Je suis très peiné par la disparition de Monique Hervo, ce lundi 20 mars 2023. Elle a tant donné aux Algériens, à la Révolution. Je l’apprends par un petit encadré dans le Quotidien d’Oran de ce matin. Monique Hervo mérite non pas un ridicule un espace de quelques lignes, mais des pages entières sur plusieurs jours et dans plusieurs journaux. Et des conférences et des films… Monique Hervo était la bonté, l’empathie et l’engagement personnifiés. (voir la vidéo en bas de l’article)
Monique Hervo a fait ce que sa conscience lui commandait de faire, au grand jour. Elle n’a jamais rien demandé. La nationalité algérienne lui a été attribué il y a cinq ans.
J’en ai fait un personnage dans mon dernier roman, « Le choc des ombres ». Voici quelques extraits :
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(…) « Quelques mois plus tard, en août, alors que son épouse s’apprêtait à accoucher, Kada s’alarmait, car avec ces choses-là il ne savait comment s’y prendre. Heureusement, une jeune bénévole du Service civil international, très dévouée fit le nécessaire pour qu’une sage-femme dont elle était proche se déplace jusqu’à leur taudis. Kada l’appelle « Madame Monique ». C’est une jeune femme élégante, de taille moyenne, à peine plus âgée que la sienne, quatre ans de plus. Ses cheveux noirs sont coupés court. C’est une dame au cœur aussi grand que ses convictions, autrement dit aussi grand qu’on y logerait la générosité du monde. Depuis quelques années, elle s’était engagée dans les chantiers de volontariat international après avoir été scout de France. Elle qui vécut une partie de son enfance dans un hôtel meublé du 18e arrondissement de Paris sait ce que signifie l’habitat précaire. Depuis le grand incendie du carré nord du bidonville, « à côté de la gare de triage », la bénévole passait des nuits entières avec des familles en détresse. La sage-femme ne connaissait pas le bidonville et risquait de perdre beaucoup de temps, c’est pourquoi « Madame Monique » se rendit sur le lieu des rendez-vous, au 127 rue de la Garenne chez Ali le gérant du café-hôtel, à La Folie, pour attendre son amie. « Le 127 » est une adresse connue par tous les Algériens de Nanterre. La plupart d’entre eux l’utilisent. Moins pour l’hébergement — l’affichette scotchée sur la porte indique souvent « coumpli » — que pour siroter un café ou un thé avec les amis en écoutant M’hamed El Anka, Slimane Azem, Farid El Atrache, Lina l’Oranaise, ou Fadéla Dziria. C’est aussi leur adresse postale. La sage-femme examina Khadra. Elle la rassura et lui certifia que l’accouchement était très proche. Depuis une semaine Monique se présentait tous les jours pour s’enquérir de la santé de Khadra, réduisant par conséquent ses interventions dans les autres bidonvilles. Le six août c’est en taxi que toutes les trois, Monique, la sage-femme et Khadra se rendirent à l’hôpital de Nanterre. C’était bien la première fois que Khadra quittait le bidonville sans son mari, ou même derrière lui. Monique resta à son chevet jusqu’à l’heure de clôture des visites. Le lendemain elle revint à la première heure autorisée. Messaoud naquit à l’aube du samedi sept, « à deux heures ». Monique se chargea d’enregistrer le nouveau-né, puis de régulariser leur mariage à l’état civil où on avait l’habitude de ce type de situation. Mais cela nécessita quelques semaines néanmoins. Ainsi, Messaoud naquit avant le mariage civil de ses parents. Il en fallut des papiers. (…)
Au cinéma, les Parisiens préfèrent les blondes comme Marilyn ou un Premier rendez-vous avec Danielle Darrieux. Les habitants du bidonville invitent souvent Monique à reprendre du thé et à rester un peu plus avec eux. À ses côtés ils sont rassurés, presque heureux de découvrir qu’il n’y a pas que de la haine qui est offerte à l’étonnement de leurs yeux. Monique Hervo transcrit au mieux qu’elle peut leur parole sur des feuilles blanches avec une plume trempée dans l’encrier bleu de Waterman qu’elle transporte toujours dans son gros cartable. Elle écrit à leurs familles restées au bled des lettres qu’ils lui dictent comme ils peuvent, avec une infinie précaution chargée de retenue et de respect. Elle écrit à l’administration, leur explique toutes sortes de démarches à entreprendre, comment utiliser les médicaments…
(…) Il prit peur et aussitôt se déprécia de se laisser gagner par cet état et les tremblements qui s’emparaient de ses jambes, mais c’était au-delà de ses forces. Il tenta de se ressaisir, fit demi-tour. La peur gagnait d’autres manifestants. Des enfants et des femmes couraient dans tous les sens et, de nouveau, Kada pensa à sa famille, à ses fils. Monique avait promis de passer à la maison, comme souvent les mardis, pour consacrer une heure de son temps — qu’il ne lui viendrait jamais à l’esprit de compter — au petit Messaoud pour qu’il apprenne à lire correctement et comprenne la leçon. Mais le matin il avait entendu dire que Monique avait la ferme intention de se joindre aux manifestants. Il la revoyait dans ses pensées. Il l’entendait : « Messaoud, retiens bien ceci, le mot qui dit ce que font les personnes, les animaux, ou les choses… » Kada ne savait plus, il ne retint pas la suite, « est un verbe, un verbe. » Il la voyait, penchée sur son enfant « lit Messaoud, lit : la fille rit. Le chat miaule. Le train roule. » Et Messaoud reprenait les phrases écrites sur son premier livre de grammaire française, à la lueur de la bougie, en faisant glisser son doigt le long des jambages et traverses des lettres, et il répétait encore à la demande de Monique : « la fille rit… » Kada sourit à cette pensée. Comment son fils, qui n’a que sept ans, pouvait saisir ce que lui-même ne comprend pas ? Des policiers, groupés, chargèrent de plus belle : « ratons ! », « fellouzes ! », « crouillats ! » La présence des Français musulmans d’Algérie dans les rues est perçue comme un défi, comme la violation du couvre-feu instauré pour eux seuls, dès 20 h 30.
(…) Lorsqu’au printemps 1962 Kada apprit qu’on lui avait attribué un logement, il ne sut comment exprimer sa gratitude à Monique, car sans son aide il n’est pas sûr qu’il aurait bénéficié de quoi que ce fut. S’il fallait aux autorités montrer leur fermeté à l’encontre du FLN, il leur fallait également montrer qu’elles prenaient en considération les revendications du puissant parti communiste et des nombreuses associations qui ne cessent depuis des années d’attirer leur attention sur l’insoutenable quotidien des familles dans les bidonvilles autour de Paris. Le premier week-end de septembre, Kada emménagea dans un logement de la Cité des grands prés. Plusieurs officiels étaient là, ainsi que des agents de l’ordre public. Kada était content de quitter La Folie et plus content encore que Monique fut présente. « Si je suis arrivé là, c’est grâce à toi Monique » lui dit-il, « tu restes manger le couscous ». D’autres familles bénéficièrent de logements identiques. La cité de transit est constituée d’un ensemble de baraquements individuels de même forme, de même surface, semblables dans la couleur, alignés comme les soldats d’une armée alpine. Depuis que Khadra l’avait rejoint, Kada rêvait, la nuit comme le jour, d’un abri décent et ils en discutaient souvent. (…)
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