater que le contenu ne concerne pas l'acte en soi, mais la symbolique qui l'a accompagné, contre le boycott d'Israël et contre, plus particulièrement, les intellectuels algériens qui persistent à voir dans le sionisme un crime contre le peuple palestinien ou qui restent en alerte contre les menées colonialistes. Cela aurait pu en rester là. Mais Médiapart, sous la plume de Antoine Perraud, s'attaquant à Abdellali Merdaci, linguiste à l'université de Constantine, pousse les propos aux limites de la décence. Au texte de très haute facture et à l'analyse très fine de Merdaci, le journaliste oppose une prose expéditive, se voulant méprisante et dégoulinante d'indigence. Usant de poncifs, il n'ose pas affronter le chercheur constantinois, il ne le cite pas et avec une malhonnêteté scandaleuse, le livre en pâture à des lecteurs qui ignorent les enjeux et qui sont souvent conditionnés par les préjugés fastfoods. Le tableau a été simplifié à l'extrême, d'un côté un homme «seul et opprimé», de l'autre «une meute de censeurs assassins». On peut ainsi  apprendre que Merdaci a «la technique des plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants dans toute dictature» et  qu'il écrit dans «une presse algérienne haineuse, aux ordres, cadenassée politiquement et mentalement». Sa perspicacité intellectuelle est réduite à une «diatribe» requise par «son tête-à-tête étouffant, rageur, vain et mystifié avec l'ancien maître», c'est-à-dire le colonisateur. Sansal, bien au contraire, incarnerait l'écrivain «postcolonial», alors que plus que jamais, il campe le rôle du «bon indigène», rétro-inséré, qui a besoin qu'on vole à son secours, car il risque, ni plus ni moins, que les Merdaci lui fassent un sort funeste. Perrault s'inquiète, ouvertement, de cette éventualité : «Boualem Sansal ne subira pas, faut-il espérer, le sort de l'écrivain Tahar Djaout .» Rien que cela ! On vous l'a dit, en Algérie il n'y a rien qu''une dictature sanguinaire et omniprésente exerçant son pouvoir sur un peuple gémissant. Les intellectuels, s'il y en a, ne peuvent qu'être au service du pouvoir ou se taire. M. Merdaci, qui a cru exercer son droit de critique, ne peut être qu'un homme de main qui, paradoxalement et malgré cela,  a l'insolence d'avoir eu déjà raison en écrivant ceci : «L'écrivain, plus que l'homme, qui a fait le choix de la fortune de l'oppresseur contre la souffrance de l'opprimé, devra l'assumer face au silence blessé des enfants de Palestine, aux plaies toujours vives et aux décombres de Ghaza aux tombes ouvertes.» En attendant d'être «décolonisé» et de cesser de travailler à déconstruire le discours colonialiste.
       
Par Ahmed Halfaoui
09 06 2012
In : http://www.lesdebats.com

Contribution : UNE DÉFENSE ET ILLUSTRATION DE SANSAL PAR ANTOINE PERRAUD (MÉDIAPART, PARIS)
Pour en finir avec «le Voyageur d’Israël»
Par Abdellali Merdaci
Le journaliste Antoine Perraud, du site d’information en ligne français Mediapart (Paris), réagissant à ma contribution sur le voyage de l’écrivain Boualem Sansal en Israël, publiée dans les colonnes du Soir d’Algérie(Cf. «Le printemps israélien de Boualem Sansal. Posture et imposture littéraires », 28 mai 2012), signe, dans son édition du 2 juin 2012, une violente attaque ad hominem contre l’auteur de ces lignes. Voici, pour les lecteurs du Soir, le texte qui introduit son entretien avec l’écrivain algérien Boualem Sansal, de retour de Jérusalem :
«Un saut en Israël, cinq jours en mai (du 13 au 17), à propos desquels il s’explique avec une ingénuité provocante, et voilà le romancier Boualem Sansal, citoyen algérien, désigné à la vindicte. Les temps ont changé depuis vingt ans : Boualem Sansal ne subira pas, faut-il espérer, le sort de l’écrivain Tahar Djaout (1954-1993), liquidé de deux balles dans la tête à Baïnem, une cité populeuse de la banlieue ouest d’Alger. «Cependant les arguments – ou plutôt injures – s’affûtent à l’encontre du romancier né en 1949, qui revivifia le français, à la Rabelais, avec son premier roman, arrivé par la poste chez Gallimard : Le Serment des Barbares (1999). Une déclaration de guerre iconoclaste, libre, tragique et joyeuse aux islamistes, mais aussi aux caciques du régime algérien. Boualem Sansal, avec Le Village de l’Allemand (2008), osait ensuite aborder l’angle mort que constitue trop souvent, en terre arabe, la destruction des juifs d’Europe par les nazis. «Menacé de prison pour avoir accepté l’invitation du Festival international de littérature de Jérusalem – où il rencontra David Grossman, comme lui lauréat du Prix de la paix des libraires allemands –, Boualem Sansal est traîné dans la boue par une presse algérienne haineuse, aux ordres, cadenassée politiquement et mentalement. «Il faut lire ne serait-ce qu’un article tâchant de délégitimer Sansal. Jetez un œil sur celui d’Abdellali Merdaci. On y trouve la technique des plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants dans toute dictature. Merdaci (linguiste de l’université de Constantine) fait feu de tout bois en plaquant du sous-Bourdieu sur-interprété, avec une approche symptomatique : ôter toute racine algérienne à Sansal pour l’opposer aux écrivains israéliens, enracinés. Sa diatribe ressasse un complexe de décolonisé – requis par son tête-à-tête étouffant, rageur, vain, et mystifié à l’ancien maître –, dont a su s’affranchir, pour sa part, Boualem Sansal. «Celui-ci est un écrivain «postcolonial » (Mediapart reviendra prochainement sur cette notion), comme l’est Salman Rushdie pour la langue anglaise. Le dénigrement bête et méchant dont Sansal s’avère l’objet en Algérie – où sa prose est interdite –, trouve parfois quelques relais malavisés en France. Romancier ostracisé en son pays, il serait, selon une propagande perverse, un être gâté par l’Occident et perdu pour l’Orient, où il se vautrerait dans le confort de l’hérésie ! Ce discours est tenu par ceux qui n’ont jamais mis le nez dans son œuvre.» Cette réaction – qui n’en exclut pas d’autres de la même encre putride de la presse parisienne – pose explicitement la question du métier de la critique, du devoir d’opinion et de la clarté du débat intellectuel contradictoire ; ce débat présuppose une éthique dont ne peuvent se prévaloir les gazetiers parisiens protecteurs de Sansal, qui confondent l’odeur des poudrières (coloniales) et la réflexion critique. Il faudrait en signaler les éléments à charge : M. Perraud me range très vite, sans me connaître et sans avoir lu mes travaux, parmi les «plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants de toute dictature» et me renvoie catégoriquement à une lecture de «sous-Bourdieu surinterprété ». Ce ton vengeur, ce mépris et cette hargne me paraissent datés : Bourdieu ne les avait-il pas longtemps subis de ceux qui refusent toujours, en France, dans les médias et dans l’Université, la «critique sociale» ? Pour avoir décrit le champ médiatique parisien, n’avait-il pas été l’objet de mercuriales des «essayistes» des médias le traitant d’«intellectuel archaïque», «stalinien» et «faussement scientifique» ? L’élite médiatique parisienne qui sait prescrire les «bonnes causes», et sans doute Sansal en est une pour elle, peut se mobiliser pour flageller «le linguiste de l’Université de Constantine» et hâter sa stigmatisation. En la circonstance, le journaliste Perraud joue sur le registre parfait d’une habituelle dramatisation du récit de presse : il campe déjà Sansal comme «citoyen algérien désigné à la vindicte» et surtout aux «deux balles dans la tête», identiques à celles qui ont foudroyé, le 2 juin 1993, le journaliste et écrivain Tahar Djaout. Mesurera-t-on la gravité de ces mises en cause, pour y répondre – cette fois-ci – et ne plus y revenir ? Car la meute est bel et bien lâchée par Sansal, qui reçoit la presse, les télés et les radios, dans l’appartement d’hôte de l’éditeur Antoine Gallimard ( L’Expression, 6 juin 2012), et multiplie les procès en sorcellerie pour «terrasser» ceux qui «ont sorti les couteaux » contre «le Voyageur d’Israël». Je retiens de la saumâtre philippique de Perraud les aspects suivants :
1 – J’ai prévu dans ma contribution qu’on ne tardera pas – depuis Paris – à m’accuser d’être stipendié par le pouvoir d’Alger ; me voilà donc remplissant un effarant mercenariat de la plume. J’attends, maintenant, pour avoir douté de la sincérité de la démarche de Sansal sur le vécu des juifs, la lourde incrimination d’antisémitisme. Faudra-t-il pour l’universitaire algérien restituer l’image «recadrée » de son pays, selon les attentes des exacteurs de la presse parisienne ou, dans le cas contraire, passer pour un appendice du pouvoir ? Il y a, toujours en France, stupide et indéracinable, ce sentiment que la liberté de penser et de dire est irrémédiablement condamnée en Algérie ou explicitement contrôlée par les officines du pouvoir. Le journaliste Perraud ne puise-t-il pas dans ce manichéisme ?
2 – Si la formule «sous- Bourdieu sur-interprété» est assurément un oxymore inventif, forgé dans le croisement de paradigmes prépositionnels spatiaux contraires («sous» VS «sur»), le discrédit – légèrement prononcé – sur ma compétence académique me paraît sans cause et sans effet. J’ai souvent été redevable de mes lectures de Bourdieu, sans aucune forme de réduction, pour ne pas exprimer ici une dette. J’observe, toutefois, que le journaliste Perraud restitue scrupuleusement aux lecteurs de Mediapart les éléments descriptifs de la figure d’auteur de Sansal que j’ai proposés dans ma contribution : «opposant », «déraciné», «hérétique», «paranoïde» («menacé de prison »). Cela devrait rester.
3 – Il est probablement aventureux de m’imputer le projet de lever contre Sansal une «vindicte» et d’armer le tireur des problématiques «deux balles dans la tête». Je ne sais trop à qui, du romancier Sansal et du journaliste Perraud, attribuer cette sombre élucubration. Il est évident qu’il s’agit là d’une forme de barrage psychologique contre l’exercice de la critique et de la réflexion intellectuelle libres. Ce type de projection appelle donc une censure de toute appréciation non congruente sur le travail d’écrivain de Sansal et sur ses positions dans les champs littéraire et politique. Il n’y a pour le gazetier parisien que deux alternatives : se faire louangeur de Sansal ou se taire. Me prévalant de ma seule qualification d’universitaire algérien, ne figurant ni dans la clientèle du pouvoir algérien ni dans celle de la France et de ses antennes, ne me reconnaissant aucun «ancien maître», je ne m’adresse qu’aux seuls lecteurs algériens pour défendre une littérature nationale algérienne, dégagée de toutes les influences néocoloniales. Le journaliste de Mediapart confirme la pertinence de ma réflexion sur cette caractéristique d’«opposant» de Sansal — et précisément «d’opposant» dans une «dictature» — qui devrait assurer sa singularité d’écrivain. C’est bien cela qui est discuté dans ma contribution, publiée dans Le Soir d’Algérie, sur son voyage en Israël, dans ce qu’il induit en termes d’attitudes d’auteur suffisamment réfléchies, qui définissent une «posture littéraire» (Jérôme Meizoz, 2007, 2011). Audelà de l’éthos que circonscrivent les œuvres du romancier, fichtrement compulsif relativement au pouvoir d’Alger, Sansal forge donc une attitude d’«écrivain opposant », faisant oublier par l’outrance de ses propos dans la presse parisienne, la vacuité d’une écriture littéraire sans aucune portée dans la société algérienne et dans son imaginaire. Mais alors, Sansal «opposant» ? Est-il nécessaire de préciser que Boualem Sansal, l’homme et l’écrivain, n’est pas connu comme un acteur public, exerçant une quelconque opposition au pouvoir en Algérie. En dehors d’une ou deux pétitions vaguement politiques de «bobos» algérois, aussi peu efficaces qu’inspirés, je ne me souviens pas qu’il se soit fait remarquer, en Algérie même, dans une manifestation publique, où il aurait expressément engagé son nom et son statut d’écrivain. Il se distingue, certes, par une agitation dans la presse française et européenne (je peux citer au moins une soixantaine de textes d’entretiens), lourdement remâchée à en devenir rebutante. Cette «opposition» très circonstanciée est suscitée, malheureusement, à date fixe (c’est vérifiable !) pour la promotion de ses romans ; elle induit une confusion des postures de l’écrivain dans les champs littéraire et politique, que ne tempère pas une récente surenchère sur le «nazisme» et les «camps» dont il accuse étrangement l’État algérien. Il faut raisonnablement entendre, en regard du récit sur ses écrivains que produit l’Histoire de la littérature française, ce que n’est pas Sansal, qui ne peut censément être tenu pour un Voltaire, un Hugo ou un Zola algérien et il n’a jamais été établi, sauf dans un entendement étroit, qu’une tortueuse prose légitime une filiation rabelaisienne. Commençons par le courage dans les choix et les risques encourus. Boualem Sansal n’est pas Paul Nizan, crucifié par une balle explosive allemande, près de Dunkerque, le 23 mai 1940, ni Saint-Exupéry, fauché dans un dernier vol de nuit, le 11 juillet 1944, ni Jean Prévost, tombant les armes à la main au pied du Vercors, le 1er août 1944, ni Robert Desnos, mort dans un camp nazi de Bohême (République tchèque), le 8 juin 1945, qui conjuguent, sur le front d’une guerre, l’appel de la patrie et la dignité des écrivains français. Ensuite, l’héroïsme. Sansal n’est pas Malraux, chef des escadres républicaines d’Espagne en guerre civile, ni Romain Gary, audacieux combattant en Lorraine, pendant la Seconde Guerre mondiale, face au défi des espérances humaines brisées. Enfin, la morale intellectuelle. Sansal n’est ni Jean-Paul Sartre dans les usines Renault, à Billancourt, ni Michel Foucault dans les prisons de France, à l’enseigne d’un militantisme social. Courage, héroïsme, morale intellectuelle ? L’auteur du Village de l’Allemand, qui fait de la douillette opulence des salles de rédaction parisiennes ses champs de batailles (protégés) contre son pays – toujours meurtri – peut-il en tirer de la gloire ? Ce serait une gloire calamiteuse. Car, il n’a jamais existé en Algérie pour faire connaître un message d’espoir aux Algériens qui doutent et pour lutter concrètement pour une transformation de leur société politique. Le romancier Sansal est dans une quête compensatoire de succès de scandale en raison d’une œuvre sans retentissement. Les Français qui célèbrent l’itinéraire exemplaire dans la littérature de Patrick Modiano – le plus grand auteur français du début du XXIe siècle – ou de J.M.G. le Clézio, qui évoquent encore ceux de Roger Martin du Gard, Julien Gracq et René Char, saluent cette subtile discrétion d’œuvres vraies, éloignées des bruits de la foule, qui accréditent leur auteur, non seulement devant ses lecteurs, mais devant son pays et son histoire. De ce point de vue, Sansal, avec sa propension au clinquant criant de Paris (qui ferait honte même à un Frédéric Beigbeder, autrement plus talentueux), n’apporte rien à la littérature algérienne et ne contribue pas à sa reconnaissance dans le monde. Jusqu’à présent, et cela devient gênant, il n’est porté que par une recherche effrénée et sordide de hochets des jurys littéraires germanopratins. Son «opposition» au pouvoir d’Alger ne se rattache qu’à cette triste contingence. Je crois l’avoir dit, si fortement, pour me valoir les sarcasmes de ses commanditaires, nostalgiques de la défunte colonie française, qui ne peuvent comprendre l’Algérie indépendante que comme un pays de mort et de désolation, le semblable pays que la France coloniale croyait découvrir et ouvrir à la civilisation en 1830. Boualem Sansal écrivain postcolonial ? Il ne peut être – dans le déboulé des récents événements – qu’un pur produit de cet esprit néocolonial dont les missionnaires – à l’instar d’un Antoine Perraud du site Mediapart – qui lui servent dans l’écuelle des ilotes une soupe marinée dans les fades cuisines des champs littéraire et médiatique germanopratins, l’ont revêtu d’une livrée de factotum et pourvu de nombreux masques ajustés à une ambition de gloire démesurée. Ils le poussent comme un pion dans leur échiquier (comme c’est le cas avec ce débauchage au profit d’Israël), mais ils s’en lasseront très vite, le jour où il ne saura plus servir leurs causes, ou simplement mordre dans la chair de son pays, pour s’en débarrasser sans état d’âme. L’écrivain postcolonial ne peut émerger qu’en Algérie, loin du Paris littéraire et de son trafic de fausse monnaie, de ses poses calculées, de ses compromissions sans lendemain, aujourd’hui avec l’État d’Israël qui bafoue la justice pour les Palestiniens, demain avec les forces coalisées de l’Otan qui larguent sur les pays arabes les «bombes de la démocratie». Il ne peut se concevoir un écrivain postcolonial sans une littérature nationale. Un auteur postcolonial algérien naît dans la proximité de sa société, se bat pour faire éditer et diffuser ses livres en Algérie pour être lu par des Algériens, parce que sans lecteurs algériens, ses écrits n’ont pas d’avenir. Un écrivain postcolonial ferraille dans les rédactions des journaux de son pays, sans doute rustiques, mais plus humaines et sans parti-pris, pour faire triompher ses idées. Un écrivain postcolonial mérite de grandir dans les douleurs de son pays et son œuvre de mûrir dans une parole qui enfante la liberté. En Algérie, comme partout dans le monde, le respect par les lecteurs des écrivains et de leur littérature est à ce prix. «Le Voyageur d’Israël» a perdu ce respect.
A. M.

In : http://iferhounene.wordpress.com
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Quant à moi, A.H, j'en ai assez de faire de mon blog une tribune politique, malodorante - parfois -. Mais où, Dieu, est la littérature dans tout celà?

 

lundi, mai 28, 2012

325 - Voir Jérusalem et se taire.


Cher ami Boualem,
Je t’écris ces quelques lignes pour te dire, encore une fois, mon admiration pour tout ce que tu écris dans tes romans. Moins pour les histoires que pour la narration. Combien de fois t’ai-je dit que ton écriture, ta syntaxe, se pavanent au summum de ce que l’on peut faire en ce domaine, notamment dans tes premiers romans. Les histoires racontées sont parfois – pardonne-moi – une autre histoire. Tes interlocuteurs hélas, ne s’intéressent souvent qu’à elles, à la chronologie, à la véracité ou non des faits, mais pas à ce qui m’intéresse moi au-dessus de tout, et de nombreux autres lecteurs sans doute. Cela me fait penser à cet architecte qui durant des années façonna une magnifique demeure qu’il céda à une célébrité mondaine. Souvent ses interlocuteurs lui parlent plus de la célébrité en question et de ses frasques que de la construction du pavillon, de ses espaces, de sa lumière, de sa beauté. Les « spécialistes » radio et autres, en littérature ne te parlent pas de littérature et toi-même parle peu de littérature. Ils cherchent les ingrédients du cirque, du spectacle. Et tu plonges. Hélas. A mon grand regret.
Alors, puisque tous semblez insister pour parler politique, parlons-en. Ta dernière lettre (via huffingtonpost.fr) en est un beau prétexte. Depuis quelques jours on te tombe dessus à bras raccourcis, parce que tu es allé en Israël. Saches que tel n’est pas mon cas. J’ai écrit il y a quelques jours sur mon propre blog que moi-même, ai failli, dans les années 90, me rendre en Israël pour y préparer un reportage. Cela n’a pas abouti et je le regrette.
Tu t’es déplacé en Israël pour défendre tes romans et je te soutiens. Mais n’as-tu fait que cela, c’est-à dire défendre tes romans ? n’as-tu pas prêté le flanc à une ligne politique déterminée, pour aller vite disons propagande ? n’as-tu pas plutôt fermé les yeux alors même que – parce que justement Israël, tu le dis toi-même, n’est pas un pays comme un autre– des cris étouffés sortaient de ses entrailles, des ombres d’outre-tombe planaient tout autour de toi dans cette « Jérusalem (cette) vraie capitale avec des rues propres, des trottoirs pavés, des maisons solides, des voitures dynamiques, des hôtels et des restaurants attirants, des arbres bien coiffés » ? Tu écris qu’ « on ne peut pas parler à la fois de la guerre et de la paix, l'un exclut l'autre. » Non, trois fois non cher ami, parler de la paix n’exclut pas la guerre bien au contraire, la paix est conditionnée par la guerre et les guerriers qui la provoquent, qui la mènent, qui la dominent, qui la perdurent. « Le pauvre peuple de Gaza » et celui des territoires occupés sont riches, très riches de leur résistance à l’agresseur colonialiste. Tiens, une dépêche de l’AFP constatait il y a quelques jours encore : « Des colons israéliens se sont installés dans la nuit de mercredi à jeudi dans une maison à l'intérieur du secteur palestinien de Hébron, en Cisjordanie occupée », personne ne t’en a fait cas ? Dans la même semaine, une autre dépêche annonçait : « Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a donné jeudi son feu vert à la mise sur pied de la première mission d'enquête internationale indépendante sur les conséquences des colonies israéliennes sur le territoire palestinien occupé y compris Jérusalem-Est » nul ne t’en a soufflé mot ? Fichtre alors ! Mais nous sommes là dans le cœur même du problème ya Si Boualem, avec tout le respect –réel – que je te dois depuis très longtemps maintenant et tu le sais.
Toi tu survoles, tu écris hésitant, tu dis du bout des lèvres « blocus israélien » et tu passes à autre chose. C’est de là, de ce nœud gordien qu’il fallait démarrer ta réflexion. Ou alors silence pour silence rester dans le roman, dans la littérature, dans l’imaginaire. Et ne pas évoquer « ce pays du lait et du miel », cet Etat hébreu, voyou, ont justement écrit à juste titre bien d’autres qui use et abuse depuis la nuit des temps de la Shoah (horreur apocalyptique européenne) pour mieux mater le peuple Palestinien. Cet Etat foule au pied des dizaines de résolutions de la « Communauté internationale » sans sourciller, et nulle puissance ne s’en émeut. Tu regrettes qu’il n’y ait pas de touristes arabes en Israël, mais l’arabe qui se déplace en Israël pour admirer les tombes, le Mi’râj et autre mur des lamentations, peut-il ne pas lever les yeux sur d’autres murs, de la honte ceux-là, peut-il se promener une carte entre les mains sans s’interroger sur la superficie de cet Etat d’Israël qui a décuplé en quelques décennies au détriment des Palestiniens ? Peut-il baisser les yeux sans perdre son honneur ? Quels intellectuels avaient vu juste durant la guerre de libération algérienne ? ceux qui regardaient ailleurs (pour mille et une raisons) ou ceux qui pétitionnaient, portaient des valises (au péril de leur vie) ? Tu dis être revenu riche et comblé de ce voyage au bout des murs frontières, je suis content pour toi et navré. Il suffisait pourtant de si peu. D’ouvrir un œil, parler à un Palestinien sur place ou à l’un parmi les centaines de milliers, réfugiés à travers le monde, ceux de la Naqba, ce qu’ont fait de nombreux israéliens clairvoyants.

Cher ami Boualem, permets-moi de demeurer ton ami. Celui qui apprécie sans borne ton imaginaire, ta syntaxe. Moins tes histoires. Alors continue de nous dire le paradis, pas des histoires.
Ahmed Hanifi.
in: http://www.lanation.info/Voir-Jerusalem-et-se-taire_a1037.html


[Ajout de ce jour samedi 09 juin 2012: il y a quelques jours, en tapant sur le moteur Google "voir Jérusalem et se taire" pour voir si mon article avait été repris quelque part, je suis tombé sur un titre complètement identique, le contenu traitant de la ville de Jérusalem-Est, paru en février 1999 in Maroc-Hebdo. Pure coïncidence ]
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Une lettre de Boualem SANSAL
 

Je suis allé à Jérusalem... et j'en suis revenu riche et heureux

Chers frères, chers amis, d'Algérie, de Palestine, d'Israël et d'ailleurs,

Je vous écris ces quelques lignes pour vous donner de mes nouvelles. Peut-être êtes-vous inquiets à mon sujet. Je suis un homme simple, vous le savez, un écrivain qui n'a jamais prétendu à autre chose qu'au bonheur de vous raconter des histoires, de ces "histoires à ne pas dire" comme disait mon ami le cinéaste Jean-Pierre Lledo, mais voilà, des gens ont décidé de s'immiscer dans nos relations de fraternité et d'amitié et de faire de moi un objet de scandale à vos yeux.

Rendez-vous compte, ils m'accusent rien moins que de haute trahison envers la nation arabe et le monde musulman en leur entier. Ça veut dire ce que ça veut dire, qu'il n'y aura même pas de procès. Ces gens sont du Hamas, des gens dangereux et calculateurs, ils ont pris en otage le pauvre peuple de Gaza et le rançonnent jour après jour depuis des années, dans cette sorte de huis clos obscur que leur assure le blocus israélien, et maintenant ils viennent nous dicter, à nous qui essayons par tous les moyens de nous libérer, ce que nous devons penser, dire et faire; il y en a d'autres aussi, des anonymes, des individus aigris et fielleux, fermés à tout, qui relaient la haine comme ils peuvent à travers le Net. C'est par eux, par leur communiqué vengeur et leurs insultes à la ronde, que vous avez appris mon voyage et je viens là vous le confirmer pour qu'il n'y ait aucun trouble dans votre esprit et que les choses soient nettes entre nous : JE SUIS ALLE EN ISRAEL.

Quel voyage, mes aïeux, et quel accueil! Pardonnez-moi de ne pas vous l'avoir annoncé moi-même avant de partir, mais vous comprenez, il fallait de la discrétion, Israël n'est pas une destination touristique pour les Arabes, encore que... ceux et pas des moindres qui m'ont précédé dans ce pays du lait et du miel l'ont fait en catimini, voire avec de faux noms ou des passeports d'emprunt, comme en son temps cette brave madame Khalida Toumi, alors opposante fervente au régime policier et intégriste d'Alger, de nos jours son brillantissime ministre de la Culture, une tête pensante de choc très engagée dans la chasse aux traîtres, aux apostats et autres harkis. C'est à elle en particulier que les Algériens doivent chaque jour de tant vivre d'ennui et de rage dans leur beau pays. Ses douaniers ne m'auraient jamais laissé sortir si je m'étais présenté à leur poste avec un billet d'avion Alger/Tel-Aviv sans escale dans une main et dans l'autre un visa israélien tout frais collé sur mon beau passeport vert. Auraient-ils poussé jusqu'à me gazer, je me le demande. J'ai fait autrement et la ruse a payé, j'ai pris la route par la France, muni d'un visa israélien volant récupéré à Paris, rue Rabelais, au saut d'un taxi, grâce à quoi me voilà aujourd'hui en possession de mille et une histoires à ne pas dire que je me promets de vous raconter en détail dans un prochain livre, si Dieu nous prête vie.

Je vous parlerai d'Israël et des Israéliens comme on peut les voir avec ses propres yeux, sur place, sans intermédiaires, loin de toute doctrine, et qu'on est assuré de n'avoir à subir au retour aucun test de vérité. Le fait est que dans ce monde-ci il n'y a pas un autre pays et un autre peuple comme eux. Moi, ça me rassure et me fascine que chacun de nous soit unique. L'unique agace, c'est vrai, mais on est porté à le chérir, car le perdre est tellement irrémédiable.
Je vous parlerai aussi de Jérusalem, Al-Qods. Comme il me semble l'avoir ressenti, ce lieu n'est pas vraiment une ville et ses habitants ne sont pas vraiment des habitants, il y a de l'irréalité dans l'air et des certitudes d'un genre inconnu sur terre. Dans la vieille ville multimillénaire, il est simplement inutile de chercher à comprendre, tout est songe et magie, on côtoie les Prophètes, les plus grands, et les rois les plus majestueux, on les questionne, on leur parle comme à des copains de quartier, Abraham, David, Salomon, Marie, Jésus et Mahomet le dernier de la lignée, et Saladin le preux chevalier, que le salut soit sur eux, on passe d'un mystère à l'autre sans transition, on se meut dans les millénaires et le paradoxe sous un ciel uniformément blanc et un soleil toujours ardent. Le présent et ses nouveautés paraissent si éphémères qu'on n'y pense bientôt plus. S'il est un voyage céleste en ce monde, c'est ici qu'il commence. Et d'ailleurs n'est-ce pas là que le Christ a fait son Ascension au ciel, et Mahomet son Mi'râj sur son destrier Bouraq, guidé par l'ange Gabriel?

On se demande quel phénomène tient le tout en ordre, dans une grande modernité au demeurant puisqu'aussi bien Jérusalem est une vraie capitale avec des rues propres, des trottoirs pavés, des maisons solides, des voitures dynamiques, des hôtels et des restaurants attirants, des arbres bien coiffés, et tellement de touristes de tous les pays... sauf des pays arabes, les seuls au monde à ne pas venir ou pouvoir venir visiter leur berceau, ce lieu magique où sont nées leurs religions, la chrétienne aussi bien que la musulmane.

Ce sont finalement les Israéliens arabes et juifs qui en profitent, ils les voient tous les jours, toute l'année, matin et soir, sans apparemment jamais se lasser de leur mystère. On ne peut pas dénombrer les touristes dans ces labyrinthes, ils sont trop nombreux, plus que les autochtones, et la plupart se comportent comme s'ils étaient aussi des pèlerins venus de loin. Ils vont en groupes compacts pénétrés qui se croisent sans se mêler, les Anglais, les Hindous, les Japonais, les Chinois, les Français, les Hollandais, les Ethiopiens, les Brésiliens, etc, menés par d'infatigables guides, assermentés sans doute, qui jour après jour, dans toutes les langues de la création, racontent aux foules médusées la légende des siècles.

Là, si on tend bien l'oreille, on comprend vraiment ce qu'est une cité céleste et terrestre à la fois, et pourquoi tous veulent la posséder et mourir pour elle. Quand on veut l'éternité, on se tue pour l'avoir, c'est bête mais on peut le comprendre. Je me suis moi-même senti tout autre, écrasé par le poids de mes propres questions, moi le seul de la bande qui ait touché de ses mains les trois lieux saints de la Cité éternelle: le Kotel (le Mur des Lamentations), le Saint-Sépulcre et le Dôme du Rocher. En tant que juifs ou chrétiens, mes compagnons, les autres écrivains du festival, ne pouvaient pas accéder à l'Esplanade des Mosquées, le troisième lieu saint de l'islam où s'élèvent le Dôme du Rocher, Qûbat as-Sakhrah, rutilant dans ses couleurs azur, et l'imposante mosquée al-Aqsa, Haram al-Sharif, ils furent repoussés sans hésitation par l'agent du Waqf, gestionnaire des lieux, assisté de deux policiers israéliens chargés de garder l'entrée de l'Esplanade et la préserver de tout contact non halal. Moi je suis passé grâce à mon passeport, il stipule que je suis Algérien et par déduction il dit que je suis musulman. Je n'ai pas démenti, au contraire, j'ai récité un verset coranique tiré de mes souvenirs d'enfance, ce qui a carrément stupéfié le gardien, c'était la première fois de sa vie qu'il voyait un Algérien, il croyait qu'à part l'émir Abd-el-Kader, ils étaient tous un peu sépharades, un peu athées, un peu autre chose. C'est amusant, mon petit passeport vert m'a ouvert la frontière des Lieux Saints plus vite qu'il ne m'ouvre la frontière Schengen en Europe où la simple vue d'un passeport vert réveille aussitôt l'ulcère des douaniers.

Voilà, je vous le dis franchement, de ce voyage Je suis revenu heureux et comblé. J'ai toujours eu la conviction que faire n'était pas le plus difficile, c'est de se mettre en condition d'être prêt à commencer à le faire. La révolution est là, dans l'idée intime qu'on est enfin prêt à bouger, à changer soi-même pour changer le monde. Le premier pas est bien plus que le dernier qui nous fait toucher le but. Je me disais aussi que la paix était avant tout une affaire d'hommes, elle est trop grave pour la laisser entre les mains des gouvernements et encore moins des partis. Eux parlent de territoires, de sécurité, d'argent, de conditions, de garanties, ils signent des papiers, font des cérémonies, hissent des drapeaux, préparent des plans B, les hommes ne font rien de tout cela, ils font ce que font les hommes, ils vont au café, au restaurant, ils s'assoient autour du feu, se rassemblent dans un stade, se retrouvent dans un festival, dans une plage et partagent de bons moments, ils mêlent leurs émotions et à la fin ils se font la promesse de se revoir. "A demain", "A bientôt", "L'an prochain, à Jérusalem", dit-on. C'est ce que nous avons fait à Jérusalem. Des hommes et des femmes de plusieurs pays, des écrivains, se sont rassemblés dans un festival de littérature pour parler de leurs livres, de leurs sentiments devant la douleur du monde, de choses et d'autres aussi et en particulier de ce qui met les hommes en condition de pouvoir un jour commencer à faire la paix, et à la fin nous nous sommes promis de nous revoir, de nous écrire au moins.

Je ne me souviens pas que durant ces cinq jours et cinq nuits passés à Jérusalem (avec au troisième jour un aller-retour rapide à Tel-Aviv pour partager une belle soirée avec nos amis de l'institut français), nous ayons une seule fois parlé de la guerre. L'aurions-nous oubliée, avons-nous seulement évité d'en parler ou aurions-nous fait comme si cette époque était révolue et qu'il était venu l'heure de parler de la paix et de l'avenir? Sans doute, on ne peut pas parler à la fois de la guerre et de la paix, l'un exclut l'autre. J'ai beaucoup regretté cependant qu'il n'y ait pas eu un Palestinien parmi nous. Car après tout, la paix est à faire entre Israéliens et Palestiniens. Moi, je ne suis en guerre ni avec l'un ni avec l'autre, et je ne le suis pas parce que je les aime tous les deux, de la même manière, comme des frères depuis les origines du monde. Je serais comblé si un jour prochain, j'étais invité à Ramallah, avec des auteurs israéliens aussi, c'est un bel endroit pour parler de la paix et de ce fameux premier pas qui permet d'y aller.

Je fais une mention spéciale à propos de David Grossman, ce monument de la littérature israélienne et mondiale. J'ai trouvé formidable que deux écrivains comme nous, deux hommes honorés par le même prix, le Friedenspreis des Deutschen Buchhandels, le prix de la Paix des libraires allemands, à une année d'intervalle, lui en 2010, moi en 2011, se retrouvent ensemble en 2012 pour parler de la paix dans cette ville, Jérusalem, Al-Qods, où cohabitent juifs et arabes, où les trois religions du Livre se partagent le cœur des hommes. Notre rencontre serait-elle le début d'un vaste rassemblement d'écrivains pour la paix? Ce miracle verra-t-il le jour en 2013?
Souvent le hasard se fait malicieux pour nous dire des choses qui précisément ne doivent rien au hasard.

Quelque part sur le chemin du retour, entre Jérusalem et Alger.

In : http://www.huffingtonpost.fr
Publication: 24/05/2012



dimanche, mai 27, 2012

324 - La Folle d'Alger - Extrait 1


Je vous propose ci-après, extrait après extrait, le contenu de mon troisième roman (suis à la recherche d'un éditeur):

Les ‘‘locas de Plaza de mayo’’ de Buenos-Aires bouleversèrent des millions d’hommes et de femmes à travers le monde.

En Algérie ‘‘la sale guerre’’ – 1992-2000 – provoqua la disparition forcée de plusieurs milliers de personnes. A quelques semaines du 50ième anniversaire de l’indépendance, le combat que mènent les mères de ces disparus pour atteindre la vérité et la justice, parfois depuis quinze ans ou plus, est invisible, inaudible, souvent entravé.

En offrant la parole à une mère de disparu dans ‘‘La folle d’Alger’’, mon troisième roman, je leur rends un modeste hommage.

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La folle d’Alger


roman




A ma mère

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Fais de moi, si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.

Mahmoud Darwich : A ma mère
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01
Au nom de Dieu le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux. Louange à Dieu, Seigneur des mondes. Je le dis ici comme je l’ai dit ailleurs ; je ne me laisserai pas faire. Je remuerai la terre entière, jusqu’en Chine s’il le faut. Je combattrai les ténèbres, j’agiterai les sept cieux si nécessaire jusqu’à ce que la lumière surgisse. Je dirai ce qui a été tel qu’il a été. Il me faut raconter et Tu es témoin ya Allah. Je ne les laisserai pas travestir notre histoire, façonner notre destin. Certes mes ennemis ont la force, mais moi j’ai la foi. Ils ont fait de ma vie un enfer. Mes nuits sont souvent agitées, perturbées par des insomnies prolongées. Le moindre bruissement me fait sursauter. Voilà pourquoi depuis un mois maintenant, vingt huit jours exactement, dès que la nuit s’apprête à nous envelopper, ma fille Houria, son mari Hakim ainsi que la petite Houda se présentent à mon domicile pour nous tenir compagnie mon fils Amine et moi, le temps, jusqu’aux premières lueurs matinales, que nos solitudes apprennent à supporter l’obscurité en l’absence de l’être cher, assassiné. Vendredi dernier ils n’avaient pas prévu de venir. Ce sont des habitants de notre pâté de maisons qui les ont alertés. Lorsqu’ils sont arrivés, tard dans la nuit, ils m’ont trouvée effondrée, asséchée de mes larmes, répandue dans la cour, entourée de mes proches voisines. Mon sang cognait contre les vaisseaux, je l’entendais. Ce n’était pas du sang, c’était de la haine liquéfiée qui battait ainsi contre mes tempes, mon front, mon cou, mon cœur.
Si mes ennemis ont la force disais-je, la force de la destruction, moi j’ai la foi. J’ai la foi en la vérité. C’est pourquoi il me faut raconter. Je le dois à Amine, à mon défunt mari, à mes autres enfants, à ma famille, à mes semblables. Je dois raconter, je dois dire, utiliser tous les moyens afin qu’on sache ce qui s’est réellement passé. Pour que les coupables soient identifiés, jugés et condamnés.
Lorsque ce matin l’idée d’enregistrer mon témoignage s’est imposée à moi, j’ai aussitôt pensé à Merwan le fils de Si Zitouni, un instituteur qui a fait ses classes à Tunis. Merwan et Amine ont souvent utilisé ce mini magnétophone à cassette pour enregistrer des chansons, jouer une saynète ou raconter des blagues. Je l’ai retrouvé dans la chambre de mon fils où je me rends peu souvent. J’ai toujours respecté l’intimité d’Amine. J’entre rarement dans sa pièce. Je la considère comme son espace propre, le lieu où il fait ses devoirs, reçoit ses amis, joue ou boude. L’appareil était posé dans un sac au fond de son armoire où se trouvent également plusieurs cassettes. Mahfoud, que Dieu ait son âme, avait offert cet enregistreur à Amine en juillet 1995 pour le féliciter d’avoir réussi son entrée au collège. Lorsque tout à l’heure je lui ai demandé de me rappeler son fonctionnement, Merwan a levé les yeux vers moi et a souri. C’était plus un rictus qu’un sourire. Une contraction involontaire de sa lèvre, une grimace. Et le regard n’en était pas un non plus. Au mieux une interrogation. Il a murmuré tout en peine, ‘‘bien sûr khalti Fadia’’ sans poser de question, encore bouleversé par son propre récit, peut-être encore plus de s’en être sorti, d’avoir retrouvé ses proches, ses amis. Désormais je parlerai dans cet appareil pour dire ma résistance au silence qu’ils veulent nous imposer. Pour enregistrer ces premières paroles j’ai dû me reprendre à trois reprises. Ma voix m’a semblé étrange, elle m’a même déplu. Le débit m’est apparu tantôt trop rapide, tantôt lent, hésitant. J’essaierai de remédier à cela. J’espère que je m’améliorerai à l’usage.

02
En soustrayant les unes après les autres ses dernières lueurs, le soleil de vendredi dernier engloutissait avec lui ce qui restait de sa monotone splendeur. Il annonçait par sa lente agonie une tragédie que mon intuition appréhendait. Quelques nuages encore dorés, suspendus au-dessus du village, semblaient égarés devant l’obscurité qui déjà estompait l’horizon. Peu à peu elle neutralisera les bruits habituels de la ville noire. Régulièrement des chiens, probablement corniauds, hurlaient à la mort. Ils hurleront encore comme chaque nuit, depuis qu’ils errent par groupes entiers les uns de retour de l’est les autres du nord-est. De nouveau le ciel se constellera d’étoiles. Amine était ressorti avec un morceau de pain, rejoindre ses amis. Le journal télévisé débitait les dernières minutes d’un documentaire en noir et blanc relatant l’hécatombe du 17 octobre, auquel les deux-tiers de sa durée avaient été consacrés. C’était à Paris au temps des glorieuses. Les images ne sont pas nettes et le son nasillard. Un homme jeune tente, dans une fuite désespérée, de franchir un mur haut d’un mètre. Un autre est allongé sur la chaussée, vidé de son sang. Un troisième, beaucoup plus âgé, avance en titubant. Sa main droite crispe son épaule gauche comme pour atténuer la douleur si intense qu’il en pleure sans retenue. Des autobus bondés traversent l’écran. Sur leur fronton il est écrit ‘‘Service spécial’’. D’autres images montrent la Seine qu’on devine rouge, coulant dans le silence lourd d’une nuit définitive. Une page spéciale dédiée aux martyrs d’Octobre était programmée à la suite des informations. J’étais en retard sur el-icha, la dernière des cinq prières de la journée. J’ai pris mécaniquement la télécommande posée à mes côtés sur la seddaria, le canapé, pour baisser le son du poste. Je m’apprêtais à aller satisfaire à mon devoir religieux. En me relevant, péniblement, prenant appui sur le mur, j’ai chuchoté machinalement ‘‘Allah akbar’’, Dieu est le plus grand, en appuyant longuement sur la deuxième syllabe d’Allah, en la rallongeant. Depuis vingt-cinq jours, de cruels et indicibles tourments me harcèlent et m’asphyxient à petit feu. Dieu veut que je souffre et je souffre. En silence ou dans la foule.
De l’autre côté du mur notre village était plongé dans un étrange murmure. Dans le ciel le grondement sourd et menaçant des rotors d’hélicoptères était haché par les aboiements féroces de chiens probablement errants. Ils reviendront. Les chiens errants reviennent toujours tant qu’ils trouvent de quoi se nourrir. C’est ainsi depuis bien des semaines, avant même la sanglante nuit du 22 septembre dernier qui emporta Mahfoud, que Dieu le bénisse. Il n’est pas un jour sans hélicoptères, patrouilles militaires et paramilitaires. Pas un jour sans barrages à chaque entrée de Benatallah, notre village abandonné, désormais accablé. Dès que le jour disparaît nous nous terrons. Le village s’ensevelit dans un silence tumulaire. Seuls des chiens assurément errants hurlent, parfois à la mort. Les chiens n’ont pas peur. Pas même de Dieu. Ils ont le courage aveugle de l’ignorant ou de l’assassin. Ils hurleront longtemps pour sûr. Tant que durera leur errance, ils hurleront. L’heure étant venue, il me fallait prendre le tapis de prière et prier. J’ai posé une main sur la poignée de la porte-miroir de l’armoire puis sur la clé. Le meuble se trouve dans le salon qu’une ampoule poirette éclaire faiblement. Mon esprit, tourné vers ce récent et apocalyptique passé, tentait de saisir une explication. J’ai machinalement tourné la vieille clé, puis j’ai tiré sur la poignée de la lourde porte-miroir, qui grince à sa base aussitôt qu’on la manie, pour me saisir du tapis de prières. J’ai glissé mon bras dans l’armoire, ma main a hésité, tâtonné. C’est à ce moment précis, alors que je m’emparais du tapis, que soudain le portail d’entrée s’est mis à résonner d’une pluie de coups anormaux suivis d’horribles cris. Je ne savais pas trop s’ils étaient réels ou le fruit de mon esprit malmené depuis septembre. Ma main s’est immobilisée sur l’étagère. Les coups, comme les cris, étaient bien là à portée de ma main, de mon corps, bruts, désespérés. Instinctivement j’ai crié ‘‘wlidi !’’ mon fils ! en lâchant le tapis de prières subitement devenu, dans le moment où je prenais conscience qu’un danger imminent allait s’abattre sur notre toit, pardonne-moi mon Dieu, superflu. C’est bien mon fils qui cognait à mourir contre le portail en métal qui tremblait sur ses gonds, les faisant étrangement geindre. Il criait ‘‘yemma ! yemma !’’ maman ! en tambourinant de plus en plus fort avec le désespoir du condamné. Il sanglotait. Je me suis élancée de toutes mes forces jusqu’au portail. Alors l’instant d’une seconde je me suis interrogée sur la traversée du couloir et de la cour. Il m’est apparu que je n’en avais pas gardé trace. Entre le moment où le tapis me tombait des mains et celui où je tournais la clé du portail, un vide profond s’est installé. Un trou noir comblé par les cris d’Amine. J’ai tiré sur la targette qui gémissait. Au même moment les pneus d’une voiture ont crissé puis se sont immobilisés devant la maison. J’ai entendu la porte coulissante du fourgon s’ouvrir avec fracas. C’était une camionnette pas une voiture ordinaire. Amine criait ‘‘yemma ! yemma !’’ La porte d’entrée de ma maison que j’avais peine à ouvrir a été brutalement enfoncée. Elle a écrasé mon visage et m’a projetée à terre. Je me suis péniblement relevée en criant à mon tour, éblouie par les faisceaux lumineux, qui avaient envahi toute la cour, projetés par les phares du véhicule en stationnement. La douleur et le chagrin qui depuis des semaines opprimaient mon esprit, ma tête et mon cœur ont redoublé d’intensité.
Trois jours après, l’être qui m’est le plus cher et dont on a décidé de me priver, me hante à chaque instant. Je le revois, il est assis sur son lit la tête baissée, j’entends son père le mettre en garde. Je les revois comme s’ils étaient l’un et l’autre près de moi. Nous étions en juillet et deux jeunes de Haouch Miloud que nous connaissions, venaient d’être arrêtés par des hommes en uniforme, au grand jour, non loin de leur domicile. Trois mois se sont écoulés et ces deux jeunes ne sont plus reparus. L’affliction et le violent ressentiment qui m’affectent depuis vendredi me conduiront-ils au djihad, au maquis ou me réduiront-ils à la folie, à la mort ? Des hommes en furie, agressifs et grossiers ont empoigné mon enfant qu’ils ont fait tomber à terre, dans la cour.  Wlidi !  L’un des hommes dont le bas du visage était surmonté d’une longue moustache taillée comme les fibres d’un balai-brosse, le genou plié, écrasait le dos de mon enfant. Il m’a regardée en hurlant : ‘‘ce bâtard c’est ton fils ?’’ ‘‘Oui c’est mon fils, c’est mon fils, ai-je crié à mon tour, qui êtes-vous, Amine, mon fils, que se passe-t-il ?’’ Amine ne me répondait pas alors que l’homme répétait ‘‘hada el-ferkh weldek ?’’ en le secouant sans ménagement. Mon Dieu mais que lui a-t-il fait ? Il a ajouté ‘‘Cette fois nous l’avons.’’ Puis il s’est tourné de nouveau vers moi en gesticulant, en s’égosillant, les yeux globuleux prêts à abandonner leur cavité, ‘‘allez reste chez toi. Les chiens sont mieux éduqués que vos enfants !’’ L’homme a relevé Amine, aidé dans sa manœuvre par deux de ses collègues, un civil et un militaire, armes bien en vue. J’ai cessé de flageller mes cuisses, de labourer mon visage, mais pas de crier, pas d’appeler au secours. Je me suis agrippée aux bras de l’un des hommes qui m’a aussitôt repoussée, brutalement. De nouveau je me suis retrouvée à terre. Un quatrième, le visage dissimulé, m’a lancé ‘‘nous te le ramènerons, c’est juste un contrôle.’’ Le visage de l’un d’eux est marqué par une cicatrice qui fend le menton en deux. Elle part de la commissure droite des lèvres à la base gauche du menton. C’est l’indic, el-biyya’. Nous le connaissons tous. Mais qu’a pu faire Amine pour qu’ils s’acharnent ainsi sur lui ? Ils l’ont immobilisé, lui ont passé les menottes aux poignets croisés derrière le dos, lui ont relevé sa propre chemise sur la tête et l’ont traîné vers l’extérieur en lui assénant des coups de pieds, de matraque et de crosse sur la tête, le dos et les jambes. J’ai entendu ‘‘Amn el-askari naal din rabkoum’’ sécurité militaire putain de votre Dieu. Mais pourquoi l’indic se retrouve ici avec le militaire ? La Ilaha illa Allah Mohamed rassoul Allah, il n’y a de dieu que Dieu Mahomet est son prophète. Ils ont tiré mon fils par le col en le frappant, et lui il criait ‘‘yemma, yemma !’’ Je récitais des versets à voix haute, très haute pour qu’ils entendent et comprennent que j’en appellerai à Dieu et au monde, que je ne me laisserai pas faire ‘‘Dieu est le plus grand, Dieu est le plus grand’’ en essayant de m’agripper en vain au bras tremblant de mon gamin qui pleurait, ‘‘je n’ai rien fait, je n’ai rien fait !’’ Il a été jeté dans le camion, à travers la porte latérale demeurée entrouverte. ‘‘On part’’ a lancé sèchement l’homme en treillis militaire. Il doit être le chef. Le chauffeur du véhicule banalisé n’avait pas coupé le moteur. Il a démarré en trombe. Le numéro d’immatriculation écrit à la craie, a été effacé, mal effacé. On devinait malgré la pénombre les derniers caractères. J’ai retenu ‘‘566’’ peut-être ‘‘5566’’. Quelques portes voisines qui s’étaient ouvertes discrètement pour aussitôt se refermer, se sont ouvertes de nouveau, cette fois-là, d’un seul coup, sec. Que me restait-il sinon de continuer de crier de tout mon corps, de tout mon être et de nouveau déchirer mon visage. Je criais aux voisins et au monde entier ‘‘mon fils, ô Dieu ils m’ont enlevé mon fils !’’ Les femmes sont accourues, ont tenté de retenir mes bras secoués par des mouvements que je ne contrôlais plus, de me consoler. J’entendais ‘‘la pauvre, son fils a été arrêté.’’ Je suis tombée, prise de spasmes lourds et irréguliers presque effrayants. Les sons qu’évacuait ma bouche difforme, étaient loin des mots, métamorphosés par la douleur. J’entendais des cris ou des appels de plus en plus éloignés, éjectés par des visages défigurés. Autour de moi une multitude de silhouettes informes et sombres étaient broyées par un ciel obscur et incertain. Amine avait été arrêté, emmené. La Ilaha illa Allah Mohamed rassoul Allah.

03
Nous n’avons pas fermé l’œil durant toute la nuit du vendredi au samedi. Houda a résisté au sommeil autant qu’elle a pu, avant d’y succomber. Mes enfants tiennent par la volonté de Dieu ou par la force de leur jeunesse. Ils tentent de me consoler, mais est-ce possible lorsque le corps ne répond plus, lorsque l’esprit est abattu, noyé dans un chagrin redoublé ? Je suis inconsolable et je crains qu’ils soient en réalité aussi anéantis que moi. Lorsqu’ils sont arrivés à la maison, alertés par des voisins, j’étais toujours dans la cour, allongée près du pied de vigne. Nous y sommes restés longtemps, éclairés par l’unique ampoule, nue. Les voisins ont quitté notre maison mais ne se sont pas éloignés. Nous les entendions discuter dans la rue, tard dans la nuit malgré les dangers. Toute la nuit Hakim m’avait suppliée, comme les voisines avant lui, de ne pas sortir. De ne rien entreprendre à l’extérieur, ne pas aller au commissariat ou à la gendarmerie par exemple. Je les ai écoutés. Au-delà de quelques pâtés de maisons autour de leur lieu de résidence la nuit est interdite depuis longtemps aux honnêtes gens. Aux premières lueurs de l’aube j’ai prié salat-el-fajr à haute voix, les yeux rougis et boursouflés d’insomnie, de larmes et de douleur. J’ai récité d’autres prières plus intimes, en moi-même ‘‘Ya rabbi thala fi wlidi,’’ ô Dieu prends soin de mon fils. Alors que le jour nouveau, que je devinais terne dans son éclat comme le précédent, s’imposait à nous sans que nous pussions agir en quelque manière que ce soit pour qu’il nous fût favorable, si tant est que je puisse ainsi parler, je me suis présentée au poste de police du village avec mes enfants et Hakim. La sûreté se trouve face de l’établissement où étudie Amine, à droite de la bâtisse qui abrite la garde communale, non loin du moulin à huile. Amine est un bon enfant. Il est au collège, en deuxième année moyenne. Même s’il redouble son année il reste un enfant bon. Pourquoi a-t-il été arrêté? La police se trouve en face du collège à côté de la garde. Les trois institutions sont difficilement accessibles et se présentent de la même manière à quiconque s’en approche : des chicanes, des fils barbelés, des sacs de sable et des barils métalliques remplis d’eau, délimitent des zones hautement sensibles. Nul n’y a accès sans avoir été invité par les hommes de garde, souvent en uniforme. Sur plus de cent mètres, de part et d’autres, il est strictement interdit de stationner ou de se garer. Le poste de police, comme la garde communale, comme l’école, ne sont accessibles qu’à la suite d’une fouille minutieuse des sacs, des sacs à dos, des cartables et souvent des corps, par des agents habilités, fortement armés et motivés. Des hommes pour les hommes, des femmes pour les femmes. Un agent en faction devant le poste de police nous a demandé de poser les sacs sur un bureau d’enseignant. Un autre les a ouverts, a plongé la main dans chacun, en émettant à chaque fois des commentaires incompréhensibles, puis d’un geste lent de la main il nous a fait signe de les récupérer, ‘‘passez’’. Hakim est passé à son tour, après nous. Les policiers nous ont épargné la fouille au corps, peut-être par gêne, peut-être parce qu’il était tôt. Nous avons traversé une grande cour où sont stationnés plusieurs véhicules officiels dont des 4X4. A l’intérieur du bâtiment, l’agent de police chargé de l’accueil a écouté nos doléances puis nous a fait patienter dans le couloir car ‘‘il n’y a encore personne’’ a-t-il chuchoté, l’air navré. De notre regard, de nos gestes et nos paroles suintaient une inquiétude, une angoisse, une tragédie qu’il ne pouvait ignorer, éviter. Pour marquer sa bienveillance il a caressé la tête de Houda qui n’a pas apprécié. Elle a esquissé une grimace accompagnée d’un mouvement d’épaule et s’est précipitée contre sa sœur. Vers huit heures trente est arrivé un officier qui nous a reçus dans le quart d’heure suivant. Il m’a écoutée attentivement lui raconter l’arrestation. Tout en lui délivrant les détails de la scène j’ai extrait de mon sac en plastique noir une photo d’identité en couleurs et la lui ai tendue. Mon fils porte une chemise blanche. Ses cheveux noirs sont coupés courts. Il sortait de chez le coiffeur, ses oreilles sont bien dégagées. Son œil gauche est légèrement plissé, comme le droit il est surmonté de larges sourcils fortement incurvés. Son sourire est timide. Le fond du cliché représente un ciel bleu faussement apaisé. La photo a été prise chez le photographe de la rue de la Révolution. Le directeur du collège avait été catégorique. Elle devait être récente et en couleurs. L’officier m’a écoutée sans m’interrompre. Je lui ai parlé des coups, des insultes. Lorsque j’ai fini de lui délivrer mon témoignage, il s’est levé lentement, s’est approché de moi, m’a rendu la photo et m’a annoncé, toujours avec respect, ne pas être au courant. Il nous a suggéré de nous rendre à trois kilomètres de là, au commissariat d’El-Barki dont dépend son poste de police. Il n’a cependant pas téléphoné pour avoir plus de renseignements, ou pour nous annoncer. L’agent de police chargé de l’accueil s’est levé à notre passage. Il nous a dit avec gravité « que Dieu vous vienne en aide. »
Mes filles et Hakim résident précisément à El-Barki. C’est là que mon gendre possède une boutique de parfumerie que son père, Allah yerhmou, lui avait léguée. Depuis leur mariage, il y a un an, Hakim et Houria vivent dans une HLM de la vieille cité Diar el-baraka. Comme ils n’ont pas encore d’enfants et qu’ils veulent avoir des lumières dans les yeux, forcer le destin, ils ont souhaité élever ma petite dernière, Houda. Je n’ai pas refusé. Houda est en quatrième année de l’école fondamentale. C’est une bonne élève. La maîtresse dit qu’elle est très éveillée pour son âge, mais regrette-t-elle, quelque peu opiniâtre et tenace. Moi je ne trouve pas que cela soit un défaut.
Hakim connaît bien quelques policiers du commissariat d’El-Barki qui sont aussi ses voisins de quartier. Le mieux était que l’on se déplace directement à El-Barki, mais Hakim n’aime pas trop ces situations qui le mettent dans l’embarras. Il préfère procéder comme tout un chacun. Mais parfois nous n’avons d’issue que celle de la débrouille, de la relation, du piston. C’est d’ailleurs l’une de ses connaissances, Sakrane Aoued un officier, qui nous a reçus dans le bureau même du commissaire, absent ce jour-là. L’officier a été avenant tout le temps de la rencontre. Comme celui du poste de Benatallah avant lui. Il a essayé de répondre au mieux qu’il pouvait à toutes nos questions. Il comprenait mon désarroi, mais m’a juré ne pas être au fait de ce qui s’était passé vendredi dans notre village. Avant de nous libérer il s’est absenté quelques minutes. Lorsqu’il est revenu, il a dégagé sa main droite de la poche et a bredouillé, ‘‘j’ai téléphoné à Benatallah et à Alger-centre, hélas personne n’est au courant.’’ Il s’est approché de Hakim, a posé sa main sur son épaule, l’invitant ainsi à se lever et lui a demandé : ‘‘êtes-vous allés à la gendarmerie ?’’ Hakim a secoué la tête et s’est dressé devant son ami qui lui a pincé l’ourlet de la veste en clignant de l’œil. Puis il lui a murmuré deux ou trois mots à l’oreille. Une fois à l’extérieur Hakim nous a déclaré que Aoued lui avait suggéré de se rendre à la gendarmerie ou à la caserne 133. Hakim a ajouté qu’il fait confiance à Aoued. ‘‘C’est un homme de bonne famille. Je le connais depuis très longtemps. Nous avons été de la même école, du même lycée. Aoued est un homme bien.’’ Alors que Dieu le garde, ai-je pensé.
A la gendarmerie – elle se trouve dans la même ville – nous avons été accueillis froidement. Le préposé à la réception a refusé le dépôt de plainte et nous a vivement conseillé de déposer une RIF, une déclaration de ‘‘recherche dans l’intérêt des familles.’’ L’image de Mahfoud le bras en l’air et celle d’Amine silencieux devant les remontrances de son père me sont alors apparues de nouveau. J’ai aussitôt pensé à ces pauvres jeunes arrêtés dans notre quartier et dont on est toujours sans nouvelles depuis juillet. Devant la proposition du réceptionniste j’ai spontanément exprimé un refus que je voulais à la hauteur de sa provocation. ‘‘Mon fils n’a pas fugué, il a été enlevé, et je sais par qui !’’ ai-je crié en pointant du doigt le gendarme. Cela ne lui a guère plu. Il a bondi de sa chaise, est passé de l’autre côté du comptoir et a essayé de me pousser vers la sortie. J’ai réussi à plaquer sur son visage la photo d’Amine que j’avais retirée de mon sac en plastique noir. Porté par l’indécence qu’autorise son uniforme, il ne s’en est même pas soucié. A peine s’il l’a observée comme un objet sans intérêt, avec mépris. Si c’est une disparition, elle est forcée. Le gendarme nous a signifié qu’il n’avait pas que cela à faire, ‘‘allez voir ailleurs’’ nous a-t-il lancé en me poussant franchement cette fois vers la sortie, sans le moindre respect. Hakim a rouspété auprès du gendarme, Houria à son tour a tenté de s’en prendre au militaire, mais son mari l’a tancée vertement et nous a demandé de quitter les lieux. Il ne fallait pas envenimer la situation. Du vivant de Mahfoud Allah yerhmou, jamais un homme, quels qu’aient pu être son rang et sa force, ne se serait  autorisé à agir de la sorte. Jamais l’occasion n’a été offerte à un étranger de m’adresser la parole ou me dévisager. Houria pleurait ne sachant que dire ni que faire. J’étais mal en point mais j’ai fermé les yeux. C’est ma petite Houda qui m’inquiétait. Elle avait faim la pauvre, elle n’avait rien pris depuis le matin. Elle pleurait. Cette situation et tout ce qu’elle dissimulait, la déstabilisait. Elle a juste dit ‘‘où est Amine ?’’ Nous ne lui avons pas répondu, mais j’ai posé la main sur ses cheveux pour la consoler. Que lui dire, alors que nous étions nous-mêmes égarés. Tellement perdus que nous avons oublié qu’elle avait classe. Hakim a demandé à sa femme de rentrer à la maison avec la petite, ‘‘elle doit avoir faim’’ lui a-t-il dit et répété, avec juste ce qu’il faut de fermeté et d’agacement la seconde fois, pour ne pas me froisser probablement. Avait-il lu dans mes pensées ? Non, il faisait payer à son épouse l’audace qu’elle a eue face au gendarme. Houda a rechigné à partir avant de se résigner. Elle a rouspété en tirant, quoique sans conviction, sur le bas de ma a’baya. Elle savait qu’elle ne pouvait continuer avec nous. Cela ne l’a pas empêchée de protester tout haut ‘‘moi aussi je veux chercher Amine.’’ Elle avait compris dès les premiers jours. Houria l’a tirée brusquement contre elle pour lui demander de la suivre. Hakim a accéléré le pas. Il avançait sans se retourner, ne se souciant de rien d’autre que d’arriver au plus vite à la caserne.
La caserne 133 se trouve à la sortie d’El-Barki à la lisière de Aïn Naadja. Le soleil était haut, il faisait encore chaud. Mon pas n’est plus alerte, je traînais derrière Hakim. Il faisait signe aux taxis collectifs qui ne s’arrêtaient pas. Dans un sens comme dans l’autre ils sont souvent complets entre El-Barki et Hussein-Dey. Il aurait fallu aller à la première station pour être sûr d’être transportés. Les taxis y attendent le temps qu’il faut pour charger le maximum de clients allant au terminus de la ligne, trois ou quatre, parfois sept si c’est une 505 familiale. Lorsqu’ils prennent la route, plus rien ne les arrête jusqu’à la destination des clients. Alors, entre deux terminus d’une même ligne il est très rare qu’un taxi réponde à une main levée. Je suis habituée à marcher. Mon pas est lent, mais décidé. Depuis l’assassinat de Mahfoud Allah yerhmou, c’est moi qui m’occupe de la maison, même si Hakim et ma fille me donnent un coup de main. Ils n’ont pas de voiture, mais ils m’aident avec leurs faibles moyens. Avant la disparition de mon mari je ne sortais pour ainsi dire jamais, pas même pour aller acheter du pain ou récupérer ma petite Houda à la sortie de l’école. Je le regrettais mais cela ne changeait rien. Ma fille rentrait seule, comme la plupart des écoliers à vrai dire. Depuis que je suis seule tout a changé. Je suis obligée de sortir, m’approvisionner aux épiceries ou au marché, prendre le taxi ou l’autobus, affronter l’administration, la foule et les regards obliques des tordus. Cela contrarie Hakim, mais je considère qu’il m’aide beaucoup et qu’il a assez à faire avec ses propres problèmes et responsabilités. Il n’a pas à se charger des miens.
Au terme d’une heure de marche nous sommes arrivés à la caserne 133. Ses murs sont hauts et surmontés de rouleaux entiers de fils barbelés et de tessons de bouteilles. De part et d’autre de la grande entrée un double barrage militaire permanent est tenu par une vingtaine de jeunes appelés, lourdement armés. Ils sont regroupés de part et d’autre de la route derrière des murs de sacs de sable, des pneus de tracteurs ou de semi-remorques, des barils de pétrole ou d’huile remplis de sable ou de pierres. A l’entrée comme à la sortie du barrage des chevaux de frise et des herses dissuadent tout passage en force. Un maigre couloir permet tout juste aux véhicules de pénétrer dans l’espace hautement sécurisé et d’en sortir. Aucun arrêt ou stationnement non autorisé par ces soldats n’est toléré. Les militaires filtrent sévèrement la circulation à sens unique. Les attentats sont légion. Les voitures ralentissent obligatoirement à une dizaine de mètres en amont de l’entrée du barrage. A hauteur du contrôle le chauffeur du véhicule se doit éventuellement d’éteindre l’autoradio. La nuit il est obligé de basculer des feux de croisement aux feux de position et d’allumer le plafonnier. Surtout ne rien hasarder, ne pas faire de geste brusque. Immobiliser le véhicule à hauteur du militaire, maintenir les mains sur le volant et n’accélérer, qu’après son autorisation verbale ou gestuelle. D’autres soldats postés à la sortie du barrage inviteront alors le conducteur à rejoindre la folle circulation. Plusieurs drames ont eu lieu durant ce type de contrôle. Les soldats sont à bout de nerfs. Ils peuvent tirer sans sommation. Hakim s’est avancé en direction d’un des appelés qui surveillaient en retrait le déroulement des contrôles. Il lui expliquait l’objet de notre déplacement avec toute la délicatesse possible requise en pareille situation. Il parlait lentement. Il parlait en me montrant du doigt de temps à autre. Mais le jeune soldat ne semblait pas disposé à l’écouter plus que cela. ‘‘Que Dieu lui donne patience’’ s’est-il contenté de dire en pressant le pas vers un de ses collègues. Il n’a pas laissé le temps à Hakim d’achever sa dernière phrase. ‘‘Il faut écrire’’ a-t-il coupé. Il ne dira pas un mot de plus. Hakim est demeuré figé un long moment, semblant hésiter entre révolte et résignation tout en mesurant les conséquences de l’une et de l’autre. D’autres soldats le sommèrent de quitter rapidement les lieux. Il baissa alors la tête et avança, l’air défait. Il ne nous restait qu’à retourner sur nos pas.
En repassant devant la gendarmerie, elle se trouve sur notre route, j’ai reconnu Si Zitouni, le père de Merwan. J’ai glissé deux mots à Hakim, il nous fallait lui parler. Si Zitouni était dans un état second, comme bouleversé. Il se lamentait du mauvais accueil qu’on lui a fait à la gendarmerie, ne savait plus vers quel saint se vouer. Il ne semblait plus maîtriser sa raison. Il gesticulait, ses mots s’obscurcissaient. Je ne comprenais vraiment pas tout ce qu’il essayait de nous dire. Il n’avait pas de nouvelles de son fils. Dans la situation que nous-mêmes vivons je m’interdisais toute culpabilité à l’égard du brave instituteur. Face à tant de désarroi Hakim ne pouvait que lui manifester sa compassion en l’encourageant dans ses recherches. Nous avions fait ce que nous avions à faire.
Arrivés dans le centre-ville d’El-Barki nous nous sommes séparés. Hakim a rejoint sa boutique. Il a peut-être fait l’impasse sur le déjeuner. Quant à moi je suis rentrée à Haouch Miloud complètement vidée. J’ai fait réchauffer un fond de chorba qui restait, puis me suis assoupie. Le soir après son travail Hakim est venu avec Houria et Houda pour me tenir compagnie cette nuit encore. Les semaines et les mois à venir seront très durs. Dieu seul sait ce qu’ils me réservent. La seule chose dont je suis sûre est que je me battrai autant de jours que nécessaire, avec toute l’énergie qui me reste. Je ne me laisserai pas faire. Ils veulent ma résignation, je leur offrirai ma révolte. Dieu nous met à l’épreuve. Dieu aime ses serviteurs. Allah maa essabirine Dieu aime les patients. Lui sait ce que les kidnappeurs ont fait d’Amine. Moi je ne peux répondre à cette question aujourd’hui, mais une chose est sûre, j’éprouve maintenant ce sentiment définitif qu’il me faut, tant que je demeure en vie, prendre mon courage à deux mains et combattre les ténèbres, remuer ciel et terre jusqu’à ce que la lumière se fasse envers et contre tout, contre tous.
Ahmed Hanifi - à suivre...