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jeudi, avril 18, 2013

388- Patchwork



Préambule.

Avant de vous proposer le texte que j’ai écrit, je vous explique mon cheminement pour y aboutir.
Inspiré par ''Le nouveau magasin'' de monsieur Hubert Haddad, ''Ecrire une nouvelle'', j’ai pris au hasard des ouvrages (romans ou non) dans les trois parties de ma bibliothèque (photo) : trois dans la première, quatre dans la deuxième et dix dans la troisième. Cette dernière étant la plus imposante en nombre de volumes.
Cela m’a donné 17 titres. 
Ensuite j’ai ouvert le premier livre au hasard. J’ai posé un doigt sur un endroit de la page au hasard. Puis j’ai recopié les quelques lignes couchées sous le doigt. J’ai fait pareil pour les seize autres ouvrages. 17 extraits pris au hasard dans 17 livres pris eux aussi au hasard.
Ensuite, autour de ces extraits (dans mon texte ils sont en rouge, soulignés et en italiques) que j’ai, dans la mesure du possible gardés tels quels, ajouté des phrases, l’ensemble a donné un texte assez condensé que j’ai appelé Patchwork. La tâche ne fut pas vraiment aisée, vu la nature des livres et de leurs contenus.

L’ordre ci-après des ouvrages correspond à celui des extraits tels qu’ils apparaissent dans le texte.

1- Octobre. Algérie ’88 Un chahut de gamins… ? P 109
Abed Charef. Ed Laphomic. Alger 1990. 270 pages.

2- Doctrine et action syndicales en Algérie.  P 121
François Weiss. Ed Cujas. Paris 1970. 363 pages.

3- La terre nous est étroite et autres poèmes. P 121
Mahmoud Darwich. Ed Gallimard Nrf. Paris 2000. 389 pages

 4-Histoire de la pensée : philosophies et philosophes. P 159
Jean-Louis Dumas. Ed Tallandier. Paris 1990. 512 pages.

5- Célimène et le Cardinal.P 82
Jacques Rampal. Ed Librairie Théâtrale. Paris 1997. 117 pages.

6- Journal d’un homme trompé. P 119
Pierre Drieu la Rochelle. Ed Gallimard Coll Folio. Paris 1978. 246 pages.

7- Un aller simple. P 55
         Didier van Cauwelaert. Ed Albin Michel. Paris 1994. 195 pages.

8- Et Allah guide qui il veut. P 31
Imtiaz Ahmad. Ed Al- Rasheed Printers. Madina 2002. 40 pages.

9- Et l’acier fut trempé. P 290
Nicolas Ostrovski. Ed EFR. Paris 1971. 544 pages.

10- Ulysse P 345
James Joyce. Ed Gallimard/Folio. Paris 1999. 1135 pages.

11- La science sociale. 202
         Auguste Comte. Ed Gallimard/Idées. Paris 1972. 308 pages.

12- Esquisse d’une théorie de la pratique. P 76
Pierre Bourdieu. Ed Seuil/ Points. Paris 2000. 432 pages.

13- Dans ces bras-là. P 126
         Camille Laurens. Ed P.O.L. Paris 2000. 302 pages.

14- Julienne et la rivière. P 91
Jean-Pierre Otte. Ed Robert Laffont. Paris 1977. 142 pages.

         15- Treize histoires. P 147
         William Faulkner. Ed Gallimard/Folio. Paris 1996. 371 pages.

16- Thagaste Souk-Ahras patrie de Saint Augustin. P 15
Nacéra Benseddik. Ed Inas. Alger 2005. 78 pages.

17- Petit déjeuner chez Tyrannie. P 55
Eric Naulleau. Ed La fosse aux ours. Lyon 20003. 185 pages.




Voici maintenant le résultat que j’ai appelé patchwork.

Patchwork

Mario est toujours resté convaincu que ses frasques, réelles ou supposées, n’étaient pas les seules à l’origine du départ, ou de la fuite, de Marion, sa compagne, pour l’Amérique. Ses engagements auprès des milices d’un Etat voyou avaient marqué comme une frontière passée, comme un point de non-retour. Dans cet Etat les milices y étaient complices des militaires contre les manifestants, contre les grévistes. « Déployés dans les principaux carrefours et les bâtiments officiels, les militaires étaient en mesure de bloquer tout mouvement de foule important. Les manifestants n’avaient plus la possibilité d’opérer dans les grands boulevards, ni de s’attaquer de front aux militaires. Ils se retranchaient dans les ruelles, qu’ils contrôlaient totalement. » (1) Les grévistes n’en pouvaient plus des conditions de vie que les autorités leur imposaient. Leur impatience était grande. « Cette impatience, ce sentiment de frustration, les militants des sections (…) implantées dans les usines, étaient là pour leur donner une formulation et un exutoire, d’autant plus qu’il leur fallait bien quelque grain à broyer et que les affirmations à caractère gestionnaire (…) ne trouvaient guère d’application concrètes dans ces entreprises capitalistes – à moins précisément d’en changer le mode de gestion, ce qui ne peut se faire sans agitation. » (2)

Marion avait maintes fois fait signe à Mario, maintes fois rappelé son opposition, posé des ultimatums. Mais lui, n’a rien voulu entendre. Alors Marion a fini par partir. Lui imputant toutes les responsabilités. Le bruit avait longtemps couru qu’elle avait traversé, seule, l’Atlantique.

C’est justement en Amérique que je l’ai retrouvé, lui, Mario. Aux Etats-Unis. Il était persuadé que Marion vivait au cœur de la Pomme. Mario a été et demeure mon meilleur ami malgré nos divergences, malgré ses grands écarts. Bien que je sois très souvent en désaccord avec sa vision du monde, il reste mon ami, même si nos relations se sont distendues. J’étais venu lui remettre une importante lettre de son ex. que j’ai fini par retrouver. Pour ne pas mentir il me faut dire que c’est elle qui m’a contacté. Qui m’a téléphoné. J’avais rencontré Mario bien avant de retrouver Marion.
Mario lut deux fois la lettre. Il la regardait, la tâtait, palpait, sentait, puis l’a lue encore et « me salua dans la 5° rue. Pleura. S’adossa à la façade de verre. Pas de saules pleureurs dans New York. Il me fit pleurer. Ramena ses eaux au fleuve. » (3) Mario « pose des questions brûlantes et il étonne parfois, en refusant toutes les compromissions. Cette philosophie est une philosophie du devenir, redevable à l’évolutionnisme contemporain qu’elle dégage de sa gangue matérialiste. » (4)  Je n’ai pas cédé à ses demandes répétées, mais nous avons beaucoup échangé.  J’avais promis à Marion de ne rien dévoiler de sa nouvelle vie, ni de ses nouvelles histoires abracadabrantes. Nos échanges n’ont concerné que leurs passés. Avant de nous quitter, avant que je lui fasse la promesse, « Nous prîmes un café. Puis, nous nous séparâmes. Aussitôt. » (3) Il ne cessait de répéter pour lui-même « Merci, mon Dieu, merci, vous nous avez sauvés ! Sauvés de la misère et sauvés de la honte, Sauvés du déshonneur, oui, c’est cela qui compte ; Car A… aurait pu divulguer ces croquis Et me livrer ainsi à tous mes ennemis. » (5)
Les intrigues de mon ami ne m’ont jamais intéressé: la honte, le déshonneur, les croquis… se sont ses affaires, pas les miennes. Ces affaires-là ne m’intéressent pas. Je me répète.
Marion m’avait contacté. Personnellement je ne savais pas où elle avait décidé de vivre. « En Amérique » disait-on, mais sans plus. Les années passèrent. Trois, peut-être cinq ou même sept, lorsqu’ elle me contacta. Elle m’apprit qu’elle vivait au Canada depuis son départ de Paris, dans un petit village, réputé par on histoire plus ou moins tumultueuse, plus ou moins étrange, situé à mi-route entre Montréal et Ottawa. Sa maison donne sur la rivière des Outaouais.
Marion et Mario  « ont l’air d’avoir encore les mêmes manières et les mêmes goûts policés, les mêmes mœurs et les mêmes conceptions fondées sur la raison, ils se méconnaissent, se soupçonnent et se haïssent, comme des petits boutiquiers ignorants venues de contrées différentes qui se rencontrent dans un train de plaisir et que jette l’un contre l’autre la mystique à trois sous des journaux. » (6) Et pourtant. L’un et l’autre se cherchent, se cherchent dans leurs complexités. Lorsque je quittai Mario,  « ça crépitait autour de nous, ça faisait un peu fête ; j’ai repensé à mon repas de fiançailles et les dernières photos ont dû être plus tristes. Le photographe avait replié son matériel, et il était parti en nous disant à demain. » (7) Moi aussi je me devais de partir. J’ai retiré ma casquette pour le saluer une dernière fois. Sur Greenwich avenue j’ai appelé Marion pour l’informer de mon arrivée le lendemain.
Au siège de la Greyhound compagny, sur la 8° avenue, je pris un autocar jusqu’à Montréal, puis de là jusqu’à L’Orignal où réside Marion. Huit heures de route. On raconte que lorsqu’elle arriva « au Canada, elle a trouvé un climat favorable à l’échange d’idées et de débats sur tous les sujets. Avec un esprit ouvert, elle a commencé à méditer sur sa religion et a fini par l’abandonner pour le christianisme qu’elle jugeait plus vrai que l’indouisme. Mais elle ne tardera pas à découvrir que le Christianisme était loin de la vérité qu’elle cherchait, vu ses nombreuses contradictions et mensonges. » (8)
L’Orignal est une petite bourgade sur la rivière des Outaouais. Sa « petite gare se nichait, solitaire, dans la forêt. Une bande de terre ameublie partait du quai de pierre, destiné au chargement de marchandises, et s’enfonçait entre les arbres. Des fourmis humaines s’y affairaient. La glaise collante clapotait sous les pieds avec un bruit répugnant. Des hommes creusaient avec acharnement de part et d’autre du remblai. Des leviers grinçaient sourdement, des pelles raclaient la terre » (9) alors qu’il était tard, que la nuit tombait. Au sortir de la gare, entre deux imposants néons, je fus surpris par des ombres qui s’approchaient, « un jeune homme congestionné surgit d’une brèche de la haie et après lui une jeune femme tenant des marguerites sauvages qui se balançaient  au bout de leur tige. Le jeune homme retira brusquement sa casquette, la jeune femme se pencha brusquement et avec beaucoup d’attention détacha une brindille accrochée au tissu léger de sa jupe. » (10) Le jeune homme tenait un livre, qu’il abandonna à ma vue.  Je l’ai ramassé et, difficilement, lu à la page écornée, « Il faut d’abord remarquer, comme une vérification très décisive de l’exactitude de cette classification, sa conformité essentielle avec la coordination, en quelque sorte spontanée, qui se trouve en effet implicitement admise par les savants livrés à l’étude des diverses branches de la philosophie naturelle. » (11) Je compris fort bien qu’il ne tint pas à s’engouffrer dans la complexité. Un homme d’un certain âge qui assista à la scène me dit, en murmurant presque, la main posée de profil près des lèvres, que ce jeune est « le jeune berger qui participe doublement de la croissance du champ et du bétail, par son âge et par sa fonction, cueille, pour le suspendre au linteau de la porte, un bouquet de « tout ce que le vent agite dans la campagne » (à l’exception  du laurier)rose, utilisé le plus souvent à des fins prophylactiques et dans les rites d’expulsion, et de la scille qui marque la séparation entre les champs » (12)  
L’homme d’un certain âge, il donnait des signes d’excitation, accepta de répondre à mon interrogation. Je cherchais la maison de Marion et un hôtel. Il se fut volubile. Certains villageois, dit-il, « chaque soir, après la plage où ils se sont nourris de pain et de tomates parce que les restaurants abusent honteusement des touristes (…) rentrent à pied vers le village avant la fermeture de la poste. C’est un minuscule bureau perché à flanc de montagne. » (13)

Et c’est justement à deux pas du bureau de la poste, sur la Grande presqu’île qu’habite Marion, dans une somptueuse maison dont l’architecture est inspirée du style néogothique. J’ai préféré passer la première nuit à l’hôtel, ou plutôt un gite : l’Orée du Moulin.

Le lendemain, vers quinze heures, j’ai sonné chez Marion, la grille a glissé sur ses rails. Marion m’attendait sur le perron, cinquante mètres plus haut. M’a reconnu ? Pas dans le moment malgré l’interphone. Il lui fallut quelques minutes avant qu’elle ne me tende la main, puis, hésitante, la joue, lorsqu’elle réalisa que j’avais avalé des kilos de miles avant de la retrouver !
Dans la longue lettre qu’elle m’avait adressée, agrafée à celle (sous enveloppe) qu’elle destinait à Mario, elle me révéla dans de menus détails toute sa relation, alambiquée depuis quelques années, avec lui. Dans cette lettre elle me supplia de leur venir en aide. De remettre à Mario la missive qui lui revenait. Et surtout de ne rien souffler de son lieu de résidence. Elle-même ne savait rien du lieu où habitait Mario. Elle ne savait pas qu’il logeait à moins de 450 miles de chez elle.  Il nous a fallu deux bonnes heures pour tout mettre à plat.  Puis le moment étant venu, elle s’installa à son bureau. Je la revois comme si j’étais encore à ses côtés. « Elle ouvre l’encrier, trempe sa plume dans le bleu nocturne, la relève telle un bec de verdier. Ses yeux s’évasent. Elle se met à écrire de façon informe, frivole et confuse, à griffonner des signes incongrus, des dessins végétaux, les hiéroglyphes des insectes sous les écorces. Elle essuie avec le bout de ses doigts la buée sur le miroir de la coiffeuse. Elle s’observe longuement dans cette tache sans fond où elle se réfléchit comme dans un voile. Elle trempe de nouveau sa plume. » (14) Puis, probablement pour le souvenir, elle se rendit dans la pièce mitoyenne que peut de temps auparavant elle me dévoilait. « Dans cette pièce, elle conservait des accessoires d’une importance secondaire, les ornements rituels, les livres sacrés, qui consistaient en bouts de bois barbouillés de signes symboliques peints à l’ocre rouge. Il y avait au milieu de la pièce, juste au milieu d’une ouverture percée dans le plafond, un foyer où était suspendue, au-dessus d’un peu de cendres de bois refroidies, une marmite de fer. Les volets des fenêtres étaient clos. » (15)

Le lendemain Marion insista pour me faire découvrir « des ruines mystérieuses » me confia-t-elle, à moins de cinq lieues de chez elle. Nous y sommes allés à pied. « Sur la gauche, à l’entrée occidentale des ruines, se trouvait aussi une construction de 25 mètres de façade sur 11 mètres de profondeur, bâtie en blocage, coupée par des chaînes de pierres de taille placées verticalement l’une au-dessus de l’autre. » (16) Marion m’apprit des choses bizarres sur ces ruines où elle se rend quotidiennement pour y pratiquer des prières particulières.
Toutes ces questions étranges à propos de la perception qu’ils avaient du monde qui nous gouverne, avaient plongé Mario et Marion dans des conflits interminables. Je crains que leurs retrouvailles, bientôt j’espère, ne les raniment. Les retrouvailles, mais aussi la découverte des ruines par Mario. « Ca, mes enfants, comme je le dis toujours, il n’y a pas de fumée sans feu, mais après la pluie vient le beau temps. Tout vient à point à qui sait attendre. » (17)

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 Ahmed HANIFI, 
Marseille avril 2013