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mardi, avril 11, 2017

570_ TROPIQUES



Au début des années quarante, l’Europe est entrain de sombrer corps et âme…

 

«Terre muette et stérile. C’est de la nôtre que je parle. Et mon ouïe mesure par la Caraïbe l’effrayant silence de l’Homme. Europe. Afrique. Asie. J’entends hurler l’acier, le tam-tam parmi la brousse, le temple prier parmi les banians. Et je sais que c’est l’homme qui parle. Encore et toujours, et j’écoute. Mais ici l’atrophiement monstrueux de la voix, le séculaire accablement, le prodigieux mutisme. Point de ville. Point d’art. Point de poésie. Point de civilisation, la vraie, je veux dire cette projection de l’homme sur le monde; ce modelage du monde par l’homme; cette frappe de l’univers à l’effigie de l’homme.



Une mort plus affreuse que la mort, où dérivent des vivants. Et les sciences ailleurs progressent, et les philosophies ailleurs se renouvellent, et les esthétiques ailleurs se remplacent. Et vainement sur cette terre nôtre la main sème des graines.
Point de ville. Point d’art. Point de poésie. Pas un germe. Pas une pousse ou bien la lèpre hideuse des contrefaçons. En vérité, terre stérile et muette...
Mais il n’est plus temps de parasiter le monde. C’est de le sauver plutôt qu’il s’agit. Il est temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme.
Où que nous regardions, l’ombre gagne. L’un après l’autre les foyers s’éteignent. Le cercle d’ombre se resserre, parmi des cris d’hommes et des hurlements de fauves. Pourtant nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils. Les plus humbles.
L’Ombre gagne...
‘‘Ah ! tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder le siècle en face !’’
Les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière. »

Aimé Césaire, Tropiques Tome I, N° 1 à 5 – avril 1941 à avril 1942.
Ed Jean-Michel Place. Paris, 1978.
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