A la veille du 56° anniversaire de la disparition de Jean El-Mouhoub Amrouche, l’Association provençale amazigh lui a dédié la soirée du
samedi 10 mars, en son siège
situé au 25 rue de la Grande Armée à Marseille 1er art. Trois
intervenants ont pris la parole devant une cinquantaine de personnes, Rezki
Rabia, poète, Michel Filippi, philosophe, auteur et Ali Chibani, auteur,
journaliste, docteur en littérature comparée. Lors de son intervention, Ali
Chibani retraça le parcours de Jean El-Mouhoub Amrouche (1906-1962)… Nous en
reprenons les grandes lignes. A la suite des déboires du grand-père, le père de
Jean El-Mouhoub Amrouche, Antoine Belkacem, s’installe à Tunis avec sa femme et
leurs cinq enfants. Jean a cinq ans. Il effectue de très bonnes études, mais il
est confronté au racisme de nombreux bord. Il est tantôt qualifié de renégat,
de bicot, ou de prostitué… en 1925 il passe trois années à l’École Normale
Supérieur de Saint-Cloud (là même où Aimé Césaire étudiera de 1935 à 39), puis
retrouve la Tunisie où il enseignera au lycée de Sousse et à celui de Tunis. Il
y fait la connaissance d’une jeune pied-noire, Suzanne Molbert, qu’il épousera.
En juin 1937, Jean El-Mouhoub Amrouche apprend le décès, le 22, de son ami le
poète et écrivain francophone malgache Jean Joseph Rabearivelo (à 36, ou 34
ans) qui n’a pas réussi à surmonter la souffrance née de sa
dualité culturelle dit Ali Chibani. A moins que la raison ne se trouve
dans cet amer constat qu’il fait « ce n’est pas drôle d’être un latin
parmi les Welches ». Jean El-Mouhoub Amrouche se trouvait en Grèce lorsqu’il
reçut la lettre de son amie l’informant de son acte à venir. Cette disparition perturbe
Jean El-Mouhoub Amrouche. Il dit avoir pensé au suicide lui aussi, toujours à
cause de cette souffrance évoquée pour Rabearivelo. Beaucoup d’universitaires
font le lien entre Jean El-Mouhoub Amrouche et Jean Joseph Rabearivelo, à mon
sens poursuit Ali Chibani ces rapprochements n’ont pas lieu d’être puisque Jean
El-Mouhoub Amrouche dans la préface du
livre Robert Boudry « Jean Joseph Rabearivelo et la mort »
Jean Joseph Rabearivelo |
(Présence africaine), écrit « Jean-Joseph… n’était pas taillé pour la victoire,
mais pour la défaite. Sa vitalité, son ardeur spasmodique et déréglée marquent
sa profonde faiblesse, celle d’une conscience et d’une âme déroutée. Il enfle
la voix par désespoir, se voit grand homme, lui qui est petit…Tout recours
efficace lui est interdit. Ni la voie française, ni la voix malgache dans les
deux directions des ancêtres fabuleux et vers l’aval révolutionnaire, ne
peuvent accueillir et porter ses pas d’homme sur un sol ferme. Alors
Jean-Joseph bascule sur sa couche, et nous tourne à jamais le dos. » Jean El-Mouhoub Amrouche dans la même préface
considère que la signification de son rôle est restée obscure à Jean Joseph
Rabearivelo jusqu’à la fin. Pour Robert Boudry ce fut un « drame
colonial » (AH). Jean El-Mouhoub
Amrouche savait dès sa jeunesse qu’il devait être un porte-parole de son
peuple, donc il avait un objectif, ce qu’Aimé Césaire a formulé dans Cahier
d’un Retour au pays natal (p 23) : « Et je dirais encore :’’Ma
bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la
liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir’’. »
Jean El-Mouhoub Amrouche
devient enseignant au lycée Carnot. Albert Memmi, dans son roman La statue de sel
(1953), se souvient de son ancien instituteur : « j’ai crû voir
l’image du salut. Il était donc possible à un africain de se transformer en
homme cultivé, bien habillé, de fumer des cigarettes d’Europe. J’admirais ses
longs doigts soignés, jaunis au bout, entre le majeur et l’index par le tabac
d’orient qui parfumait la classe. Il avait publié deux recueils de vers que je
trouvais d’une beauté déconcertante. Il était donc possible d’arriver à
maîtriser une langue non maternelle ». (Denise Brahimi écrit : « un
livre de souvenirs, où l'on trouve quelques figures connues par exemple celle
de Jean Amrouche qui fut le professeur de lettres du jeune Memmi au Lycée
Carnot de Tunis en 1937 ». In www.huffpostmaghreb.com. AH). Albert Memmi
montre qu’être Maghrébin, colonisé et parler la langue française n’est pas du
tout une évidence à cette époque là et Jean El-Mouhoub Amrouche en a
souffert, mais lui a choisi de ne pas se laisser aliéner à une culture au
dépend d’une autre, c’est à dire qu’il n’a jamais considéré qu’apprendre les
grands auteurs de la littérature occidentale comme Shakespeare, Flaubert, Gide
ou Claudel, dévalorisait sa culture kabyle ou les poètes, les chants
ancestraux dont il a hérité. Et il ne considérait pas que sa culture
kabyle, la poésie kabyle était la forme supérieure de la poésie, c’eut été mépriser la poésie
occidentale ou d’autres poésies. Jean El-Mouhoub Amrouche considérait la poésie
comme la forme supérieure de la vie et aussi comme « la forme suprême de
l’action ». Aimé Césaire notait : « à qui veut définir Jean
Amrouche je demande que l’on retienne cette double religion, celle du langage
et celle du mythe ou réalité de deux faces. Et cette religion s’appelle
poésie ».
Ali Chibani
poursuit : Jean El-Mouhoub Amrouche a publié d’abord le recueil de poésie
Cendres qui est plutôt un autoportrait. Une sorte d’autoportrait de colonisé.
Un colonisé qui vit dans une société où l’on cherche à être puissant. On trouve
dans Cendres les thèmes de la solitude, celui du rapport à la chair, du
rapport à l’autre. Il y figure un poème sublime intitulé La Mort. « La mort
est un poème à trois chants où un personnage du nom de Chabha, une vieille
femme, se rend compte que tout ce qu’elle connaît comme culture, cette
magie ancestrale dont elle a héritée ne fonctionne plus contrairement à la
richesse matérielle. Son beau-fils, Mohand, l’homme qui a épousé sa fille
Jouhar est devenu un puissant marchand de blé qui décide de se remarier. Il
décide de laisser tomber Jouhar, tombée malade, et d’épouser une autre femme.
Chabha vit cette démarche comme une humiliation, alors elle décide de recourir
à cette magie ancestrale. Elle se rend au cimetière avec des œufs, mais ils
craquent. Chabha meurt en quittant le cimetière et en disant « ma voix
meurt dans ma gorge ». « Non s’écrie Chabha, je ne peux pas, mais
Dieu, entendez-moi, vous m’avez donné une longue vie, longtemps j’ai connu les
hommes, j’ai vu en eux, un regard me suffit pour dévêtir leurs âmes. Je n’ai
pas besoin de leurs gros livres ni de ce qu’ils voient, mais leurs expériences.
Ils essaient d’apprendre alors que moi je sais. »
Jean El-Mouhoub Amrouche définie ainsi sa poésie :
« Gustave Flaubert peint du dehors, tandis que j’essaie d’épouser une vie
obscure ». Tenter d’épouser le rythme de cette vie obscure sera son objectif dans son deuxième recueil
Etoile secrète qu’il publiera le jour de son anniversaire, le 7 février 1937. Il
le considère comme le plus abouti. Un recueil où l’effacement de soi et
l’absence autorisent la parole. Nabile Farès décrit la poésie de Jean
El-Mouhoub Amrouche comme littérature du portrait. Portrait d’un colonisé qui
répond à la littérature coloniale. Nabil Farès dans Maghreb, étrangeté et
Amazighité (https://la-plume-francophone.com/2016/09/01/presentation-de-maghreb-etrangete-et-amazighite-de-nabile-fares-extraits/)
retrace un peu l’histoire de la littérature francophone maghrébine et parle des
écrits de Jean El-Mouhoub Amrouche comme une littérature du portrait. L’image
de Jean El Mouhoube Amrouche nous apparaîtra ici non pas comme celle d’un
précurseur, mais plutôt comme celle du fondateur de la problématique de
l’écriture au Maghreb.
Jean El-Mouhoub Amrouche était terrifié par la mort.
C’est sans doute cette peur de la disparition qui va l’amener à traduire Les
chants berbères de Kabylie en 1939. Dans La préface de la réédition
(L’Harmattan 1986) intitulée « Des instruments spirituels » Henry Bauchau
écrit : « ces Chants forment une des deux voies. Chacune est
essentielle où se compose le dialogue de son œuvre. Les deux sources, celle de
l’enfance et celle du peuple originel ne sont pas distinctes en lui ni dans son
œuvre… »
Comme l’a écrit Mouloud Mammeri, Jean
El-Mouhoub Amrouche n’a pas cherché à faire une adaptation pour plaire au
public ou écrivains français, il a cherché plutôt à traduire. Il a privilégié
la double transmission, d’une part au public kabyle dont il exhume un
patrimoine au bord de la disparition et d’autre part au public francophone auquel
il offre ces chants tels qu’ils ont été façonnés par les auteurs anonymes.
Les chants berbères de Kabylie s’ouvrent sur une
présentation qui est un véritable essai sur la poésie kabyle. Il rapproche le
poète du saint et du héros, il écrit : « l’esprit d’enfance n’est pas
l’infantilisme de la pensée ou de la sensibilité, mais le caractère fondamental
d’un type supérieur d’humanité de la forme achevée de l’homme digne de ce nom,
ainsi le saint et le héros. Il n’est pas un résidu mémorial, mais un mode
d’être qu’il importe de conquérir, vers lequel il faut tendre par l’effort
véritablement héroïque. »
L’année de publication des Chants berbères de
Kabylie, 1939, est aussi celle du début de la seconde guerre mondiale. Jean
El-Mouhoub Amrouche a été mobilisé puis, dans un second temps, réformé.
C’est alors qu’il fonde avec Armand Guibert la TFL, la Tunisie française
littéraire, un supplément littéraire au journal Le Tunisien qui était le plus lu
à l’époque. Dans la TFL il donnait essentiellement la parole aux écrivains
français qui étaient censurés par le régime de Vichy en France. Et c’est
dans la TFL qu’il va écrire un texte qu’on peut considérer comme un essai sur
la poésie francophone africaine Pour une poésie africaine. Dans ce texte Jean
El-Mouhoub Amrouche remarque la faiblesse des ouvrages francophones écrits par
les auteurs africains. Il considérait qu’ils étaient une pâle copie des
écrivains français, particulièrement de Victor Hugo et de Paul Valéry et qu’ils
s’éloignaient de l’âme africaine. Ces écrivains africains n’ont pas à copier
les écrivains Français mais à parler de l’âme de l’Afrique et des aïeux.
En 1942, Jean El-Mouhoub Amrouche rencontre André
Gide en Tunisie où celui-ci se réfugie. Ensemble ils fondent la revue
L’Arche qui regroupe les forces intellectuelles et morales de la France
libre. Jean El-Mouhoub Amrouche en avait même écrit le manifeste. Cette revue
dont le premier numéro est publié en février 1944, a d’abord été publiée à
Alger par les éditions Charlot, dont Jean El-Mouhoub Amrouche était le
directeur littéraire. Ensuite à Paris, après la libération. Vingt huit numéros
seront publiés auxquels ont participé des auteurs parmi les plus connus :
Antoine de St Exupéry, M. Blanchot, J. Cocteau, Pierre Reverdi, Jules Roy,
Albert Camus…
En juillet 1944 Jean El-Mouhoub Amrouche se rend à
Paris. Il vient d’apprendre la disparition de son ami St Exupéry. Lui et le
commandant Meyer, administrateur général de Radio France à Alger, sont chargés de
mettre en place le nouveau dispositif de l’information en France libérée. Mais
à son arrivée en France Jean El-Mouhoub Amrouche découvre un pays dont
les doutes et les mondanités le déçoivent.
Dans un entretien Jean El-Mouhoub Amrouche parle
d’autodétermination des Algériens, dès 1946 : « il y a une conscience
politique algérienne. On ne peut nier cette conscience nationale. Je ne crois
plus en l’assimilation. Je rejoins Ferhat Abbès… » (source non précisée)
telle est sa conviction jusqu’à sa mort à Paris le 16 avril 1962, au lendemain
du cessez-le-feu. Jean El-Mouhoub Amrouche n’a jamais été reconnu officiellement
par les responsables algériens (AH), hormis quelques rares comme Abderrahmane
Farès, président de l’Exécutif provisoire (d’avril à septembre 1962) qui le
nomme symboliquement responsable à la Culture dans cette structure. Seule une
école à Aghil Ali porte le nom de Jean El-Mouhoub Amrouche, conclut Ali
Chibani.
______ L'ETERNEL JUGURTHA____________
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Quand Jean Amrouche interviewait Paul Claudel en 1950
Hommage de Yvette Z'Graggen
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Hommage à Jean Amrouche et la tragédie
algérienne (1963)
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Jean Amrouche, “cet inconnu”
(1906-1962) : Une vie, une œuvre (2011 / France Culture)
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A LYON EN FEVRIER DERNIER
--------------------------- Mais aussi---------------------------------
ET...
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