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dimanche, avril 09, 2006

21- LeTAS: RUE DES MOINES, LE SOIR (suite)

(Suite)

Dans le temps Souk Ahras était un gros bourg poussiéreux et populeux. Comme tous les villages du Bled. L'indolence et le repos épousaient les ombres épaisses des maisons. Le soleil assourdissait la ville. Le soir venu, le tintamarre des voitures et des carrioles de tous âges prenaient le dessus, occupant l'espace et les tympans, depuis longtemps familiarisés. Pris d'assaut dès l'aurore, les cafés étaient sombres et toujours grouillants d'hommes. Hommes seuls avec ou sans barnous. Depuis l'indépendance, intimidés par les frères et les parrains les hommes se reposent. Ils ne suent plus, c’est mal vu : Les uns étaient sans emploi, les autres non. D'ailleurs la question, dans ses deux volets, était superflue et n'intéressait que les bureaucrates statisticiens. Les hommes jouaient aux cartes, aux dominos qu'ils plaquaient de leurs grosses mains rugueuses et implacables contre des tables branlantes chétives et soumises. "R’chemm !" Les mots étaient rares mais ne demeuraient jamais enfouis dans les poches lorsque la situation les imposait. Appropriés et bruts ils étaient peu conventionnels. Le reste était une affaire d'abondantes gesticulations et de regards mixés. Autour donc des dominos et des cartes : R'chemm !" Ils fumaient et chiquaient, crachaient et hurlaient à la fois. Il leur arrivait même de faire l'impasse sur l'aléatoire repas. R'chemm-mma !" rocaillaient-ils dans la pénombre parmi les insectes bourdonnants. Les enfants ne connaissaient ni les gamins de Bombay ni ceux de Santiago mais comme eux ils pullulaient sur les trottoirs, tiraient des charrettes épuisées : "Balek, balek, poussez-vous, attention ! Chaud, chaud !" Ils jouaient aux adultes sur la chaussée goudronnée, dos-d'ânisée, nids-de-poulisée qui n'en pouvait mais ; martyrisée Les garçons s'invitaient sur les toits d'où ils épiaient les allées et venues des filles qui devinaient et acceptaient leurs intrigues. Le soir ils rentraient au bercail et dans les rangs. Vous serez des hommes leur disait-on pour les encourager. Les femmes partout faisaient défaut. Elles étaient aux fourneaux et aux moulins ancestraux. Là.
Les parents de Rian habitent une maison dix fois rénovée, dix fois rajeunie, avec une grande cour au centre de laquelle trône glorieux, un olivier défiant les saisons et les lieux. Evidemment. L'arbre se nourrit de ses racines sans retenue. "Sans lui je serai le roi, le plus grand, le plus beau" ne cesse de susurrer le frêne. C'est à son ombre protectrice que généralement on mange ou médite. Parfois certains habitants du quartier demandent à entrer seulement pour toucher l’arbre, y accrocher un chiffon qu’ils reprendront imbibé de tous les espoirs parfois même de toutes les bénédictions, lors de la prochaine visite. Sans la vigilance des parents de Rian, leur protégé eût beaucoup perdu en feuilles et en fruits. Il paraît qu’il est ainsi discrètement vénéré depuis la nuit des temps. Non loin du domicile parental se trouve l'incontournable église qui en sa crypte, fait office de musée. Quelques statues et stèles glacées, dédiées aux Dieux et à leurs saints l'embaument d'un parfum de vie éternelle. Esculape, Sylvain et justement Augustin qui fait froidement face à Donat. Tous deux Augustin et Donat revendiquent les mêmes lieux et Dieux. Nous nous y sommes rendus à trois reprises. A chaque fois nous y étions les seuls visiteurs avec Kada notre guide et gardien du temple. Comme dans la basilique de Zegarra Notre Dame d’Afrique, discrètement malgré tout, nous brûlions des cierges. A Oran nous faisions de même dans la Chapelle de Santa Cruz et dans le mausolée de Sidi Abdelkader El Djilani qui ont la ville et ses résidents à l'œil et aux pieds.
Lorsque les jeunes thagastis du quartier, railleurs et ignorants le croisaient en sortant de l'école coranique, ils scandaient : "Si-di-Ka-da bou-zou-ada ! Kada-Bruce Kada Bliss !"
Pour les réprimander ou pour se faire pardonner sa présence, une fois Kada leur répondit d'un ton ferme et confus : "Cet endroit est merveilleux, il est enchanteur, c'est un lieu saint ! Vous, vous êtes ignorants comme vos parents, allez, tert', tert' ma ! oust innocents oust innocents !"Il se tut un instant, repris son souffle et rectifia : "ignorants !" Puis il s'immobilisa. Il plongea son regard contemplatif sur la terre, avança de quelques pas et nous dit les bras ballants : "Comment peut-on vivre avec des ignorants? Voyez-vous, ils me font pécher, ils n'en font qu'à leur tête ! Habituellement je ne leur réponds même pas à ces hérétiques fils d'hérétiques". Ses bras libérés par la hargne de ses paroles se mirent à dessiner des courbes, couronnes et circuits de plus en plus grands. De plus en plus informes. Il répéta mécaniquement:
- Ignorants !
- Si-di-Ka-da bou-zou-ada ! Kada-Bruce Kada Bliss ! répétaient de plus belle les autres ;
- Au Diable ! Filez fils de, fils de, fils de chiens ! Pas d'indulgence !
Il s'adressait aux garnements mais ses yeux qui viraient du noir au jaune glissaient tantôt sur ses ennemis du moment tantôt sur nous.
Notre présence l'empêchait d'aller plus loin. Il voulait -j'en étais sûr- leur crier autrement sa rage, physiquement, mais nous étions là nous, fils de bonnes familles insistait-il. C'est ainsi qu'il nous désignait. Wled el hlal, par opposition à d'autres jeunes illicites eux. "Fils de, fils de, fils de chiens", blâmait-il. Les enfants de S.A lui reprochaient de garder des lieux pas si saints. Lui il reprochait à leurs parents d'en adorer d'autres. Pour motiver ses comportements il nous brossa un noir tableau d'une vague histoire de bandes organisées des temps premiers, des gueux qui terrorisaient les populations. Kada avoua qu'il pouvait comprendre les descendants de ces révoltés, mais quand même ! "On ne peut pas avoir deux saints protecteurs pour une seule et même ville". Surtout qu'il y eut entre tous la réconciliation forcée. "Tout le monde doit la respecter". Il connaissait et racontait si bien l'histoire que ces gamins, plus que leurs parents ne comprenaient pas pourquoi il n'était pas plus compréhensif. Rian demeura quelques semaines à tourner en rond chez ses vieux parents avant de décider d'émigrer. En France. Mes premières pensées en l'accueillant à Roissy-Charles-De-Gaulle allèrent vers Kada :
- Qu'est-il devenu?
- Ih Daden ! Kada Daden ! Il est toujours là me dit Rian, il est immortel ce gars là. Toujours aussi alerte quel que soit son âge ! Hélas, il ne parle plus. Il ne parle plus.
Il ajouta : "Je m'installe. Définitivement. Qu'on veuille de moi ou non, c'est kifkif".
Rian fit partie des rares chanceux -dit-on- A Paris la bataille fût rude tant les esprits officiels et populaires étaient frileux.
- Des papiers pour tous !" Tonnaient les hommes unis.
- On ne peut accueillir toute la misère du monde, ça va faire un appel d'air ! s'égosillaient en écho les en-charge-de.
- Ils ont voulu leur indépendance, qu'est-ce qu'ils viennent nous faire chier chez nous ces aliens, échoïsaient à la droite des premiers, des égotistes au cortex mou et peu épais.
Je confirme : égoïstes et vaniteux.
- Les européens d'accord, il faut fermer et tutti quanti…
L'Histoire encore une fois s'est retournée dans sa propre mémoire souillée. A cette époque déjà, plusieurs décennies apprécièrent la fraternité qui nous liait Rian et moi. Jamais rien n’a pu nous monter l'un contre l'autre . Sauf une fois ou deux. Une fois. Nous entrions tranquillement dans notre majorité, par conséquent nous étions responsables de tous nos actes. Il nous fallait apprendre à les assumer. Nous étions alors bien jeunes et nous nous connaissions depuis déjà plusieurs années. -Comment ose-t-on créer des problèmes si peu mesquins soient-ils à des jeunes comme nous?- Ce jour là cela a tourné au vinaigre. Nous étions invités ; Loumi -un bon ami commun- lui et moi à deux séances de cinéma, à la cinémathèque d’Oran. C'est un haut lieu de la culture verticale de toute la région. Les invitations émanaient comme d'habitude des mêmes gens ; très respectables et introduits. Complètement désintéressés. Telle était du moins notre appréciation. -Il s'avéra plus tard que ces offres devaient provoquer chez nous les mêmes effets que ceux que déclenchait la clochette chez les chiens pavloviens.- Lors du débat qui tourna autour du film de Hanoun, La vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu auquel il est vrai nous n’avions rien compris, il m’a semblé que Rian voulu faire l'intéressant. Alors que depuis une heure la salle débattait du contenu certes avec passion ; lui qui n’avait pas dit un mot jusque là, brusquement se leva. Il exigea le silence de la salle. La salle se tut. Seuls quelques téméraires spectateurs, plus par habitude que par provocation, de leurs dents écalaient des graines de potirons séchées et salées qui crépitaient dans leur bouche. Rian bomba le torse, prit un élan cérémonieux tracté par ses responsabilités pleines et entières. Il cria :
- Tout çà c’est à cause de l’indépendance qui a empêché la Méditerranée de continuer à traverser les deux Gaules comme la Seine traverse Paris !
Il se fit rebelle, malgré lui. Lui qui ne souhaitait que prendre ses responsabilités premières ! Spontanément ce fut quelques rires vite étouffés puis progressivement d’immenses éclats de rires se télescopèrent dans la salle puis se fut l'hilarité générale. Il n'en démordit pas et répéta les mêmes mots, indifférent au tumulte amplifié. "C'est à cause de l'indépendance qui…". Je le pris par le bras. Loumi s’enfonça silencieux derechef et un peu plus dans son siège. J'étais vert, mon regard lui était noir. Mon verbe se fit spontanément torrent gras.
- C’est quoi ta merde là, tu veux gâcher la soirée ou quoi? Arrête !" Un doigt probablement pointé vers l’animateur, ou bien vers le réalisateur ou son assistante, tous deux stupéfaits et immobiles à ses côtés ; Rian hurlait et répétait la tête en arrière, la poitrine et l'abdomen bien en avant :
- C'est à cause de l'indépendance, je vous le dis moi, c'est à cause de l’indépendance !
Pris au dépourvu, les invités -assis sur des chaises de bureau, basses et nues posées au milieu de l’estrade sous l’écran, face au public- firent quelques gestes dont ils étaient seuls détenteurs de la signification. De toute évidence ils étaient mal à l’aise. Des spectateurs polis ou peureux sortirent discrètement. Sèchement je priai mon ami de me suivre. Dans le hall de la cinémathèque, en forme d'un T caricatural comme il se doit, la discussion s’envenima à un point jamais atteint entre Rian et moi. Un grand sexagénaire, qui dans un coin fumait tendit l'oreille. D'autres fuirent la tête baissée et le regard entre les jambes sans dire un mot.
- Arrêtez dit l’inconnu. Ca va maintenant, calmez-vous !
Nous reprîmes à qui mieux-mieux nos gesticulations. Comment faire sérieux autrement?
- C’est lui là, il m’emmerde !
- C’est toi qui dis n’importe quoi.
- Allez, allez dit l’autre, ça m’a l’air d’être une broutille, votre différend".
Quel culot ! Mal lui en prit. Son insistance et son attitude nous agacèrent. Ici, seuls LGF et leur Sécurité Militaire pouvaient ainsi se comporter -pour noyer le poisson bien sûr-. Cela ne pouvait être qu’un étranger pour être aussi inconscient. Il portait si bien le béret qu'on vît en l'homme un basque de souche. Sauf qu'il était vert. Ils ne pouvaient donc être basques. Chacun de nous accusa pendant un moment l’inconnu de prendre position pour l’autre après avoir envenimé la discussion, oubliant notre propre querelle. Lorsqu'il prit conscience de sa propre bévue, Rian prit la couleur du béret. Vert. Il voulut dire : c'est grâce à l'indépendance ! Dieu le sauva : la SM avait d'autres chats à fouetter ou d'autres lions "criminels" à faire souffrir ou à trucider. L’étranger réussit finalement à nous calmer tant bien que mal. Il nous administra une leçon magistrale sur l'amitié, l'éphémère des choses et des êtres. Sa taille -il était haut- ainsi que son âge bien avancé méritaient notre acquiescement.
-Allez, serrez-vous la main" dit l'asperge.
Il nous apprit qu'il était de passage à Oran et qu'il pensait se rendre à Blida puis à Biskra et surtout à Alger sur les traces d'un aventurier qui avait juré de démoraliser la capitale ! Nous le remerciâmes. Aidé par la torche électrique de la placeuse braquée sur lui, je fis signe à Loumi de nous rejoindre. Il sortit de l'ombre et nous rejoignit silencieux. Nous partîmes en riant de nos bêtises, de nos responsabilités. Le soir nous revînmes assister à la confession de Tarkovsky, Zerkalo, qui renoua définitivement le fil de notre amitié. Mais nous ne fûmes jamais plus invités. Nous pensâmes plus tard avoir tout de même réussi à nous soustraire de cet univers poisseux. -Un mot. Un seul mot pour un autre a failli… -. Nous eûmes de longues discussions avec l'étranger tant qu'il demeurât à Oran. Depuis, lorsque nous ne sommes pas d’accord sur un point et cela nous arrive encore ; plutôt que de nous lancer aux oreilles des idées souvent fomentées par d'autres, toutes prêtes à l'emploi nous tentons systématiquement une démarche conciliatoire. Ou une passerelle. Systématiquement. Le courage de cet homme et son intelligence nous abasourdirent et réconcilièrent à la fois. Je compris grâce à cet inconnu mais aussi après que nos esprits se furent calmés. Je compris que Rian voulait dire à l’assistance qui débattait dans la pénombre avec outrance et sans retenue ; que s'il fût possible à chacun de donner son point de vue, c'était parce que nous étions indépendants -croyait-il- Il n’y a de débat que dans la Liberté. Cette histoire je la graverai en lettres capitales sur mon dix-septième cahier, toujours à spirale Loumi ne pipa mot. Il disparut dans son siège rouge capitonné. Nous le connaissions trop bien pour ne pas le harceler dans ses retranchements silencieux ou à propos de ses ridicules tics de circonstance. Ces situations le mettaient mal à l'aise. La moindre turbulence le désarçonnait. Des années entières Loumi demeura silencieux. Il ne parlait à personne. Personne ne lui demandait rien. Nous l’aimions bien Rian et moi. Beaucoup d'autres aussi. Plus tard il se vengea donc. Bousculé par son frère, sa mère son père il prit de la stature et devint médecin malgré lui. Un jour, cela m’a prit comme une envie naturelle ou presque ; un jour je me suis mis à le détester. Ce n'était pas Loumi que je détestais précisément mais ce qu’il faisait, d'ailleurs souvent le cœur sur la main, gratuitement au bonheur de la quasi-totalité de la population qui le vénérait. Plus moi. Un jour alors que chacun avait pris et rodé ses responsabilités, il me dit à moi qui lui avais toujours fait confiance, à moi qui avait sacrifié pour lui et sa famille toute une journée sur les dix que j'avais prises cet été là pour revoir mon pays, il me dit d'une traite ; ses deux yeux noirs plaqués contre les miens :assieds-toi Razi. Retourne-toi. Arrête de transpirer. Arrête de respirer. Je fixai le stéthoscope qu'il prit en un éclair. Puis le mur, mes pieds, la fenêtre. Et l’horloge. Mon thorax. C’est donc bien cela soupira-t-il. Il soufflait comme un fumeur chevronné. "Tu me ferais plaisir si tu allais voir un cardiologue. Ne tardes pas. Faut pas plaisanter avec ça". Je balbutiai : "Ca, ça, ça…"
Voilà. Je ne l’ai plus jamais revu depuis. Je n’aime pas les médecins hormis mes aïeux. Ils se prennent pour Le Prophète en personne -QPPASSL- mais n’en ont pas les moyens. "Nous ne voulons que la vérité avec un grand V et nous nous tenons droits comme elle", se justifient-ils. Ils sont sentencieux haïssables et hypocrites. Je n’ai auparavant jamais haïs les êtres ni les choses avant de m'apercevoir que je fus trahi. "Comme La Vérité." Ils feignent de ne pas savoir, de ne pas voir que la vérité qu'ils évoquent est arc-en-ciel et que l'autre vérité, la seule qui s'écrie haut et fort, celle qui s'écrit avec une majuscule, la Vérité éternelle et révélée, la vérité non cernée, non maîtrisée, cette vérité là, se niche au bout des lèvres de saint-Cardeur El-Halladj ou bien aux quatre-arpents ou encore derrière des baïonnettes zinzolines. Ce qui revient au même. Telle est aussi ma conviction. Je n'aime pas les médecins ; les faux comme les vrais. Ils confondent vérités et position sociale comme d'autres confondent silence et lâcheté. Croyez nous répètent-ils puisque nous vous le disons du haut de notre dédain. Qui sont les sauveurs, vous ou bien nous hein? Pourquoi faut-il les croire simplement parce qu'ils procèdent par la répétition? Non mais. Jamais ces gens là n'observent une toile de fond. Encore moins les nuances. Ont-ils jamais aimé la peinture?
(Il tuerait le passé et une fois ce passé mort, lui-même serait libre.)
Un jour – c'était bien avant le verdict de Loumi- mes fantasmes, mes rêves et mes doigts décidèrent de ne lorgner que le Nord, le plus grand possible. Je décidai de mettre un terme à ces longues années noires. Je compris qu'il y avait d'autres certitudes que les nôtres dans d'autres contrées où Dieu se faisait appeler et prier autrement et que LGF nous empêchaient même d'imaginer. "Je découvrirai ce monde interdit". Les dés furent jetés. Je chantai : mon pays ce n'est pas mon pays ce sont mes rêves ! Mon pays c'est l'hiver et ma langue ! Ils enfermèrent Lakhdar. -Plus tard on apprit sans surprise par un informateur qu'il s'était échappé de sa cellule- Ils violèrent puis répudièrent leur mère ! Avec leurs mots et leurs formules ILS DEPECERENT L'ESPOIR JUSQU'A L'OS. Ils rirent au nez du poète de la cité après qu'ils l'eurent reclus puis tué dans un murmure approbateur et familial, froidement bloqué entre faucille et… Le barde fut coupable d'avoir mis ses pieds noirs dans le couscoussier ! Coupable d'avoir dénoncé les folles nuits-nomenclatures et le bluff / Pour que naisse / De tant de rats fuyants un homme. Le même informateur apprît au monde que les rares colliers de jasmin ensevelis jadis avec le poète parfumaient encore toute la ville de Aïn Benian et au-delà… Les Grands Frères vigiles sont de drôles de créatures que j'aurais comparées aux chacals et aux hyènes si les chacals et les hyènes avaient été aussi féroces que ces hommes. Empoisonnés par ma témérité, celle des désabusés, de ceux qui n'ont plus rien à perdre, ils me délivrèrent sur ordre unique et métallifère de leurs avocats généraux une autorisation de sortie du territoire national contre quinze pièces certifiées conformes, trois cents autres en espèces étrangères et sonnantes et cinq témoins courageux. Je ne me fis pas prier. Les subterfuges l'emportèrent sur les dangers et autres engrenages embusqués. C'est ainsi que je chus à Paris après deux heures d'avion qui parurent dix. Ma conviction dans la Caravelle était que le commandant de bord fût complice, que les chances qu'il fît demi-tour étaient grandes. Lorsque l'appareil s'immobilisa sur le tarmac de l’aérodrome d’Orly ma certitude se plia en excuses devant le personnel de la compagnie : merci merci merci. 1984 s'effondra. Paris m'adopta séance tenante. Dès le premier jour je décidai de trois choses. La première : appeler au secours. La deuxième : connaître la ville de fond en comble rue après rue, quartier après quartier, arrondissement après arrondissement. Dans l'ordre. Du tortillon aux tentacules. Du trou des halles agonisantes au turbulent Père-Lachaise, jusqu'à la Division 93 via Zola Puis enfin, élargir mon horizon spatial. Aller encore plus loin, aller encore plus haut. Les premières douceâtres insomnies furent réservées à l'élaboration d'un minutieux plan d'actions. Peu de temps après je mis à exécution la plus facile de mes décisions.)
Je ferme les yeux. "…Cette association de descendants d'anciens…".

(A suivre…)
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Notes :

« Hommes seuls avec ou sans barnous …ne suent plus » : L’Empire l’avait livré [le prolétariat agricole] à l’exploitation de l’aristocratie romaine ou romanisée, qui se souciait seulement de faire suer le burnous… » écrit Charles André Julien et K.Yacine in Le Polygone étoilé : « Le bédouin qui sue sous son burnous… »

Parfois certains habitants du quartier demandent à entrer seulement pour toucher l’arbre, y accrocher un chiffon : …Dans l’Antiquité dans les croyances Libyennes « Pour avoir été choisi comme résidence du sacré, tel arbre se voyait l’objet d’un culte… » , François Decret et M. Fanter in L’Afrique du Nord dans l’Antiquité.

Quelques statues et stèles … Augustin qui fait froidement face à Donat : La ville de Thagaste (Souk Ahras) abrite le musée « St Augustin »…qui abrite des statues en marbre dont Esculape, Sylvain, Hercule, des inscriptions Libyques néopuniques et latines, des stèles dédiées à Saturne, des objets funéraires, des bijoux, des ustensiles…

"Cet endroit est merveilleux, il est enchanteur, c'est un lieu saint ! » disait (de mémoire) le voyageur Bruce Chatwin de son église préférée [près de laquelle ont été déposées ses cendres]. Il s’agit de la chapelle St Nicolas à Ora (?) en Grèce au pied de la chaîne du Taygète.

"Oust innocents oust innocents !..."ignorants !" … ils me font pécher: Kada n’est plus sûr de rien. Il voulut dire « Ignorants » et dit « Innocents ». Puis il s’aperçoit qu’il est entrain d’évoquer des concepts religieux, délicats à manipuler, avec risque de blasphème. Lire Kierkegaard, Les miettes philosophiques.

Jamais rien n’a pu nous monter l'un contre l'autre : Initialement je voulais expliquer ceci : Il y a conflit entre temps objectif et temps subjectif qui est résolu par un 3° temps… Alec et Rian (symboles (a)des deux temps) se complètent surtout et grâce à l’intervention d’un étranger ( le 3° temps). Les 3 temps ne se valent qu’ensemble.
(a) Cela ne signifie pas que chacun ne symbolise qu’un seul temps, non. Il y a « mélange ». Chacun possède un peu de chaque type de temps.

Film de Hanoun, La vérité….son assistance : Hanoun met en scène dans ce film le christ-homme et le christ-femme ‘‘dans une optique Teilhardienne…’’. Catherine Binet, compagne de Georges Perrec a travaillé avec Marcel Hanoun…

Démoraliser la capitale ! : « J’espère me disait-il, avoir bien démoralisé cette ville » disait André Gide de Oscar Wilde. Tous deux étaient à Alger en 1895.

Je n’aime pas les médecins hormis mes aïeux : allusion à Abu Bakr Mohammad Ibn Zakariya al-Razi (865-932) Au commencement, il était intéressé par la musique mais plus tard il a appris la médecine, les mathématiques, l'astronomie, la chimie et la philosophie … Razi était un Hakim, un alchimiste et un philosophe. Dans la médecine, sa contribution était si significative qu'elle puisse seulement être comparée à cela d'Ibn Sina. ….Il était le premier à utiliser l'opium pour l'anesthésie…. Sa contribution en tant que philosophe est également bien connue. Les éléments de base dans son système philosophique sont le créateur, l'esprit, la matière, l'espace et le temps …

Jamais ces gens là … aimé la peinture?: « Observez donc les nuances. Dans les nuances seules, est la vérité », Gustave Flaubert

« Mon pays … ma langue ! » : Clin d’œil à Gilles Vignault. Heidegger écrivait: « La langue est la maison de l’être ».

«Poète de la cité» : Sénac animait une émission à la radio d’Alger qui s’intitulait « Le poète dans la Cité » puis ensuite, elle est devenue « Poésie sur tous les fronts » qui fut supprimée en 1972 d’où sa furieuse lettre à Ahmed Taleb Ibrahimi (Ministre de la culture). Péroncel-Hugoz qui a écrit un livre sur le poète dit : « …Un de ces articles de Sénac est considéré par plusieurs de ses amis comme pouvant être la goutte d’eau qui entraîna son assassinat. ». Sénac qui était « reclus » habitait à Alger dans une cave au 02 rue Elysée Reclus. Il a été enterré à
Ain- Benian le 12/09/1972.

Ils enfermèrent Lakhdar : Celui de Nedjma. (En début et fin du livre, c’est la même scène, Lakhdar s’évade).

Il dépecèrent l’espoir jusqu’à l’os : Détournement d’une formule magnifique d’Orwel in « 1984 » : « …Vous croyez, n’est-ce pas que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour, des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous travaillons le langage jusqu’à l’os… ».

Du tortillon aux tentacules : Tentacules = de l’escargot ! Paris a la forme d’un escargot ; du centre de Paris, les Halles … aux tentacules = aux antennes, au bout, au terminus, à la fin = au cimetière, Père La Chaise.

Du trou des halles agonisantes…Zola : Dans les années 70 le « trou » des halles agonisait pour laisser la place à une architecture futuriste. Zola, parce qu’il évoque (in Le ventre de Paris ) les halles de Paris, les agonies…

Division 93 : Le carré où est enterré Oscar Wilde.

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