Il est beaucoup plus intéressant que l'âne de Drancy, l'imam du Crif-là... l'abruti qui ne se doute de rien...
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Nous sommes descendus à Marseille, pour assister à l'entrer au vieux port du fameux trois-mâts "le BELEM", arrivant de Grèce avec "dans sa soute" la flamme olympique.
Ambiance bon enfant... le "Malgré tout" du titre renvoie à l'actualité.
Le célèbre journaliste est mort hier lundi 6 mai 2024
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Bernard Pivot, journaliste, créateur d’« Apostrophes », est mort
La célèbre émission littéraire, qu’il anima de 1975 à 1990 sur Antenne 2, était devenue le rendez-vous incontournable des auteurs et du monde de l’édition. L’ex-président de l’académie Goncourt avait, en plus des livres, deux passions : le vin et le football. Bernard Pivot est mort lundi à Neuilly-sur-Seine, à l’âge de 89 ans.
Par Christine Rousseau
Le Monde, Lundi 6 mai 2024
La République des lettres vient de perdre son « Roi lire », une seconde fois. Déjà, en 2001, l’historien Pierre Nora qualifiait le départ de Bernard Pivot de la télévision de « deuil national ». Après vingt-huit ans à apostropher écrivains, artistes, politiques, sportifs et chefs étoilés, ce « gratteur de têtes », comme il aimait à se définir, refermait les guillemets d’une époque. Celle où les « bouillons de culture » mitonnés sans apprêt pouvaient se déguster à des heures ouvrables, où l’art de transmettre ne se confondait pas totalement avec promotion et où l’Audimat ne s’érigeait pas en diktat.
A 65 ans, cependant, l’homme du « Dico d’or » était loin d’avoir dit son dernier mot. Une seconde vie de lecture et d’écriture débutait pour cet amateur éclairé de vins, de bonne chère et de ballon rond. Ou plutôt une seconde jeunesse, pour ce touche-à-tout. Outre ses souvenirs et ses passions, qu’il allait égrener dans une vingtaine de livres et sur la scène, au théâtre, en 2004, l’ex-patron du magazine Lire entrait au jury Goncourt, avant de le présider, entre 2014 et 2019.
Comme si cela ne suffisait pas à étancher sa soif de curiosité, Bernard Pivot se lançait en 2012 sur Twitter. La contrainte des 140 signes ne pouvait que séduire cet adepte de calembours et d’aphorismes. Ses « gazouillis » allaient séduire plusieurs centaines de milliers d’abonnés de tous âges, dont les plus jeunes ignoraient tout de l’animateur d’« Apostrophes » (1975-1990) et de « Bouillon de culture » (1991-2001). Le compte du « tweeto de la langue française » va désormais rester muet. Bernard Pivot est mort lundi 6 mai à Neuilly-sur-Seine, à l’âge de 89 ans, a annoncé sa fille, Cécile Pivot, à l’Agence France-Presse (AFP).
Un élève « médiocre »
Tout au long de sa vie, sa passion première aura été les mots. Ceux d’abord puisés dans Le Petit Larousse, l’un des rares livres qu’il possède, avec Les Fables de la Fontaine, et qui vont enchanter son enfance. Une enfance marquée par une « éducation chrétienne sévère », dont il dira avoir suffisamment souffert pour le tenir à l’écart de tout engagement. Malgré les prédictions de son grand-père, qui vit un signe dans sa naissance à Lyon, le 5 mai 1935, jour d’élection municipale. Bernard Pivot, lui, préférait rappeler que ce dimanche-là, l’Olympique de Marseille remporta la Coupe de France contre le Stade rennais.
En 1940, son père est fait prisonnier, la famille se retire à Quincié-en-Beaujolais (Rhône), qui restera son point d’ancrage. Entouré de sa mère, de ses tantes et de sa sœur aînée, le petit garçon fait l’apprentissage de la nature, des saisons et bien sûr de la vigne. A la Libération, ses parents rouvrent à Lyon leur épicerie, où il jouera les commis lorsqu’il n’est pas au pensionnat Saint-Louis puis, plus tard, sur les bancs du lycée Ampère, où il est loin de briller. « Elève médiocre », selon ses propres dires, Bernard Pivot se distingue cependant en français, en histoire et en sport, son refuge.
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Je m'en souviens comme si c'était hier... et Bukowski avait fini la soirée à faire la bringue comme pas possible avec des motards aussi déglingués que lui ! Libé avait fait un bel article...
"Moi, je pense que c’était préparé, même si je n’en ai pas la preuve. Il était déjà plein en arrivant. Alors, est-ce que c’était volontaire de la part des éditeurs ou pas? Pour eux, ça a été un coup de pub formidable." (Jean Cazenave)
Quand Bukowski marchait sur Paris
La sortie, le 11 mars dernier, du recueil de chroniques et nouvelles inédites Un carnet taché de vin (Grasset) est l'occasion de revenir sur cette semaine où Bukowski a fait de Paris sa capitale.
Par Pierre Boisson, Raphaël Lizambard et Thomas Pitrel 21 mars 2025
Avant de se transformer en loup-garou, Charles Bukowski avait réussi à captiver et émouvoir son public. Après un repas bien arrosé avec ses deux éditeurs français, Raphaël Sorin et Gérard Guégan, il était déjà abîmé en arrivant sur le plateau. Mais interviewé en début d’émission, il avait su faire jouer sa voix nasillarde et son bidi mal allumé pour évoquer son étonnement de ne plus être un clochard, sa peur de la célébrité et sa volonté littéraire de rendre beau le moche. “J’habille la vérité, j’orne la vérité pour que la vérité devienne intéressante, traduisait en direct l’interprète Christopher Thiery. La vérité des philosophes, des grands esprits de tous les temps, (…) c’était une vérité tellement ennuyeuse que finalement, personne ne les a écoutés. J’essaie de faire en sorte que la vérité soit une jeune fille en très jolis petits dessous et en minijupe, de manière à ce que les gens la regardent.” Cinquante minutes et quelques godets plus tard, Buk se faisait virer du plateau d’Apostrophes par Bernard Pivot, après avoir tenté de regarder sous la jupe de l’écrivaine Catherine Paysan. Une fois de plus, ce 22 septembre 1978, l’alcool avait aidé Charles Bukowski à embellir la vérité.
Lorsque l’écrivain débarque en France une semaine plus tôt, flanqué de sa compagne Linda Lee et du photographe Michael Montfort pour faire la promo de L’Amour est un chien de l’enfer, les éditions du Sagittaire l’installent à l’hôtel des Saints-Pères, dans la rue du même nom. “Ah oui! Je m’en souviens, s’exclame aujourd’hui Françoise Salmon, la patronne de l’endroit. À l’époque, je n’étais que réceptionniste, je venais d’arriver. Disons que c’est un personnage plutôt marquant, on peut difficilement l’oublier. Il était d’origine polonaise, non? Allemande? Oui, ça se voyait à son allure. Et puis, il avait un visage abîmé, sûrement par l’alcool, déjà, il avait un fort penchant pour le vin blanc.” Une version confirmée par l’intéressé dans Shakespeare n’a jamais fait ça (13e Note Éditions), le récit de son séjour en Europe, publié en français le 7 mars 2012. “J’ai appelé la réception pour réclamer cinq bouteilles de vin et Linda Lee et moi, on s’est mis au lit pour picoler. Ces deux éditeurs français publiaient quatre de mes livres. Après une ou deux bouteilles, j’ai pris le téléphone pour les appeler.”
Bukowski ne sait pas encore que Sorin et Guéguan lui ont programmé un marathon d’interviews avec un large échantillon de la presse française. “Même L’Huma avait envoyé quelqu’un, rigole Sorin. Je l’avais mis là-dedans comme un fauve en cage, il est resté plus ou moins cloîtré pendant huit jours. Il commençait à en avoir assez. Je déjeunais avec lui, je le surveillais un peu, comme je savais bien qu’il avait la réputation d’être éruptif.” Parmi la douzaine de journalistes que rencontre Bukowski durant ces quelques jours, il en est un qu’il identifie comme “le chef des punks de Paris”. “Arrivé avec ses fringues en cuir constellées de fermetures éclair, il a déclaré être à plat et avoir besoin d’un peu d’héro pour remettre la machine en route, je lui ai expliqué que je n’avais rien sur moi.” Le hasard faisant bien les choses, Buk vient de rencontrer Alain Pacadis, ambassadeur du punk en France et “reporter de l’underground”, qui s’est fait remarquer plus tôt dans l’année en affirmant son attirance pour les perversions sexuelles en tout genre et son dégoût de l’amour sur le plateau… d’Apostrophes.
Lorsque Pacadis pose son minicassette Crown CTR 325 W sur la table du patio de l’hôtel des Saints-Pères, il commande une bière, Bukowski deux, et les loustics se lancent dans une discussion à bâtons rompus sur l’alcool, la drogue et les prostituées mais aussi sur Amanda Lear, “l’ex-petite amie de Dali, qui chante de la disco maintenant”. Et puis les deux hommes évoquent l’émission à venir dans un dialogue prémonitoire:
Alain Pacadis: “Tu dois passer à Apostrophes demain, c’est une émission que j’ai faite, il y a quelques mois.”
Charles Bukowski: “Oui, je crois que je vais boire beaucoup demain aussi.”
Alain Pacadis: “Fais très attention, parce que quand j’y suis passé, ils ont dit que je ne pouvais pas boire d’alcool avant la fin de l’émission, j’ai été obligé de ressortir pour trouver une bière.”
Charles Bukowski: “Heureusement que tu me préviens, j’apporterai mes deux bouteilles de vin. Ils m’ont dit que là-bas, il y aurait du vin, mais je ne l’ai pas cru!” (L’Écho des Savanes, novembre 1978)
Arrive ce vendredi 22 septembre, jour de l’émission qui doit clore la tournée promotionnelle de l’écrivain en France. En début d’après-midi, profitant d’un rare moment de répit, Bukowski parvient enfin à sortir faire un tour dans les rues parisiennes, fouetté par le vent froid de l’automne et accompagné de la photographe Sophie Bassouls. “Il était ému, très ému parce qu’il me disait: ‘Ça, c’est l’hôtel où est descendu Hemingway quand il est venu à Paris’, se rappelle Bassouls. Il m’a dit quelque chose comme ‘give me emotions’ et il voulait à tout prix que je le photographie devant l’hôtel. Il se sentait en osmose avec Hemingway. On s’est baladés dans le quartier de Saint-Germain avant de s’arrêter dans un café qui s’appellait Le Rouquet. Il a pris un verre de vin blanc, peut-être deux. On est passé à Saint-Sulpice, on a fait un petit tour mais Bukowski n’était pas un grand marcheur, il s’arrêtait tout le temps pour regarder un truc.” Sophie Bassouls charge sa pellicule Kodak Safety film 5063, appuie sur son déclencheur et mitraille Bukowski dans les rues de Paris avant de le conduire dans l’appartement d’Edgar Reichmann, critique littéraire du Monde, pour la dernière interview de la presse écrite. “Il y avait une bouteille de whisky qui descendait à vue d’œil, raconte la photographe. Bukowski avait quand même une bonne capacité d’absorption, même si à la fin il était un peu… fatigué.” Reichmann, lui, a un souvenir un peu différent de la chronologie éthylique: “Il est arrivé à la maison ivre mort à un point invraisemblable. Je ne me souviens même plus de l’interview. J’ai fini par réussir à le faire sortir, il balbutiait…”
Lorsque Raphaël Sorin le récupère à son hôtel, sur le coup de 20h, il tente de le briefer avant l’émission, qui doit débuter aux alentours de 21h30. ”Je lui ai raconté qui il y aurait, détaille Sorin. J’ai beaucoup insisté sur Gaston Ferdière, parce que les Américains connaissent Antonin Artaud, donc je lui ai dit que c’était le psychologue qui avait un peu martyrisé Artaud avec des électrochocs. Du coup, il l’avait un peu dans le collimateur. Sinon, les autres, il ne savait pas qui ils étaient évidemment.” Les autres, ce sont donc Catherine Paysan et sa jupe fendue.
François Cavanna venu présenter ses Ritals, ainsi que l’ouvrier autogestionnaire Marcel Mermoz. Une quinzaine de minutes avant la prise d’antenne, Bukowski se présente dans les fameux studios de la rue Cognacq-Jay accompagné de deux bouteilles de vin blanc alsacien, auxquelles s’ajoutent les deux bouteilles de Sancerre fournies par une production conciliante. “On m’a demandé de m’asseoir en face du maquilleur, raconte Buk. Après m’avoir fardé de plusieurs poudres, vite aspirées par la peau grasse et grêlée de ma tronche, il a soupiré et m’a congédié d’un geste de la main (…) L’animateur (Bernard Pivot, ndlr) était censé être connu dans tout le pays mais il ne m’impressionnait pas des masses. Je me suis installé à côté de lui, il tapait du pied. ‘Qu’est-ce qui va pas? je lui ai demandé. T’as le trac?’ Il n’a pas répondu. J’ai rempli un verre de vin que je lui ai collé sous le nez: ‘Allez, bois un petit coup… Ça te fera du bien au gésier.’ Avec dédain, il m’a fait signe de la boucler.”
La suite est passée en boucle dans toutes les rétrospectives des grands moments de la télévision française. Au fur et à mesure d’une émission intitulée En marge de la société, alors qu’on s’intéresse de moins en moins à lui et que la bouteille se vide de plus en plus, Bukowski se met à grommeler jusqu’à ce qu’on cesse de traduire ce qu’il dit, recouvrant bientôt la voix des autres invités. Au-delà de l’alcoolémie, la traduction a d’ailleurs joué un rôle dans la montée de l’incompréhension entre les différents protagonistes, comme l’explique Leda Zuckerman, alors chargée de chuchoter à l’oreillette de l’homme de Los Angeles: “Par exemple, Pivot lisait des extraits de ses poèmes en français. Je devais donc lui traduire une traduction et faire en sorte qu’il comprenne duquel de ses textes il s’agissait…” Pour le grand public français qui n’a pas lu ses livres, Bukowski restera pourtant comme “celui qui a bu au goulot chez Bernard Pivot” ou comme “celui à qui Cavanna a dit de fermer sa gueule ». Le fondateur d’Hara Kiri avait d’ailleurs été sérieusement affecté par l’épisode, tant il appréciait l’écrivain qu’il a rabroué.
Éjecté du plateau, Bukowski n’est pas du genre à partir sur la pointe des pieds. Il dégaine son couteau et le brandit devant un membre de la sécurité. “Il y avait un type plus ou moins devant la sortie, se remémore Raphaël Sorin. Mais c’était un petit canif de rien du tout, c’était un geste purement symbolique. Il l’a fait comme ça. C’était un comédien, aussi.” Alors que la petite troupe s’éloigne des studios, Guégan reste sur place pour répondre aux reproches de l’animateur. “J’avais deviné que Pivot attendait le générique de fin pour laisser éclater sa colère contre le Sagittaire, attaque-t-il dans Ascendant Sagittaire: une histoire subjective des années soixante-dix. (…) Ce soir-là, il n’eut pas de mots assez durs contre ce ‘rustre aviné’ et sa maison d’édition. Sans perdre mon calme, je lui rétorquai que son émission venait d’entrer dans l’histoire.” Jean Cazenave, le réalisateur de l’émission, a une autre théorie sur la question: “Moi, je pense que c’était préparé, même si je n’en ai pas la preuve. Il était déjà plein en arrivant. Alors, est-ce que c’était volontaire de la part des éditeurs ou pas? Pour eux, ça a été un coup de pub formidable. Bernard Pivot était peut-être un peu complice de ça, mais à un moment, il a pris peur. Après l’émission, Pivot disait qu’il avait eu peur que ça aille trop loin, qu’il se mette à pisser ou à dégueuler sur le plateau, quoi.”
Pendant que l’équipe d’Apostrophes débriefe l’événement à la brasserie Lipp de Saint-Germain-des-Prés, comme à son habitude, le “gang” de Bukowski s’éclate à La Coupole, du côté de Montparnasse, rejoint par Jean-François Bizot, fondateur du magazine Actuel et premier traducteur français de l’écrivain. Vers 2h, le héros du jour a même droit à une véritable standing ovation de la part des clients présents, avant de rentrer dans ses pénates. “Je ne travaillais pas quand il est rentré mais il était bien accompagné, croit savoir l’ex-réceptionniste Françoise Salmon. Et il ne pouvait pas arriver jusqu’à sa chambre sans aide.” Le lendemain, les coups de fil de journalistes affluent de toutes parts chez les éditeurs, “même de New York, où il n’était pas du tout connu”, d’après Raphaël Sorin. Bukowski, lui, ne se rappelle pas grand chose et sonde alors sa compagne Linda Lee: “Ben, t’as attrapé la jambe de la femme. Et tu t’es mis à boire au goulot. T’as dit des trucs. Des trucs pas mal du tout. Surtout au début. Et puis, l’animateur t’a empêché de parler. Il t’a mis la main sur la bouche en te disant: ‘La ferme!’” Voilà tout ce que l’auteur saura jamais de cet épisode.
Quelques jours plus tard, il en mesurera néanmoins les conséquences lorsque l’oncle de Linda, chez qui le couple devait se rendre à Nice, refusera de le rencontrer en raison du scandale déclenché. Si l’on en croit son récit dans Shakespeare n’a jamais fait ça, Bukowski filera ensuite en Allemagne pour quelques lectures et une visite familiale. Si l’on en croit certaines interviews données en France, il était en fait passé outre-Rhin avant d’arriver dans l’Hexagone. Difficile de faire la part des choses avec un écrivain qui n’aime rien plus que transformer la vérité, et ce n’est pas Raphaël Sorin qui pourra nous éclairer sur le sujet: “Je sais plus trop. Faut dire que moi, pendant ces huit jours, j’ai pas mal bu, j’ai pas toujours eu les idées très claires. Il fallait suivre quand même, quand quelqu’un boit, il faut boire avec lui.”
www-society-magazine-fr
21 mars 2015
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Le 22 septembre 1978, Charles Bukowski fut l'invité de Bernard Pivot dans la célèbre émission littéraire Apostrophes qui, ce jour-là, fut on ne peut plus mouvementée.
Sur ce qui s'y est passé, je vous donne ici, d'un côté, la version de Bernard Pivot, et de l'autre, celle de Charles Bukowski et de sa femme.
La version de Charles Bukowski et de sa femme
Charles Bukowski. – Quand nous sommes arrivés, on m'a emmené dans la salle de maquillage et on s'est mis à m'appliquer de la poudre sur mon visage, ce qui était parfaitement inutile à cause de la graisse et des cicatrices qu'il y avait dessus. Puis Linda et moi nous sommes assis en attendant le début de l'émission. J'ai attaqué l'une des deux bouteilles qui m'attendaient là.
Linda Bukowski. – La télévision française avait des gardes postés à ses portes avec des flingues - des militaires, je suppose [...] et Hank est descendu du plateau, il y avait une douzaine de personnes autour de lui, et tout à coup, il avait un couteau à la main, le couteau qu'il a toujours sur lui. Et avec cette grosse lame pointée, il s'est avancé vers l'un des types !...
Charles Bukowski. – Oh, c'était juste pour rire, j'ai le coeur très tendre.
Linda Bukowski. – Oui, mais eux, ils étaient sérieux, des militaires, ils n'ont pas trouvé ça drôle. Ils l'ont saisi, et flanqué dehors.
Dans un entretien que Charles Bukowski a accordé à Jean-Fançois Duval en 1986 :
Charles Bukowski. – Ha ! Ha ! Ha ! Je me fous toujours dans des situations pas possibles. Mais quelle coterie de snobs ! C'était vraiment trop pour moi. Vraiment trop de snobisme littéraire. Je ne supporte pas ça. J'aurais dû le savoir. J'avais pensé que la barrière des langues rendrait peut-être les choses plus faciles. Mais non, c'était tellement guindé. Les questions étaient littéraires, raffinées. Il n'y avait pas d'air, c'était irrespirable. Et vous ne pouviez ressentir aucune bonté, pas la moindre parcelle de bonté. Il y avait seulement des gens assis en rond en train de parler de leurs bouquins ! C'était horrible... Je suis devenu dingue.
Extrait d'une lettre que Charles Bukowski a envoyé à Hank Malone, un an après son passage à Apostrophes :
Charles Bukowski. – Non, je n'ai pas vomi à la télévision nationale en France. Je me suis juste salement saoulé, ai dit deux-trois trucs et suis partis, ai brandi mon couteau vers un garde. En fait c'était un coup de chance. Tous les journaux en France en ont donné un bon compte-rendu sauf un. Ça c'est bien passé avec les gens de la rue. Sommes allés à Nice le lendemain, on était assis en terrasse avec Linda en train de se noircir et 6 serveurs français nous ont fait signe, puis se sont mis en ligne, bien droits, et se sont inclinés.
La version de Bernard Pivot
Extrait de son livre Le métier de lire - Réponses à Pierre Nora (Gallimard)
La prestation avinée de Charles Bukowski à Apostrophes, le 22 septembre 1978, fit un joli scandale. Loin d'être représentative des sept cent vingt-trois autres émissions, c'est pourtant celle-ci dont les abonnés du vendredi soir se souviennent le mieux. Au vrai, c'est parce qu'elle est atypique qu'ils la citent spontanément. Je sens même parfois percer ce reproche : « Pourquoi n'en avez-vous pas fait d'autres aussi folles, amusantes et peu convenables ? »
La réponse est simple : parce qu'il n'y a qu'un Bukowski. L'auteur des Contes de la folie ordinaire et des Mémoires d'un vieux dégueulasse est un stratège de la provocation. Intenable dans sa vie comme dans son écriture, comment ne le serait-il pas quand il se donne en spectacle ? Après son interview (en traduction simultanée) qui dura a peu près vingt minutes, il se désintéressa des autres invités et entreprit, avec succès, de siffler au goulot les trois bouteilles de vin blanc qu'il avait demandées – c'était un sancerre d'une bonne année. La tête renversée, on ne pouvait pas dire qu'il buvait, encore moins qu'il dégustait. Il vidait le contenu des bouteilles dans son corps béant. Le liquide ne marquait pas d'arrêt à hauteur de sa bouche ; aspiré par la pesanteur il tombait dans ses ténèbres intérieures. C'était fascinant. Et inquiétant, car l'émission était encore loin de son terme quand il émit des borborygmes qui gênaient les autres. D'où le fameux « Ta gueule, Bukowski ! » que lui lança Cavanna auquel cela fut longtemps reproché, comme s'il avait censuré Bukowski, alors que c'était bien celui-ci qui entravait de plus en plus le cours de la conversation. Tout d'un coup, il se pencha devant lui et tendit une main vers les cuisses de Catherine Paysan. Il dut les toucher car, suffoquée, elle se leva et, tirant sur sa jupe, s'écria : « Oh ! bien ça, c'est le pompon ! » Tandis que l'assistance s'esclaffait.
Sous les projecteurs, le sancerre faisait son effet. De plus en plus vagissant, éructant, Bukowski se tortillait sur son siège. Je me suis alors rappelé qu'un jour, aux États-Unis, il avait volontairement vomi sur le micro d'une radio. Et s'il faisait de même devant mes caméras ? Terrorisé, je continuais de poser des questions au docteur Ferdière et à Cavanna, tout en surveillant Bukowski, prêt à bondir pour l'empêcher de mettre ses doigts dans sa bouche.
Mais il fit signe à sa femme et a son éditeur qu'il était hors d'état de continuer et qu'il voulait partir. On l'aida à se lever et à marcher. Revoyant l'émission longtemps après, je me suis aperçu que, au lieu de lui dire « Bye bye ! », je lui ai lancé un « Ciao ! » bizarre et soulagé.
Dès le lendemain, la presse me tombait dessus. Pour les uns, je n'aurais jamais dû, surtout en direct, inviter un ivrogne qui doit sa notoriété, non a ses talents d'écrivain, mais à la grossièreté de sa vie et de son langage ; pour les autres, Libération notamment, j'avais, faute impardonnable, chassé d'une émission littéraire un authentique écrivain. Que je n'aie pas retenu Bukowski et que j'aie été content de le voir partir, c'est évident. Mais jamais je ne l'ai expulsé, comme certains continuent, de bonne ou de mauvaise foi, à le croire.
Le courrier fut à la mesure du scandale. Je n'avais pas le droit de montrer un homme en train de se saouler – surtout dans une émission littéraire, donc honnête, digne, respectable, recommandée aux élèves des lycées et collèges. Pour la majorité des correspondants, le spectacle était d'autant plus nocif et insupportable que le poivrot était écrivain (entendez par la que c'eût été un ouvrier, un boucher ou un notaire, le mal eût été moins grand). Certains, tout en me reprochant mon laxisme, craignaient que je ne fusse renvoyé d'Antenne 2, étaient même convaincus que mes jours étaient comptés et joignaient a leurs lettres des pétitions signées de plusieurs dizaines de personnes, demandant à la direction de la chaîne de me maintenir sa confiance... Il y eut aussi, beaucoup moins nombreuses, des lettres pour regretter le départ de Charles Bukowski avant l'heure. Elles ne provenaient pas toutes des régions viticoles.
(in: www-charlesbukowski.free.fr)
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QUAND JE PENSE A MA PROPRE MORT
je pense à des voitures garées dans
un parking
quand je pense à ma propre mort
je pense à des poêles à frire
quand je pense à ma propre mort
je pense à quelqu'un te faisant l'amour
en mon absence
quand je pense à ma propre mort
j'ai de la peine à respirer
quand je pense à ma propre mort
je pense à tous les autres qui attendent la leur
quand je pense à ma propre mort
je pense que je ne pourrai plus
jamais boire de l'eau
quand je pense à ma propre mort
l'air devient tout blanc
et les cafards dans la cuisine
se mettent à trembler
et quelqu'un devra jeter
mes sous-vêtements propres ou sales
à la poubelle.
Charles Bukowski (1920 -1994), paru en1977
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Il commence à boire régulièrement à l’âge de 17 ans.
Son père le battra, à la ceinture, de l’enfance jusqu’à l’adolescence ; jusqu’à ses 17 ans ; jusqu’au jour où, après être rentré complètement ivre, il répondra aux coups, et mettra son père K.-O.
Charles Bukowski. Romancier et poète américain, né le 16 août 1920 en Allemagne, à Andernach. Mort à 73 ans le 9 mars 1994 à San Pedro, Californie.
Son père, Henry Bukowski, un américain d'origine allemande, effectua son service militaire en Allemagne à Andernach, où il rencontra une allemande, Katherine Fett. Elle donna naissance à leur fils unique, Henry Charles Bukowski Junior.
Il est âgé de deux ans lorsque ses parents décident d’aller vivre à Los Angeles pour y faire fortune. Mais la crise économique les plongera dans la pauvreté.
Il découvre l’alcool aux alentours de 1929, avec un camarade de classe surnommé Baldy (Le chauve), dont le père, ex-chirurgien alcoolique, possède une cave à vin.
Vers 16 ans, des pustules recouvriront une partie de son corps. Son mal prendra de telles proportions qu’il devra interrompre sa scolarité pendant plusieurs mois et se rendre régulièrement à l’hôpital pour que l’on perce ses pustules avec une aiguille électrique. Il se verra comme un monstre.
Plus tard, il quittera le domicile familial, logera dans des chambres d’hôtels et des appartements miteux, tout en écrivant et en se saoulant.
Entre 21 ans et 26 ans, il voyagera. La Nouvelle-Orléans, El Paso, San Francisco, Saint-Louis, New York, Atlanta, et Philadelphie, où il sera arrêté par le F.B.I. et incarcéré pour désertion, puis exempté et relâché. Il finira par retourner à Los Angeles où il s’installera définitivement.
Il faut noter qu’après son retour de New York, alors qu’il a 25 ans, il n’écrira presque plus pendant environ 10 ans.
Pour vivre, il exerça divers petits boulots, dont il se fit renvoyer assez rapidement. Il fut, entre autres, magasinier, expéditionnaire, linotypiste, gardien de nuit, et employé de bureau.
Lorsqu’il s’installe devant sa machine à écrire, c’est avec de quoi boire, et avec une radio calée sur une station diffusant de la musique classique.
À 40 ans, le 14 octobre 1960, il publie son premier livre, un recueil de poèmes, intitulé Flower, Fist and Bestial Wail (Fleur, Poing et Gémissement Bestial)
Il fut postier pendant 11 années au bout desquelles il démissionna, le 2 janvier 1970, à 49 ans, pour se consacrer à l’écriture, angoissé à l’idée de ne peut-être pas pouvoir en vivre.
En octobre 1978, il se rend en France pour participer à l’émission littéraire Apostrophes de Bernard Pivot. Il boira en direct les deux bouteilles de vin blanc qui lui avait été fournies par la chaîne, sèmera la pagaille, et devra être évacué du plateau.
Charles Bukowski fut toute sa vie un marginal. Même lorsque la notoriété arriva, il refusa d’intégrer le monde littéraire, qu’il avait toujours trouvé ennuyeux et snob.
Il est souvent considéré comme un écrivain de la beat generation, alors qu'il n'appartint jamais à ce mouvement, ni à aucun autre.
Son livre, Contes de la folie ordinaire, fut adapté pour le cinéma en 1981 par Marco Ferreri, avec le même titre. Charles Bukowski n’aima pas le film, et en fit une critique très sévère, mais ô combien justifiée, dans la nouvelle intitulée Histoire de fou, extraite de son livre Le ragoût du septuagénaire, page 397 en Livre de Poche. L’esprit de Charles Bukowski n’est en rien retranscrit dans ce film.
En 1987, le film de Barbet Schroeder, Barfly, incomparablement meilleur, et dont il a écrit le scénario, raconte une partie de sa vie. Il l’apprécia beaucoup plus. Il relate l’histoire de ce film dans son livre Hollywood, tout en exprimant sa répugnance pour le monde du cinéma.
Ses écrits sont souvent autobiographiques. Il parle de son alcoolisme, de ses errances, de ses angoisses, de sa misanthropie, des courses de chevaux, des femmes, de son désespoir, ainsi que de l’absurdité et de la folie qu’il constate au quotidien. Son style, direct, parfois cru, n’est pas dépourvu d’humour, ni de profondeur.
Sa vision de la vie est sans concessions, sans illusions, sans naïveté, sans prétention. L’esprit affûté sera frappé par sa grande lucidité sur ce qui l’entoure, comme sur lui-même.
In : charlesbukowski-free.fr
Par Faris Lounis. Publié le : 03/05/2024, in https://actualitte.com
Une écriture sobre, efficacement dépassionnée, au-dessus de tout nationalisme effusif, imprégnée de la géographie algéroise, centrée autour des banlieues, des gares et des rails, mais surtout attentive aux petites choses du quotidien, la vie ordinaire, les existences simples. Tel est l’art du récit cultivé par Salah Badis, la clarté du style sur fond de tremblements de terre. Écrire, c’est voir Alger autrement, dans sa nudité tragique.
Voir Alger autrement, saisir la rumeur des rues, le ressac de la mer qui s’écrase sur les plages des banlieues, transposer en lettres chantantes les sifflements des trains et l’odeur du poisson grillé à la Pêcherie, près du port. C’est sous cet angle que Salah Badis raconte Alger et ses banlieues dans Des choses qui arrivent, son recueil de nouvelles (traduit de l’arabe par Lotfi Nia) récemment publié dans la collection « Khamsa » chez Philippe Rey/Barzakh (2023).
Poète et traducteur de Congo (Actes Sud, 2014) d’Éric Vuillard (prix Goncourt 2017) en arabe chez Barzakh (en édition bilingue, 2019), se situant par-delà le faux clivage (dangereusement instrumentalisé à des fins politiques outrancièrement réactionnaires) des écrivains « francophones » et « arabophones » et à contre-courant des romans mémorialistes racontant inlassablement la sempiternelle histoire « officielle » de l’Algérie sous forme de, osons l’expression, fiches Wikipédia, Salah Badis écrit sur fond de tremblements : les séismes d’El-Asnam (1980) et de Boumerdès (2003), la guerre civile (1990-2002) et ses innombrables massacres d’innocents, les mouvements sociaux réprimés parfois dans le sang.
De Réghaïa à Alger centre, avec une virée à Béjaïa, c’est à l’Algérie des travailleurs précarisés que Salah Badis s’intéresse, celle des taxieurs exaspérés (qui prodiguent souvent des sagesses à leurs clients : « j’vous donne un conseil, allez-y, partez, et mariez-vous… j’vous le dis comme je pense… […]. Ici, y a plus rien »), des teinturiers réfugiés dans les souvenirs meurtriers d’une guerre civile éloignée, des jeunes talents relégués, des diplômés empêchés et des jeunes couples qui ne peuvent dignement vivre se loger, avec une écriture que rythme la musique raï et cha‘bi.
Représentant une Algérie en ébullition, joyeuse mais tragique, Des choses qui arrivent est un livre qui convoque l’histoire pour en faire un enjeu du présent, un enjeu susceptible d’ouvrir les brèches d’un futur émancipé du poids l’histoire monumentale d’État et de ses dérives autoritaires. Si la quasi-totalité des nouvelles de Salah Badis sont marquées par l’inquiétante présence d’un lieu de mémoire, l’éminent immeuble colonial dit le « Kinze », la tour à quinze étages, effondrée en 2003, c’est probablement pour signifier quelque chose : la présence absente de cet immeuble présage l’imminence de la révolte et rappelle que sous les décombres, chaque matin, peut fleurir la vie et l’espoir, mais aussi, au péril de tous, la rage nihiliste et le désespoir.
Des stations et des lectures
Lire Salah Badis, c’est d’une certaine manière prendre le train, habiter en mouvement le trajet « Réghaïa – Alger centre », faire des allers-retours, se livrer au jeu de méditer quelques nouvelles, prises au hasard, arrêt après arrêt.
Au départ, déjà, le cri et la colère, comme l’annonce le tag « sur le mur de l’école, près de l’arrêt des bus de la ligne Réghaïa-Alger » : « LA BATAILLE D’ALGER EST TOUJOURS LÀ ». Les médecins résidents se soulèvent (« Une idée de génie »), se mobilisent et font grève, il faut sauver l’hôpital public et les treize années d’études, disent-ils.
Mais Kahina et ses collègues sont récompensés par la matraque et par certains « bons citoyens » qui, imbus de leur gros bon sens commun, qualifient leurs revendications d’« aberrantes ». Mais passons ! Réalisant que l’horizon des luttes est obstrué, et face aux difficultés de logement, Kahina, avec son mari, décide de se tourner vers les affaires : « On n’a qu’à ouvrir une laverie ! Mais oui, personne y a jamais pensé. Je suis sûre que ça rapporte, c’est original. Y a pas mieux. » Elle a déjà le nom en tête : « Laverie Le Bosphore ». Une évidence, la laverie, seul lieu métaphysique d’Alger pour médecins en reconversion professionnelle…
Ensuite, après quelques stations, c’est à la perte d’un être aimé et au deuil de toute une ville que se confronte Sami, jeune chanteur et photographe talentueux aspirant au succès (« La lune noyée »). Avec son appareil, il immortalise les scènes mémorables d’un Alger populaire marchant en un seul mouvement dernier le cortège funéraire d’Amar Ezzahi, l’icône de la chanson cha‘bi. Ses prises de photo dressent le portrait d’une ville endeuillée de l’absence d’un homme pauvre et modeste ayant enchanté et marqué des générations : « Nous avons ressenti une fraternité orpheline en nous éloignant du cimetière et en approchant des quartiers bas de la ville » et face « à la mer, couleur d’encre, des centaines de gens pleuraient debout autour de lui, en silence, leurs yeux rouges, des larmes se déversaient sur des visages tristes ».
Accablé d’une autre absence, celle de son père et de ses amis marins de la Pêcherie, Sami monte sur scène, au « Bastion 23 », et interprète avec le célèbre musicien Cheikh Sidi Bémol quelques morceaux d’Izlan Ibahriyen, son album de chants marins amazighs, en la mémoire de tous les oubliés et les disparus de la mer. Après la fête et les lumières, Sami, avec son amie au bord d’un bateau à Sidi Fredj, éprouve la lourdeur du ciel sans réponses à ses angoisses, l’ivresse de la mer, mais attend impatientèrent que le matin dévoile son épée des brumes noires.
Bien évidemment, le train peut s’arrêter, mais reprend inexorablement sa marche. La distance entre stations est longue et le temps est à la remémoration, à la révision des pages d’une vie. Trouble et troublée (« Sonaret, entreprise d’État »). La guerre est là, avec ses tourmentes, son lot de massacres et de sang. La terre ne tremble pas seule, la société également. Nous sommes en 1993, le président Boudiaf vient d’être assassiné. Un éditeur travaillant chez ENAG, unité de Réghaïa, résiste dignement, lutte sous le feu pour publier des livres de la Nahda (le mouvement de modernisation culturelle, scientifique et politique apparu entre le XIXe-XXe siècle dans les mondes arabes) et autres nourritures de l’esprit.
Depuis son bureau et au cours de ses missions sous couvre-feu, il capte le soufre dans l’air du temps. Les locaux des éditions ENAG reflètent la noyade de tout un pays dans le sang : « La zone industrielle vivait son dernier séisme avant le retour au calme plat » et la pieuvre intégriste se déchaîne vigoureusement. Les bruits de couloirs de l’entreprise, El Charika, parlent « des ultimes tentatives d’infiltration de la zone industrielle par le Font islamique du salut, dissous, et le Parti de l’avant-garde socialiste, périclitant ». Les hirondelles désertent le ciel et les exilés se multiplient, le chaos règne. Mais les livres continuent de sortir.
Maintenant, il ne reste que quelques stations et M. Krimou est sur le point de vendre sa précieuse voiture (« Peugeot 505 ») chez son ami notaire, non loin de la place Gueydon. Des éclats de mémoire inondent sa vision et au fils de l’acheter, il décrit la guerre civile et ses terreurs, ce « déluge des Écritures saintes » qui a voulu effacer le passé, le présent et l’avenir. Les cauchemars le hantent, la tentative d’assassinat de son ami journaliste, ses réveils en sursaut se multiplient, l’éternelle question de sa femme demeurée sans réponse le martyrise : « Comment on a fait pour franchir cette fin de siècle ? ».
Sa Peugeot 505 vendue, il contemple la splendeur des monts Babors depuis le café Richelieu. Il se ressouvient, mais ces images furtives et précaires s’effacent. Les scènes s’anéantissent. La lettre Nûn tracée par l’inquiétant vieillard du village sur la vitre arrière de sa voiture ne le quitte jamais. Il « se souvient du carreau de la Peugeot dans cette aube lointaine, le brouillard, le brouillard partout. C’est à cette époque-là qu’il a cessé d’attendre que les choses sortent du brouillard ; depuis, le brouillard, il marche en plein dedans ». Confus, M. Krimou cueille quelques instants de joie, face au tableau lumineux des Babors, avant que le spectre de la lettre Nûn ne revienne et le plonge à nouveau dans le noir.
Enfin, voilà, nous sommes arrivés au terminus, les voyageurs descendent, rentrent chez eux. L’écriture est semblable au travail de Yahya (« Des choses qui arrivent »), cet artiste algérois, déclassé socialement : capter, à l’aide de son précieux enregistreur Zoom H4, les sons de la rue, qui ne cesse d’étudier la langue du dehors : « … j’ai envie d’enregistrer les bruits de mon patelin et d’en faire quelque chose, un documentaire audio qui entraîne l’auditeur dans un parcours sonore de la ville ». Vivre avec la vigilance du sismographe, nourrir son art du langage du monde. Prendre exemple sur Yahya et écrire. Simplement.
Situés au niveau de plusieurs classes sociales entretenant des rapports souvent inégalitaires et antagoniques, les personnages de Salah Badis évoluent entre l’aisance et la précarité, la légitimité et l’illégitimité sociale, le conservatisme et la révolte en politique. Inscrivant l’art d’écrire au sein d’autres pratiques artistiques, comme la musique et le cinéma, avec un regard renouvelé sur la langue arabe et l’ouverture de son héritage culturel, Des choses qui arrivent est un recueil qui restitue subtilement quelques fragments illustratifs du vécu algérien, aujourd’hui, dans ses joies et ses douleurs.
Si des nouvelles mettent en scène des personnages qui se battent pour se loger, travailler et vivre dignement en citoyens émancipés, des personnages qui, confrontés à la violence symbolique et politique, prennent conscience de leur condition (comme cet ami de Madjid qui, au milieu d’une fête de la bourgeoisie algéroise, se dit : « Il me semble que je sois le seul étranger dans cette fête, je me sens oppressé et gêné »), d’autres, comme Selma (jeune cadre bien installée dans la vie), pour parachever leur bonheur, cherchent seulement un « balcon désespérément ».
Des choses qui arrivent, son recueil de nouvelles (traduit de l’arabe par Lotfi Nia) ; collection « Khamsa » chez Philippe Rey/Barzakh (2023).
Par Faris Lounis. Publié le : 03/05/2024, in https://actualitte.com
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