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dimanche, août 30, 2015

504_ La maison d'Elsa Triolet et Aragon





Mes chers amis,

Je vous remercie d’être revenus, fidèles au rendez-vous. Comme vous pouvez le constater le Moulin à eau de Villeneuve de Saint Arnoult en Yvelines se trouve au cœur d’un joli parc de quatre hectares que traverse la Rémarde, une rivière, affluent de l’Orge, une rivière longue de près de 40 kms. Ce moulin est notre propriété depuis 1951. Il est entouré d’un parc de quatre hectares. Du monticule où je me repose aux côtés d’Elsa Triolet, mon épouse, j’observe votre peu réjouissant monde. Elsa a eu raison d’avoir fait graver cette épitaphe, que j’ai demandé à maintenir : « Quand côte à côte nous serons enfin des gisants, l’alliance de nos livres nous unira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre rêve et notre souci majeur, à toi et à moi. La mort aidant on aurait peut-être essayé et réussi à nous séparer plus sûrement que la guerre de notre vivant : les morts sont sans défense. Alors, nos livres croisés viendront, noir sur blanc, la main dans la main, s’opposer à ce qu’on nous arrache l’un à l’autre. Elsa. »



Ce que vous entendez près de notre résidence éternelle, quel que soit le moment où vous vous y rendez est La Sarabande de Bach et le tant aimé chant du rossignol.

La bâtisse est toute en longue et sur plusieurs niveaux. Les volets tout bleus – bleus comme les yeux de ma muse E. – de toutes les fenêtres de la maison sont grands ouverts sur la nature.

C’est ici, que j’ai écrit « La semaine sainte », « Henti Matisse, roman » et qu’Elsa a écrit « Le cheval roux ».











Commençons si vous le voulez bien, chers amis, avec notre cuisine. Admirez la belle faïence bleue (évidemment) de Giverny, elle renvoie à Claude Monet. Il y a aussi présents dans la cuisine les fantômes de Picasso sur les dessous de plat (La colombe, paix) et de Fernand Léger (Le cheval blanc) Et cette balance inversée qui fait office de lampe. Par le fil qui pend, discrètement, en tirant dessus, nous informions les employés (nos employés oui, oui) de notre arrivée, comme chez la grande bourgeoisie, que voulez-vous... 








Nous avons fait du salon ‘‘le cœur de la maison’’. C’est là que je recevais mes amis, dans un brouhaha incroyable de l’eau de la Rémarde le traversant. Nous écoutions de la musique sur cet appareil TSF-tourne-disques. On a bien fait depuis, d’insonoriser le salon avec un hublot solide comme ceux des bateaux. Aujourd’hui les vieux radiateurs ne sont plus modernes. Elsa les cachait, justement parce qu’ils étaient trop moderne à notre goût. A droite, derrière la porte, le joli tableau d’Elsa. Sur la grande cheminée, les deux cruches sont signées de notre grand ami Picasso. L’une représente le visage d’un homme, l’autre celui d’une femme. Au fond, vers l’escalier on a gardé tous mes livres de lecture quand j’étais enfant. En mezzanine il y a ceux d’Elsa, pour la plupart, en russe.




A l’époque nous les protégions comme la prunelle de nos yeux – vous comprenez la présence des cadenas ! –  car nombre d’entre eux étaient censurés par nos amis soviétiques. Regardez derrière vous, dans le cadre, une des rares photos où l’on nous voit ensemble Elsa et moi. J’ai plus de soixante ans.




Levez les yeux, chers amis, vous voyez ces sagaies ? Nous les avons rapportées de Tahiti. Et ces illustrations ? Le calligramme a été réalisé par un turc.

Au dessus de la mezzanine, nous avons deux grandes bibliothèques saturées de livres. Il y a dans notre maison plus de trente mille livres.






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Suivez-moi, attention à la marche… Savez vous ce que renferme ce placard ? Tenez regardez. Non vous ne rêvez pas. Ce sont bien des livres policiers ! Il y en a cinq cents. Lorsqu’elle avait des insomnies (fréquentes parfois) Elsa lisait cette ‘‘littérature’’ pour laquelle elle n’avait pourtant que peu de considération, « de la mauvaise littérature, mon somnifère » disait-elle. Elle lui permettait de dormir.
C



Avancez, entrez dans la chambre, « la chambre d’Elsa ». Du bleu, encore y compris sur ces bijoux qu’elle confectionnait elle-même à partir de résistances électriques, de coquillages et divers objets farfelus et hétéroclites. Il y a des photos de Tahiti, des livres encore, et ce buste de sa tant aimée sœur Lili Brik (ah, Maïakovski !)




Je ne vais pas plus vous retenir. Vous savez combien Elsa aimait la France, son pays d’adoption, mais elle aimait autant, sinon plus, l’Union soviétique. Gare à qui voulait y porter atteinte. Regardez cette illustration russe. Je traduis : « Si tu viens en ami – dit ce russe à Napoléon – je t’offre la paix et le sel, mais si tu viens en ennemi je te chasse avec la fourche ».

Vous remarquez chers amis que l’éphéméride est arrêté au 16 juin 1970. Le jour de sa disparition. Je n’y ai plus touché.


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LIRE AUSSI  ICI: "ARAGON ET MOI"  post n° 349 du 16 décembre 2012



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Site officiel :


dimanche, août 02, 2015

503_ Tout ce qui est excessif.... A. Merdaci - K.Daoud: un règlement de compte.




Il me faut d’emblée dire, d’une part que personnellement je n’ai pas trouvé ‘‘Meursault contre-enquête’’ roman de Kamel Daoud, marqué par le génie littéraire. Il m’a néanmoins plu par son originalité, par le culot de l'auteur, par l’idée même d’aller (oser) se frotter à Camus. L’enthousiasme de l’accueil français me semble démesuré. D’autre part, les chroniques de Kamel Daoud ne sont pas toujours heureuses, souvent radicales, et même parfois superficielles, mais nous avons besoin que s’expriment aussi les persifleurs et autres polémistes. Par ailleurs, je ne connais pas monsieur Merdaci Abdellali dont je trouve les écrits excessifs. Tout ce qui est excessif est insignifiant disait un illustre pied-bot. L’article (ci-dessous) paru hier 1° août dans « algeriepatriotique », signé « Abdellali Merdaci, Professeur de l’enseignement supérieur. Ecrivain. Enseigne la théorie littéraire à l’Université. A publié Engagements. Une critique au quotidien, Constantine, Médersa, 2013 », cet article donc frise le règlement de compte. Ce texte que consacre notre patriote professeur à Kamel Daoud – « cette sordide invention française, un trublion au passé islamiste » –, n’est pas le premier (lire plus bas). Ces articles au vitriol, excessifs, idéologiques et sans nuances sont dommageables et escamotent le débat sur la littérature. Un véritable règlement de compte donc. Il n’y a qu’à lire, entre autres, les lignes (trop nombreuses) qu’il consacre à «  la fetwa » lancée par un obscur islamiste et qu’il qualifie pourtant de ‘‘bêtise’’.
 
Merdaci attaque l’homme, son comportement,  sa ‘‘propension au scandale permanent’’, mais pourquoi ne propose-t-il pas de recension de ‘‘Meursault contre-enquête’’ ce roman de Kamel Daoud, qu’il qualifie de ‘‘commande’’ , de « ‘‘court récit de circonstance’’. Il eut été plus judicieux que monsieur le professeur de littérature nous éclaire sur les dessous de l’écriture de ce roman, sa structure, ses respirations, son style… et non pas se contenter de phrases lapidaires.



Encore un mot. Je trouve regrettable que des chercheurs, des universitaires, continuent de faire une fixation irraisonnée sur la France, comme un mal absolu, la liant corps et âme irrémédiablement à la France coloniale qu’elle fut, comme s’il elle n’était constituée que d’un seul bloc homogène trainant un cordon ombilical aussi long qu’un siècle. Laissons ces attitudes aux hommes politiques, ils sont dans leur rôle, mais des universitaires…


 Voici donc l'article de A. Merdaci:

 
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algeriepatriotique.com-01 08 2015


Contribution d’Abdellali Merdaci* – Kamel Daoud aux Etats-Unis : une mystification franco-algérienne



ARTICLE | 1. AOÛT 2015 - 13:47



Après sa sortie en Algérie (2013) et en France (2014), Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud arrive cet été dans le monde anglo-américain sous le titre The Meursault Investigation, dans une traduction de John Cullen pour le compte de l’éditeur new-yorkais Other Press. L’ouvrage est présenté dans les critiques parues aux Etats-Unis dans l’insidieux prêt-à-penser qui a formaté l’œuvre et son auteur en France. Ce sont les urgences critiques forgées dans le champ littéraire français qui vont l’accompagner, sans doute plus accentuées. Meursault, contre-enquête et son auteur sont dans leur principe une sordide invention française. Pleinement réussie, devrait-on conclure. On peut en retracer les différentes assignations.

Une propension au scandale permanent

Meursault, contre-enquête est un court récit de circonstance, commandé et édité en Algérie, au printemps 2013, par l’éditeur algérois Barzakh avec la seule ambition de commémorer le centenaire de la naissance d’Albert Camus, en prenant à revers L’Etranger (Paris, Gallimard, 1942), qui reste dans le sillage des œuvres de Louis Bertrand, Robert Randau et Charles Courtin un modèle de l’aliénation coloniale. Distribué pendant une année en Algérie, Meursault, contre-enquête n’obtient qu’une réception médiocre. A comparer avec son rapide et foudroyant succès au printemps 2014, lors des premières semaines de sa diffusion en France. Le récit est versé immédiatement dans les listes de lecture des jurés des grands prix littéraires germanopratins. Situation assez rare dans la cuisine très convenue des prix littéraires français pour un auteur inconnu, de surcroît étranger.

Daoud doit d’entamer une bruyante carrière littéraire en France moins à la qualité de son travail d’écrivain qu’à un contexte politique que le chroniqueur du Quotidien d’Oran a habilement exploité au bénéfice de son œuvre. Deux événements surinvestissent la sortie française de son récit : la réélection d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat dans une campagne électorale présidentielle singulièrement agitée (mars-avril 2014) et la guerre meurtrière et punitive que livre l’armée israélienne à Ghaza (opération «Bordure protectrice», juillet 2014). Dans ses billets du Quotidien d’Oran, le chroniqueur Daoud, préparant le terrain à son récit, a devancé les attentes des médias parisiens, forçant un discours caricatural sur des cibles sans ressort. Ses affligeants quolibets déversés sur le président candidat et son indifférence affirmée envers les Palestiniens (rejouant symptomatiquement l’incipit de L’Etranger et la désaffection de Meursault envers la mort de sa mère), exprimant une posture de révolte inaccoutumée, entraînent l’intérêt des éditorialistes parisiens. Son absence de pathos relativement à la colonisation française de l’Algérie, toute artificieuse, ne manque pas de l’adouber auprès de groupes d’influence parisiens de droite et de gauche, qui ont trouvé le bon client pour parler de l’Algérie, des Arabes (en général) et de l’islam dont le livre est relégué dans d’abyssaux méandres («Je ne suis pas l’homme d’un seul livre», martèle-t-il à l’envi). L’auteur de Meursault, contre-enquête recherchera son identité dans le scandale permanent. L’activisme effréné du chroniqueur aura compensé les faiblesses évidentes de l’apprenti écrivain.

Une prise en main française

En vérité, Camus (dont la commémoration de la naissance n’était plus dans l’actualité en 2014) n’est pas l’argument le plus caractéristique dans l’accueil délirant de l’œuvre de Daoud par les élites littéraire et médiatique françaises, comme le montrent éloquemment les comptes-rendus de la presse spécialisée. L’auteur de Meursault, contre-enquête, qui ne cache pas ses accointances passées avec l’intégrisme musulman, jouit à Paris de la meilleure visibilité. Son entrée dans le champ littéraire français est bien construite pour ne laisser aucune faille. Cet attachement inaccoutumé du champ littéraire germanopratin au chroniqueur oranais, qui n’a pas été consenti aux écrivains algériens plus aguerris depuis les années 1950 où ils prennent place dans l’édition française, intrigue. A défaut de connaître les raisons profondes et les ordonnateurs en coulisses du cas Daoud, il est possible de citer un acteur consacré du groupe des prescripteurs parisiens, clairement à la manœuvre. Dans un dossier consacré au travail de l’académie Goncourt publié, l’été 2014, par Le Nouvel Observateur (Paris), Pierre Assouline, auteur du remarquable Lutetia (Paris, Gallimard, 2005), membre de l’institution, qui y a été coopté par le clan Gallimard, connu, à Paris, pour sa proximité avec les milieux sionistes de France, indique qu’il a invité ses pairs académiciens à inscrire Meursault, contre-enquête dans leurs lectures et dans leurs sélections d’œuvres. Ce parrainage évocateur, au long cours, matérialisé par une durable et inégalée campagne de promotion sur toutes radios et télévisions, quotidiens et magazines de France, est sans précédent dans la littérature algérienne de langue française ; il n’a pas été sans fruits. Sur le plan de l’audience, notamment : le récit du chroniqueur oranais a pu atteindre, reconnaît-il dans un entretien avec… Pierre Assouline, paru dans Le Magazine littéraire (Paris) du mois de février 2015, le chiffre de 100 000 exemplaires écoulés ; et, il a figuré dans le palmarès des meilleures ventes en France jusqu’au mois de juin passé. Ce qui est exceptionnel pour un texte mimétique de débutant qui relève davantage de l’exercice de style en atelier d’écriture que de la créativité littéraire.

Mais le paradoxe irrésolu reste la participation de Daoud aux prix littéraires, typiquement franco-français, que sont le Goncourt et son annexe le Renaudot. Parmi les règles coutumières de ces prix, ne peuvent y candidater que les écrivains français, naturalisés ou assimilés, et surtout, des œuvres originales obligatoirement publiées dans le courant de l’année d’attribution des prix. Or, il se trouve que Daoud et son récit ne justifient aucun de ces critères : il n’est pas Français, son œuvre date de 2013 et sa publication en France, en 2014, est une réédition, enfin Meursault, contre-enquête n’est pas une création originale, mais une réécriture d’un classique de la littérature coloniale française. Comment trouver une explication à ces nombreuses contradictions que les redoutables censeurs des prix littéraires français ont avalées comme de grosses couleuvres ?

Daoud, bientôt replié en France, saura rendre ce qui lui est donné ; il témoignera sur l’Algérie, les Arabes et l’islam, toujours sacrément indifférent à Ghaza-la-Martyre, ressassant un message révolté et révulsé, à contre-courant, voire même à «contre-Coran» selon une formule consacrée ; il est sollicité et encouragé par les médias parisiens toutes tendances idéologiques et politiques confondues – le magazine Le Point (Paris) finira par l’appointer. Et il prospérera dans cette charge apocalyptique de flamboyant imprécateur.

Une imposture politico-littéraire algérienne

Daoud est un bon communicant, qui tire les ficelles, quitte à les casser. Il pressent, à l’instar de son compatriote Boualem Sansal, que pour perdurer à Paris, il lui faut prendre l’initiative de positions les plus extrêmes. Ainsi pour Sansal, une alliance avec le sionisme international. Avec le souci de se projeter dans la durée, l’auteur-chroniqueur oranais a rebondi sur la bêtise et l’ignominie d’un prêcheur cathodique, proprement fantasque, dénommé Hamadache, pour se parer d’une réputation mondiale, qu’il veut à la dimension de celle de Salman Rushdie, autrefois objet d’une fetwa de l’imam Khomeiny réagissant à son roman Les Versets sataniques (1988). Il exagérera l’incrimination biscornue de Hamadache en avalisant un mensonge. En fait, ce n’est pas une fetwa qui le visait, identique à celles qu’on a connues, cruelles et périlleuses, dans les années 1990, lorsque triomphaient les spadassins du FIS et de ses démembrements paramilitaires, qui méritaient alors sa sympathie et son soutien, mais une prétentieuse adresse à la justice algérienne. Rétablissons les faits, puisqu’ils sont à la base même de l’ambiguë aura en France et dans le monde anglo-américain de l’auteur-chroniqueur. Hamadache, dans un étroit numéro de gueulard folichon adulé par les spectateurs des chaînes de télé privées d’Alger, dont les foucades sont attendues et commentées dans les cafés du bled et dans les soirées familiales, avait mis en demeure la justice algérienne de déférer, conformément aux dispositions de la Constitution de l’Etat, Daoud devant ses tribunaux pour le condamner sévèrement au titre de ses propos blasphémateurs sur l’islam dans les médias français. Il est, certes, établi dans le texte de la Constitution algérienne de 1996 une constante référence à l’islam, au premier plan dans son préambule désignant un islam mythique qui qualifie l’histoire du peuple et de la nation («terre d’islam»), ensuite dans son article 2 qui dispose que «l’islam est la religion de l’Etat» alors que l’alinéa 3 de l’article 9 dénonce les «pratiques contraires à la morale islamique». Hamadache pouvait s’autoriser à fustiger Daoud, conforté par le verrouillage constitutionnel de l’islam. Revêtant la toge d’un Fouquier-Tinville, il se hasardait à demander une justice ferme et expéditive, une condamnation à mort, contre le zélé importun qui venait de conspuer publiquement l’islam et les musulmans. Mais s’agissait-il, en l’espèce, d’une fetwa canonique, prononçant, à la manière d’un Khomeiny, une condamnation à mort exécutoire, licitant le sang de Rushdie partout sur la planète ? Entendons-nous : ni Hamadache ni ses propos ne sont défendables. Mais comment ne pas admettre que la «fetwa Daoud» est une mystification, fabriquée consciencieusement, en Algérie, par une presse pseudo-démocrate et relayée par les animateurs de Barzakh, traversant la mer et enflant dans les rédactions parisiennes ? Et dans l’univers troublé de l’islam d’aujourd’hui, rien n’est plus vendeur qu’une sommation de mise à mort.

S’avisera-t-on de ce qui est une imposture politico-littéraire ? Une fetwa mortifère est, dans le contexte algérien, les années 1990 l’ont irrémédiablement scellé, un ordre express de mise à mort adressé à des phalanges de tueurs islamistes embusqués et placardé dans toutes les mosquées du pays, afin que nul n’en ignore. On peut le vérifier : aucun de ces éléments n’existe concrètement dans la «fetwa Daoud». Le soutenir, c’est injurier la mémoire de toutes les victimes de l’islamisme algérien, y compris les écrivains, à l’exemple du poète Youcef Sebti (Boudious, 1943-El Harrach, 1993) lisant sa condamnation à mort sur une affichette de la mosquée de son quartier, regardant sa mort en face avant d’être exécuté. Est-ce le résultat de l’âpre combat de l’ANP et des services de sécurité ou de la politique de «concorde nationale» du président Bouteflika, il n’y plus dans les cités d’Algérie que les fantômes de cohortes de tueurs hirsutes, aujourd’hui éradiquées. Ceux qui ont imaginé cette fetwa lancée contre Daoud ont sorti de sombres desperados islamistes de leurs limbes pour pimenter le parcours de l’auteur-chroniqueur et le marchander à l’Occident sous le label du héros (problématique) que ne désavouerait pas son marketing de surenchère ? Ce qui demeure historiquement vérifiable par tout chercheur, c’est qu’à partir d’un studio de télévision privée, Hamadache s’est adressé à la justice de l’Etat algérien pour lui demander de faire un sort funeste au chroniqueur, dans le cadre strict de ce qu’énonce la loi constitutionnelle relativement aux manquements aux valeurs de l’Etat. Il y a une nuance très vite effacée : ce n’est pas à des tueurs que s’est adressé l’ignoble prêcheur pour leur enjoindre d’accomplir leur terrible office, mais aux tribunaux algériens pour les exhorter à décider d’une peine. Aucune cour de justice n’a suivi le prêcheur dans ses errements ni examiné la plainte actionnée contre lui par l’auteur-chroniqueur. En apparence, seulement, un match nul. S’il n’est pas exclu que Hamadache, islamiste forcené, fantasme sur des tueries de jadis et de naguère, aux orées des saisons et des jours désolés, Daoud a tiré profit d’une situation équivoque. Cette fetwa d’opérette, qui a raffermi le cercle de ses amis et de ses mandants dans le champ littéraire parisien, est au mieux une triste tartarinade ; elle est pourtant invoquée, non sans émotion, en quatrième de couverture de la traduction anglo-américaine de son récit aux Etats-Unis et fixe déjà trompeusement les conditions de réception critique de l’auteur et de son œuvre. Daoud et ses amis français ont su rentabiliser la sortie malheureuse du sinistre Hamadache qui continue à être encensé dans les mêmes télés privées, déroulant ses grotesques arrêts qui font mouche dans la populace, comme lorsqu’il a exigé de l’Etat algérien d’accréditer à Alger le drapeau noir de Daech. Pour Daoud et pour les médias parisiens, il fallait susciter par des propos séditieux sur l’islam Hamadache et sa morbide gesticulation. Résultat : l’auteur de Meursault, contre-enquête n’est pas reçu aux Etats-Unis pour ce que représente réellement son récit, mais pour sa prétendue posture héroïque face à une condamnation moyenâgeuse dont il est possible de discuter la validité. Est-il prudent de confondre l’Histoire et l’anecdote ? Hamadache n’est pas Khomeiny et Daoud, Rushdie. Toute cette composition tragi-comique garde des relents de fumisterie. Les conditions d’énonciation de la supplique au gouvernement et à l’institution judiciaire du prêcheur cathodique algérois, assez agile pour s’emparer des discours de l’imam, du magistrat et du diplomate, relèvent de l’opérette exotique, sans minaret, sans brousse et sans compagnies d’assassins. Elle atteste surtout de l’indiscutable réussite des médias audiovisuels privés d’Algérie, qui s’entendent comme leurs homologues de France et d’Occident à créer le buzz, à fomenter le semblable et funambulesque cirque de montreurs d’ours. Dans ce registre de saltimbanques lumineux, Daoud, à Paris, et Hamadache, à Alger, peuvent se prévaloir d’un facétieux talent, eux qui auraient en commun la passion du numérique.

Littérature, argent et fortune

Grâce aux turpitudes et provocations calculées qui ont monté en épingle son récit sans grande profondeur et innovation littéraire, Daoud s’affiche désormais comme un homme riche et célèbre, installé en France dont il a fait, comme il s’en félicite dans une chronique du Point, le tour des bonnes tables et de leurs vins. Le passé islamiste du trublion est effacé à la mesure d’un prodigieux changement de mœurs. Il est rare qu’un écrivain s’exprime ouvertement sur le rapport qu’il entretient avec l’argent. Daoud le fait en s’insurgeant contre «les élites de gauche algéroises horrifiées à l’idée qu’à Oran un écrivain s’enrichisse avec sa plume» (cf. Le Magazine littéraire, février 2015). Mais la malhonnêteté intellectuelle perce sous ce propos comminatoire. Ce n’est pas par la qualité de son œuvre, par la netteté de son écriture, que Daoud, qui n’est pas (je cite différents profils actuels littéraires de la littérature mondiale) Philip Roth, Mario Varga Llosa, Patrick Modiano ou Haruki Murakami, s’est enrichi, mais par un contexte politique que le chroniqueur a utilisé à bon escient dans un système de vases communicants où les propos survoltés et acidulés du chroniqueur attirent des lecteurs pour son «Meursault». Les lecteurs d’Occident se sont rués sur le récit d’un auteur sentant le soufre. Sans le candidat Bouteflika, malade, sans le mépris des morts de Ghaza, sans les anachroniques Arabes et leur islam tempétueux, Daoud n’aurait jamais existé littérairement en France et en Occident. Alors même qu’en Algérie, au moins une demi-douzaine de journalistes et de caricaturistes de presse ont été emprisonnés ces dernières années, pour certains sans jugement, en raison de leurs productions jugées diffamatoires envers le président de la République, la fonction présidentielle et les agents du pouvoir, Daoud appartient à cette baronnie des médias qui demeure intouchable, qui vogue à l’instar d’un Hamadache, sur une extraordinaire permissivité, qui ne pose aucune limite à ses écrits de presse sardoniques. C’est une des sources de sa fortune présente.

L’auteur-chroniqueur oranais, signant une sorte d’imitation, n’apporte pas un ton nouveau à la littérature ; il est inquiétant de noter que ses supporters, les plus outrés dans la presse parisienne, n’ont pas disserté à tire-larigot sur les qualités littéraires de son mince récit, mais plutôt sur les contextes particuliers qui le portent, précisément cette insistante mise en scène de l’auteur et de l’œuvre (dont les motivations ne sont pas toujours explicites), qui prouve que la littérature est, aujourd’hui, plus un jeu hors des contraintes de l’écriture, qu’une création.

Daoud aux Etats-Unis, dans sa posture victimaire et chagrinée d’«homme révolté», ne durera qu’un moment. Le retournement de l’opinion publique dans ce pays contre Rushdie, l’inanité de l’œuvre qu’il a produite depuis la fetwa de Khomeiny, montrent que dans ce pays et en Occident la notoriété d’un auteur reste indécidable et que sur le long terme le scandale judicieusement orchestré et l’étrange alchimie d’un succès de martingale, ne font pas la littérature, la vraie littérature, celle qui saigne aux échardes de temps contraires. En Algérie, comme en France, aux Etats-Unis et en Angleterre, Meursault, contre-enquête évitera-t-il cette inconsolable destinée de n’être qu’un inconsistant avatar de L’Etranger ? Car il est toujours admis que les bons points de l’Histoire vont aux grandes œuvres originales. Les Américains et les Anglais n’ont pas découvert Daoud et son œuvre pour les apprécier dans leur propre langage critique ; ils ont acheté un phénomène créé par les Français et sa panoplie conceptuelle prête à l’emploi. Ce sont les mêmes poncifs qui ont émaillé les recensions françaises de Meursault, contre-enquête qui fourmilleront dans leurs gloses. Ils peuvent sottement ignorer ce qui distingue Daoud, capable d’avoir habilement construit une voie dans la littérature, non pas par une œuvre de longue haleine qu’il n’a pas encore écrite, mais par une manipulation tous azimuts, qui a subtilement commencé par l’inversion du texte de L’Etranger. Il n’est pas inutile, en la circonstance, d’observer qu’il a été efficacement appuyé dans cette entreprise par ses garants dans les lettres et dans les médias parisiens, faisant droit à des motivations plus politiciennes que littéraires. L’avenir nous enseignera s’il répond toujours à leurs surprenants desiderata. Il en viendra à réciter les froides incantations de la chute.


Abdellali Merdaci

Professeur de l’enseignement supérieur. Ecrivain. Enseigne la théorie littéraire à l’Université. A publié Engagements. Une critique au quotidien, Constantine, Médersa, 2013.



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Lira aussi :
Post 502 :

Post 464 :


Post 428 :


Post 425 :

(en bas de page, à la date du « 23 »)

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Voici d’autres articles de A. Merdaci sur Kamel Daoud :

 



23 avril 2015


Abdellali Merdaci [Opinion]


Les dérives médiatiques de Kamel Daoud


Une insensée et ruineuse campagne de promotion

Que l’appel d’un imam déjanté aux tribunaux de la République pour juger et infliger une lourde sentence de mort à un écrivain perçu comme blasphémateur envers l’Islam, religion de la majorité des Algériens, soit un fait inhabituel dans notre histoire littéraire, il ne devrait pas moins inviter à réfléchir à ce qui apparaît comme une violente et insupportable campagne de promotion dans les médias français d’un livre et de son auteur aux effets détonants et imprévisibles en Algérie. Kamel Daoud appartient à cette terrible catégorie d’écrivains qui poussent leur carrière sur les flots de scandales et d’imprécations constamment renouvelés. Il aurait pu laisser sa première œuvre minimaliste aller vers les lecteurs et s’inscrire dans la durée, la seule sanction respectable de la littérature, mais rien ne semble le préoccuper que de la pousser au gré de provocations répétées, qui le maintiennent sous une brûlante lumière. Voilà un chroniqueur-écrivain en mal avec la syntaxe, soucieux d’un management de choc de ses maigres débuts dans la littérature, propre à la société numérique, utilisant insidieusement ses infinies ressources.

Le récit qui l’a fait connaître en France Meursault, contre-enquête (Alger-Arles, Barzakh-Actes Sud, 2013-2014) est une œuvre à la fois mimétique et de circonstance, commencée – selon ses déclarations – en 2010 dans la foulée du cinquantième anniversaire de la disparition de l’écrivain colonial Albert Camus (1913-1960), publiée, la première fois, en Algérie, en marge du centenaire de sa naissance. Jamais une œuvre de seconde main, comme c’est le cas pour Meursault, contre-enquête, cousue dans les mots étroits de la sordide mise en abymes de L’Étranger, en en restituant dès l’incipit les topoï, n’aurait connu un tel succès en France, sans l’activisme de mauvais aloi de son auteur. Le « Meursault » de Daoud n’est pas le fruit de son imaginaire comme l’Ulysse (1922) de James Joyce (1882-1941) l’a été dans une transcription actuelle d’un mythe consomptif de l’humanité. Plusieurs centaines d’adaptations originales et de dialogue avec des œuvres classiques peuvent être citées, ici, mais ce n’est pas le lieu d’un tel débat. Je m’en tiendrais aux exemples récents nés de la confrontation à Camus et à son œuvre. Sur le thème strictement « camusien » trois écrivains Hamid Grine (Camus dans le narguilé, Paris, Après la lune, 2011), Salim Bachi (Le Dernier été d’un jeune homme, Paris-Alger, Flammarion-Barzakh, 2013) et Salah Guemriche (Aujourd’hui, Meursault est mort, édition numérique, Amazon, 2013) ont proposé des récits d’une qualité littéraire supérieure à Mersault, contre-enquête, édités en France, sans grand retentissement. Il ne leur est jamais paru légitime de faire reconnaître leur œuvre et leur art dans un délire querelleur sur l’Algérie, qui fait toujours recette dans l’ancienne puissance coloniale.

Kamel Daoud prolonge, au service de son œuvre, cette détestable mise en scène de l’écrivain-trublion, courue, depuis les années 1950, par quelques écrivains algériens qui ont vite assimilé que leur réussite littéraire se mesure, en France et en Occident, à l’aune d’un acharnement douteux dans leurs académies et dans leurs médias contre leur pays et son système politique. Les champs littéraire et médiatique français ne pouvaient pas ignorer un censeur aussi débridé et échevelé que le chroniqueur oranais qui a exercé son humeur délétère sur le président de son pays, les Palestiniens et l’Islam, sujets, il est vrai, houleux. En conséquence, l’écrivain a été adoubé pour la course aux prix littéraires nationaux français et la question du mérite de son œuvre, qui réécrit à contre-sens L’Étranger, sans une réelle créativité littéraire, n’a jamais été posée.

Trois cibles, remarquablement exploitées, ont porté sur le pavois médiatique et littéraire parisien le chroniqueur-écrivain.

1) Le président de la République-candidat. La campagne électorale pour l’élection présidentielle du printemps 2014 révèle un chroniqueur vibrionnant dont les saillies lui valent un brevet d’impertinence auprès de la presse parisienne, attribué par une critique littéraire du « Point ». En vérité, Kamel Daoud n’a jamais excellé dans le débat d’idées pourtant coutumier au « Quotidien d’Oran » qui l’emploie. Contre le candidat, président-sortant, il s’attache plus à la caricature qu’à l’analyse des faits : plutôt qu’à une politique décriée, il a choisi de s’attaquer à l’homme et à sa chaise roulante. Cette démarche irrévérencieuse, enveloppée dans un discours de la dérision, plutôt dérisoire, ressassé et lassant, envers la personne et la fonction présidentielle ne peut être tenue pour une charte éditoriale éthique ; elle n’est ni vertueuse ni courageuse parce qu’elle est tolérée, peut être même étrangement consentie par le système ombreux et ses maréchaussées. Dans l’effervescence d’une campagne électorale présidentielle funambulesque, le chroniqueur ne s’autorisait que d’une vacuité du champ politique algérien pour apparaître dans les salles de rédactions parisiennes comme une sorte d’héraut, bataillant contre un système politique abhorré.

2) La Palestine. Le mot « solidarité » (précisément envers les victimes des bombes israéliennes à Ghaza) étrangle le chroniqueur. Cette connivence avec le sionisme éclate au cœur d’un été meurtri et la presse parisienne salue cette distance calculée, accablant ceux qui expirent dans l’effroi du feu et de la grenaille. L’indifférence, brutalement réaffirmée, envers le malheur des Palestiniens, suscite pour le chroniqueur une saisissante empathie des médias parisiens. Leurs colonnes et leurs plateaux lui sont, dès lors, ouverts pour accueillir les positions inaccoutumées, toujours surprenantes, d’un Algérien qui ne condamne pas le sionisme et qui le comprend, même à demi-mot.

3) L’islam. À la télévision, chez Ruquier (« On n’est pas couché », France 2) et à la radio chez Finkielkrault (« Répliques », France culture), Daoud, le vent en poupe, excitant sa transformation d’islamiste en contempteur de la foi, passant d’un extrême à l’autre, déverse sa haine de l’Islam, sans aucun respect pour ses compatriotes musulmans. Là, encore, le trait est grossi, volontairement caricatural. Car est-il seulement envisageable de s’attaquer, dans une opération de promotion sauvage, à une grande civilisation universelle, humaniste et éclairée, et à ses fondements religieux, dans l’intention de faire mousser un court et pitoyable exercice de style, qui ne vaut pas tripette, tout en cautionnant une cabale glauque contre l’Islam dans une France, politiquement et culturellement déchue et acculée, dont un des cadors médiatiques veut « déporter », le terme est troublant, cinq millions de musulmans ?

La seule réaction, abondamment commentée, aux propos incendiaires de l’écrivain-chroniqueur sur l’Islam est venue d’un remuant imam de banlieue qui est son double, friand d’Internet et de réseaux sociaux. Curieuse gémellité qui s’habille de mythologie si elle ne tourne à la piètre comédie de boulevard ? Les proclamations télévisées de l’imam Abdelfatah Hamadache, qui sont la marque d’une inamendable casuistique bédouine, ne s’adressent pas à des spadassins barbus, tapis dans leurs sous-bois, pour les inciter, comme jadis, à tuer l’auteur de Meursault, contre-enquête. Fait fondamentalement nouveau qui n’a pas été relevé, le télé-imam assigne cette mise à mort à l’institution judiciaire dans une télévision privée qui émet avec l’accord tacite de l’État. Du sombre minbar d’une mosquée des tréfonds du pays aux sunlights des plateaux de télévision, il y a un changement de lieu d’énonciation, qui marque une évolution notable de la communication intégriste islamiste et de la diffusion de ses décrets moyenâgeux. On s’y tromperait : l’imam geek recourt à la justice et à ses appareils contre celui qu’il considère comme un apostat injuriant l’Islam, ce qui est paradoxalement dans la forme (au-delà des motivations profondes de la saisine) une valeur citoyenne et constitutionnelle. Habile adaptation, en vérité, aux mutations sociopolitiques présentes d’un discours salafiste exterminateur qui, lui, ne change pas et reste dans ses principes condamnable.

Cependant l’écrivain-chroniqueur et l’imam constituent dans leur singulier face-à-face l’envers et l’avers d’une même histoire tragique. Qui oubliera en Algérie l’heure des fetwa mortifères, leurs cortèges de deuils irrépressibles et de douleurs rémanentes ? Kamel Daoud était du côté de ceux qui décrétaient dans les années 1990 des mises à mort, autant solennelles que radicales, contre des artistes, intellectuels et syndicalistes, des membres des services de sécurité de l’État et des Algériens de toutes croyances et conditions. Et, il doit s’en souvenir, car il a été intimement et émotionnellement proche de cette horde barbare qui a emporté des milliers de vies, condamnées pour des convictions républicaines qui n’étaient pas les siennes, ni celle de l’imam Hamadache qui appelle, aujourd’hui, contre lui les foudres funestes et vengeresses de la justice.

Après avoir, en maintes occasions, proféré des discours clivants, qui heurtent les Algériens au motif affligeant de vendre son récit et son image sarcastique de trouble-fête, Kamel Daoud entend tirer tout le profit de la menaçante riposte de l’imam et de sa providentielle fetwa. À l’évidence, la sortie d’Abdelfatah Hamadache a été rendue possible par ses propos iconoclastes sur l’Islam et il n’a pas tardé à l’instrumentaliser. Elle lui permet d’entretenir une posture victimaire à la Salman Rushdie, sans en avoir ni le talent ni l’œuvre, dans une bouffonnerie de promotion médiatique qui tourne à l’inconvenant outrage, encouragée par le philosophe-guerrier français (fomentateur de « printemps arabe ») Bernard-Henri Lévy et une cohorte de lobbyistes sionistes parisiens. Peut-on aussi s’inquiéter de l’agitation éhontée de ceux qui se dressent dans la presse francophone algéroise, en rangs serrés, comme les soldats d’une ambition égotiste d’auteur, le soutiennent en imparables et prétentieux donneurs de leçons, qui attentent à la liberté d’expression en désignant à la vindicte, dans la semblable rhétorique insinuante de l’imam banlieusard, ceux qui ne pensent pas comme eux ? Jamais débat n’a été aussi vicié, souillé par un terrorisme intellectuel de salonards repus et de folliculaires embusqués, au service d’un auteur qui n’a encore rien prouvé, qui n’a pas pris le temps de forger une vraie œuvre littéraire, qui ne peut se prévaloir que d’une indécente rage de gloire, qui est prêt à tout raser sur son chemin pour y parvenir.

Abdellali Merdaci: Écrivain-universitaire. Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage paru : Une histoire littéraire déviée. La réception critique de la littérature algérienne de langue française d’avant 1950, Constantine, Médersa, 2014.
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Reporters 8 11 2014

La sélection et la disqualification de Kamel Daoud
aux prix Goncourt et Renaudot 2014

Une illusion néocoloniale

Abdellali Merdaci*

Samedi 8 novembre 2014
     La sélection par les académies Goncourt et Renaudot, en France, du premier roman Meursault, contre-enquête (Alger, Barzakh, 2013 ; Arles, Actes Sud, 2014) de Kamel Daoud et sa disqualification, le 5 novembre 2014, dans leurs ultimes votes pour l’attribution de leurs prix, ont été vécues comme un événement national en Algérie. Au moment où le pays célébrait le 60e anniversaire de son entrée en guerre contre le colonialisme français, le délire qui a accompagné les listes des deux jurys depuis leurs premières proclamations, distinguant l’œuvre du chroniqueur oranais, font penser à un  pays encore sous domination française, à une sorte de République algérienne fédérée à la France, telle qu’elle a été pensée  dans les années 1940 par Ferhat Abbas. Ce qui est une amère rétractation. Dans la patrie de Larbi Ben M’hidi et des centaines de milliers de martyrs de la guerre d’Indépendance, ce n’est plus seulement le football qui se pare des couleurs de la France mais aussi la littérature, au moment où le chef du FLN, jadis porte-flambeau de la guerre anticoloniale, est plus présent dans ses résidences parisiennes cossues que dans les bureaux enfumés de son austère palais algérois.
     Cette ferveur pour les coulisses putrides de grands prix littéraires français, dénoncées par le critique et historien Jacques Brenner, en 2006, fut-elle partagée par le vigilant commentateur Maâmar Farah, le très provincial Boubakeur Hamidechi (Le Soir d’Algérie, 30 octobre et 1er novembre 2014)  et l’universitaire Belkacem  Ahcène-Djaballah, fringant critique littéraire (Le Quotidien d’Oran, 30 octobre 2014). Fut-elle, enfin, consentie à la poignante dramatisation au lendemain de l’annonce de la défaite du candidat algérien par plusieurs quotidiens comme en témoignent les commentaires contrits d’El Watan et de L’Expression dans leur édition du 6 novembre 2014, reprenant les messages désespérés de l’auteur  désavoué à ses soutiens sur Tweeter et Facebook ?

Une France littéraire assimilatrice

     Créé, en 1896, par volonté testamentaire d’Edmond de Goncourt pour célébrer la mémoire de son frère Jules, disparu en 1870, le prix qui porte leur nom était au départ destiné à un jeune auteur français ; mais cela n’a pas toujours le cas. En fonction des fluctuations de l’histoire littéraire de la France, ces critères d’âge et de nationalité n’ont jamais été érigés en règle. Dans la première décennie de son outrecuidant magistère, le prix Goncourt apparaît tout proche de l’entreprise coloniale française consacrant les œuvres de John-Antoine Nau (« Cristobal, le poète », 1903), Claude Farrère (« Les Civilisés », 1905), Jérôme et Jean Tharaud (« Dingley, l’illustre écrivain », 1906), Marius-Ary Leblond (« En France », 1909). Il lui fut reproché d’avoir couronné, en 1921, René Maran et son « Batouala, véritable roman nègre », première ébauche d’un suave anticolonialisme littéraire, propre à effaroucher les rombières des beaux quartiers parisiens. Par le biais de ses nombreux prix, la France littéraire pratique une assimilation par le haut : elle naturalise les œuvres et auteurs de langue française dans le monde, marqués de singularité, quelles que soient leur origine ou leur nationalité, alors même qu’elle n’en manque pas dans sa propre littérature. S’il y a dans le champ littéraire français, des prix littéraires spécialement dédiés aux œuvres étrangères traduites, le prix Goncourt est une récompense traditionnellement destinée exclusivement aux seules œuvres de romanciers français nationaux ou assimilés – parfois même abusivement. En raison d’une attitude d’accaparement envahissante du champ littéraire français, il n’y a plus de littératures nationales belge et suisse de langue française, depuis longtemps ingérées par les histoires littéraires les plus officielles de l’École et de l’Université françaises. Au palmarès du Goncourt, les noms et les œuvres belges (Maxence Van Der Meersch, 1936 ; Francis Walder, 1958 ; Félicien Marceau, 1969 ; François Weyergans, 2005), suisse (Jacques Chessex, 1973), russes (Henri Troyat, 1938 ; Elsa Triolet, 1944 ; Andreï Makine, 1995),  et d’autres pays (Romain Gary-Émile Ajar, Lituanie, 1956-1974 ; Vintila Horia, Roumanie, 1960 ;Tahar Ben Jelloun, Maroc, 1987 ; Amine Maalouf, Liban, 1993 ; Jonathan Littell, États-Unis, 2006), sont inscrits au patrimoine de la littérature française. Hors des prix littéraires, la liste d’écrivains assimilés dans les lettres françaises est plus longue.
     En 2014, la sélection de Kamel Daoud au prix Goncourt fleure l’insidieuse provocation néocoloniale. Elle constitue et prolonge dans sa forme un impérialisme culturel français qui ne désarme pas. Si l’État français n’a jamais renié son passé colonial, une longue histoire de violence et de dépouillement des peuples en Afrique et en Asie, il garde toujours la main sur ce legs controversé, et maintient, sur le plan politique et militaire son pré-carré africain. Il en va pareillement dans le champ culturel, en général, et plus sensiblement, dans les littératures de langue française de ses anciennes possessions dans le monde. Et la langue de l’ancien colonisateur, devenue la langue de plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, enregistrant un remarquable développement en Algérie et dans les pays du Maghreb, s’érige-t-elle en vecteur d’un impérialisme culturel déguisé ?

« Briller » à Paris…

     Si le français s’est imposé comme langue officielle dans les défuntes colonies de l’AEF-AOF, la situation est bien différente dans les pays du Maghreb qui ont gardé, au-delà des conséquences mesurables de la colonisation, des traditions linguistiques berbères et arabes locales, fortement enracinées. En Algérie, où le français garde une plus durable présence, des années 1830 à nos jours, il ne peut être ni « un butin de guerre » ni un « bien vacant », mais une recréation. Du fait des conditions de distribution des langues par l’État colonial, des nombreuses proximités communautaires et culturelles entre populations européennes, juive et indigène de l’Algérie coloniale, des hétérogénéités linguistiques sont soulignées depuis l’indépendance nationale. Ont-elles suscité un français algérien, autrefois rêvé par Henri Kréa, qui exprime dans sa syntaxe et dans sa morphologie une langue mutante, un de ces retentissements de l’Histoire qui paraît insurmontable ? S’il y a un arabe algérien, mixage inventif des langues d’usage dans les vastes territoires du pays, il existe, désormais, un français algérien, il est vrai moins coloré que le charabia d’antan, et parfois de bonne tenue, lorsqu’il n’est pas génial de truculences ; et, il se lit dans les journaux et dans la littérature, il se décline aussi à la radio et à la télévision, fourbissant une imparable identité linguistique.
     Si les différentes générations d’écrivains algériens, depuis la fin du XIXe siècle, ont fait le choix de la pureté de la langue française, souvent raillé par les critiques et historiens de cette littérature, les auteurs d’aujourd’hui, à l’image de Kamel Daoud, ne connaissent qu’un néo-français, idiome segmenté, corrompu de solécismes. C’est cette mutation  en cours de la langue française d’Algérie que les académies Goncourt et Renaudot se sont empressées de retenir dans leurs listes successives ; et, avant elles, l’Académie française décernait le Prix François Mauriac à un de ses représentants. Mais, en vérité, ce que ces institutions de la langue et de la littérature françaises ont voulu sanctifier, c’est bien l’intarissable fortune littéraire d’Albert Camus, audacieusement recommencé dans son œuvre la plus contestable, par un écrivain algérien, qui pratique un ersatz de français, un français d’Arabe, renaissant dans les bruits et les fastes du centenaire de la naissance de l’écrivain colonial. Ce choix est celui de l’extravagance.

     Depuis son Manifeste « Pour une littérature-monde en français », en 2007, le champ littéraire français, particulièrement germanopratin, ne cache pas son ambition d’annexer les littératures des pays pratiquant le français et d’en établir une périphérie sanctuarisée. Beaucoup d’écrivains algériens se sont depuis intégrés à cette aventure littéraire néocoloniale, contre l’idée de littérature nationale algérienne, désormais recluse. Certains d’entre eux ont estimé que leur talent est mieux monnayé à Paris qu’à Alger ; d’autres ont voulu donner des gages en demandant et en obtenant simplement la nationalité française. Un romancier s’est affiché en Israël, pour y encourager une politique sanglante contre les Palestiniens, accumulant d’incertains hochets en contrepartie de misérables vilénies. Et il n’est pas moins significatif que Kamel Daoud ait « brillé […] dans les médias français par sa liberté de parole » à l’occasion d’une morne campagne électorale présidentielle en Algérie, comme l’observe une critique du « Point » (n° 2197 du 23 octobre 2014). Il pouvait aussi, pendant l’été 2014, au plus fort des tueries de femmes et d’enfants palestiniens de Ghaza par l’armée d’Israël, refuser dans une formule amphigourique, dans les colonnes du quotidien qui l’emploie, « une ‘‘solidarité’’ qui nous vend la fin du monde et non le début du monde ». Cette indifférence de Kamel Daoud envers la douleur du peuple de Ghaza, ne majorait-elle pas cette licence de tuer que s’est accordée, depuis longtemps au mépris des lois internationales, un sionisme arrogant ; elle a été résolument répandue dans les médias français par un écrivain-chroniqueur qui trempait sa plume dans le sang des martyrs palestiniens. Sur l’Algérie comme sur la Palestine, la presse littéraire parisienne, unanime, a su reconnaître cet engagement de trublion jacasseur, payé en recensions élogieuses pour un court roman mineur, au thème de seconde main, au style bravache, qui en d’autres circonstances n’aurait pas justifié un bas-de-casse dans ses colonnes. Il est certainement plus gratifiant pour un écrivain de faire une carrière éthique qui ne doit qu’à sa langue et à son imaginaire, plutôt qu’à un surenchérissement de moqueries sur son pays et à une course effrénée sur les cadavres d’enfants palestiniens. Mais on ne « brille » jamais à Paris et dans ses médias sans de redoutables conséquences.

Vaines surenchères politiques et piteuses démagogies littéraires

     Je ne crois pas que la démarche de Kamel Daoud, comme celle de l’increvable « Voyageur d’Israël », soit des plus cohérentes. Tous les deux, en piètres opposants de salon à un pouvoir algérien calamiteux, ont forcé leur critique d’un système politique démentiel et de ses acteurs dans des médias parisiens assurément disposés à donner une grande ampleur à leur discours, au service de la promotion de leur œuvre et de leur carrière d’écrivain. L’auteur de Meursault, contre-enquête, rédacteur en chef du seul quotidien algérien qui a accepté de publier « l’Appel aux consciences anticoloniales » contre la « Caravane Camus » en Algérie (Le Quotidien d’Oran, 1er mars 2010) se découvre « camusien », en 2013, chasseur d’aubaine, dans une troublante volte-face et une insipide œuvre de circonstance. N’y a-t-il, là, rien de sordide et de dérisoire ? Dans une déclaration à El Watan (4 novembre 2014), il affirme avoir de nouveaux projets d’écriture. Attendons donc l’accueil que leur feront l’édition et la critique françaises et espérons que soit reconnu leur français pittoresque, loin de vaines surenchères politiciennes et piteuses démagogies littéraires. Il serait de bon ton que les écrivains algériens soient reconnus à l’étranger pour la solidité de leurs œuvres plutôt que par leurs incantations sur la liberté de parole dans leur pays que le système éclopé, plus préoccupé par le contrôle des rues des cités que par la traque des gazettes, ne leur conteste plus.
     Le choix de Kamel Daoud d’écrire sur l’Algérie pour nourrir une carrière littéraire en France lui appartient et personne ne songera à le lui discuter. Éliminé au prix Goncourt et à son lot de consolation, le Renaudot, échappera-t-il à un avilissant enrôlement nocturne de supplétif des lettres françaises, lui qui s’est projeté dans la fragile carapace de l’Arabe frère de l’Arabe abattu dans la moiteur d’une table faisandée du restaurant Drouant, à Paris. Une mort tout autant absurde et évocatrice que celle de l’Arabe de « L’Étranger », qui répète et ravive une illusion néocoloniale. Mais la littérature algérienne ne se résoudra pas à être une sous-zone de la littérature française et de ses sous-traitants stipendiés. Le seul combat, qui soit nécessaire aujourd’hui, c’est de défendre – en Algérie – une littérature nationale dans toutes ses langues sans distinction, libre et autonome, à l’instar de celles de la France et d’autres pays du monde. Cette littérature algérienne n’est pas française et elle ne le sera pas. L’impérialisme culturel français ne doit pas en faire une arrière-cour et solder en dépendance aliénée son honneur et son indépendance.
* Écrivain-universitaire. Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage paru : Une histoire littéraire déviée. La réception critique de la littérature algérienne de langue française d’avant 1950, Médersa, 2014.

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25 DECEMBRE 2014

ALGERIE NETWORK


Abdellali Merdaci*
Une insensée et ruineuse campagne de promotion
Que l’appel d’un imam déjanté aux tribunaux de la République pour juger et infliger une lourde sentence de mort à un écrivain perçu comme blasphémateur envers l’Islam, religion de la majorité des Algériens, soit un fait inhabituel dans notre histoire littéraire, il ne devrait pas moins inviter à réfléchir à ce qui apparaît comme une violente et insupportable campagne de promotion dans les médias français d’un livre et de son auteur aux effets détonants et imprévisibles en Algérie.
Kamel Daoud appartient à cette terrible catégorie d’écrivains qui poussent leur carrière sur les flots de scandales et d’imprécations constamment renouvelés. Il aurait pu laisser sa première œuvre minimaliste aller vers les lecteurs et s’inscrire dans la durée, la seule sanction respectable de la littérature, mais rien ne semble le préoccuper que de la pousser au gré de provocations répétées, qui le maintiennent sous une brûlante lumière. Voilà un chroniqueur-écrivain en mal avec la syntaxe, soucieux d’un management de choc de ses maigres débuts dans la littérature, propre à la société numérique, utilisant insidieusement ses infinies ressources.
Le récit qui l’a fait connaître en France Meursault, contre-enquête (Alger-Arles, Barzakh-Actes Sud, 2013-2014) est une œuvre à la fois mimétique et de circonstance, commencée – selon ses déclarations – en 2010 dans la foulée du cinquantième anniversaire de la disparition de l’écrivain colonial Albert Camus (1913-1960), publiée, la première fois, en Algérie, en marge du centenaire de sa naissance. Jamais une œuvre de seconde main, comme c’est le cas pour Meursault, contre-enquête, cousue dans les mots étroits de la sordide mise en abymes de L’Étranger, en en restituant dès l’incipit les topoï, n’aurait connu un tel succès en France, sans l’activisme de mauvais aloi de son auteur. Le « Meursault » de Daoud n’est pas le fruit de son imaginaire comme l’Ulysse (1922) de James Joyce (1882-1941) l’a été dans une transcription actuelle d’un mythe consomptif de l’humanité.
Plusieurs centaines d’adaptations originales et de dialogue avec des œuvres classiques peuvent être citées, ici, mais ce n’est pas le lieu d’un tel débat. Je m’en tiendrais aux exemples récents nés de la confrontation à Camus et à son œuvre. Sur le thème strictement « camusien » trois écrivains Hamid Grine (Camus dans le narguilé, Paris, Après la lune, 2011), Salim Bachi (Le Dernier été d’un jeune homme, Paris-Alger, Flammarion-Barzakh, 2013) et Salah Guemriche (Aujourd’hui, Meursault est mort, édition numérique, Amazon, 2013) ont proposé des récits d’une qualité littéraire supérieure àMersault, contre-enquête, édités en France, sans grand retentissement. Il ne leur est jamais paru légitime de faire reconnaître leur œuvre et leur art dans un délire querelleur sur l’Algérie, qui fait toujours recette dans l’ancienne puissance coloniale.
Kamel Daoud prolonge, au service de son œuvre, cette détestable mise en scène de l’écrivain-trublion, courue, depuis les années 1950, par quelques écrivains algériens qui ont vite assimilé que leur réussite littéraire se mesure, en France et en Occident, à l’aune d’un acharnement douteux dans leurs académies et dans leurs médias contre leur pays et son système politique. Les champs littéraire et médiatique français ne pouvaient pas ignorer un censeur aussi débridé et échevelé que le chroniqueur oranais qui a exercé son humeur délétère sur le président de son pays, les Palestiniens et l’Islam, sujets, il est vrai, houleux. En conséquence, l’écrivain a été adoubé pour la course aux prix littéraires nationaux français et la question du mérite de son œuvre, qui réécrit à contre-sens L’Étranger, sans une réelle créativité littéraire, n’a jamais été posée.
Trois cibles, remarquablement exploitées, ont porté sur le pavois médiatique et littéraire parisien le chroniqueur-écrivain.
1) Le président de la République-candidat. La campagne électorale pour l’élection présidentielle du printemps 2014 révèle un chroniqueur vibrionnant dont les saillies lui valent un brevet d’impertinence auprès de la presse parisienne, attribué par une critique littéraire du « Point ».
En vérité, Kamel Daoud n’a jamais excellé dans le débat d’idées pourtant coutumier au « Quotidien d’Oran » qui l’emploie.
Contre le candidat, président-sortant, il s’attache plus à la caricature qu’à l’analyse des faits : plutôt qu’à une politique décriée, il a choisi de s’attaquer à l’homme et à sa chaise roulante. Cette démarche irrévérencieuse, enveloppée dans un discours de la dérision, plutôt dérisoire, ressassé et lassant, envers la personne et la fonction présidentielle ne peut être tenue pour une charte éditoriale éthique ; elle n’est ni vertueuse ni courageuse parce qu’elle est tolérée, peut être même étrangement consentie par le système ombreux et ses maréchaussées.
Dans l’effervescence d’une campagne électorale présidentielle funambulesque, le chroniqueur ne s’autorisait que d’une vacuité du champ politique algérien pour apparaître dans les salles de rédactions parisiennes comme une sorte d’héraut, bataillant contre un système politique abhorré.
2) La Palestine. Le mot « solidarité » (précisément envers les victimes des bombes israéliennes à Ghaza) étrangle le chroniqueur. Cette connivence avec le sionisme éclate au cœur d’un été meurtri et la presse parisienne salue cette distance calculée, accablant ceux qui expirent dans l’effroi du feu et de la grenaille.
L’indifférence, brutalement réaffirmée, envers le malheur des Palestiniens, suscite pour le chroniqueur une saisissante empathie des médias parisiens. Leurs colonnes et leurs plateaux lui sont, dès lors, ouverts pour accueillir les positions inaccoutumées, toujours surprenantes, d’un Algérien qui ne condamne pas le sionisme et qui le comprend, même à demi-mot.
3) L’islam. À la télévision, chez Ruquier (« On n’est pas couché », France 2) et à la radio chez Finkielkrault (« Répliques », France culture), Daoud, le vent en poupe, excitant sa transformation d’islamiste en contempteur de la foi, passant d’un extrême à l’autre, déverse sa haine de l’Islam, sans aucun respect pour ses compatriotes musulmans.
Là, encore, le trait est grossi, volontairement caricatural. Car est-il seulement envisageable de s’attaquer, dans une opération de promotion sauvage, à une grande civilisation universelle, humaniste et éclairée, et à ses fondements religieux, dans l’intention de faire mousser un court et pitoyable exercice de style, qui ne vaut pas tripette, tout en cautionnant une cabale glauque contre l’Islam dans une France, politiquement et culturellement déchue et acculée, dont un des  cadors médiatiques veut « déporter », le terme est troublant, cinq millions de musulmans ?
La seule réaction, abondamment commentée, aux propos incendiaires de l’écrivain-chroniqueur sur l’Islam est venue d’un remuant imam de banlieue qui est son double, friand d’Internet et de réseaux sociaux.
Curieuse gémellité qui s’habille de mythologie si elle ne tourne à la piètre comédie de boulevard ? Les proclamations télévisées de l’imam Abdelfatah Hamadache, qui sont la marque d’une inamendable casuistique bédouine, ne s’adressent pas à des spadassins barbus, tapis dans leurs sous-bois, pour les inciter, comme jadis, à tuer l’auteur deMeursault, contre-enquête. Fait fondamentalement nouveau qui n’a pas été relevé, le télé-imam assigne cette mise à mort à l’institution judiciaire dans une télévision privée qui émet avec l’accord tacite de l’État.
Du sombre minbar d’une mosquée des tréfonds du pays aux sunlights des plateaux de télévision, il y a un changement de lieu d’énonciation, qui marque une évolution notable de la communication intégriste islamiste et de la diffusion de ses décrets moyenâgeux.
On s’y tromperait : l’imam geek recourt à la justice et à ses appareils contre celui qu’il considère comme un apostat injuriant l’Islam, ce qui est paradoxalement dans la forme (au-delà des motivations profondes de la saisine) une valeur citoyenne et constitutionnelle. Habile adaptation, en vérité, aux mutations sociopolitiques présentes d’un discours salafiste exterminateur qui, lui, ne change pas et reste dans ses principes condamnable.
Cependant l’écrivain-chroniqueur et l’imam constituent dans leur singulier face-à-face l’envers et l’avers d’une même histoire tragique. Qui oubliera en Algérie l’heure des fetwa mortifères, leurs cortèges de deuils irrépressibles et de douleurs rémanentes ? Kamel Daoud était du côté de ceux qui décrétaient dans les années 1990 des mises à mort, autant solennelles que radicales, contre des artistes, intellectuels et syndicalistes, des membres des services de sécurité de l’État et des Algériens de toutes croyances et conditions.
Et, il doit s’en souvenir, car il a été intimement et émotionnellement proche de cette horde barbare qui a emporté des milliers de vies, condamnées pour des convictions républicaines qui n’étaient pas les siennes, ni celle de l’imam Hamadache qui appelle, aujourd’hui, contre lui les foudres funestes et vengeresses de la justice.
Après avoir, en maintes occasions, proféré des discours clivants, qui heurtent les Algériens au motif affligeant de vendre son récit et son image sarcastique de trouble-fête, Kamel Daoud entend tirer tout le profit de la menaçante riposte de l’imam et de sa providentielle fetwa.
À l’évidence, la sortie d’Abdelfatah Hamadache a été rendue possible par ses propos iconoclastes sur l’Islam et il n’a pas tardé à l’instrumentaliser. Elle lui permet d’entretenir une posture victimaire à la Salman Rushdie, sans en avoir ni le talent ni l’œuvre, dans une bouffonnerie de promotion médiatique qui tourne à l’inconvenant outrage, encouragée par le philosophe-guerrier français (fomentateur de « printemps arabe ») Bernard-Henri Lévy et une cohorte de lobbyistes sionistes parisiens.
Peut-on aussi s’inquiéter de l’agitation éhontée de ceux qui se dressent dans la presse francophone algéroise, en rangs serrés, comme les soldats d’une ambition égotiste d’auteur, le soutiennent en imparables et prétentieux donneurs de leçons, qui attentent à la liberté d’expression en désignant à la vindicte, dans la semblable rhétorique insinuante de l’imam banlieusard, ceux qui ne pensent pas comme eux ?
Jamais débat n’a été aussi vicié, souillé par un terrorisme intellectuel de salonards repus et de folliculaires embusqués, au service d’un auteur qui n’a encore rien prouvé, qui n’a pas pris le temps de forger une vraie œuvre littéraire, qui ne peut se prévaloir que d’une indécente rage de gloire, qui est prêt à tout raser sur son chemin pour y parvenir.
Abdellali Merdaci
Écrivain-universitaire. Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage paru : Une histoire littéraire déviée. La réception critique de la littérature algérienne de langue française d’avant 1950, Constantine, Médersa, 2014.

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Le Pr. Merdaci : Droit de réponse ; La littérature nationale algérienne comme horizon
Le Pr. Merdaci 
Mis en cause nommément dans une contribution publiée dans l’édition de Liberté du jeudi 26 décembre 2014 sous le titre « Meursault, contre-enquête ou la revanche postcoloniale du fils prodige », reprenant des éléments de mon article sur « La sélection-disqualification de Kamel Daoud aux prix Goncourt et Renaudot 2014. Une illusion néocoloniale » (Reporters [Alger], 8 novembre 2014), je m’adresse à ses lecteurs pour répondre aux incriminations à la limite de la malveillance et du dénigrement de l’auteur de contrevérités, empêtré dans ses définitions du colonialisme et du néocolonialisme, qui ne s’autorise que d’une lecture sommaire de mes positions critiques et de théories postcoloniales qu’il a mal digérées, afin d’instruire à mon encontre un procès d’intention. Je m’en tiens à trois aspects de cette philippique :
1) Sur la question de la langue française. Le contributeur de Liberté (qui ne connaît ni mon parcours universitaire ni mes travaux) écrit, dans une affirmation accusatrice, que « l’auteur de cette contribution prend […] le fait que Kamel Daoud ait écrit en français » sans mesurer le ridicule de cette imputation. Professeur de langue et littérature françaises et de théorie littéraire à l’Université, j’ai publié quinze ouvrages et plus d’une centaine d’articles de revues et de journaux sur la littérature algérienne de langue française, qui est l’objet de mes recherches, mais aussi sur la littérature française du XXe siècle, notamment sur Louis-Ferdinand Céline ; j’ai accompagné, pendant plusieurs années, mes étudiants dans l’étude de la modernité littéraire française, notamment à travers la lecture des œuvres de Michel Butor et de Patrick Modiano. Cette littérature française reste attachante ; elle a exprimé et continue à exprimer la permanence et le renouvellement de l’idée littéraire en Europe.
Le signataire de cette contribution, pour mieux forcer le trait d’une relation conflictuelle à la langue française, me compare à l’écrivain Tahar Ouettar, campé en croquemitaine, dont il déterre la dépouille et injurie la mémoire. Sur son lit de mort, l’auteur d’El Zilzel (Le Séisme, Alger, SNED, 1977), remarquable roman en langue arabe de la littérature algérienne, a manifesté son amitié pour la France et sa considération pour sa littérature. Il est, certes, intervenu véhémentement, en 1992, dans un rencontre franco-algérienne sur les Accords d’Évian.
Commentant la publication, en marge du colloque, d’une anthologie franco-algérienne (Trente ans après. Nouvelles de la guerre d’Algérie, Paris, Le Monde Éditions, 1992), dirigée par le journaliste du « Monde » Daniel Zimmermann et l’écrivain-journaliste algérien Tahar Djaout, Tahar Ouettar pouvait s’étonner, à bon droit, que la littérature algérienne de langue arabe ne soit pas invitée dans ce panorama littéraire célébrant deux pays, au-delà de ce qu’a pu être leur longue et violente histoire commune. Que ses propos ait été ressentis comme polémiques et dénaturés dans les plus sombres recoins d’une francophilie algérienne malheureuse, avec le temps qui passe et n’arrange rien, dans une transcription caricaturale et abusive, ne sert pas la vérité.
Ceci dit – convient-il de le répéter ? –, j’ai relevé dans l’article incriminé que l’auteur Kamel Daoud utilise un ersatz de langue française, une spécificité locale du français, historiquement datée, qui devrait intéresser les chercheurs en littérature et en sociolinguistique. Dois-je donc accepter, pour cela, une insoutenable assignation à une imaginaire censure de l’écriture en langue française en Algérie ? C’est un exemple de propos comminatoires qui épousent, souvent, une ferveur imbécile.
 2) Sur les aspects institutionnels de la littérature algérienne. Algérien et fier de l’être, je reste fidèle au combat de mes aînés contre le colonialisme français, inhumain et exterminateur, que rien ne saurait excuser, qui ne peut être oublié ; ce combat pour la dignité et la liberté des Algériens, sortant de la gangue de l’Indigénat, éclaire et aiguise une pensée critique de chercheur universitaire et d’écrivain. Comment ne pas être vigilant face à un néo-colonialisme ambiant, propre aux champs médiatique et littéraire français lorsqu’il s’agit de la littérature algérienne, plus précisément de langue française ?
Je renvoie les lecteurs de Liberté à mon ouvrage Engagements. Une critique au quotidien (Constantine, Médersa, 2013) dans lequel j’explique mes positions sur la propension du champ littéraire français à vouloir assimiler les littératures de langue française des anciennes colonies, leurs œuvres et leurs auteurs, comme une périphérie de la littérature française, projetée comme le lieu matriciel de ces littératures étrangères Cet impérialisme culturel français, dont le « Manifeste pour une littérature-monde en français » (diffusé en 2007) est l’illustration, existe et il est condamnable. Il y a une littérature algérienne de langue française, avec ses auteurs et ses œuvres, qui n’a d’autre prétention que d’être algérienne, qui ne recherche pas et qui se défie d’être une littérature de « second collège », qui ne veut et ne peut  être phagocyté par la littérature française comme le sont les littératures suisse et belge de langue française qui ont abdiqué leur identité nationale.
Ce n’est pas la liberté d’écrivains algériens (parfaitement assimilables comme au temps de la colonie) de faire explicitement une carrière française dans un « second collège » d’Arabes de service, exhibés comme dans les zoos humains d’antan, qui est discutée dans mes travaux et opinions publiques, mais leur ambigüité, à se proclamer écrivains dans deux pays dans le seul but d’en tirer, contre toute éthique, des profits personnels.
Combien d’écrivains, comme Anouar Benmalek, ont témoigné d’un inébranlable cynisme sur cette question d’appartenance en demandant volontairement la nationalité française et en se proclamant « écrivain français d’origine algérienne » en quatrième de couverture de leurs œuvres tout en courant régulièrement les festivités littéraires algériennes ? Il n’y a pas de littérature franco-algérienne et la littérature algérienne se grandira de ne reconnaître que les écrivains qui se réclament d’elle et celle de la France gagnerait à ne plus vouloir naturaliser, dans de factices consécrations et intégrations sans lendemain, tous les écrivains algériens qui sollicitent son édition.
      Kamel Daoud, auteur d’un récit mimétique qui doit tout à Camus, qui n’a encore rien construit littérairement qui relève de sont art, donnant aux médias parisiens les gages attendus sur l’Algérie et son pouvoir, la Palestine, l’islam et le monde arabo-musulman, a admis d’être assimilé à la littérature française en s’impliquant dans une compétition littéraire franco-française, dans une illusion néocoloniale. Il est toujours obnubilé par le chant de sirènes des académies littéraires du Goncourt et du Renaudot qui n’ont rien décerné, à lui comme à des dizaines de romanciers algériens, depuis les années 1950, dont il poursuit la quête vaine. Il a pu stigmatiser, récemment, le projet d’un Grand prix national de littérature en Algérie. Il est clair que les attitudes de ces écrivains fragilisent, dans notre pays, l’idée d’une littérature nationale.
3) Sur la « littérature nationale ». Comme je le rappelle dans l’article cité par le contributeur de Liberté, « le seul combat, qui soit nécessaire aujourd’hui, c’est de défendre – en Algérie – une littérature nationale dans toutes ses langues sans distinction, libre et autonome, à l’instar de celles de la France et d’autres pays du monde. » Il est certainement difficile de porter et d’approfondir le débat intellectuel autour d’une « littérature nationale », à partir de l’Université algérienne.
Dans le domaine de la littérature algérienne de langue française, le concept semble effaroucher des cercles d’enseignants-chercheurs définitivement acquis aux thèses de Mostefa Lacheraf (reprises par le Père Jean Déjeux) sur une littérature algérienne née spontanément au début des années 1950 et qualitativement inséparable de l’édition française. Daoud en est, en 2014, l’exemple. Longtemps ignoré en Algérie après sa publication par l’éditeur algérois Barzakh, son récit a été accueilli par la foule immonde et moutonnière de laudateurs qui, le plus souvent, ne l’ont pas lu, après avoir reçu l’estampille française.
Cette réflexion sur la littérature nationale algérienne de langue française, je la nourris dans mes travaux universitaires et mes interventions publiques, depuis les années 1980, sans aucune  discrimination relativement à son inscription dans le temps, aux positions idéologiques et aux postures politiques de ses auteurs pendant la colonisation française.
Je me suis ainsi préoccupé ces dernières années, en en construisant les bases théoriques, à proposer un discours historique unifiant sur cette littérature et à en remembrer le cours de l’histoire, en publiant ses textes fondateurs, notamment ceux d’Omar Samar, le tout premier romancier algérien de langue française, écrivant vers la fin du XIXe siècle, et la toute première synthèse sur l’écriture de langue française des Algériens pendant la période coloniale (Auteurs algériens de langue française de la période coloniale. Dictionnaire biographique, Paris-Alger, L’Harmattan-Chihab Éditions, 2010).
C’est au nom de la reconnaissance d’une algérianité qui leur fut âprement discutée par une critique littéraire, qui s’est développée dans la proximité de la guerre d’indépendance et de ses attentes nationales, que j’ai introduit dans le champ des études littéraires algériennes les écrivains d’avant 1950, mais aussi les chercheurs universitaires qui, à la suite d’Abdelkader Djeghloul, Ahmed Lanasri et Hadj Miliani, ont reconnu dans leurs écrits le cheminement d’une pensée indigène encore dominée et son inconfortable expression littéraire ; c’est aussi dans la fidélité à ce principe que j’ai pris, en 2011, au moment où l’Université algérienne et ses bien-pensant patentés se taisaient honteusement,
la défense de Mouloud Mammeri dont l’algérianité de l’homme, de l’écrivain et de l’œuvre était cruellement contestée par l’écrivain et critique Tahar Benaïcha (Cf. « Un troublant déni d’algérianité. Mouloud Mammeri ou la seconde mort du Juste », Le Soir d’Algérie [Alger], 25 mai 2011).
Je reste dans ce combat, plus que jamais indispensable, pour consolider l’unité de la littérature algérienne et une indépendance culturelle, toujours menacée. Je ne crois pas qu’un débat sincère sur cette littérature puisse se baser sur des propos réducteurs, des attaques perfides et des sommations outrancières.
Kamel Daoud, son choix assumé d’une posture néocoloniale et son succès de scandale ne représentent qu’un épiphénomène passager, il importe, aujourd’hui, de croire à une littérature algérienne autonome et de la rendre possible.
C’est avec le concours des écrivains, des éditeurs, des critiques, des chercheurs universitaires, mais surtout des lecteurs, que cette littérature des Algériens, riche de toutes ses langues, pourra forger son destin de littérature nationale, qui produira dans son pays ses grands auteurs et ses œuvres sublimes, loin des agressions d’un impérialisme culturel français toujours présent, mais aussi d’étroites surenchères sur ses langues d’usage. Cette littérature nationale algérienne, qui atteindra la maturité, sera d’abord reconnue dans son pays avant de l’être dans le vaste monde dans un échange égal et respectueux avec toutes les cultures littéraires.

*Écrivain-universitaire. Professeur de l’enseignement supérieur. Dernier ouvrage paru : Une histoire littéraire déviée. La réception critique de la littérature algérienne de langue française d’avant 1950, Constantine, Médersa, 2014.

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